Chroniques #53

• L’actualité des disques, livres et DVD blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par abs magazine online


Sharon Lewis And Texas Fire

Grown Ass Woman

Delmark DE 849 – www.delmark.com

Le titre de ce nouveau CD pourrait à première vue laisser présager que cet album s’inscrive dans un esprit uniquement “Chitlin’ circuit”, mais il n’en est rien. Si son précédent opus en 2011, « The Real Deal » (Delmark 816), était en grande partie fait pour
« remuer », Sharon y  incluait déjà un titre à portée politico-sociale, What’s Really Going On, dans le sillage de Please Mr. Jailer interprété en son temps pas Wynona Carr. Cette fois, son implication dans son environnement, l’actualité et la condition des Afro-américains et des femmes en particulier est encore présente, tout ceci néanmoins sur des rythmiques blues, voire funky et dansantes (Hell Yeah !, Grown Ass Woman). Sharon Lewis et le guitariste Stephen G. Bramer se partagent l’écriture de 12 des 14 titres. Les autres musiciens qui composent le groupe sont des pointures : Roosevelt Purifoy au piano et à l’orgue, Andre Howard à la basse et Tony Dale aux drums. Des invités de marque sont aussi présents, tels Joanna Conor (guitar), Sugar Blue ou l’excellent Steve Bell (harmonica), Ari Seder (basse) et une section de trois cuivres dirigée par le génial trompettiste Kenny Anderson. Il y a beaucoup d’originalité dans ce disque, une atmosphère vraiment particulière qui en fait un album de blues singulier, une entité à part. Le CD se referme sur une reprise haute en couleur de Soul Shine, le titre de Warren Haynes. Comme d’habitude avec nos amis de Delmark Records, la production est remarquable, et que dire du travail de Steve Vagner aux consoles, sinon qu’il mérite le plus grand respect ? – Marcel Bénédit


Elvin Bishop

Big Fun Trio

Alligator ALCD 4973 – www.alligator.com

Elvin Bishop poursuit une carrière (quasi) sans faute depuis ses débuts en 1962 dans le band de Junior Wells à Chicago. Rien que pour Alligator, il en est déjà à son septième album, cette fois dans une formule trio avec un vieux complice, le pianiste et guitariste Bob Welsh, et Willy Jordan, un percussionniste/ chanteur qu’il connait bien aussi car il l’a déjà accompagné sur de précédents albums. C’est vraiment un Big Fun Trio, car toutes ces faces respirent la bonne humeur, la décontraction et le fun pour le fun. C’est le cas dans les compositions de Bishop seul, avec ce Keep on Rollin’ bien enlevé, Ace In The Hole, Delta Lowdown (avec, en invité, Rick Estrin à l’harmonica). On remarquera aussi Southside Slide, un instrumental à la slide. Idem dans les faces composées en collaboration, Let’s Go et That’s What I’m Talking About écrites avec Welsh et Jordan, ou encore 100 Years Of The Blues, un talking blues écrit avec Charly Musselwhite qui est invité sur ce morceau, l’un des meilleurs du recueil. Il y a aussi de bonnes reprises, comme le fougueux Let The Four Winds Blow de Fats Domino, chanté par Jordan et où Bishop se défoule à la slide, Honey Babe de Lightnin’ Hopkins, It’s You Baby de Sunnyland Slim, et surtout le bien enlevé It’s All Over Now de Bobby Womack. Un excellent album. – Robert Sacré


Otis Taylor

Fantasizing About Being Black

Inakustik INAK 9147 CD / Socadisc

Au fil des albums, Otis Taylor marque sa personnalité et ses différences, construisant album après album une œuvre discographique singulière. Il fait parti de ces conteurs qui racontent leur histoire, celle de leur communauté, souvent à travers des textes qui ressemblent à des nouvelles, parfois en lien avec la condition des Afro-américains aux US, souvent avec des histoires personnelles singulières. On se rappelle forcément l’excellent album « White African » (NBM0002), mais ce « Fantasizing About Being Black » est du même niveau. Otis écrit : « The folk thing was about civil rights… Folk music is the music of the working class, the music of the folks. Blues is folk music. » C’est au fond le cœur du sujet. Otis Taylor écrit sur les gens simples, souvent des inconnus, il raconte leurs histoires, parle à travers eux de l’Histoire du peuple noir. À titre d’exemples, les mémoires du General Jack Watson contées dans Jump Jelly Belly, ou le sublime Roll Down The Hill. Musicalement, Otis Taylor est reconnaissable dès la première note, comme l’était John Lee Hooker (le ton en est parfois proche), avec ces lignes de basse martelées (Todd Edmunds ferait presque oublier Kenny Passarelli). Et puis il y a le banjo, toujours à l’honneur, comme dans l’histoire prenante de cet esclave qui finit par perdre la tête, Banjo Bam Bam. Onze morceaux qui vous pénètrent littéralement. – Marcel Bénédit


Chris Beard

Eye Of The Witch

Destin Records 1015

Pour son 5è album, Chris Beard a créé son propre label, Destin, et l’œil de la sorcière c’est le sien pour scruter le monde à travers le prisme des croyances de ses parents, venus du Mississippi où les sortilèges, les mojos et la sorcellerie comme le vaudou sont toujours d’actualité. Le titre éponyme est un mix de R&B et de soul en medium avec en vedette un orgue inspiré, la guitare de Chris et les cuivres (Quinn lawrence). Tout du long, le chant de Chris Beard est à la fois âpre et rugueux, souvent tendu et son jeu de guitare est mordant, impérial même, que ce soit dans des blues superbes comme Older Fool où il a invité son père, le renommé bluesman Joe Beard au chant et à la guitare rythmique, pour revisiter l’époque de Beale Street à Memphis et les juke joints des environs où Joe Beard a commencé sa carrière. Mais aussi Glad You’re Gone, un slow blues où les passages de guitare sont torrides à souhait et I’m Free, encore un slow blues avec de beaux passages de guitare. House Of Shame est quasi du même niveau avec cette histoire du type qui a mal agi et qui doit vivre avec ça, soulignée par des passages de guitare torturée très en phase avec le sujet. Il y a aussi de belles ballades bluesy comme One More Cry For Love et surtout Keeps Me Believing avec sa superbe mélodie, lancinante à souhait, qui vous reste en tête. Pour faire bonne mesure, on pointera Let The Chips Fall et ses rythmes reggae et Love Comes Knocking, du R&B bien enlevé. Un excellent album paru en 2015, mais il n’est jamais trop tard pour parler des bons disques. – Robert Sacré


John Mayall

Talk About That

Forty Below Records FBR 015

C’est en février 2016 que John Mayall a enregistré les onze titres de ce nouveau CD. Excellent compositeur, il a toujours écrit des chansons qui reflètent la vie qu’il voit autour de lui, c’est encore le cas avec The Devil Must Be Laughing qui évoque le climat politique actuel dans le monde. L’album entier donne la certitude que John a fait ici, à 83 ans, le meilleur travail de compositeur de sa longue carrière. Côté musique, ses claviers et son harmonica n’ont jamais été aussi bons, et sa voix est toujours aussi claire. La mobilité de ses doigts réduit ses performances à la guitare, mais dans ce disque, Rocky Athas est toujours là, et sur deux morceaux, Joe Walsh est présent, en spécial guest, pour le soutenir. Ce chanteur guitariste américain a une douzaine d’albums sous son nom, enregistrés entre 1972 et 2012, et il est membre du célèbre groupe The Eagles dont le titre Hotel California fût un succès mondial. Il y a aussi une section de cuivres sur plusieurs morceaux, ce qui ajoute du punch, comme sur Gimme Some Of That Gumbo qui nous transporte à La Nouvelle-Orléans. Cette session sera pour John la dernière avec un guitariste régulier. En effet, peu après la fin des enregistrements, Rocky Athas a quitté le groupe pour poursuivre une carrière solo. Depuis plus de 50 ans, John Mayall a eu dans sa formation des Bluesbreakers des guitaristes de légende : Eric Clapton, Peter Green, Mick Taylor, Walter Trout, Coco Montoya, et bien d’autres. Pour la tournée mondiale qu’il a commencée aux USA après l’enregistrement de ce disque, il est en trio avec Greg Azab à la guitare basse et Jay Davenport aux percussions. Cette tournée va se poursuivre en Europe avec huit dates en France, en mars 2017. Alors, après avoir écouté ce disque, qui est probablement le meilleur enregistré par John Mayall, il sera difficile de ne pas être tenté d’aller le voir sur scène, pour la première fois dans cette configuration trio. – Robert Moutet


The Rolling stones

Blues & Lonesome

Promotone B.V. 571 494-2 / Polydor Records

Mick Jagger le dit dans les notes du livret : « Nous aurions pu faire cet album en 1963 ou 1964, mais bien sûr ça n’aurait pas sonné comme ça… C’est ce qui est intéressant avec un disque qui est fait rapidement, cela reflète un moment dans le temps – un moment et un endroit. » Et Keith Richard d’ajouter : « Quand nous avons commencé à jouer à Londres en 1962, nous avons commencé avec du Chicago blues. Si vous vouliez la célébrité et la gloire, ce n’était pas le chemin à suivre… » Mais voilà, les membres du groupe le plus mythique du rock’n’roll n’ont jamais oublié ce qu’ils doivent aux bluesmen noirs. Ils se rappellent qu’ils étaient encore des gamins lorsque Muddy Waters les accueillit à Chicago, avec ce plaisir de partager sans calcul. Enregistrer un disque de pur blues en hommage à ces musiciens aujourd’hui, à ce stade de leur carrière, résonne comme un hommage absolu et nécessaire de la part de ces anglais qui n’ont plus rien à prouver, mais qui n’ont pas oublié d’où ils viennent. Mais si ce disque n’était qu’un hommage, la chronique pourrait s’arrêter là. C’est bien plus que cela. C’est un grand disque de blues, par le choix des reprises (Magic Sam, Little Walter, Willie Dixon…), la manière d’enregistrer les 12 faces (en trois sessions studio en son direct, trois jours de décembre 2015), le son brut qui nous ramène aux meilleures heures de ce blues urbain, et aussi par les interprétations de Jagger, sublime surCommit A Crime du Wolf, Ride ‘Em On Down d’Eddie Taylor, mais au final magique du début à la fin. Les quatre compères, Mick Jagger (voix, harmonica), Keith Richard littéralement habité et Ronnie Wood (guitares), Charlie Watts qui parfois fait penser à un certain Fred Bellow (drums), sont entourés d’autre musiciens excellents, au rang desquels Darryl Jones à la basse joue un rôle cessentiel. Comme si ces stars voulaient boucler une boucle avant qu’il soit trop tard, mais avec en priorité l’envie de se faire plaisir et d’en offrir aux autres, ce disque arrive à point nommé à un moment où le blues est pour beaucoup « passé de mode ». Mick Jagger affiche d’ailleurs son envie : « … Par ces chansons, nous rendons bien sûr des hommages, mais nous espérons surtout continuer à transmettre le Blues pour tenter, par chance, de le faire découvrir à une nouvelle génération de fans. » Finalement, qui, mieux que les Stones, pouvait faire ça ? – Marcel Bénédit


Jon Gindick

When We Die We All Come Back As Music

Old Chimney / distr. CD Baby – www.blindraccoon.com

Voici un harmoniciste dont les manuels sur l’apprentissage de l’harmonica font autorité. C’est donc un maître dudit instrument, et il le démontre tout au long des dix faces de cet opus produit par Ralph Carter qui est aussi actif à la basse, aux claviers et aux percussions. Gindick est aussi chanteur et guitariste et il organise, plusieurs fois par an, des Mississippi Delta Blues Harmonica Jam Camps très courus à Clarksdale, Mississippi, et à Ventura en Californie avec d’autres coachs comme Hash Brown ou R.J. Mischo. Ses accompagnateurs ici sont, entre autres, Chuck Kavooris à la slide guitar dans le saccadé Ghost Dance ou Brad Rabuchin, à la guitare, dans Maxine. Coup de chapeau aussi à la section de cuivres, Bill Bixler (sax et clarinette), Bobby Loya (trompette) dans When We Die et dans School, mais encore Al Walker (sax ténor) dans le jazzy I love You More. – Robert Sacré


Robert Randolph & The Family Band

Got Soul

Sony Music

Le prince de la pedal-steel guitar revient avec un album plein d’énergie. Ce nouvel opus réaffirme – s’il en était besoin – la singularité de ce musicien et la place à part qu’il occupe désormais avec son groupe, The Family band, sur la scène musicale et qui dépasse de loin celle du gospel. Invité dans de nombreux festivals de par le monde, cet émule de Calvin Cooke ne cesse d’apporter sa pierre à l’édifice du hard gospel et plus particulièrement à l’histoire de cet instrument, la lap-steel. On franchit ici une nouvelle marche pour unir gospel, soul et funk, avec un groove terrible sur la majoité des morceaux. Des perles absolues sont à noter, comme Heaven’s Calling, titre dans lequel Randolph évolue seul à la lap-steel, alors que les invités Darius Rucker et Anthony Hamilton nous gratifient de leurs talents vocaux respectivement sur Love Do What It Do et le superbe She Got Soul. Et que dire du titre R&B de Sam & Dave, I Thank You, complètement réinventé dans les mains de Randolph et de sa Family Band, sinon que l’approche de la musique afro-américaine – au sens large – par ces musiciens, est géniale ? – Marcel Bénédit


Jim Koeppel

RSVP to Paradise

Jongleur 10103 – www.dustmyblues.com

On a ici un EP-5 titres d’un musicien qui a joué avec tout le gratin du blues, de la country et du rock des années 80 à nos jours. C’est son troisième projet musical personnel, et le premier depuis 2009 avec trois de ses compositions et deux autres co-écrites avec Cash McCall qui co-produit aussi cet EP. Koeppel est au chant et à la guitare, avec Tennyson Stephens (piano), Welton Gite (basse), James Gadson (drums), Ron Haynes (trompette), Norman Palm (trombone), Rajiv Halim (sax ténor) et des invités comme Gene “Daddy G” Barge (sax ténor), John Christy (orgue Hammond B3) sur la face éponyme, et Billy Branch (harmonica) sur deux faces excellentes, Johnny’s In The Dog House et Let Me Tell You. – Robert Sacré


Cary Morin

Cradle To The Grave

Maple Street Music

Nombre d’amateurs de blues pourraient se détourner à tort de cet album, le quatrième de ce musicien, qui joue de la guitare solo en fingerpicking. La singularité des histoires racontées par Cary Morin tout au long des 12 faces de ce « Cradle To The Grave » et la qualité de son jeu en font un album fort intéressant. Il y a quelques morceaux à consonance folk, des blues magnifiques (Mississippi Blues : un régal), des ballades magnifiques. Cary Morin a aussi une belle voix, profonde. Un ensemble qui fait de ce disque un des beaux albums de ce début d’année, même s’il est un peu à l’écart du « classique » 12 mesures . – Marcel Bénédit


Edna Gallmon Cooke

My Joy Gospel Friend

PN 1511 – www.gospelfriend.com

Le catalogue Gospel Friend/Naro Way de Per Notini ne cesse de grandir, mais sans précipitation. Pour que tout soit aussi parfait que possible, Notini met beaucoup de temps à peaufiner ses rééditions. Le choix des groupes de gospel et des solistes à mettre en valeur, le soin apporté à la production, les faces rares sélectionnées et de la meilleure qualité possible, les photos, la qualité des notes, tout y est remarquable. Ce catalogue est prestigieux et tous les amateurs de black gospel devraient posséder chaque item. Cette dernière parution est aussi de très haut niveau. Ms Cooke est une des chanteuses du gospel de l’Âge d’Or (c.1940 – c.1970). Pendant une vingtaine d’années, elle a produit hit sur hit, et ses morceaux ont continué à faire le bonheur des stations de radio spécialisées bien après sa mort, en 1967. Il y a eu quelques rééditions éparses, mais Per Notini s’est évertué à débusquer les 25 faces de cette mezzo-soprano magnifique qui n’ont pas encore été rééditées, à la fois rares mais aussi rendant compte de ses qualités vocales, de son charisme tant dans les faces en slow qu’uptempo. Née le 1er janvier 1918 à Columbia, en Caroline du Sud, avec un père Pasteur et prêcheur, Edna accompagna sa famille à Washington D.C., et c’est comme membre de la congrégation et de la chorale de son père à la Springfield Baptist Church qu’elle commença sa carrière fructueuse de chanteuse de gospel dès 1944 pour les compagnies Merit, De Luxe, Regal, Gospel, Essex, Republic et surtout Nashboro, de 1955 à 1967. Après s’être affiliée à la Holiness Church, elle reçut le titre honorifique de « Madame » pour sa dévotion et sa classe. On a ici deux faces de 1944 pour Merit avec les Sunset Harmonizers, trois de 1949 pour De Luxe et Regal avec le Mount Vernon Men’s Choir of Washington, dont le super hit Angels Angels Angels, le magnifique Handwriting On The Wall, et un excellent Old Ship Of Zion en medium. Les quatre faces de 1950 sous le label Gospel sont elles aussi un régal, avec aux keyboards Marjorie Cheeks (l’épouse du Reverend Julius “June” Cheeks des Sensationa Nightingales), et tout particulièrement You’ve Got The River Jordan To Cross et Face To Face, uptempo. Mais les cinq faces de 1952-55 pour Republic avec les Radio Four sont également formidables, surtout Amen. Trois faces sont parues sous le nom des Singing Sons en 1956, sans Ms Cooke, dont les swinguant The Christian Way et Send It On Down. Quant aux sept autres faces (1955-66), elles ont été gravées pour Nashboro avec tantôt les Radio Four, tantôt les Singing Sons dont les mémorables Up To Sweet Heaven et God’s Children, ainsi que l’émouvant Remember Me (composé par Thomas A. Dorsey). Délectable de bout en bout. – Robert Sacré


Linda Jones

Precious – The Anthology 1963-1972

KENT CDTOP 458 – www.acerecords.co.uk

La voix de Linda Jones est de celles qui émeuvent dès la première écoute. Vaincue par le diabète en 1972 à l’âge de 28 ans, elle eut heureusement le temps en neuf ans de carrière, de graver quelques perles de deep soul urbaine dont on retrouve les pièces emblématiques dans ce CD de 24 titres. Son premier 45, sous le nom de Linda Lane, était déjà une reprise prometteuse du Lonely Teardrops de Jackie Wilson. Les deux singles suivants pour Blue Cat et Atco la font entendre dans un registre plutôt northern soul et ne rencontrent à leur tour qu’un succès d’estime. C’est sans compter sur la persévérance de son producteur, George Kerr, qui parvient à imposer en 1967 le brûlant Hypnotized chez Warner, via sa filiale Loma. L’album éponyme et les 45 tours qui suivent font figure de classiques. L’influence du gospel y meure presque intacte. Deux excellents simples pour Neptune (repris ici) puis une série d’autres chez Turbo/All Platinum à partir de 1971, continuent d’asseoir le talent de la chanteuse, dont chaque interprétation est un don total de son âme et de son être, au détriment sans doute de sa fragile santé. Son aura sera aussi posthume, comme en témoignent quatre 33 tours publiés jusqu’à 1974. Cette anthologie se referme sur sa version bouleversante de Your Precious Love, à la fois parlée et chantée. Elle ne contient que cinq titres communs avec l’intégrale Warner/Loma/Atco sortie et 2014 et s’impose déjà comme un placement prioritaire, les précédentes rééditions remontant à 23 ans. – Dominique Lagarde


Lead Belly

The King of Twelve-string Guitar,
Good Morning Blues [his best 24 songs]

Wolf Blues Classics BC012 – www.wolfrecords.com

« No Lead Belly, no Beatles », déclara un jour George Harrison. Van Morrison y va aussi de son couplet dithyrambique : « Lead Belly n’est pas une influence, il est l’Influence. S’il n’avait pas été là, je ne serais peut-être rien ». Quand le prix Nobel de littérature, Bob Dylan, reçut en cadeau, avant de quitter Hibbing, une série de 78 tours de Lead Belly, il appela un ami : « Je suis éberlué ». Voilà quelques propos qui expliquent pourquoi Lead Belly est au Panthéon de la musique populaire américaine. Dès 1988, il est intronisé au Rock‘n Roll hall of Fame. Sa statue trône dans Texas Street à Shreveport, Louisiana. En octobre 1950, le New York Times estima que l’on pouvait entendre une version de la chanson (Good Night) Irene (les Weavers, Ernst Tubb, Frank Sinatra…) 1400 fois par minute, grâce aux 258 stations de radio, 99 chaînes de télévision et 400000 juke-boxes des États-Unis. Il est donc normal que le sympathique label autrichien Wolf Records consacre un volume de sa série Blues Classics à ce légendaire artiste, vecteur de la diffusion du folklore afro-américain auprès du public blanc. Doté d’une belle voix profonde et souple, Lead Belly jouait de la guitare à douze cordes avec un style puissant mais limité. Il chantait tous types de musique : ballades, blues, chansons pour danser, comptines enfantines… Le blues ne représentait qu’une petite partie de son répertoire. Wolf Records n’a eu aucune difficulté à sélectionner 24 chansons enregistrées entre 1935 et 1944 dans l’immense legs discographique de Lead Belly. On retrouve avec plaisir The Bourgeois Blues, Midnight Special, Rock Island Line, (Good Night) Irene. L’essentiel du CD est constitué de 13 titres gravés les 15 et 17 juin 1940 pour Victor/Bluebird, dont quatre avec le Golden Gate Quartet. Lors des séances de 1943 et 1944, Sonny Terry ou Josh White accompagnent Lead Belly. Après avril 1944, reportez-vous au magnifique coffret « The Smithonian Folkways Collection » publié il y a deux ans (cf. ABS n°45). La qualité de la musique est indiscutable. Le néophyte peut acheter les yeux fermés, les autres devront se replonger dans leurs discothèques et discographies, le risque de doublons étant très important. – Gilbert Guyonnet


Mahalia Jackson

Intégrale Volume 14, 1961

Frémeaux et Associés FA 1324 – www.fremeaux.com

En mai 1961, après une tournée triomphale en Europe et au Moyen Orient, Mahalia Jackson est de retour chez elle dans le South Side de Chicago. Elle est éreintée et aspire au repos, mais on lui fait une offre qu’elle ne peut refuser. Irving Townsend, son producteur chez Columbia, lui a concocté des séances d’enregistrements filmés pour la chaîne TEC (Television Enterprise Corporation). Cela doit se passer dans les studios Paramount à Hollywood en Californie en juin et juillet. Fatigue ou pas, elle doit enregistrer 85 chansons de trois à quatre minutes chacune en 15 jours. Et elle relève courageusement le défi. Il en résulte 84 bobines en 16 mm dont tout ou partie a fait surface ces dernières années en vidéo VHS et en DVD, mais toujours en piètre qualité tant visuelle que sonore. Patrick Frémeaux a pu récupérer 82 titres qui ont été remastérisés et seront, avec l’expertise de Jean Buzelin, réédités en qualité sonore excellente, dans une série de quatre volumes, « Mahalia Jackson Sings », dont voici le premier opus avec 21 titres. Nombre d’amateurs et de spécialistes reprochent, à juste titre, à Columbia d’avoir imposé à Mahalia Jackson des orchestres à cordes insipides et des chorales blanches tout à fait nulles dans trop de faces qui ne sont sauvées que par le talent de cette chanteuse hors du commun. Hallelujah ! Rien de tout cela ici. Mahalia Jackson est accompagnée par une équipe réduite et efficace. Sa fidèle et talentueuse pianiste Mildred Falls, son organiste favorite Louise Overall Weaver-Smother, et un fabuleux trio de jazz qui a tout compris de l’esprit du black gospel et apporte un énorme plus dans toutes les faces où il est présent. Kenny Burrell (guitare), Red Mitchell (basse), et Shelly Manne (drums) boostent les titres comme Tell It, Sing It, Shout It, My Lord And I, Didnt’ It Rain, Down By The Riverside, etc. Il faut aussi savoir que les 82 titres ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique, ce qui est une excellente idée pour éviter une accumulation de tmorceaux dans le même tempo. Ici, les faces slow et solennelles d’hymnes et negro spirituals alternent agréablement avec du gospel uptempo et torride. On trouve des cantiques et des hymnes en tempo lent et compassés, la plupart écrits par des pasteurs blancs du XIXe et du début du XXe siècles, qui sont sauvés de l’ennui seulement par la beauté des mélodies et surtout par la force de conviction, le charisme, le swing et l’exaltation de la chanteuse qui se donne totalement à son sujet (You’ll Never Walk Alone, Just As I Am, My Faith Looks Up To Thee, My Father Watches Over Me, I Asked The Lord, God Will Take Care Of You…). Mais certains sortent du lot aussi pour leur qualités rythmiques, comme Hallelujah It’s Done, ou pour leur ferveur, comme Someboy Bigger Than You And I ou I Believe. Il y a aussi des negro spirituals conventionnels comme The Lord’s Prayer, un Notre Père en slow mais émouvant et vibrant, ou The Rosary (ce que l’on jouait sur le Titanic !).. Personnellement, ma préférence va à quelques spirituals bien enlevés comme Joshua Fit The Battle Of Jericho et Didn’t It Rain, à Throw Out The Lifeline, un cantique syncopé au marche triomphante, et surtout à de purs chefs-d’œuvre du black gospel comme Lord Don’t Move The Mountain, Tell It, Sing It, Shout It (martelé par Shelly Manne), Come On Children, Let’s Sing et By His Word. Mahalia Jackson est sans conteste la reine du black gospel et cet album en apporte encore une preuve éclatante. On attend avec impatience les trois autres opus de cette série. Une dernière remarque : les notes de pochette de Jean Buzelin sont un modèle du genre. – Robert Sacré


Lula Reed

I’m a Woman (But I Don’t Talk Too Much )

Jasmine CD 3078 – www.jasmine-records.co.uk

Après l’excellente réédition de 24 faces King de 1952-55 sur le CD Ace 984 en 2003 par la jolie et pétulante Lula Reed, voici la suite : les 30 faces restantes enregistrées entre 1952 et 1962, toujours chez King Records. C’est une aubaine et un rare plaisir. Cette chanteuse à la voix sexy, acidulée, piquante, très à l’aise dans un R’n’B swinguant ou dans des titres plus cool ou gospelisants (A Quiet Time With Jesus) a sa place dans toute discothèque digne de ce nom. Elle est remarquablement accompagnée par l’orchestre de son mari, le pianiste Sonny Thompson, au sein duquel on trouve des musiciens du calibre des saxophonistes Gene Redd ou Clifford Scott, et même Freddy King sur un titre, bien qu’il ait gravé au moins 6 duos avec Lula. Après 1962, Lula Reed signe chez Tangerine, le label créé par Ray Charles (qui était un de ses admirateurs), mais ces enregistrements-là restent inédits. En 1964, elle quitte le monde de la musique et dès lors refusera toujours toute interview. Elle décède en 2008 à l’âge de 82 ans. Mais quelle belle musique elle nous laisse sur ses merveilleuses faces King ! – Marin Poumérol


Les McCann Trio

28 Juillet 1961 – Live in Paris

Frémeaux et Associés FA 5635 – www.fremeaux.com

Le trio du pianiste Les McCann, avec Herbie Lewis à la basse et Ron Jefferson à la batterie, est sans conteste un des ensembles les plus blues et R&B de l’histoire du jazz dans les années 60. Certains y voient même un groupe à l’origine de la musique soul. Pour la série (très recommandée) Live In Paris, Gilles Pétard, Michel Brillié et Patrick Frémeaux proposent un concert du dit trio enregistré au Caméléon Jazz Club, la mythique boîte de jazz de la Rive Gauche à Paris, le 28 juillet 1961. On a ici 18 morceaux sur deux CD avec un livret de 11 pages. Toutes les faces sont instrumentales, quoi que Les McCann parle et, comme Erroll Garner, il grommelle et fredonne la mélodie qu’il joue au piano. En toute objectivité, c’est très prenant et d’une écoute plus qu’agréable, de bout en bout. Il y a du gospel avec A Little 3/4 Time for God and CoCome On And Get That Church et The Truth (Wade In The Water), du R&B swinguant et vitaminé avec They Can’t Take That Away From MeVacushnaOh Them Golden Gates ou le trépidant Someone Stole My Chitlings, du blues avec Little Girl Blue et, bien sûr, du jazz avec, entre autres, How High The Moon ou des ballades comme Red Sails In The Sunset et Dorene Don’t Cry. Le tout n’a pas pris une ride et c’est à découvrir avec délectation. Le public ne s’y était pas trompé, après un passage au festival de Jazz d’Antibes de 1960 où Les McCann et son trio avaient bien failli prendre la vedette à Ray Charles et Count Basie, ils sont arrivés à Paris en 1961 auréolés d’un succès énorme qui leur a garanti une salle comble avec des fans en délire. Écoutez ces disques et vous comprendrez pourquoi. – Robert Sacré


Various Artists

Studio One Rock Steady Volumes 2

Soul Jazz Records  SJR CD367 – www.souljazzrecords.co.uk

Studio One Rock Steady Volume 1 & 2 sont des disques tout simplement magnifiques : cuivres ska, voix soul et guitares qui annoncent la vague reggae font du rock steady un style unique dans la musique jamaïcaine. Après des décennies de lutte contre les colonisateurs britanniques, les Jamaïcains déclarent leur indépendance en 1962. La bande-son des années d’émancipation est le ska. Musique aux mélodies en mode majeur, au tempo rapide et reconnaissable au contretemps marqué par la guitare rythmique, le ska se passe généralement de paroles et a pour but de faire danser un maximum de personnes dans les clubs et bars des agglomérations urbaines. Au même moment, des DJs comme Clement “Coxsone” Dodd envahissent les parcs et jardins publics avec des sonos itinérantes absolument démentes pour l’époque. Ces DJs sont des ingénieurs du son improvisés qui trafiquent leurs amplis pour faire résonner les basses au maximum. Le R’n’B de New Orleans est alors roi, mais il est peu à peu remplacé par la production de musique locale. Le ska puise dans les musiques importées tout en lui infusant les fameux rythmes syncopés qui vont définir le reggae. Les studios d’enregistrements ouvrent et les fameux DJs itinérants ouvrent boutique et produisent des disques en quantité massive. Lorsque Don Drummond est emprisonné en 1965 pour le meurtre de sa petite amie, le ska passe l’arme à gauche. Ce tromboniste génial des Skatalites était sûrement le plus grand musicien de l’époque ska (il faut absolument posséder son Ska Jazz Attack, c’est un monument). C’est aussi à ce moment que le rock steady fait son entrée en scène. L’espoir qui a suivi l’indépendance s’estompe rapidement. Les mêmes conglomérats britanniques dirigent les industries et la majorité des Noirs du pays n’ont pas vu leur sort s’améliorer. La désillusion est intense et le pouvoir politique réprime les groupes culturellement rebelles qui cherchent des sources d’inspirations religieuses et esthétiques dans une Afrique mythifiée mais aussi savamment étudiée. Et la bande-son de cette désillusion est le rock steady. La syncope est là, mais le rythme est lent, les percussions percent, les mélodies sont mélancoliques. Dans ce disque, par exemple, Never Let Go de Carlton and the Shoes donne le ton : la basse est lourde, intense, enivrante, la guitare pousse des riffs aigues et répétitifs, la voix de Carlton Manning ainsi que les vocalises de ses frères font de ce morceau un bijou du genre. L’influence du DJ est très présente : peu à peu, le gars derrière les commandes du studio se transforme en musicien en insérant des percussions faites maison ou en poussant la basse aux extrêmes. On sent le reggae et le dub qui arrivent mais la rage politique et religieuse qui marquent le premier et l’expérimentation électronique marquant le second sont ici absentes. Comme le note Steve Barrow, qui a fait ici un formidable travail de sélection et de documentation, on est plus proche de la soul américaine (surtout au niveau des paroles et de l’accent mis sur les chœurs et voix incroyablement belles). C’est un album qui s’écoute à fond, cela va sans dire : il faut rentrer dans cette matière sonore qui devient palpable grâce aux lignes de basses hypnotiques qui parcourent ce disque. Alton et Hortense Ellis, par exemple, sont auteurs de superbes morceaux. Breaking Up is Hard to Do montre que les cuivres qui ont marqué le ska sont toujours bien vivants entre 1966 et 1970. Il n’y a pas un morceau à jeter. La voix de John Holt, que l’on retrouve à plusieurs endroits, pourrait avoir été une des grandes voix de la soul américaine. Mais à cette époque, le marché du disque jamaïcain se limite aux contours de l’île et, de plus en plus, à la Grande-Bretagne où s’installent les travailleurs des anciennes colonies. Comme le chante John Holt dans son sublime Strange Things, « I’m only a wandering machine on this island with no one to love me. » En effet, le rock steady a eu la vie courte et somme toute assez peu de public. Cinq ans après la disparition de ce genre où ils excellèrent au début de leur carrière, Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer allaient rendre la musique jamaïcaine globale avec leurs morceaux empreints de cette même mélancolie qui marque le rock steady. Rock Steady Volume 2 est un grand disque. Cousin de la soul et parrain du dub et du reggae, ce genre au croisement des grands styles commerciaux doit être apprécié à sa juste valeur. Le coté grosse basse enveloppante du dub et les voix célestes de la soul sixties se mêlent ici dans un disque jouissif et profond ! – Vincent Joos


Philippe Ménard

Walking On The Front Line

MPB 012

Onzième CD de Philippe Ménard qui occupe une place à part dans le blues Français. Excellent musicien, multi-instrumentiste, il est en outre devenu un auteur-compositeur inspiré et original. Il nous offre ici 15 titres dont 14 compositions et une reprise de R.L. Burnside, Goin’ down South. Les textes en anglais sont tous dans le livret du CD et j’invite les auditeurs à les écouter avec attention. Philippe est quelque peu pessimiste et les personnages qu’il met en scène ont bien des problèmes (c’est normal dans le blues ! ) : fuite vers des cieux meilleurs dans Modern Train Blues ou Mexico Bound, malchance dans Bad Luck Buddy, drogue dans High, guerre dans le dylanesque Walking On The Front Line ou problèmes de couple dans It Ain’t My Fault, The First to Brake ou Another Mule. Il faut bien reconnaître qu’on vit une époque difficile et que les grands comiques qui dirigent le monde ne nous poussent pas à l’optimisme. C’est pourquoi ce disque est très actuel. Musicalement, Philippe joue de tous les instruments : plusieurs guitares, percussions, harmonica. Les diverses parties sont superposées grâce au re-recording avec toujours une mise en place impeccable. Un seul musicien, mais des sonorités et des climats prenants. On ne s’ennuie pas une seconde ! Oui, Philippe Ménard est avant tout un véritable bluesman, mais de par ses qualités de musicien et de compositeur, il mériterait de toucher un large public. – Marin Poumérol


Sophie Malbec

Road Of Blue Memories

Production Ti and Bo

Sophie Malbec a beaucoup écouté les blues de Chicago et du Delta avant de se mettre à la guitare et former son premier groupe en 1998. Elle tourne donc depuis de nombreuses années, et ce n’est qu’en 2014, après un concert avec Neal Black, que ce dernier lui propose sa collaboration pour faire son premier album. Sophie avait une superbe mélodie, Road Of Blue Memories, et après avoir un peu retravaillé le texte, elle fut choisie comme titre de l’album. Six morceaux sont écrits en collaboration avec Neal Black et il joue sur le seul titre, Say It To My Face, qu’il a écrit seul. Pour les trois reprises, Sophie a beaucoup travaillé sur l’arrangement de Grinnin’ In Your Face de Son House ou sur la réinterprétation de If I Get Lucky de JB Lenoir où l’on découvre ses dons pour la guitare acoustique. Elle fait d’ailleurs des concerts en acoustique en duo avec son harmoniciste, bien qu’elle préfère jouer avec un groupe, version électrique. On retrouve ce groupe, excellent encore sur ce disque, avec Pierre Capony à l’harmonica, Pierre Gibbe à la basse, Mike Lattrell aux claviers et Yannick Urbani à la batterie. Pour revenir sur les talents de Sophie pour la réorchestration d’un morceau, écoutez le magnifique Don’t Think Twice, It’s All Right de Bob Dylan… Un premier disque très prometteur. – Robert Moutet


Les Semeurs de Blues

Toupie Blues

www.maycoprod.fr

L’exercice du conte musical pour enfants n’est pas chose facile. Il faut avoir le don de tenir en haleine les chérubins au fil des chansons et des textes. Celui-ci est particulièrement réussi. Toupie est un petit Afro-américain qui vit dans le Sud, au bord du Mississippi., avec ses grands-parents. Aidé par le vieil Harmonica Slim, ce jeune garçon va réaliser son rêve et devenir une légende du blues. Le récit nous emmène de Clarksdale à Chicago en passant par Memphis. C’est à la fois ludique et pédagogique, car les enfants trouveront dans ce récit les éléments leur permettant de découvrir la vie des fils d’esclaves noirs, le travail dans les champs de coton, les origines du blues, ainsi que la découverte des divers instruments de musique. A l’origine de ce projet, Jean-François Thomas (Jeff Toto Blues) est accompagné d’Eric Courrier (basse et illustrateur du livret), David Paquet (harmonica), Martial Semonsut (drums). Quant à la voix de conteuse, c’est celle de Mayco. Les chansons (toutes des compos de Jeff Toto) sont en français. Elles sont simples d’accès mais jamais naïves ou mièvres, et engagent au contraire à s’évader et à rêver sur des bases finalement historiques. Par ailleurs, Jeff Toto nous gratifie ici encore de belles parties de guitare, dobro ou kazoo. C’est intelligent, beau, entraînant. En un mot : réussi. Toupie Blues est également un spectacle musical destinés à tous les publics. Ecoles, collectivités, festivals, n’hésitez pas à les contacter (la vidéo de présentation aux scolaires est dispo sur YouTube). – Marcel Bénédit


The Axeman’s Jazz

Ray Celestin

426 pages ; PAN MacMillan ISBN 978-1-4472-5888-9 (2014)
Paru en Français dans la collection 10/18
sous le titre Carnaval (1)

Dead Man’s Blues

Ray Celestin

475 pages ; L&R, Mantle and Pan Macmillan ;
ISBN 978-1-4472-5890-2 (2016)
À paraître en Français en février 2017
probablement sous le titre Mascarade (1)

www.panmacmillan.com

 

Ray Celestin vit à Londres. Il a écrit des nouvelles et il a derrière lui une carrière d’auteur pour le cinéma et la télévision.

The Axeman’s Jazz est à la fois son premier roman et le premier d’une série de quatre, chacun se passant dans une ville US différente, NOLA dans le premier (débutant en 1919), Chicago ensuite (fin des années 20), puis New York (années 40)… Seuls les deux premiers volumes sont parus à ce jour. En 1919, le jazz est encore balbutiant à La Nouvelle-Orléans (premier enregistrement en 1917 par un orchestre blanc ! (2)) mais il se développe rapidement et il occupe une place importante dans Axeman’s Jazz. Ce roman est un thriller qui met en scène des policiers dont Michael Talbot (qui a épousé une Noire et subit de ce fait un ostracisme humiliant de la part des collègues au courant), mais aussi Ida Davis, une enquêtrice de l’agence de détectives privés Pinkerton. Il y a bien sûr beaucoup d’autres protagonistes, des journalistes, des politiciens véreux et des chefs de la police corrompue de NOLA, des membres de la Mafia sicilienne et, entre autres, Louis Armstrong qui est un ami d’enfance d’Ida. Ils sont restés très proches et Louis lui apporte une aide précieuse lorsqu’elle enquête dans les lieux mal famés et dans les ghettos noirs de la Cité du Croissant. La ségrégation et le racisme sont endémiques et pèsent comme une chape de plomb sur la ville. Le pitch, c’est qu’un tueur en série sévit localement sous le nom d’Axeman car il assassine ses victimes à coups de hache et c’est un amateur inconditionnel de jazz, au point qu’il annonce qu’il choisira ses victimes parmi les propriétaires de cabarets et de clubs qui n’organiseront pas de concerts de jazz. On ne va pas dévoiler ici les tenants et aboutissants de l’enquête et de la traque, on se contentera de souligner le caractère haletant du récit, bourré de suspense. C’est un page-turner qu’on lit d’une traite et qui plaira aux amateurs de musiques africaines-américaines, car on y suit les débuts de carrière de Louis Armstrong chez Fate Marable, chez King Oliver, et qu’on évolue dans les bordels du Quartier Français (après la fermeture de Storyville en 1917), avec les souteneurs musiciens comme le pianiste Jelly Roll Morton. C’est un subtil mélange de crime, de musique et d’Histoire (beaucoup de faits réels au compteur).

La suite, Dead Man’s Blues, est du même niveau. On se retrouve à Chicago en 1928 avec Michael Talbot et Ida Davis. (3) Malgré ses succès dans l’enquête sur l’Axeman, Talbot ne supporte plus le racisme qui empoisonne sa vie, celle de son épouse noire et de se ses enfants mulâtres. Il a pu se faire embaucher par l’agence Pinkerton pour travailler au siège de Chicago et Ida Davis, tout aussi marquée par les événements de NOLA, a obtenu sa mutation pour Chicago où elle retrouve d’ailleurs son ami Louis Armstrong qui est maintenant une vedette internationale sur le point de former son fameux Hot Five. Talbot et sa famille se sont trouvés un logement dans le South Side, près de la 47th street. Ida loge pas loin de là aussi. Pour le cadre, on est dans le Chicago de la prohibition, des gangsters, Al Capone et ses sbires qui, pendant des années, font faire des affaires fructueuses en corrompant policiers et personnages politiques. Capone est un amateur de jazz. Il est propriétaire des meilleurs clubs locaux dans Bronzeville et il apprécie beaucoup Armstrong et ses musiciens. À nouveau, on se limitera à souligner qu’une fois de plus c’est un page-turner très bien documenté sur le cadre historique et la vie dans la Cité des Vents à cette époque, doublé d’une intrigue captivante avec de l’action, des drames, du sang, des disparitions inquiétantes, des meurtres brutaux et sadiques, des flingues, du poison, de l’alcool, beaucoup d’alcools. Les amateurs de musique sont encore gâtés. On assiste à une house rent party près de State Street dans le South Side avec Louis Armstrong au cornet et Earl Hines au piano. La pianiste Lil Hardin (l’ex d’Armstrong) est là, en visite. Il y a aussi une séance dans le célèbre club Savoy en présence de Capone et toute sa cour. Une fois encore, c’est Satchmo sur la scène mais l’orchestre (blanc) de Paul Whiteman débarque et Louis va affronter au cornet le talentueux Bix Beiderbecke, concours sans gagnant bien sûr. (4) Comme on le voit, il y en a pour tous les goûts et si la liste de toutes les fictions où actions, suspenses et musiques sont associés, cette série est en haut de gamme et a le mérite d’être récente. – Robert Sacré

  1. On se demande ce qui pousse les traducteurs et les maisons d’édition françaises à modifier pareillement (et si souvent) les titres originaux des bouquins (et des films !).
  2. The Original Dixieland Jazz Band avec Nick LaRocca au cornet.
  3. On les retrouvera encore tous les deux (et d’autres, dont Louis Armstrong) dans les 3è et 4è volets de cette saga.
  4. Celestin a une excellente culture jazz, mais semble quelque peu étranger au blues. Dans ces épisodes, en club ou en rent parties, il aurait pu mettre en scène des artistes de blues et de boogie woogie, très présents en cette fin des années 20…

Zydeco Discography 1949-2010,
Louisiana & Texas Creole Music

Robert Ford & Bob McGrath

ISBN 978-0-9866417-9-4 Eyeball Productions 2016 – www.eyeballproductions.com

On attendait cet ouvrage depuis longtemps, et enfin il est là, tout frais, tout pimpant avec ses 382 pages d’infos essentielles, avec une intro qui renvoie à d‘autres livres où se trouvent d’autres éléments discographiques (pour ne pas faire double emploi) et avec une bibliographie incluant des sites web. Un index des albums et un index des accompagnateurs, tous deux très utiles, concluent l’ouvrage. Tous les amateurs des musiques créole et zydeco pourront enfin comparer ce qu’ils ont dans leur collection et ce qui a été produit dans ce domaine entre 1949 et 2010. Les autres y gagneront peut-être l’envie d’explorer ce monde fascinant du Blues Français de Louisiane et de commencer une collection ou de l’amplifier. De Georges Alberts aux Zydeco Warriors, ils sont nombreux à être répertoriés,. Les compilateurs sont conscients qu’il manque certainement quelques noms, ou que certaines discographies ne sont peut-être pas complètes, donc ils souhaitent recevoir toutes les corrections et additions possibles. Telle quelle, ces discographies sont un outil incontournable pour tout ceux qui nourrissent de l’intérêt pour les musiques noires de Louisiane. Elle a bien sûr sa place dans une formidable collection qui compte déjà une Blues Discography en deux volumes (1943-2000), une Gospel Discography en deux volumes (1943-2000) et une Soul Discography en trois volumes. – Robert Sacré