Black Top Records

Un grand label de blues et soul des années 80 et 90

• Fondé en 1981 par les frères Hammond et Nauman Scott à New Orleans, ce label a fait l’objet d’un travail d’orfèvres et de passionnés. Les frères Scott vont notamment produire une magnifique série d’albums jusqu’en 1999 qui vont initialement être distribués par Rounder Records ou repris par Alligator, le label de Chicago. Parmi les musiciens « maison », beaucoup étaient issus de La Nouvelle-Orléans comme George Porter Jr, David Torkanowsky, Herman V. Ernest III, Sammy Perfect, mais le label fit aussi régulièrement appel aux membres du groupe de chez Antone à Austin, Texas, dont le saxophoniste Mark “Kaz” Kazanoff, qui devint une pièce maîtresse du band. Après avoir édité une centaine d’albums de grande classe pour la plupart, ils firent faillite en 1999. Nauman Scott mourut en 2002 et Hammond vendit ses droits à des labels comme Varese Sarabande, Fuel 2000 et Shout Factory. En 2006, P-Vine Records acquit l’ensemble des droits et ressortit certains de ces albums. Nous n’allons pas ici faire le listing complet de ces albums qui est disponible sur le Web, mais parler de ceux qui nous semblent indispensables à toute collection cohérente de musique afro-américaine.

Chapitre 1 : Musique from N.O. and Louisiana

Buckwheat Zydeco« 100% Fortified Zydeco » (B.T. 1024) : un excellent album de cette musique zydeco qui n’avait pas alors (en 1983) la notoriété qu’elle a aujourd’hui et par un groupe qui allait obtenir un important succès par la suite.

Lynn August,  « Creole Cruiser » (B.T. 1074) et « Sauce Piquante » (B.T. 1092) : deux magnifiques albums de cet accordéoniste cajun aveugle qui jouait avec beaucoup de punch et un très bel orchestre. Traditon et modernisme se rejoignent avec classe.

Earl King (1934-2003), « Glazed » (B.T. 1034)  avec Roomful of Blues, « Sexual Telepathy » (B.T. 1052) et « Hard River to Cross » (B.T. 1090) : trois très beaux albums par l’un des meilleurs auteurs compositeurs de la Cité du Croissant, accompagné par les orchestres maison. Artiste qui pouvait être très séduisant lorsqu’il était en forme comme c’est le cas ici. Écoutez There ‘s No City Like New Orleans : une véritable déclaration d’amour !

Earl King, Black Top Party, Jimmy’s, New Orleans, mai 1993. Photo © Marcel Bénédit

Tommy Ridgley, « Since the Blues Began » (B.T. 1115) : ce chef d’orchestre emblématique de N.O. qui se produisait depuis la fin des années 40 et qui aida à lancer la carrière de sa chanteuse Irma Thomas tout en gravant une multitude de singles pour Atlantic, Herald, Ric, Decca tout au long des années 50 et 60, méritait bien une nouvelle chance. Ce fut fait avec cet album gravé en 1995 avec la même brochette de musiciens du cru.

Snooks Eaglin, « Baby You Can Get Your Gun » (B.T.1037), « Out of Nowhere » (B.T. 1046), « Teasin’ you » (B.T. 1072), « Soul’s Edge » (B.T. 1112), « Live in Japan » (B.T. 1137). Cinq albums indispensables : je pense que les frères Scott ont créé Black Top pour que Snooks soit enfin largement et correctement enregistré et que son vaste répertoire soit sauvegardé ! Tout cela est essentiel. Snooks est un guitariste exceptionnel accompagné de mains de maîtres par les meilleurs : George Porter, Herman Ernest, Kaz Kazanoff, Torkanowsky et les autres. S’il fallait en choisir un parmi tous,  je prendrais peut-être « Teasin’ you », mais tout se tient. Les frères Scott éditèrent un dernier disque de Snooks en 2002 où il est accompagné par Jon Cleary et ses Monsters Gentlemen avant de renoncer à leurs activités : « The Way It Is » (Money Pitt 1111). Le nom du label : « Trou à fric », veut d’ailleurs tout dire !

Snooks Eaglin et George Porter, NO Jazz & Heritage Festival, mai 1998. Photo © Marcel Bénédit

Henry Butler, « Blues After Sunset » (B.T.1144). Dans une ville où les pianistes ont toujours tenu le devant de la scène, Henry Butler était incontournable. Sur cet album de 1998 il joue et chante en duo suivant les morceaux avec – devinez qui ? – Snooks Eaglin bien sûr ! Une musique fraîche et revigorante par deux aveugles de génie.

Chapitre II : Le retour des vieilles gloires

Solomon Burke. À tout seigneur, tout honneur ! La palme d’or est décernée à le Roi Solomon dont les deux albums sont d’incontestables réussites : « Soul of the Blues » (B.T. 1095) dans lequel Solomon interprète de façon magistrale douze classiques fort bien choisis. Ses versions de My BabeCrawdad Hole, ou No Nights By Myself , sont des chefs-d’œuvre et puis, là aussi, il y a les superbes musiciens maison : un disque de chevet. Le second, « Live at the House of Blues » (B.T. 1108) enregistré en mai 1994 dans le temple du blues de N.O., est ce qui s’est fait de mieux dans le genre. Les amateurs présents ce soir là s’en souviendront toute leur vie ! Quel orchestre ! quel punch ! quelle ambiance !

Solomon Burke au House of Blues, New Orleans, mai 1994, durant l’enregistrement de « Live at the House of Blues » (B.T. 1108). Photo © Marcel Bénédit

Phillip Walker, déjà bien connu grâce à ses disques pour Joliet et Hightone, ne pouvait échapper à la clairvoyance des frères Scott. Deux albums seront publiés : « Working Girl Blues » (B.T. 1117) et « I Got a Sweet Tooth » (B.T. 1146) sont de superbes disques de blues moderne rendant justice aux immenses qualités de Phillip Walker.

Robert Ward. Ce chanteur guitariste anciennement avec les Ohio Untouchables, qui tient la guitare dans le fameux I found a Love des Falcons et auteur d’un certain nombre de singles sur le légendaire label Lu Pine de Detroit, n’avait pas échappé à la vigilance de Hammond Scott – fin connaisseur en bon vieux R’n’B des sixties – qui le retrouva en 1990. Son premier CD, « Fear No Evil » (B.T. 1063), sans doute l’un des meilleurs disques soul des années 90, relança sa carrière grâce aux vibrations originales de son fameux ampli Magnatone et à sa voix gorgée de gospel. Ward allait graver trois autres albums à succès chez Black Top : « Rhythm of the People » (B.T. 1088), « Black Bottom » (B.T. 1123) et « Twiggs County Soulman » (B.T. 7003) avant de continuer sa carrière chez Delmark et d’apporter un son complétement original dans la musique afro-américaine.

Robert Ward, Black Top Party, Jimmy’s, New Orleans, mai 1993. Photo © Marcel Bénédit

• Le cas de Bobby Parker est semblable. Oublié de tous malgré quelques faces historiques telles Blues Get off my Shouders ou Watch Your Step et des années dans les orchestres de Paul Williams, de Bo Diddley et de Jackie Wilson, il revient en studio pour Black Top en 1993 avec deux excellents albums : « Bent Out of Shape » (B.T. 1086) et « Shine Me Up » (B.T. 1119) dans lesquels beaucoup de guitaristes pourraient (devraient !) prendre des leçons. Du très beau travail ! Ça n’a pas pris une ride.

Anson Funderburgh and the Rockets est la formation qui a le plus enregistré pour Black Top. Environ sept albums. Sur les premiers, c’est Anson le « guitar hero » qui est mis en avant : « Talk to You by Hand » (B.T. 1001) (qui fut le premier disque Black Top) et « She Knocks Me Out » (B.T. 1022). Mais, dès « My love is Here to Stay » (B.T.1032), on monte d’un cran avec l’arrivée du chanteur harmoniciste Sam Myers, vocaliste de premier plan qui va participer aux albums suivants :  « Sins » (B.T. 1038), « Rack’em Up » (B.T. 1039), « Tell Me What I Want to Hear » (B.T. 1068) et « Thru the Years » (B.T. 1077). Une belle fusion de blues rock de qualité et de blues mississippien.

• Il faut saluer le retour d’un duo mythique composé de l’ancien guitariste de Bobby Bland et du label Duke, toujours remarquable, Clarence Hollimon, et de son épouse, la chanteuse et pianiste louisianaise Carole Fran, qui vont animer de nombreuses soirées à New Orleans dans les années 90 et graver deux superbes albums : « Soul Sensation » (B.T. 1071) et « See There » (B.T. 1100).

Carol Fran & Clarence Hollimon, Black Top Party, Jimmy’s, New Orleans, mai 1993. Photo © Marcel Bénédit

• Retour également du blues shouter Nappy Brown pour un seul album : « Something’s Gonna Jump Out the Bushes » (B.T. 1039). Il n’avait rien perdu de sa verve et de sa puissance vocale. Les frères Gaines (Grady et Roy) sont présents depuis bien longtemps dans les mondes du r’n’b, du jazz et du rock’n’roll et on les retrouve avec plaisir soit ensemble : « Full Gain » (B.T. 1041) avec une brochette de champions du r’n’b dont Clarence Hollimon, Teddy Reynolds, Joe Medwick, Big Robert Smith, Ron Levy, soit sous le nom de Grady Gaines, ancien saxophoniste du Little Richard de la grande époque, dans « Horn of Plenty » (B.T. 1084).

• Puisque nous sommes chez les saxophonistes, n’oublions pas le chouette album « Go Girl ! The Tri Saxual Soul Champs » (B.T.1059) qui permet à trois souffleurs de choc de s’exprimer pleinement : Sil Austin, Grady “Fats” Jackson et l’incontournable pilier de maintes sessions Kaz Kazanoff, également co-producteur et patron des sections de cuivres : un personnage capital chez Black Top.

• David William Kearny alias Guitar Shorty, guitariste flamboyant et adepte du saut périlleux en arrière a gravé trois bons albums pour le label : « Topsy Turvy » (B.T. 1094), « Get Wise to Yourself » (B.T. 1126) et « Roll Over Baby » (B.T. 1147).

W.C. Clark, chanteur guitariste texan très soulful a, quand à lui, deux disques à son actif : « Heart of Gold » (B.T. 1103) et « Lover’s Plea » (B.T. 1145).

• L’une des plus brillantes réalisation de Black Top est un album peut-être passé un peu inaperçu. C’est le merveilleux « Check out Time » (B.T. 1043) du chanteur James “Thunderbird” Davis avec les bien nommés Black Top All Stars : absolument recommandé.

• Il existe aussi deux albums parus sous le nom de Hubert Sumlin avec pas mal d’invités, car Sumlin avant tout guitariste, n’était qu’un chanteur de second plan. N’oublions pas les soulmen de Memphis, Earl Gaines avec « Everything Gonna Be Alright » (B.T. 1150) et Roscoe Shelton avec « Let It Shine » (B.T. 1149).

Hammond Scott (à gauche, les yeux fermés) écoutant Sil Austin (sax), soirée Black Top au Louisiana Music Factory, New Orleans, mai 1991. Photo © Marin Poumérol

Chapitre 3 : autres artistes et compilations

Le panorama serait incomplet si on ne citait pas les compilations comprenant divers artistes comme ces « 8 Blues-a-rama » et « Cocktail Party » plus les « Blues Pajama Party » enregistrés live au Tipitina’s : d’excellents souvenirs pour ceux qui y étaient…

Une série spéciale sous le nom de « Black Top Classics » est constituée d’enregistrements parus à l’origine sur d’autres labels par les Neville Brothers, Hollywood Fats, Magic Sam, Earl Hooker et Solomon Burke.

On doit citer les nombreux autres artistes de talent qui gravèrent des disques chez Black Top : Ronnie Earl, Ron Levy, Al Copley, Bobby Radcliff, Joe “Guitar” Hughes, Mike Morgan, Rod Piazza, James Harman, Darell Nullisch, Robert Ealey, Johnny Dyer, Dave Myers et quelques autres qui contribuèrent au rayonnement du label.

Les frères Scott sont rentrés au Panthéon des grands producteurs de cette musique au même titre que les Bob Koester, Chris Strachwitz, Bruce Iglauer et ont ainsi sauvegardé une part importante de l’héritage artistique afro-américain. Le monde serait bien triste sans tous ces disques Black Top.


Par Marin Poumérol