R.I.P Dr John

Dr John, Samois sur Seine, 30 juin 2012. Photo © Marcel Bénédit

Un Docteur de l’autre côté du cercueil

• Une note impromptue décalée. 23 juin 2019, l’Orpheum Theater de New Orleans plein comme un œuf pour le dernier hommage de NOLA à son grand homme…

Le décorum habituel des grands enterrements traditionnels de la ville. Le corbillard tiré par les chevaux attend devant l’entrée du théâtre au milieu d’une foule épaisse et bigarrée. Les vieux Baby Doll de carnaval ont une mine de mercredi de cendres.
L’impeccable fanfare joue un Just à Closer Walk With Thee poignant. « Funeral for a friend », le disque du Dirty Dozen Brass Band, pourrait servir de B.O. à la sale journée. On enterre Dr John et avec lui, tout un monde. Spencer Borhren, l’ami du Tipitina des années 70, décédé deux jours avant, Lil Buck Sinegal, guitariste superlatif de Clifton Chenier dans la foulée, tout comme Dave Bartholomew… Certes, l’homme de Fats Domino était centenaire, mais pour les autres, on se sent inconsolable, désemparé, incapable de se faire une raison. 

Dr John, No Jazz & Heritage Festival, mai 1993. Photo © Marcel Bénédit


Dans un élan incontrôlé, Glen David Andrews se met à chanter de cette voix de rocaille qui lui ouvre toutes les portes de la ville. Quelques jours avant, du côté d’Esplanade Avenue, c’était son cousin, le trompettiste James Andrews, frère de Trombone Shorty, qui avait lancé la première Second Line-hommage au “Good Doctor”. Un moment foutraque, gorgé d’émotion. Ici, un Andrews en cache souvent un autre. Ils sont une bonne vingtaine de la famille actuellement musiciens professionnels dans la Cité du Croissant… On se console comme on peut ; le son de la ville loin d’être mort, une relève continuelle, un foisonnement musical permanent… Tout cela est vrai, mais ce jour particulier marque indéniablement la fin d’une époque. 

Dr John, conférence de presse, Cognac Blues Passions, juillet 2000. Photo © Marcel Bénédit


Cela faisait longtemps qu’on jouait les prolongations, mais cette mort entourée signe un point d’orgue. On ne reverra plus jamais Malcolm MacRebenack exercer ce déhanché de Second Line qu’il ne manquait jamais de mettre en pratique à chaque arrivée sur scène. On ne l’entendra plus chanter Rain, ce morceau extrait de « City Lights » qu’il avait repris il y a quelques mois dans une de ces dernières apparitions solo. 

Dr John (avec Jon Cleary), Samois sur Seine, 30 juin 2012. Photo © Marcel Bénédit


Au delà de sa propre personne, c’est tout le RaB des années 50 60 qui s’en va. Le studio de Cosimo Matassa, ces moments de All For One du label AFO monté par des musiciens noirs où le Docteur était un des rares visages pâles à avoir ses entrées… La ville a toujours su cultiver une nostalgie issue du crépis décati des murs abandonnés, mais la page se tourne inexorablement. 

Dr John et Jon Cleary, Samois sur Seine, 30 juin 2012. Photo © Marcel Bénédit

À l’intérieur du théâtre, Davell, le petit fils de Sugar Boy Crawford, entonne un Such a Night repris al dente par l’orchestre de feu Allen Toussaint. À l’extérieur, les Mardi Gras Indians défilent au son de Iko Iko. Les plumes des costumes suintent le groove, le transcendent comme au plus beau jour. Dans la foule, une vielle black woman pleure.

Dr John, Samois sur Seine, 30 juin 2012. Photo © Marcel Bénédit

Curieusement, on pense à Mobile Bay, composition doctorante s’il en est, jamais rejouée depuis son enregistrement sur un vieux disque d’Hank Crawford. Le clavier de Dr John glisse sur le Mississippi avec la grâce d’un surfeur ayant trouvé le bon tube. Le son du clapotis est dans le piano, RIP Mac.


Par Stéphane Colin