Odyssey Lounge East, Chicago, Illinois

Façade de l'Odyssey Lounge East, Chicago, Illinois, juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

• Quelques news from Chicago… Depuis plusieurs années le club Odyssey East, sis 9942 South Torrence Avenue, Chicago, s’est forgé une solide réputation auprès des musiciens et de la communauté afro-américaine toujours friande de blues et de soul music. L’établissement n’avait pas échappé à notre vigilance, mais au fil de voyages réguliers dans la Cité des Vents, il avait à nos yeux qu’un seul défaut : la distance comparée aux autres clubs du south side et west side. Vide réparé avec cette première visite effectuée en juin 2018.

L’établissement est en effet niché dans le sud-ouest de l’extrémité géographique de la ville à la hauteur de la 100e rue. Cela implique à l’évidence pour s’y rendre qu’il faille une voiture et l’indispensable GPS. L’Odyssey East se trouve dans une zone pavillonnaire où les maisons et leurs jardinets pullulent. En quittant l’autoroute et plusieurs voies rapides, il faut encore zigzaguer entres de grandes artères désertiques avant d’arriver à destination. Deux parkings sont à disposition, l’un petit devant le club presque toujours plein, l’autre situé juste en face et bien plus vaste. Pour éviter tout soucis, comme en pleine nuit dans ce coin reculé de la banlieue de Chicago, il est préférable de se garer dans ce dernier, sous les lampadaires, pour éviter les mauvaises rencontres…

Petit retour en arrière… La programmation des clubs étant souvent aléatoire dans les quartiers sud et ouest, je ne souhaitais pas faire le long déplacement pour rien. Alors, pour en savoir plus, j’envoie la veille du périple un message à Bettie Payton White, la veuve du célèbre Artie “Blues Boy” White. Elle me répond : « Oui, il y a le groupe de Joe Pratt qui va se produire, avec également des invités. Je viens au festival demain soir voir Mavis Staple, je t’en dirai plus… ». Le hasard faisant bien les choses, nous sommes le lendemain quasiment côte à côte pour applaudir Kenny Neal et Mavis. « Je t’explique. J’ai téléphoné au patron du club, il m’a réservé une table ! Ce soir tu te laisses guider. Si ta voiture est dans le parking souterrain du Millenium Park, alors tu n’as qu’à me suivre », dit-elle. Sauf que Bettie est garée côté nord et moi côté sud. Elle ajoute : « Il est plus simple alors de se retrouver sur place. », en guise de conclusion. Quelques minutes plus tard, je m’échappe des bouchons qui ceinturent la ville et s’enchaîne alors toute une série d’autoroutes. Il est 21h passées. Après les fortes pluies de la veille, un brouillard à couper au couteau tombe sur le bitume brillant. Suivant scrupuleusement les indications du GPS, après une bonne demi-heure de voies rapides, péage et autres rocades, j’arrive à destination.

Bar de l’Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

Dehors, quelques personnes grillent une cigarette. Pour entrer, il faut d’abord sonner, montrer « patte blanche » avant de pénétrer dans le Saint des Saints. Bizarrement, j’arrive avant Bettie. Le club est plein. Le chanteur New Orleans Beau termine son set sur un classique de la soul sudiste. Un immense double bar de forme ovale trône au milieu du club, tous les tabourets sont pris par les clients, de chaque côté des tables et des banquettes. La scène, elle, se trouve à l’extrémité de la salle. Le temps de m’habituer à la géographie des lieux, Bettie arrive et nous nous installons à la seule table de libre qui nous a été réservée, juste en face de la scène. C’est alors le break des musiciens. L’épouse du regretté Artie White est ici chez elle. Elle connait et côtoie tous les artistes présents ce soir depuis de longues années. La bassiste Joe Pratt dirige la formation qui comprend Walter Scott à la guitare, Stanley Banks aux claviers et Lewis Powell à la batterie. Joe vient aussitôt nous voir. Bettie fait les présentations. L’homme est affable, son curriculum-vitae est étoffé, il a débuté il a quelques décennies au High Chaparral Club qui était sur la 77e rue et a fait ses classes aux côtés de Tyrone Davis. Il ne cache pas l’énorme influence qu’ont eu Artie “Blues Boy” White et Otis Clay sur la suite de sa carrière. Il faut dire qu’Otis avait fait de l’Odyssée East sa seconde maison, un peu à l’image de Gene’s Playmate qui était situé juste en face de son domicile sur West Cermak. « Maintes fois je suis allé chez Otis pour écouter ses nouveaux titres, dans son immense loft. Il avait aménagé un studio pour pouvoir travailler tranquillement. Sa disparition est encore ici cruellement ressentie », dit-il. Nous échangeons rapidement quelques anecdotes sur l’icône de la soul, puis arrive le propriétaire de l’établissement, Howard Smith. « Tout se passe bien ? Puisque vous parlez de notre cher Otis, avez-vous vu que pour lui rendre hommage, nous avons fait un coin VIP qui lui est dédié ? ».

Lewis Powell. Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

Le guitariste Walter Scott, qui était resté en retrait, vient nous voir et salue chaleureusement Bettie. « Je te présente un ami français… » « Mais je le connais ! », enchaîne-t-il aussitôt : « Il y a quelques années de cela, tu es venu chez moi, non ? ». En effet, l’extraordinaire guitariste avait reçu à domicile les représentants de votre magazine pour une passionnante interview aux côtés de son frère Howard (ABS Magazine N°30, mai 2011). À à ce jour, ces deux véritables institutions à Chicago que sont Howard et Walter Scott n’ont malheureusement jamais reçu la reconnaissance qu’ils méritent. Je prends des nouvelles de sa famille. Walter réside toujours dans une tour du south side et l’Odysey East est devenu son repaire depuis la fermeture définitive du Lee’s Unleaded. Tout autour de nous, l’ambiance est bon enfant, visiblement ce sont des habitués du dimanche, il faut dire que le club ouvre dès la fin de l’après-midi et ne désemplit pas jusqu’à la fermeture. Les serveuses font le tour des tables, saluent tout le monde. À une table à côté, Ronnie Baker Brooks est avec quelques amis. On nous amène des consommations…

Walter Scott. Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

Bettie ajoute : « Artie White, mon mari, tout comme Otis Clay, avait ici ses habitudes ici. Car Artie, il y a bien des années, avait été à la tête de ce club qu’il avait baptisé le Fantaisy Lounge. Le décès d’Artie en 2013 a été un moment très difficile pour notre famille… Lorsqu’il a quitté la maison de disques Malaco, nous avons créé le label Achilltown Records. Je gérais au quotidien les éditions musicales, c’était très prenant. Pour lui rendre hommage, j’ai créé une fondation qui œuvre pour les jeunes de nos quartiers qui veulent faire de la musique, je l’ai baptisée The Artie “Blues Boy” White Youth Scholarship Foundation. Nous leurs octroyons des bourses d’études et nous les suivons dans leurs différents cursus. Artie a dirigé plusieurs clubs à Chicago… Revenir ici ce soir me fait remonter à la surface de multiples souvenirs, je suis très émue… » Elle marque une longue pause, ses yeux pétillants sont embués… Howard, qui était resté à nos côtés, en profite pour appeler la serveuse pour savoir si nous avons choisi nos consommations. Nous changeons alors de conversation, l’atmosphère se détend à nouveau.

Espace Otis Clay VIP, Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

Un musicien et pas des moindres est resté légèrement à l’écart, assis sur un tabouret, c’est Jo Jo Murray. Bettie lui fait un geste de la main afin qu’il se joigne à nous. Par politesse elle refait les présentations. Jojo l’interrompt : « Je connais ton ami, nous nous sommes rencontrés plusieurs fois dans le club le Hot City qui est sur South Racine ! ». « Eh bien, tu as bien fait de venir ici ce soir ! » lance Betty. En effet, notre dernière rencontre remonte à 2015 où, aux côtés de notre regretté ami Jean-Pierre Urbain, nous avions passé une soirée mémorable dans le club. Jo Jo Murray, à l’instar des frères Scott, est une véritable pépite, chanteur et guitariste hors-pair. À part de maigres apparitions au Chicago Blues Festival, il reste cantonné dans les clubs du south side et produit régulièrement des CDs qui méritent tous d’être activement recherchés. À la croisée du Blues et de la Soul, Jo Jo est un artiste exemplaire. Il sort quelques instants, les clés de sa voiture à la main, pour revenir presque aussitôt avec son dernier CD qu’il a produit et qu’il m’offre gentiment. New Orleans Beau, véritable pilier des clubs du south side, fait de même dans la foulée ! « Dis donc, t’as bien fait de venir ce soir, pour toi c’est un peu Noël ! », décoche, hilare, Bettie.

Louisiana Al, Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres
Louisiana Al, le groupe de Joe Pratt et la chaude ambiance à l’Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Jean-Luc Vabres

Le groupe de Joe Pratt remonte sur la minuscule scène. Lewis Powell, le batteur, a juste le temps de me dire : « Hello, my Facebook friend from Paris ! », que sur scène déboule littéralement Louisiana Al. Véritable colosse, il débute avec l’indémodable composition d’Albert King I’ll Play the Blues for You sur laquelle le guitariste Walter Scott fait une fois encore de véritables prouesses. Il enchaîne ensuite avec le classique d’Howlin Wolf Smokestack Lightning sur ce tempo hypnotique, sa voix rauque donne le frisson. Monte alors sur la petite estrade une cliente fort peu vêtue qui commence à danser lascivement à côté de lui. Le club quitte alors les rivages du lac Michigan pour s’installer en plein cœur du Mississippi. La soirée passe trop vite. L’heure tourne, mais l’Odyssée east est toujours aussi bondé. Il est temps maintenant pour nous de quitter le club. Howard, le « taulier », nous raccompagne jusqu’à la porte. Je remercie chaleureusement Bettie pour sa gentillesse et sa disponibilité. « Tu sais, je sors beaucoup moins qu’auparavant, le travail de la fondation m’occupe énormément. On se revoit quand tu veux, n’hésite pas… », dit-elle gentiment. Le brouillard est toujours aussi dense. Elle s’engouffre dans sa Seville blanche motorisée V8 et disparait presque aussitôt de mon champs de vision.

De gauche à droite : Howard Smith (propriétaire du club), Bettie Payton White et Jean-Luc Vabres, Odyssey Lounge East, Chicago, 10 juin 2018. Photo © Sylvia Knox (courtesy of Bettie Payton White).

Je retrouve mon véhicule et son lampadaire de témoin, une fois encore cette soirées dans l’un des clubs du south et du west side de Chicago fut unique et chargées de rencontres et d’expériences enrichissantes. L’avion du retour est dans quelques heures, déjà il me tarde de revenir à Chicago, le rendez-vous est pris pour 2019…

Vidéo : Jo Jo Murray à l’Odyssey east Lounge


Jean-Luc Vabres
Toute ma gratitude à Bettie Payton White. Cet article est dédié à notre ami Jean-Pierre Urbain ; lors de ce nouveau séjour à Chicago il fut constamment dans mes pensées.