Chroniques #69

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Jimmy Johnson

Every Day of Your Life

Delmark Records DE 861 – www.delmark.com / Socadisc

Une des excellentes nouvelles de ce début d’année nous vient de Chicago avec le vétéran de la scène blues, Jimmy Johnson. Après un très silence discographique sous son propre nom, James Earl Thompson (aka Jimmy Johnson) est à 91 ans de nouveau entré en studio pour Delmark. Malgré une carrière hors du commun, ce natif d’Holly Springs, Mississippi, n’a rien perdu de sa maîtrise instrumentale ni vocale. Cette voix reconnaissable entre toutes, imprégnée de soul et de gospel, fait ici encore des merveilles. Jimmy Johnson a commencé sa carrière professionnelle avec Slim Willis en 1959 et, dans les années 60, a accompagné à la guitare des musiciens évoluant dans un registre soul et R’n’B tels Otis Clay, Denise LaSalle, Garland Green. C’est au début des années 60 qu’il forme son propre groupe et, au milieu des sixties, il enregistre son premier single. Sa carrière prend une orientation résolument blues à la fin des années 60 et au début des années 70. Il accompagne Freddie King, Albert King, Magic Sam, Jimmy Dawkins, part en tournée au Japon avec Otis Rush en 1975. Malgré une carrière de musicien accomplie, il n’enregistre son premier album solo qu’en 1978, à l’âge de 50 ans, sur MCM Records. Ce disque est suivi dès l’année suivante de son premier 33 tours sur le label Delmark. Naît alors une complicité qui ne cessera jamais avec la firme de Bob Koester et la réalisation d’albums remarquables jusqu’à celui-ci – produit par la nouvelle équipe – dans la même veine que ses meilleurs opus, avec, constante incontournable, un travail d’orfèvre à la console. Ce nouvel album de neuf titres offre un répertoire comprenant pas moins de cinq nouvelles compositions et des reprises magiques dont Strange Things Happening de Percy Mayfield ou Lead On Me de Don Robey. Jimmy est entouré de musiciens expérimentés comme le clavier John Kattke, le bassiste Curt Bley ou encore Ernie Adams aux drums. Entre autres, on retrouve aussi – en fonction des faces – Rico McFarland à la guitare, Roosevelt Purifoy au piano ou à l’Hammond B3. Jimmy chante et joue de la guitare et du piano. Tout est formidable dans cet album : les compositions, le choix des reprises, les musiciens, la place laissée aux chœurs, mais aussi le son et la production. « Every Day of Your Life » fera inévitablement partie des grands disques blues de 2020. – Marcel Bénédit


Martha High

Nothing’s Going Wrong

Blind Faith Records

Nul n’est prophète en son pays et ce n’est pas Martha High qui démentira ce vieil adage puisqu’elle a décidé, après des années passées aux côtés de James Brown, de poser ses valises en Italie et plus précisément à Rome. Ce choix ne semble pas fortuit puisqu’il semblerait que l’Italie soit une terre d’accueil idéale pour les artistes soul… Citons Michael Allen – ex-membre du groupe Kilo – qui enregistra chez Stax en 1979, ou encore la chanteuse Lisa Hunt (pour ne citer qu’eux deux) ; ils y trouvent, comme ce fut le cas pour le regretté Willie Walker avec Groove City, de solides musiciens ainsi que de redoutables sections de cuivres connaissant jusqu’au bout de leurs anches l’art du riff acéré et musclé. C’est ainsi que Martha rencontre le producteur Luca Sapio et le groupe The Italian Royal Family et enregistre cet album, comme le précédent (« Singing For The Good Time »), dans leur studio analogique. Cette particularité – qui pourrait sembler incongrue actuellement – confère néanmoins à l’ensemble un son moelleux moins mécanique que son homologue numérique. Luca Sapio a écrit, composé, arrangé et mixé la totalité des titres de cet album qui ne comporte que des inédits alors que la solution de facilité aurait consisté à déverser une série de reprises browniens. À l’instar d »illustres prédécesseurs qui surent par le passé reprendre des codes usés – comme ce fut le cas dans le cinéma avec les exemples du western, ou du fantastique – Sapio se les réapproprie pour en faire un style personnel. C’est ainsi que l’intro de Face The New Future ressemble à du Ennio Morricone qui aboutirait sur de la Blaxploitation façon Isaac Hayes, que les arrangements de Stop Get Off My Back et de Land of Broken Promises sont furieusement seventies. Ces écrins qui ressemblent à des musiques de films sont servis par la puissante voix de Martha High qui démontre qu’à 75 ans que l’âge n’est pas nécessairement un naufrage. « Nothing’s Going Wrong » devrait être un des albums de l’année. – Jean-Claude Morlot


Marcus King

El Dorado

Fantasy/Easy Eye Sound – www.marcuskingband.com

Pressenti comme un évènement bien avant sa sortie – un phénomène rare aujourd’hui pour un disque de rock – cet album du jeune chanteur et guitariste Marcus King, originaire de Greenville, Caroline du Sud, est son quatrième, à seulement vingt-trois ans. Trois autres sous le nom de Marcus King Band ont précédé cet « El Dorado », les deux premiers solidement ancrés dans un rock sudiste bouillonnant, le troisième amorçant déjà ce virage vers une forme de country rock soul dont le champ s’est élargi ici. Sur la toile, ce tournant divise les fans, certains regrettent un écart vers une production plus marquée par le son de Nashville, sous la houlette de Dan Auerbach des Black Keys. J’avoue n’être en rien dérangé par cette évolution, tant le disque regorge de chansons à fleur de peau portées par une voix fragile et unique : Young Mman’s Dream, Wildflowers and Wine, Sweet Mariona, Beautiful Stranger coulent avec limpidité et une aisance désarmante. Le gouailleur Too Much Whiskey est un appel irrésistible à la danse. À l’opposé, The Well et Say You Will frappent fort. Marcus King y déploie un style de guitare toujours étonnant. No Pain offre une poignante conclusion à ce brillant voyage dans les expériences intérieures d’un jeune homme baigné dans la musique dès son plus jeune âge. Des chansons co-signées avec les complices Paul Overstreet, Pat McLaughlin, Ronnie Bowman, Bobby Wood qui s’imposent comme autant de classiques à la beauté instantanée. – Dominique Lagarde


Lazy Lester
avec Benoît Blue Bloy, Geraint Watkins & Stan Noubard Pacha

Yes Indeed !

Tempo Records  TMP2001 / Socadisc

Un tortillage de Lazy Lester, un Baton Rouge incandescent et une paresse indécrottable dans le fond du temps… Un enregistrement presque oublié dans un coin de tiroir qui resurgit à l’aune des souvenirs…
En 2003, le festival Musiques de la Nouvelle-Orleans à Périgueux avait trois ans.
Parrain initial de l’année 2000, Benoît Blue Boy avait une idée. Et une bonne. La rencontre entre Lazy Lester – figure tutélaire d’une certaine idée du Blues – et Les Tortilleurs s’est faite là, sur la scène du parc Gamenson.
 Naturellement, une première et unique répétion-balance-mise-au-point-de-tout et on y était déjà. À un moment, Benoît a suggéré que d’aucun s’imagine dans les années 60 dans un fin fond de Louisiane. Pas de gros efforts à faire. Les branches des grands arbres du parc groovaient sous le poids des moineaux et la brise moite de « mid august » faisait le reste. Tapi dans un coin de scène derrière un gros Hammond B3 prêté pour la circonstance par un impénitent collectionneur de guitares, le gallois Geraint Watkins nappait la sauce à sa manière. Plus Tabasco qu’Espelette, le liant virait rapidement au radical. Dans le Blues, il y a ceux qui aiment Jimmy Reed et les autres.
 La vieille sentence cochait ici la première case du questionnaire. Les Tortilleurs s’ébrouaient en confiance et abandon. La rythmique Chopin / Millerioux assurait les fondamentaux et la guitare de Stan Noubard Pacha semblait sortir d’Excello.
Pourquoi jouer toutes les notes alors que les bonnes suffisent ? Une concision commune entre le guitariste, l’harmoniciste et le chanteur. Lazy Lester laissera les parties d’harmonica à Benoît. Une médaille de chevalier des arts et lettres n’aurait pas mieux fait que cet adoubement tacite.
 Comme tous les morceaux de cet enregistrement, Ya Ya, Tell Me, I Made Up My Mind ou You Don’t Have To Go, ont les couleurs de cette rencontre. Une verdeur pastel de fin d’été pour renforcer la Note bleue.
 – Stéphane Colin


Johnny Burgin 

Live

Delmark Records DE 858 – www.delmark.com / Socadisc

Burgin a passé une vingtaine d’années à Chicago pour « apprendre le métier » au contact de tous les grands bluesmen locaux, avec succès semble-t-il. Puis, en 2016, il s’est installé en Californie où il a joué avec les pointures locales. Le voici revenu chez Delmark à Chicago avec un album enregistré live au “Redwood Cafe”, à Cotati, en Callifornie, en janvier 2019. Il a composé onze des quatorze faces dont deux en collaboration. Ses vocaux sont assurés et son jeu de guitare bien au point (You’re My Trinket, Late Night Date Night, California Blues ou le très jazzy Jody’s Jazz). Il est accompagné par ses copains de la West Coast comme Aki Kumar (harmonica) dans un musclé You Got To Make A Change qui ouvre la séance et dans The Leading Brand, un instrumental signé Earl Hooker où brille Kid Andersen qui tient la guitare dans pas moins de neuf faces et le piano dans deux autres, le tout avec brio, de bout en bout. Il y a encore d’autres guests comme Charlie Musselwhite (hca) dans trois faces top niveau : Blues Falling, California Blues et Where The Bluesman Comes To Town. Chapeau aussi à la chanteuse Rae Gordon et à la saxophoniste Nacy Wright en guests et très en forme toutes deux dans I Got To Find Me A Woman, Daddy’s Got The Personal Touch et You Took The Bait et, pour ce qui est de Gordon, encore dans Late Night Date Night ; en ce qui concerner Wright, deux instrumentaux : Jody’s Jazz ainsi que Louisiana Walk. Bref, un album très varié et super attractif. – Robert Sacré


Swamp Dogg

Sorry You Couldn’t Make It

Joyful Noise Recordings / Differ-ant

Chapeau de cow boy vissé sur le crâne et tenue country sur une route de campagne : le décor est planté dès la pochette de ce nouvel album. La counrty ? Une vieille histoire pour Jerry Williams, à l’instar des plus grands de la Soul et du R’n’B, Ray Charles ou Solomon Burke pour ne citer qu’eux… Dans une des ses interviews non dénuées de vigueur, il déclarait : « Vous avez sans doute remarqué que j’utilise beaucoup de cuivres dans ma musique ? Mais en fait, si vous écoutez bien mes disques, avant de commencer à y mettre tout plein de merdes, je suis country. Je sonne country. » Sincérité ou esprit marketing ? (les déclarations de Jerry Williams ont tendance à fluctuer en fonction de « ce qu’il a à vendre… » – cf. interview dans ABS Mag par Jean-Luc Vabres). En tout cas, si ce n’est pas la première option, c’est bien imité. À l’instar d’un Allen Toussaint, Swamp Dogg transforme positivement tout ce qu’il touche en musique : que ce soit la composition, l’interprétation, le choix des artistes qu’il a produits et la façon dont il les a conduits, tout, jusqu’à ses messages politiques lancés le plus souvent sous couvert humoristique. Et c’est encore le cas ici. Ce nouvel album a été enregistré à la source, au Sound Emporium de Nashville, Tennessee, avec une équipe de musiciens remarquable dirigée par Derick Lee, clavier qui a travaillé avec le BET’s Bobby Jones Gospel Show durant près de quarante ans. On retrouve aussi l’excellent guitariste de Nashville Jim Oblon et des invités de marque dont John Prine, Chris Beirden (Poliça), ou Sam Amidon. Si l’auteur du mémorable « Total Destruction » paru en 1977 aborde ici un registre différent, c’est en y mettant toute sa conviction et son énergie. À titre d’exemple, le groupe de quatorze musiciens qui l’accompagne sur la nouvelle version – littéralement bouleversante – de son succès des seventies Don’t Take Her (She’s All I Got), nous offre un pur moment de rêve. Les deux duos avec la légende country Joh Prine, Memories et Please Let Me Go Round Again, sont ancrés dans un genre mais ne s’affranchissent pas du « style Swamp Dogg ». Loin des messages politiques auxquels Jerry Williams nous a souvent habitués, les dix faces proposées ici sont principalement des chansons d’amour et abordent le manque de l’être cher, les amis, la famille. Encore une fois, une vraie leçon de musique, cette fois country, par l’un des très grands artistes afro-américains des XXe et XXIe siècles. – Marcel Bénédit


Bernard Allison

Songs From The Road

Ruf Records Ruf 1276 (CD/DVD) – www.rufrecords.de

Comme à son habitude, Allison qui préfère les « live » aux séances studio, se partage ici entre funk, rock, R&B et blues dans un concert donné et filmé au Dortmund’s Musiktheater Piano Club en octobre 2019 avec ses partenaires Dylan Salfer (gt), George Moye (bass), Mario Dawson (dms) et José James (sax,percus). Pour l’essentiel, Allison et son groupe re-créent, avec talent, de nouvelles vesrsions de morceaux déjà parus dans des albums précédents : The Way Love Was Meant To Be et le bien enlevé I Can’t Get You Out Of My Mind (album Times Are Changing,1998), un funky Meet Me Half Way et Feels Kinda Funny (ex-Across The Water, 2000), Song From The Road (ex- Storms Of Life, 2002), Stay With Me Tonight (ex-Higher Power, 2005) ou encore le jazzy Call Me Momma et Something’s wrong un excellent blues (ex- In The Mix, 2015) et Night Train, Cruisin’ For A Bluesin – avec d’excellents solis de sax et de guitare –, le très mélodique Same Old Feeling, Back Door Man et le beau slow blues You’re Gonne Need Me (ex- Let It Go, 2018). ajoutons Let’s Try It Again, le classique de 1984 gravé par Luther Allison pour l’album « Life Is A Bitch », ici en blues lent avec de belles parties de guitare et de saxophone… Toutes les reprises sont exécutées avec beaucoup de feeling et chaque musicien donne le meilleur de lui-même, ce qui peut se constater de visu grâce au DVD de 16 faces très démonstratif, un DVD plus généreux que le CD avec ses 13 faces ; les trois faces supplémentaires sur le DVD sont Stanky Issues, The Way Love Was Ment To Me et Storms Of Life. Parmi les « nouveautés », on notera Backdoor Man avec ses passages à la slide et avec un saxophone pugnace et un magistral Slide Master en médium. – Robert Sacré


Blues Meets Girl
Featuring Sean Carney

www.mrdownchild.org

Le dessin de la jaquette du disque est d’inspiration naïve. La musique, elle, l’est moins : solidement ancrée dans un blues d’inspiration louisianaise, façon Slim Harpo, et portée par une rythmique robuste. “Blues Meets Girl” est le fruit de la collaboration entre le bluesman britannique Mr Downchild et la chanteuse Kasimira Vogel. Tous deux se partagent le chant au long de quinze titres originaux. Quinze, car il existe en bonus un morceau masqué, une version shuffle de Home To My Baby, chanson présentée plus haut sur un rythme calypso. Kasimira chante d’une voix chevrotante qui donne un effet vieux style. On peut trouver l’initiative un peu lassante, mais son registre vocal ne s’arrête pas là, comme en témoigne le plus aventureux Shifting Gears, avec ses effets de sirène. Le guitariste Sean Carney apporte dans ses chorus une touche acérée. Swinging With Hank est un instrumental jazzy, Backstabber plus acoustique est marqué par le folk, et Snaphot a de faux airs de Spoonful. I’m Your Handyman maintient le cap vers un blues intemporel. Un duo à suivre. – Dominique Lagarde


Tinsley Ellis

Ice Cream In Hell

Alligator Records ALCD4997 – www.alligator.com

Près de 35 ans de carrière au compteur pour Ellis, le super-guitariste d’Atlanta (né en 1957) qui est parti à la conquête du succès dans les années 80, en Floride d’abord puis de retour à Atlanta et toujours la même pêche pour ce 18è album (le 11è pour Alligator). Son chant est intense et tendu comme à l’habitude et il n’a rien perdu de sa flamboyance ni de sa virtuosité sur ses six cordes (il utilise ici deux guitares Fender dont une Stratocaster de 1959, quatre Gibson – une ES-345 de 1967 et une Les Paul de Luxe de 1973 –, ainsi qu’une Martin D-35 de 1969). C’est du blues VSOP avec une énergie et une attaque de rocker. Il a écrit les onze morceaux de ce nouvel opus qu’il a co-produit avec son vieux complice Kevin McKendree, par ailleurs à l’orgue et au piano et même à la guitare rythmique sur Sit Tight Mama, un bel hommage endiablé à Hound Dog Taylor avec Ellis à la slide. Il y a d’autres coups de chapeau à des guitar-heroes qu’Ellis apprécie particulièrement comme l’Albert King de la période Stax avec Last One To Know, ou Peter Green avec Everything And Everyone tout en réussissant, à chaque fois, à garder son originalité et sa marque personnelle comme dans d’autres compositions telles le fougueux Foolin’ Yourself et les facétieuses Unlock My Heart et Ice Cream In Hell, ou encore No Stroll In The Park, et surtout un Your Love’s Like Heroin en slow à fleur de peau. Outre McKendree, impérial aux claviers, il y a Steve Mackey (bs), Lynn Williams (dms) et un duo de cuivres Jim Hoke (saxes) et Quentin Ware (tp) sur deux faces (Last One To Know et Hole In My Heart), tous font le job avec brio. – Robert Sacré


Francesco PIU

Crossing

Appaloosa Records AP 232-2

Le chanteur-guitariste d’origine sarde, Francesco Piu, enregistre des disques et sillonne le monde depuis douze ans. Lors de ses pérégrinations, il a entre autre croisé le chemin de Johnny Winter, Robert Cray, Charlie Musselwhite. En mars 2019, il se produisit en première partie de la tournée italienne du John Mayall 85th Anniversary Tour. Avec ce CD « Crossing », sous-titré The Music of Robert Johnson, Francesco Piu s’est engagé dans une entreprise courageuse, ambitieuse, difficile, une véritable gageure : interpréter dix incontestables classiques du Blues composés par le géant Robert Johnson. Le musicien italien a décidé de revisiter l’œuvre du maître avec originalité. Ainsi a-t-il transplanté Robert Johnson dans un univers musical inconnu du mississippien, où les sonorités africaines, grâce aux instruments (kora, djembé, calebasse, etc…), se mêlent à la tradition populaire italienne avec l’accordéon d’Antonello Salis, où le darbouka d’Afrique du Nord, l’oud moyen oriental et le bouzouki grec, joués par Piu lui-même, répondent à sa très électrique guitare. Une utilisation discrète de scratches et samples de DJ Cris apporte une touche de modernité à l’indémodable musique de Robert Johnson. Une connaissance approfondie du Blues et une maîtrise des musiques folkloriques inspiratrices de ce projet ont permis la grande réussite de ce disque. Il déroutera peut-être certains auditeurs, mais une écoute attentive vous en révèlera les diverses couleurs. – Gilbert Guyonnet


Thorbjorn Risager & The Black Tornado

Come On In

Ruf Records Ruf 127 1 – www.rufrecords.de

Le blues danois est bien représenté par Risager et ses complices. Voici leur dixième album proposant dix faces toutes de la plume de Risager dont une en collaboration (Never Givin’ In). Deux titres de ce nouvel album sortent du lot, Over The Hill et Love So Fine, ils sont bien enlevés, avec des parties de guitare flamboyantes et le punch mémorable de la section cuivres. D’autres faces laissent un bon souvenir comme deux faces bien rythmées : le titre éponyme et Last Train ; une mention spéciale à I’ll Be Gone, un superbe blues lent avec une guitare incisive et lancinante. Pour le reste, on notera des ballades mélancoliques en slow (Two Lovers, On And On, …). Un très bel album. – Robert Sacré


Frank Bey

All My Dues Are Paid

Nola Blue Records NB010

Frank Bey a commencé sa carrière en assurant les premières parties d’Otis Redding dont il aurait beaucoup appris sur la manière de capturer l’audience d’un public. Il a formé un groupe – Moorish Vanguard – dont le contrat d’enregistrement aurait capoté, d’après ses dires, de la faute de James Brown. S’ensuivit un long silence de dix sept ans (peut-être dû aussi à de probables problèmes de santé) pour enfin le voir faire un retour remarqué en 2015 sur la scène du Porretta Soul Festival en compagnie d’Anthony Paule. Cet album – le deuxième pour le label Nola Blue – est quelque peu déconcertant au premier abord par l’éclectisme de son propos, en décalage avec ce qu’il avait proposé précédemment. C’est ainsi que Idle Hands – reprise du titre d’Eddie Palmieri et Harlem River Drive – ouvre une session qui sera essentiellement composée de covers dont l’une des rares exceptions sera celle de l’autobiographique All My Dues Are Paid où il semble régler ses comptes avec certaines critiques. Les sources d’inspiration sont aussi diverses que variées, puisque figurent côte à côte un classique de country music (He Stopped Loving Her Today) et le jazzy très années quarante I’ll Bet I’ll Never Cross Your Mind (où l’on sent qu’il atteint les limites de son potentiel vocal). Un hommage  particulier est rendu à Percy Mayfield avec le rock ‘n roll de Never No More qui donne l’opportunité à l’orchestre de se défouler dans une superbe partie instrumentale et Ha Ha In The Daytime écrit à l’époque où il collaborait avec Ray Charles. Il conclue avec une énième reprise d’Imagine de John Lennon qui n’apporte pas grand chose à l’auditeur si ce n’est de lui donner quelque chose de familier à écouter. – Jean-Claude Morlot


Dave Specter 

Blues… From The Inside Out

Delmark records DE 859 – www.delmark.com / Socadisc

Dave Specter a franchi un pas important : pour la première fois, il chante sur son dernier album et il aime cela… Nous aussi ! Cela commence avec le titre éponyme (un oxymore) et se poursuit avec Asking For A Friend (avec une partie de guitare d’anthologie de Specter) puis How Low Can One Man Go, un des titres phares de l’album avec un Jorma Kaukonen impérial à la guitare sur cette violente diatribe envers Donald Trump. Kaukonen, l’ex-star du Jefferson Airplane/Hot Tuna récidive de manière brillante sur The Blues Ain’t Nothin’ avec Bro. J. Kattke au chant et les cuivres des Liquid Soul Horns. Il y a d’autres points forts sur cet album avec Brother John Kattke encore (piano, orgue, chant) sur Ponchatoula Way avec un plaisant parfum New Orleans, ainsi que sur March Through The Darkness et The Blues Ain’t Nothin’. On notera aussi quatre instrumentaux de qualité, les funky Sanctifunkious et Soul Drop, le très bluesy String Chillin’ et un jazzy Minor Shout. Ajoutons que le funky Opposites Attract illustre bien l’oxymore du titre éponyme (Inside/out). – Robert Sacré


James Hunter Six

Nick of Time

Daptone Records DAP061 – www.daptonerecords.com / Modulor

Le label new-yorkais Daptone et la production de Bosco Mann vont comme un gant à James Hunter. Pour son septième album, il a – avec l’aide de la belle équipe de musiciens « maison » – élargi encore son horizon musical. Cet album lorgne au-delà de la Soul (qui reste néanmoins la ligne directrice de cet enregistrement) pour s’aventurer par exemple avec bonheur vers la rumba jouée mid-tempo et propice à danser. D’ailleurs, ce disque semble en grande partie fait pour ne pas ménager les planchers tellement il est vivant, varié. On est transporté sur un dansfloor au début des années 60. La voix de James Hunter est remarquable de justesse dans ces registres et les musiciens de haut vol qui l’accompagnent (Victor Axelrod au piano, Adam Scone remarquable à l’orgue, Myles Weeks à la basse, Rudy Petschauer aux drums, et les saxes Michael Buckley et Freddy DeBoe) prennent un plaisir non dissimulé à jouer. Les treize titres captés dans les studios Penrose à Riverside, Californie, sont d’égale et grande valeur. – Marcel Bénédit


The Jimmy’s

Gotta Have It

BCP 006 – www.thejimmys.net 

Voici un groupe de R&B qui a la chance d’être produit par Tony Braunagel, un spécialiste multi récompensé en awards et récompenses diverses, par ailleurs batteur et présent ici en cette qualité. Les Jimmys bénéficient aussi de la présence au piano et au chant de Marcia Ball dans un Write a Hit au délicieux parfum New Orleans. Jimmy Voegeli (chant, piano et orgue) signe cinq titres en solo et deux en collaboration. C’est de la belle ouvrage et tout l’album, bien ficelé, est agréable à écouter, avec des sommets comme Hotel Stebbins (Voegeli), Drinkin’ (de Braunagel, avec Voegeli au chant et piano), When you got Love (Voegeli) avec Greg Koch à la slide guitar, le superbe Someday Baby en slow – blues de Jim Liban – ou Always A Woman de Nicholson-McKendree et Take You Back (Perry Weber chant et guitare). D’autres titres de qualité sont présents, qu’il serait fastidieux d’énumérer. – Robert Sacré


Sugar Blue

Colors

Beeble BB805

Pour l’état civil, Sugar Blue est James Whiting. Il est porté sur les fonts baptismaux à Harlem en 1949. Il grandit dans un foyer où la musique, la littérature et le théâtre – fruits de la Harlem Renaissance – tiennent une place très importante. Sa mère danseuse reçoit de nombreux amis musiciens. On racontait chez lui que Billie Holiday, lors d’une visite, prit dans ses bras le petit James âgé de quelques mois et que celui-ci aurait régurgité son repas sur la robe de “Lady Day”. Celle-ci, imperturbable, aurait retiré de sa chevelure son célèbre gardénia et ainsi recouvert la tache. James Whiting voulait devenir saxophoniste, mais c’est l’harmonica qu’il choisit après avoir assisté à un concert de Steve Wonder où l’avait conduit sa mère. Il gravita dans le monde du folk boom de Greenwich Village, écouta des 78t de blues chez lui, joua avec Sun Ra et Roland Kirk. Il fut aussi le protégé de Victoria Spivey qui le présenta à Willie Dixon. Ce dernier l’embaucha dans le Chicago Blues All Stars dans les années 1980’s. Memphis Slim le convainquit de gagner Paris, où la rencontre avec les Rolling Stones le fit jouir d’une réputation internationale. Depuis 1984, il vit à Chicago. Sugar Blue est un superbe technicien de l’harmonica, un véritable virtuose. Avec « Colors », son nouveau disque publié par son propre label Beeble, il est l’auteur et le co-auteur de dix des onze chansons, la seule reprise étant Day Tripper excellemment arrangée à la manière de Junior Wells. Comme pour toutes ses productions précédentes, l’éclectisme est le fil conducteur de l’enregistrement qui s’est déroulé dans quatre lieux différents : Chicago, Milan, Shangai (Shangai Sunset dans un style pop-jazzy avec Ling Bo joueur de sheng, instrument à anches chinois ancêtre de l’harmonica) et Johannesburg (We’ll Be Allright, médiocre ballade avec la chorale sud-africaine Afrika Riz). Nous passons du diddley beat And The Devil Too à la country avec Bass Reeves, cet esclave libéré devenu le premier Afro-américain à devenir US Marshall qui aurait inspiré le personnage du Lone Ranger, héros radiophonique puis de série télévisée. Good Old Days est un bon blues acoustique à la Sonny Terry/Brownie McGhee avec la participation du joueur de washboard de La Nouvelle-Orléans, Washboard Chaz. Dirty Ole Man est un Chicago blues de la meilleure veine. Man Like Me est chanté à travers le micro de l’harmonica. Bonnie and Clyde est un clin d’œil à la tradition des ballades populaires américaines qui mettaient en scène quelques héros pas toujours recommandables. Créditons quelques-uns des musiciens : le guitariste Rico McFarland (James Cotton, Albert King, Tyrone Davis, …), le bassiste Johnnie B. Gayden (Albert Collins) et l’épouse de Sugar Blue, Ilaria Lantieri, médecin italienne devenue bassiste. Que les autres musiciens m’excusent de ne pas les citer. Comme souvent avec Sugar Blue, nous avons un disque ambitieux. Bien qu’inégal, ce CD mérite toute notre attention. – Gilbert Guyonnet


Breezy Rodio

If It Ain’t Broke Don’t Fix It

Delmark Records DE 860 – www.delmark.com / Socadisc

Rodio est un représentant de la nouvelle génération de bluesmen, ceux qui constituent la relève et qui sont garants de l’adage « the blues will never die ». Il en est ici à son quatrième album, le deuxième pour Delmark Records. Il y démontre une grande créativité et une maturité de bon aloi en tant que chanteur, guitariste, producteur et compositeur (il signe les seize morceaux de cet opus de plus d’une heure d’écoute). Évidemment, les neuf années passées dans le band de Linsay Alexander lui ont permis de prendre de l’assurance et de déployer tout son talent. Son groupe de base comprend le formidable pianiste Sumito ‘Ariyo’ Ariyoshi, Dan Tabion (orgue), Light Palone (bs) et Lorenzo Francocci (dms), tous très en verve dans Desperate Lover (avec cuivres et orgue !), dans l’excellent A Minue Of My Kissing uptempo ou dans les blues lents A Woman Won’t Change et I’ll Survive et même dans le jazzy Don’t Look Me In The Eye. Suivant une règle devenue quasi générale, Rodio s’est entouré de guests qui mettent en valeur certaines de ses compos comme Corey Denison (deuxième solo de guitare dans I’m A Shufflin’ Fool) – avec Quique Gomez (hca) – et chant dans un bien enlevé Led To A Better Life, un bel hommage à Mike Ledbetter prématurément fauché récemment dans une belle ascension artistique ; un hommage auquel participe aussi Monster Mike Welch (gt), l’ex-partenaire de Ledbetter ! On retrouve aussi l’harmo Simone ‘Harp’ Nobile dans le titre éponyme (où Rodio y va d’un superbe solo de guitare) et dans From Downtown Chicago où c’est Kid Andersen qui prend le deuxième solo de guitare. Comme signalé précédemment, Quique Gomez est là aussi à l’harmonica dans le trépidant Pick Up Blues et on notera encore la présence d’une section cuivres très efficace avec Constantine Alexander (tp), Ian Letts ( as et ts) et Ian ‘The Chief’ McGarrie (bs). Une belle réussite. – Robert Sacré


Tomas Doncker

Moanin’ at Midnight
Deluxe Edition The Howlin’ Wolf Project

True Groogeve – www.tomasdoncker.net

Aucune aventure ne rebute le new-yorkais Tomas Doncker, guitariste officiel de James Chance and the Contortions, mais coupable d’aventures aux côtés de star de la pop, de jazzmen post-modernes ou de poètes en quête d’accompagnement détonnant. On utilise à propos de sa démarche, le terme de « Global Soul ». Ce caméléon musical jette ici son dévolu sur le répertoire de Howlin’ Wolf et les compositions de Willie Dixon. Un projet né sur scène en 2013, puis mûri pour le disque dans cette édition Deluxe où trois titres en public (dont un inédit « à la manière de ») et un nouveau mix de Moanin’ at Midnight, viennent s’ajouter à huit titres studios. L’atmosphère n’est pas à la rigolade et les reprises en rajoutent dans le côté rude, au climat déjà inquiétant ou oppressant des originaux. Si Thomas Doncker ne fait pas dans le joli, sa démarche en est d’autant plus courageuse. Elle offre le ressenti que peut avoir du Blues, un musicien inclassable, mais plutôt placé dans l’avant-garde. – Dominique Lagarde


Teresa James & The Rhythm Tramps

Live

Jesi-Lu Records

Teresa James est chanteuse/pianiste et bien installée à Los Angeles en Californie, mais elle est née à Houston au Texas et est restée fidèle à son État de naissance ; elle s’en souvient dans un savoureux Long Way From Texas avec des cuivres en support. En fait, on a ici un album de reprises de faces déjà enregistrées précédemment lors de ses vingt années de carrière et gravées en live pour la circonstance dans son club préféré de L.A., le “Bogie’s”, avec ses Rhythm Tramps mais en quatre configurations diverses. Il y a bien sûr, à chaque fois, ses partenaires de toujours, Terry Wilson (basse et compos) et Billy Watts (gt) mais selon les morceaux, trois drummers, deux trompettes et trois saxes. On compte six compositions originales – dont The Day The Blues Came To Call, un slow blues intense – et sept reprises. Tout commence on ne peut mieux avec In The Pink, une compo de Wilson/James à la Jimmy Reed en medium où l’harmonica est remplacé par le piano de James et cela se poursuit sur le même registre, en particulier avec le bien enlevé I Like It Like That emprunté aux Five Royales ou If I Can’t Have You, un slow fiévreux en duo vocal avec Billy Watts, reprise d’un des premiers enregistrements d’Etta James pour Chess en 1960, ainsi que Shoorah Shoorah d’Allen Toussaint, un solide morceau de funk New Orleans avec Tony Braunagel aux drums. On peut citer aussi Everyday Will Be A Holiday, une superbe ballade de William Bell et I Want It All, du Tex-Mex endiablé de Glen Clark. – Robert Sacré


Popa Chubby

It’s a Mighty Hard Road

PCP 54324

Poppa Chubby, de son vrai nom Theodore Horowitz, fête cette année ses 60 ans et ses 30 ans de carrière. « It’s a Mighty Hard Road » est son trente-cinquième album. Comme il est multi instrumentiste, il a enregistré la majorité des titres chez lui, dans l’Hudson Valley, proche de New York. En plus de la voix et de la guitare, on le retrouve donc à l’harmonica, à la basse et à la batterie sur la moitié des morceaux. Il a déjà à son actif près de 300 compositions et il en signe treize de plus sur cet album, avec, quand même, deux reprises : I’d Rather Be Blind de Leon Russel et Kiss de Prince. Influencé par Jimi Hendrix, Jimi Page, Albert King et surtout Willie Dixon, Popa Chubby produit un blues rock agressif, souvent plein de rage, comme dans I’m the Beast from the East. Mais il peut aussi passer au reggae comme dans Enough is Enough et même aborder le gospel avec The Best Is Yet to Come où il se transforme littéralement. Voici donc un disque qui satisfera ceux qui ont toujours apprécié la musique du bluesman de New York, mais qui pourrait aussi permettre à des puristes qui l’ont ignoré jusqu’à présent de le redécouvrir. – Robert Moutet


Rae Gordon Band

Wrong Kind Of Love

Rae Gordon Music – www.raegordon.com

La galaxie des chanteuses de Blues et R&B s’agrandit de jour en jour. Il faudra désormais compter avec Rae Gordon qui a déjà été remarquée comme partenaire de Johnny Burgin pour deux paticipations dans son tout nouvel album Live Delmark DE 858. La revoici avec son band dans un album de dix titres qui confirme l’excellente impression faite dans l’album de Burgin. Et puis, qu’on ne s’y trompe pas, Gordon a galéré pas mal, malgré le fait que cet album soit le quatrième dans sa disco personnelle et que son band se soit classé troisième à l’IBC de Memphis en 2017, ce n’est pas rien ! C’est une chanteuse qui a « du coffre » et un beau timbre de voix déployé dans toutes les faces avec swing et conviction, surtout dans des ballades accrocheuses comme How Much I Love You So et des morceaux plus R&B comme Don’t Look Now avec soutien de cuivres (Allan Kalik – tp, Scott Franklin – saxes) comme dans la chouette ballade How You Gonna ou le speedé Might As Well Be You. Les cuivres restent très présents dans les autres faces avec Ed Pierce (dms), Joseph Conrad (b) et Kivett Bednar, le guitariste, en évidence, entre autres, dans Sea Of Blue en tempo lent et ailleurs… Sans oublier Pat Mc Dougall (keyboars) dans un nerveux Wrong Kind Of Love, un des morceaux phares du recueil. Une mention à Last Call un beau blues en medium avec tout le groupe sur le pont pour faire un écrin de luxe à la chanteuse. – Robert Sacré


Chris SHUTTERS
with special guest Jimmy BURNS

Good Gone BAD

Third Street Cigar Records – No number

Chris Shutters est un musicien de la scène rock de Toledo, Ohio. Multi-instrumentiste (guitare, basse, harmonica et flûte), auteur-compositeur mais médiocre chanteur de blues, il a rencontré Jimmy Burns, il y a une dizaine d’années, un lundi soir au Buddy Guy’s Legends de Chicago. Chris Shutters joua toute la nuit avec Jimmy Burns. Les deux hommes sympathisèrent et échangèrent leurs numéros de téléphone. Quand Chris Shutters décida d’enregistrer les blues qu’il avait composés, il contacta Jimmy Burns qui accepta aussitôt. Jimmy Burns apporte trois chansons, Chris Shutters sept, dont une, Poor Boy Blue, écrite pour Jimmy Burns. C’est un excellent downhome blues chanté par Jimmy Burns, qui joue de la guitare électrique alors que Shutters est à l’acoustique. Jimmy Burns interprète ses trois compositions : Stop The Train, Miss Annie Lou et No Consideration. Chris Shutters joue parfaitement son rôle d’accompagnateur du vieux bluesman. Ces quatre titres sont remarquables et les meilleurs de ce CD. Quand Shutters devient le leader, nous avons une musique qui tire vers le rock et l’americana, tel le pénible hard rock aux sonorités hendrixiennes Living In A Dream. L’hommage à B.B. King, Can’t Play The Blues Like B.B., n’est pas désagréable. La sonorité de la guitare de Chris Shutters n’est pas ma tasse de thé, mais il faut reconnaître que, guitare en mains, il n’est pas bavard. La collaboration de deux musiciens obligés de sortir de leur domaine de prédilection n’est pas toujours réussie. Ce disque veut séduire les amateurs de blues et ceux qui aiment le rock le blues-rock. Y parviendra-t-il ? Les quatre titres interprétés par Jimmy Burns valent à eux seuls l’achat de ce bref disque (38’). – Gilbert Guyonnet


Jôrg Danielsen

Chicago Blues Staight Outta Buenos Aires

Wolf CD 120.985 – www.wolfrecors.com

Voici un album d’une Argentina Connection qui manque certainement d’originalité mais qui n’en reste pas moins très agréable à écouter de bout en bout pour l’énergie qu’il dégage et le talent de ses interprètes tant à l’harmonica (Jorge Costales) : Close To You, Walking Blues, … qu’à la guitare (Federico Verteramo / Martin Burguez), au piano (Alberto Burguez) : Donde Marda Esta Mi Cerveza, …) etc. Sans oublier Danielsen lui-même au chant et aux compositions : neuf sur quatorze dont les excellents Want To Meet My Darling, Backwoodman Blues, Gamblin’ Blues. On retiendra, en slow, The Fuse Is Lit et surtout Walk The Dog pour une belle mélodie. Parmi les reprises, notons de bonnes versions du She’s Tough de Jerry McCain (pas Chicago, mais…), du I Got The Blues de Leo Nocentelli (pas Chicago non plus, mais…), du House Party Tonight de Ernie Freeman (idem) ou du I’m Good de Morris Holt (chanté en son temps avec gusto par Bonnie Lee). – Robert Sacré


Kern Pratt

Greenville,MS …What About You ?

Endless Blues Records KPEBR 1032019

Né à Greenville, en plein cœur du Missisiippi Delta, le guitariste-chanteur Pratt s’est laissé envahir par le Blues dès son enfance et il y est toujours plongé ; il en est imbibé et « addict », même s’il est passé en mode résolument moderne et contemporain. Dans ses trois compos personnelles, il chante les temps heureux (Loving That Feeling avec Chris Gill, guitare slide) et les moins bons (Something Gone’s Wrong et Torn Between Love And Hate, deux blues en slow) avec émotion et sincérité. Pour les reprises, il a privilégié des morceaux qui racontent des histoires réelles comme le Baby’s Got Another Lover de Mick Kolassa ou le Rita de Larry Van Loon avec la chanteuse Denise Owen et une section cuivres (Mark Franklin – tp, Kris Jensen – ts et bs ; James Evans – ts). Il y aussi le bien enlevé Way She Wears Her Clothes de Virgil Brawley, Watcha Gonna Do ? de Danny Rhodes et deux compos de Bobby Alexander Hard Working Man et Nola, ce dernier avec Denise Owen (chant). L’album se termine en beauté et en soul/blues avec le Chicken Heads de Bobby Rush avec Jeff Jensen (gt). – Robert Sacré


Dana Gillespie

Under My Bed

Ace CDCHD 1558 – www.acerecords.co.uk

Voilà Dana Gillespie dans de nouveaux registres : funk (Old School, I’m In Chains, Under My Bed) et de ballades sentimentales (See You On The Other Side, Another Heart Break, High Cost), ce qui nous change de ses morceaux speedés à double-entendre et grivois, lesquels, je l’avoue, j’appréciais davantage, mais elle reste dans la mouvance du blues quand même avec More Fool Me et Wak in Love Today en slow, Punch The Air en medium et autres Va Va Voom plus rapide. Toutes les faces sont des compositions de Dana Gillespie et du guitariste Jake Saitz. – Robert Sacré


Nico Duportal and The Sparks

Dog, Saint and Sinner

www.nicoduportal.com / www.musicboxpublishing.fr

Être tour à tour chien, saint et pécheur est peut-être le rêve secret de chacun d’entre nous… Embrasser en quelque sorte tout ce que la vie doit offrir d’expérience. Et à la fin faire son choix. Dans ce sixième album, même si la pochette s’inspirerait plutôt de l’univers des « nudies » – les costumes chéris des country rockers – Nico Duportal a pris le parti d’être un chanteur de gospel laïc : sa oul enthousiaste et cuivrée se décline en douze étapes qu’il serait fâcheux de considérer comme un chemin de croix. Dans des titres à dominante funky, sans faire l’impasse sur le blues, Nico Duportal a réussi à créer des ambiances variées et recherchées où son jeu de guitare élastique et les nappes d’orgue se donnent la réplique. La suite constituée par la trilogie With My Bare Hands, Heartbroken Teenage idol’s puis Lost In Her Game, à la couleur tex-mex, témoigne d’une belle maîtrise de la production. Le chant se fait intimiste sur Keep On Keepin’on, dédié à Mavis Staples, et plein de confidences dans le final Just A Rolling Man. Il y a aussi du rock’n’roll bon teint avec A Good Man. L’écriture des chansons s’est faite à plusieurs mains : aux côtés d’amis et de musiciens du groupe est venu s’ajouter avec le canadien Théo Lawrence. De quoi convertir les plus mécréants. – Dominique Lagarde


Jeff Toto Blues

Devil’s Cigar Box

Bluesiac BL 8722

Voici le onzième album de Jeff Toto Blues, enregistré comme d’habitude au studio La Vallée. Ce studio, qui a été installé par son batteur Martial Semonsut, se trouve dans le petit village de Chambezon, proche de Brioude dans la Haute Loire. Jeff a délaissé sa guitare électrique et sa guitare folk pour la Cigar Box. C’est Jim Roberts, son ami blesman de Los Angelès, qui lui a donné le virus de cet instrument à trois cordes. Cette boite à cigares lui a ouvert de nouveaux horizons après une tournée dans le sud du Mississipi en octobre 2018. Jeff a pu, grâce à cette découverte, écrire de nouveaux textes en français, plus forts que par le passé. Ainsi, au fil des morceaux sont évoqués les injustices, la violence du harcèlement scolaire, l’espoir et le désespoir, les dérives de la rupture, l’amour pour celle qui est son épouse depuis 36 ans, et pour terminer un hommage émouvant au village martyre d’Oradour sur Glane. Avec ce nouveau répertoire, que l’on peut qualifier de musclé et poétique, il est difficile de rester insensible aux textes et aux mélodies de Jeff. Et puis on ne se lasse pas de retrouver cette voix éraillée. Alors bonne route Jeff avec ta Cigar Box, car ce disque n’est que le début d’une nouvelle aventure. – Robert Moutet


Paul MacMannus and the Old Timers

3

Autoproduit

Voici le 7ème album du bassiste de Draguignan Paul Mayan, alias Paul MacMannus. Pour ses quatre premiers disques, Paul avait formé un groupe d’une demi douzaine de musiciens et avait sorti en avril 2017 « Roo Doo Doo » enregistré avec une formation en trio. Sous le nom “The Old Timers”, ce trio se compose de Paul à la basse, Luc Lavenne à la guitare et Hervé Letrillard à la batterie. En 2018, le trio sort son deuxième album, « Bee Boo », avec onze compositions 100 % boogie. Voici le troisième album du trio et, après trois années de concerts, il se nomme donc logiquement « 3 ». Présentés comme « original boogie’n blues », les 14 titres sont des compositions de Paul. L’album a été enregistré en deux jours dans des conditions qui restituent l’énergie du trio sur scène. Et Paul MacMannus nous prévient : « gare à vos oreilles, c’est du Boogie et ça envoie du lourd ». Donc nous sommes prévenus, mais comme certains amateurs déclarent que l’abus de Boogie est recommandé pour la santé, ne nous en privons pas…  Robert Moutet


Joe Hill Louis
& his One Man Band

A’ Jumpin & A’ Shufflin’ The Blues 1950-1954

Jasmine Records JASMCD 3143 – www.jasmine-records.co.uk

En sortant ce CD de l’enveloppe, je me suis senti comme un goinfre devant une platée de lasagne tout juste sortie du four. Une super portion de blues… Et quel blues ! Swinguant à souhait avec ce mélange si simple et si compliqué d’une batterie réduite à sa plus simple expression et d’une lourdeur rythmique pourtant élastique… Bref, vous avez compris que je m’emmêle les stylos (les claviers…). J’ai eu l’occasion de voir et d’entendre un autre one band man, Doctor Ross. J’avais beaucoup aimé. Mais il n’avait pourtant pas ce pouvoir de fascination de Joe. C’est vrai, si vous avez été élevé au son des musiciens d’aujourd’hui vous vous demanderez peut-être pourquoi tant d’agitation de ma part. À l’issue de ma première écoute, je me demandais à qui j’allais faire écouter ça. Mon vieux penchant missionnaire me poussait à franchir la porte et à déambuler CD au poing en poussant des Alleluia tonitruants. Mais tout n’est pas si simple. Pour accéder à certains plaisirs il faut avoir été touché par la grâce. Mais il faut aussi se donner les moyens de rencontrer celle-ci. À vous de sauter le pas. Un grand pas qui vous ramène autour de Memphis, au temps où Sam Phillips créait dans son tout petit studio des univers musicaux qui allaient submerger le monde. Une des choses qui étonnent le plus l’auditeur et le traitement du son par Joe qui tire de sa guitare, en combinaison avec l’harmonica, des sons étonnants pour l’époque. Écoutez Scotty Moore, Joe Maphis et autres guitaristes blancs et vous verrez à quel point le jeu et la sonorité de Joe Hill sont innovants. Écoutez donc Boogie in the Dark ou 4th and Beale et imaginez la tête de certains en entendant cette musique violente, passionnée, distordue (parfois il est vrai à la limite de la justesse) au moment où le jazz célébrait les sonorités léchées de Johnny Smith ou Tal Farlow. Ce CD n’est pas fait pour les méditatifs. Il aurait pu être un merveilleux fond sonore pour les convulsionnaires de Saint Médard ou les danseurs de Saint Guy de Strasbourg. Il vous secoue et vous arrache de votre siège avec une pulsation bondissante qui évoque sans surprise certaines faces du Wolf. Quelques fois, Joe délaisse son harmonica pour le confier à Big Walter Horton ! Inutile de vous faire un dessin. Bon, achetez-le et passez-le au cours d’un repas familial un peu guindé, histoire de faire tanguer le soupières ! Succès garanti. – André Fanelli


Johnny Otis

The Johnny Otis Show 1948-1962

Jasmine Records JASMCD 3141  www.jasmine-records.co.uk

Pour moi, Johnny Otis est un grand homme: chef d’orchestre, chanteur, drummer, grand découvreur de talents, défenseur des droits civiques, artiste sculpteur et dessinateur, auteur (il faut avoir lu ses deux ouvrages : « Listen to the lambs » et « Upside your head ») et il aura toujours mis en avant des musiciens oubliés ou négligés : Roy Brown, Ivory Joe Hunter, Pee Wee Crayton entre autres. Son Show, qui a traversé plusieurs décades avec succès, est bien représenté dans ce disque avec des titres qui ont pour la plupart atteint les charts r’n’b ou pop. En 1950-51, c’est la révélation de la merveilleuse Little Esther (Phillips) qui a à peine 16 ans et déjà une voix hyper sensuelle : Mistrutin’ blues, Cupid’s boogie ; des morceaux qui vous donnent des frissons ! Ses duos avec le chanteur Mel Walker ou les Robins (qui deviendront les Coasters) sont aussi superbes. Cette période magique constitue les 16 premiers titres du CD. Ensuite, on passe à la période rock’n’roll de 1956 à 1962 où, à la suite de l’énorme succès de Willie and the Hand Jive, Johnny Otis enregistre une série de « suites » à ce tube avec le même rhythme à la Bo Diddley : Crazy Country HopCastin’my Spell, ou Hand Jive One More Time, mais il y a aussi l’excellent Telephone Baby en duo avec la séduisante Marci Lee (Johnny est un homme de gôut !). Moi, je ne me lasse pas d’écouter Esther. On termine avec un Queen of the Twist, eh oui, nous sommes en 1962 ! Un superbe disque. – Marin Poumérol


Smokey Hogg

Who’s Heah! Selected singles 1947-1954

Jasmine Records JASMCD 3144 – www.jasmine-records.co.uk

Le Texan Smokey Hogg est un sujet de plaisanteries chez certains amateurs de blues qui l’ont surnommé “le Sun Ra du blues”. Il faut reconnaître que son jeu de guitare et de piano aux accords peu orthodoxes est très rudimentaire ; son chant n’a rien d’exceptionnel. Il ignore complètement les structures conventionnelles d’une chanson : le tempo, la longueur égale des couplets, la façon de terminer un titre ne sont pas ses préoccupations. Il est ainsi extrêmement difficile à accompagner. Par exemple Little School Girl sonne bizarrement : Smokey Hogg et l’excellente pianiste Hadda Brooks ne jouent pas toujours dans la même tonalité. La musique de Smokey Hogg est plus modale que tonale. Ses accompagnateurs doivent penser à la mélodie et non à la progression harmonique, Smokey Hogg plaquant ses accords de façon arbitraire. Malgré un tel handicap, Smokey Hogg toucha le public afro-américain. À la fin des années 1940’s, il était l’un des meilleurs vendeurs de disques. Cela explique qu’il ait gravé plus de deux cents titres pour divers labels : Modern, Meteor, Bullet, Exclusive, Macy’s, Specialty, Sittin’ In With, Imperial, Mercury et Federal. Jasmine n’a eu aucun mal à extraire la substantifique moelle de l’œuvre du bluesman texan, soit trente chansons. Malgré des ventes considérables, Smokey Hogg ne connut les joies des charts R&B que deux fois avec Long Tall Mama (1948) et Little Scool Girl (1950), toutes deux ici présentes. Jasmine a ajouté une cerise sur le gâteau : trois titres inédits gravés pour Federal en 1952 et 1953, Keep-A-Walkin’ (take 1), Baby Don’t Leave Me et Up And Down. Le succès ne rapporta rien à Smokey Hogg qui dépensa en alcool chaque dollar gagné. Il quitta cette vallée de lames dans une misère noire en 1960. Il avait 40 ans. N’en déplaise aux détracteurs, Jasmine livre une magnifique sélection de la musique erratique, jamais sophistiquée, honnête et directe de Smokey Hogg dont Guido van Rijn rédige actuellement une biographie. – Gilbert Guyonnet


Sister Rosetta Tharpe

Bring Back Those Happy Days
Greatest Hits and Selected Recordings, 1938-1957

Jasmine Records JASMCD 3140 – www.jasmine-records.co.uk

Voici une jolie sélection de titres enregistrés par Sister Rosetta Tharpe entre 1938 et 1957. Ces vingt-huit titres compilés par Bob Fisher permet d’attester de toute la richesse artistique de Tharpe. Son talent s’exprime dans tous les registres. Le gospel, bien sûr. Mais aussi le rhythm and blues, le jazz ou le swing avec par exemple Shout, Sister, Shout, Rock Me, et I Want a Tall Skinny Papa, enregistrés avec l’orchestre de Lucky Millinder. Si ses incursions hors du chant séculaire ont pu faire grincer des dents certains, Rosetta Tharpe est toujours restée fidèle aux racines de la musique gospel. Chanteuse exceptionnelle, Tharpe était aussi une guitariste hors pair, comme on peut l’entendre sur tous les titres de cet album. Sur chaque introduction et chaque solo de guitare, on retrouve sa patte. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter ses interprétations de Singing In My Soul, Down By the Riverside, Jesus Is Here Today ou encore Strange Things Happening Everyday. Cet enregistrement, publié par Decca en 1945, a rencontré un fort succès. Il a été une influence majeure pour le rock and roll. Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, Chuck Berry et Little Richard ont toujours cité Tharpe comme une référence majeure dans leur musique. Ce n’est pas un hasard si elle est aujourd’hui surnommée « la marraine du rock and roll ». Tharpe est née Rosetta Atkins (ou Rosetta Nubin) en 1915 dans l’Arkansas. Sa mère était une évangéliste de la Church of God in Christ (COGIC). Cette Église, fondée en 1897, encourage l’expression musicale, la danse et le prêche des femmes. Enfant prodige, elle bénéficie de cet environnement favorable pour accompagner sa mère dans des tournées dans le sud des États-Unis, dès l’âge de six ans. Elle était présentée comme « un miracle » pour ses performances au chant et à la guitare (« singing and guitar playing miracle »). Décédée en 1973 à seulement 58 ans, Tharpe est au Rock and Roll Hall of Fame depuis avril 2018. Ce très beau disque, « Bring Back Those Happy Days », rappelle tout le chemin parcouru par Tharpe lui ayant permis d’avoir cette reconnaissance. – Victor Bouvéron


Jack Hammer

The Best of Jack Hammer – The Twistin’ King

Jasmine Records JASMCD 1025 – www.jasmine-records.co.uk

Jack Hammer débuta une carrière de comédien, de pianiste, d’imitateur et surtout d’auteur de chansons dont le Great Balls of Fire pour un certain Jerry Lee Lewis. Il chanta également avec les Platters où il remplaça briévement leur leader Tony Williams et vint à Paris et en Europe en 1960 où il présentait un spectacle de cabaret où il imitait Sammy Davis et même Chuck Berry. Ce CD présente 32 titres très variés au début, puis avec la vogue du twist on tombe dans une série quelque peu indigeste : The kissin’ twistThe twistin’ king, etc. On ne va pas les énumérer, il y en a douze ! En plus, Jack Hammer n’est pas un grand chanteur. En conclusion, un disque pour les amateurs de Twist ou les nostalgiques de cette « religion » ! – Marin Poumérol


Big Joe Williams

The Original Ramblin’ Bluesman 1945-1961

Jasmine Records JASMCD 3134 (2 CD set) – www.jasmine-records.co.uk

Souvent, j’aimerais m’endormir et me réveiller parmi les fantômes des grands bluesmen. J’y croiserais Big Joe Williams, un de mes musiciens préférés. Archétype du bluesman vagabond, monument du Blues, il est célèbre pour sa guitare à 9 cordes, une fabrication maison, à la sonorité reconnaissable immédiatement. L’atmosphère étrange et envoûtante créée par son rude jeu de guitare et sa voix véhémente touche tous les auditoires. Big Joe mériterait une biographie, mais il est bien difficile d’extraire la part du vrai dans ce qu’il a raconté à ses interlocuteurs. Rusé, il racontait ce que ceux-là désiraient entendre. Sa vie est un roman. Ce qu’a bien saisi Gérard Herzhaft en créant le personnage de Big Joe White dans son excellent roman « Un long blues en la mineur » (éditions Ramsay 1986). Né en 1903 (cf. « Blues A Regional Experience » de Bob Eagle et Eric S. Leblanc), il s’initie à la guitare avec un instrument fait-maison, mais il apprend quelques rudiments de flûte et d’accordéon. Des rapports conflictuels et violents avec son beau-père, chantés ici dans Mean Stepfather Blues, le jettent très jeune sur la route. Ainsi débuta une errance qui ne s’acheva que quelques mois avant sa mort, quand il s’installa dans un mobil-home, à Crawford, Mississippi. Big Joe Williams a une discographie pléthorique, mais de haut niveau. Je ne lui connais pas de mauvais enregistrements. Jasmine s’est concentré sur la période 1945-1961. Le premier cd débute après sa dernière séance Bluebird, en 1945, avec His Spirit Lives On, unique chanson qu’il enregistra pour l’obscur label Chicago, l’autre face du 78t étant de l’inconnu James McCain. On enchaîne avec l’intégrale Columbia : deux sessions de haut vol datant de 1947 avec un magnifique John Lee Sonny Boy Williamson et une rythmique au cordeau, constituée du contre – bassiste Ransom Knowling et du batteur Judge Riley. Puis viennent les intégrales Bullet (St Louis – 1951), Trumpet (Jackson – 10 septembre et 3 décembre 1951) et Specialty (Shreveport – mars 1952). Un régal ! Le second disque nous conduit à Chicago avec la première publication en CD de deux très grandes raretés : les EP de 4 titres Collector JEN 3 et JEN 4. En 1957, le jeune pianiste caucasien, Erwin Helfer (il a 20 ans) rencontra Big Joe Williams et voulut lui assurer une séance d’enregistrement pour Cobra. Les deux musiciens enregistrèrent huit remarquables duos qui ne virent le jour qu’en 1960 à Londres. Puis Cobra enregistra bien les deux hommes en 1957 et 1958, mais leur œuvre resta inédite jusqu’à ce qu’elle apparût sur le LP Flyright 577 en 1981, oeuvre que Jasmine réédite ici. Le CD est complété par les quatre excellentes faces Vee Jay du 16 Octobre 1956 avec l’harmoniciste Sam Fowler et une partie (6 titres) de la session Delmark du 13 Juillet 1961 que Folkways publia (LPFS 3820). La musique rassemblée sur ce double CD est magnifique ; il n’y a rien à jeter. L’acquisition me semble inévitable. – Gilbert Guyonnet


Ray Ellington

That Rockin’ And Rollin’ Man

Jasmine Records JASMCD 2677 – www.jasmine-records.co.uk

Sans hésiter, on pourrait dire que cet album a surtout une valeur documentaire plus qu’une valeur historique, car la musique qui est proposée n’a pas une bien grande envergure. C’est néanmoins un groupe de qualité, très professionnel et bien agréable. Au-delà du style marqué par le jazz de l’époque, c’est un témoignage sur l’implantation du blues et du rhythm and blues en Angleterre dès les années 50. La France était alors bien éloignée de cet univers musical. C’est surtout chez des amateurs de jazz qu’on trouvait des personnes attirées par les musiques populaires africaines américaines. Chroniques dans le Bulletin du Hot Club de France ou dans Jazz Hot sous la plume des Panassié, Demètre, Tonneau et autres. On peut ne pas être séduit par les reprises de chansons devenues emblématiques du Rock. Mais pensons qu’il faudra encore de longues années pour que la France connaisse ces standards… et encore qu’ils nous soient servis par les prétendus pionniers, les Johnny, les Dick et les autres. Ray a semble-t-il toujours eu du flair pour recruter ses acolytes. Notamment les guitaristes. L’humour est très souvent présent. Et ceux qui parlent anglais seront ravis de la diction de Ray. Si vos étagères ne sont pas pleines et si votre bourse n’est pas vide ne vous privez pas de ce CD que vous pourrez faire découvrir à vos amis pour un blindfold test. – André Fanelli


Joss White

The Joss white stories Vols. I & II

Jasmine Records JASMCD 3148 – www.jasmine-records.co.uk

En 1922, Josh White a huit ans quand il devient l’esclave de John Henry ‘Big Man’ Arnold, un chanteur de rues. Pour apitoyer le chaland, il est obligé de porter des vêtements en lambeaux, de se déplacer pieds nus pour chanter, danser, jouer du tambourin et de la guitare et guider son maître. ‘Big Man’ loue même les services du gamin à Blind Blake, Blind Willie Walker, Blind Lemon Jefferson et Blind Joe Taggart. À leur contact, Josh White devint un formidable guitariste dont l’œuvre gravée avant-guerre est de grande qualité. À New York, où il se fixa en 1935, Josh White milita pour les droits civiques, contre les injustices ce qui lui valut les foudres du Ku Klux Klan et de la commission McCarthy. Il fréquenta avec assiduité les chantres du mouvement des folksingers blancs : Pete Seeger, Woodie Guthrie et Burl Ives. Il devint la coqueluche des cabarets de Greenwich Village. Malheureusement, il s’éloigna alors du blues et du gospel pour interpréter une musique policée que la virtuosité de son jeu de guitare sauve du naufrage. Les deux « The Josh White Stories » Vols 1 et 2, édités en CD pour la première fois, illustrent parfaitement mon propos. Les blues sont rares (I’m A Mean Mistreater de Leroy Carr et Good Morning Blues) mais excellents. Les traditionnels constituent l’essentiel du répertoire du premier volume. Mais Boll Weevil, Frankie and Johnny, House of the Rising Sun ou Dupree Blues ne vous donneront pas la chair de poule. Du second volume surnagent les deux compositions de Josh White, Red River, I Had A Woman et Fine and Mellow de Billie Holiday. Ce CD propose une musique datée et peu excitante. Néanmoins, c’est un document historique qu’il vaut mieux écouter avant d’acheter. – Gilbert Guyonnet


The Bobbettes

We Shot Mr Lee

Jasmine Records JASMCD 1023 – www.jasmine-records.co.uk

Un de ces innombrables groupes vocaux féminins qui débutèrent avec un tube. Pour elles ce fut Mr Lee, qui parlait d’un de leurs prof et devint Number 1 r’n’b et numéro 6 Pop en 1957 alors qu’elles étaient agées de 11 à 13 ans. Sur scène, elles étaient très excitantes avec des chorégraphies très au point. En 1959, elles quittent Atlantic Records et on les retrouve sur de nombreux labels : Galliant,TripleX, End, Gone, King, Jubilee, sans toutefois reproduire leur succès initial. Elles produisaient une musique fraiche et joyeuse, très dansante destinée aux teenagers de l’époque, mais qui a assez mal vieilli. 31 titres sont proposés ici aux amateurs de groupes féminins , mais il s’agit de « pop music ». – Marin poumérol


Gus Jenkins

Too Tough
West Coast Blues and R&B 1953-1962

Jasmine Records JASMCD 3200 – www.jasmine-records.co.uk

Gus Jenkins, Little Temple, The Young Wolf, Gus Jinkins et Jaarone Pharoah, une fois converti à l’islam, sont autant d’identités d’un même artiste originaire d’Alabama : le pianiste, chanteur et auteur – compositeur Gus Jenkins qui fut très impressionné par Walter Davis, une des vedettes du label Bluebird. Nous connaissons peu de choses de sa vie et de sa personnalité. Les rares interviews publiées brouillèrent les pistes ; il est impossible de différencier les faits probables des invraisemblances de la fiction. Jasmine a rassemblé sur ce double CD tous les singles publiés jusqu’en 1962 par Gus Jenkins en tant que leader et accompagnateur de son épouse Mamie Jenkins, Mamie Perry ou Mamie Ree selon les disques et d’autres artistes. Cela signifie que le chef d’œuvre, Eight Ball, gravé le 9 janvier 1953 pour Chess à Chicago avec Walter Horton et Willie Nix, est absent. Cette chanson n’apparut qu’au cours des années 1970 dans le coffret de quatre LP’s Genesis Vol.3 « Sweet Home Chicago ». C’est sous le nom de Little Temple qu’il débute chez Specialty avec le superbe I Ate The Wrong Part, accompagné par l’harmonica et très belle partie de guitare de Jimmy Liggins. Specialty ne publiera qu’un seul disque de Gus Jenkins qui passe chez Combo, label du trompettiste Jake Porter. Chez Combo, il devient The Young Wolf avec une musique sauvage et non policée dans l’esprit de Howlin’ Wolf de l’époque Memphis. Charles Brown le recommande à Flash Records. L’instrumental Tricky fut un hit en 1956 et la meilleure de toutes les ventes du label Flash (n°2 des charts R&B et n°79 des charts Pop). L’excellent My Baby Waited Too Long chanté par Mamie Perry est, semble-t-il, encore populaire sur les pistes de danse anglaises. En 1959, Monsieur et Madame Jenkins créent leur propre label : Pioneer International, dont on découvre toutes les publications sur le second CD. Gonna Take Time du premier 45t Pioneer, complètement dans le style Guitar Slim, fut un succès. Gus Jenkins affirma en avoir vendu 300000 exemplaires ! On retrouve cette forte influence Guitar Slim sur Tell The Truth Baby interprétée par le chanteur-guitariste Blues Slim (Neal Johnson). Jealous of You Baby, avec son piano tonitruant et son solo de saxophone type New Orleans, est une référence à Little Richard. Quant au mystérieux Haze Hart et son harmonica, ils donnent une belle touche Excello à Last Time, dernier 45t publié par Pioneer International, en 1962. Le 45t Pioneer International 1005 est une pépite : Leisha et Weird d’Albert and Charles. C’est l’unique disque réalisé par les frères jumeaux Bedeaux. En attendant le passage au vert d’un feu de signalisation, Gus Jenkins : une belle et étrange musique. Il gara sa voiture, grimpa les marches d’escalier de l’immeuble d’où provenait la musique. La semaine suivante, Albert et Charles Bedeaux, accompagnés de Gus Jenkins et de son orchestre, enregistraient un chef-d’œuvre qui n’aurait été pressé qu’à cinquante exemplaires. En 1963, l’activité de Pioneer International s’arrêtait. Les époux Jenkins lancèrent le label General Artist. Mais il ne fait pas partie de cette compilation. Ce double CD est le bienvenu. Il comble une lacune, puisqu’il n’existait jusqu’alors, de Gus Jenkins, que l’indispensable 33t Diving Duck DDF4309, « Cold Love », datant de 1986, quelques faces sur diverses compilations Ace et P-Vine et les 45t sur le marché des collectionneurs, donc à des prix élevés. Vous l’avez compris, cet objet est INDISPENSABLE, malgré l’absence de discographie. – Gilbert Guyonnet