Chroniques #81

• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Stan Mosley

No Soul No Blues

Dialtone Records DT 0032 – http://dialtonerecords.com

Quel album ! Mais quel formidable album ! En choisissant de rejoindre le label d’Eddie Stout, le chanteur originaire de Chicago, résidant désormais à Houston, vient de réaliser un authentique coup de maître. Après une série d’enregistrements pour Malaco Records dont le superbe « The Soul Singer », puis divers albums pour le compte de compagnies comme Mardi Gras Records ou CDS, Stan Mosley signe avec maestria son grand retour sur le devant de la scène. Produit avec brio et intelligence par le patron du Eastside Kings Festival d’Austin, les onze titres proposés sont de véritables pépites. Le somptueux I’m Back To Collect aux rythmes funky appartenant au répertoire du regretté Bill Coday est savamment enveloppé par les Texas Horns, la pépite ouvre ainsi la route de l’excellence de cette mémorable session. Place ensuite à l’une des trois compositions originales de Stan Mosley, Bluesman (No Soul No Blues) qui, à nouveau, avec une classe folle, fait des étincelles ; elle nous permet de découvrir également les talents de compositeur de l’artiste. Au niveau des choix judicieux des reprises, le niveau reste toujours aussi élevé, A Woman Needs To Be Loved interprété en son temps par Tyrone Davis est à nouveau magistralement accompagné par une formation comprenant l’efficace fratrie Moeller – Johnny à la guitare et Jason à la batterie – à laquelle il faut ajouter Anthony Farrell aux claviers, Mike Archer à la basse, avec bien sûr les cuivres des indispensables Kaz Kazanoff, John Mills et Al Gomez. La divine Crystal Thomas est activement présente sur I Can’t Get Next To You, un clin d’œil aux Temptations, tandis que le titre Stomp, composé par Wilson Pickett et Jon Tiven, se déguste sans modération. Le duo fonctionnant admirablement, on peut affirmer sans souci que les deux artistes réunis sur scène feraient des étincelles ! Le mariage du Blues et de la Soul savamment distillé se déroule sans erreur, à l’image du terrible Loosing Hands, grand succès quelques décennies plus tôt de l’immense Little Milton, qui, ici, tutoie les anges ; ce titre en mode mineur met une fois encore en avant la puissance vocale de celui qui fut à ses débuts dans la windy city le chauffeur du grand Cicero Blake, sans omettre l’incroyable performance et la cohésion de la formation texane qui l’accompagne. Les fans de Robert Cray reconnaîtront l’une de ses compositions phares, à savoir Right Next Door (Because of Me), mais aussi la griffe d’Howlin’ Wolf avec le fameux I Smell A Rat admirablement revisité. Les amateurs de la première heure noteront également qu’il existe sur la version japonaise du CD publié par le label P-Vine (la compagnie gérant la production exécutive) la présence de deux titres supplémentaires, à savoir l’énergique gospel This Train, avec à nouveau avec Crystal Thomas, mais aussi l’excellent You Need Love composé par Willie Dixon et chanté en son temps par Muddy Waters. Enfin, pour être complet, un pressage vinyle à tirage limité (sans titre inédit normalement) est également attendu du côté de Tokyo pour ce printemps. Enregistré à Austin en mai et juin 2022 au Wire Studio et magnifiquement produit par Eddie Stout, ce formidable rendez-vous musical va assurément faire date dans la carrière de Stan Mosley. Le bouche-à-oreille fonctionnant plus que favorablement à l’occasion de la sortie de cette nouvelle publication, il est très probable que le talentueux chanteur sera à l’affiche de prochains grands rendez-vous musicaux nippons, mais aussi en Europe où l’un des plus prestigieux festival blues compte déjà sur lui pour sa prochaine édition. Vous l’avez compris, faire l’impasse sur cette remarquable session serait se priver d’une grand disque qui a toutes les chances de se classer en tête des meilleures productions de l’année 2023. Bravo ! – Jean-Luc Vabres


Jewel Brown

Thanks For Good Ole’Music And Memories

MF22JB010 – www.officialjewelbrown.com

Chanteuse de l’orchestre de Louis Armstrong de 1961 à 1968, Jewel Brown ne peut faire étalage d’une discographie bien épaisse, au regard de près de 70 ans de carrière. En revanche, elle semble jouir – à 86 ans, et pour ce qu’il faut bien appeler un premier album solo – d’une santé que lui envieraient bien des seniors moins avancés. Des 45 tours épars ont fait entendre il y a longtemps cette Texane, vénérée à Houston, dans un registre plus r’n’b ou pop, mais ses choix artistiques l’ont plus généralement associée au monde du jazz. C’est donc dans cet idiome qu’on la retrouve ici, sur des compositions nouvelles, bluesy et relaxées, même si elle ne dédaigne pas s’aventurer dans un registre plus dancefloor, avec le Which Way Is Up de Norman Whitfield. – Dominique Lagarde


Joe Louis Walker

Weight of the World

Forty Below Records FBR 030

Joe Louis Walker a fait ses classes musicales à San Francisco avec Mike Bloomfield. Il a connu la période hippie du Flower Power avec le Grateful Dead. Puis il a plongé dans le gospel pendant dix ans au sein du Spiritual Corinthians Gospel Quartet. En outre, il est devenu un superbe guitariste et un chanteur émérite quand il revient à la musique profane et au Blues. Depuis son premier enregistrement, « Cold Is The Night » en 1986, il tient le haut du pavé. Il a publié beaucoup de disques de très grande qualité, avec, hélas, certains impersonnels, quelques autres décevants. Il revient avec un nouveau disque, « Wheight of the World », épaulé par le producteur et guitariste Eric Corne qui a travaillé avec John Mayall et Sugaray Rayford. Les dix compositions ici présentées (Joe Louis Walker en a écrit cinq, Eric Corne quatre et la dixième est une collaboration des deux hommes) sont un subtil dosage de pur blues, de gospel, de soul, de jazz et de rock. La guitare virtuose de Joe Louis Walker est inventive, belle et sans esbrouffe, son chant remarquable. Les chansons abordent divers thèmes sociaux et sont très réussies. Celle qui ouvre le CD, Wheight of the World, décrit ce que la plupart d’entre nous ressent après l’épidémie de Covid, le confinement et l’isolement ; le solo de guitare est étincelant. Matter of Time souligne les inégalités du système judiciaire américain – « There’s just a matter of fact/you pay for the justice you get » –, mais avec un message optimiste avec une allusion à Sam Cooke, « I heard a change is gonna come/I hope it’s soon before I’m gone ». Joué magnifiquement en slide, Waking Up the Dead au groove second line néo-orléanais nous met en garde contre les diseurs de bonne aventure et les charlatans. C’est avec une guitare classique aux cordes en nylon que Joe Louis Walker interprète la poignante et intense ballade aux forts accents gospel Hello, It’s The Blues assaisonnée de violons. Le funky Count Your Chicken, avec quelque écho de Jimi Hendrix et Santana, donne envie de danser, ainsi que le rock au tempo rapide Blue Mirror. Les claviers de Scott Milici et l’harmonica joué par Joe Louis Walker mènent le bal du très original Root Down. C’est par une touche jazzy, You Got Me Whipped, que se clôt ce superbe disque. Variété du répertoire, originalité des arrangements, jeu de guitare exceptionnel et chant gorgé d’émotion font que nous avons là l’un des meilleurs disques de Joe Louis Walker dont le pianiste de jazz Herbie Hancock a dit qu’il est « un trésor national ». – Gilbert Guyonnet

PS : Opéré du cœur, Joe Louis Walker a dû renoncer à sa tournée européenne du mois de mars. Mais il reviendra l’été prochain et en particulier le 9 juillet en clôture du premier Montpellier Blues Festival, place royale du Peyrou, au cœur de la ville de Montpellier.   


The Cash Box Kings

Oscar’s Motel

Alligator Records ALCD 5011 – www.alligator.com

Avec les Cash Box kings, on a un groupe phare du blues d’aujourd’hui à Chicago, bien enraciné dans une tradition bien établie mais ouvert aux tendances actuelles, la soul, le rap et les fusions. La discographie est fournie (onze albums et le troisième pour Alligator) et il affiche des super stars comme le chanteur africain-américain Oscar Wilson né et élevé dans le South Side de la Windy City, le chanteur, harmoniciste, compositeur, producteur Joe Nosek et leur All Stars Band : Billy Flynn (guitariste hors pair), Lee Kanehira, (une pianiste prodige), les CNote Horns (Al Falaschi, saxes et Jim Doherty, tp) et une section rythmique en béton avec Kenny “Beedy Eyes» Smith (un des meilleurs batteurs de blues actuels) et John W. Laurie (basse) et, comme c’est désormais une pratique on ne peut plus louable, des invités comme Deitra Farr (vo), John Nemeth (vo), Jon McDonald (gt) et quelques autres qui rehaussent encore ces prestations de leur talent. Les problèmes actuels, le Covid, la politique, ont volontairement été laissés de côté pour du Chicago blues traditionnel de haute volée. Neuf faces sur onze ont été composées par Nosek seul ou en collaboration, et la musique est au diapason de ce panel prestigieux. On démarre en force avec le titre éponyme, du Chicago blues enlevé avec chant et harmonica suivi d’un Down On The South Side autobiographique pour Oscar Wilson qui chante son vécu ; c’est un slow blues à la fois émotionnel et rentre-dedans avec un Billy Flynn lyrique et inspiré qui récidive dans Trying So Hard, encore un classique du Chicago blues, vibrant et épique avec harmonica et piano en soutien efficace. Puis il y a deux reprises bien choisies comme Please Have Mercy de Muddy Waters, un slow blues avec J. McDonald (gt) dans lequel Nosey et son harmonica font merveille, ou encore Pontiac Blues de Sonny Boy Williamson, encore l’occasion pour Nosey de briller. Billy Flynn signe aussi Trying So Hard, un slow blues de qualité avec d’excellentes parties de guitare, harmonica et piano. Quant à John Nemeth, il est au chant dans I Want What Chaz Has, tandis que le disque se clôture avec un Ride Santa Ride de saison (l’ album fêtant Noël 2022) interprété à la Chuck Berry. Cerises sur le gâteau, un duo hilarant Oscar Wilson et Deitra Farr dans I Can’t Stand You et un Nobody Called It The Blues gospélisant évoquant les temps de l’esclavage où le blues était encore à l’état latent. Un album à ne pas manquer. – Robert Sacré


Bai Kamara Jr & The Voodoo Sniffers

Traveling Medicine Man

www.baikamara.com

C’est en souvenir de son grand-père, né comme lui en Sierra Leone au tout début du XXè siècle, que Bai Kamara Jr a nommé son deuxième album pour la marque Musicoos, après le remarqué « Salone » en 2020. Installé en Belgique, ce chanteur et guitariste né en 1966 occupe la scène depuis le début des années 2000, à travers divers projets musicaux. Le disque s’ouvre sur l’énergique Shake it, Shake it, Shake it et se poursuit dans une alternance de thèmes aux rythmes et aux réminiscences africaines (le délicat If You Go), et de blues profonds inspirés de Lightnin’ Hopkins et surtout de John Lee Hooker. À ce titre, Good, Good Man, Star Angel, It Ain’t Easy et le plus électrique I Don’t Roll With Snakes, sont de superbes réussites. Le frémissant Enemies, le funky I’m A Grown Man ou le contemplatif If I Could Walk On Water, en épilogue, complètent le tableau. Nous ne sommes qu’en mars, mais déjà on peut prévoir que ce CD intimiste et généreux puisse prétendre au peloton de tête des réussites de cette année 2023. – Dominique Lagarde


Eddie 9V

Capricorn

Ruf Records Ruf 1301 – www.rufrecords.de

‏Brooks Mason est né en 1996 en Géorgie. Il a commencé la guitare à l’âge de six ans et a grandi aux sons d’Elvis Costello mais aussi de Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Freddy King et Rory Gallagher ! Il a voulu se démarquer du tout-venant en adoptant le nom de Eddie 9 Volt. Il rêvait d’investir les Capricorn Studios – temple de la Soul (Percy Sledge, …) et du Blues Rock (Allman Brothers, …) – fondés en 1962 à Macon dans son État natal, mais c’est seulement en décembre 2021 qu’il a osé aller y proposer de graver son troisième album avec un groupe d’une douzaine de musiciens comprenant piano et orgue, saxes alto et baryton, trombone et section rythmique. Voici le résultat. Eddie a voulu se démarquer un peu de son disque précédent (« Little Black Flies ») franchement blues pour se mettre dans l’esprit soul des mythiques Capricorn Sound Studios avec des morceaux comme Beg,Borrow and Steal et I’m Lonely. Mais le naturel revient au galop avec un How Long intense et mordant, une version nerveuse, enlevée et dense du Down Along The Cove de Bob Dylan, une version soul du gospel Mary Don’t You Weep, ou encore It’s Going Down, un slow blues sur son combat contre l’alcool et autres drogues et le saccadé Tryin’ To Get By, sans oublier Yella Alligator aux accents marécageux boosté par les sons de la slide guitare. Une fort belle réussite. – Robert Sacré


The Sensational Barnes Brothers

Nobody’s Fault But My Own

Bible & Tire Recording CO BTRC002

Ce CD sorti en 2019 n’est arrivé que récemment chez notre rédacteur en chef. Cela explique pourquoi sa chronique n’arrive que trois ans après sa publication. Mais il n’est pas trop tard pour en dire tout le bien qu’en pense votre revue préférée. La firme de disques de blues du Mississippi, Fat Possum, a créé une filiale consacrée à la diffusion du gospel : Bible & Tire Recording Company. Elle avait inauguré cette nouvelle ligne éditoriale avec des rééditions de gospel de la fin des années 1960s et début 1970s et ce disque, fait de nouveaux enregistrements. Dans la famille Barnes, à Memphis, la musique est essentielle. Deborah, la mère, chantait et fut un temps choriste de Ray Charles. Calvin ‘Duke’ Barnes, le père, était chanteur de gospel. Les quatre enfants du couple pratiquèrent donc la musique. La famille avait même créé le groupe JOY qui se produisit en public. Il ne reste maintenant plus que les deux frères Chris et Courtney Barnes, remarquables chanteurs. Ainsi JOY est devenu The Sensational Barnes Brothers. Accompagnés de l’organiste Calvin Barnes II que je soupçonne être leur frère, Chris et Courtney interprètent, de leurs belles voix profondes, avec ferveur, un répertoire qui plonge ses racines dans le gospel et la soul que produisaient Stax et Designer Records à Memphis dans les années 1970s. Dès la première chanson, I’m Trying To Go Home, on est impressionné par le chant des deux frères soutenus par un orgue et des cuivres puissants. La tension et le bonheur d’écoute dureront jusqu’à la fin du disque. Le maintenant classique Why Am I treated So Bad est interprété avec des cuivres funky à la James Brown. I Won’t Have To Cry No More est un pur blues aux paroles religieuses. Le batteur George Sluppick et le guitariste Will Sexton poussent le duo fraternel à s’aventurer dans de bien belles harmonies. Let It Good est interprété par le pater familias, Chuck ‘Duke’ Barnes, qui mourut le 5 avril 2019, peu de temps après cet enregistrement. Quel beau final avec ce Try The Lord avec orgue (Calvin Barnes II ou Jimbo Mathus ?) et pedal steel guitar jouée par Kell Kellum ! La musique de ce duo est magnifique. Que l’on soit croyant ou athée, il est impossible de résister à autant de passion. D’ailleurs, Porretta – qui organise chaque année le meilleur festival de Soul au monde – n’a pas hésité à engager ces deux jeunes chanteurs pour sa prochaine édition du 20 au 23 juillet 2023. Vous l’avez compris, ce disque est indispensable. Les Barnes Brothers sont sensationnels ! – Gilbert Guyonnet


Robert Hill & Joanne Lediger

Revelation

Autoproduction / Distribution CD Baby – www.roberthillband.com 

‏De la même manière que des musiciens et chanteurs/euses blanc(he)s sont de plus en plus nombreux à s’imposer dans la musique soul (les blue-eyed singers), on assiste au même phénomène dans le domaine du gospel-blues, à ne pas confondre avec la Christian Music ou White gospel, mièvre et dépourvu de swing, donc de peu d’intérêt pour les fans de musiques africaines-américaines. Hill et Lediger font partie des artistes qui proposent du chant religieux très ancré dans la tradition noire, black gospel et blues. Bien sûr, sur le plan vocal, ils ne peuvent rivaliser avec James Cleveland, Mavis Staples, Sam Cooke, Clara Ward, Marion Williams ou Albertina Walker, mais certains tiennent leur rang avec panache, surtout quand le soutien instrumental est à la hauteur et c’est le cas ici. Robert Hill est né à Little Rock, Arkansas et il a vibré très tôt aux sons de Blind Willie Johnson et Son House, il est devenu un tout grand spécialiste de la slide guitare et il a composé pas mal de gospel songs dans la tradition. C’est à New York qu’il a rencontré et formé un duo avec la chanteuse Joanne Lediger et ce duo est actif depuis plus de quinze ans avec des accompagnateurs fidèles, très soudés (1). L’intérêt ne faiblit pas du premier au onzième morceau dont six reprises exaltées et exaltantes et 5 compos originales de Hill ; parmi les reprises on a trois superbes versions tirées du répertoire de Blind Willie Johnson, à commencer par John The Revelator (1930) – repris plus tard par Son House – avec une belle entente de Hill (slide et harmonica) et Lediger avec son chant puissant et décidé. Puis on a une version décoiffante de The Soul Of A Man et un Nobody’s Fault But Mine dense et poignant. À noter encore dans cette catégorie un Samson and Delilah biblique exaltant sur un shuffle honky tonk irrésistible, chanté par Paulina Hill, fille de Robert ! La cerise sur le gâteau est une version de Way Down In The Hole de Tom Waits chantée ici encore par Paulina Hill en duo avec Joanne Lediger (impeccable comme partout ailleurs), c’est enlevé, jouissif et boosté par la slide de Robert Hill (2). On n’oubliera pas une version inspirée et pétulante du Jesus On The Mainline de Fred McDowell (début des années 1950s). Et il y a les compos de Robert Hill comme Run On nerveux et fonceur, Jesus By The Riverside, intense et bien scandé comme Pay One Way or Another, un Devil’s Fool bien enlevé et roboratif et l’exalté Preacher’s Blues, une de ses compos les plus primées et emblématiques, sa carte de visite. Plaisir garanti de bout en bout, chapeau à Robert Hill, Joanne Lediger et leurs acolytes. – Robert Sacré

Notes :
(1) Paulina Hill, chant ; Steve Gelfand, basse ; Frank Pagano, drums, percussions ; Ed Alstrom, Hammond B3.
(2) Version très différente, mais aussi exceptionnelle que celle des Blind Boys of Alabama dans le générique de la série TV culte « The Wire ».


The Lucky Losers  

Standin’ Pat  

VizzTone  Label Group VT  LL03 – www.vizztone.com

Nous avions déja chroniqué il y a quelques mois un CD de ce groupe de San Francisco axé sur le blues, retro soul et Americana (ce sont eux qui le disent). Enregistrés à Greaseland par le producteur Kid Andersen avec la chanteuse Cathy Lemons et l’harmoniciste Phil Berkowitz, ils ont été récemment récompensés par des Blues Awards. Le chant est dynamique et le feeling est optimiste du début à la fin. Ça balance bien et on ne s’ennuie pas une seconde. Ces “heureux perdants” semblent être des spécialistes du poker car “Standing Pat” signifie « avoir toutes les cartes en main », et ne pas avoir besoin d’en tirer d’autres… C’est ce que nous leur souhaitons en prenant plaisir à écouter leur nouvel album. – Marin Poumérol


Gayle Harrod Band

Temptation

Autoproduction – www.thegayleharrodband.com

‏Originaire de Baltimore (Maryland), Gayle Weaver Harrod a commencé fort tard une carrière de compositrice et de chanteuse, en 2011, à 42 ans ! (1) Avec cette maturité couplée à beaucoup de talent, elle a rapidement gravi les échelons du succès au sein de groupes comme Blues De Luxe et Shakedown et, depuis 2021, elle joue dans la cour des grands sur les traces de ses mentors, entre autres Gaye Adegbalola de Saffire, avec son propre band formé d’excellents musiciens comme Stan Turk (gt), Buddy Speir (slide gt, orgue), Chuck Ferrell (dms), Brian Simms (piano, orgue), Christopher Brown (basse). Il y a des invités : Jonathan Sloane, Sol Roots et Bobby Thompson (guitares), Rachelle Danto (hca), The Beltway Horns (Greg Boyer, tb ; Brad Clements, tp ; Brent Birckhead, as) et The Voices of Faith, une chorale de la First Baptist Church of Baltimore (2). Pour son tout premier album, Harrod a composé les douze morceaux en collaboration avec ses partenaires et, de face en face, on a une idée de la force expressive de sa voix, de son registre étendu et de son dynamisme imposant. Une voix graveleuse qui émeut et secoue, que ce soit dans Baby We’re Through, un slow blues tendu et comminatoire actant la fin d’une liaison, Waiting In The Shadows, un autre slow blues sombre, downhome avec slide et harmonica, In The Deep Dark Night bien enlevé et qui swingue, avec cuivres et guitare ou dans du R&B comme Sweet Memphis Man, en live, qui nous plonge dans l’ambiance de Beale Street, ou Bring Me Along aux accents gospel avec cuivres, orgue, guitare et chorale ou encore Come On People, un appel aux armes altruiste et tonitruant ou encore Temptation sur la confrontation entre anges et démons, obsédant en médium avec orgue et slide. Plaisir garanti de bout en bout. – Robert Sacré

Notes :
(1) Même si, bien entendu, elle avait pris de l’avance et s’essayait déjà, en amateur, à la composition et aux arcanes du chant R&B depuis belle lurette !
(2) La plus ancienne église baptiste africaine-américaine de Baltimore (cira 1773, avant l’Indépendance US).


Mud Morganfield

Portrait

Delmark Records 876 – www.delmark.com

Larry ‘Mud’ Morganfield est le fils ainé du géant du blues Muddy Waters. Bien qu’il ait grandi au milieu de nombreux musiciens talentueux, la musique n’était pas une grande préoccupation pour lui, même si son père lui offrit un kit de batterie quand il avait sept ans. Mais, à la mort de Muddy Waters en 1983, il s’orienta vers le monde de la musique. Ce ne fut ni une gageure, ni une sinécure. Il est en effet bien difficile de se faire un nom au soleil quand on est le fils d’une légende dont on partage le même timbre de voix. Pour exister, il lui a fallu trouver sa propre voie pour n’être pas écrasé par la personnalité d’un père. La frappante ressemblance des voix du père et du fils valut à celui-ci éloges et sévères critiques. La septuagénaire et toujours indépendante firme de disques de Chicago, Delmark, publie son premier album consacré à Mud Morganfield. À cette occasion, elle a remastérisé et republié l’intégralité du premier CD du chanteur, « Son of the Seventh Son » (Severn CD 0055) produit par Bob Corritore et datant de 2012. Mud Morganfield est accompagné des harmonicistes Bob Corritore et Harmonica Hinds, les guitaristes Rick Kreher et Billy Flynn, le bassiste E.G. McDaniel, le pianiste Barrelhouse Chuck et le batteur Kenny ‘Beedy Eye’ Smith. Tous remarquables. Le répertoire est constitué de sept chansons originales composées par Mud Morganfield, John Grimaldi, Bob Corritore, Billy Flynn étant les autres auteurs-compositeurs. Mud Morganfield ne reprend qu’un seul titre de son père, You Can’t Loose What You Ain’t Never Had. En outre, Delmark a ajouté deux chansons. Praise Him, un gospel soul, composition personnelle de l’artiste enregistrée en 2021 sur laquelle celui-ci joue de la basse, est une remarquable ouverture du disque. Pour la première fois, la voix de Mud Morganfield se démarque de celle de son père. Paroles, musique et production sont excellentes. Serait-ce l’amorce d’une renaissance musicale et d’une reconnaissance par le public ? La seconde chanson inédite, le classique de John Lee Sonny Boy Williamson Good Morning Little School Girl date de la séance du CD Severn. Muddy Waters avait enregistré ce titre sur l’album Chess de 1964, « Folk Singer ». Ce CD est une réussite et la chanson Praise Him augure peut-être d’un nouveau bel avenir pour cet artiste. – Gilbert Guyonnet  


Mick Kolassa

For The Feral Heart

Endless Blues Records MK112A022 – www.mimsmick.com

‏A plus de 70 ans, Mick Kolassa a bien roulé sa bosse. Il vit à Memphis, mais il est né dans le Michigan et il a habité près de trente ans dans le Mississippi. Guitariste acoustique et électrique compétent, il a joué un peu partout en clubs, en tournées et en festivals (USA et Europe), que ce soit en solo, en duo acoustique ou en orchestre. Il est ici avec son producteur attitré Jeff Jansen (guitare), Rick Steff (piano), Bill Ruffino (basse) et Tom Leonardo (drums) auxquels se joignent TJ Bonta (claviers), Carl Casperson (basse) et Mario Monterosso (gt), tous trois dans deux faces, ainsi que Andrew McNeil (drums sur cinq faces), Tullie Brae (chant sur deux faces) et Alice Hasan (violon sur deux faces) dans un répertoire qui, comme d’habitude chez Kolassa, est centré sur des chansons d’amour, le tout sur des rythmes éclectiques, incluant divers styles de blues et de jazz, du calypso (Hold On) et du reggae (Forever Sometimes). C’est dire la variété proposée par cet album – le treizième de sa discographie – dont Kolassa a écrit dix morceaux parmi lesquels Running To You ouvre le bal en goguette. Il y a également deux reprises, le standard As Time Goes By (Hupfeld) et Feeling Alright (Dave Mason) avec T. Brae et où Kolassa et Jensen prennent beaucoup de plaisir à faire dialoguer leurs guitares, ce qui vaut aussi pour les auditeurs. Un des invités, le guitariste M. Monterosso, est particulièrement brillant dans Love Ain’t Supposed To Make You Cry, tandis que A. Hassan et son violon donnent une touche country à I Left My Heart In Birmingham et Run Away With Me. Stakanoviste de la musique américaine, ou incroyablement fécond et inventif selon l’avis des uns et des autres, Kolassa a gravé trois albums (dont celui-ci, bien sûr) dans la seule année 2022 ! Une verve sans égale! – Robert Sacré


Douglas Avery

Take My Rider

GreenWave SCD-007

Natif de Los Angeles, Douglas Avery est un chanteur harmoniciste qui a débuté sa carrière musicale par le chant dès l’âge de cinq ans. À huit ans, il étudie la trompette, puis la flûte et perfectionne ses talents de chanteur. Il assiste alors à de nombreux concerts de blues, de jazz et de rock : B.B. King, Miles Davis, les Doors et Jefferson Airplane. Il devient alors le chanteur d’un groupe de lycéens et se produit localement dans de nombreux concerts. Mais Douglas a une autre passion qui va mettre en sommeil ses activités musicales : il va pendant des années être un célèbre photographe, notamment dans le domaine du surf. Il va ainsi voyager dans le monde entier et devenir une renommée internationale dans le domaine de la photo de sport. Mais il garde une grande passion pour la musique et il apprend à jouer de l’harmonica au début des années 1970s. Il rencontre alors Robbie Krieger, le guitariste des Doors. Après plusieurs concerts, il est finalement intégré au groupe pendant plus de dix ans, mais il continue de jouer et de se perfectionner avec les musiciens de sa région. Douglas a toujours eu le désir d’enregistrer ses créations et il obtient, pour ce projet, la collaboration du guitariste Franck L. Goldwasser. Ce dernier lui conseille de recruter le bassiste Ralph Carter et le batteur Johnny Morgan. « Take My Rider » comporte onze compositions de Douglas Avery avec, en plus de Frank L. Goldwasser, Ralph Carter et Johnny Morgan, Carl Sonny Leyland au piano, Aaron Liddard au saxophone, Jerome Harper au trombone et Simon Finch à la trompette. Il y a trois reprises : Bad Luck Blues de Billy Boy Arnold, Just Keep Lovin’ Her de Little Walter et Sonny Boy, Blowl de John Mayall. Malgré des influences jazz et rock et de belles ballades, le blues reste dominant dans ce disque, avec un remarquable jeu d’harmonica. « Take My Rider » est le premier disque de Douglas Avery et certainement pas le dernier si l’on en juge par la qualité de cet opus ; en lui conseillant (en toute modestie), pour ses prochaines productions, de garder les mêmes musiciens exceptionnels. – Robert Moutet


Little Red & The Rooster

Keep On !

Blue Heart Records BHR034

‏Un duo franco-américain de choc avec Pascal ‘The Rooster’ Fouquet (guitare) et la chanteuse Jennifer “Lil’ Red” Finnegan. Cela pétille de bonne humeur et de talent. Fouquet est un guitariste hors pair et la chanteuse est au top. Ils se sont entourés d’une fine équipe, avec des vocalistes mais aussi les talentueux Kenny “Beady Eyes” Smith (drums), Jean-Marc Labbé (sax baryton), Felton Crews (basse) et Billy Branch (harmonica, vo) dans un excellent Keep On Lovin’ You. L’album a été enregistré à Chicago et le duo Fouquet-Finnegan a composé dix des onze titres, la reprise étant une version personnelle boostée par les drums de Kenny Smith du gospel traditionnel Nobody’s Fault But Mine. À noter deux instrumentaux, un Step It Up dynamique et enlevé en conclusion de l’album et Shake ‘Em Up syncopé avec de belles parties de guitare et de sax baryton. Pascal Fouquet et Jean-Marc Labbé sont d’ailleurs excellents partout où ils se produisent : Jean-Marc Labbé dans Cool Trap Boogie, péremptoire et appuyé, Whiskey Sip Of Time, une love song sur rythme de rumba et Pascal Fouquet dans l’acoustique Bootstraps Break en slow et rythtmé, qui aborde le thème de la disparité entre « ceux qui ont » et les autres. D’autres thèmes d’actualité sont abordés, comme la lutte pour les droits civiques avec Back Of The Bus, bien rythmé, célébrant l’action de Rosa Parks contre la ségrégation dans les bus à Memphis ! De son côté, American Made aborde, en rap, le thème de l’esclavage avec l’espoir d’un meilleur futur, tandis que Little Girl est dédié à l’émancipation de la femme. Tout au long des titres chantés, Little Red développe ses qualités vocales avec sa voix tantôt gouailleuse et espiègle, tantôt grave, selon les thèmes, même dans Love The Hell Right Out Of Ya, une skiffle song à la Lonnie Donnegan. Un excellent album. – Robert Sacré


Dyer Davis

Dog Bites Back

Wild Roots Records – www.wildrootsrecords.com

À seulement 23 ans, Dyer Davis, chanteur et guitariste basé en Floride, révèle déjà une belle maîtrise du heavy-blues. Jeu de guitare concis, voix puissante et nuancée à la fois, il ne s’embarque pas – du moins sur disque – dans des chevauchées fantastiques. Il peut compter sur une section rythmique efficace et la présence du pianiste Victor Wainwright dans plusieurs titres. Dyer Davis révèle une de ses influences majeures par la seule reprise du disque : Let Me Love You du Jeff Beck Group featuring Rod Stewart. La filiation avec le rock anglais ne s’arrête pas là, même si c’est plutôt le versant folk de Led Zeppelin qui ressurgit dans Water Into Wine ou dans Wind Is Gonna Change. Dans cet album bien maîtrisé et équilibré, Dyer Davis ne s’interdit pas de relâcher un peu la pression et prendre l’air sur Lifting Up My Soul, Angels Get The Blues ou Don’t Tell My Mother. Un talent à suivre. – Dominique Lagarde


Malaya Blue

Blue Credentials

Blue Heart Records BHR 1032 – www.malayabluemusic.com

‏Quatrième album pour cette chanteuse britannique de blues et de ballades qui fait l’unanimité et remporte succès sur succès depuis son premier album en 2015 (« Bourbon Street ») suivi en 2016 par « Heartsick » et « Still » en 2020. Les qualités vocales de Malaya ont séduit le compositeur Dennis Walker (1) qui a été inspiré par la chanteuse et a composé sept des douze titres de cet album en son honneur. La mort prématurée de Walker en mai 2022 l’a empêché de partager et saluer le succès de cet opus, mais il a quand même pu en apprécier la production et la finition avant son décès. Les accompagnateurs de Malaya sont de grands professionnels avec Richard Cousins (basse), Brett Lucas (gt, dobro, percus), John McCullogh (orgue Hammond et claviers), Sam Kelly (drums, percus) et Chris Rand (saxes ténor et baryton). Tout le répertoire tourne autour des relations amoureuses, souvent tempétueuses, avec des regrets, des espoirs, des souvenirs, des ruptures, comme dans Your Act Has Worn Thin qui ouvre la séance, un slow blues exsudant le ras le bol de la chanteuse avec des parties de guitare (B. Lucas) mémorables exprimant le paroxisme du rejet du fautif. C’est reparti dans un plus nerveux Wrong Kinda Love sur un ton colérique et dynamique avec Lucas encore très inspiré, comme dans tous les titres et entre autres dans Oh What A Fool, une ballade bluesy en slow dans laquelle Malaya reconnaît encore un mauvais choix mais est prête à pardonner tout en s’engueulant… Encore dans cette catégorie, il y a I Can’t Find No Love où elle est en couple, mais son compagnon la néglige totalement et elle se plaint (« … personne ne m’aime dans cette maison… »), mais elle garde quand même espoir de changer la donne. Ensuite, elle aborde aussi les ruptures qui se sont bien déroulées et il reste la nostalgie des bons moments passés ensemble, dans The Time We Had par exemple, une ballade bluesy en slow très mélancolique. Le reste est dans la même veine, soit en ballades slow ou médium (I’m Having Dreams Again, Set Me Free, Howlin’ Mercy) ou en slow blues comme Good Intentions, Bad Results ou blues plus musclés comme Bring Me Your Sins avec B. Lucas bien en évidence. Heureusement, on termine sur une note joyeuse et optimiste avec Messin’ Around, un blues en médium sur un rythme soutenu. – Robert Sacré

Note :
(1) Entre 1965 et 2022, Dennis Walker (1943-2022) a été producteur et compositeur pour plus d’une cinquantaine de musicien(ne)s de blues et R&B, entre autres Robert Cray (« Strong Persuader », « Don’t Be Afraid Of The Dark», …), B.B. King (« Blues Summit »), Philip Walker, Lonesome Sundown, Etta James, Bettye LaVette, etc.


Teresa James

With A Little Help From Her Friends

Blue Heart Records BHR / 041

Née à Houston au Texas et basée à Los Angeles, Teresa James est une pianiste et chanteuse de blues qui a déjà produit une dizaine de disques et a été nomminée aux Grammy Awards. Avec son mari, le bassiste et producteur Terry Wilson, elle a formé le groupe The Rhythm Tramps. Et comme la pandémie a mis en sommeil toutes les activités des musiciens, Teresa et Terry on travaillé sur quelques chansons des Beatles, juste pour s’occuper. Pour les enregistrements, ils ont fait appel à leur ami et coproducteur Kevin McKendree. Ils ont alors estimé tous les trois que ce travail méritait peut être un disque. Et cette idée a séduit leur label, Blue Heart Records. Voici donc « With A Little Help From Her Friends », un CD de huit morceaux de Paul McCartney et deux morceaux de George Harrison. Teresa est au chant, Terry Wilson à la basse, guitares et chant, Kevin McKendree aux claviers et guitares, Richard Millsap à la batterie, Yates McKendree à la guitare sur Oh Darlin’, Lucy Wilson et Nicki Bluhm sont les choristes. Ces dix classiques des Beatles, avec des petits accents de blues et de soul, prennent une nouvelle dimension en restant fidèle aux années 70. Le résultat de cette démarche originale est fort agréable et réussi. – Robert Moutet


The Rock House All Sars

Let It Bleed Revisited : An Ovation From Nashville

Qualified Records QR2023 – www.qualifiedrecords.com

‏ A Nashville, on a mis les petits plats dans les grands pour rendre hommage aux Rolling Stones par le biais d’un de leurs albums les plus emblématiques sorti en novembre 1969, « Let It Bleed », dont plus d’un morceaux furent repris de concert en concert et certains, comme Gimme Shelter et You Can’t Always Get What You Want (repris ici) sont sur la liste des meilleurs morceaux jamais composés, l’album lui-même ayant été intronisé en 2005 dans le Grammy Hall Of Fame. Ces All Stars relevaient donc un fameux challenge et il faut leur rendre justice, ils ont réussi haut la main. On comprend mieux en consultant la liste des musiciens impliqués : groupe de base avec Kevin McKendree (claviers, gt, percus), Yates McKendree (drums), Rob McNelley (gt), John Heithaus (basse) et des invités top niveau comme James Pennebaker (mandoline, steel guitar), Jimmy Hall et Stephen Hanner (hca), Andrew Carney (Frech horn), Luke Bulla (violon) ! Neuf des dix faces reprennent les compositions de Mick Jagger et Keith Richards dans des versions rock comme les originaux : Gimme Shelter avec Jimmy Hall et Bekka Bramlett au chant, l’enlevé Live With Me avec Seth James (chant), Money Man punchy avec Mike Farris très intense au chant et toute une série de faces aux touches country avec Pennebaker (dans le Love In Vain de Robert Johnson et You Got The Silver) et/ou Luke Bulla (violon dans Wild Horses). Une mention spéciale à Midnight Rambler, un blues mémorable, en médium avec Stephen Hanner (hca) et Rick Huckaby (chant) et à Monkey Man, un blues-rock qui décoiffe avec Mike Farris au chant. – Robert Sacré


Various Artists

Blind Racoon And Nola Blue Collection Volume 5

CD BHR 309

Blind Racoon, Nola Blue et Blue Heart Records sont des firmes de disques et de distribution de musique dirigées par deux femmes passionnées : Betsie Brown et Sallie Bengston. Celles-ci publient la cinquième compilation consacrée à leur catalogue sous la forme d’un double CD de trente titres, quelques-uns anciens, d’autres inédits ou qui paraîtront cette année. Le répertoire est Blues et surtout Americana. Cette dernière forme de musique n’est pas ma tasse de thé et m’ennuie très vite, malgré la qualité ici présentée. Je ne parlerai donc que de ce qui concerne le Blues et la Soul. Le CD1 s’ouvre avec I’d Do It For You,une bonne chanson interprétée par la pianiste et chanteuse Teresa James et ses Rhythm Tramps. Floyd Dixon a enregistré en public, au Rhythm Room de Bob Corritore à Phoenix, Arizona, en juin 2006, cinquante-cinq jours avant sa mort, le magnifique Time About A Change. Il est accompagné par Kid Ramos. Repossession Blues du musicien gallois Dave Thomas bénéficie du magnifique jeu de l’harmoniciste Wallace Coleman. Agréables sont le rhythm & blues Savin’ Up For Your Love de Carol Sylvan et les Uptown Horns et Hey Nola, titre avec lequel les Canadiens The Maple Blues Band nous conduisent à La Nouvelle-Orléans. La meilleure chanson de ce recueil provient du CD2 et est due au bluesman de Clarksdale, Anthony ‘Big A’ Sherrod (et les Cornlickers) ; Everybody Ain’t Your Friend, très inspirée par Howlin’ Wolf, ne quitte plus ma platine. Sont très biens aussi l’inédit du pianiste Anthony Geraci, Haven’t Seen My Baby, celui du frère de Freddie King, Benny Turner, le très gospel Born In My Time, et celui du colombien Carlos Elliot, un blues en mineur chanté en espagnol, Cielo. L’excellent et regretté chanteur de soul Frank Bey (Imagine de John Lennon) et John Ginty et son groovy instrumental à l’Hammond B3 (Switch) sont aussi notables. La firme de disques a déterré une perle soul datant d’environ 1966, Keep On Movin’, produite à l’époque par Operation Soul et Benny Turner. Souhaitons bonne chance à tous les artistes présentés sur cette copieuse compilation qui vous fera passer un bon moment. – Gilbert Guyonnet


The Mighty Soul Drivers

‏I’ll Carry You Home

Hog Heaven Records007 – www.mightysouldrivers.com 

‏ L’ADN de ce groupe de Nouvelle Angleterre est dans son nom, une soul blanche « aux-yeux-bleus » aux accents tantôt R&B, tantôt bluesy, tantôt funky. Il a été fondé par River City Slim (aka Peter Rost), drummer, chanteur, compositeur et DJ et par Bob Orsi (chanteur, compositeur) en 2012 pour perpétuer la soul classique de Memphis et de Muscle Shoals. Ceci est leur deuxième album sous ce nom. Rost et/ou Orsi ont composé sept des onze titres et les quatre reprises sont I Can’t Get Next To You des Termptations, Cry To Me de Betty Harris (une ballade slow accrocheuse), une version hard du I Would’nt Treat A Dog (The Way You Treated Me) de Bobby Blue Bland et Tell Daddy punchy auquel sont attachés les noms de Etta James et de Clarence Carter, de quoi ravir tous les amateurs. Parmi les compositions originales, on pointera Cold Cold Night, du R&B enlevé et nerveux avec de bons passages de guitare dus à Paul Gabriel et aussi Piece Of My Pride avec Steve Donovan au piano honky tonk, ça déménage ferme. – Robert Sacré


Tomislav Goluban 

20 Years On The Road

Blue Heart Records BHR 035

Tomislav Goluban est un chanteur, compositeur et harmoniciste croate. « 20 Years On The Road » est son quatorzième album studio qui commémore le vingtième anniversaire de son premier concert solo en Croatie, le 16 décembre 2001. Les quatorze morceaux du disque ont été enregistrés live en studio, avec trois ensembles de musiciens situés en Croatie et en Autriche. Pour compléter l’originalité du projet, il y a huit chanteurs et chanteuses invités depuis les États-Unis. Parmi eux, on appréciera Mark Cameron qui interprète deux morceaux, et le puissant et rapide Speedin’ Train par Teresa James. Tous les morceaux sont de Tomislav, sauf I Love You Baby de Sonny Terry et Brownie McGhee. Ce musicien croate mérite amplement d’être considéré comme un bluesman avec un répertoire qui lorgne du côté duDelta et de Chicago. – Robert Moutet


Yates McKendree

Buchanan Lane

Qualified Records – www.qualifiedrecords.com/yates

‏ À Nashville, Tenessee, la scène musicale est décidément très contrastée. C’est le siège incontestable de la musique country blanche, mais on y trouve également une scène de black gospel très importante et le blues y a aussi une place considérable avec, entre autres, la famile McKendree. Dans cette famille, on est multi-instrumentistes de père en fils. Le père, Kevin, est au piano et claviers mais il est aussi producteur et ingénieur du son dans son propre Rock House Studio. Quant au fils, Yates, il a quasiment été élevé dans ce studio dès l’âge de trois ans et la musique lui est venue naturellement. Il a commencé comme batteur, puis il est passé à la basse, à la guitare, au piano, à l’orgue et il excelle en chacun d’eux. À seulement vingt-deux ans, son expérience professionnelle dépasse une décennie, il chante, compose et il continue à jouer (fort bien) de tous ces instruments comme il le montre dans son premier album sous son nom qui porte le nom de la rue où il habite. C’est le guitariste qui est le plus mis en vedette; mais pas que… C’est un instrumental jazzy, Out Crowd, qui ouvre le bal dans lequel Yates est au piano (en virtuose) avec son père à l’orgue Hammond ; c’est un hommage à Ramsey Lewis et son In The Crowd, un hit de 1965. Yates revient au piano pour Wine Wine Wine. Puis il y a de grands moments avec Yates au chant et guitare, comme le bien balancé Ruby Lee de B.B. King (1956) avec son père au piano et des cuivres. Idem avec une composition des McKendree, Wise, un slow blues à la B.B. King encore où Yates est au chant, guitare, orgue Hammond, basse et drums ! Même formule dans une autre de leurs trois compositions : No Justice, un autre slow blues en duo avec le père au piano et personne d’autre. Voodoo, leur troisième composition, conclut l’album, c’est un instrumental funky à la Meters. Les autres reprises sont traitées avec imagination et abondent en fulgurants moments du duo père (piano)-fils (chant,guitare) avec soutien rythmique et cuivres, comme le bien enlevé Brand New Neighborhood (Fletcher Smith), Please Mr. Doctor (Tampa Red), Always A First Time (Earl King), Hurt To Love Someone (Eddie Gt Slim), Qualified (Dr. John) ou l’hommage à T-Bone Walker avec Papa Ain’t Salty et le jazzy No Reason. C’est un album majeur des sorties 2022, passionnant de bout en bout, sans temps morts. Ne le manquez pas s’il vous plait – Robert Sacré


Horojo Trio

Set The Record

Stony Plain SPCD 1446 – www.stonyplainrecords.com

Venu d’Ottawa, le Horojo Trio ne s’affiche pas sur la jaquette de son CD. À sa propre image, il préfère un disque en train de tourner sur une platine. Le groupe est consitué de Jef Rogers (claviers et lead-singer trépidant), J.W. Jones (chant, guitare) et Jamie Holmes (batterie). Tous trois déploient une énergie salvatrice sur une majorité de titres rapides (Man Of Steel, Hard As I Can, Ragman’s Blues, Running, etc…) qui rallument la flamme du rock’n’roll et vont à l’essentiel. Enregistré dans l’Ontario, « Set The Record » ne contient que des originaux, ouvrant aussi l’espace à quelques séquences moins frénétiques (l’excellent Stay Crazy, The Night). Intemporel, le Horojo Trio ? Sans doute, car leurs chansons ciselées et percutantes font figure de classiques dès la première écoute. C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes ? – Dominique Lagarde


Umberto Porcaro

Take Me Home

EPPS- 22 – 04 – www.umbertoporcaro.it

‏Comme la plupart des pays européens – pour ne pas dire tous – l’Italie a généré sa part de bluesmen, à commencer par Breezy Rodio qui figure en bonne place parmi les leaders du genre à Chicago mais aussi, entre autres, Ray Scona, Henry Carpaneto et maintenant Umberto Porcaro, né en 1979. Appelé très tôt par le Blues, il est allé à Chicago et a joué avec des musiciens locaux : Billy Branch, Johnny Dollar, Fernando Jones, etc), puis il a récidivé en Californie où il s’est forgé une réputation enviable avec Kim Wilson, Kid Ramos, Mark Hummel, gravant quelques albums bien cotés, puis en effectuant un nombre conséquent de tournées en Amérique puis en Europe, en particulier au sein du groupe de Tony Coleman (ex-batteur de B.B. King) en 2018 et 2019. Le voici avec un nouvel album, un nouveau band conduit par Giulio Campagnolo (orgue Hammond) très présent tout du long et des invités. Porcaro a composé dix des onze morceaux. On notera quelques beaux slow blues comme Take Me Home et Rollin’ Down Below (avec un beau travail de Marco Pandolfo à l’harmonica) et surtout l’intense Run Into My World et l’excellent Cool World (avec Anson Funderburgh en invité) sans oublier It’s My Pleasure To Play The Blues qui décoiffe, en medium, avec Lurrie Bell et Don’t Push Me sur un rythme bien soutenu. Du beau monde et de la bonne musique ! Robert Sacré


Lone Star Mojo

Rough Around The Edges

Autoproduit – www.lonestarmojo.net

Joe Splawn est un organiste texan qui a déjà une très longue carrière. Avec cinquante-sept ans d’activité sur scène, il a déjà représenté le Texas trois fois à l’International Blues Challenge avec le Turner Blues Band. Puis arrive la pandémie de 2020 avec l’arrêt des concerts. Alors, il décide d’enregister un disque et il fait appel à quatre de ses amis musiciens qui se trouvent à proximité de sa ville, Wichita Falls. Ainsi sont réunis, au Splawn Studio, les guitaristes Mark Snyder et Scotty Biggs, le bassiste Tim Maloney et le batteur Barry Sloan. Comme Joe Splawn qui est à l’orgue Hammond B3, ses quatre musiciens sont aussi aux voix. Et ils enregistrent quinze morceaux qui sont tous de leur composition. Pour définir leur musique, il suffit de traduire le titre du disque : « rugueux sur les bords ». C’est un blues texan à la fois moderne et traditionnel, qui s’inspire de ZZ Top, Frank Zappa mais aussi B.B. King. Le résultat est séduisant, en espérant que les cinq amis de Lone Star Mojo se réunissent à nouveau en studio, sans attendre une nouvelle pandémie… – Robert Moutet


Laura Cox

Head Over Water

Verycords – www.verygroup.fr

‏ Laura Cox est chanteuse, compositrice et guitariste franco-britannique. Elle a trente-deux ans et est très active, avec beaucoup de succès en tournée, depuis 2008. Excellente guitariste et chanteuse, elle définit son style comme étant du « Southern Hard Blues » et voici son troisième album. Elle est une figure marquante du blues-rock contemporain couplé à un R&B de bonne facture, comme le montre le titre éponyme dynamique ou One Big Mess, fonceur, uptempo, avec une injonction – « set me free » – qui est le titre d’un autre morceau développé lui en slow, mais toujours aussi vitaminé. À noter Old Soul, un slow blues et, dans la continuité, Wiser qui se développe dans une ambiance dramatique, oppressante. Plus léger mais tout aussi comminatoire, Before We Got Burned prévient  : « stop avant de se brûler », sur un rythme soutenu. Le reste est plus dans la veine blues-rock de qualité avec chaleur et enthousiasme. Juste un gros regret, ma copie « promotion » ne comporte aucune info sur les musiciens accompagnant Ms. Cox et, en lieu et place, on a un court texte surréaliste avec un passage où le rédacteur cite Sister Rosetta Tharpe en ignorant sa carrière post-war, voire son domaine musical ! (Blues des champs de coton… !) – Robert Sacré


Will Jacobs

Goldfish Blues

Ruf Records Ruf 1300 – www.rufrecords.de

Guitariste, chanteur et compositeur, William J. Jacobs a grandi à Chicago, la capitale du blues encore aujourdhui, aux sons de Buddy Guy et consorts. Il s’est fait remarquer avec Dirty Deal, son premier groupe, au Memphis International Blues Showcase de 2009, puis comme étudiant du Berklee College of Music et ensuite en tournée avec C.J. Chenier, un roi du zydeco ! Il était sensé faire partie de la Ruf Blues Caravan 2022 avec Ghalia Volt et Kathy Henry mais, malade, il a du y renoncer pour être remplacé par Eliana Cargnelutti. Depuis 2016, il réside à Berlin et tourne dans toute l’Europe, Berlin où, à vingt-neuf ans, il a enregistré cet album de dix compositions de son crû, du blues-rock (Come Back To Me, You Do You, Don’t Burn Down The Bridge) et un mix de blues soul et funky dont le titre éponyme et Grooving With You, One Day At A Time ou Funky Woman. À noter aussi I Wish, une ballade slow et surtout Dirty Dog, un excellent blues rentre-dedans, volontaire, dynamique et entraînant, de belle facture. – Robert Sacré


Katie Henry, Will Jacobs, Ghalia Volt

Blues Caravan 2022

Ruf Records Ruf 1298 – www.rufrecords.de

C’est en 2005 que Thomas Ruf, fondateur allemand de la maison de disque Ruf Records, a eu l’idée de faire une tournée de concerts de blues avec trois artistes phares du label. Sue Foley, Candye Kane et Ana Popovic furent ainsi les premières vedettes de ce qui allait devenir, chaque année, la tournée Blues Caravan. Voici donc Blues Caravan 2022 qui en est la 18ème édition. L’enregistrement du disque et des 135 minutes du concert en DVD ont été faits en Allemagne, au Café Hahn de Coblence, le 9 mars 2022. Les trois artistes de ce concert sont Katie Henry, Will Jacobs et Ghalia Volt. Katie Henry est une chanteuse, guitariste, pianiste et compositrice américaine. Elle a déjà enregistré deux albums solos depuis 2018, avant de signer chez Ruf Records. Sur scène, elle passe du piano à la guitare Gibson avec un répertoire qui va du rock à la soul, en passant par la pop et le funk. Ses prestations sur scène sont très appréciées, et elle est souvent comparée à Bonnie Raitt. Will Jacobs est un jeune chanteur guitariste originaire de Chicago. Après avoir joué dans les clubs de sa ville, il fait un séjour au Sri Lanka et une tournée avec C. J. Chenier. Il s’installe ensuite à Berlin où Thomas Ruf lui fait enregistrer son premier disque avant la tournée de Blues Caravan. Will Jacobs est surtout connu pour ses performances sur scène, ce que l’on pourra apprécier avec le concert du DVD. Enfin, Ghalia Volt, de son vrai nom Ghalia Vauthier, est née à Bruxelles mais vit aux États-Unis. Elle a d’abord été appréciée comme chanteuse et guitariste des Mama’s Boys de La Nouvelle-Orléans. Depuis 2016, elle a sorti six albums, dont trois pour Ruf Records. « One Woman Band », enregistré au Royal Studios de Memphis en 2021, est certainement le plus significatif des talents de multi-instrumentiste de Ghalia. Dans le concert de Coblence, elle interprète les pricipaux morceaux de ses trois disques Ruf. – Robert Moutet


Barbara Blue

From The Shoals

Big Blue Records BBR12312 / distrib. Earwig Rec. – www.barbarablue.com 

‏Figure emblématique du Blues et du R&B à Memphis, Barbara Blue, avec sa voix puissante, est une grande vedette locale et, depuis quelque temps, internationale. Elle a chanté cinq nuits par semaine sur Beale Street pendant près de vingt-cinq ans avec, toujours, le même succès. Elle a abondamment tourné dans son pays mais aussi en Europe, Australie et ailleurs. Ses récompenses sont nombreuses et la voici avec son douzième album, enregistré aux fameux Nutthouse Recording Studios à Muscle Shoals en Alabama en compagnie du légendaire batteur Bernard “Pretty” Purdie et de Mark Narmore (piano), Brad Guin (sax), Mark Franklin (tp), David Hood (basse), Clayton Ivey (keyboards), Davor Hacic et Will McFerlane (gts). Barbara Blue a composé huit faces avec Davor Hacic et trois avec Mark Narmore. Il y a deux reprises dont une belle version de Tell Mama « à la Etta James » et le Steal Away de Jimmy Hughes, de la soul bon chic bon genre en slow. Les deux premières faces sont des hommages à Muscle Shoals et au studio Nutthouse avec The Shoals, un blues bien vitaminé et Nutthouse Blues, un slow blues intense avec, dans chaque cas, guitare et orgue Hammond qui mènent la danse de fort belle manière. On notera aussi Slide Man, un excellent slow blues bien balancé avec slide bien sûr et aussi Nothing Lasts For Ever, un peu de philosophie mais sous forme d’un blues musclé et mouvementé et, dans la même veine, Trail Of Tears en slow, à la slide, qui clôture l’album en beauté. Comme attendu, le batteur est au diapason de sa notoriété. – Robert Sacré


Diane Blue All-Star Band

Live At The Fallout Shelter

Regina Royale Records RRCD-22-111 – www.regineroyalerecords.com

‏Depuis des années, Diane Blue est la chanteuse attitrée du guitariste Ronnie Earl mais, harmoniciste et compositrice, elle est aussi band leader et c’est le cas dans ce live enregistré avec son trio au Fallout Shelter à Norwood, MA, en février 2022. Ronnie Earl y est invité dans Leave Me Alone, un slow blues intense où Diane Blue démontre son talent de vocaliste avec un large registre et un chant bien timbré, nuancé et expressif boosté par un Ronnie Earl en très grande forme. La prestation de Diane Blue est tout aussi captivante dans les autres faces. Pour cette séance, elle a laissé l’harmonica au vestiaire et signe sept des neuf faces, seule ou en collaboration avec ses musiciens et – une fois n’est pas coutume – ce All Star Band mérite son nom avec Chris Vitarello (un formidable guitariste), Dave Limina (tout à fait extraordinaire à l’orgue Hammond) et tous sont boostés par Lorne Entress aux drums. Sans jamais voler la vedette à Diane Blue, Dave Lilina (orgue) et Chris Vitarello sont omniprésents avec grand talent dans toutes les faces comme Crazy Hazy Lazy, un slow blues, I Cry, un blues en médium, By My Side et Take A Look, Insomnia en slow et les deux faces uptempo roboratives qui décoiffent, I’m Gonna Take You Back et Push On Through, lequel clôture la séance en beauté. – Robert Sacré


Various Artists

WATTSTAX72
Soul’d Out : The Complete Wattstax Collection

Craft Recordings [Coffret Deluxe 12 CD ou 10 LP – Tirage limité]

Début août 1965, Wilson Pickett, the Astors et Booker T and the MGs se produisaient au Watts 5/4 Ballroom dans le cadre du concert de la Stax Revue. Les artistes quittèrent la ville après le show, à l’exception de Booker T and the MGs qui devaient enregistrer quelques titres. Personne n’imaginait les évènements futurs. Mais le 11 août 1965, une arrestation un peu musclée – pratique de la police américaine toujours d’actualité – dans le ghetto noir de Los Angeles, Watts, mit le feu aux poudres. La cité des Anges fut à feu et à sang pendant quelques jours et connut le chaos : insurrection populaire, émeutes, pillages et violences policières. Une fois la fièvre retombée, le calme revenu mais les plaies non cicatrisées, l’idée d’un Watts Summer Festival germa. Ce festival démarra en 1966. Initiée par des organisations philanthropiques de lutte contre la pauvreté et divers groupes politiques afro-américains, cette manifestation, inspirée du modèle et du succès de celles organisées par le monde blanc du rock et de la pop (Woodstock, Monterey), voulait prouver que la communauté afro-américaine pouvait rivaliser avec la domination blanche. Elle s’était fixée comme but de promouvoir tous les aspects de la riche culture afro-américaine. Al Bell et la firme de disques de Memphis Stax s’intéressèrent à ce projet qu’ils rejoignirent en 1968.

Le 20 août 1972, la quasi-totalité des artistes Stax fut engagée mais joua gratuitement. C’était un concert de bienfaisance. Le Los Angeles Memorial Coliseum a une capacité de 100000 places. Le prix d’entrée fut fixé à 1 dollar. Tous les billets furent très vite vendus. Les revenus des entrées furent répartis entre la Sickle Cell Anemia Foundation, le Martin Luther King Hospital et le Watts Labor Community Action Committee. En outre, le service d’ordre supervisé par l’acteur, réalisateur et artiste du catalogue Stax Melvin Van Peebles était entièrement constitué d’afro-américains non armés. Cet évènement fut filmé par Mel Stuart. Le documentaire sortit en 1973. Les concerts furent intégralement enregistrés. Quelques extraits étaient apparus sur divers albums. Mais, avec cet objet de 12 CD, nous disposons de l’intégralité de cette mémorable journée dont le Révérend Jesse Jackson fut le Maître de Cérémonie. Musique et discours. Isaac Hayes arriva en grandes pompes. L’orchestre était dirigé par le producteur de musique soul, violoniste, arrangeur, auteur-compositeur Dale Ossman Warren. Il avait composé pour cet évènement une Salvation Symphony de 19 minutes au rythme assez martial qui inaugura le festival. Quel bonheur d’écouter les Staple Singers, Freddie Robinson, Little Sonny, Eddie Floyd, The Rance Allen Group, The Bar-Kays, Carla Thomas, Rufus Thomas, Albert King remarquable, Isaac Hayes, … Soul, Gospel, Funk et Blues du meilleur aloi. Que l’on aurait aimé être là il y a cinquante ans ! Cinq CD de ce coffret ont été enregistrés quelques semaines plus tard au Summit Club de Los Angeles, partenaire du festival : Rufus Thomas et Johnnie Taylor le 23 septembre 1972, Sons of Slum et The Emotions le 29 septembre 1972, Little Milton et Mel & Tim le 4 octobre 1972. J’ai écouté intégralement les plus de 12 heures de cette musique deux fois sans le moindre ennui. Je vous recommande chaleureusement ce document historique qui bénéficie d’un son remarquable et d’un très copieux livret rédigé entre autres par l’expert de la firme de disques Stax, Robert Bowman. Photos et souvenirs abondent. Le prix est certes élevé, mais cassez votre tire-lire si vous le pouvez pour acquérir un si bel objet. – Gilbert Guyonnet    


Byther Smith

Working Man’s Blues

JSP Records  JSP 2510 – www.jsprecords.com

Une nouvelle fois, JSP Records va faire des heureux grâce ce double album dédié au grand Byther Smith. Cette production rassemble l’intégralité de la session « Addressing The Nation With The Blues » qui avait vu le jour en en 1989, tandis que le second CD nous dévoile ses faces 45t, mais aussi cinq titres enregistrés en public dans le club belge le Banana Peel en novembre 1990. Doté d’un talent d’écriture hors du commun, le cousin de J.B. Lenoir aborde au fil de ses différentes productions des thèmes que peu d’autres utilisent, à l’image du sombre et désespéré Give Me My White Robe, il évoque également le racisme avec Mother You Say You Don’t Like The Black Colors ou encore son suicide sur la composition intitulée Wait And See, dont les paroles apocalyptiques et dévastatrices, menées sur un tempo d’enfer, font froid dans le dos. John Stedman, le boss du label britannique, nous offre donc, pour débuter, la splendide session enregistrée au Soto Sound Studio de Chicago. À l’époque, lors de la sortie de « Addressing The Nation With The Blues », les avis furent unanimes sur les très grandes qualités de ce formidable album qui reste à ce jour l’un de ses tous meilleurs. La somptueuse composition éponyme en mode mineur, tout comme les titres I Was Coming Home, l’émouvant I Wish My Mother Was Here ou encore le puissants What I Have Done, nous montrent un artiste intransigeant avec son art, ne faisant aucune concession en élevant haut plus haut – grâce à une implication non feinte – le blues de Chicago à son meilleur niveau. À noter l’apparition d’un morceau supplémentaire, à savoir Ain’t No Sunshine de Bill Withers, qui n’était pas dans l’édition originale ; Byther nous en propose ici une version instrumentale qui est tout simplement sublime. Le deuxième CD démarre avec les deux faces ultra rares Thanks You Mr Kennedy et Champion Girl qui furent publiées sur le minuscule label EDA en 1962. Le décor est définitivement planté, son style si particulier le suivra jusqu’au bout, il ne déviera pas de sa route. Au cours d’interviews, il déclara avoir enregistré au cours des années 60s pour les labels Apex et Cruz, à ce jour personne n’a retrouvé la moindre trace de ces sessions. Il faudra qu’il attende douze années supplémentaires avant de retourner en studio pour le compte du label de Carl Jones, C.J. Records et d’enregistrer son classique Give Me My White Robe (part 1 & 2). On y retrouve aux claviers Billy ’The Kid’ Emerson, mais aussi deux gamins de neuf et onze ans originaires de Gary dans l’Indiana, à la batterie et guitare basse ! Toujours en 1974, il signe chez BeBe Records un magnifique premier single où il reprend à sa façon le succès de Detroit Jr Money Tree, tandis que sur la face B I’m So Unhappy nous dévoile à nouveau toute sa classe. En 1976, la même compagnie publie un nouveau 45t, What Have I Done et Sweet Sixteen, dont la distribution sera malheureusement réduite à sa plus simple expression. Là s’arrête la collaboration avec ce petit label de quartier, son propriétaire Lewis Burt en 1977 fut assassiné suite à un cambriolage dans sa boutique. Sa veuve Lucille refusa obstinément de publier les titres que son mari avait déjà mis en boîte en vue de sortir un 33t ou de céder les masters à une autre compagnie, ces derniers furent définitivement perdus dans un incendie, peu de temps après. En lisant les notes du livret, nous apprenons que Byther Smith avait enregistré pour le compte de BeBe Records toute une série de morceaux qui devaient être rassemblés sur un album qui aurait dû s’appeler « Addressing The Nation With The Blues » ! Comble du désespoir pour les nombreux fans, le compilateur nous fait découvrir dans le livret – et c’est une première – les notes que Jim O’Neal avait préparées pour l’occasion, qui devaient se retrouver au dos de la pochette du LP avec le numéro de série BeBe LP 1001. La perte définitive de cette session nous prive à tout jamais de morceaux que Byther avait enregistrés entre autre aux côtés de Phil Guy, Roosvelt Shaw ou encore Herman Applewhite. Toujours sur le deuxième compact, nous découvrons This Little Voice, Movin’ On, It’s My Own Fault, The Trhill Is Gone et Talk To Your Daughter, enregistrés lors d’un concert dans un célèbre club belge. Même si les canons de la Hi-Fi ne sont pas présents sur ce live, la magie malgré tout opère à nouveau, grâce à un bluesman totalement dévoué à son art. Il sera bien difficile de faire l’impasse sur cette importante réédition qui recèle de nombreuses pépites et autant de chefs-d’œuvre. « Working Man’s Blues » célèbre avec faste et émotion un très grand musicien qui porta avec panache et sincérité, tout au long de sa carrière, l’étendard du Chicago blues. Indispensable. – Jean-Luc Vabres


Mercy Dee Walton

One Room Country Shack & Other Struggling Blues

Jasmine Records JASMCD3197 – www.jasmine-records.co.uk

Trois petits 33 tours et puis s’en va ! « Mercy Dee » en 1961 sur Arhoolie, « Troublesome Mind » toujours en 1961 sur le même label qui venait d’ouvrir ses portes un an auparavant et qui marquera au fer rouge et pour l’éternité une certaine histoire de la musique afro-américaine, puis « Pity and a Shame » en 1962 sur Bluesville (Prestige dans sa parenthèse blues), petite merveille de production et de délicatesse avant de lâcher prise avec le monde à 47 ans, un triste 2 décembre 1962. Mercy Davis Walton vient du Texas. Ce début de siècle (XXè) est hostile dans le Sud pour les hommes de couleur et Mercy n’échappe pas à cette ambiance qui façonnera ses compositions sur les conditions des siens, travailleurs migrants du sud de la Californie qui constituaient son principal public. Au début de son adolescence, il tape les touches d’ivoire dans des rades à dix balles comme beaucoup de ses contemporains dont la plupart n’auront pas la chance
d’enregistrer, tel son pote « Pete le fantôme gris » (Grey Ghost, chanteur-pianiste) qui poussait sa voix sur des blues rugueux, ou son principal mentor, Deloy Maxey. Des « rent parties » dont les groupes se formaient au fur et à mesure des soirées, aucun groupe défini par avance, juste des jams entre amis pour amuser la compagnie avant de retourner se casser le dos dans un champ pour gagner sa croûte quotidienne aux Jukes de campagne où la nuit rapportait à peine un dollar aux brailleurs du fond, Mercy Dee semait quelques graines pour le futur. Mais la terre est aride dans ce sud texan, alors, Mercy comme tant d’autres, va aller voir ailleurs si la terre y est plus féconde et si le soleil brille plus fort, sait-on jamais ! La Californie est une terre d’espérance pour un musicien qui arrive sur les scènes blues et rythm’n’blues en cette fin des années quarante. Ça grouille de partout à Los Angeles et l’effervescence de cette nouvelle musique qui remplit bars et juke-boxes donne des ailes à ce jeune gars de trente-quatre ans qui met dans ses compositions ou celles des autres autant de joie que sa bonhomie peut l’afficher. 1949 donc et première gravure : Baba-Du-Lay Fever pour le label Spire tenu par Chester “A Chinesse Fellow” Lu qui se couplera avec Lonesome Cabin Blues devenu un standard ; ils ouvrent ce CD venu des Londonien de Jasmine Records. Cette compilation offre des titres rares ou populaires sélectionnés durant ses enregistrements entre 1949 et 1955 pour
Spire, mais aussi pour Colony, Rhythm, Imperial et Flair. On peut donc se régaler de nouveau en écoutant, par exemple, Come Back Maybellene, sa suite au titre de Chuck Berry à qui il donne un traitement bien plus rock. Ses touches en prennent un coup et le groupe qui l’épaule n’est pas en reste. Le jump est le fil conducteur de cet artiste qui, s’ il chante un blues lent de temps en temps, n’est pas le dernier pour faire danser le public. « One Room Country Shack & Other Struggling Blues » est une solide collection de petites perles blues et rhythm’n’blues que Charles Brown ou Percy Mayfield auraient pu aisément se mettre sous le coude. – Patrick Derrien


Andre Williams

The Godfather Of Rap 1955-1960

Jasmine Records JASMCD3240 – www.jasmine-records.co.uk

Les hasards de la vie ont offert au chanteur et producteur André Williams (1936-2019) l’opportunité d’une seconde carrière dans les années 1990. Revenu du fond de l’abîme, il est devenu l’icône de nombreux groupes de rock garage, parcourant le monde et enregistrant pas loin d’une vingtaine d’albums jusqu’à sa disparition. Ce disque se concentre sur ses premiers enregistrements gravés à Detroit pour le label Fortune. Il se referme sur un dernier single publié par Miracle, label satellite du naissant Motown. Il s’ouvre sur le blues théâtral Pulling Time. Chant et narration au service de commentaires humoristiques, salaces, politiques et sociaux, parfois sous forme de suites, définissent le style d’André Williams. Des éléments qui peuvent justifier ce qualificatif de « pionnier du rap ». Une alchimie du verbe dont le meilleur se retrouve dans les classiques Bacon Fat, Jail Bait ou The Greasy Chicken sous forme de blues, ballade ou rock’n’roll (Mean Jean, avec sifflements et échos dans la voix). La jaquette du CD reproduit les chroniques de 45 tours parues à l’époque dans Cashbox et Billboard et propose une rapide biographie de cet artisan et passeur, à la fois interprète, auteur, compositeur, producteur incontournable de la scène de Detroit, des années 50 aux années 70. – Dominique Lagarde


Boogaloo Ames

Going Down Slow
Piano Blues & Boogie Woogie Legend From Greenville, MS

Wolf Records CD 120.943 – www.wolfrec.com

Je confesse que cette chronique ne sera peut-être pas la plus objective que vous pourriez lire dans ce magazine. Deux raisons : je suis un fervent et inconditionnel amateur de blues joué au piano, et l’émouvante narration par un de mes meilleurs amis de sa rencontre avec Boogaloo Ames à Greenville. Cela advint au mitan des années 1990s. Avec un ami allemand, il rendit visite à Willie Foster. L’harmoniciste organisa dans un bar près de chez lui un concert improvisé avec Boogaloo Ames pour mon ami et son compagnon de voyage. Notez que T. Model Ford, pressenti par Willie Foster, fut injoignable. Deux heures de blues authentique en compagnie uniquement de quelques Afro-Américains. Depuis, j’ai toujours eu envie d’écouter le chanteur et pianiste Boogaloo Ames. Mis à part les deux mêmes titres disponibles sur les compilations « From Mississippi To Chicago » (Hightone CD HMG 1008) et « The Story Of Piano Blues-From The Country To The City » (WOLF CD 120.106), il n’y avait rien à se mettre entre les oreilles. Ce vide est comblé grâce à la firme de disque autrichienne Wolf Records : un premier CD d’Abie ‘Boogaloo’ Ames, enregistré à Greenville, MS, en 1998 est enfin disponible. Hélas plus de vingt ans après sa mort ! Abie ‘Boogaloo’ Ames était un pianiste de Blues, Boogie Woogie et Jazz. Adolescent, il partit avec sa famille à Detroit où il débuta une carrière de chanteur et pianiste. Dans les années 1960s, il fut pianiste de session à la Motown. Il joua avec Nat King Cole et Eroll Garner. Puis il revint dans le Sud d’où il était originaire et vécut le reste de ses jours à Greenville où il était très célèbre. Il se produisait aussi bien dans les bouges de Greenville ou Leland avec T. Model Ford, Sam Carr ou Willie Foster pour une clientèle afro-américaine que pour la classe aisée blanche. Les douze chansons sélectionnées pour ce CD, dont les deux qui avaient vu le jour sur les deux compilations citées plus haut (l’une Tommy Dorsey’s Boogie Woogie a été rebaptisée Pinetop’s Boogie Woogie), sont des classiques du répertoire afro-américain. Ce disque d’un authentique et remarquable pianiste de Blues est le bienvenu. Il nous rappelle que le piano fut un très important instrument de la musique que nous aimons, avant que l’impérialisme de la guitare ne le fasse passer au second rang. Anciens et nouveaux amateurs de Blues se délecteront avec ce disque. – Gilbert Guyonnet

PS : vous pouvez aussi écouter gratuitement le disque « Boogaloo’s », jamais publié en CD, mais disponible sur le site internet de la disciple de Boogaloo Ames, la pianiste Eden Brent https://www.edenbrent.com


The Contours, The Satintones and The Valadiers  

Detroit Harmonisers

Jasmine Records JASMCD1126 – www.jasmine-records.co.uk

Compilation de trois groupes des débuts de la Motown. Les Contours ont eu leur courte heure de gloire avec Do You Love Me qui fut un gros tube en 1962, morceau parfait pour la danse et les boites de nuit de l’époque. Ici, leur premier LP (Gordy 901) est entièrement réédité plus un titre, mais nous sommes loin du niveau des groupes qui vont suivre : Temptations, Four Tops. Suivent quatre titres des Satintones de 1959 sans grand intérêt, puis sept autres de 1961 un peu supérieurs et on termine avec quatre faces des Valadiers, groupe mixte très doowop à l’ancienne, mais qui ne laissera pas une grande trace dans l’histoire musicale de Detroit. À écouter principalement pour les Contours. – Marin Poumérol


Little Brother Montgomery

No Special Rider Blues

JSP Records JSP3025 – www.jsprecords.com

Quand on ne joue pas de la guitare, il est difficile d’être adoubé en tant que bluesman de plein exercice. On pardonne un petit peu aux harmonicistes… Mais les pianistes ! Là, c’est trop. Eh oui. Nous avons aujourd’hui un air du temps qui fait écarter les artistes trop « jazzy » et donc nombre de musiciens de l’après-guerre. Pourtant, que de trésors pour celui qui sait présenter l’oreille en quête de musiques peu « fréquentées ». Montgomery est sans nul doute un solide pianiste capable d’évoluer dans plusieurs contextes. La sélection qui nous est proposée ici offre de bien beaux exemples de son talent de bluesman. Mais on côtoie également un boogie man, vigoureux, animateur des barrelhouses des quartiers noirs. Plus tard, il poursuivit un élargissement de son expression, certainement par goût, mais également pour coller à l’évolution de son répertoire. J’aime assez sa musique. Surtout en raison d’un feeling personnel qu’on retrouve chez les grands comme Jimmy Yancey. Une capacité à introduire dans les blues lents ou medium une sorte de sentiment touchant à la sérénité. Le détachement de ceux qui sont au-dessus de leur propre infortune. Si vous faites l’effort d’entrer dans cet univers musical, vous deviendrez un adepte et même un accro. Dans ce CD, I Would Not Drink No Whisky appartient à cet univers. Écouter, aussi, par exemple,  Tishomingo Blues, c’est fermer les yeux et entendre tout à coup, semblant venir des bas fonds, des bordels et des rues déglinguées de la Crescent City, une voix un peu brisée qui semble faite pour se fondre aux mélodies lourdes sinon puissantes des ghettos. La voix de Montgomery a parfois rebuté les amateurs auto-proclamés, surtout dans les faces les plus récentes où l’âge vient se faufiler avec ses trahisons du quotidien.   Montgomery se plait à interpréter le ragtime. Il se situe alors dans le territoire qui sépare les basses un peu mécaniques des émules de Joplin du stride qui ouvre la voie à un art plus souple propre à l’improvisation. Je ne voudrais pas vous quitter sans avoir insisté sur un autre aspect du jeu et du chant de Little Brother Montgomery : il fut un merveilleux pianiste New Orleans. Attention, pas vraiment le disciple de Dr John, de Professor Longhair ou de Fats Domino. Non. Sa musique aurait pu convenir à King Oliver ou Tommy Ladnier et il aurait était rival des Morton ou Hines. Montgomery était très apprécié de ses collègues tout autant que du public. Passez et repassez quelques titres et vous découvrirez que vous êtes un fan. En ce qui me concerne, reécoutant le CD, je retrouve un climat qui m’évoque l’atmosphère des bouges et des bars à marins que sut si bien évoquer Pierre Mac Orlan. Il y a, ça et là, l’ambiance du légendaire Casablanca avec le pianiste Dooley Wilson. Le CD est le fruit d’un enregistrement réalisé en 1980 à Londres, en direct. Le son n’est pas des meilleurs, mais il restitue l’ambiance de cette soirée et c’est ce qui compte. Une excellente notice vous aidera à cerner un artiste trop méconnu. – André Fanelli


Eddie Ware

In Session
A Pretty Wild Guy 1951-1953

Jasmine Records JASMCD3248 www.jasmine-records.co.uk

Eddie Ware fut un excellent pianiste de la scène blues de Chicago où il débarqua probablement en 1950. Il arrivait de Birmingham, Alabama. Nous n’en connaissons pas les influences. Il joua avec les Blues Rockers et Honeyboy Edwards, puis devint le pianiste de l’orchestre de Jimmy Rogers, ce qui lui permit d’enregistrer pour Chess. Le 23 janvier 1951, dans les studios Chess, Muddy Waters, avec Little Walter et Ernest ‘Big’ Crawford, grava quatre titres dont Long Distance Call. Puis les frères Chess enregistrèrent Jimmy Rogers. Apparut alors le jeune pianiste Eddie Ware qui n’avait pas encore vingt ans. Il accompagna Jimmy Rogers. Les trois excellentes chansons résultant de cette séance débutent le CD. Parmi elles, la remarquable et fameuse The World Is In A Tangle. Puis Eddie Ware devint le leader et enregistra cinq titres très réussis. Little Walter y jouait de la guitare, il est remarquable sur l’instrumental longtemps inédit Rhumba Dust. Le saxophoniste de jazz Eddie Chamblee était présent lors de cette séance. En outre, il chanta sur Lima Beans, le plus célèbre morceau d’Eddie Ware. La façon de chanter d’Eddie Ware sur Jealous Woman et Wandering Love rappelle celle de Charles Brown. En mai 1951 et le 14 septembre 1951, Eddie Ware rejoignit les studios Mercury. Il y accompagna un danseur et chanteur de Rhythm & Blues complètement oublié, Roy Snead, qui enregistra six titres dont le populaire I’m A Good Rockin’ Daddy (Mercury 8250). Entre ces deux séances de travail, Eddie Ware avait retrouvé les studio Chess aux côtés de Jimmy Rogers et son Rocking Four : quatre titres dont Money, Marbles and Chalk et  Hard Working Man. Retour chez Chess le 11 février 1952 où après avoir accompagné une nouvelle fois Jimmy Rogers, il est autorisé à enregistrer le bon Give Love Another Chance, Jimmy Rogers jouant la partie de guitare et J.T. Brown du saxophone. Le 12 Mars 1952, Eddie Ware fut le pianiste du chanteur Arbee Stidham pour le 78 tours Checker 751 et l’excellent Mr. Commissioner. Pendant cette année 1952, il fut appelé sous les drapeaux. On ne sait pas exactement combien de temps il servit l’armée américaine. Mais il était de retour dans la Windy City courant 1953 et découvrit qu’Henry Gray l’avait remplacé chez Jimmy Rogers. Il enregistra pour la dernière fois le 19 mars 1953 deux chansons assez moyennes pour la firme de disques States. Puis on n’entendit plus jamais parler de cet encore très jeune homme, bien qu’il vécut probablement à Chicago jusqu’à sa mort le 6 décembre 1978. Il avait 47 ans. Jasmine nous donne accès à l’intégrale d’Eddie Ware, aussi bien comme leader que comme accompagnateur. La musique est magnifique. Discographie et livret sont au diapason. Voici un disque à se procurer absolument. – Gilbert Guyonnet


Ferry Djimmy and His Dji-Kins

Rythm Revolution 

Acid Jazz Records 2022 

L’Afrique réserve des richesses musicales insoupçonnées qui n’ont guère eu de succès qu’au sein d’un espace localisé. Malgré son passage de quelques années en France début 70s, deux 45t sur Pathé Marconi qui tourneront sur les juke-boxes de Barbès et les ondes de certaines radios, ses relations artistique et ses « amitiés » politiques, Ferry Djimmy, alias Jean Maurille Ogoudjobi, fera choux blanc. Pour combler le tout et bien faire monter les enchères, une rumeur circule comme quoi une partie du Studio Satel aurait brûlé, emportant avec cet incendie le reste du stock invendu des presses originales… « Rythm Revolution » est un album enregistré en 1975 dans les studios Satel de Cotonou au Bénin, pays d’où est originaire Ferry Djimmy, en partie pour soutenir un mec pas vraiment fréquentable (demandez à Angélique Kidjo) qui prendra le pouvoir en 1972 sur un coup d’état et mènera une répression contre opposants au régime et intellos : Mathieu Kérékou, qui imposera un marxisme-léninisme à sa manière… L’Afrobeat révolutionne une partie de l’Afrique avec comme fer de lance et figure emblématique Féla Kuti. Le combat des Afro-Américains pour les droits civiques continue à faire tâche d’huile et Ferry Djimmy rêve d’être une star comme El Rego, Geraldo Pino, Orlando Julius ou Féla qu’il fréquente au Playboy, la boite en vogue de Cotonou, et tous les Féla en herbe comme lui qui croient que tout est possible… Il est excentrique, aime se parer de bijoux et de costumes brillants, de poudre aux yeux ; le paraître dans toute sa splendeur, pour un homme qu’on dit simple mais rebelle à souhait. Be Free démarre comme un brûlot d’énergie à revendre. Hendrix dans la guitare sonne les esprits psychés rock qu’obligatoirement Djimmy a absorbés à un moment ou à un autre, batterie furieusement funky et délirante, orgue en appui simple, sans paroles. Tout est dit ! Ce titre est à l’avenant d’un album riche qui – jusqu’à sa pochette réalisée par Gratien Zossou (artiste béninois et ami de Djimmy, guidé dans sa démarche créative par l’Afrique, la révolution et les luttes anti-apartheid) – ne peut laisser planer l’indifférence. L’album se suit comme une logique, une évidence musicale ayant pour fond de toile l’amour et la rage, la soul et le groove. L’album est brûlant, hypnotique comme cet autre titre, Oluwa Loranmi Nichai, où le jeu de Djimmy rencontre le blues de Chicago avant de retrouver des racines nettement plus africaines dans le chant de Toba Walemi sur une rhythmique qui lorgne farouchement vers James Brown, influence particulièrement importante dans cette partie de l’Afrique ; comme le Vaudou, dont les rythmes sato sont issus et imprègnent ses musiques (même si son origine ne l’est pas puisque ces rythmes étaient avant tout joués par les orphelins des royaumes du Bénin). Mais, comme plus personne ne les utilisait, un certain Sagbohan Danialou s’en empara et le nom prit une autre signification, notamment entre les mains de Clément Mélomé du Poly Rhytmo qui en fait un nom commun. L’impression que laisse ce disque est déroutante, comme si le monde devait avoir honte ou se sentir coupable d’avoir laissé passer ces huit pistes originales de garage-funk moisir au fond d’un tiroir. Comme si Carry Me Black, après être tombé en désuétude, revenait comme un boomerang dans la face du monde témoigner de la négritude en Yoruba. Des surprises, il y en tout au long de cet album qui devrait faire aujourd’hui partie des classiques de l’Afrobeat. Je profite de cette chronique pour saluer le travail de certains dénicheurs, ces diggers qui rament par passion pour sortir de l’ombre des artistes qui sont restés trop longtemps dans l’obscurité. Florent Mazzoneli, auteur de longue date d’articles sur la musique et d’une vingtaine de livres, responsable d’éditions pour différents labels, collaborateur à plusieurs radios et collectionneur averti, est celui qui permettra à ce disque de paraître. Il aurait été particulièrement difficile d’écrire sur Ferry Djimmy sans tout le travail qu’il a fait en amont (cf article sur l’Afrobeat dans ce même numéro). Qu’il en soit ici sincèrement remercié. – Patrick Derrien


Judith Owen

Come On And Get It

Twanky Records (2022)

Une rousseur celte qui aurait profité du transit louisianais pour s’épanouir au contact des musiciens locaux… À l’évidence, la Galloise Judith Owens connaît son New Orleans sur le bout des doigts. Peut-être pas le Nola funk le plus râpeux ni le bounce survitaminé du Ninth Ward, mais il flotte sur ce nouvel enregistrement un parfum de feeling suranné et de swing intemporel propre à la Cité du Croissant. Les musiciens emmenés par le grand pianiste Dave Torkanowsky font preuve d’une cohésion lascive du meilleur aloi. En miroir, Judith utilise son doux filet de voix à sa manière avec un mélange de sensualité et d’autodérision. Il n’y a qu’à écouter pour s’en convaincre sa version de Big Long Slidin’ Thing qui passe sans problème après celle de Dinah Washington. Ne cherchant jamais à imiter les chanteuses passées avant elle sur le songbook, elle trace son propre chemin entre, par exemple, Mélody Gardot et Diane Reeves sur He’s A Tramp. Et si sa performance sur Fine Brown Frame doit beaucoup à Nelly Lutcher, son sens du placement et du swing lui permet de tirer du jeu une épingle personnelle tout à la fois paresseuse et légère. La dame présente des références solides dont elle joue pour mieux s’en affranchir. On pourra ainsi préférer sa version du Blossom Blues à celle de sa génitrice Blossom Dearie. De même, le clin d’œil à Roger Rabitt et à la Gilda de Ritah Hayworth n’est que le vernis superficiel d’une artiste beaucoup plus impliquée qu’il n’y parait à première vue dans ce nouveau répertoire qu’elle défend désormais sur scène avec nombre de musiciens présents sur l’enregistrement. Outre Dave Torkanowsky, un des derniers grands claviers néo-orléanais, on retiendra plus particulièrement la trompette de Kevin Louis et la guitare de l’Australo-Langonnais Dave Blenkhorn. Why don’t you do Right ? Assurément Judith Owen est dans le tiercé gagnant, coincée entre Lil Green et Peggy Lee… – Stéphane Colin


Cubanismo
featuring John Boutté, Art Neville, Herlin Riley

Mardi Gras Mambo

Hannibal Records (2000) 

Lorsque La Nouvelle-Orléans appartenait à la couronne espagnole, New Orleans et Cuba (via la Havane) entretenaient une relation forte à bien des titres. À cette époque, de nombreux musiciens cubains s’installèrent à La Nouvelle-Orléans avec, dans leur bagage, l’immense diversité des rythmes afro-cubains, fruit de la fusion des cultures africaines et européennes. Rumba, Danzons, Cha Cha, Mambo et autres Polyrythmies propres au culte Yoruba vinrent enrichir le vocabulaire musical des musiciens de la Big Easy. Même si ces échanges ont du prendre fin avec l’arrivée de l’embargo sur Cuba, La Nouvelle-Orléans a intégré bien des éléments issus de la culture afro-cubaine. En 1997, suite à un passage très remarqué de Cubanismo au festival Jazz Heritage de New Orleans, le trompettiste cubain Jesus Alemany, leader du groupe, est sollicité par Joe Boyd, directeur du label Hannibal Record, pour un projet qui réunirait des musiciens de la Havane et de New Orleans. L’idée prendrait forme autour de la rencontre entre Cubanismo (qui réunit la fine fleur des musiciens cubains) et l’ensemble de cuivres louisianais “Yockamo All Stars”, auxquels s’ajouteraient les chanteurs John Boutté, Art Neville et le batteur Herlin Riley sur certains titres. L’idée séduit jusqu’à la mairie de New Orleans qui soutient le projet et coordonne la venue des musiciens de la Big Easy à Cuba et celle des Cubains à New Orleans. L’enregistrement à lieu en novembre 1998 dans les studios du Boiler Room à New Orleans, donnant lieu à une fête mémorable entre musiciens louisianais et cubains à l’occasion du repas de Thanksgiving organisé par la famille Boutté ! Le feu d’artifice « Mardi Gras Mambo » est lancé ! Alemany réalise un magnifique travail d’arrangement sur certains  titres emblématiques du répertoire de New Orleans, comme Mother In Law chanté par John Bouté sur un Cha cha dans la pure tradition du genre, ou Mardi Gras Mambo qui revient dans le giron du Mambo avec la voix de Art Neville, ou encore Marie Laveaux qui ouvre l’album sur sur un Son-Guaracha chanté en duo par John Boutté et le « sonero » Rapael Duany, sans oublier le clin d’oeil aux Indiens de Mardi Gras dans Shallow Water… La connexion entre les deux cultures semble évidente, les rythmes de la Havane et de la Big Easy font merveille, transcendés par des instrumentistes hors pair parmi lesquels les cuivres se taillent la part du lion ! Bien que peu connu, ce disque est un album référence dans la rencontre des ces deux entités musicales, une sorte de concentré de tout ce que la Grande Caraïbe peut nous offrir de meilleur pour célébrer la richesse des métissages ! – Marc Glomeau


The Ron Kraemer Trio
with The Nashville Cats

Sarasota Swing

PPP Poquois – www.ronkraemer.com

‏ Jazz à tous les étages, en live, avec ce trio/quartet du guitariste Ron Kraemer (originaire du New Jersey mais installé en Floride, à Sarasota, depuis longtemps), mais pas seulement. On passe allègrement du swing classique au blues/r&b et au be bop avec, de ci de là, des touches de Latin Jazz, évoquant Wes Montgomery, Jimmy Smith, Kenny Burrell, etc. Le tout avec aisance et avec talent. Ainsi Junior Steps, qui ouvre le bal, est évidemment un clin d’oeil à John Coltrane et son Giant Steps voire au standard du be bop, Billie’s Bound de Charlie Parker ! Ron Kraemer (gt), Gregg Germony (bs) et Michael Finley (dms) + Reggie Murray (sax ténor et orgue Hammond B3) venu de Nashville en invité, jouent tous dans la cour des grands pour le plus grand plaisir de l’auditeur. Cela swingue ferme avec At The Blasé Café avec des parties de guitare de Kraemer à la Charlie Christian, mais aussi avec Gone Gulfing en medium, inspiré par Jimmy Smith qui a créé le lien entre le jazz et la soul music des sixties et avec Who’s Knockin’, entraînant et vitaminé. Et il y a du blues avec Hampton Roads et The Craw, tous deux en slow et aussi avec un Bo Knows musclé, un hommage à Bo Diddley, avec son beat caractéristique. On a du R&B frénétique avec Reggie n°2 et In Walked Wilbo. Bref, il y en a pour tous les goûts, mais avec des racines jazz marquées. – Robert Sacré


Solomane Doumbia

Ségou To Lagos

Mieruba

On pourrait presque comparer Ségou à Memphis tant la création musicale de ces villes fut fertile. L’une est américaine et l’autre africaine. Elles ont en commun aussi d’avoir la même couleur de peau. Située à environ 250 km au nord-est de Bamako la grande sœur, Ségou la pétillante se borde, quand on descend vers Koutiala pour rejoindre le pays des hommes intègres, sur son flanc droit, du Niger. Et les fleuves, c’est bien connu, supportent les cales des bateaux emplies de mille influences. Les terres africaines sont généreuses et offrent à qui veut les entendre, des musiques particulièrement raffinées et ancestrales, modernes et groovy. Elles s’influencent entre elles et s’exportent. Solomane Doumbia est une grande figure de la musique malienne, initiateur de son âge d’or et passeur de rythmes. Il reste aux côtés de Salif Keita plusieurs décennies en tant qu’ami, mais aussi comme arrangeur et percussionniste. Tout en respectant ses traditions, “Solo” intègre à cette épopée malienne des cadences subtiles nigérianes. Ce disque est aussi un formidable hommage à un autre grand musicien, Tidiani Koné. Féru de Jazz, le « Miles Davis malien » comme on aimait le surnommer, joueur de Ngoni (luth traditionnel), saxophoniste, chef d’orchestre et dénicheur de talents (1), était originaire de la région de Ségou et jouait dans les orchestres de L’Alliance Jazz et La Renaissance Jazz avant de les réunir pour former le Super Biton de Ségou, orchestre qui n’aura pas la renommée de certains autres et qui restera un « parent pauvre » de la musique de l’Afrique de l’Ouest. Tidiani Koné est le pont entre tous ces pays qui, au cœur des indépendances, insufflent une nouvelle façon de concevoir la musique. Il jouera avec de nombreux artistes et groupes dont Le Poly Rhytmo de Cotonou, Baaba Mal, Féla Kuti, Harmonie Voltaïque du Burkina Faso, Lucky Dube… L’hommage est si appuyé que c’est Tidiani Koné qui se retrouve sur la pochette. Mais revenons à Solomane qui nous fait pencher sur les passerelles entre la musique du Wassoulou chère à la région de Ségou et la reine des pulsions musicales nigérianes, l’Afrobeat. Solomane nous offre des compositions qui évidemment s’ancrent dans la grande tradition de la musique malienne qui remonte au début du XIIIè siècle avec la fondation de l’Empire du Mali par Soundiata Keita, mais surtout par son griot (ou Djeli) et joueur de balafon, Bala Faseke Kouyaté, père fondateur de cette ancestralité musicale, mais qui n’oublie surtout pas où il va. Sa fusion des genres est remarquable, ciselée et son groove devient rapidement addictif. Pour réaliser « Ségou To Lagos » (à l’écriture depuis 2020), Solomane Dioumba s’entoure de jeunes musiciens à qui ils donnent les riffs et beats travaillés la nuit afin qu’ils les enrichissent de pertinence moderne. Ségou To Lagos qui donne son titre à l’album et dont la rythmique jouée par Nathaniel Dembele (ex Songhoy Blues) provient d’une mélodie du répertoire Wasolo à qui il donne les battements de cœur nigérians, nous parle du thème récurrent de l’immigration et demande en Bambara à tous ces exilés de revenir au pays. L’album a été principalement écrit et enregistré en janvier 2020 à Bamako (les instruments à vent ont été enregistrés à Berlin par Fabian Engwicht et Oliver Fox / Omniversal Earkestra) et produit par la maison de disques Mieruba (sur laquelle je reviendrai plus longuement prochainement) située à Ségou et, qui depuis 2008, nous invite régulièrement à sa table pour nous faire partager la richesse du patrimoine culturel de son pays. Album remarquable par sa sensibilité, ses harmonies, sa fluidité, c’est une atmosphère de quiétude qui se dégage de « Ségou To Lagos » et, par ces temps très troubles, un peu de soleil ne peut pas faire de mal… Chaudement recommandé ! – Patrick Derrien

Note :
(1) Tidiani Koné finira par « placer » Salif Keita à la tête du Rail Band, groupe formé en 1970, dont les influences Rumba dans la musique traditionnelle mandingue chaufferont le buffet de la gare de Bamako, avant qu’il ne soit remplacé par Mory Kanté qui, pour le coup, lâchera le balafon.


Nina Simone

En BD

Éditions Petit à Petit

Je dois l’avouer, il y a fort longtemps que je n’avais pas lu une bande-dessinée. Quand l’ouvrage est arrivé sur le bureau, avant de lire la première page, j’étais quelque peu hésitant avant de me lancer. Et puis les pages s’enchainèrent et je fus aussitôt captivé par la vie de la diva grâce à un scénario fort bien écrit par Sophie Adriansen et le concours – ô combien important–  d’une vingtaine de dessinateurs, chacun assurant des tranches de vie de la chanteuse. Nous plongeons dans la vie de la jeune Eunice qui découvre la musique sacrée grâce à ses parents. C’est une enfant plus que douée, elle peut aller loin, son rêve de devenir une concertiste classique de renom est tout à fait envisageable. Malheureusement, elle grandit dans une Amérique qui vit sous le joug de la ségrégation raciale. Cette carrière qu’elle commençait à apercevoir s’arrêtera aux portes du prestigieux Curtis Institute de Philadelphie… Pianiste plus que talentueuse, elle y est néanmoins sèchement refusée. S’ensuivent les petits boulots, les modestes cachets dans les clubs pour payer le loyer, puis finalement la rencontre avec Jerry Fields qui lui obtient d’enregistrer une session pour Bethlehem Records, le label de Syd Nathan. L’horizon des concerts de musique classique s’éloigne avec, en parallèle, une vie nouvelle qui débute, mais le refus de la prestigieuse académie ne sera jamais cicatrisé et la suivra tout au long de son existence. Au fil de la passionnante lecture, nous sommes les témoins de ses premiers engagements et succès, de ses amours mais aussi de ses déboires et démons. Son engagement pour les droits civiques, tout comme son départ pour l’Afrique où son installation en Europe, sont parfaitement mis en valeur, dévoilant des traits importants de sa personnalité. Ironie de la vie ou reconnaissance plus que tardive, le 19 avril 2003, peu de temps avant son décès, elle reçoit chez elle à Carry-le-Rouet un coup de fil du Curtis Institute lui annonçant que l’on allait lui décerner un diplôme honorifique en reconnaissance à sa contribution à l’art de la musique. « Un diplôme honorifique ? Ils ne manquent pas d’humour… », dit-elle, « C’est en 1951 qu’il fallait me laisser entrer. Ils ont 52 ans de retard ! ». Nina Simone nous quittera quelques jours plus tard, le 21 avril 2003. Voici un bel ouvrage qui met en avant cet formidable artiste, mais aussi ses divers engagements sociaux et politiques dans une Amérique en pleine mutation qui ne lui fera aucun cadeau. Vivement recommandé. – Jean-Luc Vabres


Les inventeurs de l’American Folk Music (1890-1940)

par Camille Moreddu

Collection Anthropologie et Musiques, codirigée par Luc Charles-Dominique, Yves Defrance et Monique Desroches chez L’Harmattan 

Ce qui m’a frappé immédiatement dans cette thèse particulièrement pointue et très bien documentée, c’est que la plupart des pionniers qui ont donné naissance à l’ethno-musicologie sont sinon racistes, du moins très « patriotes ». Sous le prétexte de donner une identité culturelle à une nation en devenir, nombre d’intellectuels et bien pensants se sont penchés sur les racines d’une musique que l’on nommera Folk, mettant en exergue – bien malgré eux – la richesse d’une telle culture, de ses fondements aussi variés que peut-être cette forme musicale qui, au bout du compte, réunit plusieurs aspects distincts, et finissent par démocratiser une Amérique qui se voulait blanche. Ce livre s’articule autour de la collectrice (dont l’histoire est particulièrement bien détaillée) Sidney Robertson Cowell qui, dans les années 1930, réalise des centaines d’enregistrements de terrain, des Appalaches jusqu’en Californie. Au fil de cette histoire, on voit se dessiner en filigrane l’évolution d’une notion d’abord « Anglo-centrée » vers celle bien plus diverse et automatiquement plus démocratique. Si Camille Moreddu est Docteur en Histoire Contemporaine à Paris-Nanterre, elle n’en est pas moins aussi musicienne (old-time music au banjo) et sa passion pour cette musique couplée à son travail de chercheuse l’amène à réaliser un ouvrage de référence aussi documenté que passionnant sur les premières campagnes de collectes et pose la question de la définition du « peuple » aux États-Unis, de sa classification et, par delà, sur l’identification de l’éloge patriotique et de ses conséquences. Je n’ai pas pu m’empêcher de jeter un pont entre le travail de Sidney Robertson Cowell et Camille Moreddu, trouvant en elles une passion commune et cette volonté de dénoncer, à travers leurs travaux, la violence et l’arbitraire d’une société ou règne la ségrégation. Un grand merci pour cet ouvrage. Ce livre finira certainement par devenir une référence pour bien des passionnés comme pour les futurs chercheurs. Bravo, vraiment ! – Patrick Derrien