Chroniques #63

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

J.P. Bimeni & The Black Belts

Free Mee

Tucxone Records / Nueva Onda

Une pépite ! Comme souvent seule la souffrance sait en accoucher… J.P. Bimeni est né au Burundi d’un père militaire de haut rang, républicain, et d’une mère descendante de la famille royale. Issus de bords opposés (l’armée a renversé la famille royale en 1966), les parents se sont séparés et la mère de J.P. l’a élevé seule avec ses frères. Le destin de J.P. Bimeni allait être une seconde fois bouleversé, cette fois par la guerre civile de 1993. Il échappe à trois tentatives d’assassinat (blessé grièvement par balle, il survivra en soins intensifs, à peine calmé des doses massives de Morphine) avant de fuir son pays, à l’âge de 15 ans, en pleins massacres entre Hutus et Tustsis. À 16 ans il quitte l’Afrique pour le Pays de Galles et intègre un collège. C’est à cette époque qu’il découvre des compilations de Ray Charles, Otis Redding, Bob Marley et Marvin Gaye et achète ses premiers disques ; ils seront « fondateurs ». Après deux ans, il obtient une place à l’université du Lancashire en économie et politique et, parallèlement, donne son premier concert dans un pub. Il déménage à Londres en 2001. De gigs en petits concerts, son talent l’amène à rejoindre un spectacle autour d’Otis Redding en 2013. C’est en Espagne, invité par le groupe funk Speedometer, qu’il est repéré par les gens du label Tucxone qui comprennent instantanément, dès les premiers sons de sa voix, qu’ils sont en présence d’une perle rare… Associé à l’excellent groupe The Black Belts, il enregistre durant l’hiver 2017 son premier album, « Free Me », présenté ici. La voix de J.P. Bimeni fait beaucoup penser à celle d’Otis Redding à ses début, s’en démarquant toutefois avec une réelle personnalité. cette voix est remarquablement posée sur les dix morceaux splendides de cet album, soutenue par un orchestre cuivré remarquable, tant sur les morceaux soul de toute beauté que dans un registre plus funky. On fait un voyage dans le temps et on a l’impression de replonger à corps perdu dans les sonorités du label Stax des années 60. L’écriture est également d’une grande qualité ; écoutez Honesty is a Luxury ou encore le provocateur Don’t Fade Away. Quant au morceau I Miss You, que dire quand un artiste vous donne à ce point envie de chialer et vous hérisse le poil ? – Marcel Bénédit


Johnny Rawls

I’m Still Around

Third Street Cigar Record
www.thirdstreetcigarrecord.com

Les fans de l’artiste qui connaissent par cœur le registre musical de l’ancien partenaire d’O.V. Wright ne seront pas déçus à l’écoute des dix compositions originales proposées dans ce nouvel album. Cette session, éditée sur un nouveau label basé à Waterville dans l’Ohio, fait la part belle à la savante alchimie du maestro, qui marie habilement depuis fort longtemps Blues et Soul sudiste. Le patron de la maison de disques, John Henry, l’annonce haut et fort : « Cet album est un magnifique hommage au Blues et à la Soul des années 60 qui ont été faites à Memphis et à Muscle Shoals ». On ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation à l’écoute des compositions finement ciselées qui mêlent autant les influences de Johnny Taylor que celles d’un Clarence Carter. Sans cesse en tournée aux États-Unis, sa prestation en juin dernier aux côtés de sa fille lors du Chicago Blues Festival fut admirable. Il va de soi que ce nouveau CD trouvera une place de choix chez les nombreux fans de l’artiste. À l’évidence, cette collaboration avec cette nouvelle compagnie a comblé Johnny Rawls, il déclare à ce sujet : « C’est mon projet à ce jour le plus abouti, 50 années de passions et de d’expériences musicales sont présentes sur ce CD ». Les aficionados du guitariste-chanteur partageront son avis car, une nouvelle fois, il nous délivre un album réussi de bout en bout. – Jean-Luc Vabres


Raphael Wressnig

Chicken Burrito

Pepper Cake Records / ZYX-Music CD PEC 2110-2

Le musicien autrichien Raphael Wressnig a choisi un instrument difficile : l’orgue Hammond B3, inventé pour équiper les églises qui n’avaient pas la place ou les moyens financiers pour disposer d’un orgue traditionnel à tuyaux. Il est devenu l’un des meilleurs organistes contemporains de blues, soul et jazz. Le très sérieux magazine américain Down Beat l’a élu « Best Organ Player of the Year » en 2013, 2015, 2016, 2017 et 2018. Un beau palmarès ! Raphael Wressnig est de la trempe des Jimmy Smith, Bill Doggett, Booker T. Jones, … Vous vous souvenez peut-être du magnifique « Soul Gumbo » (2014) réalisé avec la crème des musiciens de La Nouvelle-Orléans (George Porter Jr., Stanton Moore, Walter “Wolfman” Washington). Ici Raphael Wressnig a installé son orgue et ses pianos électriques (Fender Rhodes, Wurlitzer piano, Hohner claavinet) à Los Angeles et a invité le guitariste Alex Schultz et le batteur James Gadson. Alex Schultz a travaillé au Berklee College of Music de Boston avec le pionnier de la guitare électrique George Barnes ; il est devenu un pilier du blues de la Côte Ouest. Ses interventions sont de grande classe. Quant à James Gadson, il a plusieurs cordes à son arc : Quincy Jones, Paul McCartney, … Il nous donne une leçon de batterie. Ce trio forme une véritable et irrésistible machine groovy. La musique entièrement composée par Raphael Wressnig sait être savante mais n’est jamais cérébrale. Elle est vivante, elle swingue, elle parle au cœur. Raphael Wressnig ne veut pas ennuyer son auditoire, il sait le tenir en haleine sans recourir à aucune facilité, avec la complicité de Schultz et Gadson. Ce disque instrumental, sauf Born to Roam où l’on entend brièvement Raphael Wressnig parler plus que chanter, explore, en un peu plus de 32 minutes (c’est malheureusement court !) les diverses facettes du jazz, du swing, du blues, du gospel et de la soul, avec un bonheur communicatif. – Gilbert Guyonnet


Frank Bey

Back In Business, The Nashville Sessions

Nola Blue Records NB006

Titre d’album on ne peut plus approprié pour Frank Bey après une traversée de désert de 17 ans ! Tout avait bien commencé pourtant. Né à Millen en Géorgie, Bey a commencé par chanter du gospel à l’âge de quatre ans avec son frère et des cousins au sein des Rising Sons puis, à 17 ans, il a fait les premières parties des concerts d’Otis Redding. Au début des années 70, il avait formé les Moorish Vanguards, un groupe punk, mais un projet de collaboration avec James Brown était tombé à l’eau et, lâché par tout le monde, Bey avait abandonné le show-business. Il avait quand même quatre albums à son actif, mais c’est sa rencontre, à 72 ans, avec le célèbre batteur/producteur Tom Hambridge à Nashvills en 2017, qui l’a remotivé. Celui qu’on surnomme “The Southern Gentleman of The Blues” a fait un retour très remarqué sur la scène blues, soul et R&B avec cet album dont six titres sur onze sont de Hambridge seul ou en collaboration, et un autre de Mighty Sam McClain (Where You Been So Long). Parmi les accompagnateurs, outre Hambridge (drums), il y a Rob McKelly (le guitariste de Delbert McClinton), Marty Simmons (claviers), Tommy McDonald (basse) et quelques invités. À retenir surtout le titre éponyme, Back in Business, bien enlevé, comme Better Look Out ou Give It To Get It, ainsi que Yesterday’s Dreams en slow, Bey ainsi que McKelly étant particulièrement à leur avantage dans ces quatre titres en particulier. – Robert Sacré


Shirley Davis and The Silverbacks

Wishes And Wants

Tucxone Records / Differ-Ant
www.tucxone-records.com

Après la déferlante lancée depuis 2010 par les Catalans de The Excitements, il fallait une réponse de la capitale. Le Barça contre le Real ? Les madrilènes de Shirley Davis and the Silverbacks se situeraient advantage dans une démarche de construction progressive de leur image et de leur carrière. Leur style de soul est différent aussi, nerveux mais moins véloce, davantage comme une rencontre entre l’influence de James Brown et celle du son Hi des studios Royal de Willie Mitchell à Memphis. Au cœur d’un disque très cohérent qui confirme les qualités du premier album, All about music est un shuffle plus mélodieux qui emporte l’adhésion et dans lequel la voix de Shirley s’aventure dans des registres un peu différents. Les compositions sont l’œuvre du guitariste et directeur musical Eduardo Martinez, les paroles sont dues à Marc Ibarz et Shirley Davis elle-même. Le respect de sa condition de femme est au cœur de nombreux titres : Treat me Right, Woman Dignity, Wishes and Wants, Troubles and Trials. À la manière d’une Fontella Bass ou d’une Lyn Roman, Shirley Davis pose fièrement dans un décor de colonnes antiques. Bientôt le siècle d’or ? – Dominique Lagarde


Kenny “Blues Boss” Wayne

Inspired By The Blues

Stony Plain CD 1401

Enregistré à Edmonton au Canada, voici le nouveau CD du chanteur et pianiste Kenny “Blues Boss” Wayne bien connu et apprécié en France grâce à ses nombreux passages. Pas de surprise : du bon vieux boogie un peu funky et des blues de belle facture. En plus de ses musiciens habituels , Kenny a fait appel à Billy Branch à l’harmonica, Duke Robillard à la guitare et au vétéran Russell Jackson à la basse. Il rend hommage à deux de ses musiciens préférés : Fats Domino dans Mr Blueberry Hill et Ray Charles dans une version dépouillée de Georgia enregistrée au cours d’un concert à Mexico. C’est son quatrième album pour Stony Plain, agréable et swinguant de bout en bout. Kenny Wayne est une valeur sûre du Blues d’aujourd’hui. – Marin Poumérol


Mick Kolassa
& The Taylor Made Blues Band

149 Delta Ave 

Endless Blues Records MMK062018
www.mimsmick.com 

Voici le 3è album de Mike Kolassa et, à mon avis, le meilleur à ce jour, grâce à des textes bien sentis et à un bon choix d’invités. Il a composé et écrit neuf des douze titres et il est bien entouré avec David Dunavent (guitare), Leo Goff (basse), Lee Andrew Wllias (drums), Chris Stephenson (claviers). Les invités sont aussi bien choisis comme Eric Hughes à l’harmonica dans le roboratif US 12 To Highway 49 et le blues lent 35 Miles To Empty, tandis que Toronzo Cannon ajoute un grain de sel notable à un Cotton Road en slow. On retrouve aussi le trompettiste Marc Franklin dans trois titres dont deux blues lents, Pullin Me Down et I Don’t Need No Doctor avec le guitariste Jeff Jensen (présent en tout dans cinq titres dont le déjanté Miss Boss). À noter aussi le mélancolique Whiskey In The Morning (boosté par J.D.Taylor à l’harmonica). En clôture, on a un jazzy The Viper avec M. Franklin (trompette), Suavo Jones (trombone) et Alice Hasen (violon). – Robert Sacré


Ms Zeno The Mojo Queen

Back In Love

Blue Lotus Recordings BL-05
www.bluelotusrecordings.com

Louisianaise d’origine mais ayant élu domicile à Memphis, Verlinda Zeno est une chanteuse de caractère. Elle n’est pas nouvelle dans le circuit car, outre se produire depuis près d’une quinzaine d’années dans les clubs de Beale Street, elle a partagé la scène avec Bo Diddley, Little Milton, Albert King ou encore B.B. King et Isaac Hayes. D’emblée, dans cet album à dominante soul avec orchestre cuivré d’excellente tenue, on est pris par la voix grave de la “Mojo Queen”, voix qui excelle particulièrement sur des titres comme le superbe blues Willie Brown, où on flirte – comme à d’autres moments – avec une interprétation presque gospélisante. Les douze titres sont des compositions originales dans l’écriture desquelles Ms Zeno intervient dans sept. Enregistré sous l’égide du musicien et songwriter Paul Niehaus dans les studios de Blue Lotus Recordings à St. Louis, Missouri, cet album est une belle surprise ; de morceau en morceau, on ne s’ennuie pas une seconde. Little G Weevil (guitare) et Brandon Santini (harmonica) sont des invités de marque, tandis que Gene Jackson (également à l’écriture de cinq titres) et Roland Johnson composent le Blue Lotus Star Singers assurant les chœurs. Un très bel album. – Marcel Bénédit


Khalif Wailin Walter

Nothin’ Left To Lose

Pepper Cake Records
www.damnyalljamn.net

Khalif Wailin Walter a beaucoup voyagé au cours de son enfance ; ses parents étant militaires, leurs diverses affectations ont obligé toute la famille à déménager régulièrement. Il découvre la guitare au cours de sa dix-septième année, passionné par le Blues, il arrive même à rencontrer l’une de ses idoles, B.B. King, qui lui donne un cours particulier d’une demi-heure. Il ne pouvait pas mieux débuter ! Au début des années 80, il choisit de s’installer à Chicago et commence son apprentissage dans les nombreux clubs de la ville, notamment aux côtés de Dion Payton et du Kinsey Report, avant suivre en clubs et en tournées son illustre cousin, un certain Carl Weathersby ! Pour son second CD très bien produit et arrangé, Khalif nous propose neuf compositions originales où l’on retrouve avec plaisir les nombreuses influences du guitariste : le Blues, la Soul et la Funk music étant le tronc commun. Constamment en tournée autour du globe et invité dans de nombreux festivals, son curriculum-vitae est déjà bien étoffé : il a partagé la scène avec Taj Mahal, Otis Rush, Buddy Guy Band, Junior Wells, Bernard Allison, Billy Branch, Sugar Blue, ou encore Toronzo Cannon. Voici un album complément abouti qui nous démontre que Khalif Wailin Walter est un artiste de premier plan, avec qui il faut compter. – Jean-Luc Vabres


Bob Margolin

Vizztone VT-SRR003
www.vizztone.com

Sans tambour ni trompette, Bob Margolin sort régulièrement des disques. Avec près d’un demi-siècle d’activité dans le monde du Blues, il fait un peu figure de patriarche. Le label Vizztone, qu’il a aidé à créer, diffuse la nouvelle publication intimiste et très personnelle du chanteur et guitariste. Il est le seul maître d’œuvre de ce disque : de la conception de la pochette à la production en passant par l’enregistrement et le mixage ; il joue et chante seul chacune des notes enregistrées ici. En intitulant ce CD « Bob Margolin », l’artiste semble vouloir faire le point sur sa vie de musicien et nous livrer quelques confidences personnelles (My Road). Il a composé six chansons et sélectionné neuf titres qui l’ont particulièrement marqué dans sa longue carrière. Ses compositions personnelles One More Day ou Best I Can Do soulignent les changements trop rapides de ce monde contemporain dont les dangers croissent. Parmi les reprises, on trouve deux chansons du pianiste Leroy Carr que Bob Margolin découvrit grâce à Muddy Waters, How Long, How Long Blues et Blues Before Sunrise. De ce dernier, Margolin interprète She’s So Pretty, Look What You Done. Il rend hommage à un pionnier du Chicago Blues, Snooky Pryor (Piece Of Mind »), à James Cotton (One More Mile), à Johnnie Winter (Dallas, chanson apprise pendant une nuit de jam avec l’artiste albinos lors de l’enregistrement de « Hard Again » de Muddy Waters) et Bob Dylan (I Shall Be Released). Toutes les parties de guitare sont formidables : sobriété, belle sonorité, pas une seule note inutile, superflue ou extravagante ; en bref une leçon pour tout apprenti guitariste de blues… Dans ce cadre intimiste, la voix de Bob Margolin, parfois son point faible, sort très bien. Ce CD est une réussite. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Chicago/The Blues Legends/Today !

West Tone records  WTR CD-1708 / cdbaby

Célébrant plusieurs artistes parmi les moins connus de la scène blues actuelle de Chicago, la jaquette de l’album constitue un clin d’œil appuyé à la série des albums Vanguard, réalisée par l’historien du blues Samuel Charters en 1965. Cette dernière comportait notamment des artistes ayant atteint un statut légendaire : Junior Wells, Otis Spann, Otis Rush et James Cotton, mais aussi Homesick James, Johnny Young, Johnny Shines et Big Walter Horton. L’ajout du mot « Legends » ici modifie un peu le titre original, mais la jaquette utilise un design similaire à celui de Vanguard, bien connu par les amateurs de Chicago blues. L’album a été réalisé sous la double direction de Mike Mettalia (harmoniciste qui dirige le groupe Midnight Shift) et de Rockin’ Johnny Burgin (excellent chanteur guitariste qui a passé plus de 25 ans à Chicago avant de s’installer sur la Côte Ouest). Ils sont soutenus par un certain nombre de musiciens de renom, dont Illinois Slim à la guitare lead & rythmique, John Sefner à la basse et Steve Dougherty à la batterie. L’album rassemble trois figures locales connues des amateurs qui fréquentent les clubs de Chicago : Milwaukee Slim (78 printemps, que l’on peut voir jouer, entre autres, du côté du Smoke Daddy), Little Jerry Jones et Mary Lane. Celle-ci fut une fidèle abonnée du Theresa’s dans le South Side et du Blue Chicago dans le West Side avec le brillant guitariste Johnny B. Moore (Jean-Pierre Urbain lui avait consacré un long article dans ABS Magazine n°31) . Mary Lane est accompagnée de son mari Jeffrey LaBron à la basse sur six titres mettant en vedette une voix affinée par des décennies de « bagarres » pour tenter de s’imposer à travers le réseau de petits clubs de blues peu connus de Chicago. Son album « Appointment With The Blues », sorti il ​​y a vingt ans, avec Johnny B. Moore à la guitare et Detroit Junior au piano, a d’ailleurs suscité des éloges et une attention bien méritées. Son personnage dur se retrouve dans Hurt My Feeling avec un brillant Illinois Slim à la guitare et un Dougherty qui distille aux fûts un shuffle sur mesure. Papa Tree Top fait en sorte que Mike Mettalia souffle à la Jimmy Reed, tandis que Mary Lane informe son homme qu’elle est fatiguée de son traitement misérable. Deux autres titres ont été édités sur Friendly Five Records en 1963, avec son ex-mari Morris Pejoe à la guitare. Don’t Want My Lovin’ No More est une chanson entraînante basée sur l’interaction entre l’harmonica et la subtile guitare de Johnny Burgin. Lequel Rockin’ Johnny Burgin confirme, si besoin est, son immense talent tant au chant bonifié qu’à la guitare dans une superbe interprétation de Things Gonna Work Out Fine et de I’m Leaving You bien dans l’esprit chicago. L’autre titre interprété par Mary Lane, I Always Want You Near, est un classique sombre et menaçant. Son interprétation de Next Time You See Me est un peu tristounette, mais elle reprend le dessus sur Goin’ Down Slow, avec sa voix émouvante qui semble se jouer du temps qui passe malgré ses… 82 ans ! Little Jerry Jones succède à Mary Lane sur trois titres, en commençant par un morceau à tempo mi-rapide aux accents boogie intitulé Let’s Make Love Tonight. C’est un chanteur à la voix marquée par le temps, alors que son jeu de guitare reste fluide et minimaliste. Sur Smokestack Lightnin’, morceau de Howlin’ Wolf, la rythmique est métronomique et lancinante. Jones adopte alors une approche granuleuse qui contraste bien avec le son bien « crade » de l’harmonica de Mettalia. Elmore James était l’un des mentors de Jones. Il n’est donc pas surprenant qu’il interprète une version hommage de Dust My Broom. Milwaukee Slim (Silas McClatcher) a quant à lui publié quelques rares pièces sous son propre nom, en plus de participer, entre autres, à des sessions pour Billy Flynn et pour le regretté Barrelhouse Chuck. Sa voix claire et posée fournit une étincelle sur une interprétation inspirée du standard de Jimmy Roger Sloppy Drunk de laquelle émerge le souffleur Metta et la guitare au diapason d’Illinois Slim, un musicien discret mais terriblement efficace. Quel dommage qu’il soit passé entres les mailles du filet des majors ! Unemployment Risin’, morceau écrit par Mettalia, permet d’apprécier les phrases de slide par l’impressionnant Johnny Burgin. Mettalia, son compère, met en lumière au chromatique un autre original syncopé, Midnight Call, alors qu’Illinois Slim démontre sa dextérité à la guitare. Le blues de la Cité des Vents est mis en valeur par West Tone Records. Le grand mérite de cet album est d’avoir mis en avant des artistes qui jouent chichement au quotidien dans l’ombre des clubs au plus profond du South Side et du West Side. On en redemande ! – Philippe Prétet


Dennis Herrera

You Stole My Heart

Prescott Kabin Records
www.dennisherrera.com 

De bout en bout, Herrera se révèle un guitariste hors pair, même si on ne peut en dire autant de ses parties vocales, juste correctes (With No Refrain, ….); il semble aussi privilégier une forme de talking blues dans Fore, Look Out et Bittersweet. Né à San José, Californie, il vient du R&B avec les Yardbirds, les Rolling Stones, James Brown et consorts, mais sa véritable vocation est dans le Blues. On a ici son troisième album inspiré par ses expériences de vie et il a écrit et composé les 11 titres où le blues domine, dont une face en solo (vo, gt) plus parlée que chantée et en medium, Bittersweet. Ailleurs, il est bien entouré par son trio de base : Lee Campbell (dms) et Rich Wenzel (piano et orgue Hammond B3, sauf dans le titre éponyme). Il y a aussi des invités comme Sid Morris (piano), Frank DeRose (basse), Jack Sanford (sax) et Robi Bean (drums) sur quatre faces dont l’excellent You Stole My Herat, sur un rythme d’enfer. Deux saxophonistes alternent et donnent beaucoup de punch aux morceaux où ils sont présents : J. Sanford déjà cité et Jeff Jorgenson dans six autres morceaux dont Recovery en slow et très jazz, et aussi dans le trépidant Backed Up, avec l’harmoniciste Denis Depoitre que l’on retrouve dans une autre face en médium à retenir, Takes Money. Notons aussi une autre face jazzy et instrumentale où chaque musicien prend un bon solo : You Can Name It. On le voit, pas mal de bons moments à passer à l’écoute de cet opus et je n’ai pas encore cité deux des meilleurs titres : un très beau slow blues, My Past Time, et le vitaminé Run With The Losers. « A good ‘un », aurait dit Otis Rush. – Robert Sacré


Marcus King Band

Carolina Confessions

Universal Music / Fantasy Records / Concord Music Group 

Le talent n’a pas attendu le nombre des années. Quand on écoute la voix de Marcus King, comment ne pas penser à ce que la « blue eyed soul » a fait de mieux : Eddie Hinton, guitariste et auteur-compositeur comme Marcus. Les dix titre de ce troisième album (neuf compositions et un titre de Dan Auerback des Black Keys) confirment tout le bien que l’on pouvait penser de ce jeune musicien totalement habité. C’est surtout les titres les plus soul, avec section de cuivres, qui sont les plus marquants, parfois même déchirants. Outre sa voix, son jeu de guitare entraîne dans son sillage un band exceptionnel qui sait faire monter la tension, jouer plus rock, pour redescendre se poser sur une ballade bien sentie. Il y a énormément de créativité, d’originalité et de talent dans ce magnifique album. – Marcel Bénédit


Mark Hummel

Harpbreaker

Electro-Fi 3456
www.electrofirecords.com

L’harmoniciste Mark Hummel présente un nouveau disque entièrement composé d’instrumentaux. Il a pioché dans son abondante production Electro-Fi et Mountain Top Production en sélectionnant huit titres, il y a adjoint cinq inédits. Mark Hummel est devenu un remarquable harmoniciste en écoutant Little Walter, Walter Horton, Junior Wells, James Cotton, Sonny Boy Williamson (Rice Miller), … N’oublions pas l’âme tutélaire des harmonicistes californiens : George Smith. Il a perfectionné un « fat sound » proche d’un saxophoniste. Son talent s’exprime sur ce disque dans le swing, le jazz et les divers styles de blues. Le blues traditionnel est représenté par Evans Shuffle (Muddy Waters) et le traditionnel See See Rider avec le support efficace du guitariste Rusty Zynn. Ce dernier montre une autre facette de son talent sur les faces jazz, Glide On et Senor Blues, composition du pianiste Horace Silver, sur laquelle Mark Hummel brille de tous ses feux avec l’harmonica chromatique, grâce à une subtile rythmique. Rotten Kid de Buddy Rich, enregistré en public, swingue follement avec en bonus la guitare lyrique de Charles Wheal. Il est inévitable de penser à Charlie Musselwhite avec le difficile Cristo Redentor ; Mark Hummel évite tous les pièges et en donne une superbe version, aidé du guitariste Kid Andersen. Charlie Baty pousse son leader vers les sommets sur  Walkin’ With Mr. Lee de Lee Allen et sur Crazy Legs de Little Walter. Enfin, Billy Flynn apporte sa touche avec les deux enregistrements les plus récents et inédits (2018) : le rythme latino de Billy’s Boogie, composition de Mark Hummel, et l’interprétation de Chuckaluck de Baby Boy Warren. Il me semble difficile de se passer d’un tel disque dans lequel se confirme l’immense talent de Mark Hummel et de ses accompagnateurs. – Gilbert Guyonnet


Mike Zito, Vanja Sky, Bernard Allison

Blues Caravan 2018

Ruf Records  Ruf 1260
www.rufrecords.com

Cela fait plusieurs années maintenant que Thomas Ruf organise des Blues Caravans avec des trios de musiciens, lesquels, lors des concerts, sont mis en évidence à tout de rôle en s’accompagnant mutuellement. À ce titre, la cuvée 2018 a été exceptionnelle avec deux guitaristes/chanteurs hors normes : Zito et Allison, et une troisième beaucoup moins connue, mais Ms. Sky s’est montrée à la hauteur du challenge et justifiait sa présence dans le trio. On peut aussi saluer l’efficacité de la section rythmique : le virevoltant Roger Innis à la basse (ex-Laurence Jones) et Mario Dawson aux drums. Une fois de plus, le package contient, pour notre plus grand plaisir, un CD de 12 faces et un DVD de….19 morceaux ! Ce dernier est évidemment précieux pour se rendre compte de ce que ce trio pouvait donner sur scène et on ne boudera pas son plaisir. Le tout a été enregistré live au Café Hahn à Coblence en janvier 2018 et sur le CD, il y a d’entrée de jeu un excellent Low Down And Dirty où les trois guitaristes/chanteurs alternent avec brio. Ensuite, honneur aux dames, Vanja Sky est en leader de trois faces, bien soutenue par tous ses partenaires, Innis et Dawson compris. Mais chapeau bas à Mike Zito en vedette dans trois faces dont un Keep Coming Back mémorable et un Make Blues Not War presqu’au diapason puis c’est au tour de Bernard Allison d’officier, et il démontre qu’il est toujours un très grand fan de Jimi Hendrix et d’effets wah-wah. Ceci plaira à certains, disons seulement qu’en ce qui me concerne je préfère le voir à l’œuvre sur le DVD que l’écouter sur le CD, mais c’est très subjectif, bien sûr. Ce qui, par contre, est toujours on ne peut plus sympathique, c’est l’amour et l’admiration proclamées par Bernard à son père Luther, même si leurs styles ne sont pas similaires (Life Is A Bitch et Serious As A Heart Attack). Robert Sacré


Little Victor

Deluxe-Lo-Fi

Rhythm Bomb records RBR 5886
www.rhythmbomb.com

Cette galette est l’aboutissement d’un rêve de Little Victor qui aura mis quelques huit années à le concrétiser : du blues des années 20 et 30, blues du Texas, de Detroit, Louisiane, un peu de rock and roll 50’s, popcorn, blues-a-billy, etc. Tout l’album a été enregistré en analogique sur bande magnétique, dans de très bons studios estampillés vintage, notamment en Californie avec du matériel d’époque. Little Victor a su avec talent utiliser toutes les nuances possibles du Lo-Fi. Le résultat est bluffant puisque le spectre sonore est tout bonnement exceptionnel sur cet album. Le sorcier du son utilise volontiers la métaphore pour indiquer que le Lo-Fi est comme la version sonore du noir et blanc. Effectivement, le disque « sonne » comme les vinyles des années 1950-1960 à l’instar de la superbe collection qu’il a éditée chez Koko-Mojo Records (voir ABS 62 & 63). Précision ultime : on peut écouter subrepticement ici ou là des ajouts de craquements et du souffle, preuve que le DJ Mojo Man a su concocter une recette originale qu’il repasse en boucle sur ses platines et qui est forcément à des années lumière des standards remastérisés qui inondent les bacs des disquaires. À l’écoute, la magie opère : So Blue, qui est une composition originale, sonne à s’y méprendre comme Smokestack Lightnin’ de Chester Burnett. On croit même percevoir des sonorités à la Ravi Shankar et Junior Kimbrough (écoutez bien le solo pour vous faire une idée). Quelques reprises emblématiques composent la fin de l’album : Chicago Moan Blues de Tampa Red au son revisité années 1930-1940, Rockin’ Daddy et Country Boy qui sont des titres enregistrés par le “Loup Blanc” et Muddy Waters pour Chess. James Hunter est lui aussi quelque part un peu de la partie sur This Letter ou sur My Mind. Little Victor s’est entouré d’une pléiade de musiciens réputés qu’il a regroupés sous le pseudonyme The Downhome Kings. On y trouve pêle-mêle Big Jon Atkinson, Kim Wilson, Steve Lucky, Carl Sonny Leyland et d’autres du même tonneau. Certains titres, tels que Whats The Matter Now, sonnent superbement rockabilly années 1950… I Wanna Make You Mine est un titre d’où émerge une ambiance fifties qui donne le frisson. Bref, on voyage avec bonheur dans l’Amérique profonde d’avant et d’après-guerre avec des pauses sonores à des stations service qui sentent bon les charts qui passaient en boucle sur les radios locales de l’époque. Écoutez sur une vieux pick-up Rocks ou Gambler’s Boogie qui rappelle John Lee Hooker. Un véritable coup de cœur en cette fin d’année 2018. – Philippe Prétet


The Ragtime Rumours

Rag’n’Roll

Ruf Records Ruf 1264
www.rufrecords.com

Voila un disque plaisant, agréable et léger. Musique acoustique teintée de ragtime, de jazz, d’un peu de blues et de beaucoup d’humour. Par contre, pour apprécier cet humour, il faut comprendre les paroles qui sont heureusement incluses sur une double feuille qui a un côté humour ado : « Comic and other songs for Smoking concerts » disent-ils. Les musiciens sont quatre : guitare ou banjo, drums ou washboard, contrebasse ou sax, piano ou accordéon ; tout le monde chante. Ces musiciens m’ont tout l’air d’être scandinaves, allemands ou hollandais et ont l’air de bien s’amuser. – Marin Poumérol


Mark Wenner’s Blues Warriors

Eller Soul ER 1807
www.ellersoulrecords.com

Harmoniciste virtuose et excellent chanteur, Wenner est une des fondateurs des célèbres Nighthawks. Toujours basé à Washington D.C., le voici avec de nouveaux acolytes, un chanteur/guitariste noir Clarence “The Bluesman” Turner, Zach Sweeney (guitare), Mark Stutso (drums, vo) et Steve Wolf (basse). Bien sûr, on retrouve ici des classiques de Sonny Boy 2 (Checkin’ On My Baby, avec des touches de Little Walter, un Trust My Baby introverti, et même le Hello Josephine de Fats Domino à la façon de Chuck Berry et Sonny Boy et joliment syncopé) ; Jimmy Reed est aussi mis à l’honneur avec un vibrant instrumental, Just Like Jimmy (la seule compo originale), de même que Slim Harpo via un King Bee super vitaminé. Wenner déploie son talent d’harmoniciste de bout en bout et Clarence Turner est aussi mis en avant dans Diamonds At Your Feet, Teddy Bear, Just To Be with you et… Dust My Broom, tandis que Sweeney et Stutso le sont dans l’instrumental The Hucklebuck. D’autres covers bénéficient d’un traitement de luxe comme It’s My Own Fault de B.B.King (chanté par M. Stutso) et les deux reprises de Muddy Waters (Just To Be With You et Diamonds). – Robert Sacré


Bryan Lee

Sanctuary

Earrelevant Records EER-1806 / Frank Roszak Radio Promotions – www.braillebluesdaddy.com

Ce serait lors d’un rêve fait en Norvège en 2011, la veille d’un concert dans une église, que le guitariste aveugle de New Orleans aurait entendu un arrangement original de The Lord’s Prayer. Le lendemain, il le joua comme il l’avait entendu, avant de le graver avec son groupe en studio à Oslo. Un deuxième titre, Jesus Is My Lord and Savior, sera également gravé à cette occasion. Mais ce n’est que sept ans plus tard – grâce à la rencontre avec le producteur Steve Hamilton – qu’une suite sera donnée à l’histoire en enregistrant neuf autres morceaux gospels présentés dans cet album en préambule aux deux titres précédemment cités. C’est pour moi une sorte de « résurrection » du talent de Bryan Lee, musicien que – je dois l’avouer – j’écoutais moins dans les années 2000 et début 2010. Des albums plus « rock » m’éloignaient trop de ce que j’appréciais terriblement chez ce chanteur guitariste inspiré et auteur original que j’avais écouté pour la première fois au Old Absynth Bar à New Orleans en 1993 et dont les enregistrements de l’époque, très « NOLA blues » me séduisaient terriblement. Ici, on retrouve à mon avis toute l’inspiration, la ferveur et la beauté du jeu de Bryan. Entouré d’excellents musiciens et admirablement secondé au chant par Deirdre “The Lee-ette’s” Fellner, il signe ici à mon sens son meilleur album depuis les années 90. – Marcel Bénédit


Paul Oscher

Cool Cat

Blues Fidelity Recordings VJM CD 1005

En 1967, Paul Oscher est encore adolescent quand Muddy Waters l’engage dans son orchestre. Il est le premier Blanc à avoir l’honneur d’intégrer l’une des meilleures formations de Chicago. Le caucasien de Booklyn a la lourde tâche de succéder à une pléiade de géants : Little Walter, Junior Wells, Walter Horton, James Cotton, Henry ‘Pot’ Strong, George Smith, Mojo Buford. Son jeu est proche de celui de Walter Horton. Il met à profit les quatre années que dure son séjour aux côtés de Mudy Waters pour apprendre à jouer de la guitare dans le style du maître. Écoutez Rollin’ and Tumblin’, seule reprise du CD examiné ici, et Ain’t That Man (dedicated to Mr. Cotton). Il devient un pianiste émérite grâce à son mentor, Otis Spann, avec qui il partage le sous-sol de la maison de Muddy Waters. Avec ce nouveau disque, le premier produit depuis 2010, Paul Oscher s’exprime essentiellement au piano. Ses compositions passent en revue avec bonheur La Nouvelle-Orléans (Money Makin’ Mama), le jazz (On The Edge – Jazz Quartet et Cool Cat – Jazz Quartet), le rhythm & blues (Cool CatR&B) Long Version) et, bien sûr, le downhome blues (Blues and Trouble). Paul Oscher ne joue de l’harmonica que sur deux titres : Hide Out Baby et Work That Stuff qui évoque Sonny Boy Williamson (Rice Miller). Il n’assure pas toutes les parties vocales. Son batteur, Russell Lee, chante fort bien deux titres : Poor Man Blues et Ain’t That A Man (dedicated to Mr. Cotton). Paul Oscher est installé à Austin, Texas, depuis 2012. Il a invité la grande dame de cette ville : Miss Lavelle White qui interprète le drolatique Dirty Dealin’ Mama. Tous les musiciens texans invités s’en donnent à cœur-joie pour la réussite de cet enregistrement sans autre prétention que de nous faire partager le message d’un artiste toujours fidèle à l’esprit du Blues. – Gilbert Guyonnet


Scott Sharrard

Saving Grace

We Save Music WSM0
www.scottsharrard.com 

Sharrard a été pendant plus de dix ans le guitariste et directeur musical des Allman Brothers (Gregg et Duane), contribuant largement à leur aura de leaders du Southern Rock. Il signe ici son 5è album sous son nom et, chassez le naturel, il revient au galop. Le blues est présent à doses homéopathiques comme dans le titre éponyme, Saving Grace (mais c’est plutôt une ballade blues). Il est plus présent dans Sweet Compromise avec de beaux passages de guitare et surtout dans Tell The Truth. Par contre, Sharrard met beaucoup de soul dans son Southern Rock, dame, ces onze faces ont été gravées pour moitié à Memphis avec la célébrissime HI Rhyhtm Section (Howard Grimes – dms, Leroy Hodges – bs et Rev. Charles Hodges – Hammond B3) et pour moitié aux prestigieux FAME studios de Muscle Shoals en Alabama avec David Hood (bs), Spooner Oldham (p) et Chad Gamble (dms) ! De la série « Memphis », on retiendra Angeline avec une solide section de cuivres (Marc Franklin – tp ; Art Edmaiston – ts ; Kirk Smothers – baryton) et le pianiste Eric Finland (+ la HI Rythm Section bien sûr) ou Sentimental Fool, un hommage à Otis Redding et Steve Cropper. Du côté de « Muscle Shoals », une mention à Keep Me In Your Heart, une ballade country où Sharrard y va d’un solide solo de slide ou encore à Everything A Good Man Needs, une compo de Greg Allman avec Taj Mahal (vo) et Richard Purdie (dms). – Robert Sacré


Dave Keller

Every Soul’s A Star

Catfood Records

Chanteur et guitariste établi depuis 25 ans dans le Vermont, Dave Keller est descendu de son frisquet état vers le Texas pour enregistrer cet album élégant dans un registre soul, cuivré et traversé de chorus de guitare. Souvent marqués par les productions de Memphis, dix des onze titres sont dus à sa plume, le onzième est une reprise de Baby I Love You d’Aretha Franklin. Un choix qui n’était sans doute pas encore un hommage posthume lors de l’enregistrement. Dave Keller est un chanteur à la voix souple, nuancée et légèrement voilée, taillée sur mesure pour la forme de soul qu’il a choisi de nous faire partager. Les titres mid-tempo à la manière des productions de Willie Mitchell dominent, même si Ain’t Givin’in déboule au final tout en breaks funky. Auparavant, You Bring the Sunshine et When Are You Gonna Cry ont sonné l’heure du slow. C’est Johnny Rawls qui a convaincu Catfood Records de faire confiance à cet artiste, produit par Jim Gaines. Grand bien lui en a pris. – Dominique Lagarde


Charles BRADLEY

Black Velvet

Dunham DUN 1007 / Daptone DAP 054

La mort a emporté le chanteur Charles Bradley le 23 septembre 2017. Il avait enfin connu la gloire. Cette reconnaissance internationale tardive mais méritée était arrivée après des années de très grande misère, de violence et de solitude. Découvert au début des années 1990 par le label new-yorkais Daptone Records alors qu’il n’était qu’un imitateur de James Brown, Charles Bradley était devenu l’un des meilleurs artistes contemporains de soul grâce à son travail acharné et à l’indéfectible soutien du producteur et guitariste Thomas ‘TNT’ Brenneck. De son vivant, Charles Bradley avait sorti de nombreux singles et trois albums essentiels. « Black Velvet » est donc le disque posthume de l’artiste. Ce quatrième disque a été élaboré avec amour par ses amis de Daptone Records. Il nous propose quatre titres inédits : trois chansons issues des séances d’enregistrement les plus récentes, Can’t Fight The Feeling, I Feel A Change, Fly Little Girl et l’instrumental titre sur lequel Charles Bradley n’eut pas le temps d’enregistrer sa voix. Les producteurs ont sélectionné quelques faces de 45 tours : le duo funky avec LaRose Jackson, Luv Jones (Dunham 117), les reprises de Neil Young (Heart of Gold – Dunham 110), Rodriguez (Slip Away – Light In The Attic LITA 45-021) et Nirvana (Stay Away – Dunham 111). Enfin, (I Hope You Find) The Good Life et Victim of Love (electric version) avaient été gravés à 2000 exemplaires sur un disque vinyl format 33 tours de quatre titres dans le cadre du Record Store Day 2014. La voix de Charles Bradley est exceptionnelle, toujours aussi expressive, pathétique parfois. Ce qui peut provoquer une certaine gêne chez l’auditeur. L’accompagnement du Menahan Street Band est irréprochable. Ainsi naît une véritable osmose entre le chanteur et son orchestre. En plus du CD, pour les fans et collectionneurs, il existe une version à tirage limité constituée d’un double album vinyl 180 g accompagné d’un livre de photographies couleurs inédites et d’un long texte de thomas ‘TNT’ Brenneck, le tout dans une pochette recouverte de velours noir. – Gilbert Guyonnet


Johnny & The Headhunters

That’s All I Need

JT 006
www.johnnyandtheheadhunters.com 

Johnny Ticktin a été le guitariste de Louisiana Red pendant un bon bout de temps mais il signe ici son 8è album sous son nom avec les Headhunters, dont l’excellent Tam Sulivan au piano et orgue dans le Lead Me On de Bobby Bland. Ticktin est un excellent guitariste et un bon chanteur mais il n’a rien écrit et composé, il n’y ici que des reprises, néanmoins toutes de qualité. Ainsi, le titre éponyme est bien sûr une reprise d’un des meilleurs morceaux de Magic Sam, et Johnny en donne une très bonne version, il récidive avec All My Life du même Magic Sam et parmi ses autres covers, on notera un bien enlevé Shake Your Money Maker d’Elmore James à la slide et Rock’ Em Dead de Lowell Fulson. Son job de mécanicien dans un garage a conduit Ticktin à choisir Body And Fender écrit par Doc Pomus et Duke Robillard pour Johnny Adams. Notons Ace Of Spades, un instrumental planant emprunté à Link Wray et un duo avec la chanteuse Liz Springer (du groupe Built 4 Comfort) : Watch And Chain, sans oublier Chicken House marqué dans sa version originale de 1957 par un riff célèbre de Chet Atkins. L’album se conclut avec un autre instrumental, un bel hommage à Albert Collins, Collins Mambo arrangé par J. Ticktin. Un petit regret : avec ses 31 minutes, cet opus est nettement en-dessous des normes habituelles et donne un petit goût de trop peu. – Robert Sacré


Amanda Fish

Free

Vizztone VT-FF02
www.vizztone.com

A Kansas City, on connaît bien Samantha Fish qui s’est fait une belle place dans le domaine du blues rock, mais peu d’amateurs ont entendu parler de sa sœur aînée Amanda. En 2015, celle-ci a sorti son premier disque, « Down In The Dirt », dans lequel on découvrait sa voix superbe. Aujourd’hui, elle nous propose son deuxième disque, « Free », avec sur la pochette une allumette enflammée à la bouche. Elle n’a pas de groupe pour ce disque, mais différents musiciens pour chaque morceau. Ainsi on retrouve, au total, six guitaristes dont le plus connu est Bob Margolin. Sur trois morceaux, on découvre aussi Sara Morgan qui est une artiste country qui vient d’ enregistrer son sixième album. Comme influence, Amanda cite R.L. Burnside et Nirvana, mais à l’écoute, on fait aussi un raprochement avec Etta James. L’album s’ouvre avec 2020, un morceau funky qui est suivi par Not Again, un excellent boogie, avant que le tempo ne ralentisse sur Anymore. Amanda rend ensuite un hommage acoustique à son Kansas natal avec The Ballad Of Lonesome Cowboy Bill. On retrouve la voix intense de Sara Morgan dans Blessed puis les titres suivants sont un mélange de rock et de ballades soul/funky jusqu’au morceau Free qui est le sommet de l’album avec l’excellent duo Amanda/Sara. Avec cette voix si originale, il serait dommage et injuste qu’Amanda n’éclate pas sur la scène blues. Au Kansas, certains critiques lui ont reproché de ne pas avoir un look mannequin avec de longs cheveux qui font de l’effet sur scène. Ils ont certainement oublié que Janis Joplin ou Etta James n’étaient pas, elles non plus, des reines de beauté et que, comme Amanda, leur talent était dans leur voix… – Robert Moutet


Sugar Brown

It’s A Blues World… Calling All Blues!

No Label SMB003

Ken Kawashima, d’origine japonaise et coréenne, est professeur d’East Asian Studies à l’Université de Toronto. Il est aussi musicien de blues : chanteur, guitariste, harmoniciste et auteur-compositeur. Cette passion pour le Blues lui vient de ses années passées à Chicago et de quelques rencontres fondamentales. Au lycée, Johnny Burgin est un de ses camarades. Les deux adolescents jouent dans le même orchestre. Lorsque Johnny Burgin sera devenu guitariste de Taildragger, il fera entrer Ken Kawashima dans la formation du chanteur comme harmoniciste, Taildragger le baptisera “Sugar Brown”. « It’ a Blues World… Calling All Blues » est son troisième disque. Sugar Brown a déclaré : « Chaque chanson est un microcosme du blues – du country à l’urbain, des années 30 aux années 70… J’essaie d’avoir de la diversité dans mes chansons en variant les sentiments, les rythmes et les mondes ». Voilà un excellent résumé de ce que nous propose ce disque. Les duos acoustiques (Hard to Love et Brothers) soulignent la profondeur des racines blues de Sugar Brown. Le titre qui ouvre le disque,  Hummingbird, est un irrésistible Rhythm & Blues avec un saxophone baryton joué par Julia Narveson ‘Minnie Heart’ (elle joue aussi de la basse, de la guitare et du violon selon les morceaux) et un superbe solo de guitare de Rockin’ Johnny Burgin inspiré par Frankie Lee Sims. Those Things, interprété avec le pianiste Julian Fauth, fait penser à Big Bill Broonzy et au Bluebird Sound. Looking For Two O’Clock est un bon vieux Rock & Roll. La chanson titre, It’s a Blues World, a un fort message : Sugar Brown constate avec tristesse la profonde dégradation de la société américaine sous l’ère Trump. Love Twice sonne très West Side sound ; Dew On the Grass est un jump blues avec une excellente partie d’harmonica du leader. L’ombre de Bob Dylan et Tom Waits plane sur deux ou trois chansons. En plus des musiciens cités précédemment, n’oublions pas Michelle Joseph (d), Nichol Robertson (gt et bjo), Russ Boswell (b), Chuck Bucket (d) et Bill Howard (tamb et bass drum), tous artisans de la grande réussite de ce CD. Il faut aussi signaler que ce disque a été enregistré avec du matériel analogique. Vous l’avez compris, l’achat de cet album varié et plaisant me paraît incontournable. Sugar Brown y a mis toutes ses connaissances et sa passion du Blues, ce qui fera le bonheur des esprits les plus ouverts. – Gilbert Guyonnet


Detonics

Raise Your Bet

Naked Records NP031

Detonics est un groupe de cinq musiciens originaires des Pays Bas. Il se compose de Kars Van Nus au chant et à l’ harmonica, Jeremy Aussems à la guitare, Raimond de Nijs au piano et à l’orgue Hammond, René Leijtens à la contrebasse et au chant, et Mathijs Roks à la batterie . Début 2017, il ont déjà produit « Live Evidence », leur premier CD. Inspiré par le blues de la côte Ouest, Detonics joue principalement du swing et du boogie mais n’hésite pas à faire un petit tour dans la rumba comme avec le morceau Sue Is In Command. Le groupe s’est surtout fait remarquer par ses performances puissantes sur scène. Ils se sont produits dans de nombreux festivals internationaux, aux Pays-Bas bien sûr, mais aussi en Allemagne, en Belgique et aux USA. Au B.B. King’s Club à Memphis ils ont atteint, en 2017, la demi-finale de l’International Blues Challenge. Avec ce deuxième disque, ils confirment leur statut de groupe avec lequel il faut compter. C’est un vrai plaisir d’écouter leur blues qui ressemble à celui des années cinquante, avec des solos impressionnants pour chaque instrument. – Robert Moutet


Kirk Fletcher

Hold On

KF270137 / Blind Raccoon

Le guitariste Kirk Fletcher a joué avec les meilleurs musiciens de blues de la planète ces dernières années. Quant à ses productions personnelles, elles dénotent d’un talent certain pour le choix des morceaux mais aussi pour l’écriture particulièrement ici. Ce musicien multi-awardisé écrit, s’agissant de ce nouvel album : « Je sens que c’est mon réel premier album solo. J’ai composé toutes les chansons avec l’aide d’amis sur quelques-unes ». Grand fan de blues et de country, il montre ainsi un visage qu’on ne lui connaissais par forcément, loin du rôle de guitariste flamboyant parfois trop souvent attribué, même si son talent à la guitare éclabousse de bout en bout (écoutez You Need Me, entre autre). Outre ses qualités de musiciens, l’attention portée aux textes est intéressante et Kirk s’affranchit fort bien des parties vocales, secondé en cela par Mahalia Barnes ou Jade McCrea respectivement sur Two Steps Forward et Hold On. Le son est assez brut, avec absence de basse, mais un Matt Brown remarquable aux percussions et Johnny Henderson à l’unisson aux claviers (excellent Sad Sad Day). Album intimiste, très personnel, très réussi. Un seul regret : un goût de « trop peu » avec seulement huit titres. – Marcel Bénédit


Lindsay Beaver

Tough As Love

Alligator ALCD 4986
www.alligator.com

Elle joue de la batterie debout… et elle chante dans l’urgence, avec un punch et une énergie “pas de quartier” (Attila-style). Originaire de Halifax en Nouvelle Écosse, Beaver est disciple de Earl Palmer (NOLA) et c’est une boulimique de toutes les musiques qui brûlent de passion et, en ce domaine, ses idoles sont aussi diverses que Billie Holiday, Nick Curran, The Ramones, Little Richard, Amy Winehouse, Tupac Shakur, Sam Cooke… Remarquée par Jimmy Vaughan, il l’a convaincue de venir s’installer à Austin (Tx) et elle y a formé son trio avec le bassiste Josh Williams et le guitariste Brad Stivers, remarquable de créativité et de prouesses techniques tout au long de cet album et en particulier son tour-de-force dans You’re Evil). La notoriété de ce trio grandit et grandit et finit par attirer l’attention de Bruce Iglauer qui, après les avoir entendus, n’hésita pas à leur proposer de rejoindre la grande famille Alligator. Beaver décrit elle-même son style hybride comme du « punk blues » mais c’est trop réducteur car ses compositions (7 sur 12) et ses reprises passent du blues au rock ‘n’roll, aux ballades et au R&B, mais, partout, c’est du Lindsay Beaver breveté patenté avec une forte touche personnelle. Il y a aussi de nombreux guests venus en renfort comme Dennis Gruenling dont le jeu d’harmonica est au top dans You’re Evil comme dans la reprise I Got Love If You Want It (Slim Harpo), une excellente version. La pianiste Marcia Ball est là aussi dans Too Cold To Cry, une jolie ballade au parfum NOLA et dans You Hurt Me, un slow blues dans lequel Beaver exprime, avec pudeur, sa vulnérabilité. Quant à Sax Gordon Beadle, il ajoute du punch au déjà bien enlevé What A Fool You’ve Been. À noter encore la guitariste Laura Chavez dans Mean To Me, encore une face bien rythmée. Le pianiste Matt Farrell intervient avec efficacité par exemple dans Don’t Be Afraid Of Love pris en mode survolté, dans un blues lent, le Lost Cause d’Angéla Strehli, dans le Lets’s Rock de Art Neville, en médium. Lindsay Beaver est transcendante partout tant au chant qu’aux drums mais, outre les morceaux déjà cités, il faut mentionner un Dangerous bien enlevé et Oh Yeah un rock’n roll estampillé Beaver. Cet album est bien parti pour les Blues Awards et autres prix de 2018. Ne le loupez pas. – Robert Sacré


Cary Morin

When I Rise

no label – cdbaby

Cary Morin est un chanteur et guitariste d’origine indienne Crow, né dans le Montana. Vous avez entre les doigts et – espérons-le entre les oreilles – son sixième album. C’est un excellent disque de blues roots dont le ton est donné d’entrée par le profond When I rise, parcouru par un violon inquiet. Du blues Jug in the Water, Cary Morin donne deux versions, l’une électrique, l’autre acoustique. Mon cœur balance pour la première. Il utilise la pedal steel dans le nostalgique We Used to Be. Carmela Marie est un shuffle au refrain entêtant et aux allures tudesques. Chanteur habité, Cary Morin révèle aussi une belle aptitude pour le country rock avec une excellente reprise du Dire Wolf du Grateful Dead. La fluidité de son jeu de guitare se fait encore entendre de belle manière sur un Little Martha de Duane Allman enchaîné à The Last Pint. – Marcel Bénédit


Aretha Franklin

The Indispensable Aretha Franklin
Intégrale 1956-1962

Frémeaux et Associés  FA 5735  (coffret 2 CD + livret illustré)
www.fremeaux.com

Aretha Franklin nous a quittés en août de cette année. Elle était née à Memphis et avait 76 ans et la majorité s’accorde pour lui reconnaître une des plus belles voix noires du XXe siècle, voire LA plus belle, avec le talent ainsi que le charisme qui vont avec. Les hommages se sont succédés, il y en aura encore ainsi que des rééditions de ses enregistrements. Parmi ceux-ci, les gravures Atlantic Records sont les plus prisées, mais on aurait tort de négliger ce qu’elle a fait avant Atlantic, entre 1956 et 1962 et après Atlantic : ce coffret Frémeaux et Associés en apporte une preuve éclatante avec l’intégrale des faces gospel (Joe Von Battle, 1956) et les trois premiers LP Columbia (1958-1962). La période « Gospel » fut placée sous l’égide de son père, C.L. Franklin, un pasteur charismatique et célèbre, dont la firme J.V.B. publia un nombre considérable de sermons (pas moins de 73 disques 78 tours double face entre 1956 et 1959, régulièrement réédités) enregistrés dans son église de Detroit (New Bethel Baptist Church). Pianiste autodidacte à l’âge de dix ans, Aretha chanta dans la chorale de New Bethel et, à treize ans, elle en était la soliste préférée des fidèles. Comme chanteuse, elle bénéficia de l’exemple et des conseils d’amies de son père comme Mahalia Jackson, Clara Ward (qui entretint une liaison avec C.L. Franklin), Marion Williams, etc. Et elle grava son premier album, neuf gospels, à seulement quatorze ans ! Sa voix d’ado est déjà expressive et annonce les exploits vocaux à venir. On en retiendra, entre autres, une belle version (en deux parties) du Precious Lord de Thomas A. Dorsey (sous le titre Take My Hand Precious Lord), sa propre composition You Grow Closer, mais aussi Never Grow Old ou While The Blood Runs Warm. Sa rencontre à seize ans, en 1958, avec Sam Cooke, sera déterminante pour la suite de sa carrière et, en 1960, son père accepta, pour elle, le contrat proposé par John Hammond, le célèbre talent-scout de Columbia Records. Entre août 1960 et janvier 1961, Aretha enregistra quatorze faces produites par Hammond, douze avec le Ray Bryant Combo et deux dont les musiciens sont inconnus. On en retiendra les superbes Sweet Love, un Won’t Be Long – à la Ray Charles – sans oublier le trépidant Are You Sure et une très belle version rythmée de Trouble In Mind. Mais d’autres faces méritent le détour : Today I Sing The Blues, le jazzy Right Now qui swingue à mort, un Maybe I Am A Fool qui tangue comme un vaisseau ivre, etc… Le deuxième CD du coffret rassemble deux LPs Columbia de douze titres chacun : « The Electrifying Aretha Franklin » (mars 1962, produit par J. Hammond) et « The Tender, The Movin’, The Swingin’ Aretha Franklin » (Août 1962 ; prod./arr. Robert Mersey). Par manque de flair et de réalisme, Hammond tout comme Mersey ne sentent pas que les temps changent, que la musique soul est en train de faire une percée irréversible et qu’Aretha Franklin a tout ce qu’il faut pour prendre le train en marche. Elle n’a pas besoin de violons, de cuivres au style démodé ni d’arrangements sophistiqués, c’est pourtant tout ce qu’on lui offre chez Columbia. Son génie hors norme transcende la lourdeur et le style des arrangements, quasi partout, mais en particulier dans les bien enlevés Rough Lover, Ac-Cent-Tchu-Ate The Positive, Lover Come Back To Me et I’m Singing On Top Of The World, dans Nobody Like You, I Told You So, Rock-A-Bye Your Baby With A Dixie Melody ou encore Exactly Like You, comme dans son hommage à Billie Holiday (God Bless The Child). Sa puissance vocale se joue avec aisance des murs de cuivres et de violons (Just For You, Try A Little Tenderness, Look For The Silver Lining). il s’ensuit que quasi toutes les autres faces du deuxième CD sont aussi agréables à écouter. Adieu Columbia, bonjour Atlantic pour la gloire. – Robert Sacré


Roy Brown

Good Rockin’ Tonight
All His Greatest Hits Selected Singles As & Bs 1947-1958

Jasmine Records  JasmCD 3098
www.jasminerecords.co.uk

Un type qui, en moins de cinq ans, entre 48 et 5, engrange pas moins de 15 Hits est un client sérieux. Et c’est vrai, Roy Brown n’était pas n’importe qui. Venu au Blues après avoir, dans son adolescence, adulé Bing Crosby, il a contribué puissamment à faire émerger ce qu’on nommera plus tard le Rock and Roll. Notamment par la fréquence des reprises de ses compositions par des chanteurs blancs, Elvis étant le plus parfait exemple de ce processus. On connaît l’épisode farfelu où Roy est « auditionné » au téléphone (!) par Jules Braun, co-dirigeant avec son frère du label DeLuxe Records. Ce Good Rockin’ Tonight téléphonique allait être le décollage d’un long parcours jalonné de succès. Notons cependant que le point de départ de sa vocation artistique réside sans doute dans sa victoire, en 1945, au Million Dollar Theater de Los Angeles, dans un tour de chant amateur où il exécutait une imitation de Crosby. Ce succès modeste le décida à devenir professionnel. Si les disques de Roy Brown témoignaient et témoignent toujours d’une vitalité exubérante, son jeu de scène décrit à l’époque comme « uninhibited » et ses tenues vestimentaires extravagantes, lui ont donné une aura particulière, celle des grands performers. C’est cette combinaison de la voix et du geste qui influença nombre de chanteurs. On cite souvent Little Richard, James Brown, Jackie Wilson, etc. Revenons à cette anthologie qui nous offre, en 2 CD, une bonne soixantaine de morceaux. Elle contient les hits qui ont jalonné sa carrière. Si l’on avait dit à Roy Brown qu’un jour des maisons de disques publieraient des compilations quasi-exhaustives, il aurait sans doute été très, très surpris. En effet, sa musique est un art de l’instant, une fabrique à bonheur, tout sauf un objet d’étude pour ne pas dire de dissection. Ces CD démontrent, une fois de plus, que les artistes parfois se répètent et tournent autour de leurs succès pour essayer d’en prolonger l’impact. Le marché des 45 tours favorisait la multiplication des séances d’enregistrement, ce dont le public vivant le temps présent, n’avait cure.  Mais en écoutant ces faces certes souvent proches par leur climat on s’aperçoit que certaines sont exceptionnelles par leur charge dyonisiaque. On se prend à rêver d’une autre Amérique. Celle qui aurait su se délivrer du préjugé de race et aurait donné, en toute justice, la reconnaissance qu’ils méritaient à tant d’artistes confinés dans l’univers clos des ghettos urbains. « Je voudrais être noir », chantait Nino Ferrer… Beau témoignage d’admiration mais bien éloigné de la malédiction endurée par les créateurs et interprètes issus de la communauté noire de l’après-guerre. Pour espérer égaler les ventes de Presley il est clair qu’il valait mieux être blanc… Roy Brown a forgé son style dans le creuset néo-orléanais. Il a été marqué par des personnalités comme Dave Bartholomew par exemple. Il est difficile de citer tel ou tel morceau, car c’est un ensemble qui se présente à nous avec son style et ses règles. La première étant de faire danser, la seconde de servir un public qui ne dédaigne pas les ballades sentimentales. Puisqu’il faut, tout de même, opérer une sélection, proclamer urbi et orbi les préférence de l’humble chroniqueur, je vous dirai mon intérêt pour la période charnière, fin des 40 – début 50, avec des réussites remarquables pour les compagnies DeLuxe et King. Train Time Blues où le chanteur bénéficie d’un accompagnement hors pair du guitariste (peut-être Edgar Blanchard, musicien louisianais important), Big Town avec de superbes interventions du trompettiste, Laughing but Crying, le blues selon Brown avec un chant plein de sensibilité sans sensiblerie, Slow Down Eva qui vous fera penser au Neighbour Neighbour de Jimmy Hugues, la version personnelle de Hound Dog servie par des réponses emplies de feeling de la guitare… Et que dire de Crazy Crazy Woman, démonstration de swing avec un tempo parfait bien mis en place par un batteur d’anthologie. Et n’oublions pas Let’s The Four Winds Blow… Que dire de plus ? Achetez ces CD c’est s’offrir – à bon compte – une découverte (veinards !) où des retrouvailles pleines de sève. Et si vos genoux ressentent les premières félonies de l’arthrite, le Docteur Brown vous réveillera tel Lazare jaillissant du tombeau pour danser le Rock endiablé… – André Fanelli


The Spinners

While The City Sleeps
Their Second Motown Album Plus Bonus Tracks

Kent Soul CDTOP 481
www.acerecords.co.uk

Formation majeure de la soul des années 70, les Spinners ont passé huit ans chez Motown avant de prendre leur envol en 1973 sous la houlette de Tom Bell chez Atlantic. Si leur période Motown n’a peut-être pas une envergure comparable à celle d’autres formations maison, elle reste à redécouvrir, comme c’est le cas grâce à ce deuxième CD publié par Kent Soul. « Their Second Album Plus Bonus Tracks » s’ouvre sur It’s a Shame qui reste un des gros tubes de la Motown dans cette période de transition qui voyait la compagnie quitter Detroit pour Los Angeles. Les douze titres de l’album d’origine ont pour certains été interprétés par d’autres artistes du groupe (David Ruffin, Supremes). Une pratique courante chez les protégés de Berry Gordy. G.C. Cameron est à cette époque le lead singer. Il y a une belle reprise du O-o-h Child des Five Stairsteps et une poignante version du In my Diary des Moonglows. Les treize titres qui complètent cette ressortie sont soit inédits, soit déjà disponibles mais, en téléchargement uniquement. Ils sont dans une veine plus brute. Y figure une reprise d’un de leurs premiers succès, en 1961, That’s What Girls are Made For. Comme l’explique Keith Hughes dans les notes de la jaquette, la compilation porte le nom du seul morceau que le groupe ait enregistré sur la Côte Ouest. Une promesse de sortir de l’ombre – ce While The City Sleeps –faite à Bobby Smith, membre du groupe, disparu depuis la publication du premier disque. – Dominique Lagarde


Otis Spann in Session

Diary of a Chicago bluesman 1953-1960

Jasmine Records JASMCD 3131 (2 CD)
www.jasminerecords.co.uk

Extraits du journal (imaginaire) d’Otis Spann… Chicago, 24 septembre 1953 : Grâce aux instructions reçues du maître de piano, Big Maceo Merriweather, j’ai atteint un excellent niveau. Une seconde rencontre fut décisive : Muddy Waters. Nous sommes devenus si proches musicalement et humainement que nous nous considérons frères … Ce jour, dans le studio Chess, nous enregistrons ensemble pour la première fois. Je pense que mon solo sur Blow Wind Blow est un bel exemple de mes talents de pianiste. Chicago, 7 janvier 1954 : De retour en studio, aux côtés de mon ‘frère’ Muddy Waters, nous gravons I’m Your Hoochie Coochie Man. Ce titre a tout pour devenir un tube. Chicago, mars 1954 : Les frères Chess apprécient mon jeu et font souvent appel à moi. Ce jour, je suis au service du géant Howlin’ Wolf (Rockin’ Daddy ). Chicago, 15 avril 1954 : avec Muddy Waters et Louis Myers, nous accompagnons, chez Leonard Allen (labels United et States), Junior Wells avec qui nous avons déjà travaillé. Il est recherché par la police : il a déserté de l’armée américaine. Chicago, 22 mai 1954 : encore avec une vieille connaissance, le meilleur d’entre nous, qui a pris la grosse tête depuis son tube Juke : Little Walter (Igot To Find My Baby). Chicago, 25 mai 1954 : avec Howlin’ Wolf nous gravons entre autres Evil Is Goin’ On. Chicago, 25 octobre 1954 : les frères Chess m’ont enfin enregistré en leader. Mais quelle histoire ! Jody Williams prit la mouche quand il vit un type qu’il ne connaissait pas observer le mouvement de ses doigts sur le manche de la guitare. Il était persuadé qu’il allait lui voler quelques plans. Tout s’arrangea quand Howlin’ Wolf présenta l’espion à Jody : c’était B.B. King. Les deux guitaristes enregistrèrent ensemble à mes côtés (It Must Have Been The Devil). Chicago, 2 mars 1955 : bonne humeur et ambiance détendue avec Bo Diddley : I’m A Man et Bo Diddley. Chicago, 12 août 1955 : Sonny Boy Williamson (Rice Miller) est un vétéran. Il enregistre, pour Chess, pour la première fois avec Muddy Waters et son orchestre. Les excellents arrangements permettent d’obtenir le meilleur de l’irascible et atrabilaire harmoniciste (Don’t Start Me Talkin’ et All My Love In Vain). Chicago, 20 décembre 1955 : en cet hiver chicagoan, je supplée Johnny Johnson avec Chuck Berry (You Can’t Catch Me et No Money Down). Chicago, juillet 1956 : enregistrement de deux chansons. En soutien, le caractériel Walter Horton et Robert Lockwood Jr. Chess publiera-t-il le disque ? Newport, 4 juillet 1960 : Quelle claque ! Avec Muddy Waters, nous avons joué pour la première fois aux États-Unis devant un public blanc enthousiaste. Un vrai triomphe. J’ai pu interpréter trois chansons. Nous avons aussi accompagné, avec grand bonheur, John Lee Hooker. New York, 23 août 1960 : J’attendais ce jour avec impatience, depuis que le label new-yorkais de jazz Candid m’a contacté pour réaliser un album à mon nom. Je suis venu avec Robert Lockwood Jr et St Louis Jimmy Oden. La journée d’hier fut longue. Nous avons enregistré 39 titres. Robert et St Louis Jimmy chantent sur quelques morceaux. Candid a un grand choix pour réaliser un excellent album. Chicago, fin 1960 : mon disque « Otis Spann Is The Blues » (Candid CM 8001) me semble très réussi. Beaucoup de feeling. Cette séance était somptueuse, malgré ou, peut-être grâce à ses imperfections. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Down Home Blues
New York Cincinnati & The North Eastern States

Wienerworld WNRCD5104 (4 CD)

Après Detroit et Chicago, Wienerworld continue son œuvre magistrale de compilation du blues, avec des choix discographiques originaux. Voici le coffret « Down Home Blues » consacré à New York et à certaines régions de l’est des États-Unis qui compile, excusez du peu, quatre CD, trente-sept artistes et cent dix titres enregitrés entre 1945 et 1962 ! Comme pour les volumes précédents, on apprécie que les morceaux sélectionné sont différents de ceux figurant dans la collection Boulevard Vintage « East Coast Down Blues » (épuisée actuellement). Pertinemment, la compilation Wiernerworld s’intéresse donc à des artistes tels que The Bees, Cousin Leroy, Jack Dupree, Guitar Crusher, Betty James, Little Red Walter, Alonzo Scales, Sonny Terry, Mojo Watson, etc. Citons parmi d’autres Big Chief Ellis, chanteur et pianiste, qui accompagne Sonny Terry, Brownie McGhee et Allen Bunn sur quatre magnifiques morceaux. Il est vrai qu’à l’époque, les états de l’Est recélaient de véritables pépites. À l’instar d’un certain Gabriel Brown, qui bien que non originaire du Piedmont mais de Floride (né en 1910), avait enregistré pour la première fois pour la Library of Congress en 1935. Après son déménagement à New York, il a gravé plus de quarante titres pour Joe Davis. Précisons que quatre de ceux-ci sont reproduits ici, le reste est accessible sur le superbe cd Flyright 59 « Mean Old Blues 1943-1949 ». Parmi d’autres, le duo guitare et harmonica Skoodle-Dum-Doo et Sheffield comprend Seth, interprète d’avant-guerre, et Hank Kilroy (écoutez l’exquis Awful Shame). Belle découverte avec Allen Bunn qui a enregistré en 1949 deux blues country inédits et quatre autres morceaux qui datent de 1951 avec un petit groupe. On y ajoutera Guitar Nubbit, Sunny Jones (avec deux titres, dont le fabuleux Don’t Want No Pretty Woman) et d’autres faces tout aussi sublimes. Au final, cette compilation propose un véritable trésor musical. La qualité sonore est très correcte. Le livret de 78 pages est peut-être le meilleur de la série en cours avec d’excellentes notes de Chris Bentley, des photos rares, dont plusieurs illustrent des labels de 45 tours et des notes de sessions discographiques. Un troisième volume indispensable. – Philippe Prétet


Smiley Lewis

The Complete Imperial Siingles A&B 1950-1961

Jasmine Records JASMCD 3097
www.jasminerecords.co.uk

Le chanteur guitariste louisianais Smiley Lewis est sans doute – et malgré lui– resté un peu trop dans l’ombre de l’immense succès de Fats Domino pour que sa carrière puisse connaître une plus grande ampleur. Il est déjà rompu à la scène lorsque Dave Bartholomew le fait signer et l’enregistre pour le compte d’Imperial en 1950, obtenant au bout de deux ans un premier hit avec l’excellent The Bells are Ringing. Les musiciens et les studios (J&M puis Cosimo) sont les mêmes que ceux utilisés pour les sessions de Fats Domino, quand d’ailleurs ce dernier n’est pas tout simplement le pianiste de séance. Si Lewis est l’auteur de son propre répertoire au début de la décennie, signant au passage d’excellents blues qui préfigurent ce que développera peu après Guitar Slim, c’est finalement Bartholomew qui, très majoritairement, contrôle en amont la phase d’écriture. De fait, et même si Lewis propose une musique plus dépouillée, les parallèles avec Domino sont nombreux (jusqu’au physique et à la voix). Un standard comme Blue Monday a d’abord été enregistré par Lewis, mais c’est Fats qui remporta la mise. L’influence que Smiley Lewis a pu ainsi avoir, notamment auprès des artistes rock’n’roll, est souvent méconnue. Elvis reprit par exemple son One Night à l’occasion de son célèbre « come back special ». Les Anglais de Jasmine rééditent ici sur un copieux double CD l’intégralité des singles Imperial de l’artiste. Ont donc été exclus – faute de place – les quelques faces enregistrées par lui à la même période sur les filiales Colony et Knight de ce même label. L’articulation chronologique des plages rend par ailleurs leur travail particulièrement lisible. Les amateurs de R&B néo-orléanais auront du mal à faire l’impasse sur cette réédition, ce d’autant que le précédent travail réalisé par Bear Family était plus diffus et sélectif, car alliant une partie des titres réunis ici avec sa discographie postérieure des labels Okeh, Dot et Loma. – Nicolas B.


Various Artists

Confessin’ The Blues

BMGCAT155CD 

Quand les Stones opèrent un retour aux sources, ils ne font pas semblant. Fortement influencés à leurs débuts par le Blues et par des musiciens comme Muddy Waters qui les accueillit à Chicago, ils n’ont jamais cessé durant leur longue et prolifique carrière de faire référence – dans quasiment tous leurs concerts et albums – à la musique du Diable. Keith Richard disait : « Si vous ne connaissez pas le blues, alors ça ne vous servira à rien de prendre une guitare et jouer du rock and roll ou toute autre forme de musique pop… » Ainsi, après leur excellent album studio « Blue & Lonesome » en 2016 (chroniqué dans ABS), voici « Confessin’ The Blues », double album regroupant 42 titres compilés par les Stones allant de Robert Johnson à Little Johnny Taylor en passant par Bo Diddley, Magic Sam ou autre Rev. Robert Wilkins… Tout le monde a entendu un jour l’histoire des débuts : le 17 octobre 1961, sur le chemin de l’école, Mick Jagger alors âgé de 18 ans recroise son vieux pote Keith Richard (17 ans) sur la plateforme 2 de la gare de Dartford, en banlieue londonienne. Keith remarque les deux vinyles que Mick a sous le bras : Muddy Waters et Chuck Berry. Mick s’était procuré ces deux disques – introuvables en Angleterre – en écrivant au mythique label Chess Records à Chicago… La suite, on la connaît. Ils se sont ici totalement investis dans le travail de compilation. Sous l’impulsion de Mick Jagger, Keith Richards, Ronnie Wood (qui a réalisé le dessin du front cover) et Charlie Watts – par le truchement de BMG – 10 % des recettes des ventes de ce double album seront reversés à la Blue Heaven Foundation de Willie Dixon à Chicago. – Marcel Bénédit


Ike Turner and the Kings of Rhythm

Trailblazin’ The Blues

Jasmine Records JASMCD 3130 (2 CD)
www.jasminerecords.co.uk

Ike Turner est un géant de la musique afro-américaine aussi bien en tant que musicien, producteur, guitariste, découvreur de talents ou chef d’orchestre : tout le monde le sait. Ses faces de 1951-55 à la tête de son groupe ou accompagnant d’autres artistes constituent une page importante de l’histoire du rhythm’n’blues : il y en a ici 60 sur deux CD et c’est un véritable feu d’artifice. La plupart de ces titres avaient déjà été réédités à plusieurs reprises chez Charly en 1991 ou chez JSP en 2008 (« Classic Early Sides ») et sur d’autres compilations, alors attention aux doublons ! Mais retrouver tout cela sur ce copieux double CD est un festin de roi. Il y a de vieilles connaissances comme Jackie Brenston et son légendaire Rocket 88 qui, pour certains, est le premier rock’n’roll (très discutable), Boyd Gilmore, Driftin’ Slim, Little Milton, Clayton Love, Johnny O’Neal, Billy Gayles, Charley Booker, Billy “The Kid” Emerson, Elmore James et même B.B. King. Pensez que ce vieil Ike est dérrière tout ça : quel homme et quelle carrière ! Chapeau. – Marin Poumérol


Various Artists

Bottleneck Guitar – 88 Sides
Selected Sides 1926 – 2015

JSP Records JSP77211 (4 CD)
www.jsprecords.com

Je ne peux m’empêcher, lorsque j’ai en mains une anthologie de cette taille et de cet intérêt, de penser aux jours, pas si lointains, où il aurait fallu la foi du chasseur de trésor et la persévérance du paléontologue pour rassembler les quelques 88 morceaux que nous présentent Neil Slaven et John Stedman. Le nom de Neil est pour moi synonyme de sérieux. La lecture des titres sélectionnés vient renforcer cette confiance. Les musiques qui nous sont proposées mériteraient qu’on leur consacre plusieurs pages tant est grande leur richesse. Si vous n’êtes pas familier de l’univers musical de la slide guitar, je vous conseille vivement d’entreprendre ce véritable voyage initiatique au travers du pays du blues au gré de sélections particulièrement bien venues qui me touchent particulièrement et cela au travers des divers styles musicaux couvrant presque un siècle. Un premier point à rappeler : si la slide guitar a connu la popularité tant chez les Noirs que chez les Blancs, il convient de noter que si les premiers – recherchent l’expressivité, la puissance, la « vocalisation », les autres affectionnent davantage la justesse, la mélodie, voire un discret lyrisme. Ce qui est cependant certain, c’est que les échanges entre artistes issus des deux communautés ont été constants et fructueux. Souvenez-vous d’Hank Williams évoquant son vieil inspirateur noir Rufus Payne. Frank Hutchison est un parfait exemple de cette proximité et son Worried Blues en témoigne. Il en va de même avec Riley Puckett au parfum « country ». Ces 4 CD fourmillent de petits merveilles gravées par des « inconnus » au parcours fugace ou éphémère. Big Boy Cleveland par exemple. De plages inattendues aussi, comme Alligator Blues, première séance de celle qui devait s’affirmer beaucoup plus tard dans le monde du R&B, Helen Humes. Les « maîtres » ne sont pas absents de cette compilation remarquable. Vous les retrouverez tous au gré de ces 88 faces. Il m’est impossible de m’engager dans le commentaire de mes morceaux préférés car la Rédaction ne tarderait pas à sortir les ciseaux pour alléger ma prose. Mais, tout de même, comment ne pas citer deux ou trois chefs-d’œuvre incontournables : Black Angel Blues de Robert Nighthawk, Po’ Boy de Bukka White… Mais comment choisir lorsqu’on sait que Tampa Red, Big Joe Williams ou Robert Johnson, entre autres, sont en lice ! Ne me prenez pas pour un nécrophile. J’aime aussi les productions plus récentes. Le titre enregistré par Kenny Parker avec une belle partie de guitare de Jeff Grand par exemple ou le Slide Her Up and Down de Joe Louis Walker. Une très belle réussite qui ne déparera pas vos étagères et qui vous réserve des émotions devenues rares. Un must pour l’amoureux du Blues en pleine découverte. – André Fanelli


Ray Charles

Antibes 1961

Frémeaux et Associés  FA 5733 (coffret 4 CD + livret)
www.fremeaux.com

Pour sa toute première tournée européenne en 1961, Ray Charles avait préféré la France et les organisateurs du festival de jazz d’Antibes/Juan-les Pins l’avait choisi pour la deuxième édition de ce festival, offrant même à Ray Charles la vedette de quatre des sept soirées. Des parties de ces quatre concerts ont été publiées en disques à l’époque, mais il restait des faces complètement inédites, treize en tout et cet opus, réalisé par Joël Dufour – un spécialiste reconnu du “Genius” – regroupe l’intégralité des quatre concerts, ce qui implique des doublons qui varient en longueur, en harmonies et en prises de solos par les musiciens de l’orchestre. En bonus : quatorze faces dont dix des années 50 (Tommy Ridgeley, Guitar Slim, Joe Turner et Ray Charles) et quatre de 1962 (Lula Reed) ont été généreusement ajoutées car c’est Ray Charles qui y tient le piano voire l’orgue. En 1961, Ray Charles a quitté Atlantic pour ABC-Paramount, ses big bands et ses ballades avec violons, mais il ambitionne encore de développer sa passion pour le jazz, le hard-bop et, pour sa visite en France, il a repris son octet de chez Atlantic (avec, entre autres, les saxophonistes David “Fathead” Newman, Hank Crawford…) et, bien sûr, ses Raelets (avec la fantastique soliste Margie Hendrix). Au total, il ne joue/chante que trois ballades : deux tubes ABC, Georgia On My Mind et Ruby et un inédit, With You On My Mind. Pour le reste, Ray Charles donne libre cours à sa passion pour un jazz dynamique, du hard bop proche du R&B (Doodlin’, Lil’ Darin’, The Story, Popo, …) et bien sûr du R&B du top niveau, souvent mâtiné de gospel, Night Time Is The Right Time, What’d I Say, Sticks And Stones, Let The Good Times Roll, Hallelujah I Love Her So,…. Y contribuent pour une large part les Raelets et une Margie Hendrix déchainée dont la voix donne des frissons dans The Right Time, My baby I Love Her Yes I Do, Tell The Truth et ailleurs. Pour ce qui est des bonus tracks, il y en a trois de Ray Charles lui-même, des faces gravées pour sa propre compagnie Tangerine, fondée en 1962, mais publiées par Atlantic : It Should’ve Been Me (New York, mai 1953) avec entre autres Mickey Baker (gt) ; Early in The Mornin’ (New York, octobre 1958) avec “Fat Head” Newman, Hank Crawford,…) et My Bonnie (Basel Radio, Zürich, octobre 1961). Il y a aussi des faces gravées à La Nouvelle-Orleans avec son ambiance festive caractéristique et avec Ray en accompagnateur : deux faces du chanteur Tommy Ridgeley pour Atlantic (août 1953 avec Edgard Blanchard, gt) et quatre du chanteur/guitariste Eddie “Guitar Slim” Jones (pour Specialty) dont le célébrissime The Things That I Used To Do. On y ajoute l’excellent Wee Baby Blues, une face de Big Joe Tuner avec Ray (New York, octobre 1957). Enfin il y a quatre faces de la chanteuse Lula Reed avec Ray, Wallace Davenport (tp),… (Los Angeles, août 1962) publiées à l’origine sous label Tangerine, parmi lesquelles les superbes Trouble In Mind et Ain’t That Love. On tient là un document historique exceptionnel doublé d’une garantie de bonheur d’écoute tout aussi exceptionnel, alors ne gâchez pas votre plaisir et procurez-vous ce coffret, toutes affaires cessantes. – Robert Sacré


Willis “Gator Tail” Jackson

Doing The Gator Tail

Jasmine Records  JASCD3103
www.jasminerecords.co.uk

Willis Jackson est l’un de ces saxophonistes « hurleurs » qui firent les beaux jours du R’n’B entre 1945 et 1960. Illinois Jacquet avait lancé la mode avec son fameux Flyin’ Home et une nuée de souffleurs se firent remarquer : Big Jay McNeely, Joe Houston, Sam Taylor, Sil Austin et bien d’autres. Willis Jackson avait débuté à 16 ans en remplaçant Eddie Vinson dans l’orchestre du trompettiste Cootie Williams et avait eu la chance de démarrer avec un instrumental Gator Tail qui fit un malheur en 1949 et qui lui donna son surnom ! Il passa par la suite de label en label (Mercury,Apollo, Atlantic, Fire ) avec l’orchestre de Bobby Smith et le chanteur Eddie Mack que l’on peut entendre ici sur plusieurs titres. Jackson était évidemment un excellent « hard blower » qui exploita avec talent cette histoire d’ alligator : Call of the Gators, Later Gator, Gator’s Groove, mais qui savait aussi graver de formidables blues : More Blues at Midnight ou Good to the Bones et Makin’ it avec le support du guitariste Bill Jennings. Il s’agit là de 26 titres de superbe R’n’B grande époque bien ficelé et dansant, et le label Jasmine poursuit avec la parution de trois autres albums dans ce style avec Buddy Lucas, l’incontournable Big Jay McNeely et Sam “The Man”Taylor (chroniqué dans ce numéro) : voilà une bonne nouvelle ! – Marin Poumérol


Helen Humes

Today I Sing The Blues 1944-1955

Jasmine Records JASMCD 3106
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Quelle carrière ! Elle démarre en 1927 où elle enregistre pour Okeh accompagnée notamment par Sylvester Weaver, Lonnie Johnson et Walter Beasley. Elle a alors 14 ans, à peine, mais la musique joue déjà un rôle majeur dans sa vie. La musique, qu’elle étudie en ces années de jeunesse de façon très sérieuse. Elève à la Bessie Allen’s Sunday School, à Louisville, elle tient le piano dans dans l’orchestre de l’école qui compte des jeunes gens qui se feront un nom plus tard : Dickie Wells ou Jonah Jones. Elle passe sans difficulté du blues le plus traditionnel au jazz puis, au lendemain de la guerre, au R&B alors en pleine expansion. On la retrouve alors avec des leaders prestigieux : Al Sears, Stuff Smith, Harry James, Buck Clayton… Le grand départ fut sans doute la rencontre avec le légendaire producteur John Hammond Sr qui la recommanda avec insistance à Count Basie. Le CD qui nous occupe ici survole une période particulièrement fertile de la musique populaire africaine-américaine. Celle qui voit la condition de la population noire s’améliorer et qui est propice au développement d’une musique dynamique faisant oublier les jours sombres. Helen va fréquenter le studios des principaux labels offrant un catalogue axé sur les nouveaux styles : Aladdin, Modern, Mercury, Decca et autres. Parmi les 28 faces qui nous sont proposées je retiendrai volontiers – comme d’habitude de façon très subjective – quelques perles. D’abord ses deux grands hits, Be Baba Leba gravé en 1935 avec le groupe de Bill Doggett et, bien entendu, le sarcastique Million Dollar Secret de 1950. Ce morceau plein d’un humour décapant bénéficie d’accompagnateurs de classe tels Dexter Gordon ou J.C. Heard. J’aime aussi Married Man avec ses contrechants subtils de guitare ou Real Fine Daddy emblématique de l’environnement musical de l’époque. En réécoutant cet album, on ne peut qu’en constater l’équilibre et la qualité. D’audition en audition, on découvre une chanteuse majeure qui n’a pas toujours rencontré la renommée qu’elle aurait méritée. Mais n’est-ce pas le drame de tous ces grand vocalistes créatifs qui – racisme oblige – durent s’effacer devant des imitateurs à la peau plus claire… Pardonnez-moi de revenir régulièrement sur cette injustice historique. En conclusion, je citerai une phrase issue d’une interview réalisée à la fin de sa carrière. Helen Humes y fait une affirmation étonnante : « Le Blues ne m’a jamais beaucoup intéressée » ! Comprenne qui pourra… Une anthologie bien conçue avec un livret riche d’informations passionnantes. S’il reste de la place sous le sapin de Noël, pensez donc à ce recueil bien agréable. – André Fanelli


Snooky Pryor

All My Money Gone

Wolf Records CD 120.411

James Edward Pryor, aka Snooky Pryor (+1921-2006) est considéré comme (le) l’un des pionniers de l’harmonica amplifié apparut dans les années 1940. Coup de génie, puisque l’électrification propulsa immédiatement cet instrument au premier plan de la scène sonore au sein des orchestres du Chicago blues moderne et devint vite incontournable. Influencé par John Lee “Sonny Boy” Williamson, Snooky Pryor fut un harmoniciste au jeu incisif et dépouillé tant au chromatique qu’au diatonique. Sur scène, son jeu minimaliste et direct faisait mouche plongeant dans ses racines du Sud, tandis que son chant expressif et puissant était légèrement teinté de staccato. Dès 1945, après avoir été démobilisé, il rejoint Maxwell Street, d’abord avec Homesick James puis en compagnie de Floyd Jones (qui lui donna le surnom de “Snooky”) et de Moody Jones. Dès 1948, il enregistra son fameux Telephone Blues avec Moody Jones. S’ensuivit une série de singles chez J.O.B, Parrot et Vee Jay Records. Après s’être retiré de la musique en 1963, il s’installa à Ullin dans l’Illinois comme charpentier. Redécouvert au début des années 1970 alors qu’il pêchait le catfish sur le Mississippi, Snooky Pryor a beaucoup tourné en Europe et enregistré notamment chez Blind Pig, Antone’s et Electro-Fi quelques unes des plus belles faces du blues contemporain. C’est à l’occasion d’une tournée européenne en octobre 1979 qu’il enregistra la présente session avec Homesick James pour Wolf, le label autrichien. L’accompagnent ici Hans Dujmic (g) et Fritz Ozmec (d). Quatorze titres dont cinq originaux composent cet album. Hannes Folterbauer, le boss de Wolf a su mettre en valeur la quintessence du jeu vif et direct de Snooky Pryor et la justesse du jeu de guitare de Homesick James, parfait accompagnateur et plus encore. La qualité sonore de cet enregistrement en public est à saluer. All My Money Gone donne le ton de l’album. Harmonica intimiste au phrasé aérien et guitare qui grince sont épatants. Snooky Pryor et Homesick James, en vieux briscards et compagnons de route en remettent une couche sur Homesick And Snooky’s Boogie, un titre Chicago blues pur jus qui fait se lever le public. I’m Gonna Cal Up My Baby est un des sommets de l’album ; Snooky Pryor insuffle à ce morceau une énergie rare et bouleversante. Dans Blue Bird Blues, il rend un hommage vibrant à son mentor John Lee Williamson. Break It Up, Baby est un boogie particulièrement suggestif. After You There Won’t Be Nobody Else interprété à la guitare slide par Homesick James avec en filigrane la voix rauque venue d’ailleurs de Snooky Pryor plonge littéralement dans les racines rurales. Émotion musicale garantie. Le traditionnel Big Road Blues repris en son temps par Tommy Johnson et jamais vulgarisé par Snooky Pryor est brillantissime. Parmi d’autres titres de valeur égale, Trouble In Mind interprété a capella et à l’harmonica prend aux tripes. L’album s’achève par une interprétation éblouissante et inédite de Work With Me. Ce duo légendaire a inspiré par son talent brut toute une génération de musiciens. Incontournable. – Philippe Prétet


Various Artists

Jack Ashford Just Productions Volume 2

Kent Soul CDKEND478
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Jack Ashford, percussionniste de jazz originaire de Philadelphie, est passé à la postérité après avoir intégré en 1962 les Funk Brothers, l’orchestre de studio d’innombrables enregistrements Motown à Detroit. Il ouvre par la suite sa maison, Just Productions Inc. dont les disques paraissent à l’époque (1968-1974) sur une multitude de petites marques. 24 titres sont réunis dont 11 inédits dans ce volume 2. La ligne musicale est la même que dans le premier opus publié il y a deux ans. C’est un patchwork réussi de jerks énergiques, de ballades puissantes ou langoureuses, de chansons sociales dans l’air du temps (First Depression et Air de Ray Gant & the Arabian Nights en 1974, parcourus de sonorités psychédéliques). Certains morceaux d’Al Gardner, Billy Sha-Rae eurent en leur temps les honneurs de sorties françaises en 45 tours sous étiquette Googa Mooga. Tout comme Eddie Parker dont le jouissif Can’t You See (What you’re Doing to Me) sonne proche des meilleurs moments du label Invictus. « Hotel Sheet », un obscur album de 1977, présente aussi Jack Ashford en leader pour ceux qui voudraient approfondir les recherches. Quant à la chanteuse Sandra Richardson, elle allait devenir Sandra Feva à la fin des années 70. – Dominique Lagarde


Sam “The Man” Taylor

Music With The Big Beat / Blue Mist

Jasmine Records JASM3104
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Ceux qui croient que le Blues n’est authentique que s’il permet à des guitaristes et autres harmonicistes d’occuper l’espace musical seront sans doute surpris en écoutant le premier thème. Bien sûr c’est du jazz et c’est plutôt de ce côté que penche cette réédition jubilatoire qui nous rappelle l’importance de la danse pour le public du Sud des grandes villes de l’Ouest et du Nord. Un petit mot en préambule pour vous dire qui était Sam Taylor. Côté CV, pas de souci, il a côtoyé les plus grands et fut souvent leur sideman : Louis Jordan, Buddy Johnson, Ray Charles, Ella Fitzgerald ou Big Joe Turner et participé à une foule de sessions. Il a joué aussi bien dans des bals de collège que sur la scène des festivals les plus prestigieux. The Big Beat nous entraîne vers les années 50 et la montée irrésistible du Rhythm & Blues sur fond de boom économique qui voit apparaît et se développer une middle class noire. Cette anthologie reprend une trentaine de faces enregistrées pour l’essentiel au milieu des années 50 et rassemblant des équipes très solides voire des jazzmen de premier plan comme le fantastique batteur Panama Francis. Sam’s Blues nous ramène au cœur du sujet. Sur un tempo nonchalant mais terriblement efficace, Sam nous prodigue une musique charnue sinon charnelle qui nous fait cligner des yeux pour tenter, dans la pénombre d’un cabaret maffieux de repérer quelques créatures tout droit sorties d’un polar de Chandler. Quel sax ! En écoutant tous ces morceaux, on a peine à citer tel ou tel tant leur qualité est homogène. En fait, nous avons affaire à un véritable document musical collant à son contexte culturel et social. C’est typiquement le CD qui va vous séduire un peu plus à chaque audition. C’est au fil du temps que l’on dépasse certains aspects parfois un peu « pittoresques » pour aller à l’essentiel : la combinaison d’une vigueur incendiaire (Taylor Made) avec une sensualité exacerbée (Harlem Nocturne). Le tout servi par un son d’enfer et un phrasé virevoltant. Mais bon sang qu’est-ce que vous faite là, plantés, à lire ma modeste prose, alors que vous devriez être déjà en chasse pour vous procurer ce CD sans délai ? – André Fanelli


Various Artists

Classic Blues Songs From The 1920’s Volume 16

Blues Images BIM-116

John Tefteller est fidèle à son rendez-vous annuel avec les amateurs pour les gratifier d’un superbe calendrier 2019 et d’un album de 23 faces, le 16è dans cette série. Ici, comme d’habitude, cohabitent des faces rares en meilleure qualité que ce qui était disponible auparavant et des faces dont l’existence était connue mais jamais retrouvées et que Teffteller redécouvre grâce à son flair, sa chance, ses moyens financiers et ses quêtes incessantes. C’est le cas de Winding Ball Mama et Snake Hipping Daddy, les deux toutes premières faces gravées par Papa Georges Lightfoot (hca/vo) en mai 1950 à Natchez, Ms, pour Sultan Records – mais restées introuvables – ce qui, soit dit en passant, est en contradiction avec le titre du recueil (faces des années 20) mais Tefteller prévient, il est maintenant de plus en plus à la recherche des faces post-war mythiques jamais rééditées et qui dorment quelque part dans des greniers et autres entrepôts poussiéreux et ils seront de plus en plus présents dans les albums à venir. On s’en réjouit ! Autres témoins du passé, les deux faces longtemps recherchées et enfin retrouvées de William Harris, une légende du Mississippi blues, I’m a Roamin’ Gambler et I Was Born In The Country – Raised In Town (10 oct. 1928, Richmond, Indianao pour la compagnie Gennett). Les fans de Charley Patton, comme moi, sont heureux de retrouver deux faces, Oh Death et Troubled ‘Bout My Mother, un chouïa plus audibles et débarrassées de quelques bruits de fond. Et il y a 17 faces de plus, re-mastérisées pour un confort d’écoute maximum permettant de redécouvrir Memphis Minnie et son bel hommage à Ma Rainey, les Beale Street Sheiks avec un test inédit (Jumping On The Hill) mais aussi Blind Lemon Jefferson, Jim Jackson, Blind Blake, Leola B. Wilson, Dad Nelson, Papa Charlie Jackson, Joe Williams, Sam Butler, Raymond Barrow, Lottie Kimbrough, Otto Virgial et Freezone. On rappellera, pour mémoire, combien le calendrier est somptueux, année après année, avec des photos rares, voire inédites, de musiciens/vocalistes, des reproductions de publicités Paramount que l’on croyait perdues depuis les années 20 mais qui ont été retrouvées de justesse dans les années 80 juste avant de finir dans une décharge ! (plus de quatre mille documents sauvés in extremis de la poubelle par deux journalistes de Port Washington, Wisconsin, la ville où opérait Paramount Records dans les années 20). Et plein d’infos sur des dates importantes, sur l’histoire des musiques africaines-américaines et sur les artistes. Tout l’un dans l’autre, que du bonheur ! – Robert Sacré


Same Player Shoot Again

Our King Freddie

Bonsai Music BON180901

À l’origine, le projet de faire un disque en hommage à Freddie King est une idée du guitariste Romain Roussoulière et du bassiste Max Darmon. Pour tenter l’aventure, ils décident de créer le groupe Same Player Shoot Again (clin d’œil aux flippers des années 70), et ils font appel à Vincent Vella au chant, Steve Belmonte à la batterie, Julien Brunetaud aux claviers, Loïc Gayot au saxophone et Jérome Cornelis à la guitare et au saxophone. Ces musiciens – parmi les plus brillants de l’Hexagone – sont très motivés pour travailler sur l’œuvre et le parcours de Freddie King. Dans l’histoire du Blues, Freddie est probablement le moins connu des trois King, mais aussi incontournable que les deux autres, B.B. et Albert. Décédé en 1976, il n’en reste pas moins l’artiste qui a le plus influencé Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton et Peter Green. C’est à partir de l’album « Burglar » – enregistré par Freddie en 1974 – que va se construire le projet « Our King Freddie ». Sur les quatorze titres de l’album, cinq sont des reprises issues de « Burglar », mais on retrouve aussi des grands succès de Freddie comme Hide Away ou I’d Rather Be Blind. C’est l’occasion aussi de faire revivre des morceaux que Freddie a beaucoup joués sur scène sans jamais les enregistrer, comme Ain’t No Sunshine ou Ghetto Woman. Voici donc le résultat du travail et des recherches de ces sept artistes qui nous donnent bien sûr l’envie de se replonger dans toute l’œuvre de Freddie King. – Robert Moutet


Various Artists

Studio One Freedom Sounds

Soul Jazz Records SJR CD 415
www.souljazzrecords.co.uk

Une grande partie du répertoire historique de la musique jamaïcaine est désormais dans le domaine public. De nombreuses compilations de ska, soul, rock steady, reggae sont à l’heure actuelle disponibles sous forme de double CD ou de coffrets. Celle-ci, un simple album de 18 titres est particulièrement intéressante dans la mesure où elle se concentre sur les travaux du producteur Coxsone Dodd. À l’échelon de l’île caribéenne, son importance peut se comparer à celle de Motown, Atlantic ou Stax pour la soul américaine. Le slogan n’était-il pas « The sound of young Jamaïca » ? Bob Marley, Peter Tosh, The Skatalites, Alton Ellis, Jackie Opel, Delroy Wilson, Ernest Ranglin et beaucoup d’autres ont franchi au début de leur carrière les portes de son studio. D’un ensemble très riche, émergent le superbe et obsédant Morning Sun des Gaylads ; les délicats Sunday Coming d’Alton Ellis, Contemplating Mind de Barrington Spence ou Love Me Girl de Leroy & Rocky, sous influence Curtis Mayfield and the Impressions. Dix ans avant celle beaucoup plus connue, enregistrée pour Rolling Stones Records, Peter Tosh livre ici une savoureuse première version de I’m the Toughest, parfait contrepied du I’m Your Puppet de James & Bobby Purify. Avec Look Who is Back Again, Slim & Delroy illustrent le style Rude boy. Sans surprise, Jackie Opel est le chanteur le plus soulful, le plus proche des soulmen US. Le guitariste Ernest Ranglin s’aventure avec bonheur aux confins du psychedelic rock. Les instrumentaux(ou semi) des Skatalites, de Roland Alphonso, de Jackie Mitoo complètent le tout. Les amateurs du genre seront sans doute déjà en possession de ces titres, mais la présentation est soignée et bien documentée, comme c’est toujours le cas chez les britanniques de Soul Jazz Records. Pour les autres, une belle découverte les attend. – Dominique Lagarde


Art Ensemble Of Chicago

Les Stances à Sophie

Soul Jazz Records SJR CD418
www.souljazzrecords.co.uk

Ce superbe album fut enregistrée au cours de l’été 1970 dans les studios Pathé Marconi de Boulogne-Billancourt à la demande du metteur en scène Moshe Misrahi. Ce dernier, proche de la formation, avait demandé aux musiciens de composer la musique de son prochain film intitulé « Les Stances à Sophie », long métrage interprété entre autres par Bernadette Laffont et Michel Duchaussoy. L’Art Ensemble, qui résidait alors principalement en France à cette période, nous délivre comme à son accoutumée une formidable session avec, comme point d’orge, le Theme de Yoyo qui, sur une durée de neuf minutes, met en valeur toutes les figures légendaires de l’avant-garde à savoir Lester Bowie, Don Moye, Roscoe Mitchell, Malachi Flavors, Joseph Jarman, mais aussi la chanteuse Fontella Bass (l’épouse de Lester Bowie) qui est ici à des années lumières de son succès Rescue Me, mais qui est parfaitement à son aise aux côtés des autres pointures. Le label Soul Jazz Records réédita une première fois cette pièce maîtresse au cours de l’année 2000 ; il récidive à nouveau aujourd’hui en nous proposant une nouvelle remastérisation. Groupe mythique et légendaire, L’Art Ensemble Of Chicago, comme d’habitude, tutoie les anges avec ses compositions qui rassemblent le Free Jazz et les racines du continent africain, allant toujours plus loin dans l’expression de la diversité de la musique afro-américaine. Du grand “Art”. – Jean-Luc Vabres


The Jagger Botchway Group

Odze Odze

Cultures of Soul COS 016 CD

Jagger Botchway est un chanteur et musicien ghanéen dont le véritable nom est Richard Neesai. Sans surprise, la première partie de son pseudonyme vient de la passion qu’éprouvaient adolescents, son frère et lui pour les Rolling Stones. Car on trouve trace de ses premières prestations dès 1967. Membre du Hedzoleh Soundz puis du Kelenkye Band, il tourne ensuite aux States avec le trompettiste Hugh Masekela. Il devient une légende du highlife ghanéen, multipliant les participations (sous d’autres identités encore) un style qui fait le lien entre jazz, afrobeat, musique traditionnelle et productions à la James Brown. Il est difficile de dater exactement ces enregistrements en langue ghanéenne, présentés comme inédits, sans doute gravés dans la première moitié des années 80. À ce titre, aucune info dans les notes de la jaquette et la mise en page de l’interview contenue est un peu confuse, questions et réponses n’allant pas toujours de pair… Néanmoins, il demeure une œuvre utile de 12 titres, d’un artiste volatile, assortie de remixes, ressortie par le label Cultures of Soul et qui réjouira les amateurs du genre. – Dominique Lagarde


Brown Sugar

I’m In Love With A Dreadlocks

Soul Jazz Records SJR CD 420
www.souljazzrecords.co.uk

Pour m’être intéressé, (de trop loin sans doute) à la scène reggae british, fin des années 70 début des années 80, j’avoue être passé complètement à côté de ce trio vocal féminin. Le spécialiste anglais S. Baker en fournit une explication : à la différence de groupes émergents à l’époque, tels Aswad, Misty in Roots, Black Uhuru ; Brown Sugar n’a jamais bénéficié de la publication d’un album. Et même si ses 45 tours se sont installés dans les charts reggae, leur impact au-delà de l’Angleterre s’en est trouvé limité. Pauline Catlin, Caron Wheeler et Carol Simms ont illustré de leurs voix angéliques entre 1977 et 1980, le lover’s rock, cette forme de reggae un peu doucereuse, du moins sur la forme. Car sur le fond, leurs textes savent se montrer revendicatifs (Black Pride). Une reprise du Hello Stranger se fait entendre, une autre des Impressions, I’m So Proud. La fierté de faire partie d’une minorité est un thème récurrent. Quelques effets électroniques sont bien symptomatiques de l’époque, et puis un changement s’amorce avec le dernier morceau, Confession Hurts, dans lequel pointe l’importance du dub. Lover’s Rock est aussi le nom du label britannique qui les a publiées. Après Brown Sugar, Pauline Catlin a quitté le monde de la musique, Carol Simms s’est produite sous le pseudonyme de Kofi et Caron Wheeler est celle qui a rencontré le plus grand succès au sein du groupe Soul II Soul. – Dominique Lagarde


Blues, Féminisme et Société
Le Cas Lucille Bogan

Christian Béthune

Éditions Camion Blanc

Christian Béthune est philosophe de formation. Il s’intéresse aux musiques afro-américaines depuis des lustres. Jazz, blues et rap n’ont pas de secrets pour lui. Aussi écrit-il sur ces sujets avec un œil de philosophe et une oreille de musicologue. Il a étudié Charles Mingus et Sidney Bechet (éditions Parenthèse), souligné les nombreux contresens du philosophe Adorno sur le jazz (‘Adorno et le jazz’ éditions Klincksieck 2003) et disserté sur l’esthétique du rap (éditions Autrement et Klincksieck). Il s’attaque maintenant à une grande dame du blues malheureusement sous- estimée : Lucille Bogan. Christian Béthune a donc écouté les 67 chansons disponibles gravées par la chanteuse. Sous l’invocation de Saint Jérôme, il les a toutes traduites et analysées à l’aide de la sémiologie, la philosophie et, surtout, l’histoire de la culture afro-américaine. De ce vrai travail de critique littéraire est né « Blues, féminisme et société, le cas Lucille Bogan ».
Ne vous attendez pas à trouver là une biographie de Lucille Bogan ; une fois le livre refermé, vous n’en saurez pas plus sur la vie de la chanteuse, mais aurez beaucoup appris sur sa personnalité et le monde dans lequel elle vécut grâce à ses talents d’auteur de chansons. Lucile Anderson naquit à Amory, Monroe County, Mississippi, le 1er avril 1897. Vers 1910, elle s’installe à Birmingham, Alabama. En 1916, elle épouse un employé des chemins de fer, Nazareth Lee Bogan. Elle vécut à Birmingham jusqu’à son départ pour la Californie dans les années 1940. Elle y épousa un homme de vingt ans son cadet et mourut à Los Angeles le 10 août 1948. Son fils fut interviewé en 1979 par Bob Eagle pour la revue Living Blues. Mais peu au courant des faits et gestes de sa mère, il ne nous éclaira pas sur cette formidable chanteuse, dont il n’existe aucun témoignage de ses prestations sur scène. On découvrit qu’elle apportait une attention particulière à l’écriture de ses blues. Elle s’imposait un long travail de mise au point avant d’aller enregistrer à Chicago puis New York. Elle jouait, semble-t-il, elle-même du piano. Ses compositions ne sont donc pas des centons de clichés du blues. Elle utilise rarement quelques vers ou bribes de strophes d’autres bluesmen ou blueswomen. L’écriture très crue, brutale, sans aucune inhibition ni concession, de Lucille Bogan, décrit un monde peu réjouissant : alcoolisme, prostitution, contrebande, jeu illégal, « un monde glauque de marginalité et de déviance que l’artiste semble bien connaître » (Cristian Béthune). Mais nous n’avons aucune preuve que Lucille Bogan se prostitua, trafiqua l’alcool de grains ou fut lesbienne, comme certains l’ont affirmé à l’écoute de ses chansons.
Lucille Bogan fut une observatrice avisée de la vie des Afro-américains au temps de la terrible crise de 1929 à Birmingham, surnommée « Magic City » par les promoteurs immobiliers. Cette ville, créée en 1871, va devenir un grand centre sidérurgique attirant ainsi de très nombreux travailleurs afro-américains. Ces derniers, très mal payés, sont condamnés à vivre dans les quartiers insalubres les plus exposées à la pollution industrielle avec des fumées et des poussières toxiques. Ce qui fit dire à Martin Luther King, plus tard, que Birmingham était la ville la plus ségréguée d’Amérique. La croissance démographique explosive de Birmingham attira de très nombreuses prostituées. Lucille Bogan décrit leurs vies, dresse les portraits de quelques-unes de ces femmes, non pour faire l’apologie de la prostitution – comme une écoute peu attentive le laisserait supposer – mais pour dénoncer les terribles conditions de vie des Afro-américaines à « Bad Birmingham ». « La chanteuse se contente de mettre en scène avec un réalisme sans concession, et dans un langage particulièrement cru, un quotidien turpide que ses narratrices subissent et à la fois provoquent » écrit Christian Béthune. Les femmes de Lucille Bogan ne sont pas des victimes soumises du destin. Elles ont choisi librement leur mode de vie. Domestique, prostituée ou artiste de music-hall étaient les seules voies d’émancipation possibles pour une femme noire de cette époque. « Elles ne subissent pas de manière passive les vicissitudes de l’existence » (Christian Béthune). Elles sont actrices de leurs terribles existences. Aucune soumission chez elles. Elles choisissent librement leurs amants ou maîtresses. Quand elles sont abandonnées, elles ne pleurnichent pas sur leur sort et vont récupérer leur amour rasoir en main. Le féminisme de Lucille Bogan est bien plus radical que celui de Bessie Smith et Ma Rainey, étudié longuement par Angela Davis (« Blues et féminisme noir » éditions Libertalia). Peut-être est-ce dû au fait que la plupart des chansons de ces deux grandes dames furent écrites par des hommes. Chez Lucille Bogan, c’est le point de vue féminin qui domine. La sexualité est politique. Elle n’est pas une amuseuse de “barrelhouse” interprétant des chansons aux paroles salaces. Ses textes percutants mettent à nu l’hypocrisie des bien-pensants de la classe moyenne noire émergente. Gardons-nous de prendre pour argent comptant tout cet étalage d’obscénité, de turpitude, de pornographie même. Christian Béthune nous incite à considérer l’écriture artistique de Lucille Bogan comme un vecteur d’idées féministes : « [elle] revendique l’autonomie au nom d’une égalité à la fois ontologique et existentielle des genres, et cela pour le meilleur (planifier sa vie, gagner et dépenser son argent) comme pour le pire (être capable d’ingurgiter des quantités de gnôle phénoménales, se montrer violente » (p.241) Lucille Bogan affirme sa fierté d’être une femme noire, sa « négritude » : « I’m sealskin brown » (Pig Iron Sally), « Call me chocolate brown » (That’s What My Baby Likes). Elle se décrit sans concession : « gros ventre, gros cul bien large, bien grasse avec de la chair qui ballote sur les os ». Le but est de dénigrer les femmes noires qui veulent imiter les canons occidentaux de la beauté. Par son goût pour la liberté et le sentiment d’être l’égale de l’homme, elle est une femme très moderne au message réveilleur d’esprits endormis.
L’obscénité est une des caractéristiques du langage utilisé par les Afro-américains (dirty dozens, hokum…). Lucille Bogan va très loin dans l’usage qu’elle en fait. Il faudra attendre l’avènement du rap américain pour retrouver un discours aussi extrême. Je doute que les premiers rappeurs aient connu les chansons de Lucille Bogan et en particulier les sommets de la pornographie que sont Shave’Em Dry et Till The Cows Come Home que Christian Béthune analyse longuement. Lucille Bogan a-t-elle improvisé ces deux chansons longtemps inédites pour les techniciens du studio et quelques amis, comme le pensent de nombreux critiques ? Pour Christian Béthune, l’écriture soignée réfute cette interprétation. Remarquez qu’elle fut la première à graver le mot « fuck » sur disque. Lucille Bogan (Bessie Jackson) s’est exprimée sur un sujet rarement abordé avant elle, à l’exception de Ma Rainey et Bessie Smith. Sa tentative hardie a réussi grâce à son audace, sa capacité d’invention et une rare maîtrise d’écriture. Ainsi son œuvre n’est-elle pas qu’une simple curiosité historique. Elle est même tout le contraire. Le message fort sur l’égalité homme-femme, la fierté d’être noire, font de Lucille Bogan – aux côtés de Ma Rainey et Bessie Smith – une championne du féminisme afro-américain. Son message mérite d’être réétudié et réévalué. C’est ce que fait, avec brio, l’ouvrage parfois provocateur de Christian Béthune. – Gilbert Guyonnet


Blues en 150 Figures

Philippe Thieyre

Éditions du Layeur

Beaucoup d’entre ceux qui, comme moi, fréquentaient déjà la Librairie Parallèles à Paris entre 1980 et 2006, ont croisé Philippe Thieyre (il y était disquaire). De 1996 à 2014, il a animé les émissions Alternatives puis Addictions sur France Inter et, depuis 1994, il écrit des articles et chroniques dans Rock & Folk. C’est en passionné de la musique du Diable et en amoureux des disques vinyles qu’il a entrepris la rédaction de ce livre conséquent présentant 150 figures du Blues réparties en cinq chapitres correspondant à des périodes et mouvements historique de 1920 à nos jours : Les premiers enregistrements de blues (jazz, classic women et country blues), Shouters et jump blues, Blues moderne, British blues, Variations sur le thème du Blues. On peut avoir deux lectures de ce type d’ouvrage. L’une critique, car la sélection de 150 portraits dans un univers aussi divers que celui généré par cette musique implique forcément des « oublis » qui paraîtront fondamentaux à certains. On peut par exemple regretter l’absence de certaines grandes figures du country blues ou l’impasse dans le Blues d’après-guerre d’acteurs essentiels des collines du Nord du Mississippi fondateurs de tout un pan musical ou encore de musiciens comme Big Jack Johnson. Idem si l’on s’intéresse de près au Blues de la Côte Ouest ou à celui de Chicago, des musiciens encore vivants comme Lurrie Bell devaient-ils être passés sous silence au profit d’un chapitre plus que généreux sur le British Blues ? Pourquoi Bill Deraime n’apparaît-il pas dans un chapitre – aussi restreint soit-il – sur le blues hexagonal ? C’est là toute la difficulté de réalisation de ce genre d’ouvrage. C’est pourquoi j’ai – quant à moi – une lecture « tolérante » pour plusieurs raisons. Tout d’abord car l’entreprise (immense) mérite le respect ; il s’agit d’un énorme travail dans lequel l’exhaustivité est de toute manière mission impossible. Ensuite, parce que les « néophytes » ou les amateurs qui voudraient créer une discothèque blues à base de disques vinyls trouveront inévitablement leur bonheur dans ce livre : il semble avant tout fait pour eux. Ce bouquin peut être une aide précieuse, car chaque musicien choisi bénéficie d’un portrait en image avec un texte biographique intéressant, des notes pertinentes accompagnant une sélection d’albums clés. On sent la passion et l’érudition de Philippe Thieyre. Le livre est dense, de grande qualité et pourrait être un cadeau de Noël idéal. – Marcel Bénédit