J.J. Thames

JJ Thames, Liège, avril 2016. Photo © Robert Sacré

A Misissippi Blues Diva

• À l’approche de la quarantaine, Jennifer J.J. Thames a tout connu. Les hauts et les bas d’une vie chahutée. Si tout démarre par une enfance heureuse à Detroit, des promesses de carrière dans le show-business, des aller-retours Detroit – Mississippi – New York – Detroit – Mississippi, une vie précaire de SDF à New York, des maternités prématurées, la perte d’êtres chers et autres mésaventures seront son lot avant de (re)trouver sa voie/sa voix dans la musique et de devenir une personnalité qui compte désormais dans le domaine du Mississippi Soul/Blues.

J.J. Thames is the future of the Blues” (Dorothy Moore)

À Detroit, où elle est née en 1982 et où elle grandit, c’est à l’école et à l’église que ses capacités vocales exceptionnelles sont découvertes puis mises à l’honneur. Affamée d’expériences pimentées et de sensations fortes, elle décide de se lancer dans une carrière musicale, mais rien n’est simple. C’est compter sans les aléas de la vie, les accidents de parcours. À 17 ans, elle donne naissance au premier de ses trois fils et à 18 ans elle est SDF à New York ; puis elle se lance dans une carrière de rappeuse avant de rejoindre ses parents et d’aller, avec eux, dans le Mississippi et d’y prendre ses marques sur la scène Blues et R&B de Jackson. En 2004, naissance de son deuxième fils qui meurt prématurément, avant son deuxième anniversaire. Après cette épreuve, en 2006, nouvelle volte-face, Jennifer regagne Detroit et se lance dans une expérience reggae/rock puis soul à la Motown. Mais en 2012 elle retourne à Jackson, Mississippi, et chante partout où elle peut. Elle est remarquée par Grady Champion pour lequel elle grave son premier album de Soul Blues en 2014 (1). Elle a trouvé sa voie et fréquente assidument ses pairs dans la bande à Champion : Mr. Sipp, Jarekus Singleton, Eddie Cotton Jr… Finis, les « un peu de tout » sans rien approfondir, les foucades, les galères et les incertitudes : elle devient une valeur sûre du Mississippi Soul/Blues et elle enchaîne les tournées US et européennes, globalement couronnées de succès. Ne tenant pas en place, elle affiche encore un séjour de quelques semaines à Atlanta pour participer à un show télévisé et, début 2017, elle s’installe à New Orleans avant de regagner Jackson, MS puis, récemment, se fixer à Las Vagas, Nevada… Son deuxième album est paru en 2016 (2), le troisième est prévu en 2020. Ne la ratez pas si elle passe près de chez vous : c’est une tornade qui renverse tout sur son passage. Bien en chair, elle ,’en est pas moins sexy, elle danse avec grâce et talent, son visage est expressif, tout y passe, l’ironie, la joie, l’autodérision, la déception voire la colère (simulée) et sa voix rappe les nerfs. Irrésistible !

JJ Thames. Photo © Gerald Belcher Jr. Photography

« J’ai eu une enfance heureuse à Detroit avec un père pasteur qui travaillait pour General Motors et une mère qui était dans les services sociaux. J’ai chanté dès mon plus jeune âge, influencée par les sons de la Motown, mais j’ai reçu une double formation : musique classique et jazz. J’avais 9 ans quand j’ai chanté en public pour la première fois et, à 17 ans, j’étais devenue une « blues shooter » très populaire localement, considérée comme une sorte d’enfant prodige avec une voix unique, forte et nuancée. Mais à 17 ans je me suis retrouvée enceinte, j’ai accouché, et c’était le moment où mon père prenait sa retraite de General Motors et s’apprêtait à descendre dans le Mississippi pour y occuper un poste de Pasteur. J’ai accouché, et mes parents ont insisté pour que j’aille avec eux à Jackson, Mississippi. J’ai fini par accepter en pensant que j’avais tort, j’étais une citadine et je n’avais pas envie d’aller m’enterrer dans une zone rurale ou une « petite ville de province » comme Jackson mais, hallelujah !, ce fut une révélation. J’y ai entamé des études de Commerce et Marketing au Mississippi College et, surtout, j’ai eu un plaisir immense à m’immerger dans le Chitlin’ circtuit avec Marvin Sease, Bobby “Blue” Bland, Peggy Scott-Adams, Willie Clayton et Denise LaSalle, entre autres. J’ai découvert que j’adorais la musique soul blues et qu’elle me convenait parfaitement en mélangeant ma sensibilité urbaine à des compos plus rurales. C’est devenu ma marque de fabrique et cela plaît beaucoup aux gens qui viennent à mes concerts.

JJ Thames. Photo © Gerald Belcher Jr. Photography

En 2004 j’ai accouché de mon deuxième fils qui, hélas, est décédé quelques jours avant son deuxième anniversaire. Sous le coup d’un cafard énorme, je suis retournée à Detroit où je ne trouvais de consolation que dans le fait de chanter. J’ai alors décidé de concrétiser mon rêve et me lancer dans une carrière de chanteuse professionnelle. En 2008, je suis allée m’installer à New York, surfant sur mes succès de Detroit mais, patatras, c’était un milieu super compétitif et impitoyable. J’ai dû déchanter (smille). J’y ai enrichi mon expérience musicale, mais je n’avais pas de boulot, pas d’argent et pas d’endroit où dormir ni habiter ! Alors je suis allée à un coin de la West 4th Street et je me suis mise à chialer puis à chanter a capella des standards de jazz traditionnel et les gens m’ont donné du fric, un paquet de fric, tu imagines ? Je n’avais pas de guitare ni de claviers, je n’avais que ma voix et mon cœur brisé, mes émotions me submergeaient et c’est passé dans mon chant, c’est comme cela que je m’explique la générosité des gens qui ont été touchés. J’étais désespérée, au fond du trou et c’est là que j’ai compris ce que c’était que l’essence même du Blues ! Puis, en catimini, j’ai pu squatter une chambre dans un refuge dans le Sud du Bronx… Donc je n’étais pas tout à fait SDF, j’avais un toit au-dessus de ma tête, mais il y avait des rats énormes dans tout l’immeuble, dans ma chambre aussi et dans la douche, la fenêtre était cassée, donc quand je prenais une douche, l’eau était parfois chaude ou tiède mais il faisait quand même glacial en hiver, en plus les toilettes étaient bouchées… La galère ! En fait j’étais à New York pour graver un disque avec un gars que j’avais rencontré là-bas lors d’une précédente visite dans la Grosse Pomme (NDLR : Big Apple, New York) pour aller à un concert de eZa Brown, qui faisait partie de mes mentors. J’avais pas d’orchestre, pas d’endroit où dormir, rien. Alors je suis allée au studio avec mes valises et tout mon barda, on a commencé la séance à 7h du soir et j’ai tiré sur la corde en multipliant les prises jusque 5 heures du matin. Bien sûr, le gars a fini par comprendre ma situation et il m’a aidé à trouver un job de serveuse dans un bar puis de manager-assistant dans un restaurant. Avant cela , j’avais commencé à dormir dans les trains ; il y en a toute la nuit à New York ! Jusqu’à ce que je trouve ces petits boulots et cette chambre dans ce trou à rats. J’avais rencontré mon bienfaiteur. Tu vois, pendant tout ce temps, être SDF sans savoir où trouver de l’argent, sans savoir si j’allais manger ni trouver un abri, tout cela m’a filé le blues et m’a apprit à le chanter, c’était du vécu. ! Et on n’était pas dans le Mississippi, c’était à New York…

JJ Thames, Liège, avril 2016. Photo © Robert Sacré

Rapidement, j’ai intégré la scène ska/punk/reggae/rock en accompagnant Outlaw Nation, un band de reggae/rock et aussi des groupes reconnus de la scène underground comme Fishbone, The (English) Beat, Israel Vibrations, Bad Brains, The Meat Puppets et Slightly Stoopid ou 311, tous à mille lieues du Blues ! Mais, avec eux, j’ai appris des choses que j’utilise encore aujourd’hui : par exemple, H.R. – le chanteur de Bad Brains – m’a appris à passer d’un style musical à un autre dans le même morceau. Je l’observais avec admiration démarrer un morceau punk et passer à un mode reggae style Bob Marley avant de passer à du rock métal ; c’était fascinant et je me suis dit, bon, OK, moi aussi je peux faire cela aussi ! Et c’est ce que beaucoup de gens veulent. Ils sont rarement fans d’un seul style musical et même si j’ai complètement changé d’orientation en passant dans la « rots music », c’est toujours valable. Tu es venu à mes shows, tu as entendus ces passages d’un style à l’autre, non ? Exemple? Je chante No Woman No Cry de Bob Marley, mais j’y ajoute une grosse louche de jazz et je conclus en mode blues… Pareil pour mes autres chansons. J’ai appris encore autre chose d’utile de mes copains New-Yorkais, c’est l’énergie implacable et sans cesse au top niveau qu’ils mettaient dans tous leurs shows, sans baisse de régime quel que soit le nombre de spectateurs, show après show. Certains artistes montent sur scène et attendent du public qu’il leur donne de l’énergie, mais ils se trompent, c’est eux qui doivent d’abord en donner au public et le public le leur rendra. Il y a cette synergie ininterrompue qui se traduit par un show intense et irrésistible. J’essaie d’appliquer ce principe et je vois que cela marche du tonnerre.

JJ Thames. Photo © Gerald Belcher Jr. Photography

Mais j’ai fini par en avoir marre de ma vie faite d’insécurité et de galères en tout genre. En plus, j’avais accouché de mon troisième fils en 2010 et il me devenait impossible d’élever dignement les enfants qui me restaient. Donc, en 2012, complètement fauchée et avec deux garçons en bas âge, je suis retournée dans le Mississippi. Cela m’avait brisé le cœur de quitter les musicos de New York, mais j’étais sans ressources et sans illusions, j’avais compris qu’il n’y avait pas d’avenir pour une femme dans leur branche. Les hommes peuvent faire cela toute leur vie, mais pas des femmes, il n’y en a aucune de plus de 30 ans dans ce milieu, donc je devais faire autre chose. À Jackson, j’ hésitais à m’imposer à mes parents qui réprouvaient mon style de vie et j’ai à nouveau trouvé à me caser avec mes fils dans un refuge pour mères célibataires. Mais mes parents et ma famille sont venus me chercher et ce fut un nouveau départ. J’ai fait la connaissance de Grady Champion qui a aimé ma façon de travailler et mon style. J’étais revenue à un style Soul Blues qui le branchait et, avec Carole DeAngelis, il a produit mon premier album sur son label De Champ en 2013, sorti au printemps 2014 (1). Il m’a mise en contact avec ses potes Mr. Sipp, Eddie Cotton Jr., Jarekus Singleton. On a immédiatement sympathisé. On est copains, main dans la main, et ma carrière internationale a pris son essor.

J’ai galéré grave pendant plus de dix ans et ma santé en a pris un coup. J’ai dû me faire opérer de l’estomac deux jours avant ma première tournée en France. J’ai réussi à convaincre mon chirurgien de me laisser sortir de l’hôpital car je ne voulais pas rater ce voyage et, malgré des douleurs permanentes et les risques, j’ai donné le meilleur de moi-même et j’ai surmonté cette épreuve. Depuis, je suis bien dans ma peau et ce qui me console le plus, c’est ce que m’a dit mon fils aîné. Il a 15 ans et il vit avec son père à Tucson, Arizona. Il est en surpoids mais fait du basket en compétition et il m’a dit : “ Mom, grâce à toi, je sais que je peux faire absolument ce que je veux, atteindre mes objectifs quels que soient les obstacles, je t’ai observée et tu m’as montré que rien n’est impossible… ”  Tu sais, quand ton fils te dit cela, ça te paie pour chaque larme, chaque nuit d’enfer, chaque frayeur que tu as pu vivre. Tout est annulé quand tu sais que tes gosses sont passés par cet enfer avec toi et que l’aîné, à 15 ans, peut revenir sur ces épreuves et dire “ Mom, tu as su t’accrocher, tu es forte, tu nous a aidés à l’être aussi, tu t’es jamais découragée et vois maintenant où tu en es… On est fiers de toi ! Tu tournes en France et tu passes même à la radio en Afrique…. Wow ! ” Cela me rappelle tous les jours à rester humble et à penser à tous ceux qui se sont investis dans ma carrière et dans ma vie. Je suis épanouie maintenant et l’avenir semble sans nuages. Je viens de passer quelque temps à New Orleans, cela me plairait de chanter au Jazz Fest’, je pose des jalons… Je reste néanmoins vigilante, je sais que tout peut basculer d’un jour à l’autre, mais je suis optimiste. J’ai soif de concerts à donner partout dans le monde, d’amour à donner à tous ceux qui me sont proches, et ce compris tous ceux qui viennent à mes concerts…

JJ Thames en concert avec le groupe de Fabrice Bessouat (drums), Chateau d’Oupeye (Belgique), octobre 2017. Photo © Robert Sacré

Venez me voir et m’écouter, vous ne le regretterez pas, d’autant plus que si j’ai mon propre band quand je suis aux States, j’ai trouvé ici en Europe des accompagnateurs de grand talent, celui de Fabrice Bessouat en particulier, avec lequel je suis parfaitement à l’aise et avec lequel je peux donner libre cours à ma créativité ; on est sur la même longueur d’onde et on se complète parfaitement (3). Bien sûr, les choses étant ce qu’elles sont, il pourrait y avoir des changements, on verra ce que l’avenir nous réserve… »


Par Robert Sacré

Infos concerts et tournées :
Le bilan des concerts et tournées à mettre à l’actif de J.J. Thames est impressionnant depuis ses débuts en clubs, de 2000 à 2006 et encore en 2012 à Jackson, MS, et de 2007 à 2011 à Detroit. De 2013 à 2015, Ms Thames était passée à la vitesse supérieure avec des concerts dans tout le Sud des États-Unis et, en 2016, première apparition en France au Bain de Blues Festival en avril puis en Australie en automne. 2017 fut une grande année avec une cinquantaine de concerts et apparitions en festivals aux USA et au Canada en été (tournée « Have Blues Will Travel ») et en Europe à l’automne (tournée « Raw Sugar European Tour ». Au programme en 2018, la Corée du Sud, l’Europe à nouveau, USA et Amérique du Sud (tournée « Blues Rock For Your Soul »). 2019 promet d’être encore plus riche avec la Russie en janvier/février, l’Europe en avril (pour la 5ème fois), l’Amérique du Sud en mai, retour en France en juin, Tbilissi en Géorgie en juillet et France en août. Qui dit mieux ?

Projets :
En ce printemps 2019, J.J. Thames travaille sur un nouvel album intitulé « Moonchild », un mélange de Blues traditionnel, de Soul, de Blues/rock, de Reggae et de Jazz. Il devrait paraître début 2020 en même temps qu’une autobiographie déjà bien avancée. Ce n’est pas tout, puisqu’il est aussi question d’un film-documentaire la concernant. Elle envisage encore d’ouvrir et de gérer un food-truck ainsi qu’un cabaret pour concerts live à Las Vegas, Nevada… Pour une jeune femme qui a été diagnostiquée du syndrome d’Asperger (4) en 2015, elle fait preuve d’un entregent remarquable et d’une énergie inépuisable et, à force de volonté, elle a pu surmonter des problèmes de communication non verbale et de relations sociales inhérents à cette pathologie. Chapeau l’artiste !


Notes :
1. « Tell You What I Know» Dechamp Records/Malaco (2014)
2. « Raw Sugar » – Dechamp Records/ Malaco, (2016)
3. Fabrice Bessouat (dms), Cedric LeGoff (claviers), Antoine Escalier (basse) et Yann Cuyeu (gt)
4. Une forme d’autisme qui n’affecte en rien le langage, l’intelligence ni la créativité ; seules sont affectées – à des degrés divers selon l’individu – la communication non verbale et les interactions sociales.