Autour d’un disque

Arthur Gunter

• Nous portons ici notre regard sur Arthur Neal Gunter (1926-1976), musicien originaire de Géorgie. Après avoir commencé à chanter et jouer le gospel avant de faire carrière autour de Nashville, Tennessee, il s’est mis à jouer le blues. Son nom a plus ou moins survécu grâce à sa chanson Baby Let’s Play House, qui fut en son temps un succès pour… Elvis Presley. Mais l’œuvre de Gunter est malheureusement assez peu connue. D’où l’intérêt des deux rééditions que nous vous présentons ici, et principalement celle éditée par le label britannique Jasmine Records.

Baby Let’s Play House
The Complete Excello Singles 1954-1961

Jasmine Records JASMCD 3077

www.jasmine-records.co.uk

Parfois, le succès arrive lorsqu’on ne l’attend pas ! C’est l’histoire incroyable qui est arrivée à un obscur musicien du Tennessee qui a laissé une trace indélébile chez les amateurs de rockabilly et de rock’n’roll. Le single Excello 2047 enregistré en novembre 1954 à Nashville dans le petit studio du businessman Ernie Young par Arthur Gunter accompagné par un combo composé de Skippy Brooks (piano), de son frère “Little” Al Gunter (seconde guitare), “Wallace” (basse) et Kid King (batterie) allait en effet devenir un improbable succès personnel (# 12 dans les charts R&B). Vous l’avez deviné. Il s’agit de… Baby Let’s Play House, composition écrite et remaniée par Gunter à partir de I Wanna Play House With You du chanteur de country Eddy Arnold. L’Histoire a retenu qu’un an plus tard, le jeune Elvis Presley a enregistré et popularisé ce morceau sur le label de Sam Philips (Sun 217). Lequel titre a rapporté quelques milliers de dollars de royalties à Gunter qui en a profité pour s’acheter une étincelante Buick rouge et blanche ! L’intervention de Leonard Chess, qui avait repéré Gunter lors d’un de ses voyages dans le Sud à la recherche de nouveau talents, a été essentielle pour la diffusion du disque grâce à la distribution d’Excello via le réseau national du label chicagoan. Cette popularité relative lui a aussi permis d’enregistrer jusqu’en 1961 onze autres singles chez Excello, parfois en compagnie de son frère Little Al (mort assassiné au début de 1959). Retrouvé en 1970 par Fred Reif, Arthur Gunter participe en septembre 1973 au festival d’Ann Arbor (Michigan). L’album Excello 8017, « Black and Blues », rassemblant 14 titres parus en singles entre 1955 et 1961, sera édité la même année (1971) en Angleterre sous le titre « Blues After Hours » sur le label de Mike Vernon, Blue Horizon (BH 2431-012). Le CD Excello 3011 contient quant à lui 27 titres, dont les 14 de l’album 8017. Il faut y ajouter une anthologie, « Baby Let’s Play House – The Best of Arthur Gunter » (Excello CD 3011), concoctée par Fred Reif et éditée en 1995, soit près de 20 ans après sa mort. À l’écoute, force est de constater que la musique de Gunter est à nulle autre pareille. À la frontière des styles, le contraste et le dosage subtils qu’il entretient savamment est saisissant. Il puise dans le blues profond au tempo lent de Blind Boy Fuller puis, dans des titres comme She’s Mine All Mine ou Honey Babe (écrit par E. Young), l’ambiance devient rockabilly et rock and roll, terriblement efficace. Gunter sait s’exprimer dans un style laconique et décontracté avec un chant mélancolique de toute beauté qui renvoie en filigrane à la Louisiane, comme dans No Happy Home ou Crazy Me. Parmi d’autres titres d’égale valeur, une mention particulière au très terrien et syncopé Little Blue Jeans Woman aux accents du blues des marais. Et puis, un chant nonchalant et légèrement voilé accentue son indéniable talent émotionnel. Son jeu de guitare ne s’embarrasse pas de fioritures, ce qui renforce le côté attachant et déconnecté du personnage comme sur Ludella, en complète osmose avec le piano aérien de Skippy Brooks et le saxo de Louis Brooks.

Arthur Gunter (à droite) en compagnie de Larry Gunter (à gauche). Photo @ Fred Reif (repro. DR / LP Blue Horizon 2431).

L’occasion nous est donnée de parler ici de deux albums récemment parus, l’un chez Jasmine (JASMCD 3077 – label anglais) et l’autre chez Oldays (ODR6156 – label japonais). Pourquoi comparer ces deux albums ? En l’occurrence, car c’est la première fois, à notre connaissance, que toutes les faces des singles Excello ont été rassemblées chronologiquement. Autre chose ? Première différence : Jasmine a réédité 24 titres alors qu’Oldays n’en a pressé que 23. Ainsi, le titre I’m Fallin’, Love’s Got Me (Excello 2201), ne figure pas dans la compilation japonaise. Deuxième différence : les notes de pochette sont en japonais (évidemment) chez Oldays, alors que Jasmine a fait l’effort d’une discographie certes synthétique mais cohérente, et a ajouté un texte de Bob Fisher et quelques illustrations (affiches, photos de covers…). À noter enfin que le remastering ne s’étant pas effectué à partir des mêmes sources, toute comparaison relative à la qualité sonore est forcément biaisée. Autrement dit, chacun pourra apprécier le travail de remasterisation de chaque réédition avec sa propre subjectivité et ses habitudes d’écoute. Quoi qu’il en soit, ces deux albums ont poursuivi et atteint le même but : (re)mettre en lumière un bluesman de grand talent fort oublié ! Les derniers enregistrements pour Excello datent de 1961, mais le groupe régulier d’Arthur Gunter continuera à se produire, ne se séparant qu’en 1966. Il déménage ensuite à Pontiac, Michigan, où il se produit occasionnellement, avant de se retirer définitivement du monde de la musique en 1973, après avoir gagné à la loterie de l’État du Michigan. Il se retire finalement à Port Huron, Michigan, où il décéde le 16 mars 1976, à seulement 49 ans.


Par Philippe Prétet