Eastside Kings Festival

Vue de la East 12th Street avec, à gauche, le Mission Possible Parking et, à droite, les clubs, Austin, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

The Real Thing !

• Si vous cherchez un festival de Blues à échelle humaine, pour ne pas dire « familial », n’allez pas plus loin, vous y êtes ! Et pourtant, la programmation y est splendide. Il se déroule depuis six ans à Austin, Texas, dont l’agglomération compte plus de deux millions d’habitants, dans l’une des régions à plus forte croissance de tout le pays, siège de plusieurs universités majeures. Austin est une ville à l’avant-garde dans plusieurs secteurs technologiques mais aussi dans l’écologie (ville phare dans le recyclage des déchets…) ; son maire, Stephen Ira Adler, n’oublie pas non plus la Culture en général et la musique en particulier, à l’image du Eastside Kings Festival qu’il a honoré de sa présence et de son soutien lors de l’édition 2018. Une belle reconnaissance pour cet événement imaginé et dirigé par Eddie Stout (le boss du label Dialtone qui faisait la couverture de notre n°64), non seulement pour maintenir la tradition du Blues dans un quartier emblématique d’Austin, mais aussi pour permettre à de nombreux musiciens locaux de continuer à s’exprimer.

Devanture du Big Easy Bar & Grill, 1806 East 12th St, Austin, TX. On y voit Birdlegg debout à gauche et assis, de face Darold Gordon le patron du club et Jason Moeller de dos, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

On ne peut parler du Eastside Kings Festival dans ses principaux aspects sans un petit rappel historique… Le lieu principal où les musiciens se produisent aujourd’hui est sur Chicon et East 12th Street, dans le quartier du East Austin, autrefois célèbre pour le creuset musical majeur qu’il représentait. Au fil du temps, les limites traditionnelles des quartiers d’Austin ont fluctué à mesure que les tendances démographiques, les nouveaux développements et les priorités des collectivités évoluaient. Sous Jim Crow, mais de manière encore plus nette avec le Plan Municipal de 1928, l’est d’Austin a été désigné comme un « district noir » officiel, aboutissant à des années de discrimination raciale dans le logement, les services municipaux, l’éducation, les forces de l’ordre, etc. Inversement, cette ségrégation forcée a fourni des conditions « favorables » à l’émergence d’une culture emblématique. Le Black East Austin – et le East End District dans son ensemble – incarnent l’héritage culturel et historique afro-américain. Dans ce quartier, on trouvait dans les années 50 des clubs comme le Flamingo Club “Charlie’s Play House” (for Blacks only) à l’angle de East 12th St et Chicon, au 1201 Chicon St, le Barton’s Tavern au 1900 East 12th St, le Club Capree au 1810 Chicon St ou encore le White Swan au 1901 East 12th St, uniquement fréquentés par les Noirs. Ils étaient un point de passage obligé du Chitlin’ Circuit : Bobby Bland, Joe Tex, B.B. King, Albert King, Freddie King, Ike et Tina Turner y jouaient, au même titre que des musiciens texans d’origine comme Albert Collins, T. Bone Walker ou Pee Wee Crayton, mais aussi nombre d’artistes locaux peu connus. Aucun de ces clubs n’a survécu, mais à quelques blocks de là, dans le même quartier, d’autres ont vu le jour, qui perpétuent aujourd’hui la tradition du Blues et du Rhythm’n’Blues : le Big Easy Bar & Grill (1806 East 12th St), le Dozen Street (1808 East 12th St), le Full Circle Bar (1810 East 12th St), ou encore le King Bee (1906 East 12th St). De l’autre côté de la rue, un parking, le Mission Possible Parking, au 1100 Chicon, est aussi désormais – durant un week-end de septembre chaque année – le lieu de déroulement du Eastside Kings Festival : une scène posée à même le sol sur quelques plots, sans « chi-chis », mais où, tout comme dans les clubs et lieux avoisinants, on peut voir et entendre le nec plus ultra de la scène blues et soul texane, mais pas seulement…

Vendredi 7 septembre 2018 : En règle générale, le festival débute la veille au soir dans un club de la ville, avec quelques artistes majeurs issus de la programmation des deux jours à venir. En 2018, au C-Boys Heart & Soul Night Club (2008 South Congress Ave), se succédèrent sur scène Alan Hayes, Lavelle White, Jewel Brown, Crystal Thomas, Super Chickan soutenus par les Eastside Kings : Steve Fulton (guitare), Eddie Stout (basse), Jason Moeller (drums), Kaz Kazanoff (sax), PeeWee Calvin (claviers) ; en fin de soirée, Soul Man Sam délivrait un set Soul inoubliable, accompagné par son propre band, avec une incursion bienvenue de Birdlegg.

Birdlegg, C-Boys Heart & Soul Night Club, Austin, TX, 7 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Samedi 8 septembre 2018 : Apéritif plus que sympa ! Scott M. Bock – dans le rôle de “M.C.” – présente un concert improvisé et intimiste autour de l’harmonica d’abord avec Birdlegg, Mike Milligan, Orange Jefferson, Keith Dunn et Meil Davis, puis autour de la guitare ensuite avec Super Chickan, Cookie McGee, Liljay Barrett et le grand George Stancell dans une des salles du fabuleux magasin de guitares de Steve Fulton, le Austin Vintage Guitars, au 4306 Red River St. Un moment intimiste, riche musicalement et émotionnellement.

George Stancell, Austin Vintage Guitars, Austin, TX, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

17h, après un PoBoy et une Bud Lite pris au Big Easy Bar & Grill dans une sorte de moiteur qui rappelle que nous sommes dans le Sud – tout comme la douce nonchalance qui semble s’être emparée des lieux… –, le festival démarre. Sur le parking de Chicon, un band de rêve composé de Steve Fulton, Nico Leophonte, Randy Glines, Matt Farrell et les Texas Horns avec Kaz Kazanoff commence à jouer. Crystal Thomas s’exprime dans un excellent set, puis ce seront Super Chickan et Jewel Brown. Il suffit de traverser la rue et aller dans les clubs avoisinants, sur East 12th Street, pour entendre à tour de rôle George Stancell, Cookie McGee (fabuleuse avec son blues « brut de décoffrage » !), Captain Jack Watson (vrai coup de cœur ), Brown Sugar ou encore Andrea Dawson, pour ne citer qu’eux.

Super Chickan, Mission Possible Parking, 1100 Chicon, Austin, TX, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Dimanche 9 septembre 2018 : La pluie s’est invitée, mais qu’à cela ne tienne… À notre arrivée sur le parking de Chicon, il fait soif et faim. Nous sommes en milieu d’après-midi. Partager un moment en grignotant et en discutant avec Ernie Johnson sera notre lot, il y a pire comme rencontre. Ernie est adorable, nous parlons musique évidemment, de la France, il se prête avec une extrême gentillesse au jeu de quelques photos, en profite même pour passer un texto à son ami, Nicolas Burgot, collaborateur d’ABS Magazine.

Ernie Johnson et son ami Gene Evans, Eastside Kings Festival, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Puis les concerts commencent sur le parking où un type avec un pick up et chapeau texan se gare à côté de la scène comme si de rien n’était (et d’ailleurs tout ça a l’air normal…) : Ernie Jonhson magnifique dans un set de soul sudiste à couper le souffle, Barbara Lynn à deux mètres de nous déroulant les morceaux comme le ferait un juke-box, Blues, Soul, nous gratifiant même d’un Don’t Be Cruel qui fait définitivement danser tout le monde.

Barbara Lynn, Eastside Kings Festival, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Dans un endroit improbable, un garage situé dans une rue perpendiculaire à la East 12th Street, Ray Reed se produit au JT’s Body Shop, 1202 Salina Street. Et là, le temps s’arrête ! Un tapis en guise de plancher d’une scène improvisée couverte par des tôles ondulées, un public cantonné sous un abri de fortune pour éviter de se mouiller – une pluie fine se manifestant de nouveau – et un set historique ! Du Blues, du vrai ! Cette musique pour laquelle nous avons passé tant de temps à courir festivals et disquaires et qui nous anime encore, jouée à ras-de-terre (au propre comme au figuré) par un musicien sans artifice, avec un band à son image. Inoubliable.

Ray Reed (à gauche) et Larry Lampkin (à droite), Eastside Kings Festival, JT’s Body Shop, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit
Entrée du JT’s Body Shop, 1202 Salina St, Austin, TX ; au fond à droite : la scène. Photo © Marcel Bénédit

Plus loin, dans les clubs, les concerts s’enchaînent jusqu’à la nuit tombée : Orange Jefferson, Liljay Barrett & Lady Tee, Claytie Bonds, WC Clark, pour ne citer qu’eux…

WC Clark, club le King Bee, Eastside Kings Festival, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Ainsi s’achève le festival, ou plutôt pas tout à fait… Le mardi suivant (11 septembre 2018), au restaurant le Justine’s Brasserie, 4710 East 5th St, une after party aura lieu avec Ernie Johnson et Crystal Thomas… Mais je serai déjà de retour en France, de la musique plein les oreilles et des images plein les yeux. Ce festival est un petit bijou.

Jewel Brown, Pission Possible Parking, Eastside Kings Festival, 1100 Chicon, Austin, TX, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit
Liljay Barrett & Lady Tee, Dozen Street Bar, 1808 east 12th St, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Notez dès maintenant les dates de la 7ème édition : week-end du 13 au 15 septembre 2019. La programmation sera encore très riche (cf les infos liées à l’affiche du festival sur la page dédiée de notre site).


Par Marcel Bénédit
Remerciements à Eddie Stout (pour son accueil et pour tout le reste), à Jean-Luc Vabres, Scott M. Bock, Gene et Carol Tomko

Du point de vue pratique, pour les amateurs de musique et de bon miam miam, voici trois adresses à ne pas négliger à Austin :

• L’incroyable magasin de guitares Austin Vintage Guitars (www.austinvintageguitars.com), de Steve Fulton, situé au 4306 Red River St., à Austin. Amateurs ou non, le déplacement vaut sincèrement le coup d’œil : des guitares de collection du sol au plafond (haut) à faire se damner n’importe quel collectionneur !

Austin Vintage Guitars, 4306 red River St, Austin, TX, 8 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

Antone’s (www.antonesnightclub.com) : lieu mythique s’il en est à Austin pour les amateurs de Blues. Créé par Clifford Antone en 1975, le label n’existe plus mais un magasin de disque et un club sont encore là, au 305 E 5th St et au 2928 Guadalupe St. Le 13 septembre prochain, le Eastside Kings Festival y prendra son départ avec une superbe affiche : Tutu Jones et son band.

Antone’s record store, 2928 Guadalupe St, Austin, TX. Photo © Marcel Bénédit

Justine’s Brasserie  (www.justines1937.com), 4710 East 5th St. Un petit morceau de France et une énorme tranche de Blues à Austin ! Restaurant tenu par un Français passionné de Blues, également bassiste (il accompagnait notamment Sonny James ou Keith Dunn durant le festival), Pierre Pelegrin est venu à Austin en 1985 et n’en est jamais reparti. Impossible de ne pas tomber sous le charme de ce passionné, conteur hors pair ; lors de notre rencontre, il venait d’acheter un LP rare d’Albert Collins qu’il eut immédiatement plaisir à nous faire écouter. Le Blues est partout dans le restaurant : il est sur la platine sans temps mort, il s’insinue jusque dans les toilettes où la photo de Brassens, Féré et Brel côtoie celle de Lightnin’ Hopkins ! Le miam miam me direz-vous ? En un mot : sublime ! On comprend vite pourquoi ce lieu est autant apprécié : la cuisine y est exceptionnelle, le cadre magique ; la côte de porc grillée accompagnée d’une vallée du Rhône juste comme il faut restera pour moi une émotion, tout comme l’accueil incomparable de Pierre.

Les extérieurs de Justine’s ont comme un air de guinguette : un peu de France en plein Austin. Photo © Marcel Bénédit
Pierre Pelegrin à la basse, Hash Brown à la guitare et Mike Buck aux drums, Full Circle, 1810 East 12th St, Austin, TX, 9 septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit