Édito #70

Un petit signe de la main d'Alain Jacquet dans l'ambiance du Porretta Soul Festival qui lui était si cher. Porretta, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

Cette période marquée par l’infection à Covid 19 eut un parfum très particulier, ne serait-ce que par le confinement imposé et l’anxiété qu’il a parfois généré. Des espoirs jaillirent néanmoins durant ces moments où les soignants continuaient à soigner, les caissières de supermarché à « encaisser »… Le « monde d’après » serait forcément différent ?… Nous vîmes, durant quelques semaines, des animaux sauvages revenir dans les parcs ou s’égarer dans les villes, la flore reprendre ses droits là où elle n’existait plus ; une sorte de tranquillité imposée par la peur de la mort semblant nous prévenir que le danger du Coronavirus n’était que la face émergée de l’iceberg sur lequel nous étions (trop) confortablement assis et qu’il fallait saisir cette occasion pour « changer de paradigme ». Mais voilà, la peur panique s’éloignant, le naturel de l’homme revient déjà au galop. Les décideurs continuent à sous-estimer les vrais problèmes, les animaux se cachent de nouveau, le glyphosate réapparaît et met fin à ces herbes qui n’avaient de « folles » que le nom, un homme noir meurt dans un acte de violence policière à Minneapolis et des émeutes de grande ampleur explosent aux États-Unis… Comme une impression de « déjà vu »…

Pendant ce temps, les festivals d’été ont du être annulés, et nous pensons fort à tous nos amis qui œuvrent chaque année sans relâche pour que ces événements voient le jour, la culture – précieuse – restant en ces temps incertains une valeur sûre contre la haine et la médiocrité. Nombre d’artistes nous ont quittés durant cette période. Le guitariste de Chicago Walter Scott (que nous avions interviewé avec son frère Howard pour ABS), Big Al Carson, Lee Gates, l’amical Big George Brock rencontré à Chicago et dans le Mississippi à plusieurs reprises (lui aussi interviewé par Jean-Pierre Urbain en son temps pour ABS), Little Richard (un mythe absolu et l’un des grands souvenirs de concerts à NOLA me concernant), ou encore Lucky Peterson, avec qui nous passions la soirée il n’y a que quelques mois encore à Austin… Et la liste n’est malheureusement pas exhaustive. Mais au plus proche, la personne à qui nous dédions ce numéro d’ABS Magazine, c’est Alain Jacquet. On avait pris pour habitude de le croiser lors de nos périples estivaux à Porretta. Passionné de Soul, il en avait une connaissance encyclopédique et un amour sans limite. Il fut durant de nombreuses années le trésorier du C.L.A.R.B. et l’un des premiers abonnés à ABS Magazine. Il s’est éteint le 23 mai à l’âge de 71 ans. Nous pensons fort à Michelle, son épouse, et à leurs proches. Un texte émouvant de son meilleur ami, Jacques Périn, est à retrouver ici.

Au sommaire de ce numéro qui a un peu tardé à venir – Covid oblige –, la rencontre avec un artiste de soul/blues de Dallas, Texas : R.L Griffin. Ce grand Monsieur, rencontré lors du Eastside Kings Festival d’Austin en septembre 2019, fait figure de vétéran. Patron de clubs, ayant enregistré de mutiples albums, il est un personnage emblématique de la ville de Dallas mais reste néanmoins méconnu en Europe, en dehors d’un passage sur la scène du regretté Utrecht Blues Festival. Jean-Luc Vabres et Gilbert Guyonnet vous permettent de faire plus ample connaissance avec lui. Autre injustice réparée : le guitariste flamboyant Wild Jimmy Spruill – dont on a peu parlé – fait l’objet d’un portrait par Gilbert Guyonnet dans ce numéro. Au registre des musiciens surdoués mais brillant par leur absence sur nos scènes, l’harmoniciste Johnny Mars a offert en 2017 un entretien à Robert Sacré, à retrouver ici. Enfin, retournons nous confiner momentanément avec Stéphane Colin dont l’immobilité passagère fut troublée avec bonheur par Last Kind Word Blues… 

Pour clore cet éditorial, signalons les belles nouveautés et rééditions à retrouver en fin de magazine et la chronique du DVD « Bobby Rush Blues Revue » que je vous engage chaudement à vous procurer. Et puis, un grand bravo à Robert Sacré dont l’ouvrage « Charley Patton : Voices of the Mississippi Delta » a reçu un Living Blues Award. Chapeau bas l’Ami.

Marcel Bénédit