The Excitements & Penniman Records

The Excitements, Bime festival, 2013, Bilbao. Photo © Dena Flows

• On ne dira pas que c’est un secret bien gardé mais sait-on bien chez nous que depuis le début des années 2000 et surtout depuis 2010, Barcelone en Catalogne est un centre actif du R&B, de la Soul et du Funk, avec des musiciens du crû mais aussi des artistes black ! La preuve en est une anthologie parue en 2012 sous label Discmedi intitulée « Blackcelona – Soul & Funk From The City Of Barcelona » avec The Excitements, The Slingshots, The Black Beltones, Betty Belle, Sweet Vertigo et d’autres encore. C’est aussi Barcelone qui est le siège de Penniman Records dirigé par le guitariste et compositeur Enric Bosser. C’est une compagnie spécialisée dans la réédition des musiques des années 60 et suivantes (Rock’n’Roll, R&B, Soul, Rap…). Depuis plusieurs décennies, un des meilleurs amis de Enric Bosser est Adria Gual, un guitariste partageant ses goûts musicaux. Vers 2010, il a formé un trio avec deux autres amis proches, le bassiste Daniel Segura et le sax-baryton Nicolas Rodriguez-Jauregui pour former le noyau d’un orchestre, recrutant un guitariste soliste (Albert “Greenlight” Cariteu), un batteur (José Luis Garrido) et un sax-alto (aujourd’hui Jordi Blanch), c’est ainsi que naquit le groupe The Excitements, chantres du R&B et de la soul des sixties, style Memphis… Il leur manquait un ou une vocaliste. Ils l’ont trouvée grâce à une annonce sur Internet et, après une audition couronnée de succès, Koko Jean Davis s’est jointe aux Excitements. Enric Bosser a flashé sur le groupe et, rompant avec ses habitudes de réédition, il a gravé une série de singles avec The Excitements puis un premier album qui est sorti sous ce titre éponyme en 2011. Un second album a suivi en 2013 (« Sometimes Too Much Ain’t Not Enough ») et le troisième en 2015 (« Breaking The Rule »), en prélude à la tournée européenne 2016-2017. Ils étaient en concert à Liège, en la salle Reflektor, le 9 février 2017. Ils ont accepté de bonne grâce de se raconter.

Adria Gual et Daniel Segura

« Pendant pas mal d’année, on a exercé un paquet de jobs tout en travaillant en semi-pros dans des bands différents, dans un registre R&B plus proche du Rock ‘n Roll des années 50, mais, depuis fin 2009, Nico, Dani et moi avons fondé The Excitements avec des musiciens qui jouaient dans des orchestres du même style et que notre projet emballait, comme Albert et José Luis. Jordi, lui, est arrivé un peu plus tard pour remplacer un sax ténor qui devait nous quitter pour raisons médicales. Puis on a vu une annonce sur Internet : une chanteuse cherchait un groupe comme le nôtre pour l’accompagner. Elle a fait une audition et elle était exactement ce qu’il nous fallait. J’ai repris contact avec un des amis de 30 ans, Enric Bosser, de Penniman Records, on a fait une démo et Enric nous a dit OK pour faire un single qui a bien marché, puis un deuxième et un troisième qui nous ont conduit à pas mal de gigs dans toute l’Europe, sauf en Espagne ! Nul n’est prophète en son pays… Et en 2011 on a enregistré un premier album qui nous a permis, enfin, de décrocher encore beaucoup de gigs en Europe et, enfin, en Espagne aussi. On a commencé modestement, mais maintenant nous faisons des tournées d’une centaine de concerts par an. Depuis janvier 2017, en deux mois, on en est déjà à 30 concerts… Donc on ira facilement jusque cent concerts et sans doute plus. Aujourd’hui, en tout cas, on est dans la musique à plein temps et c’est ainsi qu’on gagne notre vie. On devait se trouver un nom, on en a essayé plusieurs, puis j’ai voulu rendre hommage à un de mes chanteurs favoris, Jackie Wilson, surnommé Mr. Excitement et tous ont été d’accord pour choisir ce nom. Bien sûr, il y a des concerts où le contact avec le public est au top, d’autres où c’est plus difficile. Par exemple quand on joue dans une salle où les spectateurs sont assis, c’est bien meilleur quand ils sont debout comme ici ce soir, le show a été fantastique, on s’est éclaté, comme le public et c’est très important d’avoir du plaisir et de la partager car voyager comme on le fait et être loin de nos familles pendant des mois, c’est très dur, alors des concerts comme celui de ce soir, cela compense et nous booste. Cette année la tournée de premier semestre se terminera en Écosse, à Aberdeen. »

Enric Bosser et Penniman Records

« Penniman Records est né en 1998. Avant cela, j’avais vendu des disques par le biais d’une compagnie de vente par correspondance appelée Out Crowd Records, dans la deuxième moitié des années 90. J’avais des associés. J’ai rompu avec eux et j’ai décidé de voler de mes propres ailes. L’idée était de distribuer des albums de R’n’R produits par toute une série de labels indépendants, surtout sous format vinyl, parcequ’à l’époque ce support était en train de disparaître… Cela a changé de nos jours. C’est marrant ces cycles récurrents dans la mode, dans les goûts et dans la musique. Ensuite, j’ai rencontré deux groupes américains qui faisaient une tournée en Espagne à l’époque : Mach Five et The Zeros. On est devenu très copains, ils m’ont dit qu’ils avaient des enregistrements inédits et je leur ai fait l’offre d’en publier une partie sur 45 tours, ce qu’ils ont accepté avec enthousiasme. Juste après, j’ai commencé à rééditer des disques rares, super cool et très recherchés – toujours en contactant les musiciens concernés pour avoir leur accord et payer les droits – et comme cela a bien marché je me suis focalisé sur la réédition (NDLR : voir le site web pour les détails et le catalogue). Je ne cherchais pas exactement à « fonder » une compagnie, mais c’est quand même ce qui est arrivé. Je suppose que le but principal était d’en faire un gagne-pain, mais ce fut un échec total de ce point de vue… C’est juste un hobby passionnant et, pour le reste, je travaille comme employé dans une société, mais depuis 2010 j’ai commencé à enregistrer des groupes contemporains en studio. »

Enric Bosser, Penniman Headquarters. Photo © Foll

• Penniman Records ?
« Oui bien sûr, j’ai appelé ma compagnie Penniman en hommage à Little Richard qui est, avec Bo Diddley, ma plus grande idole. J’aime tout ce qu’il a fait, du début des années 50 au milieu des années années 70. J’ai d’ailleurs réédité ses enregistrements pré-Specialty sur vinyl et j’ai aussi publié sa stupéfiante biographie en Espagnol. Dans Penniman records, je n’ai pas d’associé, c’est juste moi ; toutefois il y a deux “n° 2” qui me secondent : Mike Mariconda – qui est le producteur de toutes les séances en studio et qui m’aide beaucoup dans mon programme de rééditions, nettoyage des disques originaux et remastering, etc – et puis il y a Jordi Duro qui prend en charge tout ce qui est design et logos. Ce sont tous deux d’excellents amis, et de longue date, leurs goûts musicaux sont remarquables et ils ont beaucoup de talent. D’ailleurs, ils ont eux-mêmes produit quelques compilations qui sont au catalogue. »

• Mike Mariconda
« Mike, je l’ai rencontré dans un bar, bien sûr. Je jouais avec mon band à Bilbao il y a une douzaine d’années je pense, il était là aussi en tournée avec The Rauch Hands. On a parlé et on a sympathisé. Je connaissais son orchestre et sa réputation comme producteur. Il doit avoir produit quelque chose comme 500 albums, plus peut-être, lui-même ne se souvient pas du nombre exact ! Et il connaissait Penniman via quelques-unes des rééditions. On avait pas mal de points en commun, musicalement parlant, on s’est revu, on a beaucoup parlé, et quelques années plus tard on a commencé à travailler ensemble et cela continue encore aujourd’hui. »

• Le catalogue ?
« En fait, j’essaie d’offrir une sélection des disques que je voudrais moi-même acheter. Évidemment, c’est une sélection très humble et limitée car le financement lui aussi est limité et, de nos jours, il y a un paquet de compagnies qui se spécialisent aussi dans les rééditions à outrance avec plusieurs albums chaque semaine, la compétition est féroce. Je me cantonne quant à moi à ce que j’achèterais, des disques qui me semblent valoir la peine d’être acquis. »

• Votre background avant Penniman Records ?
« Quand j’étais ado, j’avais de merveilleux voisins qui écoutaient Sonny Terry & Brownie Mcghee, Muddy Waters, mais aussi Sam Cooke et les Coasters. Ils nous invitaient chez eux, mon frère aîné et moi, et on a passé des millions d’heures à écouter ces disques et cela a duré des années. En outre, mon frère avait plein d’amis qui étaient des collectionneurs acharnés et on allait chez eux aussi pour faire la même chose, écouter des disques. Plus tard, j’ai commencé par jouer dans des groupes garage vers la fin des années 80 puis, pendant une vingtaine d’années (1993-2013), j’ai été le guitariste des Meows, un groupe de R&B qui a eu sa petite heure de gloire pendant les années 90. On a enregistré quatre albums et une demi-douzaine de singles. J’ai aussi été dee-jay dans des clubs et j’ai écrit des articles dans quelques magazines quand j’étais plus jeune, mais tout cela c’est terminé parce que cela ne m’attire plus autant et, surtout, je n’ai plus le temps, mon boulot « alimentaire » et Penniman Records m’occupent à 200 %. »

• The Excitements
« C’est aussi dans un bar que j’ai rencontré Adria Gual, vers 1990, et on est devenu amis. Il a été impliqué dans des quantités de projets musicaux durant toutes ces années jusqu’à ce qu’il décide de monter son propre groupe de R&B et de soul , The Excitements, et de s’y mettre à fond, sérieusement. C’était à la fin de 2010 – début 2011 je pense qu’ils ont commencé à tourner et à enregistrer pour Penniman Records. Tout cela n’était pas improvisé, on savait les uns et les autres ce qu’on faisait. Je n’ai pas eu à découvrir ce band et eux n’ont pas dû chercher une compagnie pour les enregistrer, cela allait de soi que l’on travaille ensemble. Et c’est comme cela que tout a démarré en 2011. Koko Jean était arrivée à Barcelone quelques mois auparavant. Elle venait de Rio de Janeiro où elle avait vécu quelques mois après un séjour aux USA et c’est suite à une annonce sur Internet qu’elle avait rejoint les Excitements. On a d’abord enregistré quelques 45 tours – trois en fait – dont les faces A sont reprises sur les albums ultérieurs, mais les faces B sont exclusives, comme I’ll Be Waiting composée par Koko Jean et moi-même, Give It Back composée par Adria, et I’m Gonne Make You Eat Those Words écrite par Eddie Lang. À la suite du gros impact des singles, le band a commencé une première tournée européenne très riche en concerts, mais la nécessité d’un album complet s’est faite sentir et, comme ils n’avaient plus de titres originaux, ce premier album a été un album de reprises. C’est bien sûr Mike Mariconda qui fut le producteur/arrangeur et Marc Terra était l’ingénieur son, ses avis étaient pertinents et bienvenus et il a contribué aussi à certains arrangements. Pour les albums suivants, « Sometimes Too Much Ain’t Enough » (2013) et « Breaking The Rule » (2015), il n’y a que quelques reprises et les autres morceaux sont des originaux. J’en ai écrit un paquet seul (I Believe You, Sometimes Too Much Ain’t Enough, Ha Ha Ha, Don’t You Dare Tell Her, The Mojo Train, Wild Dog, Take It Back et I Want More) ou avec Koko Jean (Breaking The Rue, Hold On Together). En général j’écris la musique, j’enregistre une démo et l’envoie à Koko Jean qui écrit les paroles. On collabore super bien et cela porte ses fruits, en effet. Koko Jean a composé seule Did I Let You Down et Keep Ypur Hands Off. Adria Gual a écrit lui aussi un tas de morceaux comme Everything Is Better Since You’ve Been Gone, Four Loves, That’s What You Got, I’ve Bet And I’ve Lost Again et The Hammer. On est très content de la façon dont cela évolue et on espère que cela continuera encore longtemps. »

Koko Jean Davis, Liège, salle Reflektor, 9 février 2017. Photo © Robert Sacré

Koko Jean Davis

• De l’orphelinat à l’Université
« Tu veux tout savoir sur moi ? OK, allons-y. Je suis née en 1984 à Maputo au Mozambique. J’avais perdu mes parents biologiques et j’étais en orphelinat mais, à quatre ans, j’ai été adoptée par une famille de Catalans. Ma mère adoptive était médecin et très connue dans tout le pays. Elle a contribué à développer plusieurs hôpitaux au Mozambique, surtout pour les gens pauvres et démunis, là-bas on la surnommait “l’Ange du Mozambique” car elle se dévouait sans compter pour les malades sans ressources et désespérés. Moi, j’ai eu une enfance très heureuse. Mes parents étaient très aisés, on ne manquait de rien et il y avait beaucoup d’amour entre nous. Ma mère pratiquait couramment la méditation transcendantale et elle m’y a initié quand j’ai eu onze ans. Je pratique encore de nos jours, tous les jours et cela me donne de la force, de la sérénité et du tonus quand je suis triste, déçue ou déprimée. Ça m’arrive, comme à tout le monde, bien sûr. J’ai fait de très bonnes études secondaires à Maputo dans une école privée sous régime anglais. Très jeune, je parlais le Portugais à l’orphelinat puis le Catalan avec mes parents (plus tard l’Espagnol) et au collège j’ai appris l’Anglais couramment et j’ai aussi acquis de solides notions de Français. À 18 ans, après le secondaire, il allait de soi que je continue à l’Université et mes parents m’ont laissé le choix. J’étais passionnée par la littérature, la communication et le journalisme… J’avais pris un tas d’infos sur Internet et j’ai choisi la Maharish University of Management à Fairfield dans l’Iowa parce que l’on y pratiquait justement ce que je recherchais et, en prime, la méditation transcendantale… Ça tombait super bien car elle offrait aussi des formations sur la prise de conscience et sur le développement personnel et spirituel. Tiens-toi bien, je voulais devenir journaliste de guerre… Oui ! Ça t’épate, hein ? J’ai fait Anglais et Littérature (en major) et communication et méditation transcendantale (en minore)… Je suis allée de Shakespeare à James Brown. J’aimais la poésie, j’aimais écrire et lire, j’aimais le management, le journalisme et les sciences politiques… Je me suis vraiment éclatée à Fairfield, Iowa, c’est une petite ville de dix mille habitants avec des étudiants venus du monde entier pour étudier dans cette Université internationale et privée… et coûteuse, mais mes parents avaient décidé de me laisser le champ libre et ils avaient les moyens. Je suis restée sept ans en tout à Fairfield, car après avoir obtenu mes diplômes en 2007 je suis encore restée presque deux années, j’ai travaillé comme pigiste dans les media locaux, je gagnais bien ma vie. Je faisais des économies et puis j’ai trouvé un petit ami brésilien et, quand il est rentré à Rio de Janeiro, je l’ai suivi. À cette époque, j’étais de plus en plus intéressée par la musique, surtout la soul music que j’écoutais avidement à la radio et à la TV. Avant de partir aux USA, je baignais déjà dans la musique car ma mère en écoutait tout le temps et ses goûts étaient éclectiques, Mahalia Jackson, Ray Charles, les Realets, Marvin Gaye, mais aussi Charles Aznavour, Jacques Brel, la musique de La Belle Époque, etc. Grâce à ma formation, je rédigeais facilement des textes en Anglais, j’aimais l’écriture et j’ai même commencé à écrire des textes de chansons soul devenue ma passion avec Al Green, Marvin Gaye, Aretha Franklin, Wilson Picket, Otis Redding… »

• Barcelona : « Here I come ! »
« Au Brésil, je n’ai pas trouvé de travail. La bureaucratie y est d’une lourdeur exaspérante. Je parlais Portugais, mais c’est très difficile de s’intégrer dans le système. Je vivais sur mes économies et je tournais en rond, j’étais toujours amoureuse de mon copain mais je voulais faire quelques chose de ma vie, avoir ma vie à moi, réaliser mes rêves. Après quelques mois, en 2010, je suis rentrée en Espagne, à Barcelone, où mes parents étaient revenus s’installer. J’avais l’intention de rester quatre mois chez eux puis de retourner au Brésil, mais c’était si bon de se retrouver en famille ! J’ai des cousins, deux petites sœurs de dix et huit ans et un grand frère qui est drummer. Bref, j’ai dit “Bye Bye Brazil” ! C’est la musique qui était devenue ma passion à ce moment-là. J’avais peu d’expérience, mais j’avais déjà chanté, en amateur, dans quelques groupes dans ma high school à Maputo déjà, puis à l’Université. J’avais commencé la danse aussi, mais j’avais encore tout à apprendre sur ce métier. J’ai mis une annonce sur un site spécialisé d’Internet, j’ai écrit “chanteuse soul cherche orchestre pour l’accompagner”. Et j’ai reçu une réponse de Adria Gual et Dani Segura qui voulaient m’auditionner. Cela s’est très bien passé. On était sur la même longueur d’onde, on avait les mêmes goûts. On a beaucoup répété, on a mis tout un répertoire soul au point et on a fait beaucoup de scène, le succès a été au rendez-vous. Il nous manquait une carte de visite, un disque, et là, c’est Enric Bosser, un vieil ami de Adria qui nous a mis le pied à l’étrier, il dirigeait une compagnie de disques, Penniman Records, et il a gravé successivement quelques singles qui nous ont permis de décrocher des gigs en France d’abord puis en Italie, en Suisse, en Belgique, en U.K., puis en Finlande. Pas en Espagne à nos débuts, il a fallu plus ou moins trois ans avant d’être reconnus dans notre pays ! Mais maintenant c’est OK en Espagne aussi, on est appelé partout, dans des clubs et dans des festivals à Barcelone, Benidorm, Girona, Soria, Leon… Puis on a gravé notre premier album en 2011 et là on a été lancés, d’autant plus qu’alors le groupe était devenu une entité très soudée. Très vite, chacun a su ce que les partenaires allaient faire. Maintenant, tout est parfaitement au point. Au début, mes parents étaient dubitatifs, ils me disaient que mes études ne conduisaient pas vraiment à une carrière de chanteuse mais, comme c’était la règle à la maison, ils le disaient sans critiquer, avec beaucoup de tolérance et sans m’interdire quoi que ce soit. Pour moi aussi c’était une surprise, pas une erreur mais une surprise. Je n’avais jamais voulu être chanteuse – comme je t’ai dit – je voulais être journaliste car je m’intéresse à tout ce qui est politique et social, aux changements de la société, au sort des populations défavorisées, car moi et mes parents nous étions des privilégiés mais j’ai vécu 18 ans dans un pays très pauvre, le Mozambique et ma mère avait consacré toute sa vie à soulager autant que possible cette misère. Elle s’était donnée une mission ambitieuse, celle de sauver le monde, sa devise était “On est sur terre pour servir. Pense aux autres avant de penser à toi-même”, et elle en était un exemple vivant. Elle m’incitait à être vraie avec moi-même. Elle était un modèle pour moi, c’est grâce à elle que je suis qui je suis. Elle m’a fait découvrir ma mission : donner du bon temps aux gens via la musique, mon aptitude à chanter était un don du ciel que je devais utiliser. Je n’ai jamais suivi de cours de chant ni de danse, c’est un don naturel mais j’ai mis longtemps à accepter que la musique puisse soulager la douleur et sauver, faire que les gens se sentent bien et guéris. Pendant un bon bout de temps, je me disais : “Oh non, je ne vais quand même pas devenir chanteuse et en faire une profession, non, pas moi !”. Puis j’ai réalisé ce que peut apporter la musique, et tout cela a pris un sens quand j’ai rencontré les Excitements. J’ai aimé leur sérieux, leur professionnalisme et j’ai accepté d’envisager cette carrière avec eux, renvoyant toutes mes hésitations à la poubelle. Tu sais, c’est comme en amour, tu rencontres des mecs qui te plaisent et il faut choisir le bon, ce n’est pas facile, il y a risque d’erreur et il faut savoir dire oui… ou dire non ! Avec les Excitements j’ai dit oui et j’ai fait le bon choix. Six ans plus tard, on est là et bien là et j’adore mon job. Il y a deux ans, ma mère est décédée, j’étais en Belgique au Roots & Roses Festival à Lessines et je suis rentrée à Barcelone par le premier avion et la tournée a dû s’arrêter. C’était dommage pour les Excitements mais ils ont bien compris ma détresse. J’étais effondrée, affreusement triste et aujourd’hui encore, je souffre, ma mère me manque, c’est dans ces moments-là que ma formation en méditation transcendantale me permet de ne pas sombrer et de retrouver de la sérénité. Oui, j’en fais tous les jours, quand j’en ai le temps, chez moi et en tournée, dans le van, à l’hôtel, backstage quand j’ai au moins dix minutes à moi. »

Koko Jean Davis & The Excitements. Photo © Sergio Martin

« Ce n’est pas un show que vous allez voir, c’est une expérience que vous allez vivre ! »
« Tu l’as vu, j’adore bouger et danser en mini-jupe sexy comme Tina Turner qui est un de mes modèles avec Sharon Jones, Sharon était une “Godmother” pour moi. Sharon et les Daptones ont débuté à Barcelone. Ils n’étaient pas riches au début et on chantait dans les mêmes endroits, on était dans les mêmes hôtels. Elle m’avait pris sous son aile, on a passé des moments merveilleux ensemble puis ils sont devenus célèbres, enchaînant les tournées internationales mais on est restées en contact. On se téléphonait tous les jours et sa mort a été un nouveau déchirement pour moi, ma mère puis Sharon, c’était trop ! J’ai beaucoup pleuré et cela me fait encore mal. Mais la vie continue, il faut faire avec. Les concerts sont importants car je me donne à fond. Si je pleure, c’est du réel, je pleure, je ne fais pas semblant, je regarde des gens dans les yeux, mes émotions ne sont pas simulées et ce n’est pas une question d’argent ou de renommée, c’est la question d’aimer ce qu’on fait et les échanges avec le public. Communiquer en vrai avec le public est essentiel. C’est aussi l’art de bien se tenir en scène, de s’habiller pour le public et d’en faire un acteur, un complice. Je suis là pour m’assurer que tout le monde est heureux. Ce n’est pas moi qui compte, c’est eux, chacun d’entre eux, et ils me donnent l’énergie dont j’ai besoin pour bouger, chanter et danser et je leur donne de l’énergie en retour. J’essaie en tout cas, et tous les musiciens sont derrière moi, discrets mais en phase. Ils sont géniaux. Ils sont super bons dans ce qu’il font, ils ont du talent et j’essaie d’être à la hauteur. Au début, on a discuté pour mettre les choses au point, ils m’ont dit ce dont ils avaient besoin et je leur ai dit qu’il l’aurait, et même deux fois plus, et ils me le rendent bien. »

• Les hauts et les bas de la vie
« Tu sais, j’ai composé des morceaux sur nos singles et nos albums, et la plupart du temps je raconte des événements qui me sont réellement arrivés. Parfois, ils sont écrits en collaboration avec Enric Bosser ou Adria Gual. Mes ruptures amoureuses par exemple. Si tu écoutes Did I Let You Down (When You Caught Me Fooling Around), c’est l’histoire du gars avec qui j’étais en couple depuis six ans et avec qui j’avais rompu, enfin c’est lui qui avait rompu ! Je l’aimais toujours mais bon, c’était trop difficile de vivre ensemble et j’avais commencé à sortir avec d’autres boyfriends et, un soir, je me promenais à Barcelone avec mon nouveau copain quand mon ex- nous a croisés en motocyclette. Il avait l’air abasourdi et vexé de me voir en galante compagnie, mais ce n’est pas moi qui l’avait laissé tomber, et j’ai écrit ce morceau ! Il y a d’autres morceaux tranches-de-vie comme I Don’t Love You No More, I Want To Be Loved, If It Wasn’t For The Pride, Never Gonna Let You Go, Sometimes Too Much Ain’t Enough, Everything Is Better Since You’ve Gone, etc. J’en ai d’ailleurs chanté deux ce soir. Par contre, Ah Ah Ah a été composé en hommage à Ike et Tine Turner, c’est un hommage aux femmes qui ont souffert mais qui restent quand même aux côtés de leurs mecs, comme Tina a fait malgré tout ce que Ike lui a fait subir. Je suis comme cela moi aussi et ma mère était aussi comme cela, elle a été abusée par mon père qui avait un problème d’alcool, mais elle n’a jamais voulu divorcer je lui avais dit : “Mais, Maman, divorce, c’est un trou du c…” Mais elle a dit : “Non ! Quand je l’ai épousé j’ai promis que ce serait jusqu’à ce que la mort nous sépare… Je l’ai promis à Dieu et à moi-même, je ne le veux plus, je m’en désintéresse, mais j’ai promis”. Et elle a continué à le soutenir moralement, de loin, elle lui a envoyé de l’argent et elle s’est assurée qu’il était OK. Je suis comme elle, si tu me fais du tort ou des misères, je ne vais pas te haïr, même si cela me fait mal, je te donnerai le meilleur de moi-même et, en général, tout le monde dans ma famille, mes cousins, sont comme cela aussi. »

• The Excitements en tournée
« En Espagne, notre groupe est celui qui tourne le plus dans toute l’Europe, aucun ensemble ne donne autant de concerts que nous et pourtant on n’a jamais gagné le moindre Award. C’est parce que nous refusons de collaborer avec l’industrie du spectacle, avec des grosses boîtes comme Sony, etc. On reste indépendants, on choisit nos promoteurs, nos producteurs, nos techniciens, parce que l’on veut garder le contrôle sur tout ce que nous faisons et ce que nous vendons. Avec les requins du show business, on devrait suivre leurs directives et on n’en veut pas, on s’en fout royalement, on est très bien comme on est, on a plein de travail et nos awards à nous, ce sont les applaudissements, les standing-ovations de notre public… Oui, on peut dire qu’on est très underground comme un punk band faisant de la soul music et on aime ce qu’on fait à la folie. On croit en ce qu’on aime et on essaie de le montrer sur scène et dans nos enregistrements. J’ai beaucoup apprécié cette interview, tu m’as mis à l’aise, en confiance et je t’ai livré pas mal de détails inédits sur moi, c’est la première fois que je m’exprime autant sur ma vie intime. Je ne suis pas une diva et nous ne sommes pas des superstars et on a bien besoin des médias, des magazines et de la radio pour nous faire connaître, nous permettre de vivre notre rêve car seuls on n’est rien. Notre public nous est fidèle et apprécie notre travail, c’est l’essentiel. Depuis 2014, on fait une centaine de concerts par an dans une quinzaine de pays et c’est toujours la grande foule, donc tout va bien. Yeah ! »

• Et l’Amérique ?
« Bien sûr, on aimerait faire une première tournée américaine – et d’autres ensuite – mais cela semble difficile car nous sommes sept et, avec notre accord, Adria ne veut pas entendre parler d’une tournée à cinq ou moins. On est tous d’accord, c’est tous les sept ou rien du tout. On a déjà été approchés pour faire cette tournée, mais cela bloque sur notre nombre. Je pense qu’on y arrivera un de ces jours, c’est dans l’air du temps, mais pour le moment ce n’est encore qu’un rêve, un de plus… »


Par Robert Sacré
Remerciements à Jean-Yves  Reumont et à Fabrice Lamproye (Le Reflektor, Liège) et à Enric Bosser de Penniman Records 

 

1 Comment

  1. Remarquable interview de Robert qui a su décontracter Koko Jean Davis après un concert mémorable au Réflektor de Liège, cette dernière c’est vraiment livrée à cœur ouvert. Bravo et merci !

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