Bobby “Top Hat” Davis

Bobby Davis à l'orgue, Maxwell Street, Chicago, 2000. Photo © Jean-Pierre Urbain

Portrait d’un artiste méconnu

• Qui n’a pas vu le film « The Blues Brothers » ? Une des scènes se déroule dans un magasin d’instruments de musique. Le propriétaire en est Ray Charles. Celui-là interprète Shake A Tail Feather pour convaincre les frères Blues de la qualité du piano électrique. Le batteur que l’on entrevoit est le talentueux bluesman Bobby Davis (1932-2016)…

Bobby Davis naît à Dallas (Texas) le 14 Avril 1932. Tout gosse, il a environ 9 ans, il se fait remarquer devant le Dallas’ State Movie Theater : il cire les chaussures et danse des claquettes. Autodidacte de la batterie, de la basse, du piano et de l’orgue, il débute sa carrière à Dallas, vers la fin des années 40 : il est batteur du superbe saxophoniste Buster Smith, puis bassiste de l’orchestre de ZuZu Bollin. Il collabore avec Lil’ Son Jackson, le chanteur Red Calhoun et T-Bone Walker. Il sillonne le Texas et la Louisiane aux côtés de son cousin, le chanteur-organiste Baby Face Willette, et dans la formation de Rosco Gordon. Au milieu des années 50, il s’installe quelque temps à Houston (Texas). Là, il partage un logement avec Albert Collins avec qui il tourne et joue de la basse ou de la batterie. On les voit souvent au Down Beat Club. Clarence “Gatemouth” Brown fait appel aux talents de Bobby Davis, le Melody Club est le lieu de cette coopération. En 1957, après une brève tournée en Arkansas, Bobby Davis prend le chemin – inhabituel pour un texan – de Chicago. Il s’y installe définitivement.

Portrait signé de Bobby Davis dans les années 50. Photo DR, collection Gilles Pétard.

Très vite, Bobby Davis obtient un engagement sûr au Crown Propeller Lounge. De 1951 à 1956, ce club un peu chic était célèbre pour son aquarium géant illuminé dans lequel nageait une femme surnommée Atlantis déguisée en sirène (1). Il travaille aussi avec Willie Mabon, Jimmy Rogers et Mighty Joe Young. Il forme enfin son premier orchestre, en 1959, avec l’important guitariste Jody Williams : the Big 3 Trio. Au sein de ce petit combo, il joue du piano et de l’orgue et publie deux singles sur le label Bandera. Ces deux 45t ont un fort parfum Rosco Gordon, son ancien patron. Il enregistre aussi pour M-Pac, label d’Ernie Leaner, accompagné par Mighty Joe Young, pour Firma (Bobby “Top Hat” Davis and the Flowers), pour Expo (sous le pseudonyme Bobby Kool) et pour C.J. (Top Hat and Little Jeff, nom de la revue qu’il dirige à cette époque). Il accompagne quelquefois sur scène Muddy Waters, Eddie Boyd, Matt “Guitar” Murphy et Otis Rush. Jim O’Neal rapporte : « Je me souviens de Davis d’abord comme batteur d’Otis Rush et d’autres orchestres, au début des années 70. Il aimait faire des trucs tels faire tournoyer ses baguettes, les jeter en l’air et les rattraper ». Quand il ne travaille pas pour d’autres musiciens, Bobby Davis joue de l’orgue avec sa petite formation constituée de sa sœur Loretta à la batterie et d’une danseuse-washboardiste Dorothy “Foot” Jones. À la fin des années 60, il tourne avec trois danseuses délicieusement surnommées : Brown Sugar, Mellow Yellow et Black Sugar. Sa musique devient de plus en plus pop au cours des seventies et évolue vers un registre trop commercial pour les traditionnalistes.

le Big 3 Trio, avec, de gauche à droite, Jody Williams, Bobby Davis, Bob Walton. Photo d’archive DR, collection Gilles Pétard.

Là où se sent le mieux Bobby Davis, c’était au Maxwell Sreet Market. Dès 1959, chaque Dimanche pendant sept ans, il installe son orgue à la station-service à l’angle de la 14ème et de Halsted Street avec Rosie Davis (d) et Eric Davis (g). Puis associé à l’harmoniciste Mr. H, Baron of the Blues, il maintiendra vivante la tradition du Blues dans Maxwell Street jusqu’à la fin de ce légendaire marché aux puces. À la fin des années 90, il milite aux côtés de Piano C. Red, de Jimmy Lee Robinson et du professeur Steve Balkin pour la sauvegarde du Maxwell Street Market. Il y joue le plus souvent possible, quel que soit le temps, pour aider la cause, réveiller les consciences et trouver des fonds. Il se produit au Frank “Little Sonny” Scott Juketown Community, petit kiosque à musique bâti des propres mains de Frank “Little Sonny” Scott, personnalité incontournable du marché aux puces et son ardent défenseur. Ce personnage est connu pour jouer d’un instrument fabriqué par lui-même avec des centaines de clés.

Bobby Davis à la trompette, jouant dans Maxwell Street, Chicago, 2000. Photo © Jean-Pierre Urbain

Bobby Davis adore jouer et chanter le Blues. En plus de Maxwell Street les dimanches matins et des engagements dans les clubs, il anime pendant près d’un quart de siècle – de 1991 à juillet 2015 – le « Bobby Davis Blues Show », une émission mensuelle diffusée par CAN TV, une chaîne télévisuelle câblée de Chicago. Il invite des amis ou de nouvelles relations à jouer à ses côtés un blues assez « old school » avec souvent la participation de danseuses à l’arrière-plan (cf vidéo ci-après).

Bobby Davis au piano, devant l’affiche vantant son émission télé, Maxwell Street, Chicago, 2000. Photo © Jean-Pierre Urbain

Dans la rue, Bobby Davis est très susceptible. Il a les nerfs à fleur de peau. Les gens à ses côtés redoutent d’être abattus, parce que Bobby est très prompt à insulter s’il se sent offensé (2). C’est une étrange personnalité. Pour certains, difficile à approcher : « Je ne le connaissais pas et ne l’ai jamais interviewé ; j’ai toujours entendu qu’il était inabordable, je l’ai donc laissé tranquille » (3). Pour d’autres, un affabulateur : « Bobby était un vrai personnage. J’ai souvent eu d’amusantes conversations avec lui, au cours desquelles il me racontait des anecdotes surprenantes et certainement improbables. Je n’en ai retenu aucune » (4). Le Professeur Steve Balkin, son ami, se souvient d’un dimanche après-midi, dans Maxwell Sreet. Bobby Davis affamé, au lieu d’acheter le traditionnel Sausage Polish Sandwich, extirpe une table de jeu du coffre de sa voiture, puis sort du poulet frit froid et un thermos de soupe. Là, il déguste tranquillement son déjeuner, comme dans sa salle à manger. « This is the beauty of Maxwell Street, a place where people felt at home » (2).

Bobby Davis revenant à ses premières amours : la batterie, dans Maxwell Street, Chicago, 2000. Photo © Jean-Pierre Urbain

Une crise cardiaque terrasse Bobby Davis le 13 février 2016. Il a 83 ans.


Par Gilbert Guyonnet
Toutes nos pensées vont à notre ami disparu Jean-Pierre Urbain, auteur de la majorité des photos de cet article, jamais encore publiées pour la plupart.
Remerciements à Steve Balkin, Bill Dahl, Justin O’Brien et Gilles Pétard

Notes : Bobby Davis avait quelques temps joué avec son fils Eric “Guitar” Davis héritier de ses qualités musicales. Eric était sur le point d’enregistrer pour Bob Koester et son label Delmark. Malheureusement, le 19 décembre 2013, au petit matin, son corps troué de deux balles était retrouvé appuyé sur le volant de sa voiture, dans une rue de Chicago. Un vol, semble-t-il !

1. Robert Pruter – « DooWop The Chicago Scene p.14 » – University of Illinois Press
2. Échanges de courriers électroniques avec le Professeur Steve Balkin
3. Courrier électronique avec Bill Dahl
4. Courrier électronique avec Justin O’Brien