Captain Jack Watson

Captain Jack Watson devant le 1812 East 12th St, Austin, Texas, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Le Blues texan 2.0

• Quelques mois avant le Eastside Kings Festival à Austin, Texas, Eddie Stout – le boss de l’événement – nous fait parvenir la liste des artistes qu’il a programmés pour sa sixième édition. Une nouvelle fois, les différents rendez-vous s’annoncent somptueux, mais un nom retient particulièrement l’attention : celui de Captain Jack Watson. Aussitôt me reviennent en mémoire plusieurs publications de ce chanteur qui réside à Garland au Texas et qui se sert des réseaux sociaux comme caisse de résonance pour faire connaître ses diverses activités musicales au plus grand nombre…

Le bon capitaine se nomme Burnett Watson. Sans manager officiel, il a tout compris du fonctionnement de Facebook et ses apparitions sur la toile retiennent l’attention lorsque, à son domicile et en direct, il se met à interpréter les standards d’Albert Collins ou de Bobby “Blue” Bland face à la caméra de son téléphone portable ! Doté d’un tempérament enjoué et d’une rare force de caractère, sa vie n’a pas été des plus faciles. S’il a – comme il le confesse – un temps touché le fond, ce fut au final pour mieux remonter et s’attacher à sa carrière de musicien, entouré de l’affection constante de sa famille. Tout n’est pas simple dans la vie de Burnett Watson. La recherche incessante de nouvelles dates de concerts, soirées ou événements privés, est sa première préoccupation pour faire vivre sa famille. Avec au compteur un album enregistré il y a quelques années pour le label CDS, il a le solide espoir de traverser l’Atlantique un jour afin de se produire, notamment France. Doté d’une voix plus que remarquable – dans la lignée d’un Bobby Bland ou d’un Ernie Johnson – son vaste répertoire alternant Blues et Soul sudiste mérite qu’un festival s’intéresse enfin en Europe à ce colosse débonnaire dont présence et gentillesse ne peuvent laisser indifférent.

Le dimanche 9 septembre au matin, dans le lobby de l’hôtel où il résidait durant le festival, la rencontre a enfin lieu après de multiples échanges via le Net. La veille, notre rencontre avait été un moment fort en émotion, tellement nous attendions d’un côté comme de l’autre ce moment avec impatience.

Captain Jack Watson et Liljay Barrett, Full Circle Bar, 1810 East 12th St, Austin, Texas, 8 septembre 2018. Photo c Marcel Bénédit

« Je suis né à Gonzales, petite ville du Texas qui est située à mi-chemin de San Antonio et de Houston, mais j’ai grandi à partir de 1968 à Dallas, j’y ai passé toute mon enfance. Avec mon frère jumeau, à l’âge de dix-huit mois, nous avons été adoptés par mon oncle et ma tante, George et Wessie Mae Watson. Juste auparavant, j’avais fait un long séjour à l’hôpital car j’avais contracté la polio. Malgré ce départ quelque peu compliqué dans la vie, je peux dire que j’ai passé malgré tout une enfance heureuse grâce à l’affection de mes proches. La musique était présente à la maison. Je me rappelle parfaitement qu’avec mon frère nous tapions sur des boites en carton et fabriquions avec les moyens du bord de drôles de « guitares » avec trois fois rien et un manche à balai ! Dès mes dix ans, j’ai commencé à chanter les grands classiques du Blues. En plus, Bobby Patterson – chanteur de Blues et de Soul mais aussi producteur et animateur de radio – venait faire ses répétitions dans notre garage, j’étais donc aux premières loges pour parfaire mon apprentissage musical ! À l’école, la musique tenait une place prépondérante. Mon jumeau jouait de la guitare basse tandis que moi j’étais à la batterie. Mon père, qui avait l’oreille musicale, m’a encouragé lorsque, dans le quartier, j’ai monté mon premier orchestre. Nous étions en tout sept musiciens. Au lycée, la plupart de mes amis ne juraient que par le Funk ou le Disco. Nous, nous étions les seuls avec mon groupe à proposer du Blues. Passionné par cet univers musical, j’aie rejoint la formation officielle de la Wilmer Hutchins High School. Il faut bien avouer que, durant mon adolescence, mon oncle Morris White a joué un rôle majeur pour la suite de ma carrière. Il était alors le manager de Bobby Patterson. En ville, il était connu et respecté pour son jeu de guitare, c’est lui qui m’a prodigué tous les conseils que j’applique encore aujourd’hui, à savoir chanter et jouer du Blues !

Captain Jack Watson lors de son intronisation en loge. Photo DR, courtesy of Burnett Watson.

Mes tout premiers débuts sur scène remontent aux années 80. Tous les jeudis, dans le club le Coaches Corner – 7439 S Westmoreland Rd, Dallas – il y avait une scène ouverte. À cette époque, Bobby Patterson officiait sur la radio KKDA et annonçait ses concerts dans les clubs. C’est lui qui m’a fortement encouragé à venir le rejoindre dans cet établissement et faire ses premières parties. Un soir, dans un club de Dallas qui se nomme “Le 220”, passaient l’immense Little Milton et Ernie Johnson. Ernie, qui me connaissait bien et qui savait que j’étais présent ce soir-là, alla voir Little Milton dans sa loge : « J’ai une de mes connaissance qui est dans le club ce soir, c’est un bon chanteur, il est fan de tes compositions, il souhaiterait te rencontrer… » Quelques instants plus tard, j’étais dans les coulisses à ses côtés, j’étais tout à la fois heureux et intimidé. « J’aimerais t’entendre sur un de mes titres si tu le permets », lance Milton. J’ai choisi de lui interpréter un extrait de son titre Blind Man. À la fin, il m’a dit : « Crois en toi, tu as un don, ta voix est incroyable, il faut que tu persévères. » J’étais bien sûr aux anges, adoubé par mon idole. Au fil de mes premiers engagements, le célèbre Big Charles Young me proposa de venir chanter au RL Palace, club appartenant au chanteur. À partir de ce moment, j’ai assuré les premières parties d’artiste comme Lavelle White, Lil Dave Thomas, Vernon Garrett, Little Milton ou encore Donnie Ray et Rue Davis.

Un autre moment de ma carrière a été la sortie de mon album intitulé « Brand New Man » paru sur CDS Records. J’ai rencontré Carl Marshall en 2006 mais j’ai attendu deux années avant d’entrer en studio. Il m’a d’abord demandé d’assurer un engagement à ses côtés, puis il m’a proposé de signer sur son label, nous sommes donc partis enregistrés en Californie.

Captain Jack Watson en concert, Full Circle Bar, 1810 East 12th St, Austin, Texas, 8 septembre 2018. Photo c Marcel Bénédit

Comme pour tout le monde, la vie n’est pas pavée que de bonnes nouvelles, nous avons tous nos soucis, voire notre part d’ombre. Je ne le cache pas, j’en faisais état il y a peu dans une interview faite par “Brother Jacob” (NDLR : Jacob Schulz) sur la radio universitaire de l’État de l’Illinois : UCI. À dix-huit ans, suite à une grave dépression, je suis tombé dans la spirale infernale de la drogue. Cette addiction m’a fait perdre tous mes repères, au point de devenir un sans-abri. Durant plus de deux années, j’étais méconnaissable… Je m’en suis complètement délivré maintenant, mais ce fut un dur combat à mener ; je fréquentais alors trop de mauvaises personnes. Je m’en suis sorti et assume désormais mon métier de musicien à plein temps. Chercher des engagements dans des clubs ou dans les festivals n’est pas chose aisée, heureusement que je peux compter sur l’indéfectible soutien de mon épouse. Je crois en Dieu, cela compte énormément pour moi et cela me donne la force de continuer et d’aller de l’avant. Cette persévérance m’a permis d’enregistrer la composition I’m in Love with a Woman Other Woman Talk About, qui est sur mon album et qui s’est retrouvée en tête des charts aux côtés de titres de William Bell, Minnie Williams ou encore Clarence Carter.

Captain Jack Watson durant le Eastside Kings Festival, 8 septembre 2018, Austin, Texas. Photo @ Marcel Bénédit

Le Cruiseship Blues Show Band est la formation qui me suit depuis plus d’une dizaine d’années. Ils ont eux aussi bataillé ferme dans la vie et, sur la route, ils sont toujours à mes côtés. Sur scène, j’alterne Blues et Soul sudiste mélangeant des standards et mes propres compositions. Ce n’est pas pour enfoncer des portes ouvertes ou me plaindre, mais il devient de plus en plus difficile de trouver des engagements réguliers aux USA. Les relations entre les artistes ont aussi évolué, moins amicaux, ils parlent plus de plans promotionnels que de carrières. Il faut rendre ici hommage à Eddie Stout qui, à Austin, organise un merveilleux festival avec des artistes hors-pairs ; c’est la deuxième fois qu’il a la gentillesse de m’inviter. À ce sujet, quand j’ai vu que c’était le guitariste Liljay Barrett qui allait jouer à mes côtés, j’étais fou de joie. Je connais Liljay depuis plus de vingt ans ! À l’origine, je dois ma rencontre avec Eddie Stout à Internet ; c’est Robert Slim – qui vit en Hollande – qui m’a recommandé à lui, grâce à des vidéos qu’il avait vues sur Youtube. L’importance des réseaux sociaux est à mes yeux évidente pour se faire connaître du plus grand nombre. J’adore faire des Facebook live et chanter sur des titres d’Albert Collins, Little Milton ou Bobby Bland ! »

Captain Jack Watson avec Russell Lee, PeeWee Calvin, Jason Crip et Liljay Barrett, Full Circle Bar, 1810 East 12th St, Austin, Texas, 8 septembre 2018. Photo c Marcel Bénédit
Captain Jack Watson en concert, Full Circle Bar, 1810 East 12th St, Austin, Texas, 8 septembre 2018. Photo c Marcel Bénédit

Avec des moyens financiers limités, Burnett Watson a compris tout l’intérêt de faire vivre sur la toile les différents rendez-vous musicaux ou non du “Captain Jack”. Personnalité attachante de la scène texane, le capitaine Watson a non seulement une grande voix, c’est aussi un showman hors pair.


Par Jean-Luc Vabres
Remerciements à Burnett Watson ainsi qu’à son épouse Alice et à Patricia Hedrick. Toute ma gratitude à Eddie Stout, le boss du Eastside Kings Festival d’Austin