Black Indians de La Nouvelle-Orléans au musée du quai Branly

Mystic Medicine Man, 2017 © Danielle C. Miles

Occasion ratée ? Pas sûr…

• Initialement, l’exposition des Mardi Gras Indians du musée du quai Branly semblait une belle opportunité pour mettre en lumière une culture atypique dont les liens avec les racines de la musique de La Nouvelle-Orléans ont nourri une grande partie de l’histoire de la ville. Le fait de replacer cette pratique plus que centenaire dans un contexte historique et culturel faisait forcément sens. Une démarche logique qui se heurte ici à une problématique inattendue. Parler de l’esclavage, des amérindiens ou de la position particulière de la Cité du Croissant est certes un plus indispensable. En faire le sujet dominant en ne laissant qu’une grande salle terminale pour la mise en lumière – pour le coup magnifique – des costumes de Black Indians, interroge…

Pour tout dire, on se serait passé d’une grande partie de cette recontextualisation protubérante. La fête carnavalesque s’en trouve en partie gâchée, désamorcée, vidée de sa substance créatrice. L’introduction du sujet semble prendre le pas sur son développement. On est fort disert sur les à côtés, mais on évite de rentrer dans le cœur d’une thématique qui devient dès lors quasi marginalisée dans son propre espace. Un paradoxe d’autant plus troublant que le matériel « explicatif » d’accompagnement est présenté sans réel fil conducteur, en laissant en suspens le lien avec le sujet initial. Ainsi, il aurait été intéressant de creuser le parallèle entre les costumes et pratiques des Eguns béninois et ceux des Mardi Gras Indians néo-orléanais en s’appuyant en profondeur sur le travail d’Hélène et Jean-Jacques Ducos (cf. le livre « La Danse des Eguns » – Kubik, 2007) .
Costume Egun, Benin. Photo © Stéphane Colin
S’il y quelques photos – en petit format – de Charles Fréger, elles sont présentées de façon trop marginale pour amener le supplément explicatif espéré : « La mascarade est un territoire de mise en regard d’une communauté par une autre, espace où l’on rejoue le rapport à l’oppresseur soit pour le mimer, soit pour l’inverser, toujours pour le subvertir ». En quelques mots, dans son livre « Cimarron », préfacé par le poète écrivain Ismael Reed, Charles Fréger nous éclaire d’une façon plus immédiate et plus claire sur les pratiques carnavalesques du monde Marron américano-caribéen. Une mise en perspective qu’on retrouve dans l’exposition au niveau du groupe des costumes du Skull and Bone Gang remarquablement agencé par Sunpie Barnes qui figure parmi les trop rares commissaires de l’exposition issus du sérail.
Bone and skull gang (collection Sunpie Barnes). Photo © Stéphane Colin
On reste ainsi un peu circonspect quant au faible lien et à l’usage pour le moins restreint fait de la musique dans cette exposition. Oublier ainsi d’inclure les 79er Gang dans la compilation Spotify du musée du quai Branly créée spécialement pour l’événement a quelque chose d’étonnant. Présents à un concert organisé en marge de l’exposition, groupe novateur incluant des éléments de Bounce dans la musique traditionnelle, figure de proue du beau projet franco-américain « Nola si Calling » (Jaring Effects 2019), ils méritaient une petite place dans cette playlist qui, en 2h12min, réussit l’exploit de ne faire figurer que quatre morceaux de Mardi Gras Indians ! Commencer avec Bourbon Street Parade de Louis Armstrong associé aux Duke Of Dixieland est un choix introductif possible qui aurait pu être suivi par l’un des quatre morceaux de Mardi Gras Indians joués et chantés par le guitariste-banjoïste Danny Barker. Ces titres des années 50 semblent être les premiers enregistrements de chants « indiens » et auraient eu toute leur place ici. De même, la belle histoire du label français Barclay allant concocter en Louisane le premier lp consacré à une tribu de Mardi Gras Indians (« Wild Magnolias », 1973) est étrangement absente du listing. Si la série « Tremé » est régulièrement citée tant dans le parcours du musée que sur les documents annexes, il aurait été intéressant d’illustrer cette référence par le biais du disque « Indian Blues » de Donald Harrison dont la genèse constitue la trame même du scénario de David Simon et consorts. De même, il parait curieux de programmer les Galactic, un des plus grands groupes de funk de NOLA, sans ajouter à cette liste musicale les morceaux que ce groupe a partagés avec Big Chief Monk Boudreaux et Big Chief Juan Pardo.
Esprit de l’âme, costume de Big Chief Alfred Doucette. Photo © Stéphane Colin
On gardera malgré tout des images positives de cette exposition. La qualité des costumes et leur mise en scène est particulièrement émouvante. Elles donnent corps et presque mouvement à cette grande pièce qui devient dès lors un haut lieu de tradition à même de transposer le Super Sunday ou la Saint Joseph en bord de Seine. Les plumes de Big Chief Alfred Doucette et Big Chief Fi Yi Yi flottent au dessus de la Tour Eiffel pour célébrer un succès public corroboré par la forte affluence aux concerts de Sunpie Barnes, de Cedric Watson, des 79er Gang et des Galactic. Ces derniers, amenés par le batteur Stanton Moore, ont emporté l’adhésion lors d’un concert sold out et ce malgré le déficit de sono sur la voix d’Angelina Joseph, déficit heureusement rattrapé par la restitution de l’intégralité du concert sur le site du musée.


Par Stéphane Colin

 

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