Lucerne Blues Festival

Shemekia Copeland, Lucerne Blues Festival, 15 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

25ème anniversaire

• ABS Magazine vous a habitués au fil des ans à avoir des compte-rendus ou des interviews issus de ce festival que nous affectionnons tant par sa programmation que par l’ambiance qui y règne. Créé en 1995 par Guido Schmidt, ce festival – qui désormais a lieu dans le casino de Lucerne, en Suisse alémanique, sous la présidence de Martin Bruendler – est devenu une référence incontournable pour les amateus de la note bleue et un endroit très prisé des musiciens en raison de la qualité du public et de l’accueil qui leur est réservé.

La première édition, en 1995, n’avait duré que le temps d’une soirée dans la salle du Rollerpalast, avec à l’affiche Robert Belfour et Mississippi Heat, mais avait d’emblée été couronnée de succès. L’année suivante, une collaboration démarra avec la Casino de Lucerne qui décida d’associer son nom au festival qu’il accueillit dans une de ses multiples salles. Le festival prit alors de l’ampleur, le budget aussi, avec les deux années suivantes une soirée supplémentaire pour passer à trois soirée à partir de 1998. Le Lucerne Blues Fesival tel qu’on le connaît aujourd’hui était sur les rails… Ses collaborations multiples avec des partenaires fiables et fidèles – dont les grand hôtels de la ville –, une logistique sans faille, un amour sincère des musiques afro-américaines et une connaissance aiguisée de celles-ci du créateur Guido Schmidt et aujourd’hui du nouveau président et programmateur Martin Bruendler, ont rendu ce rendez-vous inconturnable. Au fil du temps, des brunchs se sont ajoutés à la programmation avec des artistes phares de l’édition dans les magnifiques salons de l’hôtel Schweizerhof (cette année Shemekia Copeland, Billy Price, ou encore Benny Turner et Billy Branch). Des manifestations dans les écoles et des concerts dans d’autres endroits dont le Casineum (salle de réception du Casino de Lucerne) la semaine du festival ont également lieu (par exemple les Fabulous Thunderbirds cette année), où se retrouvent aussi les couche-tard pendant les trois jours de ce qui représente la partie « majeure » du festival. Bref, une organisation millimétrée, un accueil des artistes qui a fait la réputation du festival outre-Atlantique.

De gauche à droite : Guido Schmidt et Martin Bruendler, Lucerne Blues Festival 2014. Photo © Marcel Bénédit

La liste des artistes blues, soul, gospel et zydeco qui sont passés par Lucerne depuis vingt-cinq ans est impressionnante. Au fil du temps, certains d’entre eux devinrent même quasiment des membres de la famille des organisateurs, tels Otis Clay qui enregistra un album live à Lucerne, à l’instar d’autre artistes. Comment ne pas se rappeler Otis en 2003 communiant littéralement avec le public, comme s’il était dans sa congrégation dans le South Side de Chicago le dimanche matin et Guido Schmidt écoutant son ami, les larmes aux yeux, comme nombre d’entre nous dans le public. Le mot « fidélité » prend à Lucerne tout son sens. Otis viendra de nombreuses fois, toujours avec le même plaisir, il nous l’avait confié. Ce festival a toujours permis également de voir sur scène des musiciens peu invités dans d’autres festivals européens ; on pense – au sein d’une liste qui ne peut être exhaustive tellement elle est imposante – entre autres, aux prestations de Wild Child Butler, Sam Carr, Chick Willis ou encore Sam Myers…

Évidemment, au fil des ans, beaucoup des musiciens qui ont fait les grandes heures de ce festival nous ont quittés. Mais cette vingt-cinquième édition a néanmoins tenu ses promesses en terme de programmation.

J1 – Jeudi 14.11.2019 :

La soirée démarre en douceur avec un trio très original : Gumbo, Grits & Gravy. Autrement dit, l’auteur-compositeur, chanteur et guitariste Guy Davis entouré des belles voix de Marcella Simien (également au fottoir) et d’Anne Harris ; cette dernière est une excellente violoniste déjà vue il y a deux ans lors du Chicago Blues Festival aux côtés de Vieux Farka Touré dans un concert magique.

Gumbo, Grits & Gravy, avec Anne Harris et Guy Davis. Lucerne Blues Festival, 14 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Puis le Altered Five Blues band, groupe basé à Milwaukee, sous l’impulsion de son chanteur afro-américain Jeff Taylor, délivrait un set blues musclé et électrique avant que Billy Price n’enchaîne avec sa « blue eyed soul » au sein d’un band dans lequel le saxophoniste Drew Davis fut remarquable.

Billy Price, Lucerne Blues Festival, 14 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Mais « l’étoile » de la soirée (et pour moi sans comparaison celle de tout le festival), restait à venir : Révérend John Wilkins. Depuis les pages et la couverture qui lui furent consacrées dans ABS Magazine (version papier) après que Jean-Pierre Urbain soit allé l’interviewer dans sa paroisse, de l’eau a coulé sous les ponts du Mississppi et de bien d’autres fleuves pour John Wilkins. Les concerts et les tournées aux US et à l’étranger se sont enchaînés, mais l’homme natif de Memphis est resté tout aussi vif. Le regard malicieux et doux, la voix, le jeu de guitare et l’énergie sur scène sont intactes. Ici, superbement accompagné par un quator clavier, guitare, basse, batterie, il délivre son « North Mississippi Hill Country Gospel » comme s’il était « à la maison ». La ferveur est totale, l’osmose avec le public instantanée, aidé en cela par ses choristes qui ne sont autres que ses filles et dont les talents vocaux égalent la joie qu’elles ont à être sur scène. Un régal absolu, un grand moment de musique, et une émotion rare lorsqu’il interpréte, seul à la guitare, deux morceaux de son père, le chanteur guitariste de gospel Robert Wilkins.

Reverend John Wilkins, Lucerne Blues Festival, 14 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Il se fait tard, mais pas encore assez pour ignorer le set de Chicago Blues délivré au Casineum par Nick Gravenites et Dave Melton sous la houlette de Barry Goldberg.

J2 – Vendredi 15.11.2019 :

C’est justement cette “Chicago Blues Reunion” précédemment citée qui ouvre la soirée avant de laisser la scène à une série de musiciens européens tous plus excellents les uns que les autres réunis pour un “European Blues Summit” qui tient toutes ses promesses. Des morceaux enlevés, une joie d’être là pour le moins communicative, du groove avec le Hammond B3 de Raphael Wressnig, du swing dans les cordes de Nico Duportal. Un moment dont le public ne souhaite sortir, puisque motif à rappel appuyé.

European Blues Summit, 15 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Puis, sur scène, celle que Koko Taylor désigna comme sa successrice, la nouvelle “Queen of Blues” comme le rappellera Billy Branch, invité du concert : Shemekia Copeland. Pour avoir vu shemekia à de nombreuses reprises, j’avoue que le set délivré à Lucerne cette année est pour moi le meilleur. Son équipe de musiciens est fidèle et les réglages sont millimétrés, y compris quand une autre invitée telle que la violoniste Anne Harris vient s’ajouter au groupe avec sa fougue et son une énergie. Shemekia, au diapason, partage sourires et joie d’être sur scène et c’est terriblement communicatif. Que ce soit sur le superbe titre Never Going Back To Memphis ou lors de l’hommage qu’elle rend à son père Johnny Copeland, la voix de Shemekia est un don.

Shemekia Copeland (à droite) et Anne Harris (à gauche), Lucerne Blues Festival, 15 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

La soirée se clôture avec le set d’un natif de Macon, Georgie, Robert Lee Coleman, accompagné par un trio remarquable en lien direct avec la Music Maker Relief Foundation. L’homme est tout d’abord un peu hésitant, presque timide, mais lorsque son tour arrive de prendre le solo à la guitare, on sent tout le potentiel de celui qui fut le compagnon de route de Percy Sledge dans la deuxième moitié des années 60.

J3 – Samedi 16.11.2019 :

La canadienne Lindsay Beaver démarre la soirée comme elle l’avait fait la veille au Casineum : sur les chapeaux de roues, avec ses vieux rock’n’rolls et son R&B des années 50. Elle chante et joue de la batterie au milieu de deux excellents musiciens d’Austin, Texas : le contrebassiste Josh Williams et le guitariste Brad Stivers qui – et ce fut une surprise y compris pour elle – demanda Lindsay en mariage, bague à l’appui, en public à la fin du concert ! Larmes, joie, un « happy end » à l’américaine en terre helvète !

Benny Turner (à droite) et Billy Branch (à gauche), rencontrés devant l’hôtel Schweizerhof l’après-midi de leur concert, Lucerne, 16 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Puis la soirée voyait se succéder sur scène le bassiste de La Nouvelle-Orléans Benny Turner associé à l’harmoniciste de Chicago Billy Branch dans un set surtout constitué de reprises, The Fabulous Thunderbirds guidés par l’harmoniciste et chanteur Kim Wilson, avant de se terminer – comme c’est maintenant la coutume à Lucerne – par un set zydeco, celui de l’excellent Corey Ledet.

The Fabulous Thunderbirds guidés par Kim Wilson. Ici, l’équipe au grand complet, rencontrée sur les bords du Lac des Quatre Cantons, l’après-midi de leur concert, Lucerne, 16 novembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Au total, un vingt-cinquième anniversaire qui tint ses promesses tant au niveau de la programmation que de l’ambiance, dans cet endroit apaisant au bord du Lac des Quatre Cantons. Quand on voit l’énegie de Martin Bruendler (le Président et programmateur du festival) et de ses équipes, on aurait même presque l’impression de n’être qu’au début de l’histoire…


Par Marcel Bénédit
Remerciements à Martin Bruendler, Guido Schmidt et tout le staff du Lucerne Blues Festival, ainsi qu’à mon complice Jean-Luc Vabres