Trombone Shorty

Trombone Shorty, Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Suprafunkrock à Jazz à Vienne !

• New Orleans a une identité et un esprit à nul autre pareils et les artistes qui en sont issu le pouvoir d’offrir des moments de musique inoubliables. Des concerts dont on se dit après : « J’y étais ! », tels le spectacle de Dr John en 1993 ou celui des Neville Brothers en 1998 au NO Jazz & Heritage Festival, ou encore celui de Glen David Andrews lors du French Quarter Festival de 2013. Des moments quasi indescriptibles tant l’émotion et la ferveur sont à leur comble. De ce point de vue, la Cité du Croissant a quelque chose de magique et de magnétique. Le 10 juillet 2022 fut à cette image. Cette fois-ci, c’était à Jazz à Vienne, lors d’une soirée consacrée à la Crescent City conclue par un concert de Troy “Trombone Shorty” Andrews dont Michel Audiard aurait pu dire que, ce soir-là, il « tutoya les anges »…

Cette soirée New Orleans proposait une affiche de rêve : Just About Fun-K, Dirty Dozen Brass Band et Trombone Shorty.

Kirk Joseph, Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

La formation Just About Fun-K, associant musiciens français expérimentés (Frank Salis, piano ; David Dupuis, trompette ; Patrick Charnois, saxophone ; Mathieu Lagraula, guitare ; Nicolas Martin, guitare et Jérôme Brossard, batterie) à des « figures » de La Nouvelle-Orléans, devait ouvrir les festivités.

Big Chief Juan Pardo et Jérôme Brossard (batterie), Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

D’emblée, sous la conduite du sousaphoniste Kirk Joseph, le band mêle le funk et ses riffs syncopés à la musique de fanfare, au second line et au hip hop. Big Chief Juan Pardo, représentant emblématique des Mardi Gras Indians (chef des Golden Comanche), brille de mille feux par sa présence, son chant et ses danses, alors que James Andrews (trompette et chant), qui entame avec Iko, Iko (Jock-A-Mo, écrite en 1953 par James “Sugar Boy” Crawford) et poursuit avec Tremé Song de John Boutté, est à Vienne « comme à la parade » dans St Peters !

James Andrews, Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Brass band historique de New Orleans, le Dirty Dozen a quant à lui, depuis des décennies, su faire évoluer la musique traditionnelle de fanfare en y incorporant soul et funk, avec Kirk Joseph en « gardien du temple » charismatique. Les morceaux s’enchaînent jusqu’à un Right Place Wrong Time, hommage à Dr John, qui ne peut laisser le public assis.

Trombone Shorty, Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Le soleil s’est éclipsé sur le Théâtre Antique, mais, sur scène, il va en être autrement… Troy Andrews aka “Trombone Shorty” apparaît tout de blanc vêtu parmi huit musiciens habillés de noir. Ce sera la seule différence notable qu’il aura à l’évidence souhaité marquer avec ses compagnons de Orleans Avenue, car le leader est en permanence dans un partage total du show avec eux. Une osmose perceptible dès les premières notes. Une fête, un échange. La Nouvelle-Orléans ! Pour l’avoir vu plusieurs fois sur scène par le passé – et aussi de l’avis d’autres habitués de Jazz à Vienne –, je dois dire d’emblée que ce concert de Trombone Shorty restera gravé dans les mémoires par sa qualité technique et son intensité émotionnelle.

Trombone Shorty et Orleans Avenue, avec Pete Murano (guitare, Mike Ballard (basse), Joe Peebles (batterie), Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Troy “Trombone Shorty” Andrews est aussi à l’aise au trombone qu’à la trompette ; le fait est d’autant plus marquant lorsque son frère aîné, l’expérimenté trompettiste James Andrews, le rejoint pour prendre part à la fête. La voix de Shorty sait se faire agressive sur les morceaux rock et s’emplir de nuances jusque dans l’aigü sur les faces soul. Tout semble couler de source, tout semble spontané, et pourtant tout est millimétré.

Trombone Shorty et Tim McPhatter (sax ténor, Orleans Avenue), Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Troy Andrews incarne la musiqe de La Nouvelle-Orléans depuis sa plus tendre enfance. Il fait sa première apparition sur la scène du NO Jazz Fest à l’âge de quatre ans aux côtés de Bo Diddley ! À six ans, il est le leader de son propre brass band. Adolescent, il est contacté par Lenny Kravitz et rejoint le band que ce dernier a formé pour son Electric Church World Tour. Parallèlement à sa propre carrière discographiques débutée en 2002 jusqu’à son excellent dernier album « Lifted » (le deuxième pour Blue Note), le petit-fils du grand Jessie Hill n’a cessé de collaborer avec d’autres artistes. Que ce soit avec les frères Neville, Kermit Ruffins, Dr John, Galactic, John Boutté, Mem Shannon, les Soul Rebels, le Rebirth Brass Band, Bruno Mars (pour ne citer qu’eux), ou la famille (James Andrews ou Glen David Andrews), les échanges furent multiples et passionnés.

Trombone Shorty et Tracci Lee (Orleans Avenue), Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

Comme il me l’avait dit il y a quelques années lors d’une entrevue au Transbordeur à Villeurbanne : « ma musique est faite pour être partagée ! ». Le concert de Jazz à Vienne n’a pas démenti ces propos. Chaque musicien a la place pour s’exprimer, le leader sait se mettre en retrait ou être à l’unisson. Que dire par exemple de l’exceptionnel jeu de questions / réponses du trombone à la basse ou de l’extraordinaire complicité avec les deux voix de chœur (le « h » étant presque de trop) ?

Trombone Shorty et Nell Simmons (Orleans Avenue), Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

On s’amuse sur scène, on se respecte, on s’écoute. On glisse nonchalemment du NOLA funk aux morceaux rock en passant par de la soul de la meilleure facture, jusqu’à conclure « simplement » par des classiques de marching bands où seuls les cuivres se retrouvent, comme pour ne jamais oublier d’où l’on vient…

Trombone Shorty, Jazz à Vienne, 10 juillet 2022. Photo © Marcel Bénédit

À ce moment du concert, je songe à la carrière de cet artiste hors norme et les mots que Stéphane Colin avait écrits à son propos en 2011 dans le numéro anniversaire des dix ans d’ABS Magazine résonnent dans ma tête : « L’enfant soufflait. Aussi loin qu’il se souvienne, l’instrument avait toujours été là. Trompette ou trombone, peu importait. La brutalité initiale du souffle semblait se dompter naturellement. De l’embouchure au pavillon, travaillé par le piston ou la coulisse, il s’épanouissait au gré du vent. Tournoyant en second line dans un recoin du faubourg Tremé, rentrant dans la vieille église Ste Augustine au gré d’un office, se chargeant de vaudou et de Satchmo à Congo Square, il prenait régulièrement la tangente via la rue Rampart pour venir s’épanouir au pied de Canal Street sur un flot de Mississippi. À partir de là, tout devenait possible. Un souffle joyeux et brouillon traçait son sillon dans l’eau du fleuve au croissant. La félicité avant la maturité… ».

Ce 10 juillet 2022, onze ans après, à Jazz à Vienne, on pouvait mesurer tout le chemin parcouru.


Par Marcel Bénédit
Remerciements à Isabelle Jeanpierre et à Claire Gaillard pour leur aide précieuse, à tout le staff de Jazz à Vienne, et à Pascal Bod (Universal Music)