Cedric Burnside

Cedric Burnside, Mississippi, Février 2018. Photo © Abraham Rowe

« Sache que ma musique va être authentique »

• Ce samedi 25 mai 2019, après avoir visité le centre-ville de Lausanne, je reprends la direction de Crissier, petite ville suisse où a lieu la dixième édition du Blues Rules Crissier Festival. Je dois y rejoindre Cedric Burnside, récemment nominé aux Grammy Awards pour le meilleur album de blues traditionnel avec son petit bijou « Benton County Relic ». Alors que je fais halte à mon hôtel, j’aperçois un van noir se garer devant l’entrée principale et je me retrouve nez à nez avec le petit-fils de R.L, accompagné de sa femme Quona et de son cousin Kent. Cedric, que je rencontre pour la première fois, fait preuve d’une grande gentillesse et d’une grande humilité. Nous échangeons quelques mots en toute simplicité, avant de convenir d’un moment pour converser. Nous nous retrouvons en début de soirée, dans les loges du festival, alors que la pluie bat son plein au dehors. Au cours de notre échange, Cedric exprime haut et fort l’attachement à son Mississippi natal. Il évoque également son désir de faire connaître le Hill Country Blues partout dans le monde, notamment en Afrique, et sa volonté de suivre son propre chemin, tout en préservant l’héritage de son illustre grand-père, R.L Burnside.

R.L. Burnside, New Orleans Jazz & Heritage Festival 1998. Photo © Marcel Bénédit

Je viens d’une petite ville, Holly Springs, Mississippi. Grandir en écoutant la musique de mon grand-père, R.L Burnside, cela m’a touché au plus profond de moi quand j’étais jeune. Très jeune. Il y avait des fêtes un week-end sur deux. J’étais un de ces petits-enfants, comme beaucoup d’autres, à être assis là avec émerveillement. Je les regardais jouer cette musique. Et j’ai su que c’était ce que je voulais faire jusqu’à la fin de ma vie. Je devais avoir six ou sept ans. J’ai grandi avec mon grand-père. Il était comme mon père. Mon père n’était pas là souvent. Donc je restais à la maison avec mon grand-père, jusqu’à ce que je sois suffisamment grand pour partir. Je me vois jouer cette musique jusqu’à la fin de ma vie. Je me vois aussi diffuser cette musique un peu plus largement que mon grand-père ne l’a fait. J’espère et je prie pour que la famille Burnside ait envie de faire la même chose. J’adore cette musique. Elle représente ce que je suis. C’est à peu près tout ce que je connais car elle m’a accompagné toute ma vie.

Calvin Jackson, le père de Cedric Burnside, La Coopé, Clermont-Ferrand, 2001. Photo © Marcel Bénédit

J’ai trois filles, et elles adorent la musique. Elles ne jouent pas de guitare autant que j’aimerais ! Mais elles s’y mettent. Ma plus jeune fille a quatorze ans. Elle commence à écrire des chansons. C’est magnifique. Elles continuent. Elles pourraient être le premier groupe Burnside féminin, ce serait génial ! Mon cousin Kent jouait hier soir. Nous jouons rarement tous les deux, bien que nous ayons grandi ensemble. Kent vit dans l’Iowa désormais. Il a quitté le Mississippi il y a quelques années. À Davenport, dans l’Iowa. Il vit toujours là-bas. C’est toujours sympa de se voir parce que, parfois, on ne se voit pas pendant cinq, six mois. Donc c’est bien de jouer dans le même festival, surtout ici en Suisse.

« Le Hill Country Blues est dans mon sang »

Le style de musique avec lequel j’ai grandi, le Hill Country Blues, c’est un blues très différent. Certaines personnes le comprennent, d’autres non. Si tu grandis en écoutant du blues à douze ou à huit mesures, le I-IV-V… Si tu grandis en écoutant ça et que tu n’as jamais écouté le Hill Country Blues, alors peut-être que tu ne vas jamais le comprendre. Parce que tu es tellement habitué au blues à douze mesures… Mais les gens qui comprennent le Hill Country Blues et qui connaissent son histoire, qui savent de quoi ça parle et d’où ça vient, ils adorent cette musique. C’est un style de blues dont le rythme est peu orthodoxe. Les gens disent que c’est très hypnotique. Avant que je ne quitte cette terre, j’espère faire connaître le Hill Country Blues partout dans le monde. Aujourd’hui, c’est un très bon début. Je voudrais me rendre dans davantage de pays et y apporter cette musique. Des pays qui ne l’ont jamais entendu avant. Et peut-être jouer cette musique dans les pays du Tiers Monde. Ce serait très spécial. Je suis né là-dedans. Pendant très longtemps, je ne me rendais pas compte à quel point cette musique était spéciale, jusqu’à ce que je sois dans la vingtaine. Je jouais cette musique. C’était dans mon sang. Je le faisais, point. C’est ce que je connaissais. Mais quand j’ai eu une vingtaine d’années et que j’ai commencé à jouer beaucoup plus, et à écrire des chansons, beaucoup de gens sont venus me voir en pleurant, en me disant à quel point cette musique les a aidés dans leur vie. À quel point cette musique les a aidés à tenir. Cela m’a fait pleurer. C’est comme ça que me suis rendu compte à quel point cette musique était spéciale.

Cedric Burnside, février 2018. Photo © Abraham Rowe

J’adorerais aller en Thaïlande et y jouer. J’adore la musique qui est jouée là-bas. J’ai eu la chance d’aller en Israël, c’était pour moi vraiment magnifique. La musique m’a beaucoup inspiré. C’était une grande source d’inspiration d’aller là-bas. Tu peux voir ces gens jouer dans la rue avec une guitare qu’ils appellent « kissar ». Ils étaient en train de faire un bœuf. Je me disais : « wow, c’est puissant ». Le blues d’Israël. Quand j’ai joué là-bas, ils ont adoré. Curieusement, je ne savais même pas que j’avais des fans en Israël. Quand mon agent m’a trouvé une date là-bas, je me disais : « c’est une première ». Ils veulent juste voir comment ça va se passer là-bas. Mais je ne me rendais pas compte, les gens chantaient mes chansons mot à mot. Cela m’a époustouflé. J’ai vraiment pris mon pied. Je suis d’abord allé en Nouvelle-Zélande, puis de la Nouvelle-Zélande en Australie. Tous les concerts étaient complets, c’était extraordinaire. J’étais là-bas pendant deux semaines et je ne m’attendais pas à ce que tous les spectacles soient complets. Je m’attendais à de bons concerts, mais pas à ce qu’ils soient complets. C’était magnifique.

Cedric Burnside et Steve Lightnin’ Malcolm, Cognac Blues Passions, juillet 2009. Photo © Marcel Bénédit

« Je veux rester fidèle à ce que j’écris »

J’ai écrit ma première chanson quand j’avais douze ans. Ce n’était pas très bon ! Tu pourrais penser qu’à douze ans tu n’es pas censé t’intéresser aux filles, mais je m’intéressais aux filles… Donc c’était à propos d’une fille de mon école. Elle s’appelait Jameeca. Ne le dis pas à ma femme ! Mais oui, c’était à propos d’une fille. Ce n’était pas vraiment une chanson d’amour, c’était à propos de certaines choses qui s’étaient passées…

Cedric Burnside, Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2008. Photo © Marcel Bénédit

Je suis toujours en train de travailler sur de nouveaux morceaux. J’essaie de laisser venir les choses naturellement et de ne pas les forcer à sortir de moi. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu besoin de trop forcer. Beaucoup de choses se passent dans ma vie. J’ai une nouvelle femme, une très belle femme, que j’aime très fort. Elle s’appelle Shaquona. “Quoana”, pour faire court. De nouvelles choses se passent pour moi et pour ma carrière, c’est très bien. Je passe au niveau supérieur. Je trouve toujours quelque chose à écrire, à dire aux gens ce qui se passe dans ma vie. J’essaye vraiment de m’en tenir aux parties authentiques de ma vie et c’est comme ça que j’écris à propos de moi, ainsi que pour ma famille et mes amis. J’essaie de rester fidèle à ces choses-là. Je ne veux rien « enjoliver ». Je n’aime pas embellir les choses au point que cela sonne faux. Je veux rester sincère avec moi-même. Cela signifie que je pourrais écrire une chanson dont quelqu’un pourrait dire : « wow, il y va fort ! ». Mais c’est ainsi. Si cela se produit, alors je veux écrire à ce sujet. Chanter à ce sujet. Parce que je sais que, quelque part dans le monde, quelqu’un a pu être là, faire ça, ou avoir été dans une situation similaire. C’est pour ça que je veux rester fidèle à ce que j’écris.

Cedric Burnside et Steve Lightnin’ Malcolm, Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2008. Photo © Marcel Bénédit

De l’Afrique au Mississippi

Je ne suis jamais allé en Afrique. J’adorerais y aller un jour. Je sais à 100% qu’il y a un lien entre le Blues du Mississippi et la musique africaine. Je le ressens très fort. J’ai un très bon ami, Ogista Njie. Il est de Gambie. Je l’ai rencontré il y a cinq ou six ans. Il m’a fait écouter un tas de musiciens africains que je n’avais jamais entendus jusqu’alors. Cela m’a soufflé. Je me suis mis à Ali Farka Touré il y a environ trois ans. Je n’en avais jamais entendu parler de toute ma vie. Mon ami Chuck Duncan m’a branché sur sa musique. J’étais en train d’écouter Ali Farka Touré jouer de la guitare. Dans mon esprit, je me suis dit : « la vache, mais c’est du Junior Jimbrough ce truc ! ». Comme un vieux style de Junior Kimbrough que je n’avais jamais entendu. Jusqu’à ce qu’Ali Farka Touré se mette à chanter. J’étais là : « wow ! ». Mais cela sonnait tellement comme Junior Kimbrough, je pensais que c’était lui. Je me suis dit : « nous avons un lien ». Nous avons un lien ! J’ai envie d’aller en Afrique et d’expérimenter la mère patrie de cette musique. L’Afrique est un endroit où j’ai tellement envie d’aller. Cela fait très longtemps que j’en ai envie. Ils ont eu le Blues en premier. Qui connaît le Blues mieux que l’Afrique ? Cela occupe une place importante dans mon cœur.

Cedric Burnside février 2018. Photo © Abraham Rowe

Je vais le dire avec mes propres mots : « j’adore le Mississippi ». C’est comme l’énergie qui vient de la terre. Dans le Mississippi, tu sais qu’il y a le mojo de la terre. Des choses s’y sont passées à l’époque. On sait que des musiques incroyables ont été créés à partir de ces choses qui se sont passées. Et tu peux presque le ressentir. Du moins, moi je le peux. Je peux aller marcher dehors, respirer l’air frais et ressentir cette énergie. Du coup j’ai tendance à écrire beaucoup de musique en étant assis sur mon porche, dans les bois… J’écris beaucoup de mes chansons là-bas, dans la nature. C’est ce que j’adore avec le Mississippi. C’est l’un des plus beaux endroits au monde. Rien ne me donne encore envie de quitter le Mississippi ! La prochaine fois que tu viens dans le Mississippi, il faudra que je te fasse du cornbread [NDLR : pain de maïs], je te montrerai ma recette. Ma grand-mère me l’a montrée. Oui, elle me l’a montrée. J’essaie de m’y tenir. C’est le seul cornbread que j’aie jamais fait. Les gens me dissent : « alors mon gars, t’es toujours dans le Mississippi ? » Peu importe où je vais, je vais continuer à sonner Mississippi. Je vais continuer à être Mississippi.


Par Victor Bouvéron
Remerciements à Reed Watson, à Vincent Delsupexhe, Thomas Lecuyer et toute l’équipe du Blues Rules Festival de Crissier, ainsi qu’à Muddy Gurdy