Lil’ Buck Sinegal

Lil' Buck sinegal, Lucerne Blues Festival, novembre 2015. Photo © Philippe Prétet

The soul of a Zydecobluesman

• Sympathique et affable, l’ancien équipier du roi du zydeco Clifton Chenier était l’un des invités en novembre 2015 du prestigieux Lucerne Blues Festival pour accompagner Major Handy. Lil’ Buck Sinegal est un musicien au curriculum vitae étoffé. Son association à l’icône de la musique louisianaise l’a fait connaître du grand public. Si les rythmes cajuns n’ont à l’évidence plus de secret pour lui, sa palette musicale déborde largement les compositions en provenance des bayous qui l’accompagnent depuis son enfance. Celui qui a grandi au son du patois créole familial est capable de tout jouer, des compositions originales, de la soul ou encore des morceaux du maestro Allen Toussaint. Retour avec lui sur sa carrière, et tout particulièrement sur Clifton Chenier et Allen Toussaint.

Une chaussette en guise de tirelire

« Je suis né le 14 janvier 1944 à Lafayette, en Louisiane. Je suis le quatrième d’une famille de six enfants. Mes parents, Joseph Sinegal et Odette Broussard, travaillaient la terre avant qu’ils ne s’installent en ville, précisément du côté de la rue Saint-Charles. à la maison, nous parlions le français, ou plutôt ce que l’on appelle « le French creole ». Ma mère s’intéressait à la musique, elle connaissait quelques accords à la guitare, mais je dois une grande partie de mon éducation musicale à son frère. Tous les ans, durant les vacances scolaires, nous allions chez mon oncle pour l’aider à ramasser le coton. Il était non-voyant. L’aide qu’on lui apportait était pour lui primordiale. Un jour, pour me récompenser, il me donna une guitare. à mes yeux, il me donnait le plus beau cadeau du monde. Quelques heures plus tard, j’essayais de reproduire à l’oreille toutes les chansons que j’avais l’habitude de fredonner. Ma six cordes ne me quittait jamais. Dès que j’avais un moment libre, j’en jouais.

Dès notre retour à Lafayette, j’avais pris l’habitude de jouer de la guitare sous le porche de la maison. L’un de nos voisins, qui m’avait remarqué, s’arrêta devant chez nous : « Hé petit, veux-tu que je te montre comment on fait pour jouer de la bonne musique, Johnny B Good par exemple ? » Bien sûr que j’étais d’accord ! Aussitôt dit, aussitôt fait, la machine était lancée grâce à ces premières leçons musicales totalement improvisées mais diablement efficaces.

À l’époque, comme beaucoup de jeunes musiciens, je jouais dans la rue. En fait, je vendais des journaux dans la rue et, pour me faire un peu plus d’argent de poche, j’interprétais les succès du moment. Ma grand-mère savait que les passants me donnaient des pièces de monnaie lorsque je jouais quelques morceaux à la mode, alors, le soir, dès que je rentrais, elle me demandait de lui remettre ce que j’avais gagné. Elle mettait alors toutes ces petites pièces dans une chaussette qu’elle gardait toujours sur elle, dans l’une des poches de sa robe. C’était une sorte de tirelire, quoi ! Lorsque j’avais besoin de quelques cents, j’allais lui demander de puiser dans ma cagnotte. De toute manière, c’est elle qui gérait tout le budget familial, personne ne pouvait y couper.

À force de jouer dans mon quartier, je fis la connaissance de Raymond Meunet. Ce fut pour moi une rencontre déterminante pour la suite de ma carrière. Il jouait du blues bien sûr, mais honnêtement il savait tout jouer ! Il a influencé bon nombre de musiciens sur le secteur de Lafayette. Il aurait pu faire équipe avec les plus grandes formations de l’époque, mais cela ne l’intéressait guère. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était de jouer avec qui bon lui semblait, mais surtout rester à Lafayette. Il ne voulait absolument pas bouger et embrasser la vie parfois difficile d’un musicien toujours sur les routes pour gagner correctement sa vie. C’est lui qui m’a montré comment être à l’aise sur plusieurs accords, la première composition que j’ai jouée en entier grâce à ses conseils, ce fut le succès Honky Tonk. »

Mon premier Passeport, je le dois à Clifton Chenier

« Adolescent, j’étais membre de la formation appelée les Jive Five. Nous nous produisions pour les soirées anniversaires où les surprises parties. ça marchait bien pour nous. Ce mode de vie me convenait à merveille, au point de me dire rapidement que c’était ce métier là, de guitariste, que je souhaitais exercer. Avec le recul, je me rends compte que finalement je n’ai jamais arrêté de faire ce métier depuis les années 50 ! La première fois où j’ai mis les pieds dans un studio, c’était pour une session aux côtés de Katie Webster, j’étais tout jeune alors. En 1966, j’étais aux côtés de la formation des Top Cats qui comptait alors 15 membres dont Buckwheat Zydeco aux claviers. Notre répertoire était largement influencé par les succès de James Brown, Jackie Wilson ou encore Joe Simon. C’est durant cette période que j’ai rencontré et sympathisé avec Barbara Lynn. Nous avons également joué pour Joe Tex, Percy Sledge et Millie Jackson.

J’ai enregistré pour le compte du label La Louisiane. Un 45 tours est sorti, Monkey In A Sack / Cat Stream, et deux autres titres virent le jour un peu plus tard, Cat’s Back / Don’t Make Me Cry. La musique proposée était alors basée sur un tempo funky. Le 45 tours avait bien marché à ce moment là dans les radios tout autour de Lafayette. Mon oncle dirigeait à l’époque le Blue Angel Club. C’est dans son établissement que j’ai rencontré pour la première fois Clifton Chenier. Je venais alors de rompre avec les Top Cats, j’étais libre comme l’air. Clifton était au comptoir, je le saluai. « C’est toi que l’on appelle Lil Buck ? », demanda-t-il. Je répondis par l’affirmative. « J’ai entendu parler de toi, je connais ta musique et ce que tu as fait avec ton groupe… Tout à l’heure, je monte sur scène. Si tu veux te joindre à nous, tu peux… », ajouta-t-il. à la fin de la soirée, il ne me dit pas que j’étais engagé, mais il faut croire que ma première prestation à ses côtés lui avait plu, car nous sommes restés ensemble quinze années.

Clifton était un bon vivant, je n’ai jamais rencontré de difficultés relationnelles avec lui…

Grâce à lui, j’ai voyagé dans le monde entier. Je lui dois mon premier passeport pour partir en tournée en 1971. Clifton était un bon vivant,  je n’ai jamais rencontré de difficultés relationnelles avec lui. La seule règle à laquelle il tenait, était que son groupe soit fin prêt à monter sur scène lorsque l’heure arrivait. Il ne supportait pas qu’un musicien soit à la traîne lorsque l’heure de se produire se rapprochait. Il mettait alors sa cravate sur son épaule, s’assurait que tout le monde était ok, et c’était parti pour quatre heures sur scène, non-stop ! Au début, rester si longtemps sur scène sans faire une pause, ça me paraissait insurmontable. Je sortais des concerts complétement lessivé (rires) ! »

Allen Toussaint, le bienfaiteur 

« Je connaissais Allen Toussaint bien avant qu’il produise mon album paru en 1999 chez Nyno Records, « The Buck Starts Here ». Allen Toussaint était un homme charmant, qui connaissait bien toutes les ficelles de ce métier et notamment comment produire une bonne session. Quand il s’impliquait dans un projet, il le faisait à chaque fois très consciencieusement. En studio, on ne plaisantait pas. On travaillait sérieusement en suivant ses judicieuses indications.

Le patron du label, Joshua Feigenbaum, était originaire de New York. Il souhaitait enregistrer des pointures de La Nouvelle-Orléans. Un soir, alors que je jouais dans le club le Maple Leaf aux côtés de Rockin’ Dopsie, il est venu me voir à la fin du spectacle et m’a dit : « Es-tu intéressé pour enregistrer un CD sous la supervision d’Allen Toussaint ? Nous avons un studio qui est prêt, si tu es d’accord, on peut faire cet enregistrement très rapidement. » Je lui ai répondu : « Si vous êtes prêt, cela tombe bien, car j’ai justement pas mal de nouvelles compositions qui ne demandent qu’à se retrouver sur un album. En plus, si c’est Allen Toussaint qui est à la production, c’est sans souci ! » Deux semaines plus tard, les premiers morceaux étaient déjà en boîte. Allen Toussaint, était un homme droit et généreux, respecté par tous dans le monde entier, il avait une belle âme.

J’ai également, toujours sur cette même compagnie, participé à la session du chanteur Wallace Johnson, « Whoever’s Thrilling You ». Allen Toussaint était bien sûr à la production, il s’occupait également des partitions des musiciens. « Joue-moi s’il te plaît, ta partie guitare Lil Buck, il faut que je me rende compte… », disait-il. Et je m’exécutais… « C’est parfait ! C’est exactement ce que je veux, ne change rien ! Peux-tu le refaire une nouvelle fois pour qu’on l’enregistre ? » Je lui répondais : « Non, ce n’est pas possible, je joue à l’oreille et à l’intuition ! » (rires). Avec Allen Toussaint sur une session, tu pouvais être sûr et certain de faire un bon disque et surtout d’avoir un son et un groove plus que réussis. Ensuite, j’ai fait un nouvel album en 2002 pour le compte de Lucky Cat Records, « Bad Situation ». Et là, dès mon retour, je vais rentrer en studio pour un nouveau CD. Mon neveu gère un studio, je suis sur son planning, nous allons y travailler avec ma formation.

Allen Toussaint, était un homme droit et généreux, respecté par tous dans le monde entier, il avait une belle âme.

Je vis toujours à Lafayette, à proximité de la maison de mes parents. Cette dernière est un véritable musée. Il y a sur place toute ma collection de guitares, des amplis, des batteries… Toute la journée, les musiciens du quartier défilent, jouent un morceau, discutent, souvent je vais également les rejoindre. Pour la petite histoire, Major Handy, avec qui je vais être sur scène tout à l’heure, habite la même rue que moi. Bref, ce soir, je ne serai pas trop dépaysé !

Je n’ai jamais trop étudié la musique, j’entends un truc qui me plaît, je suis capable de le rejouer aussitôt, peu importe le style, j’en fais mon affaire. Avec mon groupe, je ne joue jamais que du blues toute une soirée, j’aime bien varier les genres, il y a tellement de belles choses a interpréter, alors pourquoi s’en priver ! »


À écouter

• Lil’ Buck Sinegal, « The Buck Starts Here », produced by Allen Toussaint – Nyno 9612-2 (1999)

• Lil’ Buck Sinegal, « Bad Situation » – Lucky Cat Records LC1003 (2002)

• Paul “Lil Buck” Sinegal, « Greatest Hits Volume 1 », compilation (2013)


Par Jean-Luc Vabre
Remerciements à Martin Bruendler, Guido Schmidt et Gene Tomko