Chroniques #65

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Kenny “Beedy Eyes” Smith & The House Bumpers

Drop The Hammer

Big Eye Records BE0005 – www.bigeyerecords.com

Produit par ses soins, cette exemplaire session nous dévoile une fois encore un Kenny Smith au sommet de son art. Pour ce nouvel opus aux sonorités contemporaines, le batteur a su s’entourer d’une formidable équipe, puisqu’au fil des titres nous retrouvons à ses côtés : Sugar Blue, Oscar Coleman, Guy King, Billy Flynn, Greg Guy (le fils de Buddy), Felton Crews, Ari Sadler et Nelson Strange. Les douze compositions originales sortent toutes des sentiers battus et évitent avec intelligence et maturité les éternels poncifs du Blues, pour aborder ici des textes finement ciselés qui mêlent habilement plusieurs styles de la musique afro-américaine. Hey Daddy  en est le parfait exemple, sur un tempo enlevé, nous retrouvons dans les chœurs les enfants du célèbre batteur, à savoir : Mae, Clare et Teddy Smith qui s’en donnent à cœur joie. Le morceau Head Pounder qui ouvre l’album est un savant condensé du Blues hypnotique du Mississippi et de riffs à la guitare qui ont fait les heures de gloire du South Side de la Windy City. Dès son plus jeune âge, Kenny Smith a rencontré à domicile les plus grands noms du Blues qui ont laissé sur son éducation musicale de multiples traces indélébiles, c’est une évidence à l’écoute des titres proposés. Superbement entouré par ses musiciens et amis, tout ce beau monde est à l’unisson derrière cet enthousiasmant nouveau projet dont Kenny Smith est l’architecte. Nous avons à faire à un formidable CD de Kenny “Beedy Eyes” Smith qui, tout en respectant la musique de ses illustres maîtres, trouve ici le chemin de la maturité pour nous délivrer une œuvre majeure. – Jean-Luc Vabres


Leo Bud Welch

The Angels in Heaven Done Signed My Name

Easy Eye Sound EES-007 – easyeyesound.com

En juin 2013, le club Ground Zero à Clarksdale, Ms, annonçait fièrement le premier concert de Leo “ Bud” Welch, un jeune homme de 81 ans… venant de Bruce, Mississippi. Peu de temps après, on découvrait son premier CD sur Big Legal Mess (filière de Fat Possum), alors unanimement accueilli par la critique et les amateurs. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Leo “Bud” a beaucoup voyagé aux US et outre-Atlantique pour prêcher la bonne parole, jouant son gospel-soul-blues partout avec la même ferveur. Ce nouveau CD nous montre que, depuis une première rencontre à Crissier pour le Blues Rules en 2014 puis l’interview qui s’ensuivit avec JP Urbain en 2014 dans le Mississippi (ABS n°43), il n’a pas pris une ride ! Les dix titres présentés ici sont des traditionnels revisités à la sauce Leo Welch avec une voix, une orchestration et une atmosphère qui n’appartiennent qu’à lui. Impossible de mettre en avant un titre plus qu’un autre tellement l’ensemble est excellent, avec un groupe qui a tout compris de l’univers de “Bud”. Si les traditionnels Don’t Let The Devil Ride ou Let It Shine ne peuvent laisser indifférents, la palme du frisson revient néanmoins – me concernant – à I Want To Be At The Meeting, interprété de manière magistrale. Vous avez raison Mr Leo “Bud” Welch : « Le Bon Dieu reconnaîtra les siens ! »… – Marcel Bénédit


Eli “Paperboy” Reed

99C Dreams

Yep Roc Records YEP 2640 – elipaperboyreed.com

Plus de dix ans après sa découverte, Eli Paperboy Reed conserve l’enthousiasme de ses débuts dans ce sixième album, le troisième pour la marque Yep Roc, dans une veine soul pop efficace et entraînante. De quoi sont donc faits ces rêves à 99 cents qui donnent leur titre à l’album ? Du bonheur simple et futile de trouver dans un entrepôt de produits bon marché la perle qui vous rendra plus heureux(se) qu’un article de luxe payé au prix fort. Ces petites perles sont-elles aussi ces chansons courtes et bien tournées que l’on entend ici ? Douze originaux d’excellente facture entre soul et rock, dont cet excellent showman a le secret. Mention à Trying, funky en diable ou au jovial A New Song. Enregistré au Sam Philips Studio de Memphis avec le soutien de Michael Montgomery (basse), Jay B. Flats (claviers), Ken Coomer (batterie), l’album peut aussi compter sur la présence de ces choristes de luxe que sont le groupe vocal les Masqueraders. – Dominique Lagarde


Benny Turner and Cash McCall

Going Back Home

Nola Blue Records NB007

Ce disque est le résultat des retrouvailles touchantes de deux amis qui s’étaient perdus de vue depuis longtemps. Une amitié de plus soixante ans est indestructible. Le hasard du décès du chanteur de gospel Clay Graham des Pilgrim Jubilees a catalysé le rapprochement du bassiste texan Bennie Turner – jeune frère de Freddie King, installé à La Nouvelle-Orléans – et du guitariste Cash McCall (Morris Dollison Jr) qui vit maintenant à Memphis. Les deux hommes n’avaient jamais joué ensemble auparavant, ni dans un même orchestre, ni sur une scène. Leurs chemins s’étaient croisés au gré de leurs pérégrinations dans les divers clubs des South et West Side de Chicago. Ils ont décidé de rattraper le temps perdu, un petit peu dans l’urgence, Cash McCall étant soigné pour un cancer du poumon. Pour ce « Going Back Home », enregistré dans les studios Ecko de Memphis, mais aussi à La Nouvelle-Orléans et à Chicago, les deux vieux messieurs ont sélectionné les chansons que des pollens de son ont déposées en eux. Ils les ont jouées dans leur folle jeunesse. Billy Branch, harmonica et chant sur Bring It On Home, Johnny Sansone (lui aussi harmoniciste), Joe Krown et son piano et Rodd Bland, fils de Bobby Blue Bland, à la batterie, sont venus leur prêter main-forte. Tout au long de l’enregistrement, Benny Turner joue de la basse (et de la guitare sur Spoonful et The Dirty Dozens) et McCall est le guitariste rythmique. Ils interprètent, seuls, à tour de rôle, les chansons de leur choix ; ils chantent en duo sur It Hurts Me Too, une grande réussite du disque enjolivée de l’harmonica de Billy Branch. Got To Find My Baby, un hit d’Harold Burrage (1965 pour m-pac!) sur lequel jouait Cash McCall, ouvre le disque en fanfare : cuivre, choristes (The Turner Sisters, les trois filles de Benny Turner), duo vocal de Benny Turner et sa fille Carla. Cash McCall réussit son interprétation de Spoonful, peut-être choisi parce que Freddie King affirma avoir participé à l’enregistrement de Howlin’ Wolf en 1960. On découvre des reprises de Poison Ivy, Shake Your Moneymaker, It’s A Man Down There, The Dirty Dozens et Built For Comfort. Cash McCall a apporté la seule chanson originale du disque : il a composé Money, un sermon blues qui dénonce l’argent « source de tous les maux ». Même s’il n’est pas d’une grande originalité, ce CD est très réussi. L’amitié entre les deux artistes transpire. Ils trouvent le groove parfait pour chacune des reprises. Les œuvres musicales ne valent ni par le genre, ni par les idées, ni par la forme, mais par la vie personnelle qu’y met leur créateur et par leur vérité. Benny Turner et Cash McCall ont mis beaucoup d’eux-mêmes et d’amour dans ce disque très recommandé. – Gilbert Guyonnet


Alexis Evans

I ‘ve Come a Long Way

RKX070LP

Difficile de trouver un défaut à ce nouveau disque d’Alexis Evans et à sa Soul résolument assumée. On saluera ainsi cette maturité vocale qui permet toutes les audaces, ce dès le morceau d’ouverture : ça commence fort avec She Took Me Back et ces montées terminales et le moins qu’on puisse dire est que la suite est à l’unisson. La « tourne » élastique des morceaux semble toujours placer le bpm idoine au juste instant. Dans ces conditions, dire que la rythmique Bo/Perez rend les pieds heureux, que le clavier de Damien Daigneau est toujours opportun et que la section de cuivres est toute aussi percutante que les chœurs frise l’euphémisme. But I Do parait sortir d’un 45 tours des années 60 mais pas que : il y a dans ce rétroviseur assumé jusque dans les coupes des costumes de scène un côté résolument moderne. La guitare tranchante et lacérée peut regarder en arrière, elle ne se projète pas moins dans ce présent de gare Saint-Jean si bien décrit dans le clip de Julien Dubois sur I Made A Deal With Myself. Ralentir le pas dans le tumulte ambiant est assurément une bonne recette de musique actuelle. – Stéphane Colin


Pastor Donald Gay

On A Glorious Day

The Sirens Records SR5027 – www.thesirensrecords.com

Le label de Chicago dont nous avons dit au fil des années le plus grand bien au regard de ses productions, continue une nouvelle fois sur le chemin de l’excellence. Le sympathique Steven Dollins – le boss du label – connait mieux que quiconque la scène sacrée de la Windy City, tout comme celle dédiée à la « musique du Diable ». Pour ce millésime 2019, nous avons droit à une double sortie : deux CD qui vont régaler de nombreux amateurs, à commencer par celui du Pasteur Donald Gay qui signe ici son deuxième album pour The Sirens Records. Ce dernier à dédié toute sa carrière à la Church Of God In Christ qu’a fondé sa mère, Fannie Gay, en 1959. Le Gospel était une affaire de famille, ses trois sœurs Evelyn, Mildred et Geraldine, étaient connues sous le nom des Gay Sisters Trio, elle enregistrèrent de 1948 à 1973 pour de nombreuses compagnies dont Savoy, Decca et Chess. À leurs côtés, le jeune Donald se produisit lors du concert au Carnegie Hall, mais quelques années plus tard il choisit de mettre en avant son travail au sein de sa congrégation plutôt que de fréquenter les studios d’enregistrements. Le bon pasteur avait précédemment enregistré en 2007 aux côtés de sa sœur Geraldine (Soulfull Sounds – SR5016), une superbe session. Nous le retrouvons ici avec 13 magnifiques morceaux plus une interview de 30 minutes dans laquelle il nous fait partager sa passion pour la musique sacrée, mais aussi celle pour son ministère. Grâce à sa voix profonde, il est assurément l’un des tout derniers artistes encore en activité en provenance directe de l’Âge d’Or de la scène gospel de Chicago. Une formidable réalisation. – Jean-Luc Vabres


Elsa Harris

I Thank God

The Sirens Records SR5026 – www.thesirensrecords.com

La pianiste Elsa Harris délivre dans cet album 13 compositions instrumentales ainsi qu’un titre chanté, Looking For Trouble, qui est un Blues pur jus. Son parcours artistiques est éloquent : de 1965 à 1980, elle accompagne les Thompson Community Singers, elle travaille également avec le Révérend Milton Brunson et le regretté Jessy Dixon, dont elle reprend ici son fameux Wicked Shall Cease From Their Troubling. Elle participe aussi, en tant que choriste, aux sessions de Minnie Riperton et Phil Upchurch publiées par Chess/Cadet Records. Plus proche de nous, elle se produit chaque année en Suède et enseigne dans divers établissements comme la Learn Charter School. Nous avons droit à un album de haute volée, la maîtrise de son art est parfaite, elle  donnera des frissons tous ceux qui aiment le Gospel avec des clins d’œil appuyés vers la Soul et le Blues. Coup de chapeau à Richard Gibbs qui est à l’orgue et à Curtis Fondren à la batterie, tous deux sont à l’unisson derrière Elsa Harris, il faut dire que ce trio se connait et se fréquente depuis de nombreuses années.  Saluons comme il se doit une artiste exceptionnelle qui nous offre un magnifique album. – Jean-Luc Vabres


Lee Fields and the Expressions

It Rains Love

Big Crown Records 067 – bigcrownrecords.com

Après une déjà longue carrière de près de cinquante années, Lee Fields serait-il le soulman du moment ? Ce cinquième album avec ses musiciens (The Expressions) donne une musique chaleureuse, sans violences, baignant dans une atmosphère un peu planante à laquelle il faut que l’oreille se fasse, mais qui donne beaucoup de plaisir. De l’amour, beaucoup d’amour, peut-être un peu trop : It Rains Love, c’est un peu collant, on aimerait un peu d’agressivité et des musiciens qui s’expriment plus, plus dynamiques. Mais Lee Fields est là, c’est un grand chanteur qui est un reflet de son époque, et sa vision musicale est convaincante. Il faut l’écouter et pénétrer sa musique pour en être récompensé. – Marin Poumérol


Delta Moon

Babylon Is Falling

Jumping Jack Records –  www.deltamoon.com 

Delta Moon est un quartet d’Atlanta, Géorgie, centré sur Tom Gray (chant, lap steel guitare, claviers, harmonica) et Mark Johnson (guitaret, chant) avec un répertoire de Delta blues, de Gospel, de Soul et de Southern rock. Ils ont remporté l’International Blues Challenge à Memphis en 2003 et glané un paquet d’autres prix par la suite. Ici, on a leur dixième album avec cinq compositions originales et six reprises. Cela démarre en fanfare avec Long Way To Go composé par Tom Gray sur le canevas d’un work song avec appel-réponse, en médium et avec slide guitar. Le Gospel est présent avec une version de Nobody’s Fault But Mine en slow – bel hommage à Blind Willie Johnson – et avec une version saccadée, en medium, de Babylon Is Falling, l’hymne bien connu de la secte des Shakers. Skinny Woman est emprunté à R.L. Burnside et l’inquiétant Somebody In My Home à Howling Wolf ; ces versions sont très réussies, bien plus que le One More Heartache de Marvin Gaye, trop mièvre, tandis que Louisiana Rain, de Tom Petty – une ballade au ton suranné – passe un brin mieux la rampe. On retiendra aussi le boogie d’excellente facture One Mountain At A Time, de même que Christmas Time In New Orleans, swampy et hypnotique à souhait. – Robert Sacré


Nick Schnebelen

Crazy all By Myself

Vizztone Label Group VT-NSB-03 – www.vizztone.com

En 1989, lors d’un premier séjour à New Orleans, j’avais assisté à un concert de Georges Porter et de Leo Nocentelli au feu Jimmy’s. Dans ce décor de vieux club suranné, juste en face de la gare des tramways de la ville, on avait pu prendre en compte toute la puissance scénique que pouvaient dégager la musique du bassiste et du guitariste des Meters. Au clavier, un jeune Anglais installé depuis quelques mois à Nola faisait plus que tirer son épingle du jeu. Jon Cleary – puisque c’est de lui dont il s’agissait – faisait équipe ce soir là avec un jeune batteur dont le groove n’était pas pour rien dans la réussite de la soirée. Pendant longtemps, le nom de ce musicien m’était resté inconnu. Ce n’est que lors d’un entretien récent avec Jon Cleary que le nom de Tony Braunagel fut évoqué. Robert Cray, Bonny Raitt, Taj Mahal et le Phantom Blues Band, Curtis Salgado… Une liste longue et non exhaustive qui se complète ici avec la production du disque du chanteur guitariste Nick Schnebelen. La présence du batteur pèse sur chaque note, chaque instant. Par ce biais, entouré par quelques menbres du Phantom Blues Band, l’artiste réalise un disque important dans sa carrière, un peu à l’instar de ce que Tony et le Phantom Blues Band avaient réalisé avec Curtis Salgado dans « Clean Gateway » (Shanachie 2008). Toujours jeter une oreille quand Tony est dans le coin pourrait être un conseil de bon aloi. – Stéphane Colin


Willie Farmer

The Man From The Hill

Big Legal Mess BLM0559 / Music Maker Relief Foundation
biglegalmessrecords.com

C’est en 2017, à presque 60 ans, que “Little” Willie Farmer, mécanicien auto de métier, accepte d’enregistrer un premier album sur le label autrichien Wolf Records (« I’m Coming Back Home »). Cet enregistrement acoustique met en valeur sa voix issue du Gospel et un jeu de guitare simple mais efficace, ce qui aura pour conséquence de mettre ce musicien jusqu’alors inconnu dans la lumière des médias et d’accrocher l’oreille de Tim Duffy qui, par le truchement de sa Music Maker Relief Foundation, l’aidera à se produire sur scène. Willie Farmer présente aujourd’hui son deuxième CD sur le label Big Legal Mess (filière de Fat Possum) de Bruce Watson qui, lui non plus, ne s’est pas trompé quant aux qualité de cet artiste. On change de registre par rapport à son premier opus – un peu « en-dedans » – avec, cette fois, une splendide session enregistrée avec un « vrai » groupe au Sonic Sound Studio de Memphis. On y retrouve entre autres les guitares de Jimbo Mathus et de Will Sexton, ou encore l’excellent drummer George Sluppick, tous semblant prendre un plaisir fou à participer à l’aventure (écoutez First Full Of Dollars…). Né à Duck Hill, Mississippi, en limite du Delta, Farmer a hérité de toute la culture blues du nord-ouest du Mississippi si dense historiquement en talents, mais avec un accent gospel en toile de fond comme un fil rouge dans la voix. Les dix titres de l’album sont d’égale et excellente valeur : un album de Mississippi blues contemporain de haute tenue et réjouissant, avec un son inimitable parfois bien « crade » comme on aime et des rythmes lancinants (Come Back Home). – Marcel Bénédit


Dany Franchi

Problem Child

Station House Records – www.stationhouserecords.com

Né en 1990 à Gênes en Italie, Dany Franchi est un jeune chanteur guitariste très marqué par le Blues texan et californien. Après deux albums publiés sous le nom du Dany Franchi Band, il franchit un pas vers la reconnaissance solo. Enregistré en février 2017 à Austin, Texas, ce disque est produit par Anson Funderburgh, dont on sent la patte sur plusieurs chansons comme You Don’t Want Me. Dany Franchi aime faire tomber de sa Fender 13 des notes éparses et en cascade. Il sait aussi émouvoir au long de belles ballades ou rendre hommage à quelques maîtres incontestés tels Eddie Taylor, Freddie King ou Magic Sam. Bon chanteur, toujours plein de feeling et de retenue dans ses chorus (Wanna know), Dany Franchi se construit patiemment une belle carrière, soutenu par quelques pointures comme le batteur Wess Starr (Funderburgh, Jimmy Vaughan), Jim Pugh, clavier de Robert Cray et le bassiste Nate Rowe. – Dominique Lagarde


Mighty Mike Schermer

Bad Tattoo

Finedog Records FD61041/ Vizztone Label Group – www.vizztone.com

Septième album pour Schermer qui a invité quelques guests de renom et qui assure brillamment à la guitare et, chapeau, il a composé les 12 faces de cet opus. Mais comme chanteur, pour son répertoire, il est desservi par une voix un peu légère de rocker ; par contre elle convient bien dans le rock ’n roll How Much Longer et dans des ballades comme I Can’t Let It Go. En outre, il sacrifie à une mode que je réprouve (et cela n’engage que moi !) en utilisant des chœurs – autant je trouve cela on ne peut mieux adapté dans le black gospel, autant je trouve qu’en blues et R&B cela peut parfois donner un côté mièvre. Aurait-il adopté cette pratique au contact de pointures qu’il a accompagnées lors de sa longue carrière comme Elvin Bishop, Bonnie Raitt, Charlie Musselwhite, Angela Strehli, Maria Mudaur, Howard Tate, Pinetop Perkins et bien d’autres sans oublier Marcia Ball (il fait partie de son band et a enregistré avec elle) ? Ces réserves mises à part, il faut dire que cet album est riche en passages plaisants, comme le bien enlevé She Won’t Be Coming Back avec Eric Bernhardt au sax baryton et de belles parties de guitare (Schermer) ; il y a aussi Bad Tatoo, un jump blues où les saxophonistes sont à l’honneur. Notons encore Baby Down The Well en médium avec Aki Kumar à l’harmonica, Kid Andersen à la basse et Bob Welsh au piano. De son côté, le guitariste Chris Cain intervient dans Suffocating Love et il tient le piano dans Ain’t That The Way Love Goes ?, tandis que Rick Estrin (hca) opère dans Stop Looking For Love, une ballade bluesy en slow. – Robert Sacré


The B.B. King Blues Band

The Soul of a King

Ruf Records 1268 – www.rufrecords.de

Le concept ne m’a jamais enthousiasmé. Il était déjà présent dans le Jazz depuis des lustres avec une pléïade d’orchestres fantomes où il me semblait parfois que des veuves éplorées ou des familles avides vendaient le nom de leur défunt devenu une simple appelation commerciale. Ainsi, le novice croit se rendre à un concert de Count Basie et écoute des musiciens mercenaires dont aucun n’a eu le moindre rapport avec les illustres sidemen du Count… En matière de Blues, on a surtout pratiqué les disques d’hommage à tel ou tel géant disparu. Vu l’abondance de nécrologies, ça laisse un grand choix aux compagnies ! Ce disque pouvait être un moyen de ranimer la flamme, mais aussi de refaire tourner les tiroirs caisses et les carte de tout poil… Pour mon goût, ce type de CD n’offre que rarement de vraies réussites par exemple à la hauteur des meilleurs enregistrements de l’inspirateur. Qu’en est-il de celui qui nous occupe ? À l’écoute, il n’est pas si mal. Il est clair qu’il est pour certains des musiciens un acte d’amour tout à fait respectable. Russel Jackson est sans conteste un excellent musicien capable de diriger un groupe. Ce n’est pas un grand chanteur et il s’époumone vainement, nous faisant réaliser combien les nuances sont importantes. B.B. était un maître en la matière ! Joe Louis Walker tire mieux son épingle du jeu, porté par un jump blues tranquille qui lui offre l’occasion de se promener gentiment au fil des grilles. J’avoue ne pas être familier avec la musique de Michael Lee. J’ai écouté Heart of Stone où le vibrato de la voix m’a paru un peu emphatique. Dans cette session, Michael a voulu faire sienne la musique de B.B. et sa relecture du King ne manque pas de passion. Passion. Tel est le mot clé. Rien de mauvais. Mais peu de raisons de vibrer. « Nous continuons l’héritage musical de B.B. ». Tel est le jugement des musiciens rassemblés pour le projet. Et c’est vrai si l’on se réfère à l’évolution constante de l’artiste qui l’a conduit à rechercher en priorité un nouveau public blanc plus aisé dépassant les frontières pour s’inscrire dans une universalité musicale. À cet égard, dans son autobiographie, B.B. assume pleinement son évolution musicale : « Le blues était toujours le cœur du sujet – ce qui ne devrait jamais changer – mais les arrangements reflétaient le nouveau son des cuivres qui plaisaient à mon oreille. J’essayai d’être flexible. » Ceux qui sintéressent à cette question pourraient utilement lire la longue interview consentie par B.B. au sociologue J.M. Comforti dans les niuméros 64, 65 et 66 de « Blues Unlimited  » (juillet, septembre et octobre 1969). Bonne chasse ! Lire aussi « Blues All Around Me », autobiographie parue chez Avon Books. B.B. y raconte une soirée au Filmore, soirée qui l’a profondément marquée et qui lui a ouvert de nouvelles perpectives… – André Fanelli


Mary Lane

Travelin’ Woman

Women Blues Records WOB/OWL001 

Enfin un nouvel album de la chanteuse de Chicago, Mary Lane ! Après son CD intitulé « Appointment With the Blues » enregistré en 1997 sur l’éphémère label Noir Records dans le studio du Batteur Twist Turner (sur lequel un certain Johnny B. Moore faisait une fois encore des étincelles à la guitare), place aujourd’hui à « Travelin’ Woman » sous la houlette du producteur Jim Tullio. La formation qui l’entoure sur les dix titres proposés est éloquente puisque l’on y retrouve à l’harmonica Billy Branch et Corky Siegel, Colin Linden, Dave Specter et Shedrick Davis aux guitares, sans oublier, au sein des cuivres, les participations d’Eddie Shaw et Gene Barge. J’ai un gros faible pour les titres Ain’t Gonna Cry No More, Raining In My Heart ou encore Leave The Wine Alone et Bad Luck And Trouble. L’ensemble est vraiment excellent. À 83 ans, la forme est à l’évidence toujours là et cette bien belle session est un hommage plus que mérité à son immense talent. Depuis ses débuts dans les années 60 aux côtés de son mari Morris Pejoe, le chemin pour arriver à un brin de notoriété ne fut pas des plus simples. Lorsque nous nous étions allés la voir à son domicile dans une lointaine banlieue de Chicago aux côtés de Jean-Pierre Urbain et Marcel Benédit, elle prenait les choses qui lui sont arrivées dans sa vie avec sagesse et philosophie. Quel dommage que sa peur de l’avion l’ai empêchée de venir régulièrement de ce côté de l’Atlantique. Ne boudons pas notre plaisir, les rendez-vous avec Mary Lane sont si rares, et celui-là était tellement attendu. – Jean-Luc Vabres


Various Artists

Blind Lemon’s Uke Party

Blind Lemon BLR CD 1802

Un disque pour les fans d’ukulele, ce qui est assez rare ! Vingt morceaux chantés et joués par des spécialistes de cet instrument assez peu utilisé dans le Blues et originaire de l’île de Madère puis de Hawaii. Ici, nous trouvons des chansons et des instrumentaux traditionnels et originaux joués sur différentes sortes d’ukulele et dans des styles variés. Il faut d’abord que l’oreille se fasse à ce son quelque peu aigrelet, mais ensuite on se laisse prendre par cette musique, car les artistes présents sont excellents et connaissent bien cet instrument : Lightning Wells, Tom Shaka, Peter Funk, Adam Franklin pour ne citer que les plus marquants, et il y a là des reprises sympathiques de classiques de Casey Bill Weldon, Tampa Red , Memphis Minnie, Lonnie Johnson, Bo Carter et même un bon vieux gospel. Tout cela est fort interéssant et apporte une note originale et rafraîchissante dans le monde du Blues. Qui n’a jamais eu envie d’un ukulele ? – Marin Poumérol


Kenny Parker

Hellfire

Rock-A-While Records 001

Cet album dégage un feu d’enfer en effet, il est rare d’avoir un disque comme celui-ci dont quasi toutes les faces sont de haut niveau. Pas de déchet. Chapeau au guitariste Kenny Parker et à ses acolytes. Parker est né à Albion, Michigan, mais en 1976 – après ses études à la Eastern Michigan University – il est allé travailler à l’usine Cadillac de Detroit où il s’est installé à demeure. À l’usine le jour, dans les boîtes à Blues le soir, il a joué avec d’excellents profs comme Mr. Bo (Louis Bo Collins) et les Butler Twins avec lesquels il a tourné aux USA et en Europe ; à Londres, il a été remarqué par John Stedman qui lui a fait graver un album – « Raise The Dead » – pour son label J.S.P. Records avec les Butler Twins et Darrell Nulish à l’harmonica (ex-Anson Funderburgh). Parker est un excellent guitariste et ne se considère pas comme un chanteur et, pour la cause, il s’est adjoint le non moins excellent Dan Devins, chanteur tout aussi transcendant à l’harmonica. Il y a aussi, entre autres, Jim McCarty à la guitare dans con faces et à la slide dans un bien enlevé Bye Bye Baby, Bill Heid au piano dans cinq faces. Avec cette fine équipe, on navigue d’un bonheur d’écoute à l’autre avec des morceaux bien enlevés comme Baby Come Back To Me ou Dance With Me, des faces en medium comme Half Crazy ou I’ve Got My Eyes On You (avec Bill Heid au piano, Dan Devins au chant et Brian Miller en toute grande forme à l’harmonica). Quelques blues en slow retiennent aussi l’attention comme Blind and Paralysed, Goin’ In Circles et Back Up Plan. Belle réussite. – Robert Sacré


Denise LaSalle

Mississippi Woman Steppin’ Out Live!

JSP Records JSP 3014 – www.jsprecords.com

Les occasions d’entendre des faces live de Denise LaSalle ne sont pas si fréquentes. Reconnue un peu tardivement en Europe, elle n’en demeure pas moins une figure et une voix emblématique de la scène soul/blues américaine depuis la fin des années soixante. Enregistré au festival d’Ecaussinnes en Belgique en mai 2007, le show donne l’impression de prendre son temps pour décoller, mais à partir de la version de son classique de 1971, Trapped By a Thing Called Love (repabtisé ici This Thing Called Love), le groove devient intense et l’orchestre tourne à plein régime, pour aboutir au festif My Toot Toot, de Rockin’ Sydney, énorme succès des années 1985/1986. L’essentiel du répertoire vient de ses sessions chez Malaco, dont l’excellent Give Me the Most Strongest Whiskey, l’impitoyable et amusant Drop That Zero, ou un Mississippi Woman fortement inspiré (pour ne pas dire plus) du Wang Dang Doodle de Willie Dixon. La présence convaincante aux côtés de Denise LaSalle de Vasti Jackson (guitare), Joe Krown (claviers), Al Wilder (basse) et de la choriste Karen Wolfe, finit par faire oublier l’absence de cuivres que l’on pouvait regretter au départ. – Dominique Lagarde


Tedeschi Trucks Band

Signs

Fantasy Records / Concord Music Group / Universal Music

Un groupe-famille qui s’ébroue dans le monde entier avec une insouciance un peu surannée. La référence au Mad Dog and Englishmen de Joe Cocker et de Leon Russell vient d’elle même. En lieu et place de Joe, la raucité maîtrisée de Susan Tedeschi porte d’autant mieux la force des compositions qu’elle est régulièrement secondée par le précieux grain de Mike Matisson. Derrière, l’orchestre cuivré répond à toutes les sollicitations de la guitare de Dereck Trucks. Son glissando délicat est bien dans la lignée de celui de Duane Allman. Pas de copie servile ici. Plutôt l’idée de reprendre le « flambeau glissé » là où Duane l’avait laissé. Hard Case résume au mieux l’impression de plénitude joyeuse que l’ensemble semble à même de générer sur scène. – Stéphane Colin


Boo Boo Davis

Tree Man

Black & Tan – blackandtanrecords.nl

À 75 ans, le natif de Drew, Mississippi, présente son 11ème CD pour le label néerlandais de Jan Mittendorp, Black & Tan Records. Avec le boss du label, l’osmose a été immédiate et perdure au fil des ans pour délivrer, d’album en album, un blues hypnotique et créatif. En effet, malgré le nombre de disques, on ne se lasse pas d’entendre Boo Boo souffler à corps perdu dans son harmonica, déclamer ses textes sur une base syncopée comme dans l’excellent Chocolate, l’accompagnement minimaliste de Jan à la guitare ou l’association basse-batterie faisant le reste. Ce qui pouvait un peu déranger lors de précédents albums, à savoir une direction affichée vers un esprit « garage », est ici gommée à mon avis avec succès. Boo Boo écrit ses textes, parle de la vie, parfois avec humour, raconte des histoires et les onze titres défilent sans qu’on s’en aperçoive. Stay Out All Night, What’s The Matter With You Baby sont marquants d’un changement de cap dans l’esprit que les protagonistes ont voulu donner à cet album, faisant fi des effets et autres échos (parfois top néanmoins dans les précédentes sessions) pour revenir à des choses simples, à une musique dépouillée, pour notre plus grand plaisir. – Marcel Bénédit


Tony Holiday
Featuring All Star Blues Artists From Across The USA

Porch Sessions

Vizztone Label Group VT-THPS01 – www.vizztone.com

Tony Holiday était le guitariste et chanteur d’un orchestre de Salt Lake City, Tony Holiday and the Velvetones. Quand il abandonna la guitare pour l’harmonica, il fit appel à un jeune excellent guitariste, Landon Stone. Ces deux musiciens sont maintenant installés à Memphis ; leur orchestre est devenu The Toni Holiday Band qui donne plus de deux cents concerts par an. Tony Holiday jouit de la considération de Charlie Musselwhite et de Rick Estrin, deux maîtres actuels de l’harmonica. Inspirés par les enregistrements sur le terrain de John et Alan Lomax, George Mitchell et autres ethnomusicologues, Holiday et Stone ont décidé, pour leur premier disque, d’aller à la rencontre de musiciens qu’ils apprécient, de jouer avec eux et enregistrer ces instants magiques souvent improvisés. Le tout est réalisé sous la houlette du discret mais important Kid Andersen qui joue de la basse tout au long du disque. L’harmonica se taille la part du lion sur ce CD : un ou parfois deux harmonicistes jouent avec Tony Holiday. C’est le cas de la belle version du classique de Jimmy Rogers, That’ All Right (pourquoi orthographié That’s Alright ?), enregistrée sous le porche de Charlie Musselwhite, à Geyserville, Sonoma County, Californie, auquel s’est joint l’harmoniciste et ici chanteur Aki Kumar. Le guitariste Rockin’ Johnny Burgin était aussi de la fête ce jour-là. Le chanteur et harmoniciste californien James Harman est remarquable sur trois titres, rehaussés de la guitare de Kid Ramos dont le solo sur Goin’ To Court est exceptionnel. En janvier 2018, Holiday et Stone ont fait étape dans leur ville de résidence, Memphis, où ils interprétèrent et enregistrèrent deux titres avec John Nemeth : une brève version du Blues Hit Big Town de Junior Wells et un des sommets de l’album, A Woman Named Trouble, chanté par Jake Friel aussi harmoniciste. Mitch Kashmar (hca) est l’auteur de la chanson Becky Ann publiée en 2005 sur son propre CD « Nickel and Dimes », reprise ici avec un troisième harmoniciste, Ronnie Shellist. Tony Holiday s’est invité chez John Primer et son vieux complice Bob Corritore. Tell Me Baby, une composition de Jimmy Dawkins, et l’autobiographique They Call Me de  John Primer exhalent les effluves capiteux de la Windy City. Un chanteur de Soul inconnu, William G. Kid, conclut en beauté ce disque avec son interprétation de This Time I’m Gone For Good, un blues en mineur qu’avait enregistré Bobby “Blue” Bland en 1973. Les diverses et magnifiques combinaisons d’harmonica sont d’un très haut niveau musical. La considération de ses pairs ne suffit pas à Tony Holiday. Grâce à ce CD, une renommée internationale méritée l’attend. – Gilbert Guyonnet


Rockin’ Johnny & Quiqué Gomez

Dos Hombres Wanted

Vizztone Label Group  VT-JB01 – www.vizztone.com

Figure importante durant de nombreuses années de la scène musicale de Chicago, le guitariste Rockin’ Johnny vit désormais dans le secteur de la baie de San Francisco. Au cours de l’hiver 2018, il a effectué un tournée dans les États de l’Ouest aux côtés du chanteur et harmoniciste espagnol Quiqué Gomez. Les deux artistes, qui avaient déjà joué et enregistré ensemble quelques titres dans un studio de Tolède, ont décidé de remettre ça, cette fois ci lors d’une halte dans le cité d’Austin au Texas. Ici, place à douze compositions originales et deux reprises appartenant à Robert Lockwood Jr et Tampa Red, à savoir Funny But True et Don’t Blame Shorty. Visiblement, le courant passe terriblement bien entre les deux artistes, c’est une évidence à l’écoute de You Can’t Steal My Sugar, Ain’t No High Roller ou encore The Right To Hurt Me. À noter que l’harmoniciste ibérique, doté d’un solide jeu robuste, est aussi un excellent chanteur dont la voix ne peut laisser indifférent. Johnny Burgin, qui a donc quitté la rive ventée du lac Michigan pour de nouvelles aventures, est à mes yeux aux côtés de Billy Flynn l’un des tout meilleurs guitaristes de Blues, qui a fait ses classes durant de nombreuses années avec les pointures tutélaires du South Side et du West Side de Chicago. Rockin’ Johnny, grâce à son nouveau management, est sans cesse en tournée. Il sera à l’heure où vous lirez ces lignes à nouveau au Japon avant de rejoindre la partie ouest des États-Unis pour une série d’engagements, sans omettre bien sûr de faire une halte en juin prochain à Chicago durant la semaine du prestigieux Blues Festival. Voici une production réussie de bout en bout, qui ne fait que confirmer tout le bien que l’on pense de ces deux artistes. – Jean-Luc Vabres


Bobby Blackhat

Put On Your Red Shoes

B.B. Music – bobbyblackhat.com 

Avant de se lancer dans une carrière de bluesman, Blackhat a eu un parcours assez inhabituel, on en conviendra. Il travaille à Cleveland, Ohio, mais réside généralement à Newport News en Virginie et il a été, pendant 27 ans, Commandant des Garde Côtes US, il a été Aide Militaire du Président des États-Unis en exercice et est titulaire de la Coast Guard Medal pour héroïsme… Depuis une petite dizaine d’années, il collectionne les titres : producteur, harmoniciste, chanteur, compositeur, comédien et acteur… Excusez du peu. Dans cet album, il a composé 10 des 12 plages et il y déploie ses influences du Blues de Chicago et Memphis, du Mississippi Delta et du Piedmont. Il y exprime tantôt sa jalousie (I Smell Another Man On You avec un très efficace Larry Berwald – pedal steel guitare), ses peurs (Grim Reaper), son âge et son passé (This Grey Beard, I Hear Mama’s Voice, Baby Mama Drama Blues), ses fantasmes (Put On Your Red Shoes, May I Have This Dance voire Overdose Of The Blues). – Robert Sacré


Bob Corritore & Friends

Do The Hip-Shake Baby !

SWMAF 13

Faut-il le répéter ? Bob Corritore est certainement l’un des musiciens de la planète Blues les plus fédérateurs. Le bonhomme affiche certes un talent inouï à l’harmonica qui frappe dès le premier morceau de ce nouveau CD, Shake Your Hips, dont l’atmosphère poisseuse colle littéralement à la peau. Bob, c’est aussi et avant tout une très belle personne, d’une gentillesse et d’une ouverture d’esprit incroyables, qui feraient presque oublier à quel point son œuvre est importante : producteur, dee-jay, patron de club et 14 albums déjà à son actif… sans compter toutes les collaborations sur scène ou sur disque. Aussi n’est-il pas étonnant qu’autant de musiciens de talent soient prêts à répondre présent à chaque nouveau projet. Avec Bob Corritore, on est certain que l’enregistrement aboutira à un « vrai » disque de Blues, avec le son et l’esprit. C’est encore le cas ici : Alabama Mike, Sugaray Rayford, Oscar Wilson, Henry Gray, John Primer, Bill “Howl-N-Madd” Perry, Jimi “ Primetime” Smith, The Fremonts, Anson Funderburgh, Junior Watson, Kid Ramos, Johnny Main, Bob Stroger, Fred Kaplan, Bob Welsh, LA Jones, Adriana Marie, Nathan James sont de l’aventure. Cela donne en 13 titres sans aucun moment faible un excellent album de Blues mixé aux Greasland Studios par Kid Andersen. – Marcel Bénédit


Curtis Fondren

You Are My Everything

EP / C. Fondren Records

Dans l’univers du Gospel, le batteur Curtis Fondren possède un robuste curriculum vitae. On retrouve ce dernier aux côtés de pointures comme le Révérend James Cleveland, Jessy Dixon, Fontella Bass, Tramaine Hawkins, Dione Warwick ou encore les Barrett Sisters et Jesse Jackson. Au cours de ces nombreux engagements, il a accompagné le renommé Christian Tabernacle Concert choir sous la houlette du pasteur Maceo Woods, il s’est également retrouvé invité dans les émissions télévisées de la grande Oprah Winfrey, Phil Donahue, mais aussi sur plusieurs chaînes locales de la Cité des Vents. Ses nombreuses activités l’ont fait croiser celles de Steven Dollins qui dirige The Sirens Records, il apparait sur trois albums du label à savoir ceux d’Elsa Harris, Donald Gay (chroniqués dans ce numéro) et sur la compilation intitulée « Soulful Sounds ». Cette autoproduction nous dévoile 7 compositions originales sur les lesquelles il a convié des artistes de la scène sacrée à l’image de San Franklin, Elian Porter, Jocelyn Buchanan ou encore Yvette Freeman, sans oublier Lil Harry Bullock accompagné des toujours excellents DuBose Brother. L’ensemble des titres est une fidèle image de ce qui se déroule dans les diverses congrégations lors des offices dominicaux, grâce à plusieurs styles de Gospel ici habilement proposés. Ce superbe batteur a produit un excellent album qui nous montre l’énorme potentiel d’un musicien qui, au fil des années, s’est forgé une solide réputation dans le monde du Gospel. Bonne nouvelle, il a enregistré d’autres artistes en vue de la production d’un deuxième volume, ce qui devrait réjouir tous ceux qui aiment le répertoire sacré. Curtis Fondren, un nom sur qui compter ! – Jean-Luc Vabres


Katarina Pejak

Roads That Cross

Ruf records Ruf 1266 – www.rufrecords.de

Katarina Pejak est une auteure-compositrice et pianiste serbe. Elle est très connue grâce à ses prestations dans les clubs de toute la Serbie et surtout ceux de Belgrade. Elle y a également sorti trois albums entre 2010 et 2016. En 2011, elle est partie aux États-Unis pour obtenir une bourse d’études au célèbre Berklee College of Music et a reçu son diplôme en mai 2014. Elle vit depuis à Nashville dans le Tennesse et à Belgrade et se produit dans les clubs aux US mais aussi en Europe et même jusqu’à Calcutta en Inde. Aujourd’hui, c’est grâce au brillant producteur Mike Zito, membre actif de Ruf Records, qu’elle sort sous ce label « Roads That Cross ». Katarina a composé 9 titres de l’album et interprète 2 reprises : Sex Kills de la canadienne Joni Mitchell et Turtle Blues de Janis Joplin. Les morceaux vont du Rock au Blues en passant par des rythmes proches du Jazz ou de la Soul. La voix de Katarina est aussi exceptionnelle que son jeu de piano. On appréciera, bien sûr, la surdouée Laura Chavez à la guitare, habituée du label de Thomas Ruf, car elle accompagnait Ina Forsman pour « Been Meaning To Tell You ». À apprécier aussi à la guitare Mike Zito dans Moonlight Rider, et il faut, bien sûr, citer Lonnie Trevino JR. à la basse et Damien Llanes à la batterie qui complètent cet excellent band. Katarina va faire la tournée 2019 de “Blues Caravan” avec Ina Forsman et Ally Venable, avec une incertitude, Laura Chavez fera-t-elle partie de cette série de concerts ? Et l’on peut craindre que, comme pour les années précédentes, cette tournée ait peu ou même pas du tout de dates en France. En attendant une hypothétique possibilité de voir Katarina Pejak sur scène, nous pouvons donc passer en boucle ce superbe disque. – Robert Moutet


Tiffany Pollack & Eric Johanson

Blues In My Blood

Nola Blue Records NB 008

Tiffany Pollack est une chanteuse de Jazz populaire à New Orleans et Eric Johanson a été le lead guitarist de Cyril Neville, une icône locale du R&B et du Funk. Tous deux ont découvert, sur le tard, qu’ils étaient cousins et, très encouragés par leurs familles respectives, ils ont décidé de former un duo orienté blues qui cartonne actuellement dans l’extraordinaire chaudron musical qu’a toujours été et reste la Cité du Croissant. Ils ont composé ensemble et/ou en collaboration 7 des 11 faces dont un autobiographique Blues In My Blood, un blues lent où la voix de Pollack bien timbrée, claire et tantôt agréablement voilée, fait merveille comme ailleurs, par exemple en duo avec Johanson dans un Memories To Forget en slow (avec en guets Johnny Sansone, harmonica) ou dans Keep It Simple, un beau blues en medium qui, pour moi, est la meilleure face du recueil avec un Johanson très inspiré à la guitare. Il y a encore d’autres passages où le plaisir d’écoute est maximal comme Michael en slow (Pollack au chant et Johanson, lap steel guitare, au top) ou deux ballades bluesy mémorables : Get Lost With Me, une compo de Johanson qu’il chante et accompagne avec maestria à la guitare et le River de Joni Mitchell où Pollack est à son meilleur niveau en registre folk. Parmi les autres reprises, une mention aussi à une excellente version du Do I Move You de Nina Simone et à une version très personnelle et plaisante en medium de If I had A Hammer (Pete Seeger, et al.). – Robert Sacré


Ike Cosse

Don’t Give Up On Love

Autoproduction

Le souvenir de notre première rencontre avec Ike Cosse me rappelle un excellent moment. C’était en 2002 lors du Cognac Blues Passions, avec mon ami Marin Poumérol. Nous avions été charmés par l’enthousiasme et l’originalité de ce musicien, atypique dans le monde du Blues. En effet, né en 1955, il a d’abord évolué dans un registre Jazz fusion jusque dans les années 80 avant de découvrir le Blues en accompagnant le saxophoniste Joe Cuttley. Suivront plusieurs CD – dont deux chez JSP – avec des constantes : des chansons originales prouvant un talent réel de songwriter, un jeu de guitare très personnel, une énorme sensibilité. Dans ce nouvel opus de 14 titres, secondé par un excellent groupe, Ike Cosse confirme tout le bien que nous pensions déjà lui, narrateur né (écoutez le truculent Crocodile Tears). Un album qui, tout en parlant aussi de choses sérieuses, peut engendrer beaucoup de réactions, mais certainement pas la mélancolie… – Marcel Bénédit


Atomic Road Kings

Clean Up The Blood

Big Tone Records

“Big” Jon Atkinson s’est déjà taillé une place en vue dans le monde du Blues/R&B avec Kim Wilson entre autres, il dirige son propre studio d’enregistrement (Bigtone Studios) et, ici, il a utilisé un matériel analogique en mono pour recréer un son « années 50 » vintage assez réussi. Il est aussi, on le sait, un fort bon chanteur et un guitariste hors pair. En outre, il a composé ou arrangé 11 des 12 titres de cet album avec Eric “Jailhouse” Von Herzen, un harmoniciste réputé (ex- Walter Trout, Kid Ramos, Junior Watson, The 44’s…). Selon toute attente, cela donne un excellent album d’autant plus que nos deux compères se sont adjoints trois autres guitaristes qui impriment chacun leur personnalité aux titres qu’ils défendent, ce qui est un gage de variété. Danny Michel officie dans deux beaux blues en slow : I’ve Got Time et Vibrations (avec Robert Welch au piano pour sa seule contribution à l’opus) ; Tony Delgado est à l’honneur dans Rumors, encore un blues en slow. Quant à Scot Smart, c’est dans un bien enlevé In Arms Reach et dans un Candy Man en medium qu’il montre son expertise. On ne passera pas sous silence la contribution efficace de Bill Stuve (basse) et Malachi Johnson (drums), mais on soulignera l’excellent travail, partout, de Von Herzen à l’harmonica et d’Atkinson tant au chant (partout) qu’à la guitare dans le chaloupé Have Your Way, dans Clean Up The Blood, My Way Back Home ou You Got To Change. – Robert Sacré


Vin Mott

Rogue Hunter

No label

Comment Vin Mott, jeune homme originaire du New Jersey diplômé en composition de chansons et percussions du célèbre Berklee College of Music de Boston, s’est-il transformé en chanteur et harmoniciste de Blues ? Sa découverte du Blues et de l’harmonica date de l’adolescence. Il était inévitable qu’une fois ses prestigieux diplômes en main, il s’orientât vers sa passion. De retour chez lui, il fait son apprentissage dans de nombreux clubs, tavernes, restaurants et relais routiers. Son premier disque, « Quit Women For The Blues » (une profession de foi peut-être !), sort en 2017. « Rogue Hunter » est le second CD de ce jeune artiste qui en a composé les douze chansons. Il explore diverses facettes de notre musique préférée : Chicago, Texas, Memphis et New Orleans. Pour faire vivre ses excellentes compositions qu’il chante fort bien et interprète avec brio et feeling à l’harmonica, il s’est entouré du guitariste Dean Shott, du bassiste Steve “Pretty Boy” Kirsty et du batteur Matt Niedbalski. Cet excellent orchestre d’une réjouissante sobriété a joué et enregistré en live dans le studio. Vin Mott n’hésite pas à laisser les quelques inévitables scories du direct. Il nous fait partager sa passion pour le Blues avec une ferveur telle qu’il est bien difficile de n’être pas séduit par ce disque. Car Troubles Made A Good Blues Singer, Ice Cold Beer, Honey, Please Mr. Devil et Greaser, le blues bien poisseux qui conclut le CD, en sont quelques illustrations sonores de grande qualité. Vin Mott est un artiste à suivre. – Gilbert Guyonnet


Black Cat Biscuit

That’s How The Cookie Crumbles

NakedNP041/Donor – www.donor.company/Naked

Ce groupe belge, un quintet, avec Bart “Yasser” Arnauts (chant et rhythm gt), Mark “Mr.Mighty” Sepanski (harmonica), Stanley Patty (lead guitar), Patrick “P Daddy” Indestege (basse) et Jeff  “Junior” Gijbels (drums) a été formé en 2015 et a remporté le Belgian Blues Challenge en 2018. Il a donc représenté la Belgique en avril 2019 à l’European Blues Challenge au Portugal. Il n’a pas gagné le premier prix, mais il s’est bien classé et on le comprend à l’audition de cet album brut de décoffrage avec 12 compos originales où alternent des faces de bonne facture à la slide (Train 66, He’s A Fool), du West Coast Swing avec harmonica (Haunting Me, Sons Of A Vampire, Hey Little Kiddy et – une des meilleures faces de l’opus – Goin’ Home), des ballades planantes (Parrot Woman) ou jazzy (Ain’t Got Nobody To Come Home), du jump blues swinguant (What I Really Need Is You, I Don’t Know), un boogie haletant (Bad James), etc. Bref, une belle palette diversifiée qui entretient l’intérêt et ne donne pas envie de zappeur. – Robert Sacré


Charley Crockett

Lil G.L.’s Blue Bonanza

Son of Davy / Modulor

Ce genre de pochette de disque mérite à elle seule qu’on s’intéresse à ce qu’il y a dedans ! Crockett, Texan d’origine, joue une musique qui flirte avec le swing, le blues et la country, même si elle ne peut s’affranchir de forts accents jazzy. Après « A Stolen Jewel » en 2015, « In The Night » en 2016, un album de reprises honky tonk – « G.L.’s Honky Tonk Jubilee » – en 2017 et « Lonesome As A Shadow » en 2018, ce nouvel opus est sensé être consacré au Blues. C’est en fait majoritairement un disque de reprises, sorte de mix de morceaux à tendance country comme That’s How I Got To Memphis, de Blues (Jimmy Reed, T-Bone Walker…) et de morceaux plus soul comme Lead On Me de Lavell White (auxquels la voix de Crockett convient mieux que sur le reste), avec une compo, It’s A Man Donwn There. Quinze titres qui permettent, pour ceux qui ne connaissaient pas encore ce musicien, de le découvrir. – Marcel Bénédit


Dennis Brennan & The White Owls

Live At Electric Andyland

Vizztone Label Group VT-DB01 – www.vizztone.com

La carrière de Brennan (hca, vo) est déjà longue, avec quelques albums à la clé et il est très suivi à Boston où il opère. Il signe ici un premier album avec un nouveau band, un sextet, les White Owls, dont l’excellent Stephen Sadler, lap steel guitar (Good Lover, I Live The Life I Love, deux bons blues en slow), Tim Gearan (gt), David Webster (orgue) entre autres. Il y a de beaux passages de guitare dans End Of The Blues et Brennan lui-même est bien présent à l’harmonica dans le bien enlevé Footkiller et dans un excellent Nothin’ But Love en médium ainsi qu’à la guitare dans un Rock ‘n roll, Yes I’m Loving You. On peut apprécier son jeu aussi dans End Of The Blues en slow, Three Kind Of Blues (sa seule composition perso) ainsi que dans I’m On My Last Go Round, plus rapide, et dans le bien connu Cuttin’ In, une ballade bluesy de J. Gt Watson qui bénéficie d’une très belle mélodie. On notera aussi une reprise très slow du No Expectations des Rolling Stones. – Robert Sacré


Sarah McCoy

Blood Siren

Blue Note / Universal

Une claque, une émotion, un tourbillon. Le moins que l’on puisse dire est que la musique de Sarah McCoy ne laisse pas indifférent. Et malgré les commentaires désobligeants que cet enregistrement a pu induire, on trouvera grain à moudre, matière à transcender la réthorique conceptuelle pour se rapprocher un peu plus encore de la substantifique moelle du projet artistique. La confrontation avec un tel univers n’est évidemment pas facile et on n’en sort pas vraiment indemne. La “Blood Siren” ne fait jamais dans la gaudriole. Une douleur qui suinte en filigrane au travers de textes à la tristesse contagieuse… On se rappelle du rythme et de la balance de ceux d’une autre résidente louisianaise du nom de Mary Gauthier. Sur le devant, la voix et le piano paraissent occuper tout l’espace. La production économe de Chili Gonzales et de Renaud Letang surligne l’évidence de cette poésie écorchée qui souffle un chaud et froid de tension. Le texte inaugural New Orleans n’a évidemment plus grand chose à voir avec le vieux Classic d’Hoagy Carmichael. La femme à la tête de Hugly Dog, comme elle se dépeint elle-même, fait frissonner tout le long des 13 compositions. D’aucuns parleront de Tom Waits ou d’Amy Winehouse, ils auront sûrement raison mais, dès ce premier Blue Note, il paraît évident que Sarah se suffit à elle même. Stéphane Colin


The Duke Robillard Band

Ear Worms

SPCD 1403

Duke Robillard enchaîne depuis plusieurs décennies les enregistrements sous son nom ou comme chef d’orchestre/accompagnateur le plus souvent avec son band. Guitariste émérite et arrangeur hors pair, le chant n’est pas sa tasse de thé, aussi confie-il cette tâche en fonction des titres à Dave Howard, Julie Grant, Sonny Crownover, Chris Cote, Mark Cutler ou encore Klem Klimek. Le groupe de base avec Bruce Bears (claviers), Brad Hallen (basse) et Mark Texeira (drums) suit le leader comme son ombre, ce qui facilite aussi les prestations des nombreux autres invités : Baxter Hall, Marnie Hall, Doug James Jeff “Doc” Chanon, ou Marty Ballou. Résultat : un nouvel excellent opus du grand Duke, dans lequel Blues alterne avec R’n’B ou Soul de la meilleur manière (écoutez On This Side Of Goodbye pour en convenir). Treize morceaux avec une part non négligeable – comme à son habitude – laissée aux instrumentaux, dans lesquels la maîtrise de Duke Robillard laisserait preque à penser que jouer de la guitare ainsi est chose facile… (écoutez Careless Love). Très réussi une fois encore. – Marcel Bénédit


Sam Price

Rocklin’ the Joint

Jasmine Records JASMCD 3113 – www.jasmine-records.co.uk

C’est un disque indispensable. Du moins pour tous ceux qui n’enferment pas la musique dans une fausse modernité fixant leur attention sur l’accessoire plus que sur ce qui est essentiel ! Ces deux séances nous offrent une musique d’une richesse rare, servie par des musiciens au sommet de leur forme et pourquoi pas, de leur art (populaire). Une musique qui régnait alors à Harlem et dont Sam Price était un prince grâce à son jeu de piano plus solide que le roc. J’ai encore, fraîche dans ma mémoire, cette journée où, après le lycée, nous étions partis en bande à la chasse aux disques. Ce jour là, j’ai acheté un 45 tours EP de Sammy Price, celui-là même qui m’a été adressé sous une forme numérique bien sûr. Cela tombait à pic, car le vinyl avait beaucoup servi depuis et, grâce aux bons soins de Jasmine, je vais pouvoir lui accorder une retraite méritée puisque j’ai en main maintenant l’intégrale des deux LP originaux. Ce disque nous présente un authentique maître de la guitare, Mickey Baker, dont le jeu violent, incisif et l’originalité sont des bains de jouvence en ces temps marqués par l’emprise musicale de B.B. et de ses disciples. Écouter donc l’attaque rageuse de Baker dans le morceau qui ouvre le CD : Rib Joint. C’est quelque chose. De la guitare toute simple, sans des M2 de stomp-boxes et autres pédaliers envahissants. Bien sûr j’aime le King (et les deux autres aussi, surtout Freddie qui aurait disputé la couronne à B.B. si Saint-Pierre ne l’avait pas booké pour un concert privé de très longue durée…), mais son jeu a fini par « unifier » par trop le Blues moderne. King Curtis est en pleine forme et son jeu ne peut que ravir ceux qui aiment le saxo ténor quand ce dernier mêle un son chaleureux à une énergie incisive. Que dire de Kenny Burrel ? Tout a été écrit ou presque pour ce géant un peu effacé et qui a touché à tous les registres de la Great Black Music. Ces séances ne sont pas véritablement « son » univers musical et il ne sonne pas comme il l’a fait dans de multiples occasions. Casey, lui, a su évoluer… De Fats Waller au Rhythm & Blues ! Il tient sa place même s’il n’a pas les accents prenants de Baker. Côté rythmique, pas de problème. Notamment grâce à la présence du fantastique Panama Francis. Sans oublier le Boss et on clavier. Si vous avez envie de retrouver, les yeux fermés, à la fin des années 50, l’ambiance surchauffée des dancings immenses des quartiers noir et imaginer les couples exécuter figures sur figures, c’est ce CD qu’il vous faut. – André Fanelli


Tommy Hunt

The Complete Man 60s NYC Soul Songs

Kent Soul CDKEND 480 – www.acerecords.co.uk

Né en 1933 à Pittsburgh de parents œuvrant dans le monde du spectacle, le chanteur Tommy Hunt a connu une enfance et une adolescence compliquées, après le départ de son père du foyer familial. Une instabilité qui lui vaudra des séjours en maison de correction, malgré un don pour la musique et le chant tôt dépisté. Après un passage dans l’Us Air Force, le salut viendra de prestations au sein de groupes vocaux comme les Five Echoes, et surtout les Flamingos, un des ensembles majeurs de la scène doo-wop des années cinquante. Établi à NewYork au début des années soixante, il signe avec le label Scepter pour des faces d’une soul lyrique, aux riches orchestrations dominées par sa voix puissante. Dans ce registre, Human fait un succès. Ce qui n’empêche pas quelques aventures insolites, comme un traitement très rock’n’roll de Work Song. Un 45 tours chez Atlantic en 1965, un autre chez Capitol, ne lui permettront pas de rencontrer le même succès. Il faudra son arrivée sur la marque Musicor/ Dynamo en 1966 – qui héberge alors les Platters et Inez et Charlie Foxx – pour retrouver de l’allant. Les titres de cette période sont d’ailleurs plus funky ou deep soul. Les 25 plages réunies ici – dont quatre inédites – couvrent cette période 1961-1968 et témoignent de son évolution stylistique. En 1968 encore, une invitation à jouer pour les troupes américaines stationnées en Allemagne lui ouvrira le chemin d’une nouvelle carrière en Europe, tout particulièrement en Angleterre, pays dans lequel il deviendra une référence dans le circuit de la Northern Soul. – Dominique Lagarde


Noble Watts

Honkin’, Shakin’ et Slidin’ – A Singles Collection 1954-1962

Jasmine Records JASMCCD 3115 – www.jasmine-records.co.uk

Noble “Thin man” Watts (1926-2004) fut l’une des grandes figures du R’n’B des années 50 et 60 qui exerça ses talents jusqu’en 2013. À la fin des années 40, il intégra l’orchestre des Griffin Brothers, mais c’est avec le fameux Paul Williams qu’il se fit connaître avec son jeu de saxophone très expressif et bien dans le ton des « honkers » de l’époque. Avec Williams il accompagna à l’Apollo les plus grandes stars de l’époque et ses disques avec Paul Williams sont des chefs-d’œuvre de cette période : « Give It Up », « South Shore Drive ». Puis il forma son propre groupe, les Rhythm Sparks, qui comptèrent dans leurs rangs des musiciens extraordinaires comme le guitariste Wild Jimmy Spruill, Wild Bill Davis à l’orgue, le pianiste Royal Hamilton et Bernard Purdie aux drums : excusez du peu ! Il épousa la chanteuse June Bateman qu’on entend ici dans plusieurs interprétation de premier ordre dont l’étonnant Beleive Me Darling où la guitare de Jimmy Spruill fait des ravages. Un disque capital, tonique et réjouissant. – Marin Poumérol


Merle Haggard

Holding Things Together – The Merle Haggard Songbook

Ace Records / CDTOP 1546 – www.acerecords.co.uk

Disparu récemment, Merle Haggard demeure l’une des figures les plus importantes de la musique country des années 60/70/80, dont l’influence dépassa largement son idiome d’origine. Dans la sphère musicale qui intéresse plus les lecteurs d’ABS, Bobby Bland ou Millie Jackson ont ainsi livré de célèbres interprétations de ses chansons et nombre d’artistes R&B ont déclaré leur admiration pour « Hag ». Excellent chanteur doté d’une belle voix grave qu’il savait moduler, Haggard fut un auteur compositeur prolifique, créateur de plus de 150 titres. La présente sélection se concentre sur une vingtaine de reprises livrées par des artistes appartenant néanmoins et avant tout au registre country et rock. Nous nous écartons donc de l’approche développée par Ace et Tony Rounce dans leurs remarquables anthologies consacrées aux reprises de titres country par des artistes soul ou blues. Mais il est vrai que malgré les exemples cités plus haut, ces derniers restent minoritaires. Bettye Swann est la seule artiste R&B représentée. Pour autant, d’aucuns goûteront certainement les versions de Jerry Lee Lewis et d’Elvin Bishop et feront de nombreuses et heureuses découvertes en faisant œuvre d’ouverture. Cet album réédite enfin le célèbre Holding Things Together du maestro, une façon de rappeler que le meilleur interprète de l’œuvre de Haggard reste Haggard lui-même. – Nicolas B.


Various Artists

Lowrider Soul 1962-1970

Kent Soul CDKEND 482 – www.acerecords.co.uk

Ce disque, c’est toute une histoire et même plusieurs histoires en une. D’abord celle du titre : le courant lowrider, des chicanos américains épris de musique soul qui se sont lancés en Californie dans les années 60 dans la recherche, l’écoute et la diffusion de 45 tours devenus rares et très cool. Ensuite celle des chansons : 24 titres retenus ici, par autant d’artistes différents, en majorité des groupes vocaux très inspirés des Impressions et de la voix en falsetto de Curtis Mayfield. Parmi eux, deux superbes inédits : When You’re Poor des Lovers, et I’m Just Passing Time de Melvin Hicks and the Versatiles. Selon la formule consacrée, deux chansons dont on a du mal à comprendre qu’elles aient été laissées de côté en leur temps. En ouverture, le délicat Take A Step est davantage connu dans la version d’Arthur Conley deux ans plus tard. Ce joyau est ici rendu dans sa version originale par le duo de blue eyed soul, Aesop’s Fables. Citons encore le magnifique As I Sit Here, des Whispers, ou la belle voix de Debbie Taylor sur Never Gonna Let Him Know, dans un registre plus deep soul. Toute l’histoire du mouvement lowrider, de la façon d’être de ses adeptes, et des morceaux choisis, est largement détaillée dans les notes du livret par Ruben Molina, un des dj’s à l’origine du mouvement. Un CD hors du temps et débordant de classe. – Dominique Lagarde


James Wayne

Junco Partner – The Very Best of James Wayne 1950-1955

Jasmine Records JASMCD 3102 – www.jasmine-records.co.uk

James Wayne aka Wee Willy Wayne véhiculera une part de mystère jusqu’au bout… On sait qu’il est né James Douglas Wayne en 1920 (ou 1924 ?)… à Houston, Texas, mais on ne connaît pas la date de sa disparition. C’est Bob Shad, le légendaire patron du label Sittin’ In With, qui le découvre en 1950 lors d’une audition à Houston. Shad, à l’affût d’enregistrements d’artistes texans (Pippermint Harris, Lightnin’ Hopkins…), croit de suite en son potentiel et l’enregistre, donnant lieu à un premier hit, Tend To Your Business, qui devient rapidement n°2 dans les charts R’n’B de 1951. Les titres suivants auront un succès régional jusqu’à l’autobiographique Gipsy Blues. Mais Wayne sera responsable de deux des titres R’n’B les plus iconiques des années 50 : Junco Partner (généralement considéré à tort comme un classique de La Nouvelle-Orléans) enregistré à l’origine à Atlanta dans les studios de la WGST radio en 1951 et repris par maints artistes (Dr John, Pr Longhair, Champion Jack Dupree, The Clash…). La même année, il signe chez Imperial et enregistre à La Nouvelle-Orléans jusqu’en 1952, puis il réapparaît en 1954 à Los Angeles et grave deux faces pour Aladdin avant de travailler avec différents petits labels. Il signe de nouveau chez Imperial en 1955 et grave son second titre iconique : Travelin’ Mood. En tout, James Wayne enregistrera une cinquantaine de titres. Sa voix est cool, mélodieuse, décontractée, en parfaite osmose avec ce type de R’n’B, sa musique est le fruit de ses voyages et diverses influences : West Coast, Georgie, mais c’est surtout New Orleans qui imprègne son œuvre. Outre les sigles, on retrouvait jusqu’alors des titres de Wee Willie Wayne principalement sur LP Imperial 9144 (« Travelin’ Mood ») sorti en 1961 et réédité par la suite en France dans les années 80 dans la série Pathé Marconi sous le même titre, sur le LP du label hollandais Sundown CG 709-02 (« Travelin’ From Texas to New Orleans »), ainsi qu’une une session de 4 titres réalisée à New York pour Old Town en 1954 rééditée sur le LP Ace 206 (« Harlem Hit Parade ») en 1987. Dans le numéro 41 d’ABS Magazine, en 2014, Marin Poumérol nous parlait d’un CD de 31 titres paru en 2002 (Bayou 1004), mais malheureusement introuvable. Aussi est-ce une réelle vraie gageure que d’avoir enfin en format compact 29 titres de ce formidable chanteur et songwriter. Nos amis britanniques de Jasmine Records ont très bien travaillé puisqu’on y retrouve l’entièreté de son LP Imperial 9144 et des sessions enregistrées sur le label Sittin’ In With de Bob Shad, ainsi que quelques singles en bonus (avec notes de livret détaillées sur les dates, lieux d’enregistrement et musiciens). Les versions originales de Junco Partner et Travelin’ Mood sont incluses, ainsi que son premier hit, Tend To Your Business. La fin de vie de James Wayne reste très énigmatique. Aucune interview de lui n’a été faite et aucun enregistrement n’est connu après une dernière session pour Imperial datant de 1961. On perd ensuite sa trace jusqu’en février 1967 où il réapparaît dans le cadre d’une triste affaire : il est arrêté pour avoir incendié un motel à Los Angeles. Lors de son interrogatoire, il déclare être né le 3 mars 1920 à Houston, Texas, n’avoir pas d’adresse fixe, être chanteur et songwriter, avoir vendu des millions de disques et explique son geste : il n’aurait eu aucune intention criminelle mais aurait admis avoir mis le feu au motel car le patron l’avait refoulé alors qu’il voulait y entrer pour rencontrer B.B. King, ce dernier l’ayant invité à venir lui montrer quelques-unes de ses nouvelles chansons… Il déclara aussi avoir été témoin d’une meurtre perpétué par les figures de la mafia dont le patron du motel aurait fait partie… Sur les bases d’une expertise psychiatrique concluant à une schizophrénie paranoïde, il sera enfermé dans un centre spécialisé pour malades mentaux durant six ans. Il aurait dû être libérable en 1971, mais son incarcération sera prolongée du fait d’accès de violence et a priori de phases paranoïdes. Après 1975, on perd définitivement sa trace… La musique de James “Wee Willie” Wayne, enregistrée à Houston ou NOLA, est un solide Rhythm’n’blues, véritable condensé de ces deux influences, et contient d’incontournables pépites. – Marcel Bénédit


Buddy Lucas

Rockin’ Boppin’ Hoppin’ 1951-1962

Jasmine Records JASMCDCD 3111 – www.jasmine-records.co.uk

Le label Jasmine nous gâte avec toutes ces belles rééditions de grands saxophonistes de r’n’b. Après Sam “The Man” Taylor, Willis Jackson, Big Jay McNeely et Noble Watts, voici Buddy Lucas (1914 – 1983 ). C’est un musicien qui m’a toujours intrigué : on peut en effet lire son nom sur maintes pochettes d’albums, car il a participé à une multitude d’enregistrements des plus divers. Il débute sa carrière sur le label new-yorkais Jubilee en 1951 et devient le leader d’un orchestre qu’il nomme : « The band of tomorrow » et va enregistrer avec une pléiade de vedettes de l’époque : Wynonie Harris, Frankie Lymon, Little Anthony, Big Maybelle, Dion , Nappy Brown, puis Aretha Franklin, Jimmy Smith, Horace Silver ou Big Joe Turner (Bluesway 1973), Solomon Burke (Atlantic), Nina Simone, Albert Ayler, Count Basie (album : Afrique) et bien d’autres et sur une myriade de labels dont RCA, Pioneer, Bell, Caprice, Savoy et même un album instrumental à l’harmonica pour United Artists (car il est aussi à l’aise sur cet instrument qu’avec son saxophone). C’est donc un musicien complet que nous retrouvons sur les 30 faces proposées ici qui retracent de belle manière la superbe carrière de Buddy Lucas. En 1990 était paru un excellent album vinyl de notre homme chez Redita RLP 138. Voir également la rubrique parue dans ABS 50 concernant Buddy Lucas par votre serviteur qui implorait qu’un CD soit enfin édité. Souhait réalisé ! – Marin Poumérol


Magic Slim

I’M Gonna Play The Blues

Wolf CD 120.839 – www.wolfrec.com

Morris Holt, plus connu sous le nom de Magic Slim, a été l’un des musiciens de blues de Chicago les plus célèbres. Il est décédé en 2013 à l’âge de 75 ans et nous laisse pas moins de 36 albums. Son premier enregistrement, « Born On A Bad Sign », a été réalisé en 1977 par Marcelle Morgantini. Il a ensuite enregistré pour différents labels comme Black & Blue, Blind Pig ou Alligator avant de signer pour Wolf Records. Et avec 15 albums enregistrés pour ce dernier, il est normal que ce label autrichien sorte aujourd’hui « I’m Gonna play The Blues » que l’on peut considérer comme un album posthume. Le livret de cet album rappelle les différentes compositions des Teardrops, les musiciens de Magic Slim. Le bassiste Nick Holt, frère de Magic Slim, fut le premier membre de ce band en 1967. À partir de 1982 et pendant 13 ans, John Primer en fut le guitariste. En 1995, le guitariste Michael Dotson l’a remplacé. En 2000, Danny O’ Connor succéda à Nick Holt à la basse. Celui-ci, gravement malade, décédera en 2009. En 2008, Magic Slim reforma un nouveau band avec Jon Mc Donald à la guitare, Andrew Howard à la basse et Brian Jones à la batterie. Le but était de donner un nouveau son aux Teardrops. Et c’est donc avec ce groupe que fût enregistré en mars 2010, à Vienne, le concert qui est l’objet de ce disque. Deux morceaux sont crédités à Morris Holt et un à son frère Nick. Et comme à son habitude, Magic Slim reprend des compositions de bluesmen célèbres comme Elmore James, Jimmy McCracklin, Jimmy Dawkins, Jerry McCain ou Eddie Taylor. Mais le dernier morceau du disque ne provient pas du concert de Vienne en 2010. Rough Dried Woman a été enregistré au Tonart Studio à Vienne en mai 1991. On retrouve ce morceau, enregistré à cette date, dans deux autres albums de Wolf Records, les volumes 24 et 72 des « Chicago Blues Session » ; les Teardrops comprenaient à cette époque John Primer à la guitare, Nick Holt à la basse et Jerry Porter à la batterie. Alors pourquoi Hannes Folterbauer – le patron de Wolf Records – a-t-il mis ce morceau à la suite du concert de 2010 ? Peut-être pour que l’on vérifie le bien-fondé de la décision de Magic Slim, prise en 2008, de changer la composition des Teardrops afin d’obtenir un nouveau son ? À vous de vérifier si ce but avait été atteint. – Robert Moutet


Various Artists

Reggie Young Session Guitar Star

Ace CDCHD 1537 – www.acerecords.co.uk

À peine son premier album solo publié en 2017, et le guitariste Reggie Young nous quittait l’année suivante. Il eut malgré tout le temps de choisir, aux côtés de Bob Dunham, les titres retenus pour cette compilation. La longue et discrète carrière de ce musicien de studio, peu connu du grand public, méritait cet hommage. Rompu comme tout sessionman qui se doit à la pratique du Blues, de la Soul, de la Country, Folk, du Rock’n’roll, voir à la variété, Reggie Young a passé soixante années dans les studios au service des enregistrements des autres. En 1967, une série de photos au verso de l’album « For Your Precious Love » d’Oscar Toney Jr. donnait enfin un visage à ces sorciers des studios American : Chips Moman, Papa Don Schroeder, Bobby Emmons, Gene Chrisman, Tommy Cogbill, Reggie Young… Une initiative rare pour l’époque. Pas du genre guitar hero à servir des chorus de dix minutes, Reggie Young pose sa griffe sur des riffs célèbres, comme ceux de Cocaïne de J.J. Cale, ou Drift Away de Dobie Gray. Il illumine l’irrésistible Chicken Crazy de Joe Tex, ou encore la version de Stranger in my Own Home Town d’Elvis Presley. Jackie De Shannon, une des meilleures auteurs compositeurs interprètes des années 60, brille ici à ses côtés dans une reprise du I Wanna Roo You de Van Morrison. Jusque dans les années 2000, sa présence comme sideman de Little Milton a donné le magnifique Whenever You Come Around et Griselda, de la chanteuse Nathalie Merchant, demeure un morceau que Reggie Young confia avoir eu beaucoup de plaisir à enregistrer. – Dominique Lagarde


Delgres

Mo Jodi

Groupe Yapuka

« Mo Jodi », « mourir aujourd’hui ». Tel est le titre choisi par ce trio endiablé de blues caribéen, un blues contemporain chanté le plus souvent en créole. Delgres est né il y a quatre ans de la rencontre de Pascal Danaë (auteur, compositeur multi-instrumentiste et chanteur) avec le batteur Baptiste Brondy et le joueur de sousaphone Rafgee. Mo Jodi, c’est aussi l’une des premières chansons à avoir vu le jour. Elle s’inspire de l’héroïsme d’un personnage incontournable de la lutte contre l’esclavage dans les Antilles françaises : Louis Delgrès. En 1802, ce colonel d’infanterie de l’Armée française a, en vertu de la devise révolutionnaire « Vivre libre ou mourir », préféré la mort à la captivité après s’être rebellé contre les troupes napoléoniennes venues rétablir l’esclavage. « Mo Jodi » est un hommage à son sacrifice. Ce premier album est un émouvant voyage musical au cœur d’une histoire douloureuse. On y retrouve dans les textes toute la philosophie du blues, fondée sur la liberté de se déplacer dans tous les domaines de l’existence. Une liberté physique (Vivre sur la route, avec en invité Jean-Louis Aubert), mais aussi psychologique (Pardoné Mwen, manière pudique de confesser une culpabilité). Pascal raconte, en retrouvant une lettre d’affranchissement datée de 1841 de sa trisaïeule guadeloupéenne Louise Danaë : « c’est la première fois que je peux me libérer aussi franchement de toutes ces émotions. Au point que Delgres, outre une passionnante aventure musicale et humaine, est devenu une sorte de cellule psychologique… » Parce que j’ai toujours préféré éviter les comparaisons convenues, n’apportant finalement pas grand-chose à l’appréciation de la qualité intrinsèque de l’artiste, je dirais très simplement que Delgres propose un univers musical d’une grande puissance émotionnelle. Un univers musical bien à lui, honnête et original. Des influences Hill country blues envoûtantes (Respecté Nous), du Rock qui tâche (Can’t Let You Go), des ballades plaintives à vous faire dresser les poils sur la tête (Toujours Eve Mwen)… En somme, un très bel album qui va s’accrocher à votre âme… À découvrir d’urgence. – Victor Bouvéron


Awek

Let’s Party Down

Autoproduit 11 AW 31

Voici le onzième album du groupe toulousain Awek, enregistré au studio Greaseland de San Jose en Californie. Bernard Sellam au chant et à la guitare, Stéphane Bertolino à l’harmonica, Joël Ferron à la basse et Olivier Trebel à la batterie nous proposent 12 compositions originales et 2 reprises : Early Every Morning de B.B. King et Come On In This House de Junior Wells. Et comme le partage est une notion chère au groupe, on retrouve à leur côté une pléiade d’invités prestigieux : Rusty Zinn à la guitare, Bob Welsh aux claviers et à la guitare slide, Chris Burns aux claviers, RW Grigsby à la contrebase, Drew Davies au saxophone et bien sûr le génial producteur Kid Andersen à l’orgue et à la guitare. Et chacun d’eux met en valeur le talent des quatre membres du groupe, avec un répertoire qui va du Chicago blues au Rock n’ roll en passant par la Côte Est et le Swamp. Awek sait tout faire, et comme s’il était besoin de s’en convaincre, un second CD est joint à l’album : sous le titre « 25 Years Of Blues », 14 extraits de concerts, depuis 1995, font une très instructive compilation du groupe pendant 72 mn ! On ne peut qu’admirer le chemin parcouru par Awek depuis 25 ans, en étant convaincu que ce groupe a encore de grands moments de Blues à nous offrir. – Robert Moutet


Dziano & Ranaldi

Live

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Tomek Dziano à la guitare et au chant et Stéphane Ranaldi à la batterie se produisent sur les scènes de France et d’Europe depuis près de 15 ans. Voici leur premier album enregistré en avril 2018 au restaurant musical l’Hiboubox de Villard de Lans. Et pour rendre compte des conditions d’enregistrement en direct, ils ont tout simplement appelé cet album « Live ». Sur les onze titres du disque il y a deux compositions de Tomek Dziano, Backbiters et Going Down South. Un hommage particulier est fait à John Lee Hooker avec trois reprises dont le classique I’m Gonna Keep On Walking qui permet de constater la mise en valeur de la voix par la guitare et la batterie. James “Son” Thomas, J.B. Lenoir, Willie Dixon et Junior Wells sont aussi chacun à l’honneur dans une reprise. Enfin, les deux derniers morceaux choisis par Tomek et Stéphane sont l’œuvre de Fats Domino et Tony Joe White, plutôt dans le registre du R’n’B. Cet album reste un vibrant hommage au Blues et nous fait voyager du Mississipi à la Louisiane grâce à un répertoire intimiste et puissant. – Robert Moutet


Matthieu Boré

Gumbo Kings

Bonsaï Music BON190301

Matthieu Boré est un pianiste auteur compositeur parisien, aujourd’hui âgé de 48 ans. Après des débuts dans le Rock’n’ roll, il est passé au Jazz, se découvrant un amour inconditionnel pour La Nouvelle-Orléans. En 2001, il sort son premier album qui est un hommage à Fats Domino. En 2012, « Roots » est son 5ème disque qui propose un répertoire d’œuvres variées avec des hits des années 80 qui vont de Prince à George Michael. Aujourd’hui, avec « Gumbo King », il revient à sa passion pour la ville qui a vu naître le Jazz. Au registre des anecdotes, et comme le hasard fait bien les choses, on découvre que le premier maire de La Nouvelle-Orléans, nommé en 1803, s’appelait Etienne Boré… Les 12 morceaux du disque ont été enregistrés en mai 2018 au Studio Quadrature de Villejuif, avec un band composé en majorité de musiciens américains. Et comme un hasard en cache un autre, le batteur se nomme Jeff Boudreaux, vit en France, mais est né en 1959 à Bâton Rouge ! Gumbo Kings comporte 12 compositions originales de Matthieu avec de forts accents des musiques de La Nouvelle-Orléans. Il revendique, bien sûr, les influences des grands maîtres du genre tels Professor Longhair ou Allen Toussaint. Matthieu est un excellent pianiste avec une voix très plaisante, cet album original ravira les nostalgiques du Jazz New Orleans, mais pas seulement. – Robert Moutet


Gladys Amoros & Michel Foizon

Douglass’ Session

Autoproduction – gladys5@neuf.fr

Gladys Amoros est une chanteuse formée à l’école du Gospel et du Blues. Son compagnon Michel Foizon est un chanteur guitariste qui partage la scène avec elle depuis deux décennies. Ce nouvel album est le reflet de la bande son de leur spectacle « Mémoire d’ Esclave » qui retrace l’histoire de Frederick Douglass. Celui-ci est né esclave en 1818 dans les plantations du Sud des États-Unis. Il s’instruit, réussit à s’enfuir et grâce à une ascension sociale fulgurante il devient écrivain, homme politique et surtout un orateur abolitionniste célèbre jusqu’à sa mort en 1895. La bande son reproduite sur ce disque comporte une dizaine de standards revisités avec talent et deux magnifiques compositions : Sit Down Brother de Gladys Amoros et l’instrumental Frederick Douglass’ Theme de Michel Foizon. Et pour les 14 morceaux du disque, dont les reprises de grands bluesmen comme Blind Willie Johnson, Skip James, Mississipi John Hurt, JB Lenoir, Jimmy Reed ou Big Bill Broonzy, ils ont fait appel à Nico Wayne Toussaint au chant et à l’harmonica et à Philippe Charlot au banjo. « Mémoire d’ Esclave » est une fresque musicale écrite par Gladys. Elle est présentée sur scène depuis 2013, Gladys jouant le rôle de Frederick Douglass et la partie musicale étant assurée par Michel Foizon et Nico Wayne Toussaint. En cas d’indisponibilité de ce dernier, il est remplacé par Philippe Charlot. Ce spectacle, émotionnellement très fort, intercale les moments importants de la vie de Frederick Douglass avec les grandes périodes de l’histoire du Blues. Il a obtenu le label France Blues et sa programmation concerne surtout la région Nouvelle Aquitaine. Pour mettre en valeur cette histoire du Blues et de l’abolition de l’esclavage, Jacques Morgantini, formidable témoin grâce à ses multiples rencontres de musiciens, assiste souvent aux représentations de ce spectacle. Alors, la parution de ce très beau disque permettra certainement à « Mémoire d’ Esclave » d’être programmé dans la France entière, et même au- delà, souhaitons-le. – Robert Moutet


Various Artists

Style And Fashion
A-Class Top Notch HiFi Sounds In Fine Style (2 CD)

Soul Jazz Records SJR CD 443 – souljazzrecords.co.uk

Fondé en 1980 par deux Londoniens passionnés de reggae, Chris Lane et John Mc Gillivary, le label Fashion Records s’est donné pour objectif, dès sa création, de ne publier que des productions anglaises de musique jamaïcaine. N’allez donc pas y chercher des pressages britanniques, de chansons captées à Kingston et alentours. Il faut rappeler à cette époque l’importance de la population d’origine jamaïcaine récemment expatriée au Royaume-Uni. Elle forme une communauté importante, et par là-même un marché conséquent pour la musique. Ceux qui ont fréquenté Londres à cette époque à la recherche de disques, n’ont pu échapper au pittoresque de certaines boutiques. Tous les courants du reggae british ont trouvé asile chez Fashion Records : dancehall, jungle, lovers rock (le plus proche de la soul avec ici Dee Sharp (pourtant pas la chanteuse américaine), Carlton Lewis ou Janice Walker. Fort d’une vingtaine d’années d’existence, Fashion Records, tout en restant un phénomène underground aux oreilles de l’Europe continentale, a cependant permis de faire connaître l’évolution de cette musique à travers un vaste catalogue. Avant que les goûts du public ne se tournent ailleurs et jusqu’à ce que piratage, et arrivée du téléchargement ne portent un coup fatal à cette entreprise. Également organisatrice de nombreux concerts et festivals, Elle eut comme quartier général, un magasin de disques spécialisé, Dub Vendor, au quartier de Clapham Junction, dans le sud de Londres. Cette saga est racontée et mise en musique par Soul Jazz, dans une qualité de présentation sans défaut : disque compact dans son étui cartonné, accompagné d’un livret extérieur très documenté et illustré. – Dominique Lagarde


Bunny Lee

Dreads Enter The Gates With Praise
The Mighty Striker ShootsS The Hits !

Soul Jazz Records SJR CD435 – souljazzrecords.co.uk

Un CD tout entier consacré au travail du producteur jamaïcain Bunny Lee, en 22 morceaux datant de la deuxième moitié des années 70, alors qu’il s’était déjà fait connaître par plusieurs hits dès la fin des années 60. Contemporain de Lee Perry, continuateur de l’œuvre de pionniers comme Duke Reid, Leslie Kong ou Coxsone Dodd, Bunny Lee est un précurseur et un développeur de l’utilisation des riddims, fonds sonores ou backing tracks, servant à de multiples reprises pour charpenter des chansons différentes. Parmi les titres entendus ici, nombreux font ainsi l’objet d’une version chantée, puis orchestrale. Mais on est loin de l’instrumental de base, resservi à l’identique, tant le rôle du producteur amène à chaque fois une touche nouvelle, un gimmick inattendu, un bémol inspiré, à ce qui pourrait être de la réutilisation facile. Bunny Lee pouvait s’appuyer sur son propre groupe, les excellents Aggrovators, pour faciliter cet élan de créativité. Les grandes noms du reggae de l’époque n’ont plus qu’à poser leur voix : Johnny Clarke, Dillinger, les Mighty Diamonds, Jackie Edwards –revenu aux racines après ses superbes faces soul des années 60 –, ou encore le méconnu Gene Rondo, etc. Et le tour est joué. Cette belle anthologie Soul Jazz agrémentée d’une interview du maître raconte ce parcours glorieux vers le firmament de la musique jamaïcaine. – Dominique Lagarde


The Blues Come to Texas

Paul Oliver and Mack McCormick’s Unfinished Book
Compiled by Alan Govenar with Documentation
and Essay by Alan Govenar and Kip Lornell

Texas A&M University Press

Plus de cinquante ans après avoir été annoncé dans un article de Paul Oliver pour Blues Unlimited, juillet-août 1965, le livre inachevé consacré au blues du Texas, écrit à deux par Paul Oliver et Mack McCormick, vient enfin d’être publié ! « The Blues Come to Texas » est un bel objet volumineux relié de 460 pages ; il mesure 22,2×3,2×27,9 cm et pèse 1,340 kg. Le texte est imprimé en petits caractères sur deux colonnes par page. Neuf pages de photographies noir et blanc, la plupart d’entre elles déjà publiées, séparent les deux parties du livre. Paul Oliver, l’anglais d’Oxford, et Mack McCormick, l’américain installé à Houston, Texas, se sont rencontrés en 1959. Ils décidèrent alors d’analyser le blues du Texas et d’en rédiger une histoire. Ils conçurent les premiers accords d’une symphonie inachevée. Pour ce faire, McCormick amassa une documentation pléthorique. Il sillonna en long, en large et en travers un périmètre qui englobe le Texas, une partie de la Louisiane, de l’Arkansas et de l’Oklahoma, carnet de notes en main et magnétophone en bandoulière. Le moindre hameau a été visité. Pour mener à bien leur projet, les deux hommes entretinrent une imposante correspondance transatlantique (c’était bien avant internet !), avec parfois des pertes de colis. Malheureusement l’éloignement, la lenteur des échanges, les inévitables incompréhensions et querelles, le trouble maniaco-dépressif dont souffrait McCormick et la peur d’un résultat peu à la hauteur des ambitions affichées firent échouer ce projet. Le « tapuscrit » de ce livre incomplet fut enterré en 1977. En 1996, Alan Govenar, grand connaisseur du blues texan, auteur de plusieurs livres consacrés à cette musique dont une excellente biographie de Lightnin’ Hopkins, rencontra en France, à Paris, Paul Oliver. Les deux hommes discutèrent de ce livre inédit et convinrent qu’il était temps de faire renaître cette histoire du blues du Texas dont l’échec avait laissé un sentiment de frustration chez Paul Oliver. Fort de la confiance d’Oliver, Govenar s’est plongé dans la copie carbone du texte tapé à la machine qui dormait dans des cartons de Paul Oliver, l’original et la seconde copie carbone étant en possession de McCormick. Sur de nombreux feuillets, seule l’empreinte du texte subsistait. Un vrai travail de bénédictins ! Alan Govenar, avec la complicité de Kip Lornell, a replacé dans son contexte l’œuvre d’Oliver et McCormick. Il expose longuement, dans son introduction, la discussion entre les deux auteurs au sujet du choix du titre du « tapuscrit » : de « The Texas Blues » et ses variantes jusqu’à « The Blues Come to Texas » qui vient du couplet de Blind Lemon Jefferson, « Well the blues come to Texas, lopin’ like a mule ». Oliver était insatisfait de cette option. Il estimait que le lecteur devait refermer le livre avec l’impression que « the Blues came from Texas ». En 1989, il récidivait dans « The Blackwell Guide to Blues Records » : « it is just probable that the blues came out of Texas ».

Cet épais livre est une véritable encyclopédie. Les trente-deux pages d’index sont indispensables pour vous guider dans les méandres de l’exposé. Chaque chapitre examine en profondeur un aspect des musiques du Texas qui auraient pu contribuer à l’éclosion du blues particulier de cet état : string bands, chansons populaires traditionnelles venues d’Europe, jazz, chansons de marins, musiques amérindiennes, field hollers, chants de prisonniers, gospel. La musique mexicaine y tient une place primordiale. Ce sont les mexicains qui introduisirent les guitares à six, huit, dix, douze et même dix-huit cordes dans cette région. Lonnie Johnson qui joua souvent avec succès au Texas, s’offrit une guitare à douze cordes fabriquée par un célèbre luthier de San Antonio, Luis Ascona (p.114). Si je cite Lonnie Johnson qui n’était pas Texan, c’est parce que Sam Lightnin’ Hopkins affirme, p.117, « le blues texan vient de trois hommes, Lonnie Johnson, Blind Lemon Jefferson et Texas Alexander ». Lonnie Johnson reconnaît avoir été marqué par les orchestres Mariachis (p.267) au Texas. On apprend que les brass – bands étaient « lors des funérailles, une caractéristique de la vie à Houston » (p.333). On découvre que les cow-boys afro-américains avaient été traités à égalité avec leurs collègues blancs et qu’ils avaient ainsi adopté le modèle dominant qu’était la ballade : les cow-boys noirs ne chantaient pas le blues (p.261-262). Medicine shows, cinéma et radios sont aussi étudiés en tant que vecteurs de diffusion des diverses musiques. Le piano et la « barrelhouse music » y tiennent une place importante. Ce serait grâce au piano que le blues se serait introduit dans les autre musiques texanes. Il fut en effet accueilli très favorablement dans les orchestres texans, bien avant La Nouvelle-Orléans qui le rejeta longtemps (p.341). L’influence des orchestres afro-américains sur les Blancs est examinée à travers le prisme du western swing de Bob Wills et Milton Brown. Dans ce livre, nous rencontrons de très nombreux musiciens de blues de cette région. Les énumérer tous serait fastidieux. Voici quelques extraits choisis parmi d’innombrables possibilités. On est stupéfait de l’opinion de Clarence Gatemouth Brown sur Lightnin’ Hopkins et Fats Domino: « I don’t like all that low life music based on slavery. That’s just as bad as Harry Belafonte ; slavery junk. I hate all that Uncle Tom thing-same thing with Fats Domino, he never tries to build up his diction, and he sounds like some old darky » (p.377). Saviez-vous que le chanteur Joe Pullum (et son falsetto) était une star du disque et de la radio (p.366 – il fut le premier artiste afro-américain à signer un vrai contrat avec Victor) ? L’histoire n’étant pas une science figée, les recherches contemporaines sur Blind Lemon Jefferson, Blind Willie Johnson, Dennis “Little Hat” Jones rendent obsolète le récit biographique écrit par Oliver et McCormick. L’influente famille Thomas (George, Hersal, Hociel et Sippie Wallace) est aussi longuement étudiée.

P.290, Oliver et McCormick donnent une des meilleures définitions du blues : « The sudden advent of the blues – and there is every indication that its appearance was not heralded by a slow process of evolution but quite immediate – goes hand – in hand with the years of cotton failure … But there is little doubt the coming of the boll weevil precipitated the situation which created the blues, or perhaps more accurately, was the last, final stroke in a succession of blows to the old economy which cause the uprooting of the Negro population and the social situation which the blues reflected »*. J’imagine que dans les semaines qui viennent, ce passage sera matière à des discussions passionnées et passionnantes. « … imitation blues which recreates the sounds of previous period but out of context is musically sterile », cette réflexion, glanée page 382, réjouit les vieux amateurs mais pourrait irriter de nombreux contemporains.

Les fantômes des regrettés grands chercheurs que furent Oliver et McCormick, communiant dans un gai savoir, s’invitent chez nous et nous inspirent cette incisive sentence : « C’est un métier de faire un livre » (La Bruyère). Ainsi ma recension de ce monumental et indispensable ouvrage reste très modeste. Que d’oublis dus aux fissures de ma mémoire. Comment, en effet, tenir réellement compte d’un livre encyclopédique qui fera longtemps le bonheur des chercheurs et des simples amoureux de la musique du Texas. Certainement de nombreuses corrections peuvent y être apportées. Qui déplorera l’absence de quelques artistes, qui dénichera les erreurs, qui en critiquera le style. Ainsi cet ouvrage déclenchera-t-il d’innombrables commentaires, additions et modifications. N’est-ce pas la preuve de sa réussite ? – Gilbert Guyonnet

PS : Signalons une faute d’impression, semble-t-il, connaissant le sérieux de Govenar et Lornell : p.14, dans la liste des magazines nés dans les années 1960-1970, l’acte de naissance de Soul Bag est indiqué 1986 au lieu de 1968.

Note * : « l’avènement soudain du blues – et tout semble indiquer que son apparition fut assez soudaine et non élaborée par un lent processus d’évolution – accompagna la déconfiture du coton… Il y a peu de doute que le “boll weevil” a accéléré les conditions d’éclosion du blues, ou peut-être plus certainement fut-il le coup de grâce d’une économie moribonde qui provoqua le déracinement de la population afro–américaine et les nouvelles conditions sociales qu’ainsi le blues reflète »


Blues Power
Une Histoire Parallèle du Blues

par Stéphane Deschamps

GM Editions

Ce livre n’est pas une encyclopédie, ni une histoire du Blues. Contrairement à certains auteurs, Stéphane Deschamps ne vise pas à impressionner les cercles universitaires où à s’établir comme nouveau pape d’une musicologie revisitée post-moderne. Ce livre est tout à fait différent. Il est vivant, il remue comme un cheval indocile qui refuse les sentiers tracés. C’est une œuvre de partage. On y croise, au mépris de toute hiérarchie, dans un désordre joyeux, des portraits, quelquefois inattendus, des évocations d’albums qui ne figurent pas tous dans les Evangiles des amateurs patentés, des anecdotes et des souvenirs. Cela fait penser à une soirée réussie, une de ces soirées magiques où l’on partage, justement, avec quelques amis le bonheur d’écouter de la musique ensemble. Certes, j’évoque là des comportements presque disparus, sans doute… Ces pages font remonter en moi bien des souvenirs. Fin des années 6o, tournant des années 70, avec leurs cortèges de découvertes, d’émotions qui déchiraient comme un mauvais whisky de rencontres maladroites avec des hommes étranges, parfois violents, que nos 20 ans rendaient vieux alors qu’ils avaient pas encore cinquante ans… Revenons à ce « Blues Power ». J’y ai rencontré des musiciens que je ne connaissais pas mis en lumière par des interviews bien menées, retrouvé des disques que j’aimais ou m’étonner de l’honneur fait à des Ramblin’ Jeffrey Lee ou autres Captain Beefheart qui ne m’accrochent guère. Simple détail, histoire de ne pas être trop positif. En fait il y a surtout des choses que j’ai aimées. Stéphane a du style et une écriture. Les lignes qu’il consacre par exemple à Howlin’ Wolf vont à l’essentiel : donner envie d’en savoir plus, d’entendre davantage. Bien sûr, Internet est là avec les gnomes d’Amazon, Spotify ou Deezer, courant absurdement dans les rayons à la recherche d’un Graal éventuel. Si vous avez la chance de ne pas connaître le Wolf, débrouillez vous pour acheter un disque, un objet, un truc qu’on peut caresser et qu’on remettra sur la platine en tremblant d’impatience. Vous savez quoi ? « Blues Power » refermé, en définitive, j’aimerais bien rencontrer un jour Stéphane Deschamps pour échanger nos expériences. Les miennes deviennent fragiles comme des feuilles desséchées. Le temps n’est-il pas le meilleur complice de Mr Blues ?… Je suis certain que j’apprendrai beaucoup. Je vous conseille vivement de lire ce bouquin. Je suis convaincu que vous ne le regretterez pas. Je vous laisse. Je voudrais relire le portrait d’Harry Oster… – André Fanelli


Blues en Disques

par Gérard Herzhaft

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Gérard Herzhaft est depuis plus de quarante ans une des incontournables références de l’histoire des musiques populaires américaines. Ses connaissances en Blues et Country Music sont mondialement reconnues, grâce aux nombreux livres publiés en France, certains traduits en anglais et espagnol. Il est aussi musicologue, conférencier et musicien lui-même. Ses écrits ont toujours un grand retentissement aussi bien auprès des amateurs chevronnés que de ceux qui découvrent le Blues. Gérard Herzhaft s’est constitué un lectorat fidèle. Il collabore à la quinquagénaire revue Soul Bag. Outre les interviews et portraits de musiciens, il y chronique des disques. Les magazines Compact, Jazz Magazine, Jazzman, l’excellent fanzine Le Cri du Coyote consacré à la Country Music et l’éphémère revue lyonnaise Jazz Notes ont aussi fait appel à ses services. Gérard Herzhaft a eu l’excellente idée de rassembler une partie de ses chroniques écrites entre 1988 et 2010. Quelques maisons de disques lui ayant demandé de rédiger les livrets de leurs productions. Le dernier chapitre en publie une sélection. Quelques critiques de DVD apparaissent aussi dans ce livre qui ne se veut pas un « guide discographique » comme le précise l’auteur en introduction. Les disques sont classés par ordre alphabétique. Les Blues Notes, rédigées pour Jazz Notes, le sont par la chronologie ordonnée des publications de la revue avec un index bienvenu regroupant tous les artistes étudiés et le numéro de la revue auquel il renvoie. La fréquentation des disques est tonique et toxique. Écouter un CD est une expérience toujours renouvelée. Pour quelques poisons musicaux, il y a beaucoup d’analgésiques et d’euphorisants. Poisons ou remèdes sont difficiles à déchiffrer. Gérard Herzhaft les a goûtés pour nous et fait le tri dans une production discographique pléthorique. Son livre peut accompagner aussi bien le collectionneur de longue date que celui qui embrasse depuis peu le Blues, grâce à l’appréciation d’un expert qui a certainement influencé nombre d’entre nous dans la constitution de nos discothèques. Le néophyte en profitera pour découvrir les classiques éternels et indispensables (Robert Johnson, Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker, Muddy Waters, Howlin’ Wolf, etc.). En ouvrant le livre au hasard, les plus anciens, trahis par leur mémoire, réécouteront des CD oubliés. Les charmes secrets de quelques airs anciens rajeuniront leur âme. Comme, selon la sagesse antique, on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, on n’écoute jamais de la même façon un disque. La question qui se pose est alors : le lu et l’entendu concordent-ils encore après plusieurs années ? La réponse est positive, même si l’auteur avoue qu’il pourrait réviser quelques jugements. L’honnêteté et la franchise de Gérard Herzhaft sont à souligner. Il évite le chausse-trappe de la flatterie et de la complaisance. Il n’hésite pas à déplorer le manque de production des enregistrements Fedora. Il se permet de qualifier à juste titre, arguments forts à l’appui, de « navrant » le CD « Great Guitars » de Joe Louis Walker (Verve 537141). C’est cette liberté de ton que l’on aime chez Gérard Herzhaft. Une écriture claire, des choix argumentés, une information toujours exacte et précise (l’auteur est au courant de toutes les recherches les plus récentes concernant les artistes de Blues) et la nostalgie, ce sentiment impétueux, font que l’achat de ce livre est inévitable. – Gilbert Guyonnet