Chroniques #76

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Natalia M. King

Woman Mind Of My Own

Dixiefrog DFGCD 8825  – www.dixiefrog.com

On tombe vite sous le charme de la voix de Ms King, chanteuse charismatique, guitariste minimaliste (sur cet album) et compositrice de grand talent. C’est son 7ème album et il inaugure une nouvelle orientation vers le Blues et le R&B. Rappelons qu’au début des années 2000, cette Américaine originaire de Brooklyn se produisait dans les couloirs du métro parisien avec un rock free-style, lyrique et radical. Vite remarquée, enregistra deux albums décapants puis, des années plus tard, on la retrouva sur les traces de Billie Holiday et Nina Simone avec de nouveaux albums en 2014 et 2016. Cette fois, on la « re-découvre » en adepte de Robert Johnson et d’Etta James et personne ne s’en plaindra. Chez Dixiefrog, elle a trouvé en Fabien Squillante un producteur attentionné et doué, mais aussi un accompagnateur sans pareil (guitare, slide) qui lui a permis de tirer le meilleur d’elle-même comme compositrice et comme interprète. Elle commence avec un bel auto-portrait avec le morceau-titre de l’album (… « I am a hard headed woman »…) ; c’est un superbe blues lent avec slide guitare. Puis, lesbienne assumée, elle poursuit avec Aka Chosen, un salut vibrant à la communauté LGBT sur mode gospel avec chœurs, (… « First it was a “he”… then it was a “she”…. I’m LGBT chosen »…), et le reste est à l’avenant. Des compositions  puissantes (1), des slow blues prenants comme Forget Yourself (… « and fall in these living arms »…) avec une section de cuivres suggestive et sensuelle.  Dans So Far Away, elle explique la découverte de son homosexualité après une phase hétéro (… « How did we get so far away »…), dans Sunrise To Sunset, elle comte une histoire d’un amour total (… « You are under my skin, deep in my heart »…) avec un solo de guitare jazz remarquable (F. Squillante), et poursuit avec Play On (… « ça foire mais on continue »…. / « game’s over fast… it wasn’t meant to last… so play on »…) avec slide guitar (F. Squillante) et accordéon (Vincent Pereira). Les texte des six compositions sont repris dans les notes de pochette, l’impasse est faite volontairement sur ceux des trois reprises : Pink Houses (John Mellencamp) avec en guest Elliott Murphy (vo), (Lover) You Don’t Treat Me No Good (Dan Pritzker et Sonia Dada) avec, en guest, Grant Haua (vo, gt, cajon) et One More Try (George Michael. Un intense plaisir d’écoute de bout en bout et un paquet de réflexions et de questions existencielles suscitées par les paroles. Un album exceptionnel. – Robert Sacré


Lady A

Satisfyin’

No number

Lady A (Anita White) ne doit pas être confondue avec le groupe country de Nashville “Lady A” à l’origine “Lady Antebellum” (qui avait raccourci son nom en prétextant qu’il ignorait que le terme « Antebellum » faisait référence à ce qui se passe avant la Guerre Civile et ses corollaires : plantations, esclavage, etc… La définition figurant dans n’importe quel dictionnaire, il est donc difficile de croire en la sincérité de ces « braves gens » (*). « Satysfyin’ » est le neuvième CD d’Anita White. Il démarre avec Whatever You Do, un titre à la rythmique traditionnelle, pour ensuite s’orienter avec le morceau-titre de l’album dans un style plus musclé et plus funky basé sur une solide ligne de basse et dont la voix rauque et forte de Lady A éclaire la puissance, le même esprit étant inscrit dans l’excellent Miss Beula Mae. Blues et soul sont à l’honneur. Catfish & Fried Wings est une ballade soul hommage à la cuisine sudiste et à la musique, morceau au-dessus duquel planent les ombres de Johnnie Taylor et de Sam Cooke. Enjoy Your Life décrit l’art de profiter de la famille autour du barbecue, ce qui tend à prouver qu’elle aime bien les plaisirs de la vie, au point d’ironiser dans Big Momma sur ses rondeurs, puisqu’elle y déclare « I’m big and beautiful from my toes to my chest » ! Ce recueil à l’éclectisme enthousiasmant se conclut par les inspirations gospel de For The People In The Back (All I Got) et de Heaven Help Us All où elle bénéficie du soutien remarqué de la choriste Roz Royster McCommon. Lady A remercie son producteur, John Oliver III, principale cheville ouvrière musicale du projet, avec lequel elle a co-écrit la quasi totalité des titres. – Jean-Claude Morlot

Note (*) : Le film au titre éponyme est une fiction contemporaine. Des nostalgiques de l’époque y kidnappent de jeunes Afro-américaines pour leur faire vivre dans un camp reconstitué ce que vécurent leurs ancêtres (servitude, sévices, etc.).


Willie Jackson

All In The Blues

No label, no number

Avant d’écouter le moindre disque, un examen de la pochette s’impose. Une photographie noir et blanc d’un chanteur afro-américain micro en main orne le recto, le verso renseigne les titres et les musiciens. À noter que sur l’exemplaire reçu pour cette chronique, la liste des chansons imprimée au dos de la pochette ne correspond pas à l’ordre réel du CD : Coon Hound Nose est le neuvième titre du disque alors qu’il est indiqué onzième sur la pochette et Give Me My Rib Back le dixième du disque et non le neuvième comme imprimé. D’emblée, un léger a priori défavorable s’empara également de votre serviteur en découvrant quelques bidouillages électroniques sur certaines chansons : programmation des parties de guitare et de batterie. Mais une fois que le disque a bien pris sa place dans le lecteur, tout doute disparaît. On est happé par la belle voix chaude de baryton qui jaillit des enceintes et on ne lâche plus le disque jusqu’à son dernier titre ! Willie Jackson, un nouveau nom pour moi, séduit les publics de Tybee Island et Savannah, en Géorgie, depuis près de vingt ans. Il est le plus jeune des six enfants du Reverend Jackson et de son épouse Annie Pearl. C’est donc très tôt qu’il chante dans le chœur de l’église familiale. Il y joue aussi de la batterie. L’adolescent écrit également des chansons. Pour faire vivre son foyer, il est employé des chemins de fer, jusqu’à ce grave accident de travail, en 2009, qui l’oblige à stopper son activité. Il décide alors de devenir chanteur professionnel « pour mettre du beurre dans les épinards ». Il peaufine son goût pour l’écriture de chansons. En 2017, il publie un EP de six titres, « Chosen By The Blues ». Nous avons en écoute un CD complet de douze remarquables chansons de la plume de Willie Jackson. I’m Your Landlord, un shuffle puissant, débute le disque et retient toute notre attention. La sonorité de l’orchestration est sur un versant moderne du blues contemporain, avec une batterie programmée. C’est aussi le cas avec The Whole Book Is Wet et le funky Come Here Jr. Est-ce un choix artistique volontaire de la part de Willie Jackson ou une contrainte financière ? Le côté un peu mécanique de ces trois premiers titres disparaît, pour notre plus grand plaisir, quand Dancial ‘Twin’ Jackson s’installe derrière les fûts d’une authentique batterie. Les chansons s’animent. Écoutez le groovy Beautiful Disease ou le funky The Old Man Luv. La participation à trois chansons d’un harmoniciste nommé Ace Anderson et de vrais cuivres sur la moitié du répertoire sont bienvenus. Willie Jackson est une bien belle surprise. Passez outre les arrangements parfois trop modernes et découvrez un remarquable chanteur avec ce « All In The Blues ». – Gilbert Guyonnet


Memphissippi Sounds

Welcome To The Land

Little Village Foundation LVF 1043 – www.littlevillagefoundation.com

Le label Little Village Foundation nous délivre une nouvelle fois une excellente session à la croisée des musiques que nous aimons, grâce à deux formidables musiciens que sont Cameron Kimbrough – le petit-fils de Junior Kimbrough –, et Damion “Yella P” Pearson, ce dernier ayant fait son éduction musicale grâce à la discothèque paternelle ou trônaient des disques de George Clinton, P-Funk mais aussi Muddy Waters et John Lee Hooker. Les deux amis chantent, jouent de la guitare, de l’harmonica et de la batterie. Ils se sont rencontrés lors de jams dans les clubs de Memphis et ont rapidement décidé de monter une formation avec le souhait commun d’unir la musique du North Hill Country blues du Mississippi à des notes de Hip-Hop, de Soul et de Funk. Dire que l’alchimie fonctionne, cela frise le pléonasme à l’écoute des neuf compositions proposées, c’est un véritable régal. L’album débute avec le titre Who’s Gonna Ride qui est une ode au mouvement Black Lives Matter et un hommage à George Flyod, tandis que le magnifique You Got The Juice marie une ambiance décontractée Hip-Hop alliée à l’harmonica parfaitement maitrisé de Damion, le tout nous ramenant avec subtilité et émotions aux racines de la musique, tandis que l’enlevé I’m Mad est un merveilleux hommage aux compositions de leurs illustres ainés. Parfaitement produit par l’harmoniciste Ali Kumar dans les studios Sun de Memphis, c’est lui qui conseilla à Jim Pugh le boss de la compagnie, d’enregistrer les deux artistes. C’est à mon humble avis le début d’une fort belle aventure qui s’annonce, nul doute que Memphissippi sera invité dans de très nombreux festivals des deux côtés de l’Atlantique, vu la qualité de cette superbe production. C’est un sans-faute, bravo ! – Jean-Luc Vabres


Dionne Bennett

Sugar Hip Ya Ya

Hunnia Records HRCD 2116

Cette jeune Anglo-Jamaicaine débarque en force avec ce premier CD qui démarre sur les chapeaux de roues avec une reprise vitaminée du Tell Mama d’Etta James. Cette ouverture pourrait faire craindre d’avoir affaire à une série de reprises. Il n’en est fort heureusement rien car, hormis Yes We Can Can d’Allen Toussaint, ne figurent ici que des compositions originales. S’en suit Sugar Hip Ya Ya, qui devrait devenir un classique dans lequel, sur une rythmique funky et une guitare (seule participation de Little G. Weevil) à la manière d’Albert King, elle affirme sa personnalité et sa hargne en digne héritière de Betty Davis. Et la comparaison ne s’arrête pas là puisque le funk/rock Spy Me est dans la même veine. Retour à ses origines antillaises avec Let It Rain qui inclut des samples du discours We Shall Overcome de Martin Luther King JR. Une poignée d’agréables ballades ralentissent un peu l’atmosphère avant de terminer en apothéose avec Get Style qui, avec ses 8’54’’ et l’influence de Sly Stone, permet de se rendre compte de l’efficacité des musiciens. Et c’est là que se situe la surprise, puisqu’ils sont hongrois et que l’album entier à été enregistré à Budapest ! L’ensemble est bluffant de technicité et d’efficacité. – Jean-Claude Morlot


Ben Levin

Still Here

Vizztone Label Group VT-BL004 – www.vizztone.com

Nous avions été élogieux quant au précédent album de Ben Levin, jeune pianiste, chanteur et auteur-compositeur. D’ailleurs, outre la presse spécialisée, le talent de ce jeune artiste n’avait pas échappé non plus à nombre de musiciens de la scène blues puisque, dès « Before Me » (en réalité son deuxième CD après « Ben’s Blues » autorpoduit à seulement 17 ans), Bob Margolin (guitare), Bob Corritore (harmonica) et Philip Paul (drums) avaient joyeusement participé à l’album qui fut nominé aux Blues Music Awards. Ben joue du piano depuis tout gamin, marqué par le biopic « Ray » paru quant il avait 6 ans… Depuis, il a affirmé son propre style en écoutant sans cesse ses idoles de La Nouvelle-Orléans (Pr Longhair, Fats Domino, Smiley Lewis), les pianistes de Chicago blues (Otis Spann, Pinetop Perkins, Henry Gray), mais aussi Big Joe Duskin, natif de Birmimgham, Alabama, mais ayant vécu et joué principalement à Cincinatti, OH, ville dont Ben est natif. Ben Levin s’est également déjà beaucoup produit sur les scènes internationales. Ce nouvel opus, enregistré en deux jours les 25 et 25 mai 2021 à Newport, KY, ne fait que renforcer mes premières impressions. On a affaire à un artiste de très grand talent, à l’aise dans tous les styles pianistiques abordés au long des douze faces de cet album, avec un chant jamais forcé, tout en nuances, qui s’accomode aussi bien des intentions de Joe Liggins dans son I Can’t Stop It que de l’inflence évidente de Fats Domino dans les compositions Bad Idea ou Please Let Me Get One Word In. Une majorité de compositions originales donc, écrites seul ou avec son père, le guitariste Aaron Levin, remarquable de bout en bout au sein du quatuor de musiciens ici présents (avec Chris Douglas, basse et Oscar Bernal, drums). C’est un album éblouissant, dansant, mais aussi intimiste et émouvant. Une petite merveille en somme où la virtuosité semble naturelle… – Marcel Bénédit


Teresa James & The Rhythm Tramps

Rose-colored Glasses VolL.1

Blue Heart Records BHR-015

Il faut laisser le temps au temps. En cinquante ans de carrière, Teresa James a certainement su éviter les pièges du music business pour conserver une voix de jeune fille. Et une fraîcheur dans sa musique aux couleurs blues, rock et soul qui n’est pas désagréable. De l’Americana en somme et tellement, que Randy Newman – un des plus grands observateurs et commentateurs de « l’American way of life » – a fait de Teresa une des interprètes favorites de son répertoire. Il faut aussi laisser à cet album le temps de tourner, pour y découvrir quelques perles repoussées en fin de parcours, comme la ballade When My Baby Comes Home, toute en finesse et en retenue. – Dominique Lagarde


Captain Jack Watson

Bridge Over Flooding Water

djjazzypete.bandcamp.com

Disponible depuis le 1er octobre sur les plateformes de téléchargement et de streaming, l’infatigable texan Jack Watson nous propose ici une nouvelle version de sa composition originale qui était sortie en 2003. Cette dernière mouture remusclée et mixée efficacement par DJ JazzyPete, nous permet une fois encore d’apprécier sa superbe voix qui est toujours à son aise dans les registres du Blues et de la Southern Soul. À l’opposé des tièdes compositions formatées, cette production est l’image fidèle de la musique que l’on peut écouter en fin de semaine dans les clubs de quartiers de Dallas ou Houston. Le Captain Jack Watson tient bon la barre et sa ténacité va finir par payer, il possède assurément l’étoffe des meilleurs. – Jean-Luc Vabres


Afton Wolfe

Kings For Sale

Grandiflora Records

Il est rare que je supplie notre rédacteur en chef préféré pour chroniquer un disque…, mais cette galette produite par Afton Wolfe est à mon humble avis une véritable pépite. « Kings For Sale » tourne en boucle sur ma platine depuis que je l’ai découvert et le plaisir augmente avec le nombre d’écoutes. Est-ce du Blues ? Oui, mais pas uniquement. Des notes jazzy néo-orléanaises, des influences country, des consonances rock, un song-writing proche de Léonard Cohen et une voix rocailleuse à la Tom Waits font de cette galette une véritable réussite. Afton wolfe est natif de McComb (Mississippi), a grandi à Méridian (où naquit Jimmie Rogers), puis à Greenville et à Hattiesburg. C’est dans cette ville qu’il forme divers groupes (Velvet Couch, Dollar Book Floyd et The Relief Effort) avant d’enregistrer sous son propre nom un premier EP (« Petronius’ Last Meal ») en 2008. Le disque dont il est question ici est son premier véritable album. Dès les premières notes du piano, des cuivres et l’arrivée de la voix chaude d’Afton sur Paper Piano, on entre dans un univers envoûtant. Carpenter nous entraîne dans la country des Appalaches sur fond de steel guitar, alors que Mrs Ernst’s Piano sonne plus bluesy-ragtime, avec des consonances Klezmer. Les ballades About My Falling et O’Magnolia sont de toute beauté, alors que Cemetary Blues, sur riff de guitare grungy, est l’un des grands moments de ce disque. Mais c’est avec Dirty Girl qu’Afton Wolfe atteint les sommets grâce au son de l’harmonica, des cuivres et de la steel, en nous entraînant dans l’ambiance chaude et enfumée des maisons closes de La Nouvelle-Orléans. « Kings For Sale » est un disque somptueux qui séduira tous les inconditionnels de « Swordfishtrombones » et « Rain Dogs » de Tom Waits. C’est ma découverte majeure de l’année, mon disque de chevet, de réveil et de journée… Bref, un album indispensable. – Hubert Debas


Miss Lady Blues

Moe Betta Blues

Autoproduction / Frank Roszak Promotions

Kesha Boyd aka “Miss Lady Blues” est une habituée des circuits professionnels blues et soul. Elle a assisté de nombreux artistes, auteurs et producteurs, mais est avant tout auteur-compositeur et chanteuse dont le talent propre ne demandait qu’à être reconnu ; cet album devrait largement l’y aider. Native de Tuscaloosa, Alabama, résidant aujourd’hui à Atlanta, Géorgie, elle a démarré sa carrière en 2013. Après le plébiscité single Like You Used To, elle réalise son premier album – « Pieces Of My Soul » en 2017. Forte de ces enregistrements et de nombreux concerts, elle reçoit une première distinction avec le “Best Female Blues Artist” de l’année aux Alabama Music Awards. Son registre est clairement blues et soul dans ce qu’il a de meilleur. Cet album (malheureusement un peu court) comporte huit titres originaux composés en association avec d’autres musiciens, dont le guitariste Dexter Allen (ancien sideman de Bobby Rush qui poursuit actuellement une carrière solo avec succès) et le pianiste Joey Robinson. Ils font ici partie intégrante du groupe, Joey y assurant aussi les drums, Dexter aussi la basse (en alternance avec Sam Reynolds et Trevor James), donc une équipe de musiciens dont le talent n’est plus à démontrer. La plume de Kesha – sur l’ensemble des titres – est quant à elle poétique et intelligente. Excellente chanteuse, elle est aussi à l’aise dans les compositions blues que les morceaux plus soul. Une belle découverte. – Marcel Bénédit


Silk Sonic

An Evening With Silk Sonic

Aftermatrh Records/ Atlantic 2-661922

Le single Leave The Door Open chroniqué dans le numéro 74 nous avait mis l’eau à la bouche. L’attente est désormais satisfaite avec l’édition de l’album dont beaucoup regrettent qu’il n’ existe pas en vinyle ! Le single sert de locomotive pour embrayer sur Fly As Me dont la construction et le style ressemblent aux débuts du hip hop (époque où la musique était festive et ne se préoccupait pas de drogue, d’armes et de gangstas). 777 est similaire dans la forme et rappelle Grand Master Flash et certains pionniers du rap. Bootsy Collins intervient sur After Last Night avec sa voix douce et chaleureuse dans l’esprit de I’d Rather Be With You qui contribua à sa réputation. Ses interventions sont ponctuelles et courtes et servent d’introduction, comme pour les deux remarquables ballades Smoking Out Of The Window et Put On A Smile où les deux compères  – Bruno Mars et Anderson Paak – explosent vocalement. Puis retour aux grandes heures de la Soul avec Skate et Blast Off ; la machine à remonter le temps est en marche car c’est la renaissance du Philadelphia sound, de ses orchestrations somptueuses et de ses harmonies vocales sophistiquées. La lecture du livret du CD nous donne à réfléchir sur la manière dont cette petite perle – qui ne dure malheureusement que 31’19’’ – à été conçue. Au-delà des voix qui ne doivent rien à l’improvisation et sont certainement le fruit d’un travail acharné, il semble que nous soyons en présence d’un travail d’orfèvre puisque la plupart des cuivres ont été enregistrés au studio Royal de Memphis sous la direction de Boo Mitchell (fils de Willie) avec la présence du ténor sax Lennie McMillan, tandis que les cordes le furent, comme il se doit, à Philadelphie. Le résultat de cet assemblage rend cette galette incontournable et écoutable en boucle, car chaque nouvelle écoute est une découverte. – Jean-Claude Morlot


Dave Specter

Six String Soul

Delmark Records DE 870 – www.delmark.com

Afin d’honorer un beau gage de fidélité, Delmark Records nous propose un double compact rassemblant les enregistrements du guitariste natif de Chicago effectués au cours de ces trois dernières décennies. Au fil des années et des diverses collaborations, le nombre de pointures invités à se produire à ses côtés dans les studios Riverside est tout simplement époustouflant : Ronnie Earl, Lurrie Bell, Jorma Kaukonen, Steve Freund, Lynwood Slim, Sharon Lewis, Tad Robinson, Jesse Fortune, Brother John Kattke et Lenny Lynn sont se joints au musicien qui possède à la six cordes une classe folle, afin d’y graver d’excellents albums. Quel plaisir également de retrouver Barkin’ Bill Smith avec un jump blues pur jus intitulé Buzz Me, le regretté Floyd McDaniel pour le magnifique Saint Louis Blues, mais aussi l’organiste Jack McDuff qui avec Unleavened Soul explore magnifiquement le côté Jazz qu’affectionne celui qui depuis de nombreuses années est à la tête du club Space, dans la proche banlieue de Chicago, à Evanston. Les légendes de la Windy City sont également présentes, comme à leurs habitudes, Jimmy Johnson et Otis Clay déroulent toute leurs classes sur les compositions Feel So Bad et This Time I’m Gone For Good, tandis que Willie Kent avec Seventy Four donne toujours autant la chair de poule grâce à son implication vocale unique. Plus proche de nous, aux côtés d’un Billy Branch inspiré, l’émouvante composition Ballad of George Floyd souligne avec force que Dave Specter est aussi un citoyen engagé et lutte à sa manière contre les maux endémiques qui traversent malheureusement depuis de nombreuses générations la société américaine. Voici une formidable compilation qui satisfera l’amateur le plus exigeant, car l’éventail de la musique afro-américaine y est ici présenté avec talent dans son plus bel écrin. – Jean-Luc Vabres


Phillip-Michael Scales

Sinner-Songwriter

Dixiefrog DFGCD 8824 – www.dixiefrog.com

Phillip-Michael Scales est le neveu de B.B. King mais, du vivant de son oncle, il n’a pas voulu capitaliser sur ce lien. Après ses classes au célébrissime Berklee College of Music, il a évolué dans un répertoire rock et soul jazz. Après le décès du maestro, Scales est revenu aux fondamentaux et il a adopté un blues teinté de soul dans ses compos et ses interprétations. Chez Dixiefrog, il réussit la gageure de proposer 14 compositions originales, toutes en tempo lent, sans ennuyer ni donner envie de zappeur ! Il faut dire que tous les textes sont puissants et très bien tournés et qu’on peut les suivre en direct, puisque les transcriptions sont dans le livret d’accompagnement. Néammoins, je reste sidéré qu’on puisse se cantonner à un tel tempo tout du long d’un album sans faire regretter l’absence de faces rapides ou, tout du moins, bien enlevées et néanmoins faire que la mayonnaise prenne si bien ! Autre curiosité : Scales est un jeune trentenaire, au physique avantageux, et pourtant il relate surtout des histoires d’amours malheureuses, de ruptures, de doutes, de jalousie et de séparations, cela foisonne dans sa production. Bien sûr, cela n’est pas nécessairement autobiographique, mais ça interpelle. Ainsi, dans Send Me There, l’amour est une source de désillusion (… « Love is so much distractful… Is it worth the pain ? »…) ; Lay It On Me est une ode au doute (… « Truth on your face, … Not in your mouth »…) ; et que dire de Your Love’s Working Me To The Bone : caramba ! encore raté ! (… « Nothing works as hard as I try »…). Et rebelote avec Another Man’s Sin (… « You lit a fire and you walked away »…) ou avec Lover Let Me Be (… « Lie to yourself but don’t lie to me »…). S’il y a peu de variantes, Go Easy On Me prend un contrepied bienvenu, c’est la rédemption, la résurrection par l’amour (… « You took a sinner and made him faithful »…), mais c’est reparti comme avant avec un When They Put Me In My Grave (avec la participation d’Arche Lee Hooker) au ton tragique et désabusé. Il y a quand même d’autres faces plus positives comme Feels Like Home (… « I don’t know where I’m going but it feels like home »…) ou le single O, Hallelujah (il a enfin trouvé une partenaire selon ses voeux)/ Pour Get Grown, en conclusion de l’album, c’est plus mitigé avec, quand même, une exaspération sous-jacente… (… « cesse donc de glander… grandis ! »…). Du grand art. – Robert Sacré


Elias Bernet Band

Better Off With The Blues

ebb002

La Suisse, ses alpages, ses lacs, son chocolat, sa douceur de vivre. Fi de ces clichés ! C’est aussi un pays de festivals où le Blues est roi : Lucerne et Crissier, Montreux ayant délaissé depuis quelques années cette musique. C’est encore le poète Francis Giauque, grand amateur de blues, qui raconte une soirée dans une cave et sa rencontre avec Sonny, un joueur d’harmonica afro-américain aveugle : « L’orchestre se composait d’un pianiste, d’un guitariste et d’un joueur d’harmonica, tous noirs… Je connaissais le joueur d’harmonica, un aveugle. De son instrument il parvenait à tirer des sons qui se fichaient dans ma peau comme une pluie d’épingles acérées… Quand il jouait, on avait l’impression qu’il s’enfonçait dans un univers de pureté, d’oubli… L’orchestre attaqua How Long Blues. L’aveugle se mit à chanter. Je fermai les yeux » (F. Giauque : « Œuvre » – p.225, Éditions L’Aire Bleue). Je me plais à imaginer que c’est le genre d’expérience qui a permis au trio suisse Elias Bernet Band de séparer le bon grain du champ d’ivraie musicale et en d’extraire le blues et les musiques afro-américaines. Elias Bernet est un remarquable pianiste et joueur d’orgue Hammond, mais aussi un chanteur très décent. Voilà un musicien doué qui a composé quinze brèves chansons où il exprime toutes les facettes et l’étendue de ses talents. Blues lent traditionnel avec Heavy Load, boogie woogie avec Light That Fire, ballade soul avec See What Lies Deeper, funk avec Monkey Juice, rock ‘n roll avec A Little R’n R, mambo avec Same Damn Thing. Mais c’est La Nouvelle-Orléans et sa formidable école de piano qui se taille la part du lion des influences d’Elias Bernet. La majorité des titres a cette sonorité typique de la Cité du Croissant, mais n’est pas un simple plagiat. Le batteur Berhard Egger est impeccable de swing et de délicatesse, le contrebassiste Markus Fritzsche a un jeu souple et élégant. Ces deux artistes contribuent à la grande réussite de ce disque qui quitte peu mon lecteur de CD. Aucune longueur, un réel plaisir d’écoute renouvelé font de cette galette une réussite. – Gilbert Guyonnet


Hanna PK

Blues All Over My Shoes

Booga Music / Vizztone Label Group VT-BOOGA04 – www.vizztone.com

Hanna PK est une jeune – mais déjà expérimentée – pianiste d’origine sud-coréenne vivant aujourd’hui à Rochester, NY. Ses talents de musicienne, mais aussi de chanteuse et d’auteur-compositeur, n’ont pas échappé à Kenny Neal qui lui a permis d’enregistrer ce premier album dans son studio de Baton Rouge, LA. En 11 compositions, on perçoit l’étendue du talent de cette jeune artiste dans les styles abordés : blues, soul, boogie, mais aussi la qualité de son écriture. Le groupe qui l’accompagne – auquel Kenny participe sur quelques faces – est en osmose totale avec Hanna pour une création très intéressante qui donne envie de découvrir cette artiste sur scène. – Marcel Bénédit


Paul Reddick & The Gamblers

Alive In Italia

Stony Plain – www.paulreddick.ca

Reddick est Canadien (Toronto), auteur-compositeur, chanteur et harmoniciste, auréolé du titre de “Poet Laureate of the Blues”. Il a dirigé le groupe The Sidemen de 1990 à 2001, avec quatre albums au compteur. Puis il a poursuivi en solo avec trois albums pour Northern Blues et un pour Stony Plain en 2016. À noter qu’en 2014 il avait créé son Cobalt Prize, un prix annuel pour mettre à l’honneur une composition de blues contemporain. À l’occasion d’une tournée en Italie en 2019 avec ses amis canadiens Tony D (gt) et Steve Mariner (gt), il s’est associé avec The Gamblers (groupe italien : Gab D – basse, Andrea Constanza – drums et Fabio Marzaroli – guitare) pour ce concert live au Museo Tornielli à Ameno, Novara, en novembre 2019, enregistré pour Stony Plain. Qui dit concert live, dit morceaux longs, voire très longs (ici, 9 faces sur 11 dépassent largement les 5 minutes dont une de plus de 8 minutes) ; en public, cela ne pose pas problème, en écoute d’album, c’est moins évident, d’autant plus qu’en poète assumé Reddick semble accorder plus d’importance aux textes qu’aux compositions. Il y a donc des ressemblances de face en face, mais celles-ci sont bien balancées grâce à une excellente section rythmique et les mélodies sont fort belles, comme les paroles, mais il faut s’accrocher pour les comprendre, car diction et articulation de Reddick laissent à désirer, des transcriptions eussent été fort utiles ! Au total, cela donne un concert très intense et hypnotique et, dans le détail, sept faces sur onze en slow/medium dont Villanelle, une ballade tout en douceur et en retenue, Pinegum bien syncopé, Mourning Dove hypnotique, etc. Mais d’aucuns préféreront des faces plus rapides comme l’hommage à Sleepy John Estes ou The Other Man avec F. Marzaroli (gt). Smokehouse est aussi uptempo, mais ce n’est pas un blues et la fin fait penser au groupe des Shadows. Tout cela pour en arriver à la meilleure face, I Am A Criminal, un blues en medium bien scandé et hypnotique qui passe la rampe malgré ses 7’38 » (ce morceau a été utilisé pour une pub de Coca Cola !). – Robert sacré


Colin James

Open Road

Stony Plain Records SPCD1434 – www.stonyplain.com

Chanteur guitariste canadien, Colin James a commencé à jouer de la guitare en 1972, alors qu’il n’avait que 8 ans. Ses premiers disques, de 1978 à 1988, sont à tendance pop, mais avec « Sudden Stop » en 1992 et « Bad Habits » en1995, il s’oriente définitivement vers le blues. Pendant sa longue carrière, il a travaillé avec les plus grands artistes du genre. Parmi eux, citons Robert Cray, Albert King, Luther Allison, Buddy Guy. « Open Road » est le vingtième album studio de Colin, enregistré après sa dernière tournée aux États-Unis, interrompue par le Covid. Pour l’enregistrement des treize morceaux du disque, il a son trio habituel avec Norm Fisher à la basse, Geoff Hicks à la batterie et Simon Kendall à l’orgue et au clavinet. Pour compléter l’orchestre, on trouve, au fil des morceaux, Chris Caddell à la guitare rythmique, Steve Marriner à l’harmonica et Jesse O’Brien au piano. À côté des quatre compositions personnelles (dont Open Road qui donne son titre à l’album), il y a une succession de reprises comme Bad Boy de John Lee Hooker, It Takes Time d’Otis Rush , on peut citer aussi des reprises de Tony Joe White, Albert King et deux morceaux de Bob Dylan. Si l’écoute de ce disque nous plonge dans le passé, Colin nous affirme que, après dix-huit mois de pandémie, « Open Road » doit aider les gens à se débarrasser des inquiétudes et leur redonner le moral. Alors, écoutons ce disque bien agréable en espérant qu’il donne raison à son auteur. – Robert Moutet


Motor City Josh & The Big 3

Finding A Next Gear

JF Records – www.motorcityjosh.com

Voici le treizième album du guitariste Motor City Josh, originaire du Wisconsin. Il est depuis de nombreuses années l’un des emblèmes musicaux de la ville de Detroit. Après d’incessantes tournées à travers les États-Unis, il décide en 2011 d’ouvrir son studio d’enregistrements le Sound Shop Recording et se lance en parallèle dans la production aux côtés de plusieurs artistes, à l’image du dernier et excellent album de Pat Smilie. Les huit compositions originales comme I Got That Friday Feelin’, Finding A New Gear, ou encore If You Ain’t Having Fun nous démontrent avec classe et aisance que celui qui a grandi en écoutant Albert Collins, Howlin’ Wolf et Taj Mahal, n’a rien perdu de sa superbe pour marier admirablement le Blues et le Rock. Josh Ford rend aussi hommage aux icônes de la Soul Music que sont Wilson Pickett avec Don’t Let The Green Grass Fool You, mais aussi Otis Redding sur le superbe et réussi That’s How Strong My Love Is. Malheureusement peu connu en Europe, il faut souhaiter que grâce à cet album réussi de bout en bout, cet excellent musicien puisse trouver de par chez nous, un accueil dès plus favorable. – Jean-Luc Vabres


Lindsay Beaver & Brad Stivers

Lindsay Beaver & Brad Stivers

Vizztone Label Group VT-LNB-01 – www.vizztone.com

Ce disque est le résultat de la rencontre de la chanteuse, batteure (ou batteuse ou battrice, je ne connais pas l’orthographe retenue pour cette activité…) et guitariste Lindsay Beaver, et du chanteur-guitariste Brad Stivers, tous deux résidant maintenant à Austin, Texas. Le dossier de presse nous présente bien sûr le duo comme la dernière merveille blues venue d’Austin. Lindsay Beaver est peut-être la plus célèbre des deux artistes grâce à un CD produit et publié par Bruce Iglauer et Alligator Records il y a bientôt trois ans (« Tough As Love » – ALCD 4986). Onze des douze titres sont issus de la collaboration des deux artistes. De ce répertoire se détachent See You Again, Getting Gone, la superbe ballade soul Take It Slow qui rappelle la grande Etta James ; le shuffle blues Be Alright chanté par Brad Stivers est excellent ainsi que Somebody Else Will, où la guitare de Brad Stivers brille. L’instrumental jazzy, Slim Pickin’, bénéficie de la partie d’orgue jouée par Barry Cooke. Le beat soutenu par la batterie de Lindsay Beaver est excellent ; le jeu de guitare de Brad Stivers, très influencé par Anson Funderburgh, Jimmie Vaughn et Mike Morgan, aussi. Tous ces ingrédients font que ce CD, qui lorgne vers le rock, est agréable à écouter. – Gilbert Guyonnet


Chuck Corby

Chuck Corby’s Encyclopedia of Soul

Bonedog Records BDRCD-50 – www.mojoboneyard.com

Héros négligé de la blue-eyed soul, Chuck Corby, de son vrai nom Charles Anthony Ciorra, trouve enfin l’occasion d’exprimer dans ce CD tardif l’étendue de son immense talent. Plusieurs décennies de carrière dont quinze au sein du groupe The Del-Vikings ont laissé au passage une poignée de 45 tours, dont certains sont devenus des classiques. Ainsi le somptueux Man Loves Two, interprété par Little Milton, ou son unique single chez Chess, Complete Opposites. Le registre n’est pas ici celui de la soul sudiste que tentent de se réapproprier tant de formations à l’heure actuelle, mais celui d’une lointaine voisine, entre New York et Chicago, urbaine et cuivrée. Chuck Corby rappelle parfois Solomon Burke. Un disque à l’ancienne qui me semble taillé pour réchauffer les soirs d’hiver, avec une réjouissante version du tube pop This Diamond Ring de Gary Lewis and the Playboys, et l’explosion finale de Walking On Air qui nous ramène, l’espace de quatre minutes, avec son balancement et ses chorus de sax, dans un paradis perdu : un club new-yorkais du début des années 70. – Dominique Lagarde


Tommy Castro

A Bluesman Came To Town
A Blues Odyssey

Alligator Records ALCD 5006 – www.alligator.com

Depuis ses débuts en 1994, Castro a produit 16 albums et les 7 derniers pour Alligator (depuis 12 ans). Le revoici sans les Painkillers mais avec les 3 Mac : Rob McNeeley (gt), Tommy McDonald (basse), Kevin McKendree (keys) et une belle brochette d’invités, à commencer par le surdoué Tom Hambridge aux drums, à la production et à la composition de 11 des 13 faces avec Castro et autres partenaires. Excusez du peu. Tommy Castro exprime ici sa philosophie de vie : évoluer, expérimenter et rechercher l’excellence, tout en restant soi-même, c’est même un cycle de vie qu’il égrène tout au long des 13 faces à partir du jour où un musicien de passage lui fait découvrir le Blues (A Bluesman Came To Town, un slow blues d’une grande intensité). Il est accro (I Got Burned) et, quoi qu’il en coûte, il prend la route (Child Don’t Go, Blues Prisoner). Il apprend, développe son style propre et c’est la grande vie (Women Drugs And Alcohol) mais, après les hauts, il y a des bas (Draw The Line) et, la maturité venant, la notoriété aussi, c’est le retour au point de départ, la boucle est bouclée (I Want To Go Back Home). Cette odyssée de bluesman est magistrale car on retrouve toutes les qualités de Castro : son chant passionné, sa créativité à la guitare, son énergie 3.0 ; il n’y a eu aucun déchet dans ses productions antérieures, mais cet album fera date non seulement pour son concept original (« A Blues Odyssey ») mais aussi par les qualités musicales intrinsèques de chaque face, boostées par des invités remarquables comme Terrie Odabi en duo vocal avec Castro dans le bien enlevé Child Don’t Go avec, en outre, un très inspiré Mike Emerson aux clavierss, Jimmy Hall à l’harmonica dans un Somewhere en slow bien saccadé. On notera aussi la participation de saxophonistes comme Keith Crossan dans le funky Hustle et de Deanna Bogart dans I Want To Go Back Home, une ballade bluesy et slow. On citera aussi l’excellent I Got Burned en medium, I Caught A Break (un rock and roll endiablé) et Women, Drugs And Alcohol (tout un programme !) qui développe un délire psychédélique du plus bel effet. Bonne nouvelle : les tournées vont reprendre et on peut espérer revoir Tommy Castro et son band en Europe prochainement. – Robert Sacré


Sue Foley

Pinky’s Blues

Stony Plain Records SPCD1430 – www.stonyplain.com

Sue Foley est une chanteuse guitariste de blues canadienne, née en 1968. Elle reçoit sa première guitare à 13 ans et elle se perfectionne avec un artiste de hip hop américain, connu sous le nom de Tony D. Elle s’essaie au punk rock dès l’âge de 15 ans, puis elle se tourne définitivement vers le blues après avoir entendu Angela Strehli. Chanteuse et compositrice américaine, cette dernière est aussi historienne du blues au Texas. Et le hasard fait bien les choses puisque, en 1991, Sue est contactée par un label texan pour faire un enregistrement. Elle déménage de suite pour Austin où elle va rester sept ans. « Young Girl Blues », son premier disque, sort sur le label Antone’s Records. Elle se produit alors régulièrement sur scène, assurant les premières parties d’artistes comme Buddy Guy, Joe Cocker ou Koko Taylor. Elle a aujourd’hui 15 albums à son actif et elle a participé à une dizaine d’autres invitée. Elle fait de multiples tournées aux USA, au Canada et en Europe, et en 2020 elle reçoit le prix Koko Taylor aux Blues Music Award à Memphis. « Pinky’s Blues » a été enregistré au Firestation Studio de San Marcos au Texas pendant la longue période d’inactivité due au Covid. Il est la suite logique de « The Ice Qeen » que Sue avait enregistré avec un petit groupe en 2018. “Pinky” est le surnom que Sue a donné à sa fidèle guitare qu’elle a depuis ses début, la Fender Telecaster rose, bien entendu. Pour les 12 morceaux du disque, elle a Jon Penner à la basse et Chris Layton à la batterie. Sur les morceaux Southern Men et Think It Over, Mike Flanigin est à l’orgue Hammond et Jimmie Vaughan est à la guitare rythmique dans Hurricane Girl. Le premier morceau, Pinky’s Blues, qui donne son titre à l’album, est un instrumental lent qui met en évidence les talent de guitariste de sue. Elle déclare d’ailleurs, à juste raison, que son jeu de guitare électrique est un hommage au blues du Texas. Elle reprend des classiques comme Stop These Teardrops de Lavelle White, Boogie Real Low de Frankie Lee Sims et Think It Over de Lillie Mae Donley. Say It’s Not So et Two Bit Texas Town sont deux morceaux d’Angela Strehli que Sue interprète avec une voix pleine d’émotion. En conclusion, l’écoute de ce disque de Sue Foley, avec sa “Pinky”, nous replonge dans le blues du Texas avec grand plaisir. – Robert Moutet


The Ronnie Wood Band

Mr Luck – A Tribute To Jimmy Reed
Live At The Royal Albert Hall

BMG / Warner Music

Chacun connait l’influence du Blues dans la musique des Stones. On se rappelle ces jeunes Anglais émerveillés devant Muddy Waters dans les clubs de Chicago. L’influence de leurs idoles – de la Windy City ou du Mississippi – a clairement marqué la musique et la carrière de ce groupe désormais légendaire. À titre d’exemple, l’excellent album « Blue & Lonesome », paru en 2016 et chroniqué dans ces pages, était une excellente compilation de 12 reprises de standards du blues ; de Little Walter à Eddie Taylor, en passant par Willie Dixon, ce recueil constituait un triple hommage : aux grands musiciens du Blues, mais aussi aux origines du rock’n’roll et aux propres débuts du groupe. Depuis toujours, Mick Jagger et Keith Richard n’ont jamais caché leur passion pour le douze mesures. Ronald David Wood, dit “Ronnie” ou “Ron”, guitariste né en 1947 à Hillingdon dans le Middlesex (UK), après avoir été bassiste du Jeff Beck Band et guitariste des Faces, a rejoint les Rolling Stones en 1975 à la guitare aux côtés de Keith Richards et en remplacement de Mick Taylor. Lui aussi est un amoureux du blues et sait ce qu’il lui doit. Après un livre dédié à Chuck Berry en 2019, il revient à « la musique du Diable » dans le second volet de sa trilogie d’albums. « Mr Luck – A Tribute To Jimmy Reed » est un hommage en 18 faces et en public à l’une des ses influences majeures, un pionnier du blues électrique du Mississippi : Jimmy Reed (1925-1976). Enregistré au Royal Albert Hall de Londres le 1er novembre 2013, c’est un album dense, qui parcourt admirablement « avec la manière » l’œuvre du père de Big Boss Man. Ronnie Wood – à la guitare, au chant et à l’harmonica – est totalement à l’aise dans ce répertoire qu’il maitrise à merveille. Cet enregistrement est bourré d’énergie et de feeling, chaque morecau transpire la joie de jouer et de partager cette musique indémodable, avec la complicité – entre autres musiciens – de Mick Taylor à la guitare, ou d’invités comme Bobby Womack (guitare), Mick Hucknall (chant) ou Paul Weller (guitare). Un superbe moment entre musiciens talentueux, passionnés et passionnants, et un formidable hommage à un artiste majeur de la musique afro-américaine du XXe siècle. – Marcel Bénédit


Hector Anchondo

Let Loose Tose Chains

Vizztone Label Group VT-HA001 – www.vizztone.com

Hector Anchondo, originaire d’Omaha, Nebraska, a biberonné la variété sauce américaine. Il en a joué avec son propre orchestre pendant une vingtaine d’années sur les routes états-uniennes. Cette « Americana » est imprégnée de Blues dans lequel le chanteur, guitariste et auteur-compositeur a décidé de se plonger corps et âme, allant même séjourner une année à Chicago s’en imprégner. Après deux échecs au concours annuel de Memphis, l’International Blues Challenge (quand il y a concours musical, me revient sans cesse ce mot de Debussy : « Les concours, c’est réservé aux chevaux »), Hector Anchondo remporta deux prix lors de l’édition 2020. Mais hélas ce trophée ne fait pas du vainqueur un bluesman. Ce que confirme ce disque où le Blues est plutôt rare. Les douze chansons originales proposées ici oscillent du blues inspiré par Keb’ Mo’ et Taj Mahal, tels l’entrainant I’m Going To Missouri, les excellents Candy Shop, Momma’s A Hard Man et You Know I Love You But You Got To Go, aux sirupeuses ballades Just Forget It et Vested Angels, en passant par un clin d’œil au jazz manouche (Strike It Down) et une chanson sauvée par ses inflexions gospelisantes (Heart and Soul). Tous les autres titres sont de l’americana. Hector Anchondo est un bon auteur-compositeur, un guitariste émérite, mais son disque laissera indifférents les amateurs de downhome blues. – Gilbert Guyonnet


Boogie Beasts

Love Me Some

Naked NP055/Donor Prod. – www.donor.company/naked

Troisième album pour les Boogie Beasts « nouvelle formule » : un quarter « à la belge » : deux Flamands, deux Wallons ; un Flamand, guitare et chant (Jan Jespers), un Wallon guitare et chant (Patrick Louis), un Flamand aux drums (Gert Servaes) et un Wallon à l’harmonica (Fabian Bennardo)… L’union fait la force, nos politiciens devraient en prendre de la graine. Avec une férocité dans les riffs de guitare et une hargne lancinante dans les passages d’harmonica et du chant qui sont leur marque de fabrique, les Boogie Beasts revisitent, en mode rock, un répertoire de Mississippi blues électrique par essence répétitif. Les paroles des morceaux et les changements de tempo différencient les plages, toutes composées par le groupe qui comprend aussi Rijkje Crommen au chant dans plusieurs faces. Elle est d’ailleurs très convaincante dans Favorite Scene (premier single de l’album paru sur Internet avec Bring It On) en médium, martelé avec conviction. Le reste baigne dans une ambiance survoltée frisant la tornade sonore avec un Get Away haletant, The One hypnotique, Get Me Out Of Here enlevé qui dégage un sentiment d’urgence, tout comme Like A Snake. Le reste est à l’avenant, rythmé, syncopé et style « à bout de souffle ». En bonus, on a les singles Howl (slow et menaçant) et un Mine All Mine intense, sortis en 2020 sur YouTube. Un album choc et bourré d’adrénaline. Avis aux amateurs. – Robert Sacré


Rusty Ends & Hillbilly Hoodoo

Rusty Ends Blues Band

Earwig CD 4979 – www.earwigmusic.com

Rusty Ends est un chanteur guitariste basé à Louisville dans le Kentucky. Il a appris son métier dès l’adolescence en jouant dans les bars avec un répertoire de rock des années 50 et 60, de soul et de blues. En 1969, il fait son premier enregistrement avec le groupe Cooper’n’Brass à Memphis, dans le studio du célèbre Sam Phillips. Le disque a un succès régional, mais il est très populaire dans les clubs où il continu à se produire. Au début des années 90, il décide de revenir au blues et il se produit régulièrement dans les festivals avec différents groupes comme The Shirelles. Il participe aussi à des sessions d’enregistrements, notamment avec Eddie Kirkland. C’est à cette époque qu’il commence à écrire des chansons. Mais en 2010, il disparait de la scène musicale pendant cinq ans. Une rumeur prétend qu’il était parti dans les Everglades étudier le mysticisme amérindien… Il n’a jamais démenti ou confirmé. Après ce long silence, Rusty réapparait lorsque David Zirnheld, un ami de longue date, lui demande de jouer dans les services religieux. Et c’est ainsi qu’il revient à ses nombreuses musiques préférées : blues, soul, jazz, rockabilly. En 1996, il enregistre l’album « Rusty Ends Blues Band » pour Rollin’ & Tumblin’ Records. Pour les 17 morceaux de sa composition, il a David Zirnheld à la basse, Robbie Bartlett au chant, Gene Wickliffe et Danny Kelly à la batterie, Rod Wurtele au piano électrique et à l’orgue, Jim Rosen à l’harmonica, Gary Hicks à la trompette, Kelly Bechtloff au saxophone et Barry Shaw aux percussions. Le disque n’a jamais été publié, Rollin’& Tumlin’Records ayant fermé peu de temps après l’enregistrement. Aujourd’hui, c’est donc Earwig Music Company qui ressort ce disque de l’oubli. C’est un mélange des rythmes qu’affectionne Rusty que l’on redécouvre ici, mais cela devrait quand même plaire à une grande partie des amateurs de blues. – Robert Moutet


Luca Kiella

Ready For You

Cypress Road Productions – www.lucakiella.com

Une fois assis aux claviers, Luca Kiella – de son vrai nom Luca Chiellini – déploie avec son orchestre et sa section de cuivres un univers joyeux et feutré dans lequel se croisent ambiances soul, jazz, pop, groove. On sent que La Nouvelle-Orléans laisse des marques profondes. Mais que le voyage part aussi dans d’autres directions et donne à son passager le temps de se demander si l’Amérique est toujours aujourd’hui « the land of freedom à bord d’un train pour nulle part ». « Je hais mon patron », poursuit-il d’un air décomplexé. Pour autant, le ton n’est pas toujours guilleret, et au final la question demeure entière : « Reste-t-il un peu d’amour pour moi ? ». – Dominique Lagarde


Carolyn Wonderland

Tempting Fate

Alligator Records ALCD 5007 – www.alligator.com

Carolyn est une représentante charismatique du blues texan depuis une trentaine d’années. Née Carolyn Bradford en 1972, elle a démarré sa carrière à Houston, Texas, à l’âge de 15 ans et, à 18 ans, elle était à la tête des Imperial Monkeys avec lesquels elle a gravé cinq albums entre 1993 et 1999, l’année où elle s’est installée à Austin. C’est là, en 2001, qu’elle a enregistré le premier des cinq albums en solo ayant précédé celui-ci et qu’elle a entamé des tournées en Amérique, au Canada, Mexique, Brésil, Panana, Europe, Japon…, sans oublier ses tournées comme guitariste au sein du John Mayall Band (16 pays) depuis 2018 au New Orleans Jazz & Heritage Festival ! Elle y a gagné une multitude de fans séduits par son jeu de guitare original, varié et à nul autre pareil, son chant puissant au registre étendu, passionné et subtil, son dynamisme sur scène et ses compositions qui couvrent tous les problèmes de notre société, avec sérieux et/ou avec humour. Malgré tout, son impact sur le monde du blues en général restait limité de par le manque de promotion, de visibilité et de distribution. Ces lacunes sont maintenant comblées par son arrivée dans la famille Alligator. Elle a composé six des dix faces de cet album et on l’y retrouve avec ses complices de toujours, Bobby Perkins (basse) et Kevin Lance (drums) entourés d’un panel d’invités comme Marcia Ball (piano) dans un savoureux Texas Girl and Her Boots autobiographique, mené tambour-battant avec plein d’humour à la clé, accompagnée par le guitariste Dave Alvin (par ailleurs producteur de toute la séance et que l’on retrouve dans un passionné Fragile Peace And Certain War à portée sociale, lancé à toute allure avec Wonderland à la lap steel), et dans deux autres faces. Il y a aussi quelques ballades dont deux Tex- Mex : Crack In The Wall traite d’un sujet sensible au Texas, la saga des migrants (avec Jan Fleming, – accordéon, Cindy Cashdollar – lap steel, Dave Alvin – guitare) et le syncopé Honey Bee de Billy Joe Shaver avec Fleming (accordéon). Notons encore un enflammé Broken Hearted Blues, non autobiographique (Wonderland forme un couple solide avec l’humoriste A. Whitney Brown) et On My Feet Again jazzy et plus personnel dans lequel elle démontre ses talents de siffleuse (C. Wonderland est aussi poly-instrumentiste : guitare, trompette, accordéon, lap steel, piano, mandoline). Une mention particulière à une reprise de son copain Bob Dylan, It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry, avec Jimmie Dale Gilmore (vo) et Cindy Cashdollar (lap steel). – Robert Sacré


Al Basile

B’s Testimony

Sweetspot Records 9941

Al Basile est un poète, écrivain, compositeur, chanteur et joueur de cornet. Célèbre pour sa maîtrise de l’écriture, il a publié trois livres de poésie, « A Lit House » en 2011, « Tonesmith » en 2017 et « Solos » en 2021 qui résument son travail dans ce domaine depuis les années 60. Il est régulièrement publié dans des revues spécialisées et enseigne l’écriture lyrique. Il a commencé sa carrière musicale en 1973 en tant que joueur de cornet dans la formation Roomful of Blues. Depuis 1990, il travaille avec Duke Robillard comme auteur-compositeur et membre de son orchestre et il apparaît sur douze CD et un DVD de ce dernier. Il a enregistré sous son nom seize albums, tous produits par Duke Robillard, et il a été nominé sept fois pour le Blues Music Award du meilleur joueur de cornet. Et, récompense suprême, son album de 2016 – « Mid-Century Modern » – a été nommé meilleur album de blues contemporain. Voici donc « B’s Testimony », son nouveau CD produit et réalisé sans Duke Robillard. Mais il a fait appel aux fidèles musiciens de ce dernier. Ainsi, on retrouve Bruce Bears aux claviers, Brad Hallen à la basse, Mark Teixeira à la batterie, Doug James au saxophone ténor et Jeff Chanonhouse à la trompette. Pour compléter cette équipe de choc, il a fait appel au guitariste norvégien Kid Andersen qui vit aux USA depuis 2001 et qu’on ne présente plus. C’est la première fois qu’ils sont ensemble sur un disque bien qu’ils aient de nombreuses fois partagé la scène. Pendant l’année Covid, ils ont travaillé sur de nouvelles chansons qui racontent une histoire ou une situation dramatique qui pourrait arriver. Pour la ballade One Day at a Time, Basile est en duo avec la sensuelle chanteuse du Mississipi, Shy Perry. Le cornet de Basile est bien présent dans tous les morceaux, avec le soutien de magnifiques solos de guitare de Kid Andersen. Alors que pour son dernier album il n’avait qu’un trio derrière lui, son retour avec une formation beaucoup plus étoffée est une véritable gageure. Un disque nettement à la hauteur des productions de Duke Robillard. À vous de le vérifier. – Robert Moutet


Thorbjörn Risager

Best of – The Black Tornado

Ruf Records 1292 – www.rufrecords.de

La Scandinavie a considérablement enrichi la confrérie des bluesmen (-women) et le Danemark tient la corde avec un musicien comme Risager. Mine de rien, cela fait pas loin de vingt ans que cet artiste de Copenhague fait parler de lui et de son Blue 7 Band devenu Black Tornado en 2014 (arrivée chez Ruf Records) avec un succès mérité qui est allé grandissant. Il fallait dignement fêter cela et c’est ce qu’a décidé Thomas Ruf en programmant ce set de 2 CD avec, en tout, 33 faces tirées des 11 albums (studio et live). Le premier set couvre les années 2004 à 2012, celles des débuts exaltants avec des extraits d’albums qui ont marqué leur année de parution comme Ain’t Ever Gonna Leave No More, une belle profession de foi en slow tirée de « From The Heart » (2006) ou Heart Of The Night (repris de « Here I Am », 2007), du New Orleans R&B avec une section de cuivres discrète mais efficace, tout comme dans l’excellent You Better Pay Attention (extrait de « Live At Victoria », 2009) avec, en vedette, les cuivres (Kasper Wagner, Hans Nybo et Peter Kehl) et le piano (Emil Balsgaard). On notera encore, de 2010, le vibrant Rock ‘n Roll Ride et la ballade slow Stand Beside Me, mais une mention particulière ira au bien enlevé In The Back Of My Mind « Dust And Scratches », 2012) avec de belles parties de guitare et de piano. Le reste est plus ou moins à l’avenant. Idem avec les faces du deuxième opus. En 2014, Risager arrive chez Ruf Records et commence par un coup d’éclat, salué par la critique unanime, avec le superbe album « Too Many Roads » représenté ici par le titre éponyme, fédérateur et festif, et par un If You Wanna Leave d’anthologie, obsédant et accrocheur. Puis il y aura un « Ruf’s 2016 Songs From The Road » avec une version triomphante et dévastatrice du Baby Please Don’t Go de Big Joe Williams suivi en 2017 de « Change My Game » avec un martial et martelé Maybe It’s Aright et le nerveux-enfiévré Hold My Lover Tight. Aucune rétrospective n’eut été complète sans des extraits du dernier album paru, « Come On In », avec le titre éponyme, un slow bien scandé par la batterie et Last Train, accrocheur et guilleret. Le tout est à déguster sans modération. – Robert Sacré


Jérôme Piétri

Last Of The Fishing Days

Autoproduit / Socadisc

Chanteur, guitariste et auteur-compositeur, Jérôme Piétri a déjà une longue expérience dans le domaine blues-rock. Ce musicien auvergnat a grandi avec les sons des sixties, Rolling Stones et Animals notamment. Dans sa longue carrière, il a collaboré à toutes sortes de formations : SOS, El Diablo, Too Bab, en passant par Jean Louis Murat et un « tribute to Pink Floyd » qui le conduira jusqu’à l’Olympia. Il a déjà enregistré deux albums, « Little Blues Story » et « Gone Fishin’ » et aujourd’hui il nous propose « Last Of The Fishing Days », un enregistrement de 10 titres dont 9 compositions écrites durant son séjour de trois ans dans les Antilles. Finies les guitares de sa fabrication avec des bidons ou des boîtes de cigares, et retour à la bonne vieille Gibson. Finies aussi les prestations en One Man Band mais création d’une formation en petit groupe : François Blanc à la basse, en alternance à la batterie Thierry Domas et Chris Boragno de El Diablo, et Fabienne Della Moniqua au chant. Money est le seul morceau que Jérôme n’a pas composé et il nous rappelle avec cette interprétation blues-rock son aventure de tribute à Pink Floyd. Dans cet album, cet amoureux de pêche à la mouche a fait de l’écologie (de la pochette aux textes) un thème majeur. On peut citer par exemple le titre Plastic Island qui évoque le nouveau continent de plastiques flottants… Et Jérôme nous donne une musique variée avec du blues, du rock et du jazz pour défendre notre planète. En conclusion, un disque fort réussi qui marque le grand retour de cet artiste talentueux et à nul autre comparable dans les bacs des disquaires. – Robert Moutet


Big Dez

Chicken In The Car And The Car Can’t Go !

Autoproduit / Socadisc

Big Dez est un groupe de la région parisienne créé en 1996 avec un répertoire de blues anglais et américain. Ils fêtent leur vingt-cinquième anniversaire avec ce dixième album. Au départ, le chanteur guitariste Phil Fernandez s’entoure de Lamine Guerfi à la basse et Marc Schaeller à l’harmonica. Après de multiples changements on retrouve, avec le trio du départ, Paco Lefty Hand à la guitare, Guillaume Destarac à la batterie et Léa Worms aux claviers. En raison de la pandémie, les dix morceaux ont été enregistrés en France, à Lainville-en-Vexin, mais le mixage a été fait à Chicago. Rock, soul et punk sont au menu, mais le groupe nous emmène aussi vers le blues de Chicago. C’est un album qui enchaîne des morceaux dynamiques, sans temps mort. Souhaitons à Big Dez de continuer son chemin avec cette fidélité à la musique qu’il pratique depuis ses débuts et une même énergie. – Robert Moutet


Pastor T.L. Barrett
and the Youth for Christ Choir

I Shall Wear A Crown

Numero Group 077 – www.numerogroup.com

Une fois encore, le label Numero Group va combler de nombreux amateurs avec ce somptueux coffret qui met sous les feux de la rampes les productions du Pasteur T.L. Barrett de Chicago, dont le quartier général se situait dans le south side, au 5512 S Lafayette Avenue, à proximité du parc Washington. Activiste aux côtés de son ami Jesse Jackson dans la lutte pour les droits civiques, il décida avec le chœur de sa congrégation d’enregistrer toute une série de compositions qui virent le jours sous la forme d’albums et 45 tours. Parmi les membres de son église, se trouvaient des artistes comme Donny Hataway ou encore Maurice White et Philip Bailey de Earth, Wind and Fire. Alors, quand il émit le souhait d’entrer en studio, on lui conseilla de se rapprocher plutôt de noms célèbres qui sauraient mettre en valeur les compositions qu’il souhaitait enregistrer. Il préféra néanmoins travailler avec son chœur, The Youth for Christ Choir, qui comportait une quarantaine de personnes âgées de 12 à 19 ans. Le résultat est formidable, enivrant et émouvant. Le répertoire proposé au fil des cinq albums est somptueux. La box est disponible au format CD, disques et collector (les vinyles sont colorisés) ; elle contient les LP « Like A Ship », « Do Not Pass Me By Vol. 1 & 2», « I Found The Answer », plus un album bonus intitulé « Singles And Sermons » et regroupent des sessions qui avaient vu le jour en 45 tours, mais aussi des prêches formidables qui rappelleront bien des souvenirs à tous ceux qui ont fréquenté les offices dominicaux de la Cité des Vents ou d’ailleurs. Il faut rajouter un livret très bien fait relatant dans sa chronologie et agrémenté de magnifiques photos la vie du Pasteur, sans oublier la discographie. Certes, il vous faudra casser un peu votre tirelire si vous souhaitez vous procurer cet exceptionnel coffret, mais cela en vaut vraiment la peine ; en tout cas, pour ceux qui souhaitent s’offrir un magnifique cadeau pour les fêtes de fin d’année, ne cherchez plus : vous l’avez trouvé ! Il sera bien difficile pour tous les fans de musique afro-américaine de faire l’impasse sur cette splendide réédition. – Jean-Luc Vabres


Hound Dog Taylor

Tearing The Roof Off

JSP Records JSP 2505 – www.jsprecords.com

J’ai ouvert l’enveloppe : un double CD d’Hound Dog Taylor et de divers disciples où sidemen. Je n’ai pu m’empêcher d’éprouver un pincement au cœur, un sentiment un peu « bitter sweet ». Hound Dog Taylor a tant compté pour moi. C’est à son contact que j’ai pu apprendre et comprendre. Au-delà de la musique elle-même, il y avait l’homme, son vécu, son entourage. Taylor c’était Le Blues. Rien que cela. Son trajet musical était étroitement mêlé à son parcours musical. Au fil du temps et d’innombrables heures passées à jouer au cœur de sa communauté, ignoré ou presque de l’univers des amateurs blancs qui se construisait dès la fin des années 50, il incarnait la permanence d’un langage. Un langage qui échappait le plus souvent à une large fraction des amateurs venus au blues par le folk ou le jazz. Trop rude, la musique du Dog effarouchait bien des oreilles. Ma propre expérience m’a convaincu que sa musique ne prenait vraiment tout son sens qu’en direct. De préférence dans le confinement des bars, des petits clubs, des soirées de quartiers organisée par des social club. Mais, ainsi va la vie, Hound Dog nous a quittés. Nous ne jubilerons plus en le voyant, guitare en main – ses affriolantes guitares japonaises truffées de potards – dandinant sa maigre silouhette dans une danse de sauterelle, riant aux éclats… Nous ne le verrons plus dans ces instants magiques où, en fin de gig, il s’immergeait totalement dans le blues low down ; penché en avant, tel une gargouille gothique, les yeux clos pour être mieux ouverts sur un univers qui n’appartenait qu’à lui… Ce disque est utile. Il nous présente l’évolution musicale de Taylor. Notamment ses faces issues des séances organisées par Cadillac Baby. Ce dernier me parla abondamment d’Hound Dog, complétant le contact si fructueux avec celui qui devint pour moi un frère, Bruce Iglauer. À cette époque, Taylor n’avait pas encore « domestiqué » sa sonorité globale et maitrisé cette-ci comme on dompte un bronco, conservant à la fois cette maîtrise et la fougue sauvage de l’animal. On ne remplace pas si facilement “le Dog”. Sa musique paraît simple à certains. Mais les séances de Brewer Philips et Ted Harvey sans leur ancien “Boss”, en 1982, montrent qu’il n’en est rien. Les morceaux enregistrés en club, au Florence’s, sont précieux et méritent votre écoute. Le Dog swinguait, simplement, en parlant, bien plus que bien des guitar heros malmenant leurs grattes coûteuses… Je conseille très vivement l’acquisition de ce double CD. Mais cela ne vous dispensera pas d’écouter par ailleurs les grandes réussites d’Alligator. – André Fanelli


Prof. Alex Bradford

Feel Like Running For The Lord
Early Recordings 1950-1961

Gospel Friend PN-1516 / Bear Family Records – www.gospelfriend.se 

C’est à partir des années 60 que le Black Gospel s’est imposé en Europe : en 1961, Mahalia Jackson a rempli les plus grandes salles de concerts à Londres, Berlin Est, Frankfort, Copenhague, Stockholm… Ernestine Washington et les Roberta Martin Singers, entre autres, furent les vedettes du Spoleto Festival en Italie en 1963. Sister Rosetta Tharpe fit une tournée européenne en 1964 au sein de l’American Folk Blues & Gospel Caravan et, avant cela, en 1962, l’Europe accueillit avec un succès inouï la tournée Black Nativity avec Marion Williams, soliste des Stars of Faith, Madeleine Bell, avec Alex Bradford ! Tous ces solistes et groupes, dont Bradford, firent des carrières prestigieuses et appréciées d’amateurs de plus en plus nombreux. Alex Bradford était né le 23 janvier 1926 à Bessemer dans l’Alabama, près de Birmingham. Il fut élevé dans un bain de gospel avec les Jubilee groups locaux, mais aussi avec les artistes en visite comme Arizona Dranes – la pianiste texane aveugle – adepte du ragtime, Mahalia Jackson, “Queen” C. Anderson…. Doué pour la musique, ses parents lui firent donner des leçons de chant, de piano et de danse. Il fit de solides études secondaires achevées à New York, puis des études supérieures au très renommé Snow Hill Institute avec de brillants résultats en Histoire, Anglais et Musique. Avec ce solide bagage, il fut d’abord incorporé dans l’armée US puis, démobilisé en 1947, il s’installa à Chicago, bien décidé à se faire une place dans le show business. D’abord secrétaire de Mahalia Jackson, il se fit remarquer par des dons exceptionnels de compositeur de gospel songs reprises par des groupes de prestige : Since I Met Jesus par les Caravans, les 5 Blind Boys of Alabama, I’m Too Close To Heaven par les Roberta Martin Singers, etc. En 1950 il se joignit aux Willie Webb Singers et enregistra avec eux pour Gotham Records des faces non composées par lui, comme Every Day And Every Hour, Alone et Eyes Have Not Seen qui boostèrent encore son prestige d’interprète, toutes trois sont reprises ici. Puis il organisa les Bradford Specials décrochant un contrat avec Apollo Records et enregistrant 12 titres dont 5 composés par lui, en deux séances (1951 et 1952) ; ces 12 titres sont présents sur cet album, dont les excellents Test At The Judgement et Jesus Keep Me Near The Cross en sus d’un pur chef-d’œuvre du gospel à écouter en boucle : He’s A Wonder avec sa marque de fabrique, des passages en falsetto appris au contact de Marion Williams. En 1954, il passa chez Specialty Records en Californie et grava une quarantaine de faces dont 6 figurent ici avec un inédit, le bien enlevé Somebody Touched Me, les dynamiques Feel Like Running For The Lord et I Feel The Spirit (première apparition en CD pour ces faces). Partout, la voix de baryton de Bradford – chaude et un peu râpeuse – fit merveille, comme son jeu de piano musclé et explosif et ses exploits de danseur sur scène. En 1958, Bradford signa avec Gospel Records (affilié à Savoy Records) produisant l’émouvant God Never Sent A Soldier To Battle Alone (1959) dédié à sa mère. On notera encore un vibrant What Do You Know About Jesus (1959) et le survolté He Supplies My Every Need (1961). En 1962 , il s’associa à Vee Jay Records puis à Checker, Nashboro et Cotillion (Atlantic), gravant 11 LP entre 1962 et 1974 et se produisant en concerts, festivals et tournées internationales, mais aussi dans des shows musicaux avec une popularité et un talent sans faille jusqu’à sa mort en 1978. On a ici un album incontournable avec des notes de pochette bien détaillées dues à Per Notini, le boss de Gospel Friend (livret 12 pages, illustré). – Robert Sacré


Tommy Ridgley

Rhythm and Blues in New Orleans
Selected Singles As and Bs 1949-1962

Jasmine Records JASMCD3214 – www.jasmine-records.co.uk

Il fallut, en 1976, l’opiniâtreté du spécialiste John Broven pour publier chez Flyright Records « The New King of The Stroll », une compilation du chanteur néo-orléanais Tommy Ridgley (1925-1999). Un artiste originaire du quartier de Shrewsbury, alors toujours en activité dans sa ville, qu’il a peu quittée en un demi-siècle de carrière, ce qui peut expliquer son séjour prolongé sous les radars du grand public, quand le nom de nombre de ses concitoyens faisait le tour du monde. Tommy Ridgley a pourtant remarquablement illustré l’évolution du New Orleans Sound, de ses débuts en 1949 – avec l’orchestre de Dave Bartholomew –, aux productions pré-soul du début des années soixante, sous la houlette de Wardell Quezergue. Plusieurs compilations et de nouveaux albums ont scellé sa redécouverte dans les années 90. Ce disque Jasmine a l’avantage de réunir en trente faces de 45 tours ses succès primitifs chez Imperial et plus tardifs pour Ric, comme Should I Ever Love Again, adapté de Wynona Carr, ou Double Eyed Whammy et Girl From Kooka Monga, ces deux derniers ayant été repris par Freddy King. – Dominique Lagarde


Various Artists

Chicken Stuff !
More Texas Guitar Blasters

Jasmine Records JASMCD3166 – www.jasmine-records.co.uk

Fenton Robinson et Larry Davis étaient deux jeunes gens en quête de gloire musicale quand leurs chemins se croisèrent, en 1953, près de Little Rock, Arkansas. Le premier, originaire du Mississippi, était guitariste et chanteur, le second, né à Pine Bluff, Arkansas, chantait aussi et jouait de la batterie. À partir de 1955, les deux hommes allièrent leurs talents. Puis Larry Davis devint bassiste ; dans les années 1960s, il passa à la guitare. Fenton Robinson, influencé par T. Bone Walker, était déjà un superbe guitariste au jeu très fin et tendu ; il avait en outre une très belle voix tout comme Larry Davis. Il se présenta à Sam Phillips qui l’orienta vers Lester Bihari et sa firme de disques Meteor. Tennesse Woman et Crying Out Loud (Fenton Robinson & his Dukes-Meteor 5041) fut en 1957 le premier disque de Fenton Robinson avec Larry Davis à la basse. En 1958, le chanteur Bobby ‘Blue’ Bland, impressionné par Robinson et Davis, les recommanda à Don Robey, boss des labels Duke et Peacock à Houston. En mai 1958, les deux musiciens entrèrent en studio à Houston. Le pianiste de La Nouvelle-Orléans, James Booker, avait été choisi pour les accompagner. Fenton enregistra l’instrumental The Freeze (Fention & the Castle Rockers-Duke 190) qu’à peu près au même moment Albert Collins avait aussi choisi d’enregistrer pour son premier disque. Larry Davis quant à lui grava I Tried et Texas Flood (Duke 192). Cette dernière chanson rencontra le succès commercial. Elle est devenue un véritable classique du Blues. La partie de guitare de Fenton Robinson, en style T. Bone Walker, est un modèle. La reprise de Steve Ray Vaughn, bien inférieure à l’originale, popularisa Texas Flood. Satisfait du duo Robinson-Davis, Don Robey lui envoya 300$ pour revenir enregistrer à Houston, en 1959. Fenton Robinson créa As The Years Go By (Duke 329), dont vous connaissez tous la postérité sous le titre As The Years Go Passing By, il fit une nouvelle version de Tennessee Woman sur un beat latino. Ainsi s’acheva la collaboration entre Robinson et Robey. Le 19 juin 1959, Larry Davis, sans sa basse et certainement sans Fenton Robinson, interpréta entre autres, Angels In Houston (Duke 313), chanson devenue elle aussi un classique, adaptation de Angels In Harlem du Doctor Clayton. Jasmine a regroupé par ordre chronologique les œuvres Meteor et Duke de la paire. Pourquoi avoir compilé cette musique dans une rubrique intitulée « Texas Guitar Blasters » ? Peut-être parce qu’elle fut réalisée à Houston ? Ou parce que le magnifique jeu de guitare de Fenton Robinson sonne texan ? Plus justifiée est la présence du texan Harding Hop Wilson chanteur et joueur de lap steel guitare. Les deux singles, produits en Louisiane par Eddie Shuler et sa firme de disques Golband, et les trois pour King Ivory Lee Siemen et son label Ivory, sont ici rassemblés. L’endiablé Chicken Stuff côtoie de superbes blues lents sur lesquels la lap steel guitare prolonge magnifiquement le chant désespéré de Hop Wilson. Écoutez I Met A Strange Woman (Ivory 133), en fait une version déguisée de Mistake In Life de Roosevelt Sykes, et Broke and Hungry (Golband 1078). Hop Wilson, un bluesman original, qui a influencé L.C. ‘Good Rockin’’ Robinson et Sonny Rhodes. Jasmine a produit une excellente collection, avec des notes intéressantes et une discographie. Mais il y a un hic : le livret contient une photographie affirmant qu’il s’agit d’un portrait de Hop Wilson alors que c’est celui d’un autre joueur de lap steel guitare, Freddie Roulette. Que cette bourde éditoriale ne vous empêche pas d’acheter ce CD à haute valeur musicale. – Gilbert Guyonnet


Little Willie Littlefield & Champion Jack Dupree

Good Rockin’ Blues & Boogie
Live With The Big Town Playboys (1986 & 1989)

JSP Records JSP 2506 (box 2 CD) – www.jsprecords.com

Je suis fan inconditionnel de Little Willie Littlefield depuis ma découverte des rééditions par Ace Records (UK) dans les années ‘80 et ‘90, de ses enregistrements Federal et Modern des années ‘40 et ‘50. J’ai suivi, en leur temps, ses gravures Blues Connoisseur (USA, 1975), Rib Tone (USA, 1980), Paris Album (F, 1980), Oldie Blues (Hollande, 1982, 1983, …), Serrano (Espagne, 1984), JSP (U.K., 1982, 1990), Schubert (D, 1987), etc. Mais cela fait des années maintenant que, comme beaucoup, j’attendais d’autres rééditions de ce pianiste/chanteur talentueux et ne voyais rien venir jusqu’à ce que John Steadman et JSP Records prennent l’initiative de rééditer 3 faces de LWL au Belgian R&B Festival, Peer (B), en juillet 1986 en compagnie des Big Town Playboys (1) (faces enregistrées par la BBC, diffusées dans le show radio de Paul Jones et parues à l’époque sur JSP CD210, un album devenu difficile à trouver) et d’autres faces gravées au premier Festival de Blues de Burnley (UK) en 1989, avec le même groupe anglais mais restées inédites en disque (2). On a donc ici 21 faces des festivals d’Ecaussines et de Burnley qui brillent par l’exhubérance extravertie de Little Willie dans ses blues et boogie-woogies avec ses accompagnateurs en état de grâce et sur la même longueur d’onde que le leader. Prestations publiques en festival obligent, les morceaux sont plus longs et on retrouve beaucoup de reprises connues du public, c’est normal et ce n’est pas un souci, l’interprétation étant sans faille. Bien entendu, Kansas City (Here I Come) est au programme ; rappelons que c’est Littlefield qui l’a composée, même si la version de Wilbert Harrison est la plus connue. Willie s’en donne à cœur joie avec les Playboys autant dans un classique du jazz comme Round Around Midnight, traité en bogie, que dans le Good Rocking Tonight de Roy Brown et Undecided Boogie (avec quelques mesures de la Marche Nuptiale de Felix Mendelssohn) ou Shake Rattle And Roll (Joe Turner), Let The Good Time Roll et Rock And Roll All Night Long. On notera aussi 3 faces en solo et en folie, Chicken Shack Boogie, Undecided Boogie et un Stormy Monday Blues qui commence en slow puis s’emballe, passe en roue libre et encore 2 faces instrumentales comme Honky Tonk Train (hommage à un de ses mentors, Meade Lux Lewis) et un mystérieux Water In My Ear, sans texte, on se demande ce qu’est cette eau dans son oreille ? Le reste est à l’avenant, bourré d’humour, de bonne humeur et de rythmes enfiévrés. En bonus, JSP propose 12 faces de Champion Jack Dupree, lui aussi présent au Festival de Burnley en 1989, accompagné également par les Big Town Playboys. On peut ainsi comparer Dupree et LWW, tant sur le plan vocal que pianistique, ils ont de nombreux points communs : ils font partie du Gotha du Piano blues, ils sont tous deux actifs depuis la fin des années ’40, tous deux installés à demeure en Europe depuis belle lurette et tous deux partagent un répertoire voisin, au point que Dupree lui aussi s’inspire de la Marche Nuptiale dans Wine, Wine, Wine. Toutefois, Dupree n’est pas constamment dans l’exaltation ou la jubilation intenses, on le constate dans trois faces slow, introverties, prenantes et dramatiques comme Bring Me Flowers While I’m Living (de B.L. Jefferson), dans Junker’s Blues, la complainte du drogué, ou dans un Freedom Blues autobiographique et en solo. Il affectionne la pratique des floating verses (3), mais il va parfois jusqu’à reprendre non pas un seul vers mais carrément une strophe entière comme dans le medley I Keep On Drifting avec des fragments de Last Night de Little Walter, I Had My Fun (St Louis Jimmy), etc. De même, dans I Used To Love You, il introduit une strophe de Ain’t Gonna Be Your Low Down Dog No More (Big Joe Turner). Dans plusieurs faces, Dupree donne l’occasion à ses partenaires de se distinguer (plus souvent que Littlefield), comme dans One Scotch, One Bourbon, One Beer (solos de drums et de saxophone). Au total, un bilan positif. Proficiat. – Robert Sacré

Notes :
(1) Mike Sanchez (vo, p), Andy Silvester (gt), Ian Jennings (bs), Alan Nicholls (sax ténor et baryton), Clive Deamer (dms).
(2) Sauf deux faces parues sur JSP CD 228 (« The First Burnley National Blues Festival »).
(3) Les vers flottants, ayant parfois peu de rapports avec le reste du chant, servent de « bouche-trou-de-mémoire » ; cela donne au chanteur le temps de se remémorer la suite de la chanson… Technique très courante avant l’époque moderne des assistances via oreillettes.


Roosevelt Sykes

Blues and Boogie
The Latter Years 1950-1957

Jasmine Records JASMCD3160 – www.jasmine-records.co.uk

Le pianiste et chanteur Roosevelt Sykes a connu une carrière extrêmement longue. Il débuta tout gamin en jouant de l’harmonium, instrument sur lequel il apprit son premier blues. Puis il passa au piano qu’il maîtrisa très vite. Sa vie professionnelle débuta près d’Helena, Arkansas, alors qu’il n’était encore qu’un bien jeune adolescent. Ses premiers enregistrements datent de 1929. Lors de la première séance, il grava deux titres qui deviendront des classiques, 44 Blues (que Lee Green lui avait appris) et Tired of Being Mistreated. Pas mal pour un débutant ! Comme il travaillait pour diverses firmes de disques, il empruntait divers pseudonymes pour dissimuler son identité : “Willie Kelly” chez Victor, “Easy Papa Johnson” chez Vocalion, “Dobby Bragg” chez Paramount ; chez Decca, il fut “The Honeydripper”. Chez Bullet Records, en 1948, il semblerait que ce fut encore Roosevelt Sykes qui se dissimulait derrière le nom “Joe ‘Boogie’ Evans”. À partir de 1945, Roosevelt Sykes introduisit des cuivres pour moderniser sa musique. Il enregistra pour Victor (1945-1949), Specialty (1946-1947), Regal (1950), United (1951-1953) et Imperial (1955). Ce disque est constitué d’enregistrements pour ces trois dernières firmes de disques. Après une brève accalmie, Roosevelt Sykes bénéficia du mouvement Blues Revival. Il séduisit le public blanc américain et européen et poursuivit une vie musicale bien remplie, aussi bien sur scène que sur disque, jusqu’à son décès en 1983. Jasmine n’a retenu qu’une seule des deux séances réalisées pour le label Regal, celle de mars 1950, en délaissant une version alternative de Rock It que publia Delmark (« Chicago Boogie » – CD DD773). Roosevelt Sykes y est seul avec le subtil batteur Jump Jackson. Une belle nouvelle version de Drivin’ Wheel, chanson déjà crée par ses soins en février 1936 (Decca 7252) fut gravée. Elle inspira certainement Junior Parker quand il la reprit en 1962. Winter Time Blues, Mail Box Blues, Rock It et West Helena Blues sont aussi remarquables. La quasi-totalité des enregistrements United – réalisés en trois séances – est là, sauf trois prises alternatives. L’intégrale est disponible chez Delmark (« Raining In My Heart » – DD642). L’ensemble des chansons est encore une fois de très grande qualité, à l’exception de Toy Piano Blues et la sonorité du célesta joué par Sykes, instrument peu adapté au blues. Roosevelt Sykes est rejoint par ses vieux copains ‘Sax’ Mallard (alto sax), le toujours excellent guitariste Robert Nighthawk (pour la séance du 12 juillet 1951), J.T. Brown et Jump Jackson. Les interventions du violoniste Remo Biondi, invité bienvenu, et du guitariste John ‘Schoolboy’ Porter, le 1er août 1952, sont au diapason du leader ; en particulier sur le blues lent Four O’Clock Blues, l’instrumental Something Like That et la jam irrésistible d’entrain et de swing To Hot To Hold. Les deux singles issus des deux séances Imperial, en 1955, à La Nouvelle-Orléans, sont aussi solides : Sweet Old Chicago, avec une belle partie de guitare due à Walter ‘Papoose’ Nelson, est bien sûr une version de Sweet Home Chicago pas encore devenue la souvent pénible scie que nous connaissons trop ; Blood Stains est une relecture de 44 Blues. Le CD se clôt avec l’excellent Jail Bait, unique face retenue du dernier disque de Sykes à destination du public afro-américain, le très rock & roll Sputnik Baby ayant été écarté. Ce disque a été produit à Memphis en 1957 par l’obscure et minuscule maison de disques House of Sound ; le guitariste était Joe Willie Wilkins. Si vous avez les CD Delmark cités plus haut ou l’intégrale en dix volumes chez Document, l’achat de ce disque ne s’impose peut-être pas. Pour les autres, il est indispensable. – Gilbert Guyonnet


Nina Simone

Nina’s Blues 1959-1962

Frémeaux et Associés FA 5807 – www.fremeaux.com

À mon humble avis, Eunice Kathleen Waymon a.k.a. Nina Simone (1), née en février 1933 à Tryon en Caroline du Nord et décédée en France en avril 2003, fait partie du top 10 voire du top 5 des plus grandes chanteuses/pianistes Africaines Américaines de son temps. Ses enregistrements ont été, en partie, réédités dans diverses collections mais dans le désordre, ce sont des compilations puisant ici et là dans les concerts enregistrés et dans les séances de studio. C’est peut-être le moment de penser à le faire dans l’ordre chronologique ? Patrick Frémeaux et ses collaborateurs ont fait le premier pas dans la bonne direction. Entre 1959 et 1962, Simone a enregistré 7 albums dont 3 « live » et quelques 45 tours. Les voici réunis dans un coffret de 4 CD avec un livret très bien documenté et illustré, écrit par Olivier Julien (il ne manque que la liste complète des musiciens accompagnant Nina Simone au long des 77 faces). Tout commença en 1959 avec un 33 tours Bethlehem Records SCP6028 intitulé « Little Girl Blues » (1) et d’emblée elle y déploie une force émotionnelle hors norme, une délicatesse dans la voix et une diction impeccable, un timing sans faute et une justesse dans son jeu de piano doublée d’un swing dévastateur qui ne se démentiront plus jamais par la suite. On y retrouve Love Me Or Leave Me bien enlevé, Good Bait slow et syncopé, un très beau blues instrumental Central Park Blues et déjà un hit, My Baby Just Cares for Me qui fut repris tel quel en 1987 par Ridley Scott pour illustrer musicalement une publicité pour Chanel n°5 et lequel, ressorti en single, devint un hit mondial et assura à Nina Simone une notoriété plus que méritée. En 1959 toujours, mécontente de la promotion lacunaire de Bethlehem, elle passa chez Colpix Records et grava deux LP : « The Amazing Nina Simone » (Colpix SCP 407) et un live, « Nina Simone at Town Hall » (Colpix SCP 409) ; le premier est très jazzy, avec des classiques du genre, Stompin At The Savoy, Willow Weep For Me... Mais aussi un gospel en tempo vif, Children Go Where I Send You et You’ve Been Gone Too Long, un excellent blues syncopé boosté par une section cuivres au top et composé par John Sellers. Au Town Hall, Simone donne libre cours à une fougue festive et à une fantaisie roborative avec quatre faces instrumentales dont un Return Home fougeux, mais aussi un Cotton Eyed Joe bluesy en tempo lent, un ironique You Can Have Him où sa gouaille fait merveille et elle conclut avec une belle version du Fine And Mellow de Billie Holiday. En 1960, paraît son troisième album Colpix (SPC412), « Nina At Newport », un live qui démarre avec une version intense du blues Trouble In Mind et se poursuit avec Blues For Porgy en version slow blues, introverti et dramatique. Manifestement à l’aise et contente d’être sur cette scène prestigieuse, c’est avec un fou-rire et une franche rigolade qu’elle introduit Little Liza Jane, un air traditionnel traité de façon frénétique et festive. À noter encore Nina’s Blues, un blues instrumental, syncopé, en médium et In The Evening By The Moonlight, sorte de farandole enjouée et virevoltante. En 1961, paraît « Forbidden Fruit » (Colpix CP419) avec des chansons dont le thème principal est l’amour. Il faut dire que c’est l’année de son mariage avec Andrew Stroud, un policier new-yorkais. Le titre éponyme est enjoué, complice et coquin. Le Work Song d’Oscar Brown est mené tambour battant et Simone donne une belle version en medium du blues Gin House Blues de Bessie Smith. En 1962, elle enregistre un cinquième album pour Colpix, « Nina Simone Sings Ellington » (SCP423). Tout est dans le titre. Elle y donne ses versions vocales de classiques du Duke (sauf un instrumental Satin Doll) déployant sa grande maîtrise du piano et la précision de ses modulations vocales avec Hey Buddy Bolden et You Better Know It rondement menés et avec un Merry Mending aux accents mozartiens (2). La même année sort un live, « Nina Simone At The Village Gate » (Colpix SCP421) ; le concert est riche en ballades jazzy sur tempo lent (quoique Bye Bye Blackbird démarre en slow puis change de rythme) et, en conclusion, Simone reprend le gospel Children Go Where I Send You déjà enregistré en 1959 mais ici elle en donne un version plus longue (7’47 » ). Le CD 4 du coffret offre aussi l’occasion de découvrir 7 faces n’ayant été disponibles qu’en singles dont African Mailman (Bethlehem, 1960), un instrumental au rythme africain bien scandé, ludique et guilleret, une face gospel He’s Got The Whole World In His Hands (Bethlehem,1960) sur tempo lent avec foi et dévotion, une belle version de Nobody Knows You When You’re Down And Out (Colpix 1960) repris, entre autres, à Bessie Smith, et aussi un savoureux Come On Back Jack (Colpix, 1961) qui est la parodie géniale du Hit The Road Jack de Ray Charles, version féministe en contrepied, avec chœur « mâle » (en opposition à Charles et ses Raelets) et, pour finir, une composition personnelle de Simone, I Want A Little Sugar In My Bowl (Coplix,1962) érotique, à double-entendre où fait merveille la voix suggestive, canaille et aguichante de la chanteuse. Quatre CD à savourer de bout en bout sans modération. – Robert Sacré

Notes :
(1) Nina = Little Girl  ; Simone : en hommage à Simone Signoret vue dans le film « Casque D’Or ».
(2) L’éducation musicale de Nina Simone a commencé par des chants religieux à l’église (sa mère était Pasteure) et par une formation classique très poussée ; elle rêvait de devenir la première concertiste classique noire américaine et s’y prépara sans ménager sa peine à la célèbre Julliard School Of Music, mais elle fut refusée à l’Institut Curtis, victime de la ségrégation raciale.


Joe Henderson
featuring The Fairfield Four

Snap Your Fingers

Jasmine Records JASMCD3229 – www.jasmine-records.co.uk

Réédition de deux LP parus initialement en 1962 pour celui du groupe de gospel The Fairfield Four : « The Bells Are Tolling » (Old Town LP 103) et « Snap Your Fingers » par Joe Henderson (Todd ST 2701). Les Fairfield Four, formés en 1921 puis conduits par le légendaire Reverend Sam McCrary, étaient considérés comme l’un des grands quartets de l’époque et cet album est l’un de leurs meilleurs. Joe Henderson en était l’un des membres en tant que voix de basse et guitariste et on peut l’entendre comme leader dans Every Knee ou In The Old Time Way ». Il quitta le groupe pour une carrière personnelle en 1962 et son second single – Snap Your Fingers – fut un grand succès ; il devint numéro 2 dans les charts r’n’b et numéro 8 dans les classements pop et fut suivi d’un album que nous retrouvons ici. Mais le succès fut de courte durée et Henderson mourut en 1964. Il possède une très belle voix de basse bien mise en valeur dans ces albums, bien que dans son propre disque il flirte avec une musique de variété gentillette et sympathique bien dans l’air des années 60. Les Fairfield Four revinrent sur le devant de la scène dans les années 90 avec d’excellents disques : « Standing In The Safety Zone » et « I Couldn’t Hear Nobody Pray » chez Warner Brothers avec une autre grande voix de basse, celle d’Isaac Freeman, mais ceci est une autre histoire… – Marin Poumérol


Various Artists

There Will Be Joy With The “Free Sound” Of Michael, Righteous & Peace
Democratizing The Record Business In Chicago, Ill. 1968-1978

Narro Way PN-1608-1609 (Gospel Friend) – www.gospelfriend.se

La Free Sound Recording Company fut créée en 1968 à Chicago par Harold Edward Freeman, un entrepreneur aux idées larges, décidé à gagner une vie décente tout en étant altruiste. Né en 1931 dans le Southside de Chicago et enfant prodige, il avait fait des études supérieures à la Loyola University. Bachelier en gestion, finances et comptabilité, il fut le premier Africain Américain à être engagé comme expert comptable par la Sinclair Oil Co. Surnommé “Prof Hal”, il était organiste et Minister of Music à la New Friendship Baptist Church, l’église de son père, le Rev. Stroy Freeman. En 1968, avec l’aide de son ami Brother Ed Smith, il fonda la Free Sound Rec. Co. dans le but d’aider des solistes, groupes, pasteurs et chorales amateur(e)s ou semi-professionnell(e)s à démarrer une carrière dans le business musical. Il assurait les enregistrements, le pressage, la réalisation des pochettes pour des tarifs modérés, les bénéficiaires se chargeant de la promotion et de la distribution en vendant leurs disques après leurs concerts ou à la fin des services religieux en églises. Ed Smith, un spécialiste de ce genre d’entreprises, lui conseilla de ne pas tout concentrer sur un seul label et Freeman suivit ce conseil avec quatre compagnies: Righteous, Michael, Davenport et Peace. Tout fonctionna parfaitement, les candidats affluèrent et certains d’entre eux ont ainsi mis le pied à l’étrier et sont devenus célèbres, comme le Cosmopolitan Church Of Prayer Choir fondé par le Dr. Charles G. Hayes qui fut signé par Savoy Records dans les années 80 (ici avec les excellents No Place No Where, Shady Green Pastures et We’ve Come A Long Way) ou les Donald Vails’ Choraleers aussi repris par Savoy Records (ici avec Close To Thee) et le Rev. Maceo Woods & Christian Tabernacle Choir (ici avec Sunshine) et d’autres chorales sélectionnées dans cette compilation, comme la Buffalo Youth & Young Adult Choir Society, la New Friendship Baptist Church Choir de Freeman (avec sa femme Yolanda Freeman, à la superbe voix d’alto dans To Be Faithful et I Hear God), le Northern Indiana Choir, l’Israeli A’Capella Choral Ensemble, le Mount Hermon Inspirational Choir, la Greater Rosehill Baptist Church… Bien sûr, il y a aussi des solistes, comme le talentueux Sammie Cheatham (the Duke of Gospel Singers) avec un bluesy Glory To His Name, Ester Rae Burton avec l’émouvant Greater Love, la très convaincante Pearl McGee avec Oh Sing et le ténor James E. Lenox avec un prenant I’m Saved. La part réservée aux groupes fémlinins et quartettes masculins est importante aussi, à juste titre, avec les Gospel Sensationals qui méritent amplement leur nom, avec les mémorables It’s My Determination, The Holy Bible, Constantly Around Me, Somewhere Beyond The Blue et At Last ! Avec aussi les Y and MV Voices et le titre éponyme (There Will Be Joy), les Messiahs of Glory, les Travelers of Zion, les Sons of Christ, les Windy City Four, les Gospel Carolets, Bro. Ed Smith & Golden Gospel Singers, les Inspirational Singers sans oublier Reba Harris & Paraders (qui n’est autre que Rebert H. Harris, un des premiers grands solistes des Soul Stirrers), ici avec deux faces Peace de haut niveau : He’s everything To Me et Trying To Get Ready. Avec ces 46 faces mémorables, on a ici une totale réussite présentant une variété étonnante et on recommande chaudement ce double album. Howard Freeman est mort en 2002 à 70 ans, son héritage musical est important et, grâce à Per Notini et Narro Way/Gospel Friend, on peut en avoir une idée plus précise. Citons enfin l’excellent travail des notes de pochette très fouillées dues à Robert Marovich, un des meilleurs spécialistes du gospel actuellement. – Robert Sacré


Linda Hayes

Yes ! I Know

Jasmine Records JASMCD3204 www.jasmine-records.co.uk

Avant de franchir le seuil et de refermer la porte d’entrée en laiton martelé de votre villa sur les hauteurs de L.A., vous vous examinez une dernière fois dans le miroir grandeur nature qui accueille vos visiteurs et visiteuses. Le pli du pantalon est parfait. L’épingle de cravate est en place et l’épaisse couche de brillantine sera du plus bel effet sous les néons colorés ultra modernes du club où vous allez retrouver votre partenaire (il ou elle à vous de voir). Dans la voiture, vous allumez votre super auto-radio. Et tout commence. Un tempo vif avec saxo-ténor viril à souhait et (petit)chœur sacchariné. Mais qui est-ce donc ? Le D.J. fait opportunément les présentations. La chanteuse, c’est Linda Hayes. Et le morceau : Hubba Hubba. D’ailleurs, à la demande générale des auditeurs des quartiers Sud mobilisés pour la circonstance et réclament des « encore ». Ce sera un Please Have Mercy. On dirait les Platters. Mais oui. La Linda roucoule aussi, à l’occasion, en compagnie des sucreries chantantes, canne et betterave au menu… Au fil des avenues qui descendent vers Santa Monica, ce sera toujours Linda Hayes avec sa belle voix et ce rythme qui berce mollement l’auditeur. C’est que Linda Hayes, c’est chouette. C’est propre. Vous l’imaginez volontiers regardant par-dessus votre épaule à la table de craps où les yeux mouillés elle assiste à votre triomphe. Vous voilà au Club. Le valet Parking s’empare de votre cabriolet et vous entrez. La musique est superbe. Pour l’instant c’est Red Calender. Quel bassiste ! Ah… Voilà la chanteuse. C’est… Mais oui, c’est Linda Hayes. Elle attaque un Yes ! I Know qui ressemble fort au I Don’t Know de Willie Mabon. Très bien aussi. Sur la piste Grrr ! Mambo fait s’agiter en cadence un public comblé. Voilà Ochi Pachi avec son côté jump music… Mais où va-t-on à ce train ? Suis-je en train de dérailler ? Rassurez-vous, je rêvassais en me demandant que faire d’une musique si bien exécutée par des personnels de qualité. Techniquement achevée. Mais où trouver de l’émotion, du feeling ? Voire de l’urgence ? Combien les scènes, les clubs ou les barrooms accueillaient-ils d’artistes talentueux de cette sorte mais plus stériles que le figuier biblique ? Peut-être la communauté noire au lendemain des premiers progrès sociaux avait-elle besoin de ripoliner le passé d’une couleur agréable plus conforme aux espérances d’un monde nouveau. Croyez-moi, vous allez peut-être aimer cette musique ? Pourquoi pas. On a toujours besoin d’un moment de bonheur – même petit – par exemple avec un slow langoureux, à l’écart des spots, près des vestiaires dans une pénombre propice, enlaçant l’être aimé tournant en rond au rythme langoureux du I Had a Dream. Toujours de Linda Hayes, of course… Comprenons-nous bien. Linda a partagé la scène de bien des bluesmen dûment catalogués. D’Amos Milburn à Pee Wee Crayton et j’en passe. Sans doute Linda pouvait-elle chanter le blues, interpréter une musique noire. Ses capacités vocales en témoignent. Écoutez donc Take Me Back. Mais l’époque aspirait à d’autres musiques. 33 morceaux s’offrent à vous. Pour traverser un Styx aux eaux melliflues et vous conduire vers un Paradis où vous attend une cohorte de chanteuses et chanteurs prêts à vous détendre pour l’éternité. Oo We Oo We… – André Fanelli


Big John Greer

Blowin’ and Rockin’ 1949-1955

Jasmine Records JASMCD3227 www.jasmine-records.co.uk

John Marshall Greer, né en novembre 1923 à Hot Springs (Arkansas), débuta sa carrière comme saxophoniste dans l’orchestre de Lucky Millinder. En 1949, il forme son propre groupe et enregistre chez RCA. Jusqu’en 1955, il va avoir un certain succès avec son orchestre pré-Rock’n’roll et même obtenir un tube avec Got You On My Mind. Il chante et sait s’entourer d’excellents musiciens selon les séances : Seldon Powell (ts), Leroy Lovett (p), Connie Kay (drums), Bill Doggett (p), Tyree Glenn (trombone), Jimmy Crawford (drums), Haywood Henry (bs), Mickey Baker (g), Panama Francis (drums), Sam Taylor (ts), pour les plus connus ! Cet album reprend 27 de ses meilleurs titres de solide r’n’b qui balance bien et se termine avec un hommage à Chuck Berry : Come Back Maybelline. Un disque pour ceux qui voudraient savoir d’où vient la révolution Rock’n’roll. La plupart de ces faces avaient déjà été réédités en 2007 sur un CD Revola : « I’m The Fat Man ». – Marin Poumérol


Eddie Holland

From Mercury to Motown 1958-1962

Jasmine Records JASMCD1122 – www.jasmine-records.co.uk

Avant de devenir membre du trio d’auteurs compositeurs référence de Motown, Holland-Dozier-Holland, Eddie Holland démarra une carrière de chanteur, portant sur les fonds baptismaux la marque du producteur Berry Gordy à Detroit et le Motown Sound. Le point culminant en fut en 1961, le tube Jamie, précédant If Cleopatra Took A Chance. Suffisant pour permettre la publication d’un album, privilège encore mesuré à l’époque. Le 33 tours d’origine est entièrement repris ici, augmenté de faces de 45 tours antérieures, mais lesté de singles ultérieurs d’excellente facture comme Leaving Here. En 2012, Ace avait publié un double CD d’Edward Holland Jr, avec un premier disque au contenu identique à celui-ci et un second d’inédits, mais cet album simple Jasmine permettra aux intéressés d’aller à l’essentiel. – Dominique Lagarde


Ray Charles

Live At The Olympia, Paris 1962

Frémeaux et Associés FA5811 – www.fremeaux.com

Un coffret 3 CD avec 60 faces dont 20 inédites et 7 bonus ; livret illustré de 16 pages. En mai 1962, Ray Charles est revenu à Paris (1) pour une série de concerts mémorables avec son big band et les Raelets conduites par Margie Hendrix.
Le CD1 (plus de 73 minutes) propose 21 faces dont 10 inédits parmi lesquels d’excellentes versions de Alexander’s Ragtime Band, Hallelujah I Love Her So ou Let The Good Time Roll. Parmi les 3 faces bonus, on a deux bonnes versions alternatives de Night Time Is The Right Time (gravée en studio en octobre 1958 pour Atlantic avec Big Band et Raelets) et de Careless Love (féevrier 1962 pour ABC-Paramount avec Big Band). Il y a aussi Cookin’ In Style, une face chantée par Percy Mayfield gravée à Los Angeles avec un sextet de Ray Charles (au piano) pour son label Tangerine Records.
Le CD2 (+72 minutes) et ses 20 faces, dont 9 inédits et 4 bonus, s’ouvre avec Blue Stone, sa grande œuvre instrumentale et seul morceau connu où Charles joue du saxophone alto. À noter un Tell The Truth bien enlevé avec les Raelets menéEs par une Margie Hendrix déchaînée. Parmi les inédits, saluons un From The Heart vitaminé et jazzy, de longues versions de Georgia On My Mind (6’38 ») et What’d I Say (5’17 »), Careless Love en slow blues et quelques faces R&B musclées : Just A Littler Lovin’ et Hide Nor Hair. Quant aux 4 bonus, ce sont des faces enregistrées à Los Angeles en avril 1962 pour Tangerine avec Charles au piano pour accompagner Louis Jordan au chant et saxophone dans les rentre-dedans Hardhead et Texarkana Twist, au chant seulement dans Workin’ Man et dans le slow blues You’re My Mule.
Le CD3 (+78 minutes) offre 19 faces sans inédit mais avec un bonus : Swingin’ Along, un blues instrumental de plus de 4 minutes, gravé en juin 1961, utilisé en musique de fond dans le film du même titre et présenté en disque pour la première fois. Pour le reste, on notera Untitled Blues (7’49 ») slow et instrumental (si on excepte fredonnements et la-la-las) et des classiques du Genius comme Doodlin’, Margie (hommage à Hendrix), I Can’t Stop Loving You, Hit The Road Jack, Unchain My Heart et autres Yes Indeed. – Robert Sacré

Note (1) : La discographie de Ray Charles est bien représentée dans la catalogue Frémeaux & Associés :
•  FA 5350 : Ray Charles – « Brother Ray : The Genius, 1949-1960, The R&B Hits and the Jazz ».
• FA 5643 : Ray Charles – « Live at Newport 1960 », Réédition intégrale, inédits + bonus.
• FA 5748 : Ray Charles – « The Complete 1961 Paris Recordings » (Palais des Sports).
• FA 5733 : Ray Charles – « Antibes, Juan-les-Pins Festival 1961 » (complete 4 performances).


Billy Bland

Let The Little Girl Dance
Old Town and Imperial Singles 1954-1962

Jasmine Records JASMCD3161 www.jasmine-records.co.uk

Originaire de Wilmington, Caroline du Nord, l’enfant Billy Bland admirait les stars du Rhythm & Blues, Wynonie Harris et Roy Brown. Il deviendra donc chanteur lui aussi. Il commença à se produire à New York vers 1954. La chanteuse et pianiste, Edna McGriff, auteure et interprète du tube Heavenly Father (Jubilee 5073) en 1952, lui mit le pied à l’étrier. Elle le présenta à l’impresario Joe Glaser à qui Billy Bland affirma avec culot : « C’est Nat King Cole qui m’envoie ». Il est ainsi embauché et Glaser le casa chez Lionel Hampton. La collaboration entre Hampton et Band fut éphémère : « Il jouait du jazz… Je ne me sentais pas à l’aise et je l’ai quitté ». Puis il chanta accompagné de Buddy Johnson, Willis Jackson, Illinois Jacquet, la crème des musiciens de Rhythm & Blues. Dans ces années 50, les groupes vocaux étaient en vogue. Billy Bland forma les Chocolate Drops, vite rebaptisés The Bees que Dave Bartholomew repéra au Ssmall Paradise de Harlem. Il les fit signer chez Imperial. The Bees allèrent enregistrer deux fois à La Nouvelle-Orléans, chez Cosimo Matassa, sous la houlette de Dave Bartholomew. Ce dernier apporta, lors de la première séance, deux chansons, dont Toy Bell que lui-même avait enregistrée en 1952 sous le titre My Ding-a-Ling. La version de Chuck Berry, en 1972, fut un énorme tube planétaire. Pour le second enregistrement néo-orléanais, Billy Bland grava sa première composition Get Away Baby. Les deux disques ne remportèrent que quelques succès d’estime locaux. Ils ouvrent le CD Jasmine. The Bees se séparèrent peu après cette première expérience. Billy Bland rencontra alors Hy Weiss, patron du label new yorkais Old Town. La collaboration entre les deux hommes débuta fin 1955 et s’acheva en 1963. Le regretté Bob Fisher (il est mort d’une crise cardiaque le 7 octobre 2021) publie les quatorze singles Old Town de Billy Bland. Les premiers pas en solo furent modestes. Billy Bland était l’auteur-compositeur des huit premières chansons rhythm & blues et jump produites par sa firme de disque. Chicken In the Basket est carrément du Bo Diddley, le hambone beat étant assuré par le guitariste Tommy Ace. Notons la présence de Sonny Terry et Brownie McGhee sur Chicken Hop. Fin 1959, Billy Bland entra en studio avec l’idée de donner une nouvelle direction à sa carrière avec un répertoire plus soul et pop. Il plaçait ses espoirs en un succès éventuel, Sweet Thing, une composition de Jack Hammer. Mais ce fut la face B, Let The Little Girl Dance, qui devint de manière imprévue un immense tube classé dans les hit-parades noirs et blancs. C’est même par hasard que Billy Bland enregistra cette chanson en fait destinée à Titus Turner. Celui-ci était incapable de l’interpréter correctement. Billy Bland était présent dans le studio et essaya de montrer à Titus Turner comment la chanter. Sans succès. Aussi Henry Glover, producteur et co-auteur du titre, enregistra-t-il la belle version de Billy Bland. C’est Mickey Baker, dont je recommande chaleureusement les mémoires – « Alone » – que viennent de publier les éditions Séguier, qui assurait la partie de guitare ; les Miller Sisters étaient les choristes. C’est alors ce type de chansons sophistiquées entre soul et pop que va enregistrer Billy Bland jusqu’à la fin de sa carrière. Il ne connut plus jamais le même succès, bien qu’il classât dans les « charts » You Were Born To Be Loved et Pardon Me (Old Town 1082), Harmony (Old Town 1088), My Heart’s On Fire et Can’t Stop Her From Dancing (Old Town 1105), enfin Do The Bug With Me (Old Town 1109). La carrière musicale de Billy Bland s’acheva en 1965 avec un dernier 45 tours pour St Lawrence Records, absent ici. Le chanteur se reconvertit alors dans la restauration. Dans les années 1980s, il dirigeait un excellent petit restaurant de soul food, « Eleanor Barbecue », dans Harlem. Les compilations consacrées à Billy Bland ne sont pas légion : un 33tours en 1987 (Ace LP CH 222), un CD en 1992 (Ace CDCHD 370) et un CD en 2000 (Collectables COL-CD-6066). Bien sûr, cela doublonne. En outre, à partir du tube Let The Girl Dance, nombreuses sont les chansons lorgnant vers la variété, ce qui ne sera peut-être pas du goût de tous les lecteurs de cette revue. Passez outre à quelques réticences et procurez-vous cette presque complète compilation de l’œuvre d’un excellent et attachant chanteur. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Rockin’ at Hollywood and Vine

Jasmine Records JASMCD1124 www.jasmine-records.co.uk

Compilation de faces enregistrées durant la « Golden decade » du rock’n’roll, soit entre 1953 et 1962 pour le label Capitol, souvent sous l’égide du producteur Ken Nelson. 27 titres parmi lesquels l’excellent côtoie le très moyen : un peu de tout, il fallait plaire à un large public ! Citons les meilleurs : Gene Vincent encore avec ses Blue Caps : Crazy Legs, le saxophoniste Plas Johnson, Wanda Jackson (grande rockeuse devant l’éternel), Jack Scott et sa belle voix, Ella Mae Morse toujours swingante avec le classique et profession de foi du remarquable Esquerita : Rock’roll Is Here To Stay. Les autres seront vite oubliés, mais l’ensemble forme une tranche de musique sympathique. – Marin Poumérol


Marie Knight

The Marie Knight Story
All Her Hits 1946-1962

Jasmine Records JASMCD3225 – www.jasmine-records.co.uk

Jasmine, rompant pour une fois avec la recherche d’artistes méconnus – en tout cas aujourd’hui – réédite deux artistes majeures. On n’est pas déçu. Saluons donc l’équipe du label en souhaitant beaucoup de publications de cette qualité. Ce CD contient les meilleures faces de Marie Knight seule ou en compagnie de Sister Rosetta Tharpe. Notamment Gospel Train, Up My Head, Trouble in Mind ou September Song. La voix de Marie Knight est souple et chaleureuse. Elle est devenue plus grave dans la dernière partie de sa carrière. L’album couvre tous les genres musicaux qui ont baigné son écoute tout au long de sa vie. Gospel, titres bluesy, ballades jazzy et pur Rock and Roll estampillé 50’s… Que nous apporte ce CD ? Avant tout il met en lumière la richesse du patrimoine musical africain américain. Accessoirement, il expose une esthétique : celle de la great black music, où l’on retrouve la couleur, la puissance et le travail sur le son. À cette époque, le chant jazz ne s’identifiait pas à des artistes asthéniques en mal d’auxiliaire respiratoire. Venons-en à la musique. Dès les premières notes on est convaincus, s’il en était besoin, que nous avons affaire à une magnifique voix. Et cette conviction ne fait que se renforcer. On nous offre une suite de titres gravés en compagnie de la grande Sister Rosetta Tharpe qui d’emblée se révèle guitariste accomplie qui mêle avec bonheur chanson profane et airs sacrés. Il faut cependant comprendre que l’utilisation d’un répertoire de variétés fut pour Marie un constant fardeau et que sa foi religieuse la conduisit en fin de carrière à abandonner la musique profane en dépit du talent qu’elle manifestait en ce domaine. Un exemple éloquent : Up Above my Head où la guitare – sans doute une National – déroule de longues phrases pleines de swing complétant à merveille le chant. Le niveau général est très bon. Mon morceau préféré est I Can’t Just Keep From Cryin avec ses beaux échanges avec la guitare… À vous d’aller à la rencontre de deux héroïnes de la grande saga du jazz, du blues et du gospel. Rien à dire sur le livret. Intéressant et digne de Jasmine. Loin d’avoir musicalement souffert de la présence de Sister Rosetta, Marie est le plus souvent galvanisée par la qualité superlative de Rosetta, par sa voix mais aussi par le feeling de son jeu, de ses bends discrets mais idéalement placés et si efficaces. Il faut dire que Rosetta, alors rivale de Mahalia Jackson, était dotée, tout à la fois, d’une approche chaleureuse, visiblement emplie d’amour, mais également d’un caractère assez autoritaire. J’ai en mémoire une inoubliable journée passée en compagnie de Rosetta et de son mari avec mon épouse Nicole et deux ou trois étudiants. Quel personnage ! Lorsqu’à la fin du repas elle alla dans la toute petite cuisine, nous n’osions croire que c’était pour chercher sa guitare et nous gratifier d’un fabuleux concert at home. Mais je m’écarte sans doute du sujet. Il aurait fallu vous dire quelques mots sur Look At Me… Émotion, sensualité, un régal… Vous me pardonnerez. J’ai, hélas, l’âge des souvenirs. À votre tour de construire les vôtres. Pourquoi pas en achetant ce beau disque ? – André Fanelli


Various Artists

Classic Blues Artwork and Songs from the 1920’s
2022 Calendar & CD

Blues Images – Vol.19 – bluesimages.com

À l’automne, les feuilles se ramassent à la pelle. Les calendriers aussi. C’est bien sûr l’époque choisie par John Tefteller et Blues Images pour publier son calendrier de l’année à venir. Ainsi, depuis l’automne 2003, nous découvrons un document précieusement illustré qui mérite d’être fixé sur le mur de votre bureau, accompagné d’un formidable CD. Une rare et magnifique photographie de Lead Belly, inconnue de la plupart d’entre nous, ouvre le calendrier 2022 (Volume 19), les autres illustrations sont d’antiques publicités dessinées par des artistes afro-américains hélas anonymes. Ces véritables œuvres étaient destinées à la promotion des disques des bluesmen. John Tefteller a toujours privilégié les artistes des années 1920s et 1930s, même si, à partir du seizième volume, quelques bluesmen d’après-guerre apparurent avec des enregistrements très rares (Papa Lightfoot, Juke Boy Barner, Lost John Hunter). Le CD débute avec Packin’ Trunk, chanson de Lead Belly extraite de sa première séance d’enregistrement pour un label commercial, en janvier 1935. C’est quasiment Matchbox Blues de Blind Lemon Jefferson avec une belle partie de guitare slide. Suivent Henry Thomas, sa flûte de pan, sa guitare, pour une exubérante version de John Henry ; un joyeux Jelly Roll de Furry Lewis ; Lemon’s Cannon Ball Moan de Blind Lemon Jefferson dont les paroles ont particulièrement inspiré l’illustrateur ; Papa Charlie Jackson délaissant son banjo-guitare pour une guitare traditionnelle avec Hot Paper Blues. L’impératrice du Blues, Bessie Smith, est présente avec le prenant Homeless Blues, la moins connue des chansons qu’elle enregistra après la terrible crue du Mississippi de 1927. Les chansons sélectionnées de Memphis Minnie, Victoria Spivey accompagnée par Lonnie Johnson, Ma Rainey, Blind Blake et Jim Jackson sont remarquables. Il y a même une séquence que l’on pourrait baptiser « jamais entendu auparavant » illustrée par Washboard Walter et Black Byrd. Le gros morceau du CD est la publication de l’enregistrement de deux émissions radiophoniques avec Lead Belly. La première, datant de 1945, nous montre un Lead Belly, un peu semble-t-il dans le rôle d’Oncle Tom, qui interprète quatre chansons du répertoire traditionnel américain telles Swing Low, Sweet Chariot et Skip To My Lou. Plus intéressante est l’émission de 1949. Lead Belly hurle, tel un blues shouter, Good Morning Blues en jouant des parties boogie avec sa 12 cordes ; Stewball et Grey Goose interprétés à cappella par Lead Belly et un chœur masculin inconnu (Golden Gate Quartet ?) sont fascinants. Si j’ajoute la qualité sonore exceptionnelle, grâce au méticuleux travail de restauration de ces enregistrements, vous pouvez vous procurer en toute confiance – comme chaque année – ce bien beau « calendrier musical » ! – Gilbert Guyonnet


Johnny Cash

At the Carousel Ballroom April 24, 1968

BMG OSF 0008

Avant ses albums à succès, « Johnny Cash at San Quentin » et « The Johnny Cash Show » de 1969, “The Man in Black” enregistra cet album live au Carousel Ballroom de San Francisco dans un environnement fréquenté plutôt par des groupes psychédéliques comme Grateful Dead, Quicksilver Messenger et Jefferson Airplane. Il reprend ici – avec l’aide de son épouse June Carter Cash et de son groupe Tennessee Three avec Luther Perkins (frère de Carl) – 28 de ses meilleurs titres dont Orange Blossom Special, JacksonBig RiverI Walk The Line dans une excellente ambiance et avec un superbe son. Bel emballage cartonné et booklet d’une vingtaine de pages pour un CD très attirant dont aucun fan de Johnny Cash ne voudra se passer : de la country grand style, juste après les légendaires faces Sun. – Marin Poumérol


Wynton Marsalis

Bolden
Music From The Original Soundtrack

Blue Engine Records 0015

Musique d’un film sorti en 2019 sur le légendaire trompettiste et chef d’orchestre néo-orléanais Charles “Buddy” Bolden (1877-1931). Il n’existe aucun enregistrement de ce pionnier, mais tous les musiciens qui l’ont entendu entre 1900 et 1915 étaient très élogieux à son sujet. Le très talentueux Wynton Marsalis a tenu à lui rendre hommage en interprétant 26 morceaux à la manière plus ou moins supposée de ce maître. Musique traditionnelle de La Nouvelle-Orléans bien sûr, mais retouchée par le génie de Wynton qui est sans conteste un géant du jazz d’aujourd’hui : ceux qui auront pu le voir dans sa récente tournée avec le big band du « Jazz at the Lincoln Center » se jetteront sur ce disque. Wynton est ici à la trompette ou au cornet avec de petites formations qui exultent une précieuse joie de vivre pour une musique intemporelle, avec quelques faces chantées de belle façon comme cet extraordinaire Make Me A Pallet On The Floor auquel on reviendra toujours en éprouvant la même émotion. De la grande musique et un disque précieux. – Marin Poumérol


De Christophe Colomb A Barack Obama 1492-2016
Une Chronologie des Musiques Afro-Américaines
Blues, Spiritual, Gospel, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap

par Jean-Paul Levet / Préface de William R. Ferris

Le Champ du Signe, 3è trimestre 2021, ISBN 978-2-357851-62-7
886 pages, ill., annexes. – www.okpal.com/soutenir-jean-paul-levet/#/

On tient ici l’ouvrage le plus ambitieux, le plus complet et le mieux conçu, paru à ce jour, en Français : il sera indispensable pour tous ceux qui portent de l’intérêt à l’histoire des Musiques Africaines Américaines, des origines de l’Amérique jusqu’à la Présidence de Barack Obama. Avec clarté, souci du détail et une multitude de photos et documents divers, ce livre répond à toutes les questions, les quand, pourquoi, où et comment d’une saga qui a révolutionné la musique populaire des XXe et XXIe siècles. C’est une version fortement augmentée des livres numériques parus sous le même titre en 2014 et 2015. Jean-Paul Levet est déjà l’auteur des incontournables « Talkin’ That Talk, le langage du Blues, du Jazz et du Rap » (Prix de l’Académie du Jazz), 4ème édition, Outre Mesure 2010 et « Rire pour ne pas pleurer : le Noir dans l’Amérique blanche » / « Laughin’ Just To Keep From Cryin’ : Blacks in White America » (Parenthèses, 2002), Coup de Coeur de l’Académie Charles Cros. Ce nouvel opus est découpé en trois parties (1492-1919, 1920-1942 et 1943-2016) et se structure autour d’une trentaine de rubriques comme Sur la Scène Politique, Condition des Africains Américains, Musique aux Amériques, Industrie du Spectacle, Recording the BluesBlues People, Du Côté des Hits-Parades, Curiosités du Disque, Sur Scène, Sur les Ondes, En Salle, You Can’t Judge a Book by the Cover (livres et publications), Born Under a Bad Sign (liste des artistes nés dans l’année considérée), Death’s Black Train is Coming (liste des décès survenus dans l’année considérée), Seems Like Murder Here (les violences interraciales), etc… Et même un Sottisier ! L’auteur couvre, sous forme chronologique, l’ensemble des courants musicaux africains américains, à l’exception du Jazz (traité par ailleurs par Philippe Baudoin dans « Une Chronologie du Jazz ») et les replace dans leurs contextes politique, économique, social, démographique et technologique : relations inter-raciales, modes, faits de société, évolution des techniques d’enregistrement et de diffusion du son… L’accent est mis sur les éléments de toute nature ayant permis à ces musiques africaines américaines de se répandre dans le monde entier et d’influencer toutes les musiques populaires. Comme le souligne dans sa préface le Dr. William Ferris, un des plus grands spécialistes en la matière : « Nul autre travail sur les musiques noires ne se rapproche de cette magnifique étude ». Tout est dit ! En savoir plus ?  Le site web cité plus haut donne accès à la reproduction de pages du livre et à leur iconographie et permet de se faire une idée plus précise de l’excellence du travail de Jean-Paul Levet. Un must pour tout lecteur de ce magazine. – Robert Sacré