Swamp Dogg

Swamp Dogg, Porretta Soul Festival, 21 juillet 2018. Photo © Marcel Bénédit

Génie iconoclaste et inclassable

• Quand on observe l’ampleur de sa carrière de chanteur/compositeur/producteur, interviewer Swamp Dogg (aka Jerry Williams) pourrait relever de la gageure, voire de mission impossible… Sa présence lors du Porretta Soul Festival en juillet 2018 était néanmoins le moment idéal pour se lancer dans cette aventure. Nous avons donc choisi – plutôt que tenter de décrypter une vie bien remplie… – de lui demander de commenter certains albums (personnels ou qu’il a produits) qui nous semblent soit emblématiques, soit anecdotiques, en lui présentant les pochettes une à une. Comme nombre d’interviews et notes avaient été produites par les médias au moment de la sortie en 2007 de l’incontournable CD « Resurrection » (SDEG 1955) au parental advisory explicit content…, notre choix s’est plutôt porté principalement sur des albums vinyles antérieurs à cette résurrection… Swamp Dogg s’est pris au jeu, nous livrant ses impressions spontanément, avec franchise et humour.

• Swamp Dogg – artiste :

I Got What It Takes – CBS 3267 (1967)
Nous avons débuté en voulant lever une interrogation : Est il le “Jerry” du duo Brooks & Jerry ? Sa réponse est instantanée et affirmative.

 

 

 

Total Destruction Of Your Mind – Canyon 7706 (1970)
« Je pense que musicalement et émotionnellement c’est le meilleur album que j’aie jamais réalisé. J’en ai certainement fait d’excellents après, mais pas aussi bons que celui-ci. Il est rempli de mon âme et de mon cœur. C’est « funk & soul » ! (NDRL : Les pochettes étant parsemées de citations plus fantaisistes les unes que les autres, comme : « Je pense qui si Swamp Dogg veut devenir visible aux yeux du public il devrait changer de nom pour Jerry Williams », signé Don Quichotte, la remarque lui est faite et sa réponse est immédiate). C’est un immense honneur que vous me faites en disant que j’ai un grand sens de l’humour ! »

Photo promotionnelle de Swamp Dogg, circa 70’s. Collection Gilles Pétard.

 

Rat On – Elektra 74089 (1971)
« Aussi loin que je le rappelle, je pense que c’est ma meilleure pochette d’album. Les critiques l’ont considérée comme étant l’une des dix pires pochettes jamais publiées ! C’est d’autant plus drôle que ce n’est pas arrivé qu’une seule fois, mais au moins dix… C’est mon photographe, Willis Hogan Jr, qui m’a proposé l’idée mais, avec le temps, je ne me souviens plus vraiment qui a fait quoi dans cette affaire. »

 

Gag A Maggot – Stone Dogg 3001 1973)
« C’était lors d’une « party ». Ce n’était pas une séance d’enregistrement mais ça à fini par en devenir une. Les gens venaient, entraient, sortaient et jouaient un petit peu. Et, comme on peut le voir sur la pochette, il y avait le guitariste Little Beaver. C’est un super musicien (NDRL : il chante tout bas une partie de guitare). Il a accompagné Betty Wright sur Clean Up Woman. (NDRL : c’est la période où il a enregistré pour Henry Stone, magnat du label de Miami, TK Records. Son sourire en dit long et semble indiquer qu’il a trouvé plus malin que lui. Le mot « malin » étant un euphémisme !). Henry Stone, il ne payait pas bien, mais il donnait toujours quelque chose qui vous faisait sourire, néanmoins pas au point de vous faire rire. Il était toujours comme ça lorsqu’on réclamait : « Je t’en ai donné un peu et c’est bien comme ça. » Il était comme ça avec tout le monde, y compris Betty Wright, KC (NDLR : Harry Wayne “KC” Casey), Latimore. »

Swamp Dogg, Chicago Blues Festival, juin 2004. Photo © Marcel Bénédit

Have You Heard This Story – Island 9299 (1974)
« C’est la continuité de « Rat On » en fait. C’est un disque qui évoque la conscience noire et qui s’adresse aux Blancs qui ne sont pas conscients de certains de nos problèmes… »

 

 

Greatest Hits ? – Stone Dogg 3302 (1976)
« C’est un disque à propos de la famille, c’est jovial. C’est un sacré bon album et ça le reste encore aujourd’hui. »

Swamp Dogg, Porretta soul Festival, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

You Ain’t Never Too Old To Boogie – DJM 20476 (1976)
« C’était sur DJM, avec son propriétaire Dick James, un type complètement fou que je n’ai jamais rencontré. Cet album a été oublié. Il aurait pu être un grand succès, mais Dick a pris mon titre It’s A Bitch parce qu’il allait publier l’album de Johnny “Guitar” Watson « Ain’t That A Bitch ». J’ai dit que c’était mon titre, il m’a répondu que Johnny en avait besoin. Je n’ai plus jamais rien fait d’autre avec lui. »

 

Finally Caught Up With Myself – Musicor 2504 (1977)
« Je voulais faire quelque chose de différent. J’ai appelé le saxophoniste Oliver Sain pour faire un disque ayant le son de St Louis. J’y suis allé en janvier, je me rappelle qu’il faisait très froid. Nous sommes entrés en studio. Je jouais du piano, lui de tous les instruments sauf la batterie et la basse. Il a appelé des choristes (NDRL : Sweet Harmony) qui étaient horribles. Je n’en dirai pas plus car, en réécoutant l’album, cela semble convenir à l’esprit général. Mais le succès est venu plus tard, car Kid Rock a samplé Slow Slow Disco pour « I Got One For Ya’ » dont il a vendu dix-sept ou dix-huit millions d’exemplaires ! Ça aide à vivre… »

Swamp Dogg, Porretta soul Festival, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

Doing A Party Tonight – Vogue 574010 (1980)
« Ça, c’est encore une autre histoire… Ils l’ont sorti en France et je ne savais pas qu’il avait été publié. Ils n’ont pas demandé de photo, ils ont utilisé celle de la séance pour l’album « Culled, Collared And Tagged ». C’est un très bon album, smoove, classy ! »

 

 

I’m Not Selling Out / I’m Buying In ! – Takoma 7099 (1981)
« J’avais signé avec Chrysalis qui m’a transféré chez Takoma qui avait un petit budget et n’avait que deux ou trois artistes dont The Thunderbirds, avec le frère de Stevie Ray Vaughan. À l’origine, je voulais enregistrer un duo avec Etta James. J’ai aussi toujours voulu enregistrer avec Esther Philipps, car c’est une artiste qui me ressemble beaucoup vocalement. Je pouvais aller sur scène et chanter comme “Little Esther”. Mais c’était une amie qui ne faisait pas de cadeau et me demandait trop ! Alors, j’ai appelé l’avocat d’Esther et nous nous sommes mis d’accord sur un prix. Et puis, une nuit, lors d’une période de deux semaines, nous sommes entrés en studio et avons enregistré The Love We Got Ain’t Worth Two Dead Flies. C’était particulier pour elle qui était si « classe », qui n’était pas du genre à chanter et à taper du pied comme Etta James, mais plutôt à chanter les choses les plus adorables comme What A Difference A Day Makes. Elle a donné le meilleur d’elle-même et il nous a fallu deux jours pour mettre la chanson en boîte. Elle marchait à la cocaïne et à un alcool blanc qui devait être du Gin. Je ne sais pas combien je lui ai donné, 1500/2000 $, car je n’étais pas très fortuné à l’époque et je pense que tout y passait. C’est vrai que sur la pochette de l’album je mentionne que je souhaitais encore travailler avec elle. Mais c’était devenu impossible car elle s’enfonçait de plus en plus dans la drogue. Elle est morte jeune. Elle a pris un express alors que la plupart des gens prennent un régional et s’arrêtent à toutes les stations ! »

Swamp Dogg – ALA 1990 (1982)
« J’avais besoin d’argent ! »

Swamp Dogg, Porretta soul Festival, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

• Swamp Dogg – producteur :

Freddy North : Friend – Mankind 204 (1971)
« Un des meilleurs albums que j’aie produits avec un artiste qui n’était pas un familier. Mais ça a été pour moi une grande désillusion, car je ne savais pas qu’il était paniqué par le fait d’être sur scène. Le disque est devenu N°1 à New York et il a été programmé à l’Apollo. Il y est allé et, sur scène, il est soudain devenu tout rouge, rien ne sortait de sa bouche. Il s’est arrêté de chanter. J’étais dans la salle avec Gary US Bond et nous étions abasourdis. Ce genre d’expérience a mis brutalement fin à sa carrière. Il est ensuite devenu pasteur dans l’église où il chantait du gospel. Il était très « motivé » sexuellement, je me rappelle que lorsqu’il était dans les bureaux de Nashboro Records, il se tapait toutes les filles ! Un jour, il y en avait quatre et il s’est tapé les quatre ! Il a certainement ensuite eu beaucoup de choses à confesser… »

Charlie Whitehead : Charlie Whitehead – Fungus 25145 (1973)
« Charlie est mort il y a trois mois. C’était mon meilleur ami. Il y a des gens qui me disaient les pires choses sur lui, par exemple qu’il battait sa femme sans arrêt, mais je ne pouvais le croire car je ne l’ai jamais vu agir de la sorte. Je lui avais proposé, peu avant son décès, de venir en Californie pour enregistrer un nouvel album. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas car il devait faire une dialyse quotidienne et que, pour enregistrer, il faudrait que je vienne à New York. Financièrement, le coût était trop élevé car il fallait payer le voyage, louer un studio, faire le mixage sur place, etc. J’aurais pourtant tellement souhaité en avoir les moyens… »

Affiche du Porretta soul Festival 2011 (courtes of Swamp Dogg & Graziano Uliani).

Irma Thomas : In Between Tears – Fungus 25150 (1973)
« C’est un très grand album. Je l’ai rencontrée il y a une quinzaine d’années et elle m’a dit : « Qu’est-ce que tu viens foutre ici ? ». Je n’ai pas compris son attitude et je lui ai juste dit que j’adorais ce qu’elle avait enregistré. (NDRL : nous lui indiquons qu’Irma Thomas avait déclaré à Cognac que c’était un de ses albums préférés). C’est ce que j’ai entendu dire ! Il faut que j’aie quelque chose à offrir aux artistes pour pouvoir les enregistrer. J’aimerais travailler de nouveau avec elle. »

 

Wolfmoon : Wolfmoon – Fungus 25149 (1973)
« What a piece of shit ! Je veux dire, le type, de son vrai nom Tyrone Thomas, pas l’album… »

De gauche à droite : Swamp Dogg, Chick Roegers et Harvey Scales. Porretta Soul Festival, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

Solomon Burke : Solomon Burke – Charly 1024 (1981)
« C’est certainement le plus grand artiste avec qui je suis allé en studio. Nous avions chacun notre caractère. C’était comme si nous étions sur un bateau ; il voulait qu’il aille dans un sens et moi dans un autre. Si bien que le bateau n’allait nulle part ! C’est néanmoins un album fantastique. (NDRL : nous lui rappelons qu’il a déclaré en 2011 sur la scène de Porretta que sa relation avec Solomon Burke était faite de passion, de haine et de respect). C’est vrai, à chaque fois que je l’entends chanter, j’ai envie de pleurer. Il n’y a que trois chanteurs qui me font cet effet : lui, Al Green et… je ne me souviens plus du troisième ! (NDRL : on suggère Johnny Adams). Ah non, pas lui. J’ai toujours considéré qu’il était surestimé ! Ah, oui, le troisième c’est Bobby McClure, les larmes me montent aux yeux lorsque je l’entends. Il a eu tellement de succès au Japon avec son putain de premier album « The Cherry » que les Japonais lui ont donné 25.000 $ pour venir chanter deux jours. »

Ted & Venus : Ost – Warlock 2734 (1981)
J’ai été sollicité en 1992 pour réaliser la musique d’un film, « Ted & Venus ». J’y ai mis certains de mes anciens titres ainsi que quelques-uns de Ruby Andrews, de Charlie Whitehead et de Michele Williams. C’était le premier film d’un jeune metteur en scène, Burd Cord (NDLR : Harold dans le film d’Hal Ashby, « Harold & Maude »). Je me méfie de ces jeunes qui croient tout savoir et qui « rendent la merde glamour ! ». Et c’est ce que c’est devenu. À la première, Yvonne et moi étions assis au premier rang et je luttais pour ne pas m’endormir, car je ronfle pas mal !

De gauche à droite sur le devant de la scène : Spencer Wiggins, Percy Wiggins, William Bell, Toni Green, Swamp Dogg, Harvey Scales, Chick Rodgers. Final du Porretta Soul Festival 2011, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

Swamp Dogg/Michele Williams : Dancing With Soul – Rare Bullet 1 (1983)
Michele Williams : Make Me Yours – Rams Horn 5101 1985)
(NDRL : Il y a sur la première face une reprise de Some Kind Of Wonderful. John Ellison, son auteur – également présent à Porretta en juillet 2018 – nous a déclaré ne pas connaître cette version mais en avoir touché les royalties !)
« J’ai fait signer un contrat à ma fille Michele avec DJM Records où elle a été traitée comme une reine. Elle a connu le succès avec son LP « Give Me Back My Love » et plus particulièrement le single Now. Concernant cet album, il est vrai qu’il y a plusieurs titres qui se recoupent, mais ce ne sont pas les mêmes versions. »

Tony Mathews : Alien In My Own House – Ichiban/Sonet 1028 (1989)
« C’est un album avec de bonnes chansons et une bonne production. Tony m’adorait, au point qu’il a enregistré alors qu’il n’avait même pas signé son contrat. L’album terminé, il a refusé de le signer prétextant qu’il devait le montrer à son avocat et il me demanda de l’argent. Ma femme Yvonne m’a toujours dit : « Aussi enthousiastes qu’ils soient, ne donne jamais un centime d’avance aux artistes tant que tu n’as pas un contrat signé. » Il a été se plaindre auprès du patron d’Ichiban, John Abbey, qui est « The dirtiest motherfucker in the world ! » (NDLR : je préfère laisser l’expression littérale en anglais…). Puisque j’avais produit l’album, j’ai fait quelque chose qu’on peut considérer comme stupide : j’ai décidé de le mettre sur une étagère. Finalement, j’ai appelé John et nous avons trouvé un accord… »

Swamp Dogg, Porretta Soul Festival, juillet 2011. Photo © Marcel Bénédit

Cet entretien se termine en évoquant son prochain album à paraître en septembre 2018 :
Love, Loss And Auto-Tune.
« Lorsque j’écoute la radio, j’ai l’impression de toujours entendre la même chose. Alors, j’ai fait pareil ! La pochette de l’album me montre au bord d’une piscine vide. C’est un peu comme avoir une Cadillac et pas d’essence ! Pour la remplir, il a fallu deux jours. J’ai organisé une soirée pour la sortie de l’album et chaque invité devait apporter de l’eau, au minimum un galon ! »

 


Par Jean-Claude Morlot
(propos recueillis le 21 juillet 2018 à Porretta Terme, Italie)

Remerciements à Graziano Uliani, Anne de Colbert, John Ellison, Gilles Pétard et pour leur complicité à Jean-Luc Vabres et Marcel Bénédit