Chroniques #66

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Christone “Kingfish” Ingram

Kingfish

Alligator Records 4990 – www.alligator.com

Et si c’était lui ? Depuis bien des décennies il ne manque pas d’amateurs qui assistent avec tristesse à la disparition de leurs héros… Bien sûr, on leur objectera que les scènes internationales fourmillent de groupes et que le Blues est plus populaire que jamais. Mais pour celui qui a vécu au son de Muddy ou Lightning Hopkins, tout ça ne remplace pas ces artistes magiques entièrement dévolus à leur musique. Régulièrement on voit le ciel du Blues traversé par des météores qui, un moment, agitent ce petit monde. Un artiste jeune, un blues bien électrique, une bonne tête… Et puis bonsoir. On n’en parlera plus… Qui se souvient de Troy Turner ? Pour une fois je succombe à ce besoin de retrouver les cendres d’antan, chaudes encore des années de feeling, ranimées par un petit souffle de modernité. Ce CD est excellent. Les morceaux sont variés, n’engendrant jamais cette sensation pesante et déprimante du déjà entendu… Attention, c’est du blues. Et vous savez qu’à un certain moment, les ajouts et développements d’un « novateur » peuvent aboutir à autre chose. Il n’est pas interdit de jouer une grille de blues à la cornemuse accompagné par un sextuor de violoncelles. Mais il y a peu de chances qu’on obtienne le Blues… Le CD qui nous occupe ici a été superbement produit par Tom Hambridge dont le pedigree est une garantie de sérieux. Il a participé activement, à la batterie, à la réussite de l’ensemble. Je me bornerai dans un excellent ensemble à vous signaler quelques faces qui m’ont particulièrement touché. J’ai aimé Fresh Out avec son balancement chaloupé incantatoire et ses paroles qui m’ont fait me souvenir du Your Daddy Got the Gleeks de Charlie Shavers. Les guitares célèbrent le Blues et l’on aimerait que les chorus se prolongent. Même séduction pour Hard Times, dépouillé, presque austère et si prenant. Before I’m Old et Believe These Blues voient les chorus de guitare s’évader un instant des phrases convenues sans pour autant rompre les amarres. Il faudrait bien évidemment citer d’autres morceaux. Le mieux est que vous les écoutiez tous… Il ne faut pas négliger le talent de Christone en matière de compositions et de textes. Le parcours de Christone Ingram ne fait que commencer. Souhaitons qu’il se concrétise au travers d’un succès pérenne et qu’il puisse nous apporter tout ce que nous attendons. Peut-être avons-nous affaire à un tournant, à l’ouverture d’une nouvelle saison favorable pour la musique que nous aimons tant. Ce CD est important. Ne le ratez pas ! – André Fanelli


Mavis Staples

We Get By

Anti- / Pias

Le temps n’a pas d’emprise sur cette voix magique, issue du Gospel, qu’est celle de Mavis Staples. Et cet album à la fois minimaliste et terriblement puissant rappelle aussi que la création de Ben Harper – qui en signe les onze titres – est marquée d’une véritable signature. Ben ne sait pas seulement écrire des chansons « sur mesure » pour les artistes avec lesquels il travaille (comme ce fut déjà le cas pour Mavis en 2015 avec l’excellent Love and Trust), mais littéralement entrer dans leur univers, capter l’essence même de leur personnalité, de leur histoire, de leur spiritualité ; c’est le cas ici, tout comme lors de la récente magnifique et émouvante collaboration avec Charlie Musselwhite. Ce qui marque également – plus que partout ailleurs dans les précédents albums de Mavis à mon avis – c’est la complicité et le partage qu’il y a entre l’écriture et l’exécution des morceaux par le trio qui accompagne fidèlement Mavis depuis une douzaine d’années ; il faut certainement y voir le lien naturel qui existe entre un grand auteur, musicien lui-même (Ben Harper) et des musiciens dont le rôle est rendu crucial, allant jusqu’à la co-production de l’album : Rick Holmstrom (guitare), Jeff Turmes (basse) et Stephen Hodges (batterie) sont totalement investis dans ce formidable travail en studio. Donny Gerrard, C.C. White et Laura Mace, au chœurs, ajoutent encore en qualité et en densité. La musique est ici superlative. De Change à One More Change, pas un moment de faiblesse au plan émotionnel. L’esprit de Pops et des Staple Singers est là, celui de Stax et de Memphis évident sur le très funky Brothers and Sisters, mais aussi le Blues, et un quasi dépouillement parfois (Heavy On My Mind, Never Needed Alone) où chant et guitare nous transportent haut, très haut… Hard To Leave, interprété par Mavis et Ben, semble là comme pour sceller une amitié indéfectible autour de moment vécus en tout points comparables. À 80 ans, après son remarquable « Live In London », Mavis Staples semble ne pas souffrir du nombre des années et signe ici un véritable petit chef-d’œuvre au sein d’une belle série d’albums pour Anti- Records. – Marcel Bénédit


Keb’ Mo’

Oklahoma

Concord Universal

Keb’ Mo’ alias Kevin Moore est un musicien que nous aimons bien depuis son premier CD paru en 1994 : une voix soulful et naturelle, une aisance et une classe qui ne se démentent jamais. On est bien en compagnie de Keb’ Mo’. Ce nouvel album – sous la direction artistique de Colin Linden – contient des chansons inspirées par des événements vécus par notre homme – comme ce voyage en Oklahoma qui le sensibilisa à la vie difficile menée par beaucoup d’habitants de cet État. Sur ce titre, Robert Randolph rajoute les sonorités envoûtantes de sa lap steel guitare. Keb’ aborde avec talent les thèmes de l’immigration dans This is my Home ou de l’égalité des sexes dans Put a Woman in Charge, soutenu par la voix puissante de Rosanne Cash. Taj Mahal est présent sur un hymne en faveur de l’environnement :  Don’t Throw it Away et le disque se termine sur un magnifique duo avec son épouse Brooks Moore avec l’émouvant Beautiful Music. Un très bon Keb’ Mo’ ! – Marin Poumérol


Vivian Vance Kelly

Chicago Here I Come

Wolf Records CD 128840 – www.wolfrec.com

Le label autrichien a toujours été fidèle à la famille Kelly. Vance, le père de Vivian, que l’on ne présente plus, a toujours été reconnaissant au boss du label Hannes Folterbauer de lui avoir permis d’enregistrer son premier album. Il a par la suite toujours refusé les propositions de compagnies américaines qui arrivaient à juste titre un peu tard après que le musicien ait essuyé une kyrielle de refus de leur part. Il en est de même ici pour Vivian Kelly qui signe une nouvelle session pour Wolf Records. Entourée de la formation paternelle, le Back Street Blues Band, elle nous propose 12 compositions dont 10 originales. Au niveau des reprises, elle a choisi un titre appartenant à Denise Lassalle, Husband Cheating On Us et le classique Stand By Me de Ben E. King, habilement revisité. La totalité de la session oscille entre Blues traditionnel et Soul sudiste, à l’image de la musique que l’on peut entendre dans les clubs du South et West Side de Chicago. Sous la houlette de son père, la formation colle au plus près des titres écrits par celle qui a vu le jour en 1972 et qui fit ses débuts à l’âge de douze ans dans un groupe de Hip-Hop. Vance Kelly, comme à son habitude, assure à la guitare, mais sans voler la vedette à sa fille ; bref, il nous démontre une fois encore toute sa classe. La musique est une affaire de famille chez les Kelly, déjà le grand-père et l’oncle de Vivian étaient dans un groupe de Gospel et R’n’B – The Kelly Brothers – et avaient signé des sessions chez Excello Records. La tradition se perpétue et, visiblement, cette nouvelle session produite par Wolf Records ravira les nombreux amateurs des musiques émanant de la Cité des Vents. – Jean-Luc Vabres


Dale Bandy

Blue

Auto-produit – www.dalebandy.com

À mes oreilles, ce disque est une agréable surprise. 40 ans de pratique musicale et premier enregistrement, l’américain Dale Bandy s’est donné le temps. Sans prétention. Pour son plaisir et celui de quelques amis. Au risque de voir ce disque « récompense » rester dans l’anonymat. Une situation que pourraient méditer bien des étoiles filantes… J’aime bien ses accents stoniens sur les accrocheurs My Bad Reputation et Comin’down, tout comme sur la ballade « confession » If I Could Only Take it Back. Les versions de Big Legged Woman et The Thrill is Gone – maintes fois revisitées – bougent bien, au même titre que le rock’n’roll Country Star. Dale Bandy assure lui-même la plupart des instruments avec l’addition ponctuelle de quelques titres. – Dominique Lagarde


Big Daddy Wilson

Deep In My Soul

Ruf Records RUF 1259 – www.rufrecords.de

Big Daddy Wilson Blount est originaire d’Edenton, une bourgade de Caroline du Nord. Très jeune, il s’engage dans l’armée américaine et rejoint l’Allemagne. Il épouse une jeune allemande et s’installe dans ce pays. Outre l’amour, il y découvre le Blues. Grâce à ses talents de chanteur et ses dispositions pour composer de bonnes chansons, il embrasse la vie de musicien. Depuis vingt cinq ans, il a publié sous son nom quatorze disques de qualité, mais nous laissant jusqu’ici un peu sur notre faim. Pour ce « Deep In My Soul », le label allemand Ruf a envoyé Big Daddy Wilson aux États-Unis. Il a ainsi enregistré aux Bessie Blue Studios de Jim Gaines, Stantonville, Tennessee, et aux Studios FAME, Muscle Shoals, Alabama. La production a demandé à l’excellente guitariste Laura Chavez de venir épauler Big Daddy Wilson et sa belle et profonde voix. Big Daddy Wilson est l’auteur ou le co-auteur de dix des douze chansons de ce CD. I know et Deep In My Soul, les deux seuls titres avec cuivres (et même chœurs pour I Know), sont les moments forts du CD. Ils nous font regretter que les cuivres n’aient pas été plus utilisés. I Got Plenty et Mississippi Me sont très influencés par la Country. I’m Walking et Crazy World sont d’excellents blues, Tripping On You un morceau funky très réussi. Le Gospel est trop brièvement présent (49’’) avec Couldn’t Keep It To Myself. Chacune des interventions de Laura Chavez est marquée du sceau du bon goût, de la finesse et de la brièveté. Laura Chavez et la rythmique experte en ce style de musique apportent la profondeur qui manquait aux enregistrements précédents de Big Daddy Wilson. Le superbe chant de celui-ci en est magnifié. Un petit bémol : Voodoo et ses sonorités hendrixiennes m’ont laissé indifférent. À ce jour, à mon goût le disque le meilleur et le plus abouti de Big Daddy Wilson. – Gilbert Guyonnet


Billy Branch & The Sons Of Blues

Roots And Branches – The Songs Of Little Walter

Alligator Records ALCD4992 – www.alligator.com

Né en 1951 à Chicago et harmoniciste de renommée internationale, Billy Branch est « tombé » dans le Blues dès 1969. Il a contribué à son histoire avec une face dans une anthologie du label Barrelhouse en 1978 et, de cette date à nos jours, il a publié onze albums sous son nom avec les Sons Of Blues et a participé à un nombre effarant d’albums d’autres musiciens. Il a eu la chance d’avoir comme profs des sommités comme Junior Wells, Carey Bell, Walter Horton, James Cotton et bien d’autres, mais il n’a jamais pu rencontrer de son vivant celui qui est considéré par beaucoup comme le meilleur harmoniciste de Blues de tous les temps, à savoir Little Walter (Marion Jacobs) qui est sa référence ultime et son modèle. C’est dire s’il a réagi avec enthousiasme à la proposition de Bruce Iglauer (label Alligator) d’enregistrer un album en hommage à ce bluesman exceptionnel. Dans les termes mêmes de Branch : « Il n‘était pas question de reproduire note pour note le jeu de Little Walter et de faire des copies à l’identique de ses compositions, mais bien d’ajouter aux mélodies des éléments modernes de soul, de funk et même de gospel, tout en préservant le style innovant et la spécificité de Walter ». À l’écoute de l’album, il faut reconnaître que le pari est largement réussi, avec un solide coup de pouce des Sons of Blues : Sumito “Ariyo” Ariyoshi (piano), Giles Corey (guitare), Marvin Little (basse), Andrew “Blaze” Thomas (drums). Parmi les quatorze faces, neuf ont été composées par Little Walter, dont les célébrissimes Juke, Last Night, You’re So Fine, Blues With A Feeling, … et deux sont de la plume de Willie Dixon (My Babe et Mellow Down Easy) ; les autres sont des morceaux que Walter aimait jouer en public (Key To The Highway, …). À noter qu’il y a un petit plus : une 15è plage avec des souvenirs racontés par Marion Diaz, la fille de Walter… – Robert Sacré


Grady Champion

Steppin’ In, A Tribute To Z.Z. Hill

Malaco Records MCD 7553 – www.malaco.com

C’est une sacrée bonne idée qu’a eu le label de Jackson de faire entrer en studio Grady Champion avec un seul but : produire un album hommage au regretté Z.Z. Hill. Autant l’avouer de suite, le répertoire de l’illustre chanteur va comme un gant à Grady Champion, sans parler de son registre vocal qui n’est pas sans rappeler celui de l’interprète du classique Shade Tree Mechanic. Au niveau des compositions retenues, nous retrouvons les incontournables succès qui ont définitivement assis la réputation de Z.Z. Hill, à l’image de l’indétronable Down Home Blues, Cheating In The Next Room, I’m A Bluesman, sans oublier Right Arm For Your Love. L’accompagnement maison est comme à son habitude réglé au millimètre sous la houlette des Jackson Horns (Kimble Funchess et David N. Ware). À noter que le guitariste Eddie Cotton est présent sur deux morceaux, Bump and Grind et Everybody Knows About My Good Thing, les autres solos étant tenus par Will Wesley. Icône de l’écurie Malaco disparue bien trop tôt, la grande maison de disques rend ici un vibrant hommage réussi à son artiste dont la musique continue toujours à faire vibrer la communauté afro-américaine. Coup de chapeau également au natif de Canton, Mississippi, Grady Champion, qui a su avec talent, humilité et efficacité mettre en valeur le répertoire de son chanteur favori. Une indéniable réussite. – Jean-Luc Vabres


Stevee Wellons

Stevee

Bonedog Records BDRCD-49 – www.mojoboneyard.com

Après son album « All Natural Ingredients » en 2016 qui nous avvait fait découvrir cette artiste de la scène de Pittsburg (son opus de 2018 « Born To Blues » étant passé plus inaperçu de ce côté de l’Atlantique), voici « Stevee », très bel album profitant d’une remarquable production sous la houlette de Jeffrey Ingersoll et de ses acolytes de Bonedog Records / Mojo Boneyard. Comme à leur habitude, il s’agit d’un enregistrement soigné dans lequel les cuivres sont à l’honneur. La voix de Stevee Wellons fait merveille sur les morceaux soul sucrés (voix posée superbe sur Two Sides To Love ou encore Walk You Off My Mind) tout comme sur des morceaux plus enlevés (écoutez Let It Groove et sa partie sifflée bien sympa). L’équipe de musiciens est excellente et les chansons – dont la majorité sont signées Ingersoll et Robert Peckman (également multi-instrumentiste et producteur) – sont taillées sur mesure pour cette voix féminine qui, décidément, nous enchante. La composition de He’s My Secret Agent Man est pleine d’humour, l’interprétation de Someday (Bartholome/King) un vrai plaisir. Douze titres vous permettront de vous rallier je l’espère à mon avis et au plaisir que m’a procuré l’écoute de cet album. – Marcel Bénédit


Reverend Freakchild

Lay Your Hands On The Radio

T&R-10

Quand on arrive en ville… on parle à la radio locale et puis on fait son show le soir… Ce CD bizarre et un peu foutraque nous transporte sur la route avec ce plutôt « irrévérent » Freakchild, comme le souligne avec humour le dossier de presse. Vingt-six plages dont une douzaine d’extraits d’entretiens radio avec des DJ’s, le Reverend Freakchild nous entraîne dans un roadtrip à travers une douzaine d’États d’Amérique afin de faire connaissance avec le personnage et son univers. Il faut déjà bien maîtriser l’anglais (ou l’américain) et l’accent des différentes villes traversées. Au milieu, de la musique : des spirituals, des reprises de Z.Z. Top, J.J. Cale, et des originaux bien ficelés comme le “Lou Reedien” Dial it In (en version acoustique et électrique), ou la sensible ballade The Finish Line en guise d’adieu. Le torturé Road Trance renvoie davantage vers Captain Beefheart. Sur la route, toute la sainte journée… – Dominique Lagarde


John Gindick

Love At The All Night Café

Old Chimney – www.johngindickband.com

Né et installé en Californie, Gindick est une célébrité dans le monde de l’harmonica depuis les années 70. Son livre + cassette « Country and Blues Harmonica for the Musically Hopeless » (1984) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires ! D’autres méthodes d’harmonica ont suivi, avec le même succès, en ce compris une vidéo d’instruction avec B.B. King. En 2001, il a créé le Blues Harmonica Jam Camp qui a connu de nombreuses éditions. Infatigable, il continue à multiplier ces séances de formation (infos sur www.gindick.com). Gindick est aussi chanteur, guitariste et il signe ici les douze faces de son deuxième album. Il est accompagné par Ralph Carter (basse, keys, percus, guitare), Frank Goldwasser (guitare) et Pete Gallagher (drums). Son parcours est éclectique, ses compos aussi, cela va du blues aux ballades, de blues teintés « country » au western swing et à des influences latinos… Côté blues on retiendra I Was Born To Wail (« né pour jouer de l’harmonica » dans lequel, au passage, il rend hommage aux grands harmonicistes Walter Horton, Little Walter, Jimmy Reed et bien d’autres). Load Me Up Baby bien chaloupé est sans doute la meilleure face du disque et met Goldwasser en avant. La pochette est rehaussée d’une repro d’un tableau célèbre d’Edward Hopper, « Nighthawks », et c’est le sujet, en mode satirique, du titre éponyme The All Night Cafe, sur un rythme latino. Le pétulant Happy Wife, Happy Life, Happy Home qui était en son temps le conseil donné aux jeunes mariés, se déroule sur un rythme proche du western swing tandis que I Love The Feminine Girl lorgne du côté du mouvement #metoo, mais le macho se réveille dans un slow blues, Hand Holding Man. Tout au long de cet album, la partie ryhtmique comme les parties d’harmonica et de guitares sont au top. – Robert Sacré


Jessy Wilson

Phase

Three Tigers

Protégée d’Alicia Keyes dont elle a été choriste, amie de John Legend dont elle a partagé les compositions, Jessy Wilson se lance en solo en revendiquant l’héritage de Curtis Mayfield et du R’n’B des années 70. Et c’est ici que semblent s’arrêter les influences, car nous sommes en face d’une œuvre disparate où le rock le dispute à une pop éthérée trés britannique (Oh, Baby, Love & Sophistication, LA Night) alors que Clap Your Hands, sa hargne et sa guitare psyché sans rapport avec celle de Curtis Mayfield nous rappelent les grandes heures de Betty Davis. Moving Through Your Mind en forme de « Soul planante » ressemble à ce que faisait Jhelisa Anderson (sœur de Carleen) il y a une vingtaine d’année dans Language Electric ! Paradoxalement, cet album produit par Patrick Carney (batteur des Black Keys) plonge plutôt dans le pop rock seventies que dans le hip hop. Dommage car sans posséder une tessiture identifiable immédiatement comme une Macy Gray ou encore Erykah Badu, Jessy Wilson est agréable à écouter. – Jean-Claude Morlot


Adam Holt

Kind Of Blues

Zenith ZAH1906 – www.adamholtmusic.com

Chanteur et multi-instrumentiste (guitares-piano-orgue), Holt opère à Mobile, Alabama et il est déjà titulaire de l’album « The Sunday Troubadour » paru en 2010 suivi d’un EP 2 titres enregistré aux studios Sun de Memphis. Le titre de son nouvel opus est un clin d’œil à l’un des albums les plus connus de Miles Davis que Holt a bien connu, car son premier instrument fut la trompette. On retrouve ici un mélange d’Americana, de rock and roll et de musique country qui domine, dont deux ballades blues, Don’t Give Up On Me Baby et Bobby ainsi qu’une reprise du Lay Lady Lay de Bob Dylan. À noter un slow blues The End et un superbe Give The Dog A Bone, un blues pur et dur où les passages de guitare et de piano (Donnie Sundal) sont excellents. Les textes sont souvent intéressants comme The Story Must Go On qui traite des luttes pour les droits civiques contre les lois Jim Crow, Bourgeoisie où Holt brocarde la vanité des bien-nantis sur un rythme soutenu et Mr. Morning Drive, un hommage au grand-père de son épouse (la chanteuse Jillian Holt) qui fut D.J. pendant plus de 50 ans et ne prit sa retraite qu’à l’âge avancé de 90 ans (on entend sa voix au début et à la fin du morceau). Une mention encore à Before I trusted You où Holt parle de Robert Johnson et des Crossroads. – Robert Sacré


Peter Ward

Train To Key Biscayne

Gandy Dancer REecords GDR #003

Dans la famille Ward, nous avons Michael “Mudcat”, bassiste et le plus connu de ce côté de l’Atlantique et Peter “Hi-Fi”, guitariste pilier de la scène de Boston. Ce dernier publie son second disque. Peter Ward joua longtemps avec le Legendary Blues Band, l’orchestre de Muddy Waters, qui abandonna le maître pour des histoires de salaires. Il fit ainsi ses classes avec Pinetop Perkins, Willie “Big Eyes” Smith, Calvin “Fuzz” Jones et Jerry Portnoy. Il accompagna aussi Jimmy Rogers, Eddie “Cleanhead” Vinson et Lowell Fulson. Un beau curriculum vitae ! Dans ce train en direction de Key Biscayne, Peter Ward a embarqué avec lui son frère “Mudcat”, le pianiste Anthony Geraci, le batteur Neil Gouvin, l’harmoniciste et chanteur Sugar Ray Norcia, le guitariste Ronnie Earl, la chanteuse Michelle Willson et Luther “Guitar Jr.” Johnson. Ce dernier interprète de bien belle façon la chanson lorgnant vers la soul qui ouvre le disque, The Luther Johnson Thing ; il y chante : « I made the guitar sing in my hand … People come to see me when they’re feeling sad/ I confort them, make them feel glad »La guitare de Peter Ward, aux sonorités Chuck Berry, soutient le chant et l’harmonica de Sugar Ray Norcia sur A Westerly Sunday Night. Cette même guitare fait merveille sur le jump blues Train To Key Biscayne. Peter Ward ne chante que deux titres, dont Blues Elixir (Ronnie ‘s Here) où le superbe son de guitare de Ronnie Earl est immédiatement reconnaissable. Le champ musical de Peter Ward est très étendu : outre son approche chicagoane, il n’hésite pas à enregistrer un instrumental surf à la Dick Dale, Supposedly, et deux chansons interprétées par Michelle Willson, trop « americana » à mon goût. Les excellentes compositions et le jeu de guitare inventif de Peter Ward accompagné d’amis très proches, font que cette galette s’écoute avec grand plaisir. – Gilbert Guyonnet


The Cash Box Kings

Hail To The Kings

Alligator Records ALCD 4991 – www.alligator.com

Avec le groupe Mississippi Heat de Pierre Lacocque et quelques autres, les Cash Box Kings veillent à maintenir actuelles les traditions du Chicago blues traditionnel, avec des touches de rockabilly, le blues des années 50 et 60, en le dépoussiérant avec panache et en en pratiquant un style tout à fait contemporain fleurant bon la tradition : un pied dans le présent et l’autre dans le passé ! C’est leur deuxième album gravé pour Alligator Records (1) et on peut apprécier leur punch et leur savoir-faire, de plage en plage, tout au long de l’opus. Le chanteur Oscar Wilson (né en 1953) est un pur produit du South Side de Chicago et il est boosté par ses partenaires, le guitariste Billy Flynn, l’harmoniciste (et chanteur) Joe Nosek, la pianiste Queen Lee Kanehira et le guitariste rythmique Little Frank Krakowski sans oublier Kenny Smith aux drums et John W. Lauler à la basse ; quant à la talentueuse Shemekia Copeland, elle est venue donner un coup de main à ses amis dans The Wine Talking, parodie de « In vino verrats » donc aussi une sorte de tribut aux joies simples de la vie, de même que Smoked Jowl Blues, un beau blues lent et torride qui donne à Billy Flynn l’occasion de démontrer son talent comme dans quasi toutes les faces et encore, en particulier dans Take Anything I Can. Wilson et Nosek signent onze des treize faces, certaines ironiques comme Joe You Ain’t From Chicago (un duo vocal entre Wilson et Joe Nosek qui est né dans le Wisconsin), d’autres abordent les problèmes de couple (Poison In My Whiskey, Ain’t No Fun (When The Rabbit Got The Gun) ou The Wrong Number, d’autres encore des situations sociales bien d’aujourd’hui comme Bluesman Next Door ou John Burge Blues (un flic ripoux). Parmi les reprises, il y a une bonne version de I’m The Man Down There (Reed & Carter) et de Sugar Daddy (Walton), ce dernier titre aura plus d’écho en Belgique car il rejoint l’actualité judiciaire (2). Une belle réussite. – Robert Sacré

Notes :
(1) Les Cash Box Kings ont été fondés en 2001 par Joe Nosek à Madison, Wisconsin ; Oscar Wilson les a rejoints en 2007 et avant leurs 2 albums pour Alligator Records, ils ont gravé 8 autres albums parus sur d’autres label comme Blue Bella Records, Blind Pig…
(2) Un procès est en cours à Bruxelles à charge d’un homme d’affaires qui proposait de mettre en contact de jeunes étudiant(e)s désargenté(e)s avec des Sugar Daddies riches… et âgés.


Black Pumas

Black Pumas

ATO/Pias

Non, les Black Pumas ne sont pas une équipe de rugby surgie d’une nation secrète, jusque là inconnue sur la scène internationale. Il s’agit d’un duo constitué du chanteur Eric Burton (!) et du guitariste-producteur Adrian Quesada, basé à Austin, Texas. Plutôt que sur le contact, leur tactique réside dans l’évitement. Les cadrages-débordements, passages par les ailes et le jeu tout en finesse. C’est ce qui donne à leur disque, très marqué par la soul des années soixante-dix, ce côté élégant, aérien, intemporel. La nature de leurs chansons, plus proche de la ballade que du jerk endiablé, fait que l’on prête davantage attention à leurs textes, reflets des grands sentiments humains ou récits d’expériences personnelles. La similitude rythmique de certains titres n’empêche pas, à mon sens, de goûter la qualité de cet album, construit autour de belles parties d’orgue et d’arrangements de cordes gracieux. Même si une certaine mélancolie se dégage de leur dix chansons, leur prestations « live » sont paraît-il beaucoup plus musclées. Il faut aussi aller au contact, des fois. – Dominique Lagarde


Nancy Wright

Alive & Blue

Vizztone Label Group VTDH-112 – www.vizztone.com

J’ai vu cette saxophoniste pour la première fois au sein de l’orchestre d’Anhony Paule lors du Porretta Soul Festival et j’avais été très impressionné tant par son talent au sax que par son énergie sur scène, deux ingrédients qui forçaient indéniablement le respect du public mais aussi celui des autres musiciens aguerris de la troupe. Officiant dans la baie de San Francisco, elle fréquente le club Le Saloon depuis les années 80. Nancy a décidé de faire un enregistrement d’un soir lors duquel, outre une grande part d’instrumentaux, on découvre sa belle voix, jamais forcée, qui colle bien aux morceaux à majorité soul. Elle signe cinq des douze titres présentés ici avec un bonheur réel, que ce soit pour leur réalisation comme pour la qualité de l’enregistrement live. À Poretta, elle nous avait donné son CD « Playdate ! » chroniqué dans ABS ; ce nouvel opus confirme le talent de cette artiste très sympathique qui – et c’est une résultante de sa carrière de saxophoniste – sait laisser s’exprimer les musiciens avec qui elle joue. Une réelle qualité. – Marcel Bénédit


Michael Lee

Ruf Records RUF1274 – www.rufrecords.de

Originaire du Texas (Dallas-Fort Worth), Lee est le tout dernier venu dans l’équipe Ruf. Il est chanteur, guitariste et compositeur de 9 des 11 faces de cet opus. En 2018, sa participation à The Voice TV Show avec le The Thrill Is Gone de B.B. King lui a permis de remporter un succès mondial avec plus de 6 millions de vues sur YouTube ! Un titre qui se retrouve ici avec des compos personnelles. Influencé par Freddy King et Debert McClinton, il pratique un R&B texan mâtiné de blues et de rock and roll et il y est parvenu avec l’aide de ses producteurs – Nick Choate et Nick Jay – et de son groupe, Colin Campbell et Anthony Farrell (p, keys, B3, Rhodes), Preston Lewis (sax), Evan Templeton (tp), Jordan Carr (tp), Scott Lee (basse), Blaine Crews et Clint Simmons (dms). Tant sur le plan vocal qu’instrumental, la plupart des faces baignent dans une sorte d’urgence et de hargne style « à bout de souffle » comme un gars qui craint de rater son train s’il ne court pas assez vite… Et l’effet est magique, on adhère pleinement à ce climat d’anxiété et de panique fébrile bien entretenu par la section cuivres (Praying For Rain, Heart Of Stone, etc.), par un chant tendu qui vient des tripes, même dans les faces en slow : This Is, Fool Of Oz et Here I Am (« ne me laisse pas en rade – stranded – sous une pluie battante… ») ou sa version très originale de Thrill Is Gone et par des fulgurances anxiogènes à la guitare comme dans la meilleure face de l’album, Can’t Kick You (« je peux virer la cocaïne, virer l’alcool mais… pas toi ! ») ou Go Your Own Way (une histoire de marécages et de pistoleros dans une ambiance de cauchemar). C’est très prometteur et on attend la suite avec impatience soit une tournée par chez nous et/ou le prochain disque. – Robert Sacré


John Clifton

In the Middle of Nowhere

Rip Cat Records RIC1901

Le chanteur et harmoniciste californien John Clifton ne vient pas de nulle part, comme pourrait le laisser entendre le titre de son nouveau disque enregistré à Fresno, CA. Dans les années 1980’s, il était le chanteur de The Mofo Party Band. Il a joué avec James Cotton, Rod Piazza, John Mayall, Willie “Big Eyes” Smith, Luther Tucker, Billy Boy Arnold, Kim Wilson, James Harman, … Depuis quatre ans, il vole de ses propres ailes. Son puissant jeu d’harmonica est excellent. Il est aussi un chanteur agréable. John Clifton nous propose cinq compositions personnelles et six reprises qui nous éclairent sur ses goûts : de Lightnin’ Slim (I’m Leaving You Baby), qui donne le la du disque à la conclusion country (Honky Tonk Night Time Man de Merle Haggard) en passant par Jimmy Rogers (If It Ain’t Me Baby), Howlin’ Wolf (Poor Boy), le bluesman d’avant-guerre Charley Jordan (Keep It Clean traité en Chicago blues 1960’s) et Junior Wells (belle interprétation de So Tired I could Cry). Quant aux originaux, ils sont tous réussi ; se détachent le jazzy Cold Spot In Hell, Four Years Ago au groove basé sur Howlin’ Wolf et Junkie Woman Blues dans l’esprit « hokum » des duos Big Bill Broonzy – Georgia Tom, sur lequel John Clifton joue du dobro. Les accompagnateurs sont dignes de mention, en particulier le guitariste Scott Abeyta et le pianiste Bartek Szopinski. Le disque de cet artiste mérite amplement que l’on s’y intéresse. – Gilbert Guyonnet


Paula Harris

Speakeasy

www.paulaharrismusic.com

Paula Harris est originaire de la Caroline du Sud mais elle est installée dans la Bay Area (San Francisco). C’est une chanteuse de très haut niveau, son registre vocal est étendu du grave à l’aigu et elle est particulièrement à l’aise dans un répertoire qui fusionne, avec talent, blues et jazz, deux cousins proches dont le premier a toujours été et reste une source d’inspiration pour le second. Le titre de son album est un gage de sa passion pour la musique dont résonnaient les Speakeasies, ces cabarets de la Prohibition où l’alcool (interdit) coulait à flots dans des tasses à thé ou à café, sous l’œil bienveillant d’Al Capone et de ses séides, au son des orchestres de jazz (Duke Ellington, Cab Calloway, …) avec maintes chanteuses charismatiques de jazz et de blues (Billie Holliday, Helen Humes…) ou des bands de R&B (Louis Jordan, …). Sous la forme d’un trio classique, basse-drums-piano (sans guitare ! et cela marche super bien !) avec des invités, Harris adapte et dépoussière tout cela en y ajoutant un supplément de blues, de soul et une triple couche de swing, grâce entre autre au pianiste Nate Ginsberg. C’est rafraichissant, c’est génial et on ne peut qu’adhérer à son univers, avec un plaisir non dissimulé. Les covers – on pouvait s’y attendre – sont empruntées à Billie Holiday (Good Morning Heartache), Louis Jordan (Is You Is Or Is You Ain’t My Baby), à Theolonius Monk (‘Round Midnight) et même à Donnie Hathaway (More Than You’ll Ever Know) dans des versions très personnelles, modernes et swinguantes. Deux autres faces ont été composées par des amis, dont A Mind Of Her Own (une forte femme)… Les dix dernières faces sont des compos originales de Harris dont de superbes blues jazzy comme I wanna Hate Myself Tomorrow For Rising Hell Tonight (tout un programme pour une sale gamine), Soul-Sucking Man (un vampire assoiffé d’âme) et, pour moi, la meilleure face, Trouble Maker ! On notera aussi Nothing Good Happens After Midight (vous voilà prévenus si vous êtes fans de golies d’après minuit !), Who Put Those Scratches On Your Back (jalousie… et rupture), Haunted et les autres. Tout est excellent là-dedans. – Robert Sacré


Harpdog Brown

For Love And Money

Doghouse Records 902

Cet artiste Canadien de Vancouver sait ce que swinguer veut dire. Harpdog est au chant avec une grasse voix rocailleuse et à l’harmonica inspiré par les bluesmen de Chicago, mais son style c’est plutot le bon vieux R’n’B à la Louis Jordan : reprises de Amos Milburn (Vicious Vodka), de Memphis Slim (The Comeback), de Wynonie Harris et compositions personelles dans ce style. L’orchestre avec cuivres, piano ou Hammond, guitare, basse, drums « pète le feu » avec un son superbe. Un disque bien ficelé qui donne des fourmis dans les jambes. On devrait entendre parler de ce Harpdog Brown qui pourrait faire un malheur dans les festivals. – Marin Poumérol


Kai Strauss & The Electric Blues AllStars

Live in Concert

Continental Record Services CBHCD2032 (Digipack 2 CD)
www.kaistrauss.com
 

Strauss est un chanteur/guitariste allemand. Il arpente les Blues Highways depuis plus de 25 ans. Avec son statut actuel et son niveau de classe internationale, il transcende toutes les notions d’origine et de pays, il est tout simplement un des meilleurs guitaristes de blues de son temps. La démonstration en est éclatante tout au long des 14 faces de cet album qui est un superbe hommage au Chicago blues traditionnel des 50’s et 60’s en mode moderne et dépoussiéré (Got To Be Some Changes Made, …). Chaque face mérite un commentaire élogieux, ne serait-ce que pour la façon impériale de Strauss d’enchaîner des solos stupéfiants d’inventivité et de précision, que ce soit dans les blues lents et medium comme Shades of Earl (un bel hommage à Ronnie Earl et à Earl Hooker), Judgement Day (hommge à Robert Johnson), Hard Life, ou dans les faces plus rapides et/ou enlevées (Let Me Love You Baby, The Blue Is Handmade, …). Chapeau bas aussi aux accompagnateurs qui soutiennent leur leader, sans faille, entre autres le drummer Alex Lex percutant partout, les trois organistes et les deux pianistes très efficaces à chaque fois qu’on les entend (Highway Blues, Did You Wrong, Get The Ball Rolling, …), l’harmoniciste et saxophoniste Thomas Feldmann (dans un Gotta Let You Go d’anthologie, le chaloupé Ain’t Gonna Ramble No More, etc.), tous impeccables et au taquet. Une réussite totale à savourer sans modération, un double album à écouter et à ré-écouter souvent. – Robert Sacré


Various Artists

Early Gospel Recordings, Spreading The Word

JSP Records JSP77214 (A.B.C.D. box 4 CD)
www.jsprecords.com

John Stedman offre maintenant un catalogue fort riche, tant en albums récents qu’en rééditions et, parmi celles-ci, la musique Gospel occupe une place non négligeable. Ce coffret de 4 CD (initialement paru en 2004 avec une autre jaquette) pioche généreusement dans le black gospel des années 20 et 30 surtout, avec de brèves incursions dans les années 50. Le volume A reprend, en intégrale, les 16 faces OKeh d’Arizona Dranes (Chicago, 1926-1928), les 4 faces Vocalion de Sister Mary M. Nelson (Chicago, 1927), les 4 faces Brunswick des Holy Ghost Sanctified Singers (Memphis,1930) et 2 des 4 faces Victor des Louisville Sanctified Singers (Louisville, 1931). La pianiste aveugle “Arizona” (1) Juanita Dranes (née au Texas en 1889 ou 1891, morte à Los Angeles en 1963) (2) est la vedette du recueil ; son jeu de piano est très influencé par le ragtime (démonstration magistrale dans les 2 instrumentaux Crucifixion et Sweet Heaven Is My Home) et par l’A.D.N. même de la musique gospel, celle des « good news », de la joie débordante devant booster les louanges à Dieu comme prescrit dans la Bible : Make A Joyful Noise Unto The Lord ! C’est bien ce à quoi s’attache Dranes dans toutes ses interprétations, que ce soit en solo (vo, p) ou accompagnée : 2 faces avec Sara Martin (vo) et Richard M. Jones (p), 5 faces avec le Reverend F.W. McGhee & His Jubilee Singers et 6 faces avec accompagnement de mandoline (sans doute Coley Jones) (3). Les 3 autres groupes œuvrent dans la même ambiance avec exubérance et ferveur, ce que l’on va retrouver encore et encore dans les autres opus. Une mention à Sister Nelson pour sa voix rugueuse et à Bessie Johnson qui chante sans doute avec les Holy Ghost Sanctified Singers, accompagnée par Will Shade (hca) (3) dans 4 faces excellentes. Le volume B met le projecteur sur les 16 faces Columbia gravées à Dallas entre 1927 et 1929 par Washington Phillips, Texan lui aussi (1880-1954), il est doté d’une voix plaintive et planante, il psalmodie autant qu’il chante avec beaucoup d’introductions parlées, il s’accompagne au dolceola (un instrument hybride formé d’une cithare associée à un clavier genre piano, inventé en 1902), de toutes les faces, il se dégage un charme éthéré, suranné, unique dans le domaine de la musique gospel d’avant 1945 ; tous ses textes sont du plus grand intérêt (4), il y exprime sa foi, sa tolérance et son souci des autres, dans Denomination Blues (3), il brocarde la guéguerre que se livrent les diverses sectes protestantes (plusieurs dicidences de Baptistes, Méthodistes, etc….). L’autre vedette de ce volume B, avec 8 faces mémorables, est Bessie Johnson avec sa voix de rogomme, forte et éraillée mais tellement expressive, on a ici les 4 faces Okeh (Atlanta, 1929) ainsi que les 2 faces Vocalion ( Memphis 1930) – attribuées à Brother Williams & Memphis Sanctifies Singers mais où on entend la voix de Bessie Johnson- et les 2 faces Victor (Memphis 1929), ces 4 dernières avec Will Shade (guitare) (3). Notons encore 2 faces Columbia des Texas Jubilee Singers (Dallas 1928) avec Arizona Dranes toujours aussi enthousiaste et extravertie. Le volume C fait la part belle aux prêcheurs mais pas que, avec 6 faces Victor et 4 faces Okeh de Elder Richard Bryant avec kazoo, harmonica, banjo, guitare, mandoline, washboard, jug, et cornet (3) (Memphis 1928), alternant prêches et chants plein d’entrain comme les 2 faces Columbia de Luther Magby, chant et orgue (Atlanta 1927), 4 faces Okeh de1928 du Rev. Johnnie Blakey avec guitare (Lonnie McIntorsh ?) et tambourin avec en sus Bessie Johnson et les Sanctified Singers (Chicago 1928), 2 faces Brunswick des Southern Sanctified Singers (Chicago 1929), les 2 faces Victor du Rev. E.S. “Shy” Moore (Memphis 1928) et, cerises sur le gâteau, les 2 seules faces jamais enregistrées par Sister Lottie Peavy (San Francisco 1937) avec un orchestre de jazz comprenant Bunk Johnson (tp), Turk Murphy (tb) et autres musiciens du Lu Watters “Yerba Buena Jazz Band” (3). C’est festif, joyeux et plein de vie. Autre régal, les 4 faces Decca du Prof. Johnson et ses Gospel Singers (New York 1950) avec le pianiste de jazz et de blues Sammy Price (3). Le volume D n’est pas en reste avec 6 faces Okeh de McIntorsh & Edwards avec, encore une fois, Bessie Johnson(Chicago 1928) dont The 1927 Flood de sinistre mémoire, 7 faces Okeh de Jesie Mae Hill (Chicago 1927) avec Arizona Dranes (p), 2 faces Columbia (Dallas 1928) et 4 faces Brunswick (Kansas City, 1929) de Laura Henton, ces quatre dernières avec de fameux jazzmen du coin : Bennie Moten (p) – le mentor de Count Basie –, Eddie Durham (gt), …(3), 2 faces Columbia du Rev. Joe Lenley (Dallas 1929) et, joyau parmi les joyaux, les 6 faces Capitol de Goldia Haynes avec Joe Liggins (p), Gene Philips (gt) Eddie Davis (bs) (Los Angeles 1950), excusez du peu !. 105 faces avec une pêche d’enfer (oops !). Enjoy… – Robert Sacré

Notes :
(1) Née au Texas, résidente un temps de Memphis puis de Los Angeles jusqu’à son décès, on se demande d’où lui venait ce surnom d’“Arizona”…
(2) Les notes de Keith Briggs sont pertinentes quoique sommaires et ne suivent pas strictement le planning des enregistrements : ce n’est pas très grave ; mais il donne 1984 comme date de naissance de Dranes (?) et 1944 pour les gravures de Sis. Lottie Peavy à SF, alors que les discographies les situent en 1937. Certainement des erreurs de relecture.
(3) Une fois de plus, notons les vases communicants entre blues, jazz et gospel, évidents pour les musicien(ne)s Beaucoup moins pour (trop de) collectionneurs aux œillères parfois rigides.
(4) Tous les textes sont repris dans « Document Blues – 2 » de R.R. MacLeod, PAT Edinburgh (1995).


Eddie Cleanhead Vinson

Mr Cleanhead Blows His Greatests Hits

Jasmine Records JASMCD 3117
www.jasmine-records.co.uk

Et hop… on embarque et c’est parti. Un groupe de rêve qui rassemble en 1944 des jeunots qui se faisaient les dents sur un rhythm and blues jazzy en attendant de se faire un nom. Eddie Davis, Bud Powell par exemple. En toute logique, on démarre donc avec le premier hit de Vinson dans l’orchestre de Cootie, l’inamovible Cherry Red ; un morceau emblématique qui reçut l’honneur (et les résultats commerciaux) des charts. Vinson, c’est d’abord une voix à laquelle répond un alto qui fait corps avec elle. Un musicien qui a beaucoup écouté ses aînés et ses concurrents. Et c’est aussi un leader qui a toujours su choisir ses sidemen avec discernement. Les textes ne manquent pas d’humour, comme son commentaire sur sa calvitie tempérée par d’autres avantages… (« Folks call me mister Cleanhead ’cause my head is bald on top
Folks call me mister Cleanhead ’cause my head is bald on top, And every week I save a dollar, When I walk by that barber shop »). L’amateur de Jazz et l’amateur de Blues trouveront de quoi faire leur bonheur au fil des 27 morceaux proposés. Ces derniers participent de la naissance d’un véritable style musical qui exprime l’appétit de vivre de la population noire des grandes métropoles notamment dans l’Ouest. C’est tout un peuple qui durant le boom économique des années de guerre et à la faveur des idées nouvelles ramenées d’Europe par des milliers de GI noirs, pense une nouvelle existence à portée de main. La musique d’Eddie Vinson est enracinée dans cet univers en mutation. Une mutation qui ne réjouit pas tout le monde comme en témoignent par exemple les émeutes raciales survenues à New York et à Los Angeles en 1943. Eddie est un chantre de la prospérité, même si les revenus de la population noire demeurent étriqués par rapport à ceux de leurs homologues blancs. Mais on se console comme le suggère le célèbre Kidney Stew Blues :
Crazy about you baby, but I just ain’t got the price, 
Crazy about you baby, but I just ain’t got the price
You’re a high class mama, so I guess it ain’t no dice
Goin’ back home, and get my old gal Sue
Goin’ back home, and get my old gal Sue
She ain’t the caviar kind, just plain old kidney stew
Si Eddie n’avait pas été chanteur, il aurait sans doute connu une carrière du type de celles de Sonny Criss ou Sonny Stitt, mais son talent vocal lui a assuré la reconnaissance d’un public plus large. Eddie Vinson a produit de nombreux disques, avec très peu de déchets, voire pas du tout. Ne nous en plaignons pas. – André Fanelli


Big Jack Reynolds

That’s A Good Way To Get To heaven
The Music & Life Of Big Jack Reynolds

Third Street Cigar Records TSC 106 (CD-DVD)

Dès l’introduction à l’harmonica d’une version inédite de Honest I Do (Jimmy Reed), mon cœur frétille d’un grand frisson de bonheur : Big Jack Reynolds est le « real deal » bluesman. Son « real low down » blues vient des tréfonds de son âme. Third Street Cigar Records rend un bel hommage à l’obscur bluesman Big Jack Reynolds, disparu en 1993, grâce à un CD de raretés et un DVD qui dresse le portrait attachant de ce vrai bluesman. Ses amis témoignent sans complaisance : il était un homme dur, irascible et brusque au premier abord. Big Jack Reynolds grandit dans le Sud, à Albany, Georgie. Était-il originaire du Sud ? Rien n’est moins sûr : « bluesman from somewhere in the South, though it was never clear where ». Il y écouta de grands bluesmen. Il se vantait qu’âgé de huit ou neuf ans Blind Lemon Jefferson l’ai laissé gratter les cordes de sa guitare avec une paille. Affirmation bien sûr douteuse ! Au milieu des années 1950’s, il vécut à Detroit, fréquenta Hasting Street et accompagna John Lee Hooker, Eddie Burns, Bobo Jenkins, Eddie Kirkland, Freddie King, … Il jouait de la batterie (il était très exigeant avec les batteurs), de la guitare, du piano et était surtout un excellent harmoniciste. Eddie Shaw et Harmonica Shah en témoignent dans le DVD. Le jour, il était plâtrier. Après les émeutes de Detroit de 1967, il gagna Dayton, Ohio, puis Toledo, Ohio, dans les années 1970’s où il devint une figure centrale de la scène blues de cette ville jusqu’à sa mort. Son ami Sir Mack Rice – auteur entre autres de Mustang Sally et Cheaper to Keep Her et dont le DVD offre des images inédites en concert – l’invitait sur scène chaque fois qu’il se produisait à Toledo. Le réalisateur, Glenn Burris, résume bien son film : « His life story is terrific. It’s both a funny and sad story, and a classic tale of a gifted and mysterious bluesman. Hearing his music, you know he could have been a great star if he’d ever caught a break »Le CD regroupe l’intégrale d’une séance pour Highball Records, datant de 1989, qui avait donné naissance à un 45t (HB101) et à une cassette intitulée « Broke and Disgusted ». Le producteur et guitariste de la session, Larry Gold, y a ajouté trois inédits. Si vous recherchez l’originalité à tout prix, ce CD n’est pas pour vous. Si vous appréciez le « downhome blues », vous ne résisterez pas aux interprétations magiques de Big Jack Reynolds. Reprises ou compositions originales apportent le bonheur. La partie d’harmonica sur Go On To School de Jimmy Reed est remarquable. Le chant et l‘harmonica font merveille sur Help Me de Sonny Boy Williamson (Rice Miller) et Ah’W Baby de Little Walter. Une section de cuivres soutient Big Jack Reynolds sur Rock Me Baby, avec un excellent solo du saxophoniste Kevin Maude. Superbe et fort est l’instrumental Hot Potato avec un solo de guitare de Big Jack Reynolds. Walk On Up a un petit air de Fannie Mae, le classique de Buster Brown. L’écoute de l’original Mean Old People, que Big Jack Reynolds interprète seul avec sa guitare, évoque Muddy Waters. On en redemande ! Seul titre du disque provenant de la session Blue Suit de 1987, « She Must Be A Millionaire », l’inédit She Moves Me de Muddy Waters et Gonna Love Somebody, une composition de Big Jack Reynolds, nous donnent le frisson ; Big Jack Reynolds y est seul avec sa voix et son harmonica. Pour compléter le CD, le producteur a inclus une face du 45T Mah’s 0010 (1962), le mambo Made It Up In Your Mind, et les trois chansons enregistrées en 1965 pour Hi-Q et Fortune (I Had A Little Dog, You Won’t Treat Me Right et Going Down Slow). De vrais merveilles ! « La Musique et la Vie de Big Jack Johnson » salue de bien belle façon la mémoire d’un vrai bluesman qui devrait enfin quitter le purgatoire et gagner le paradis. Cet hommage chaleureux devrait avoir l’estime et l’audience de tout amateur de Blues. – Gilbert Guyonnet


Scatman Crothers

Rock’n’roll with Scatman

Jasmine Records JASMCD 1010
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Personnage bien oublié aujourd’hui – alors que son importance est réelle – Sherman Crothers (surnommé “Scatman” à cause de son amour du scat, cette façon de chanter le jazz avec des onomatopées), né en 1910, était avant tout un amuseur public, un homme de scène, mais aussi un excellent chanteur et acteur prêt à tout interpréter. Il débuta avec beaucoup de succès comme animateur radio, puis fut l’un des premiers animateurs noirs de télévision où ses pitreries et son humour le firent largement connaître. En 1956, il enregistra un album, « Rock’n’roll with Scatman », qui constitue les 12 premiers titres de ce CD : Rock’n’roll si l’on veut, car il s’agit plus de classiques du jazz chantés d’une façon assez fantaisiste, mais toujours avec swing. Il s’attaqua ensuite à des classiques du rock : Be Bop a LulaBlueberry HillHound Dog, d’une façon plus ou moins convaincante. Il a également joué dans de nombreux films dont « Shining », « Vol au dessus d’un nid de coucou » et « Hello Dolly ». Son chef-d’œuvre reste pour moi son hommage en deux parties au jeune Emmett Till assassiné dans le Mississippi par d’abominables racistes : The death of Emmett Till qui clôt ce disque et a sans doute influencé Bob Dylan. Grandiose ! – Marin Poumérol


Little Joe Cook

Peanuts and Other Delicacies, The Little Joe Cook Story 1951-1962

Jasmine Records JASMCD 3120
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Glorieux méconnu, Little Joe Cook (1922-2014) est l’homme d’un seul hit, Peanuts, en 1957 chanté d’une voix de fausset. Aucune crainte : son registre vocal ne s’arrête pas à cette novelty song. Malgré ce succès éphémère, son œuvre entre gospel, doowop et rhythm’n’blues, est intéressante à plus d’un titre. Ce CD capte intelligemment en 29 titres l’essentiel de ses dix premières années de carrière. À commencer par deux superbes spirituals gravés au sein du Evening Star Quartet. Lorsque sonne l’heure de passer à la chanson profane en 1956, Little Joe monte un groupe vocal, the Thrillers. La transition se fait sans douleur et This I know, couplée à l’excellent rock’n’roll Lets’do the slop, est une magnifique ballade encore très empreinte de son passé religieux. Et son homonymie avec Sam Cooke, me direz-vous ? Little Joe en joue ici à plusieurs reprises pour adopter aussi le phrasé du golden boy (Lonesome, Don’t leave me alone, It’s been a long time). Des nombreux 45 tours enregistrés pour Okeh émergent encore les intenses I’m a fool, One more time et le frénétique I need somebody. Sa version de Stay sortie en France sur un rare EP 4 titres s’est fait voler la vedette par celle de Maurice Williams and the Zodiacs. Dommage encore que sa collaboration avec Bobby Robinson pour Fury n’ait donné que deux titres à la production un peu chargée (en clôture de ce CD). Auteur plus tard dans les années soixante d’excellents titres soul pour diverses marques, Little Joe Cook n’a pu hélas retrouver le haut de l’affiche. Dans les années 80, son label Beantown Records International publiera une compilation de ses anciennes faces et deux 33 tours en 1981 et 1988, dont le second atteint des sommes rondelettes sur les sites de vente en ligne. Deux de ses filles ont chanté dans le groupe The Sherrys au début des années soixante. – Dominique Lagarde


Marvin Gaye

You’re The Man

Tamla T316L

Un « nouvel » album de Marvin Gaye ? Lorsque l’annonce tomba à l’approche de la parution officielle le 29 mars 2019, cela paraissait à peine croyable, et pourtant… Au décours du concept-album politique «  What’s Going On » paru en 1971, Marvin vit une période créatrice très prolifique et enregistre plusieurs titres originaux et des versions alternatives de What’s Going On et de Let’s It On (entre autres) durant l’année 1972. De quoi faire un album qui doit, selon lui, logiquement succéder au flamboyant et engagé « What’s Going On ». Le single You’re The Man paraît bien en 1972, mais un conflit interne naît avec le boss du label Motown, son beau-frère Berry Gordy. Malgré l’immense succès de « What’s Going On », ce dernier souhaite garder le contrôle sur la création de Marvin et le pousser plus sur le versant pop du R&B. Des titres comme I Want To Come Home For Christmas – chanson de fin d’année dans laquelle Marvin adopte le point de vue d’un prisonnier durant la guerre du Vietnam – sont également sujets à polémique. Marvin tient bon dans ses convictions dans un premier temps, ne souhaitant pas adopter un discours plus « léger » pour des questions de marketing, mais le flop de You’re The Man et l’insistance de Gordy auront raison de sa ferveur. Il abandonne de lui-même le projet. La suite, on la connaît : la B.O. de « Trouble Man » en 1972 puis « Let’s Get It On » en 1973. Certains titres de « You’re The Man » se retrouveront éparpillés sur diverses compilations au fil du temps (d’où le classement ici de cet album en « réédition »), ou sur l’album d’autres artistes, à l’image de My Last Chance qui se retrouve sur l’album « Renaissance » des Miracles en 1973 sous le titre I Love You Secretely. Sur les 17 titres du CD, seuls My Last Chance, I’d Give My Life For You, l’instrumental Christmas In The City et le titre Symphony sont « inédits » sous la forme originelle présentée ici et souhaitée par Marvin à l’époque. Bref, cela fait près d’un demi siècle que cet album – en tant que tel – repose dans les archives de la Motown. Son exhumation est forcément une bonne nouvelle et nous rappelle, si besoin était, l’immense talent de Marvin. On ne peut bien sûr ici que raconter l’histoire, car peut-on faire une critique du génie ? Toutes les compos de « You’re The Man » entrent pour moi dans cette catégorie. – Marcel Bénédit


The Big Three Trio featuring Willie Dixon

Jasmine Records JASMCD 3114
www.jasmine-records.co.uk

J’avais eu l’occasion d’écouter cette sélection il y a quelques années déjà lorsqu’elle était parue chez CBS. J’étais curieux à l’époque de connaître cette formation et, notamment, le pianiste Leonard Caston. Il faut dire que Bob Koester, lors de mon premier séjour à Chicago, m’avait longuement parlé de cet artiste mais en tant que guitariste influent dans la genèse du Chicago blues électrique d’après-guerre. J’ai d’ailleurs toujours recherché des témoignages du jeu de Caston en tant que guitariste. Mais je n’ai pu entendre que des faces bien rares rééditées par des labels éphémères autant que minuscules ; Oh Me Oh My Blues par exemple, gravé pour Victor en 47 au côté de Walter Davis, ou une séance attachante en 1946 derrière Jazz Gillum. Mais stop, revenons à notre trio. Leur musique est conçue pour plaire. Elle est là pour établir une ambiance festive et non pour rappeler à la clientèle les moments difficiles du passé de la communauté noire. Dans son autobiographie « I Am the Blues », Willie Dixon revient longuement, en compagnie de Baby Doo Caston, sur le Big Three Trio. Ceux qui sont attirés par ce type de formation prendront plaisir à la lecture de nombreuses anecdotes. Il faut prendre conscience que ces sessions sont antérieures à la période la plus féconde de Dixon et ne pas en attendre trop. You Sure Look Good to Me, qui ouvre le CD, est l’une des faces les plus réussies avec son atmosphère hypnotique. Signifying Monkey, qui suit, relève d’une toute autre ambiance. Ces deux morceaux auraient pu résumer à eux seuls le style du trio. Vous l’aurez compris, ce CD ne restera pas dans mes annales… sinon comme document sur une période charnière de l’histoire du Blues. Mais il vous plaira peut-être… – André Fanelli


Bill Dicey

Fool In Love, The Complete Sessions
Classic Blues Harmonica from a New York Legend

JSP Records JSP3015 – www.jsprecords.com

Bill Dicey (mauvaise orthographe de son nom sicilien Dicea), originaire du Maryland, fut un chanteur, guitariste, batteur et surtout un remarquable harmoniciste. Il débuta, encore adolescent, vers 1950, comme batteur professionnel. Un soir de 1951, il accompagna Sonny Boy Williamson (Rice Miller). Il eut la chance de voir plusieurs fois Muddy Waters alors que Little Walter en était encore l’harmoniciste. Dans les années 1960, il travailla à Atlanta où il forma l’Atlanta Blues Band avec Buddy Moss. Les années 1970 le virent très actif musicien de la scène blues de New York. Ainsi accompagna-t-il Charles Walker, Otis Spann, Pinetop Perkins, Arthur Crudup, Slim Harpo, Big Mama Thornton, … Il joua de l’harmonica sur l’album « Louisiana Red Sings the Blues » (Atco 33-389). Il s’investit avec les Holmes Brothers et le High Street Blues Band, dont Aaron, Charles et Cyril Neville étaient membres. Il fut une pièce maîtresse de l’orchestre-maison du label Spivey : il enregistra avec Roosevelt Sykes, Big Joe Turner, Lloyd Glenn, Sugar Blue, … Bill Dicey, homme-clé du blues new-yorkais, n’enregistra qu’un seul disque, en Angleterre : « Fool In Love », en 1987, pour JSP, qui le réédite en CD avec l’ajout de trois inédits enregistrés dans les studios de la BBC. Voilà un vrai disque de Blues qui n’a pas pris une ride. Le jeu d’harmonica de Bill Dicey est superbe, son chant convient bien à ce style de blues électrique. On peut s’amuser à retrouver les influences : Billy Boy Arnold sur la chanson-titre du disque Fool In Love ou John Lee Sonny Boy Williamson sur Lightnin’ Bug et Sleeping With The Devil. Les mânes de Muddy Waters et Little Walter sont très présents, mais grâce à son jeu inventif, Bill Dicey donne une lecture très personnelle de Too Poor To Die et Sail On. Avec Raining In My Heart, il rend un poignant hommage à Slim Harpo qu’il avait accompagné. Pour la BBC, Bill Dicey reprend trois des chansons enregistrées en studio. Il est très intéressant de comparer ces inédits avec les originaux. Dans le grand studio de la BBC, le son de la batterie est plus dur et le tempo un peu plus rapide. Ce CD de très grande qualité mérite amplement une place de choix dans votre discothèque, aux côtés des artiste renommés cités dans cette chronique. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Rhythm ’n’ Bluesin’ Bayou, Bop Cat Stomp

Ace Records  CDCHD 1547 – www.acerecords.co.uk

Dans la superbe série intitulée  « Rhythm ’n’ Bluesin », voici le septième volume de cette saga qui continue sa méthodique exploration des productions de Jay Miller, Floyd Soileau, Sam Montel et Huey P. Meaux. À l’évidence, ce quatuor possédait un flair de renard pour faire entrer en studio toute une kyrielle de musiciens qui piétinaient d’impatience de graver leur premier 45 tours. Les amateurs de musiques en provenance des bayous seront une fois encore aux anges en découvrant les 28 titres proposés avec son lot habituel d’inédits ou de prises alternatives. Le livret qui passe en revue les différents artistes donne un coup de projecteur sur des labels qui font saliver les collectionneurs, à savoir : Goldband, Rocko, Jin, Montel ou encore Zynn et Folk-Star Records. Mentions spéciales pour les enregistrements de Rockin’ Sidney, Clifton Chenier,  Prince Charles, Big Chenier, Ashton Savoy ou encore Guitar Gable qui sont admirables. Comme à son habitude, le label britannique Ace Records a tout juste avec cet album qui met en lumière toutes ces productions sudistes faites par une poignée de producteurs qui, malgré tous leurs défauts inhérent à la gestion au quotidien de leurs petites entreprises, étaient quand même de sacrés dénicheurs de talents. – Jean-Luc Vabres


Various Artists

Evolution of a vocal group From Lamplighters to Rivingtons 1953-1962

Jasmine Records JASMCD 856 – www.jasmine-records.co.uk

Un double album de Doo-Wop très interéssant puisqu’il suit l’évolution d’une formation qui débuta dès 1952 avec l’association des ténors Leon Hughes et Matthew Nelson et la voix de basse de Willie Rockwell pour accompagner le chanteur Thurston Harris (que l’on retrouve ici dans son tube Little Bitty Pretty One). Démarrage sous le nom des Lamplighters chez King Records ou ils eurent l’honneur de soutenir Jimmy Witherspoon ou Lil Greenwood. Ils deviennent les Sharps ou les Tenderfoots suivant les séances (et il n’est pas facile de s’y retrouver ! ) puis les Showstoppers et enfin les Rivingtons pour le fameux Papa Ooom Mow Mow qui va faire un carton, surtout avec la version de Trashmen Surfin’ bird en 1964. Tout ceci fait partie de la grande histoire du Rock’n’roll et tout au long de ces 62 faces il y a de quoi se réjouir avec des perles comme Kissin’Bug, Sugar WaysCome onLook at meSweet Annie Laurie, qui auraient leur place dans toute anthologie des musiques de cette époque. À ranger à côté de la superbe série « Street Corner Symphonies ». – Marin Poumérol


Various Artists

Ruf Records 25 Years Anniversary

Ruf Records RUF1275 (CD et DVD) – www.rufrecords.de

Pour fêter le 25è anniversaire de son label, Thomas Ruf et ses collaborateurs ont mis les petits plats dans les grands et nous proposent un digipack avec un CD et un DVD. Le CD de 14 plages n’offre aucun inédit mais un extrait de chacun des 14 albums parus ces derniers mois sous le nom des grosses pointures de la compagnie et il faut reconnaître que le choix a été soigné et réussi, en particulier avec Jeremiah Johnson (« Straitjacket »), Samantha Fish (« Chills And Fever »), Bernatd Allison (« Backdoor Man »), Ally Venable (« Texas Honey »), Mike Zito (« First Class Life »), Ina Forsman (« Get Mine »), Savoy Brown (« Why Did You Hoodoo Me »), Vanja Sky (« Hard Working Woman »), Victor Wainwright (« Boogie Depression ») et les autres sans oublier le tout nouveau venu, Michael Lee (« Weeds »). Quant au DVD de 12 clips vidéo, il reprend 5 extraits des Blues Caravans : 2014 avec Laurence Jones-Christina Skjolberg-Albert Castiglia (Join Me On The Blues Caravan), 2016 avec Ina Forsman-Layla Zoe-Tasha Taylor (Honky Tonk Woman), 2017 avec Big Daddy Wilson -Vanessa Collier – Si Cranstoun (Country Boy Soul Medley), 2018 avec Mike Zito – Vanja Sky – Bernard Allison (Low Down And Dirty) et 2019 avec Katarina Pejak – Ina Forsman -Ally Venable (The House Is Rocking) et voir tous ces trios avec soutien rythmique, en plus de les entendre, est un plus évident. Les autres clips sont tout aussi intéressants : Thorbjorn Risager & Black Tornado (If You Wanna Leave), Dana Fuchs (Bliss Avenue), Royal Southern Brotherhood (Moonlight over the Mississippi), Joanne Shaw Taylor (Diamond In The Dirt), Oli Brown (Here I Am), Canned Heat (So Sad) et Luther Allison (Living In The House Of Blues). Un beau parcours et une belle consécration pour Thomas Ruf qui était loin de se douter en 1994 que la compagnie créée pour booster la carrière de Luther Allison (mort en 1997) allait connaître une pareille extension avec un catalogue de plus de 130 albums dont bon nombre sont accompagnés d’un DVD.- Robert Sacré


Jay McShann & Priscilla Bowman

A Rockin’ Good Way 1955-1959

Jasmine Records JASMCD 3121
www.jasmine-records.co.uk

Cette sélection va faire découvrir à nombre d’amateurs une face de Jay McShann qui, quoique importante dans sa carrière, a été éclipsée au profit de sa production avec Charlie Parker et autres grands solistes de jazz. Il faut dire que la France n’a pas été un terreau favorable pour le Rhythm & Blues naissant, encore imprégné de jazz et de blues. Je dois reconnaître moi-même bien des lacunes en ce domaine. En tout état de cause, au plan musical, ce n’est pas le meilleur McShann. Même si le public a bien reçu ses disques et si le succès est venu récompensé le groupe. Priscilla Bowman, de son côté, est une chanteuse agréable mais qui n’a pas sa place au Panthéon des grandes vocalistes noires. Elle connaît son métier mais elle ne vous empoignera pas pour vous conduire à sa suite sur les routes du Blues. Dès que le blues pointe son nez, bien servie comme dans Hootie Blues par exemple par McShann ou son guitariste Jeep Gridden, Priscilla semble bénéficier d’une dosette d’adrénaline bienvenue. Mais ne vous attendez pas à trop… J’ai aimé le saxo ténor dans Don’t Need Your Lovin’, le guitariste, enregistré en retrait, se perd un peu dans le lointain et c’est dommage car il joue plutôt bien. Priscilla se complait souvent dans un univers un peu doucereux et sa musique irait très bien pour sonoriser quelque polar de Chandler : ambiance garantie pour fin de soirée sous la nuit californienne, étoilée comme il se doit. Four Plus me semble l’un des meilleurs morceaux de cette sélection. Du jump blues bien classique, formaté pour les danseurs avec un petit air de jam session permettant au ténor et à la trompette de croiser le fer (plutôt le cuivre…). Ah… J’oubliais. Priscilla ne chante pas. Je suis certain qu’après plusieurs écoutes je finirai par « entrer dans le jeu » et trouver tout ça bien agréable. Mais il reste tant de choses à enregistrer et à tirer de l’oubli… – André Fanelli


Aaron Neville

Love Letters : The Allen Toussaint Sessions

Sunset Boulevard Records

Pianiste, chanteur, compositeur, producteur et arrangeur, Allen Toussaint (1938-2015) a écrit et travaillé avec le gratin des musiciens de New Orleans et bien d’autres. Aaron Neville a fait partie des heureux élus avec lesquels il a collaboré (la réciproque étant également vraie…). La voix d’Aaron est reconnaissable entre mille. Sa carrière solo démarrée en 1966 avec le désormais classique Tell It Like It Is sera rapidement émaillée par une collaboration étroite avec Allen Toussaint. De nombreux hits émergeront du label Sansu Enterprises d’Allen Toussaint et Marshall Sehorn, et la compilation ici présentée regroupe 22 faces en majorité enregistrées pour ce label entre 1969 et la date de formation des Neville Brothers en 1976 où Aaron met sa carrière solo entre parenthèses pour évoluer avec le groupe familial. Cette belle compilation imaginée par Len Fico et Bill Dahl (qui signe également les notes du livret) remet en lumière l’osmose parfaite entre le génie créateur d’Allen Toussaint et le talent vocal unique d’Aaron Neville. Simplement fabuleux. – Marcel Bénédit


Various Artists

R&B Queens of New Orleans
Featuring Irma Thomas, Katie Webster, Barbara George, Barbara Lynn

Jasmine Records JASMCD 3127
www.jasmine-records.co.uk

Depuis une cinquantaine d’années, Irma Thomas est, sans conteste, “The Soul Queen of New Orleans”. Elle a bien eu quelques rivales, telles Katie Webster, Barbara George et Barbara Lynn. On retrouve ces quatre chanteuses sur cette compilation qui fleure bon N’Awlins et la Louisiane. Le compilateur a rassemblé les huit premiers singles d’Irma Thomas. Don’t Mess With My Man (Ron 328), sorti en Décembre 1959, fut la plus grosse vente du label de Joe Ruffino. Après un second 45t Ron, Irma Thomas rejoignit Joe Banashak et son label Minit. Elle fut alors confiée aux soins d’Allen Toussaint. Ce dernier fit enregistrer à la jeune femme Rhythm & Blues (Somebody Told You), Swamp Pop (It’s Raining), ballades pop sirupeuses (Girls Need Boy et It’s To Soon To Know ont mal vieilli) et soul (excellent Two Winters Long). Ce remarquable catalogue de chansons rencontra un succès régional mérité. Les trois titres de Katie Webster, “The Queen of Swamp Pop and Boogie”, présentés ici, sont excellents, en particulier le savoureux blues chanté en duo avec Ashton Savoy, Baby Baby (KRY 100). Barbara George, découverte par Jessie Hill qui la présenta au saxophoniste, arrangeur et producteur Harold Battiste, débuta en fanfare : son remarquable premier disque, une composition personnelle, I Know (You Don’t Love Me No More) – AFO 302 – se vendit à plus d’un million d’exemplaires. Hélas, la suite de sa carrière ne fut pas aussi brillante. Quatre singles de la texane Barbara Lynn complètent ce copieux CD. Cette excellente chanteuse est aussi une guitariste émérite. Produit par le peu recommandable “Crazy Cajun” Huey Meaux, You’ll Lose A Good Thing (avec le regretté Mac Rebennack à la basse) est devenu un petit classique. Second Fiddle Girl et You’re Gonna Need Me remportèrent des succès mérités. À l’écoute de si belles reines du Rhythm & Blues, notre âme est celle d’un courtisan assidu. PS : il faut signaler que trois chansons d’Irma Thomas, deux de Barbara George et Barbara Lynn doublonnent avec le CD « Gulf Coast Girls » (Jasmine JASCD 1000) publié il y a quelques mois. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Souled Out As featured on UK TV Commercials

Jasmine Records JASMCD 998 – www.jasmine-records.co.uk

24 morceaux soul, blues, r’n’b qui eurent l’honneur (!) de soutenir des grandes marques dans des publicités télévisées en Angleterre. Tant mieux si les artistes concernés y ont trouvé leur compte, mais c’est souvent pour eux la seule façon de se faire entendre à la télé par des millions de gens ! Il y a là bien sùr des morceaux très connus des amateurs , mais sûrement pas du grand public. Les supermarchés Aldi se sont servis de  Green Onions, les jeans Lee et Budwiser ont utilisé Boom Boom de Hooker, Wolskwagen s’est servi d’un tube des Coasters, les banques HSBC ont trouvé qu’Etta James pouvait leur rendre service avec Good Rockin’Daddy, Muddy Waters, Joe Tex, Eddie Bo, Ruth Brown, James Brown, The Miracles, Jackie Wilson, Barrett Strong, Nappy Brown et Bo Diddley font partie des heureux élus. L’ensemble constitue un CD un peu fourre-tout de titres déjà dans la majorité des discothèques, mais qui peut être agréable à écouter sur la route des vacances ! – Marin Poumérol


Malted Milk

Love, Tears & Gun

Mojo Hand / L’autre Distribution

En musique comme en œnologie, l’idéal est le blind test ! Rarement notre répartition des albums par chapitres avec une section consacrée à la scène française – dans laquelle, a fortiori, le groupe nantais se retrouve – n’aura été autant discutable. Car cet album du guitariste, chanteur et songwriter Arnaud Fradin et des ses amis de Malted Milk est à intégrer aux meilleurs disques soul et soul/blues toutes origines confondues et a logiquement sa place au milieu des plus belles productions afro-américaines. L’écriture est brillante, en phase avec l’actualité, avec une urgence et une intensité jusqu’alors à mon sens encore jamais atteintes dans un de leurs albums, pourtant tous de qualité. À dominante soul, pas de place néanmoins pour l’ostracisme ; ici on aborde le Blues, le Funk et même le Reggae ! avec la même ferveur, la même conviction, la même envie. Une connaissance profonde des musiques afro-américaines et un talent inouï pour la composition sont la base d’un album gigantesque de mon point de vue, certainement l’une des meilleures productions du genre de ces dernières années. Les musiciens sont remarquables (écoutez l’orgue dans You Got My Soul), les cuivres placés merveilleusement, la guitare d’Arnaud élargit encore son horizon mais reste délicate, mesurée, « juste les notes qu’il faut » pourrait-on dire prosaïquement ; quant à sa voix, elle est plus que jamais en phase avec le style, peut-être n’a t’elle jamais été aussi convaincante, sachant – seulement quand il le faut – s’entourer de chœurs tout en nuances. J’aime les ballades Some Tears You Need To Shed et More & More, j’adore le texte percutant et l’ambiance de Daddy Got A Gun, je ne me lasse pas d’écouter en boucle l’ensemble des 11 titres. Ce disque, sans aucun moment faible, crée des ponts entre Curtis Mayfield, Syl Johnson et Albert King, mais avec des compositions originales et un style propre, des arrangements de très haute volée et une production que ne renieraient pas les studios Hi Records de Memphis. Un très grand album. – Marcel Bénédit


Denis Agenet & Nolapsters

Who Dat ?

Autoproduit – nolapsters@yahoo.com

Il est assez rare qu’un batteur publie un disque sous son nom. Dans le domaine du jazz, le plus célèbre fût Chick Webb et le plus prolifique Max Roach. Puis il y eut Cosy Cole et surtout Jo Jones qui, sous le label Jazz Odyssey, nous offrit un fantastique double album, « The Drums by Jo Jones ». Pour le Blues, la liste est encore plus restreinte. Voici donc un disque sous le nom de Denis Agenet, un batteur français qui accompagne souvent les artistes en tournée et qui est membre du groupe Bad Mules. Profitant du net ralentissement des activités de ce groupe, il décide de se mettre au chant en plus de la batterie et forme avec des amis le groupe The Nolapsters. Cette formation donne aujourd’hui cet enregistrement de 7 titres qui nous plongent dans le Rhythm’n Blues des années 50 à La Nouvelle Orléans. Dans ce groupe, on retrouve le bien connu Matt “Bo Weavil” Fromont à l’harmonica, François Nicolleau à la guitare, Stéphane Barral à la basse et Laurent Charbonnier qui succède à François Sabin au piano. Enfin, pour compléter le swing de cette formation, Denis Agenet a fait appel à deux choristes, Laurence Le Baccon et Céline Guérineau. Avec l’envie irrésistible de danser que donne l’écoute de ces 7 morceaux, on ne peut que souhaiter les voir rapidement sur scène. – Robert Moutet


Automatic City

Triple Ripple

www.automaticcity.fr

Troisième album du groupe lyonnais constitué d’Eric Duperray, Emmanuel Mercier, Zaza Desiderio et Raphaël Vallade. Leur plus aventureux aussi sur le plan sonore. Parcouru de boucles synthétiques, de bruitages bizarres, de dialogues de films de science-fiction, il n’en demeure pas moins solidement ancré dans le blues et le rockabilly, comme en témoignent les reprises haletantes de Tiger Man, Going down south, Shrinking up fast, Animal Instinct, Jumper hanging on the line, Good morning little school girl, couplées à six originaux. Eric Duperray et Emmanuel Mercier ne sont pas venus en studio armés de leurs seules guitares, mais accompagnés d’une panoplie d’instruments étranges (bellzouki, theremin, coral sitar, etc…) qui garantissent l’accès à un univers exotique et sombre à la fois. Leur composition Second ripple, semble ainsi faire se rejoindre le flamenco et la musique orientale. Les multiples percussions, dévolues à Zaza Desiderio y tiennent une place importante. « Le blues c’est avant tout la percussion », disait le journaliste Robert Palmer dans un documentaire dédié à cette musique. Ici, la percussion s’acoquine à un univers psychotique. Alors, passé le premier voyage, ce cabinet de curiosités affiché dans une pochette macabre a-t-il un goût de revenez-y ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne vous enfermera pas dans le confort. – Dominique Lagarde


Didier Céré

Deep Sud

Autoproduit CF01

Depuis une trentaine d’années, Didier Céré est le chanteur guitariste du groupe les Bootleggers qui a déjà produit huit albums. Et il nous propose aujourd’hui « Deep Sud », son premier disque sous son nom. Pour les 12 titres, enregistrés à Pau et mixés au Texas, il a fait appel à une vingtaine de ses amis. Parmi ceux-ci, on trouve Neal Black, Jeff Zima, Michel Foizon, Claude Langlois et Nico Wayne Toussaint. Avec une majorité de compositions personnelles, Didier passe en revue tout ce qu’il aime : la country, le rock et le blues. Pour le zydeco, il a choisi un morceau de Zachary Richard et il se permet, comme pour la majorité des morceaux de l’album, de le chanter en français. Très souvent les textes en français sont peu appréciés quand il s’agit de Blues. Mais il faut reconnaître que Didier a réussi une belle performance, ses compositions ne peuvent pas faire l’objet de critiques sur le choix de la langue. Tout est parfait, avec, en bonus, le morceau Ma Jolie Sarah, écrit par Philippe Labro pour Johnny Hallyday. Et pour terminer ce beau voyage musical, il nous offre Kentucky Moonshine, une composition du guitariste américain Larry Goshorn. Le moonshine est un alcool de contrebande, rendu célèbre par 5 illustrations datant de 1877, montrant la vie des moonshiner du Kentucky. Alors, même sans pouvoir déguster un verre de cet alcool, nous souhaitons bonne route à cet album. Et l’un de ses mérites est de nous permettre d’apprécier le mariage réussi des textes en français de Didier Céré avec les musiques américaines. – Robert Moutet


Flying Saucers Gumbo Special

Nothin’ But

Autoproduction

Depuis 1997, ce groupe, à l’origine bordelais, fait danser les gens ! Fabio Izquierdo (chant, accordéon, harmonica, rubboard), Fabrice Joussot (chant, guitare), Jean-CharlesDuchein (chant, basse), Cédric Le Goff (chant, claviers) et Stéphane Stanger (batterie) sont aujourd’hui les membres du groupe et en connaissent un rayon quand il s’agit de swing, et notamment quand il vient de Louisiane. Après sept albums avec un line up à géométrie variable, Fabio reste le gardien du temple, avec cette expérience unique de la scène apprise notamment en accompagnant les têtes d’affiche américaines en tournée en Europe. Maintenant dispachés un peu partout en France, ces musiciens se retrouvent pour les répétitions et les concerts sous le nom de Flyin’ Saucers Gumbo Special. La musique louisianaise est leur fil rouge, comme leurs albums « Crawfish Groove » en 2010 et « Swamp It Up » en 2014 (qui représentait la France à l’IBC à Memphis) en témoignent. Leur style s’est affirmé au fil du temps, s’orientant vers le swamp blues, le funk, le rock et surtout un zydeco énergique et complètement assumé, ce qui donne une signature singulière à ce groupe. Alors, prenez le Zydeco Train en marche et partez en voyage pour 13 titres avec eux. – Marcel Bénédit


J & V

Stairway To Nowhere

Autoproduit – www.jvsurlenet.fr

Les lyonnais John Hughes et Vic Peters se produisent en duo depuis 2015 sous l’appellation J & V. Après un démo de cinq morceaux sous le simple titre « Live », ils nous proposent « Stairway To Nowhere », un CD avec six compositions originales. Comme ils considèrent que c’est mieux d’être quatre plutôt que deux, ils ont recruté, pour cet enregistrement, une section rythmique avec Marc Mézailles à la basse et Vincent Berne à la batterie. Le choix des morceaux reste fidèle à l’esprit du Blues avec un accord parfait de la guitare acoustique avec la guitare électrique. Bien connus et appréciés dans les clubs et les festivals de la région lyonnaise, ils espèrent, avec ce disque, se faire connaître d’un public plus large et ainsi avoir des propositions de concerts dans tout l’Hexagone. Après avoir écouté en boucle les 20mn de leur CD, je pense que ce serait une juste récompense à leur talent. – Robert Moutet


Various Artists

Brazil USA 70

Soul Jazz Records SJR CD428 – www.souljazzrecords.co.uk

Commençons par le livret : un véritable petit manuel d’histoire qui replace la musique brésilienne retenue ici dans son contexte politique, culturel et social. En 1964, un putsch fait basculer le pays d’un régime de gauche à une dictature militaire. Elle s’installe durablement à la tête du pays. Avec une censure renforcée à compter de 1968. Des artistes se sentant muselés choisissent l’exil vers les États-Unis, pays pourtant bienveillant à l’égard de la junte. On n’est jamais à un paradoxe près. Après l’intérêt porté par des jazzmen pionniers comme Charlie Byrd et Stan Getz à la musique brésilienne, ces départs successifs engendreront une nouvelle fusion de la bossa-nova, de la samba et autres rythmes et atmosphères tropicaux, avec la soul, le jazz, le rock psychédélique. La sélection musicale est prestigieuse : Milton Nascimento, Sergio Mendès, Luis Bonfa, Deodato, Flora Purim, Airto pour ne citer que les plus connus. Airto, dont vous entendez peut-être sans le savoir, dix fois par jour, un extrait de son Tombo in 7/4, en regardant la télé, en allant sur les réseaux sociaux, dans la rue, sur vos smartphones, ou en écoutant la radio. Tout ce melting pot culturel qui peut séduire bien au-delà des purs aficionados de tropicalisme est retracé ici en quinze titres. – Dominique Lagarde