Buckwheat Zydeco

De gauche à droite : Curtis Watson, Reggie Dural et Stanley “Buckwheat” Dural Jr., Clifton Chenier Celebration, Clifton Chenier Club, Loreauville, Louisiana, 23 juin 2012. Photo © Gene Tomko

• Figure la plus connue du zydeco contemporain à travers la planète, le chanteur, accordéoniste, pianiste, organiste et chef-d’orchestre Stanley “Buckwheat” Dural Jr est décédé le 24 septembre 2016 à l’âge de 68 ans des suites d’un cancer du poumon.

Pour lui rendre un dernier hommage ce 3 octobre, dans l’église du Cœur immaculé de Marie à Lafayette, elles sont venues, elles sont toutes là, les sommités musicales louisianaises : C. J. Chenier, Major Handy, Terrance Simien, Lil’ Buck Sinegal, le « parrain » du zydeco à Lafayette, propriétaire du club El Sid O’s, Sid Williams avec ses frères, membres du groupe Nathan & The Zydeco Cha Cha’s et son neveu, Nathan Jr, C.C. Adcock, Roddie Romero, Sonny Landreth, Steve Riley, Rockin’ Dopsie Jr et son frère Dwayne Dopsie, le manager de Buckwheat, Ted Fox, et son producteur Scott Billington. Des membres des médias spécialisés sont également présents : le photographe Philip Gould, le journaliste Herman Fuselier, les écrivains Michael Tisserand (« The Kingdom of Zydeco »), Todd Mouton (« Way Down in Louisiana ») et Ben Sandmel (« Zydeco »).

Michael Tisserrand, qui a tenu la chronique de ces funérailles dans le magazine musical OffBeat, donne une idée de l’ambiance entre les propos du leader des Zydeco Cha Cha’s, Nathan Williams, manifestement ému, déclarant  « Ici repose un trésor national », et l’homélie de Robert See, le curé de la paroisse s’exclamant : « Voilà une musique qui vous pénètre jusqu’à l’os et comble votre esprit. Il faudra sortir de l’église le cœur léger, car Jésus adore le zydeco ! »

Et pourtant, à l’origine, ce n’était pas le chemin choisi par “Buckwheat” (ainsi surnommé dès l’enfance pour ses cheveux ébouriffés comme le personnage du même nom incarné par l’enfant-acteur Billie Thomas dans la série TV Little Rascals), né dans une famille de 13 enfants près de Lafayette, d’un père mécanicien et accordéoniste amateur à ses heures. Pas question de zydeco pour le jeune musicien qui préfère le piano appris dès l’âge de neuf ans, admire Fats Domino puis James Brown. Le lycée terminé, il joue des claviers avec Joe Tex, Clarence “Gatemouth” Brown et Barbara Lynn avant de fonder, en 1971, son propre groupe, Buckwheat & The Hitchhikers, une formation soul de 15 musiciens.

1975 constitue le grand tournant de sa carrière lorsque Clifton Chenier, alors à son zénith, lui demande de jouer de l’orgue Hammond dans son groupe. D’abord réticent envers une musique qui ne l’intéresse guère, il comprend qu’une telle offre ne se refuse pas et la suite appartient à l’histoire. Son « apprentissage » auprès du roi du zydeco durera deux ans (marqués par des duos accordéon/clavier de toute beauté). Stanley se met à son tour à l’accordéon et, en 1979, crée sa propre formation zydeco dénommée Buckwheat Zydeco & Ils Sont Partis Band (« Ils sont partis », comme l’annonce faite en français au départ des courses sur tous les hippodromes du sud de la Louisiane). Ils enregistrent pour Blues Unlimited, Black Top et surtout Rounder Records sous la férule de Scott Billington. S’inspirant à la fois de Chenier et de James Brown, Dural abandonne peu ou prou le vieux répertoire créole chanté en français pour créer un mélange souvent créatif de soul, de R&B, de funk et de reggae.

Un admirateur, le journaliste new-yorkais Ted Fox, a l’oreille de Chris Blackwell, le producteur jamaïcain. Il fait signer à Buckwheat un contrat pour cinq albums sur le prestigieux label Island Records, devient le manager du groupe qui connaît alors une gloire certaine : tournées mondiales, nombreuses apparitions télévisées, films (notamment « The Big Easy ») et surtout la cérémonie de clôture des Jeux olympiques d’Atlanta en 1996 où Buckwheat et Little Richard interprètent Jambalaya devant des athlètes du monde entier en délire, un show suivi par trois millions de téléspectateurs.

Certes, Buckwheat n’était pas le meilleur accordéoniste de la scène zydeco et il a rarement dépassé son maître et mentor, Clifton Chenier. Certains amateurs, à juste titre, déplorent le contenu insipide de plusieurs plages de quelques-uns de ses LP chez Island. Mais il a souvent été un arrangeur imaginatif ; en témoignent ses intros spectaculaires et majestueuses de morceaux comme Midnight Special ou du très gospelisant Crying in The Streets, ou ses intéressantes adaptations de Beast of Burden des Stones ou de On A Night Like This de Dylan. Il savait aussi s’entourer d’excellents musiciens et son réel sens commercial a fait le reste. Son tout dernier album, le post-Katrina « Lay Your Burden Down » (Alligator Records, 2009) est peut-être son œuvre la plus ambitieuse, à vrai dire davantage R&B que zydeco. Elle contient des titres de Jimmy Cliff, Captain Beefheart, Bruce Springsteen et un étonnant When the Levee Breaks de Memphis Minnie rendu célèbre par Led Zeppelin et traité ici à l’orgue Hammond.

Laissons au musicologue néo-orléanais Ben Sandmel le soin de conclure cette notice nécrologique : « En 1987, j’avais assisté aux funérailles de Clifton Chenier et j’avais été peiné, choqué et particulièrement déçu que son importance en tant que musicien eut été à peine évoquée dans un sermon qui portait essentiellement sur ses chances de rédemption ! Ce fut tout le contraire pour “Buckwheat” dont les nombreux accomplissements, le talent, la réussite musicale et culturelle furent célébrés de manière appropriée et détaillée. C’est plutôt gratifiant de découvrir que la reconnaissance du zydeco a tant progressé en trente ans grâce au travail de pionnier de Clifton Chenier surtout, mais aussi au bon boulot de son élève et protégé, Stanley “Buckwheat” Dural Jr. »


Par Jean-Pierre Bruneau