• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…
Gregg A. Smith
The Real Deal
G-Man Records & Productions MUI-CD-10396
Au cours de ma rencontre avec Gregg A. Smith en septembre dernier à Austin, lors du Eastside Kings Festival, ce dernier déclarait après notre interview qu’il avait énormément travaillé sur son prochain CD et que toutes les compositions seraient encadrées par une solide équipe de musiciens, sans oublier une section de cuivres. Quelques semaines plus tard, la divine galette est arrivée et, avouons-le sur le champs, cette nouvelle session est tout simplement époustouflante. La totalité des 13 titres proposés flirtent avec l’excellence. Comme promis, l’orchestre fait corps avec le maestro pour un album qui va vous donner le grand frisson. Wouldn’t Treat A Dog (The Way You Treated Me) fait l’ouverture, la formation et son leader étalent sans forcer d’emblée toute leur classe, quelle claque à l’écoute de cette superbe composition ! Jumpin At The Juke Joint est un hommage au petit établissement que tenait sa mère ; c’est grâce au juke box qui était installé au centre de la salle que Gregg à découvert les grands noms Blues. Living On The Dark Side Of Love, Home To you et I Still Love You (à l’écoute ici) nous permettent à nouveau d’apprécier les qualités de chanteur de l’interprète de Money Talks, qui mélange habilement le Blues et la Soul dans une alchimie dont lui seul a le secret. Having A Party et Don’t Cry No More appartiennent respectivement aux répertoires de Sam Cooke et Bobby Bland, mais au lieu de simplement interpréter – même avec cœur – deux bonnes reprises, Gregg A. Smith, tout en respectant ses illustres idoles, y apporte à chaque fois sa touche personnelle. Les funky Party Warrior et Teasin Woman sur lesquels sa formation cuivrée donne le meilleur d’elle-même, sont en tout point excellents de par leur construction. Avec cette nouvelle production, Gregg A. Smith a mis tout son savoir-faire, entouré d’excellents musiciens, pour distiller un album sensationnel qui nous prouve une fois encore qu’il faut compter sur cet artiste texan avec une classe folle et un talent qui forcent le respect. À l’image de la divine Crystal Thomas – dont la chronique de son nouvel album paru chez P-Vine est à lire dans ce numéro – il est impensable qu’à ce jour un artiste de la trempe de Gregg A. Smith ne vienne pas en tournée en France ou ne soit invité dans un grand festival… La frilosité des tourneurs reste à mes yeux un épais mystère. « The Real Deal » prendra une place de choix au sein de votre discothèque. – Jean-Luc Vabres
Fillmore Slim
Son of the Seven Sisters
Fillmore Slim Media
Comment imaginer que le type au regard espiègle qui est en photo sur la pochette de ce disque a 85 ans ? Et la sensation de jeunesse est encore plus prégnante quand on l’écoute… Clarence Sims est un musicien hors norme dans le monde du Blues. Il naît et grandit à Baton Rouge en Louisiane avant de partir pour Los Angeles en 1955 avec en tête l’idée de vivre de sa musique. Il joue dans la rue, monte un groupe nommé Eddy N and The Blues Slayers. Clarence joue le Blues, croque la vie (on lui connaît une relation avec Etta James, entre autres…) et enregistre une série de très bons singles, dont You Got the Nerve of a Brass Monkey sort du lot. « Hasard des rencontres… » – dira t’il – il rencontre une prostituée lors d’un concert dans un club texan et la ramène dans ses valises… Il s’installe à San Francisco et ménage de front deux carrières hautement respectables : celle de bluesman (il joue dans les les clubs de Fillmore Street et au Fillmore Theater et prend le surnom de “Fillmore Slim”), mais aussi celle de proxénète. La seconde, plus lucrative, prend malheureusement vite le pas sur la première. Il dira lors d’une interview : « Le blues, c’est cueillir le coton, travailler dans les champs, vivre dans la rue, et moi j’ai fait toutes ces choses… » Il revient à la musique grâce à Troyce Key, admiratif de son style, et enregistre son premier album « Born To sing The Blues » en 1987 sous le nom de Clarence “Guitar” Sims. Cet album – ressorti en 1996 sur le label Mountain Top – est à mon humble avis l’un des meilleurs disques de Blues de la fin des années 80. Mais la suite ne sera finalement émaillée que d’excellents disques : il signe chez Fedora en 1999 et enregistre « Other Side of The Road » en 2000 – sans se cacher de son parcours – sous son pseudo “Fillmore Slim”… Il se produit énormément en clubs, enregistre des albums de grande qualité dont une trilogie de CDs pour Mountain Top : « The Game », « The Legend of Fillmore Slim », « The Blues Playa’s Ball ». Il tourne beaucoup aux US et fait la joie de quelques beaux festivals européens. Auteur-compositeur jamais à cours d’idées géniales, il sait même allier dans ses récents efforts Blues et Rap. Son timbre de voix très particulier et son jeu de guitare sont de véritables signatures. Bref, il n’y a pas un mauvais disque de cette artiste. La reconnaissance est d’ailleurs venue en 2008 avec son entrée dans le Bay Area’s West Coast Blues Hall of Fame et en 2011 avec l’octroi du Lowell Fulson “Jus’ Blues” Award à Memphis. Ce nouvel album de treize titres originaux est à l’image de sa discographie : inspiré, drôle, racontant des histoires de vies ; écoutez Son of the Seven Sisters ou Fast Gun Annie… La musique est excellente (notes de livret réduites à leur plus simple expression : pas de noms de musiciens), la voix inchangée malgré l’âge. Vive Fillmore Slim ! – Marcel Bénédit
Ronnie Earl and the Broadcasters
Beyond The Blue Door
Stony Plain SPCD 1407
Ronnie Earl est un guitariste virtuose à la tonalité particulière, identifiable immédiatement. Il dirige les Broadcasters depuis de nombreuses années. Sa discograhie est pléthorique, mais de qualité. Il a l’habitude d’inviter quelques amis à des agapes en studio, ce qui lui permet d’explorer diverses directions musicales. Le disque débute par Brand New Me, chanson au groove Motown créée par Jerry Butler en 1969, reprise par Dusty Springfield en 1970 et Aretha Franklin en 1971. Diane Blue, l’excellente chanteuse des Broadcasters, en donne une interprétation proche de celle d’Aretha Franklin, le pianiste Dave Limina allant même jusqu’à reprendre l’intro d’Aretha. Puis arrive Kim Wilson. Il chante Baby How Long de Howlin’ Wolf. Son jeu d’harmonica s’accorde parfaitement à l’intensité du jeu de guitare de Ronnie Earl. Kim Wilson réapparaît, pour notre grand plaisir, sur Blues With A Feeling de Little Walter et Wolf Song, un instrumental de Ronnie Earl qui imite avec talent Hubert Sumlin. Ronnie Earl est particulièrement étincelant tout au long de Drowned In My Own Tears où brillent aussi Dave Limina à l’orgue Hammond B3 et au piano et l’un des invités, le saxophoniste Greg Piccolo, dont le duo avec Ronnie Earl sur le bref jazzy Alexis’ Song nous plonge dans la contemplation. Un autre duo marque ce disque : la guitare électrique de Ronnie Earl et l’acoustique de David Bromberg interprètent avec beaucoup de sensibilité It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry de Bob Dylan ; même la voix chevrotante de Bromberg ne gâche pas notre plaisir d’écoute. Nous retrouvons avec délectation A Soul That’s Been Abused, la célèbre composition de Ronnie Earl ici fort bien chantée par Diane Blue. Le jeu de T. Bone Walker n’a aucun secret pour Ronnie Earl : écoutez T. Bone’s Stomp. Sur toutes les autres chansons, les soli de guitare de Ronnie Earl sont aussi magnifiques, mais jamais envahissants. Le CD se clôt sur un blues instrumental lent, Blues For Charlottesville, fort message inspiré des incidents racistes de cette ville de Virginie, en août 2017. Les Broadcasters, Dave Limina (kbds), Forrest Padgett (d), Paul Kochanski (b) assurent une rythmique discrète mais de premier ordre. Ce disque recommandé présente une riche collection de chansons brillamment interprétées. – Gilbert Guyonnet
Crystal Thomas
Featuring Chuck Rainey and Lucky Peterson
Don’t Worry About The Blues
Mr Daddy-O Records / Space-021
Nous vous avons déjà dit tout le bien que nous pensions de la chanteuse Crystal Thomas dans ABS Magazine Online, un article lui ayant été consacré dans notre numéro 64. En septembre dernier, nous l’avons revue à Austin, Texas, durant le Eastside Kings Festival, en compagnie d’un groupe japonnais extraordinaire, Bloodest Saxophone, et personnellement j’ai même trouvé qu’elle était plus épanouie avec ces musiciens allant avec la même aisance dans les registres du Jazz, du Blues, de la Soul. De plus, lorsqu’elle joue du trombone, elle est partie intégrante de ce band qui fait honneur aux cuivres (même si tous les musiciens y sont exceptionnels, à l’instar du guitariste, ancien de chez Jay McNeely) et qui « font le show ». Crystal a non seulement ce que je considère comme l’une des plus belles voix actuelles sur le circuit, mais elle est également un auteur-compositeur inspiré qui ne demande qu’à écrire. Ce CD de 14 titres (plus un bonus) produit par Eddie Stout sur le label japonais Mr Daddy-O records est une aubaine. Alors que l’excellent LP « It’s The Blues Funk ! » a paru sur P-Vine (PLP-6960), le CD est un prolongement du vinyle. Enregistrés avec des musiciens de rêve, on retrouve – outre Crystal au chant et au trombone – Lucky Peterson (Hammond B3, piano, guitare), Chuck Rainey (ancien bassiste d’Aretha Franklin) à la basse, Johnny Moeller à la guitare, Jason Moeller aux drums, ainsi que ds invités de marque sur plusieurs faces : Nick Connoly (piano, orgue), James Fenner (congas), Hiroki “Shimi” Shimizu (guitare) ou Steve Fulton (guitare). Le CD compte les mêmes dix titres que le LP, additionnés de The Blues Ain’t Nothing But Some Pain, These Kind Of Blues, Hey Baby (signé Crystal Thomas) et deux verions de Got My Mojo Workin’ (dont le bonus track). La voix soulful et gospélisante de Crystal fait des miracles de bout en bout de ce recueil. Les musiciens sont excellents. Crystal Thomas est une artiste avec qui il va falloir compter et qui a toute sa place sur les meilleures scènes européennes. – Marcel Bénédit
Brooklyn Funk Essentials
Stay Good
Dorado Records 2019 DOR115CD
Six albums en vingt-trois ans, ce collectif défini comme jazz/funk/hip-hop n’encombre pas les bacs des disquaires, comme on disait naguère… Sans doute parce que ses membres travaillent en parallèle sur d’autres projets artistiques, sans pression particulière, et que la composition de Brooklyn Funk Essentials peut changer radicalement d’un enregistrement à l’autre. En somme, le groupe renaît dès qu’il a quelque chose à dire. Lati Kronlund (claviers et basse) en constitue la pierre angulaire depuis les débuts (avec le producteur Arthur Baker). L’entourent ici, Anna Brooks (chant et saxophone), Desmond Foster (guitare et chant), Alison Limerick (chant), Hux Nettermalm (batterie, saxophone et percussions), Iwan Yanketten (trompette, claviers et chant). Le vibraphoniste Roy Ayers est l’invité du sextet sur un titre. À l’évocation de ce nom célèbre, vous l’aurez deviné, on évolue ici dans une forme de jazz/funk/soul très marquée par la deuxième moitié des années soixante-dix. Entre Sly & the Family Stone et Chic, une bonne grosse ligne de basse mène l’ensemble. Leur approche musicale a par le passé emprunté des voies très diverses, jusqu’au free-jazz ou à la poésie libre des rues de New York, via des musiques folkloriques d’Europe Centrale. Avec un brin de hauteur et de détachement, on se retrouve, avec cette production enregistrée à Stockholm, dans quelque chose de plus carré, même si en fin de disque, Y Todavia la Quiero et Where Love Lives entraînent l’auditeur sur des chemins d’aventure. – Dominique Lagarde
Rick Estrin & The Nightcats
Contemporary
Alligator Records ALCD4996 – www.alligatorrecords.com
Estrin-le-chanteur, c’est la gouaille d’un titi parisien, l’ironie, l’humour souvent incisif, ravageur et hilarant, un entrain saccadé aussi. C’est sa marque de fabrique et cela plait à son auditoire et à ses fans. Cela peut en énerver d’autres (pas le contenu, mais le sautillement vocal). Quant à l’harmoniciste, c’est un virtuose incontestable et, à juste titre, son succès ne s’est jamais démenti tout au long de près de cinquante ans de carrière. Il est ici entouré d’une équipe de premier ordre avec le guitariste Kid Andersen (qui s’en donne à cœur joie avec d’autres instruments, basse, moog, synthés, drum machine), Lorenzo Farrell (un virtuose unique et percutant à l’orgue et au piano), Derrick D’Mar Martin (drums, perçus), sans oublier des guests comme Jim Pugh (organ) sur l’instrumental swinguant House Of Grease (composé par Kid Andersen), Quantae Johnson (basse) et divers chanteurs et chanteuses en background. Estrin a composé sept des douze faces (dont deux en collaboration) et Lorenzo Farrell est l’auteur d’un autre instrumental, le roboratif Cupcakin’ avec un Kid Andersen en grande forme, comme Estrin et Farrell lui-même. Parmi les thèmes abordés, on pointera l’éternelle bataille des sexes avec Resentment File en mode conversation entre tous et un bien chaloupé She Nuts Up, mais aussi les vaines tentatives de certains musiciens pour gagner les grâces des audiences plus jeunes avec le titre éponyme et encore l’inéluctabilité de la mort, le tout avec sérieux mais non sans humour (comme d’hab’) avec l’angoissant I’m Running et avec la sage acceptation de cet inéluctabilité : The Main Event. L’album se termine en beauté avec Bo Dee’s Bouce, un troisième instrumental bien enlevé. – Robert Sacré
Fat Daddy
Gonna Love You Right
Advantage Recordings
En septembre dernier, le Eastside Kings Festival à Austin bat son plein. Chaque année, à la hauteur de la 12e rue et Chicon Street, le festival rend hommage à de nombreux artistes de la scène texane. Cette année, c’est notamment R.L. Griffin qui a fait le déplacement depuis Dallas avec sa formation cuivrée, dont de nombreux musiciens furent membres du groupe de Johnnie Taylor. Après un rapide tour de chauffe de cette dernière, un jeune artiste du nom de “Fat Daddy” arrive sur scène pour interpréter le succès de Tyrone Davis The Turning Point. Sa voix et sa prestation sont remarquables. Puis il laisse la place à la légende R.L. Griffin. Ce même après-midi, je le recroise Fat Daddy aux côtés de la chanteuse Crystal Thomas ; il me demande alors de faire une photo à ses côtés, je m’exécute. Le lendemain matin, à l’hôtel, une interview est prévue avec R.L. Griffin. Ce dernier arrive aux côtés de ses deux fils, dont Fat Daddy, ou plutôt il se présente sous sa véritable identité : Allen Turner ! À la fin de l’entretien avec son paternel, il me donne son CD : « Si tu vpeux y jeter une oreille, c’est ma nouvelle production qui s’intitule “Gonna Love You Right”… ». Autant le dire d’emblée, cet album est une totale réussite. Fat Daddy nous dévoile avec classe sur les onze titres originaux proposés, son savoir-faire dans le registre de la Southern soul, mais le Blues qui a bercé toute son enfance n’est jamais loin. Il partage la composition Mail Man avec son ami, le chanteur Sir Charles Jones, tandis que les compositions Strong Woman, I’m Tired, The Blame, First Love ou encore Mr. Bartender, sont tout simplement magnifiques. Bref, vous l’avez compris, cette production baigne dans une atmosphère sudiste du meilleur cru. Il faut dire que le chanteur a été à bonne école, il a croisé dans le club de son père – le fameux Blues Palace à Dallas – toutes les gloires du Blues et de la Southern soul. Fat Daddy est à l’affiche de nombreux rendez-vous musicaux où il partage la scène avec d’autres gloires, chanteurs de la scène sudistes, comme O.B. Buchana, Mississippi Humminboy ou encore Vick Allen. Virtuose face à un public, il est aussi très actif sur les réseaux sociaux où sa bonne humeur et sa bienveillance sont omniprésentes. Fat Daddy a toutes les cartes en main pour réussir une grande carrière. Une sacrée révélation en tout cas. – Jean-Luc Vabres
The Teskey Brothers
Run Home Slow
Decca Music Group 7782283 / Universal
Dans les précédents disques de ces musiciens australiens, on avait déjà été frappé par la justesse d’une soul qui n’a rien à envier – dans l’interprétation comme dans l’écriture – à certains standards afro-américains. La voix de Josh Teskey est un don, jamais forcée, tout en nuances, je dirais même de manière encore plus frappante que le « maître étalon de la blue eyed soul» pour beaucoup, le regretté Eddie Hinton. Ceci était déjà frappant à l’écoute de titres comme I Get Up ou Pain and Misery dans leurs précédents albums. Josh tient la rythmique et Sam Teskey – son frère – la lead guitar et l’orgue, et c’est ensemble qu’ils écrivent la totalité de ce nouvel opus qui les installe désormais comme un groupe majeur de Soul music. Les programmateurs, les radios et Universal ne s’y sont pas trompés : ce nouvel album est une pépite. Si So Caught Up est déjà un tube, les morceaux soul lents tels Carry You nous ramènent aux meilleures pages de cette musique, avec cette voix écorchée, dans l’urgence, qui donne le frisson. Le reste est à l’unisson, tant dans dans la rythmique (Brendon Love à la basse et Liam Gough aux drums) que dans la section de cuivres, les cordes ou les chœurs. Les arrangements sont remarquables, le son et le mixage idoines. Les onze titres de « Run Home Slow » sont d’égale et très grande valeur. Un magnifique album. – Marcel Bénédit
Lucky Peterson
50 – Just Warming Up!
Jazz Village / Pias – No number
Le nombre 50 apparaît bien en vue sur la pochette du nouveau disque de Lucky Peterson pour souligner que celui-ci fête son demi-siècle de carrière musicale. Enfant prodige, il maîtrise très vite l’orgue Hammond, la guitare et même le cor dont il joue dans l’orchestre de son école. Little Milton puis Bobby “Blue” Bland feront appel au jouvenceau qui décide de voler de ses propres ailes au début des années 1980’s. Lucky Peterson va rencontrer le succès publique, en particulier en Europe. Il tourne souvent et s’oriente vers une musique d’inspiration de plus en plus rock. Il devient même à mon goût un guitar-hero monotone et insipide. C’est donc avec circonspection que j’ai glissé le CD dans le lecteur. L’écoute de ce disque au répertoire éclectique s’avère agréable. Lucky Peterson ne sombre pas dans les excès auxquels il nous avait habitués. Sa guitare reste assez discrète même si, parfois, la sonorité est un peu rock. C’est l’orgue Hammond qui domine cet enregistrement. Une section de cuivres éclatante rend irrésistible Pack It Up. Le dialogue orgue/guitare wah-wah soutient fort bien la voix cassée de Lucky Peterson sur la ballade soul Dreamin’ About You. Never Make Your Move Too Soon est un hommage au regretté B.B. King. Difficile de résister à l’instrumental jazz funk Clicketty Click et cet orgue qui rappelle le meilleur Jimmy Smith. Les agréables rythmes chaloupés du reggae s’invitent sur l’autobiographique The Blues Is Driving Me. Le Rap semble inévitable depuis quelque temps dans les productions contemporaines : le duo dépouillé avec Jakk Jo, Kissin’ On My Lips, est très plaisant, en revanche la présence du rappeur français Aelpéacha sur Takin’ Care Of Mine est inutile. Nous connaissons tellement de belles versions des gospels Amazing Grace et Precious Lord que le medley qu’en donne Lucky Peterson laisse froid. Let The Good Time Party Begin est dominé par l’harmonica de Sugar Blue. Enfin, Tamara Tramell, madame Peterson, est invitée pour deux duos, dont I Will Die 4 U aux arrangements romantiques sirupeux. Voilà donc un disque inégal mais à ne pas négliger. – Gilbert Guyonnet
Mike Zito & Friends
A Tribute To Chuck Berry
Ruf 1269 – www.rufrecords.de
Trop fort ! On connaît la « niaque » de Zito, guitariste de haut vol, chanteur talentueux, producteur renommé à juste titre, à l’initiative de labels (Gulf Coast Records) et membre iconique de la famille Ruf Records. Quant on a appris qu’il se lançait dans un hommage au roi du Rock’n’ roll Chuck Berry à l’occasion de l’anniversaire de son décès, on a failli craindre qu’il se lance tout seul dans un répertoire devenu légendaire… Il est trop malin pour cela et il a fait appel à vingt partenaires judicieusement choisis. Zito chante et joue de la guitare pratiquement dans toutes les plages, mais en retenue, et il laisse la priorité à ses amis. Cela donne un Saint Louis Blues comme vous ne l’avez jamais entendu, ce sont bien les paroles écrites par W.C. Handy (« I hate to see that evening sun go down… »), mais la mélodie est du Chuck Berry pur jus ; normal, puisque c’est Charlie Berry III, le petit-fils du rocker, qui est aux commandes. On ne va pas citer les vingt faces, mais on se souviendra longtemps de Wee Wee Hours avec Joe Bonamassa au sommet de son inspiration ; le duo vocal Mike Zito-Joanna Connor dans Rock And Roll Music donne des ailes ; il en va de même avec Sonny Landreth dans Havana Moon, avec Ryan Perry dans I want to be Your Driver ou Ally Venable dans School Days ; on se souviendra aussi de Tommy Castro dans Reelin’ And Rockin’ ou encore d’Albert Castiglia avec Thirty Days et d’un superbe Memphis avec Anders Osborne. À noter que la plupart des autres titres sont tout aussi excitants, que ce soit avec Walter Trout, Robben Ford, Eric Gales, Jeremiah Johnson, Luther Dickinson, Tinsley Ellis, Alex Skolnik, Richard Fortus, Kirk Fletcher avec Josh Smith, Jimmy Vivino ou Kid Andersen. Bel exemple de la citation : « The Blues had a baby and they called it Rock And Roll » (Brownie McGhee). – Robert Sacré
Bob Margolin
This Guitar And Tonight
Vizztone Label Group VT- SR 004 – www.vizztone.com
Bob Margolin est une figure bien connue dans le monde du Blues. Après avoir passé sept années (1973 à 1980) comme guitariste dans l’orchestre de Muddy Waters, il a continué une carrière riche en excellents disques (je vous conseille particulièrement « All Stars Blues Jam » chez Telarc et « In North Carolina » chez Steady Rollin). Dans ce nouvel album entièrement acoustique, il est seulement accompagné par Jimmy Vivino à la guitare sur un titre et Bob Corritore à l’harmonica sur un autre. Margolin possède une belle voix, chaude et expressive, et un jeu de guitare travaillé dans lequel on découvre de nouvelles choses à chaque écoute. Les paroles sont importantes et Bob nous semble très critique à propos du président Trump : Evil Walks in our World et surtout Predator qui est assez effrayant. Un disque intéressant du début à la fin et un grand plaisir pour tous les amateurs de guitare acoustique. – Marin Poumérol
Brody Buster
Damn! I Spilled The Blues
Vizztone Booga01
Originaire de Lawrence dans le Kansas, Brody Buster est un musicien de blues qui fût un enfant prodige de l’harmonica dès l’âge de neuf ans. Aujourd’hui âgé de trente-deux ans, il a un curriculum vitae impressionnant. Après de nombreuses émissions de télévision et de concerts avec Quincy Jones et Keb’ Mo, il a obtenu une résidence au club de B.B. King à Los Angeles. Il travaille alors la guitare et les percussions et devient one-man band. C’est dans cette configuration qu’ il remporte le prix du meilleur harmoniciste à l’International Blues Chalenge de Memphis en 2017. Parmi le jury de cette compétition se trouvait Kenny Neal qui le fit signer sous son propre label et qui produit ce premier album. L’enregistrement a eu lieu, bien sûr, à Baton Rouge. Dans cet album, Brody Buster confirme sa virtuosité à l’harmonica mais se révèle aussi être un très bon chanteur et un excellent guitariste. On y découvre également ses talents de compositeur. Il est l’auteur des dix morceaux du disque et, bien qu’originaux, ceux-ci sont dans la pure tradition du Blues. Ce jeune et talentueux musicien est très prometteur et va certainement nous offrir bientôt d’autres remarquables disques. Pour cela, on peut faire confiance à Kenny Neal ! – Robert Moutet
The Mike Duke Project
… Took A While
Little Village Foundation LVF 1032 – www.littlevillagefoundation.org
Cela a pris du temps, effectivement, avant que ce chanteur et pianiste – jadis membre de l’excellent groupe de rock/country/soul Wet Willie, puis sideman de Delbert McClinton – ne refasse parler de lui. Plus de quarante ans apparemment, puisque cet album renferme 15 titres enregistrés de 1977 à 2019. On est frappé d’entrée par la puissance et le feeling de sa voix dès Little Miss Ponytail. Wilson Pickett, sors de ce corps ! Mike Duke chante même comme le légendaire soulman dans Hope You Love Me Like You Say You Do. À s’y méprendre. Interprétée par Huey Lewis and the News, cette chanson fit son entrée au Top 40 du Billboard en 1982. Car Mike Duke fut un songwriter recherché : cette formation lui empruntera encore Doin’it All For My Baby et Let Her Go And Start Over, un grand hit en 1987. Ce disque restitue ces chansons à l’état de démo, telles que Mike Duke les proposait à d’autres. C’est d’ailleurs grâce à la tenacité du manager de cette formation, Bob Brown, que ce retour de Mike Duke a pu avoir lieu. À dominante ballades sudistes, l’ensemble est assez homogène en dépit des sessions très espacées. Le guitariste Elvin Bishop est invité sur Can’t Let You Go, un des quatre morceaux enregistrés cette année, tout comme Torn and Scarred, relecture d’un gospel de 1969 qui fut la première pièce écrite par Mike Duke. – Dominique Lagarde
Johnny Rawls
I Miss Otis Clay
Third Street Cigar Records
Le 8 janvier 2016, Otis Clay nous quittait, à l’âge de 73 ans. Si sa musique et son amitié ont marqué certaines de nos vies, dans le cas de Johnny Rawls elles prenaient une dimensions toute particulière. Ils avaient, peu de temps avant, enregistré un superbe album en commun – « Soul Brothers » – après des années d’amitié et une vision commune de la musique et de la vie en général (cf l’interview de Jean-Luc Vabres dans ABS n° 44, réalisée à Lucerne en 2014). I Miss Otis Clay (« Otis Clay me manque »), émouvant morceau-titre de ce nouvel album, est le seul du disque enregistré au Danemark sous la houlette d’Erkan Özdemir. Les neuf autres du CD ont été enregistrés dans l’Ohio avec l’équipe habituelle du Third Street Cigar Blues Band et avec les cuivres des Toledo Horns. Un album brillant, dans la lignée des précédents opus, avec toujours le même talent pour l’écriture, dans un registre soul très marqué. L’ombre d’Otis plane de bout en bout grâce à la couleur particulière que Johnny Rawls a su donner aux compositions de ce superbe album. – Marcel Bénédit
Junior Watson
Nothin’ To It But To Do It
Little Voice Foundation Records – LVF 1033
L’ancien guitariste des Mighty Flyers signe un ici sur le label Little Voice Foundation, un album qui va ravir ses nombreux fans. Le guitariste possède un solide curriculum-vitae puisqu’on le retrouve au fils des années aux côté du groupe Canned Heat puis Lynwood Slim et en parallèle il multiplie les sessions et tournée avec des artistes comme Big Mama Thornton, Shakey Jake, Charlie Musselwhite, Luther Tucker, George Smith ou encore William Clarke et Kim Wilson. Cette nouvelle session produite par ses soins et l’indispensable Kid Andersen alterne des titres instrumentaux enlevés comme Up & Out, Ska-Ra-Van ou Space Flight et des compositions chantées sur lesquelles Alabama Mike et Lisa Andersen donnent le meilleur d’eux-mêmes sur les morceaux Don’Freeze On Me, l’excellent A Shot In The Dark, sans oublier les compositions That’s Tough et One Way Street. Sur cette dynamique session, il est solidement entouré par Sax Gordon au saxophone, Jim Pugh aux claviers tandis que Kedar Boy est à la basse tandis que Andrew Guterman est derrière ses futs. À noter que l’harmoniciste Gary Smith donne la réplique à la guitare de Watson sur l’excellente composition intitulée Well, You Know. Les amateurs de Jump Music californien trouveront ici sans problème leur bonheur, grâce au label fondé par Jim Pugh dont les diverses productions sont toujours placés sous le signe de la qualité. – Jean-Luc Vabres
Tweed Funk with Gervis Myles
Love Strong
Autoproduction – www.reverbnation.com
Tweed Funk a été formé en 2010 et a produit quatre albums, mais en octobre 2017 son chanteur Joseph “Smokey” Holman est décédé. Il a été remplacé par Gervis Myles, un excellent chanteur soul et blues. Physiquement, il ressemble à l’acteur Denzel Washington, en version jeune et mince, ce qui plait beaucoup à la gent féminine. Ce nouvel album de 2019 a précédé une grande tournée européenne qui vient de s’achever. Avec Gervis Myles (chant), on retrouve Eric Madunic (basse et claviers), David Schoepke (drums), Randy Komberec (guitare) et Andrew Spadafora (ts et claviers). Ce groupe est très soudé et la qualité des faces s’en ressent positivement. On trouve ici une seule reprise (Woman Don’t Lie de Luther Johnson) et neuf compos originales dont la plupart sont collectives, sauf le titre éponyme composé par Gervis Myles dans une veine très soul et The Hustler, un instrumental bien enlevé du à Andrew Spadafora. On retiendra aussi Thinkin’ You Can Take Some, une face de R&B solide et efficace avec d’excellents passages de saxophone et de guitare, My Mountain avec un chant intense de Myles et Dying Land et son ambiance dramatique vu le sujet. – Robert Sacré
North Mississippi Allstars
Up and Rolling
New-West NW6466
On ne présente plus le groupe des frères Dickinson, dignes héritiers des musiques des Collines du Nord du Mississippi, du Hill country blues, de Jr Kimbrough, R.L. Burnside et consorts. Ce nouvel album est peut-être encore plus que certains opus antérieurs ancré dans cette tradition musicale, et l’omniprésence de Sharde Thomas – petite-fille d’Otha Turner – et de son fifre, est autant de valeur ajoutée à cet enregistrement de douze titres. C’est à mon sens un des meilleurs albums du groupe, tant par la puissance des compositions que par l’investissemnt des invités ; outre Sharde, on retrouve Cedric Burnside sur deux titres, Mavis Staple magistrale sur What You Gonna Do ?, Jason Isbell et Duane Betts dans un très beau Mean Old World, et même par « magie » Otha Turner lui-même sur l’emblématique Otha’s Bye Bye Baby qui clôture l’album. Quelques mots aussi sur le livret illustré par les photos de Wyatt McSpadden qui alla dans le nord du Mississippi en 1996 photographier les musiciens locaux : superbe. – Marcel Bénédit
The McNaMarr Project
Holla & Moan
Bahool Records BAR5051
Bien que John McNamara (vo, gt) et Andrea Marr (vo) soient déjà très populaires dans leur pays, l’Australie, mais aussi à Memphis, avec un album en 2017 pour A. Marr et un single la même année pour J. McNamara, ceci est le premier album de ce Project, avec une section de cuivres qui booste tout le groupe. C’est soul à fond, c’est blues aussi (un peu moins,quoique Blues Brought Me Here tient bien la route). Le CD démarre en fanfare avec le titre éponyme qui déménage avec des vocaux puissants et des soli de guitare et de cuivres qui déchirent. Andrea Marr est dans la lignée de Bettye Lavette (entre autres) à l’entendre dans Missin You, une ballade soul à cœur ouvert. Il y a encore d’autres ballades moins intenses comme Throwing Down A Little Love, History ou Cry With Me et le très symbolique No More Chains, mais, dans chaque cas, avec de belles parties de guitare dues à McNamara et souvent, de cuivres. Parmi les morceaux plus « musclés », on trouve Keep It Rollin’ (de McNamara), Can You Keep The Heat (de Marr), Something That’s Real (Marr). McNamara a composé seul quatre titres et un avec Marr, celle-ci ayant composé les cinq autres. À découvrir. – Robert Sacré
Al Basile
B’s Hot House
Sweetspot Records 9922
Al Basile est un poète, écrivain, compositeur, chanteur et joueur de cornet. Célèbre pour sa maîtrise de l’écriture, il a publié deux livres de poésie, « A Lit House » et « Tonesmith » qui résument son travail dans ce domaine depuis les années soixante. Il est régulièrement publié dans des revues spécialisées et enseigne l’écriture lyrique. Il a commencé sa carrière musicale en 1973 en tant que joueur de cornet dans la formation Roomful of Blues. Depuis 1990, il travaille avec Duke Robillard comme auteur-compositeur et apparaît sur douze CD et un DVD de ce dernier. Il a enregistré sous son nom seize albums, tous produits par Duke Robillard, et il a été nominé sept fois pour le Blues Music Award du meilleur joueur de cornet. Et, récompense suprème, son album de 2016 « Mid-Century Modern » a été nommé meilleur album de blues contemporain. Voici donc « B’s Hot House », son nouveau CD enregistré avec l’orchestre de Duke Robillard, celui-ci en étant le producteur et guitariste vedette. Il a également fait appel à d’anciens amis de la section de cuivres de Roomful of Blues. Les quatorze morceaux du disque sont bien sûr des compositions originales d’Al Basile. Pour la musique, il s’est inspiré de Little Junior Parker, Jimmy McCracklin, Slim Harpo, Booker T and the MG’s, et bien d’autres. Pour les textes, il s’inspire toujours des problèmes de la vie réelle. Il s’est dit très heureux d’avoir pu jouer du cornet dans cet album en s’inspirant depuis toujours de Louis Armstong, Roy Eldridge et Miles Davis. Autre particularité du personnage, il écrit ses textes en fonction de sa voix, ce qui lui permet d’ètre très à l’aise dans son chant. Voici donc la très belle production d’un bluesman original. Le livret retranscrit tous les textes de ses chansons : le surnom de « poète du Blues » que lui ont donné certains critiques n’est pas usurpé. – Robert Moutet
Wentus Blues Band with Duke Robillard
Too Much Mustard !
Ramasound Records RAMA1419
En 1987, Duke Robillard et son orchestre tournent en Scandinavie. La première partie est assurée par de jeunes finnois talentueux : Wentus Blues Band. Depuis cette époque, une solide amitié lie tous ces musiciens. Quand les membres du Wentus Blues Band demandent à Duke Robillard de produire leur disque, celui-ci n’hésite pas une seconde. Ainsi naquit « Too Much Mustard ! ». Notez que Duke Robillard joue de la guitare sur cet enregistrement et qu’une de ses peintures orne la pochette du disque. Le Wentus Blues Band a choisi un répertoire judicieux pour exprimer tous ses talents qui vont au-delà du Blues. L’orchestre reprend Tom Waits, 2 :19, d’une manière trop proche de l’original ; son interprétation de First We Take Manhattan de Leonard Cohen est plus intéressante, ainsi que celles de Judgement Day de Robert Johnson et Feels So Bad de Chuck Willis. Duke Robillard a apporté deux compositions, She Made My Mind et Passionate Kiss ; il a incité les musiciens finlandais à en donner une version originale. Il est l’auteur avec Wentus Blues Band du très réussi titre éponyme du CD, Too Much Mustard !. Remarquables sont les chansons composées par les membres de Wentus Blues Band : She’s A Killer Hot Blonde, Right In Your Arms, You Got My Love et Selma. Aucune démonstration de virtuosité à la guitare pour faire passer le message musical. La combinaison du chant de Juho Kinaret, des guitares de Niko Riipa et Duke Robillard, du piano et de l’orgue Hammond de Pekka Gröhn, de la basse de Robban Hagnäs et de la batterie de Daniel Hjerppe, rend l’écoute de ce disque attractive. – Gilbert Guyonnet
Ghalia
Mississippi Blend
Ruf Records Ruf 1272 – www.rufrecords.de
Ghalia Volt (née Vauthier) est Bruxelloise de naissance mais réside une grande partie de l’année à La Nouvelle-Orléans avec son compagnon, le bassiste Dean Zucchero – du groupe US les Mama’s Boys – dont elle est la chanteuse attitrée depuis quelques années. Après un premier album pour Ruf Records, bien accueilli par le public et par la critique en 2017 (« Let The Demons Out’ » – Ruf 1250), Ghalia a eu la bonne idée de pousser un peu plus au Nord de New Orleans pour réaliser son rêve de faire un album avec des musiciens du Mississippi comme les batteurs Cedric Burnside et Cody Dickinson, mais aussi Watermelon Slim (chant et harmonica) et Lightnin’ Malcolm (chant et guitare), sans oublier ses partenaires habituels, ici Zucherro (basse) et Somekehouse Brown (guitare et slide). Le résultat est excellent, comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre. Ghalia elle-même est au chant partout mais aussi à la slide et au dobro dans l’obsédant Release Me avec Cedric Burnide (dms) et Watermelon Slim (hca). Ce dernier est aussi très présent à l’harmonica sur le lancinant Meet You Down The Road (avec C. Burnside et S. Brown) ainsi que sur Lucky Number avec Burnside et Malcolm, ou encore sur l’excellente version du gospel Wade In The Water (hca et duo vocal avec Ghalia) et encore sur un bien balancé Drag Me Down. À noter le bizarre Why Don’t You Sell Your Children avec Zucherro, S. Brown et C. Dickinson en mode haletant. L’album se conclut avec un rock’n roll déjanté, Thought I Told You Not To Tell Them, avec L. Malcolm (gt), S. Brown (slide), C. Dickinson (dms) et une Ghalia déchaînée. – Robert Sacré
Chris Cain
Chris Cain
Little Village Foundation LVF 1012
J’ai vu Chris Cain pour la première fois sur la scène du Lucerne Blues Festival en 2017 et – je l’avoue – ce fut une véritable claque ! Malgré ses quarante ans de carrière et une discographie très étoffée, le chanteur-guitariste californien reste injustement méconnu des amateurs européens. Sa carrière a pourtant démarré sur les chapeaux de roues par un premier album en 1987 nominé pour quatre W.C. Handy Awards. La critique blues du monde entier ne s’était pas trompé, et son jeu de guitare est depuis cité comme une source d’inspiration pour de nombreux musiciens, au premier rang desquels Joe Bonamassa. Ce dernier, dans les notes du présent CD, écrit d’ailleurs que Chris Cain a « la voix de B.B. King et le jeu de guitare d’Albert King… ». Il est effectivement troublant de l’entendre chanter : le timbre de voix et les intonations font penser en plus d’un point à B.B. C’est en 1958 que le père de Chris, passionné de Blues, l’emmène voir un concert de B.B. King. Il n’a alors que trois ans ! C’est encore son père qui lui achète sa première guitare à l’âge de huit ans, mais qui, avant tout, lui fait écouter Ray Charles, les trois King et tous les Grands du Blues. C’est à dix-huit ans qu’il démarre réellement une carrière de bluesman professionnel tout en continuant à étudier la musique au San Jose City College, avant d’y enseigner lui-même l’improvisation jazz. Chris Cain est, de ce fait, un musicien très complet, avec une technique exceptionnelle, mais jamais au détriment de l’inspiration et du feeling. Il sillonne la planète blues depuis une quarantaine d’années, cumulant les récompenses. Ce nouveau disque est remarquable en tous points, passant en dix titres du registre blues au Jazz avec une fluidité extraordinaire et une totale maestria. Les musiciens qui l’accompagnent sont le nec plus ultra. On y retrouve – entre autre et sur quelques titres – Jim Pugh remarquable au piano et Kid Andersen à la guitare (ils produisent l’album), Larry Taylor à la basse ou Aki Kumar à l’harmonica. Les morceaux très « B.B. » s’octroient l’apport de cuivres très en place, tous comme les chœurs, juste quand il en est besoin. Bref, des compositions au cordeau, un chant et un jeu de guitare emprunts d’une maîtrise totale, pour donner un excellent album. J’ajouterai qu’outre ses talents de musicien, la présence scénique de Chris Cain est telle qu’on comprend mal sa trop rare présence sur les scènes européennes. – Marcel Bénédit
Nikki And Jules
Baby Blues
Brojar Music 2019
Nikki and Jules est un quintet qui rassemble sur scène Nicolle Rochelle et Julien Brunetaud. Nikki, alias Nicolle Rochelle, est une chanteuse et danseuse américaine très demandée depuis qu’elle a incarné Josephine Baker dans un spectacle de Jérome Savary, lequel a été joué dans plus de dix pays. Jules, alias Julien Brunetaud, est un pianiste, chanteur, guitariste et compositeur. Avec de multiples récompenses, il a accompagné Chuck Berry et B.B. King et enregistré plusieurs disques sur le label Brojar Music qu’il a lui même créé. Le quintet est complété par le guitarite Jean Baptiste Gaudray qui a accompagné dans le passé Jean Jacques Milteau, Bruno Rousselet à la contrebasse (que l’on a vu aux côtés de Ray Bryant), Dee Dee Bridgwater ou Harris Edison, et enfin par Julie Saury à la batterie. Cette dernière, fille du clarinettiste Maxime Saury, fait également partie du Lady Quartet de Rhoda Scott. Nikki and Jules ont déjà produit un premier disque en 2014 qui a reçu le prix Jazz Vocal du Hot Club de France. Voici donc « Baby Blues », leur deuxième CD enregistré en condition live à Marseille. Les onze morceaux présentent de nouvelles compositions et de nouveaux arrangements pour le quintet. Cinq titres sont signés par Julien Brunetaud et les reprises vont de Clarence Brown à Duke Ellington. Plein d’énergie et de fraicheur, « Baby Blues » est un album bien ancré dans le Blues et le Jazz. – Robert Moutet
The New Mastersound
featuring Lamar Williams Jr
Shake It
Color Red ONRCD024 – www.newmastersounds.com
À la base, les New Mastersounds sont un quartet instrumental de funk/jazz/soul britannique, originaire de Leeds, constitué de Eddie Roberts (guitare et tambourin), Joe Tatton (claviers), Pete Shand (basse), Simon Allen (batterie). Le chanteur américain Lamar Williams Jr – fils du bassiste des Allman Brothers et member de Les Brers – y figure au rang des invités sur plusieurs titres, tout comme le trompettiste Mike Olmos, le saxophoniste et flûtiste Jason Mingledorff, le percussionniste Jeff Franca. Loin d’être des débutants, puisque leur carrière débute il y a plus de vingt ans, il ont à leur actif une quinzaine d’albums. Apparus au moment du courant acid jazz, ils ont su faire évoluer leur musique au long de ces deux décennies vers un registre plus funky. J’ai trop peu connaissance de leur parcours pour établir un comparatif entre ce « Shake it ! » et des productions antérieures, mais à mes oreilles les moments les plus inspirés arrivent au milieu de cet album, avec les touches de guitar jazz/psyché de Too Late Too Worry, ou encore dans les dialogues entre la flûte et le jeu en picking délicat d’Eddie Roberts sur Layin’ Low, également traversé par le chant inspiré de Lamar Williams. – Dominique Lagarde
Michael Bloom & The Blues Prophecy
Whisper In The Wind
Random Acts Media – www.michaelbloom.com
Bloom est un guitariste compétent (Just Can’t Win, …), bien connu sur la scène de Chicago. Il joue régulièrement avec Mary Lane et The No Static Blues Band. Ici, il s’est entouré entre autres de Mary Lane et de son mari Jeffery Labon (bs) ainsi que de Sumito “Ariyo” Ariyoshi (keys). Bloom a composé huit des onze titres et, parmi ses compos, on retiendra (outre Just Can’t Win), les bien rythmés I Remember Love et No Luck At All (avec d’excellentes parties de piano et de guitare) ainsi que le pétulant I Ain’t Got The Blues (guitare et piano). Parmi les reprises, une mention à la bonne version du Brownsville de Furry Lewis . Un petit regret, tant qu’à avoir Marty Lane dans le groupe, on aurait pu souhaiter que Bloom lui laisse plus qu’une seule occasion de chanter en lead (super version du très usé Dust My Broom) mais, bien sûr, c’est son album… – Robert Sacré
Matt Wanderscheid
Matt Wanderscheid
MW01
Dire que ce premier album de Matt Wanderscheid est réussi est un euphémisme. Chanteur, guitariste, auteur-compositeur, ce Luxembourgeois d’origine a d’abord passé une dizaine d’années comme sideman sur la scène blues internationale avant de s’installer en France en 2011. Cet opus de onze compositions est plein de qualités. Tout d’abord l’écriture : poétique, intelligente, parfois drôle. Les compositions laissent entrevoir une culture et des goûts éclectiques parmi lesquels le Blues se taille la part du lion, mais où le Rock’n’roll et des parfums de Country sont présents. La voix est belle, le jeu de guitare sobre. Et comme tout bon musicien attire forcément de bons musiciens, on retrouve autour de lui dans cette session des artistes aguerris : Anthony Stelmaszack (remarquable de bout en bout, que ce soit à la guitare, à la mandoline, et même à l’harmonica), Julien Bouyssou (Hammond B3), Damien Daigneau (piano), Grégoire Oboldouieff (basse) et Bastien Cabezon (batterie, chant). De plus, la spontanéité de cet enregistrement réalisé en prise directe et sans « retouche », gagne encore en sincérité. Un excellent album de bout en bout. J’avoue avoir hâte de les découvrir sur scène. J’espère aussi que cette modeste chronique éveillera la curiosité des directeurs de festivals qui ne connaissent pas encore ce groupe car, dans les productions européennes récentes, ce disques est à mettre dans le peloton de tête. – Marcel Bénédit
Moonshine Society
Sweet Thing
Distrokid / Blind Raccoon
En 2009, trois amis du Berklee College of Music de Boston ont décidé de fonder le groupe Moonshine Society. Ils ont pu ainsi exprimer leur propre conception du Blues, du Rock et de la Soul. Leur talent les a amené à partager la scène avec Johnny Winter, Susan Tedeschi, Tab Benoit, Lil Ed et bien d’autres. Le groupe a vécu quelques mois en Chine, d’où le titre de leur premier disque paru en 2012 : « Live in Shanghai ». Et c’est aussi en 2012 qu ils ont été intronisés au Blues Hall of Fame. « Sweet Thing » est donc leur deuxième enregistrement où l’on retrouve la chanteuse et compositrice Black Betty. Avec sa voix puissante et explosive, on apprécie ses interprétations, comme dans le morceau titre d’ouverture. Sur ce titre et sur Southern Road, qui est un hommage à Johnny Winter, on retrouve l’harmoniciste Jason Ricci qui, avec son groupe New Blood, donne environ trois cents concerts par an. Sur Shake, le guitariste Joe Poppen nous offre un puissant solo qui succède à une belle prestation des cuivres. Avec Use Me On Gilded Splinters, le groupe évoque bien sûr Dr. John. Enfin, en bonus, The One Who Got Away est une superbe ballade blues issue d’un album de soutien à l’association Cancer Can Rock, qui vient en aide aux musiciens atteints par cette maladie. Une louable initiative qui conclut ce magnifique album. – Robert Moutet
Gerry Barnum
Good Time Comin’
Blind Lemon Records BLR-CD1901
Gerry Barnum a composé huit des neuf faces de ce recueil, ce sont des ballades en tempo lent, sauf le titre éponyme et Free Time. Il chante sept d’entre elles ainsi que la reprise, People Get Ready (Curtis Mayfield) en s’accompagnant à la guitare et en jouant de l’harmonica. Un instrumental, Très Jolie, est un hommage assez guilleret à une jolie fille et il faut signaler que tous les textes sont de grand intérêt (ils sont repris dans les notes de pochette), en particulier dans Hometown, une ballade mélancolique qui mélange souvenirs et regrets. Sur quelques faces, Barnum est secondé par le guitariste Dave Goodman, comme dans le titre éponyme bien enlevé, ou dans Burnin’ Down et Change My Way ainsi que dans Big Rock, une work song avec une longue intro a capella (et un soutien vocal de Dave Goodman et Thomas Schleiken). – Robert Sacré
The Jewell Gospel Trio
Many Little Angels In The Band
Gospel Friend PN-1514 – www.gospelfriend.se
De là-haut, au Nord de l’Europe, dans sa Suède natale, Per Notini (1) s’est mis à vraiment gâter les amateurs de black gospel avec ses compagnies de disques Gospel Friend et NarroWay qui comptent déjà, respectivement, quatorze albums pour Gospel Friend et deux (doubles) pour NarroWay. Toutes ces productions, sans exception, sont du plus haut niveau, avec une iconographie soignée et des photos rares. Elles sont recommandées sans aucune réserve, d’autant plus que, pour les (copieuses) notes de pochette, Notini fait appel aux meilleurs spécialistes comme Bob Marovich, Chris Smith, Opal Louis Nations… Au sein des sectes dites Sanctifiées ou Pentecôtistes, il y a, entre autre, la très importante “Church Of God In Christ” (COGIC) mais aussi la “Church Of The Living God, Pillar And Ground Of The Truth” fondée par Mary M. Tate en 1899 ; elle se subdivise en 2 branches, nommées selon le nom de leurs leaders historiques (Chief Overseer), à savoir la Keith Dominion (très conservatrice avec une propension à parquer la musique strictement en interne) et la Jewell Dominion dirigée par Mattie Lue Jewell (de 1942 à 1992), laquelle a choisit d’exporter la musique produite par ses ouailles dans le monde extérieur, leurs chanteuses et chanteurs étant accompagnés par des groupes comprenant piano, orgue, mais aussi des lap steel guitars, basses et drums. Le Jewell Gospel Trio, (en fait un quartet de jeunes filles originaires de Nashville, Te), fait évidemment partie de cette mouvance avec trois sœurs, Canzetta Staton (2), Maria Staton-Nixon et Maggie Staton-Peebles, rejointes par Naomi Aquila Harrison. Ce quartet (3) se produisit non seulement dans les églises de leur dénomination, mais aussi dans des théâtres, salles de danse et autres auditoriums, tout au long des années 50 avec quatre faces gravées pour Aladdin Records à Los Angeles en août 1953 dont deux sont reprises ici, les excellents At The Cross et Rest, Rest, Rest qui bénéficient de l’accompagnement de Nettie Mae Harrison (p), Harvey “Deacon” Jones (g), Corneva Burns (dms) et Lorenzo Harrison (lap steel gt). Par la suite, la lap steel ne sera plus utilisée (L. Harrison passe à la guitare) dans treize faces que ce soit dans les deux faces Excello de 1955 ou les onze faces Nashoro (1955, 1956, 1957) avec Shirley Ann Lee-Boyd, dont la splendide version en slow du Take My Hand de Thomas Dorsay, le titre éponyme, ou encore le bien enlevé I looked Down The Line And I wondered. Comme cerise sur le gâteau, il y a aussi quatre faces de Shirley Ann Lee (Boyd) (4), laquelle fit partie du Jewell Gospel Trio mais eut aussi une carrière personnelle à la fin des années 60’s/début 70’s à Toledo (Ohio) et deux des quatre faces présentent Felton Williams à la lap steel guitar, les mémorables My Faith Is In Thee et Without God There Is No Hope. Un album indispensable pour tout amateur de black gospel et que l’on ne se lasse pas d’écouter et ré-écouter. – Robert Sacré
Notes :
1 – Per Notini a été cofondateur de Route 66 Records (avec Jonas Bernholm) et – sous le nom de Stockholm Slim, avec les Sumpens Swingsters – fut longtemps un pianiste/chanteur de blues et de boogie très connu et apprécié aux USA comme en Europe avant de « renaître à nouveau » (to be born again) dans la lumière du Seigneur, et il a renoncé à la musique du Diable pour se consacrer à la musique de Dieu, (partim black gospel seulement) , non plus comme interprète mais comme producteur. Grâces lui en soient rendues !
2 – En 1970, Canzietta Staton passa dans le camp de la Soul music et atteint une célébrité certaine sous le nom de Candi Staton ; elle revint dans le monde du Gospel dans les années 80’s et son 30è album, « Unstoppable », est sorti en 2018.
3 – Les termes Trio ou Quartet sont en rapport avec les tessitures de voix et non avec le nombre de chanteurs ; un quartet masculin sera à cinq ou six chanteurs s’il y a deux ténors et/ou deux barytons et/ou deux basses ; un trio féminin pourra compter quatre chanteuses avec deux sopranos, etc.
Quatre autres faces de Shirley Ann Lee sont reprises dans un album Numero Nb-026 intitulé « Local Custom, Downriver Revival ».
Various Artists
Put The Whole Armour On
Female Black Gospel 1940s-1950s
NarroWay PN-1603/1604 (coffret 2 CD) – www.gospelfriend.se
Avant 1943, les femmes étaient déjà parties prenantes dans le domaine du Gospel comme chanteuses et même entrepreneuses, mais ce rôle, assez discret, fut décuplé après 1943 grâce à l’émergence, à côté des « majors », d’une quantité phénoménale de petites compagnies de disques indépendantes qui se lancèrent à la chasse aux talents dans tous les domaines, jazz, blues… et gospel ! Dans ce dernier domaine (comme dans les autres), des milliers de nouveaux talents furent découverts, féminins ou masculins, en abondance. Ces artistes eurent enfin accès aux studios d’enregistrement. Parmi les femmes se distinguèrent des solistes, des groupes féminins, des groupes mixtes (hommes-femmes), des chorales, des évangélistes itinérantes, etc. La période 1940-1950 fut particulièrement féconde et c’est ce qu’illustre en deux fois 27 faces la compilation « Put The Whole Armour On ». On y retrouve des solistes charismatiques comme Mahalia Jackson, Sister Rosetta Tharpe, Clara Ward, Bessie Griffin, Sallie Martin, Georgia Peach, Marie Knight et d’autres, des groupes prestigieux comme les Ward Singers, les Roberta Martin Singers, les Original Gospel Harmonettes, les Angelic Gospel Singers, etc. Dans des faces moins connues mais tout aussi excellentes comme A Traveler’s Tune de 1954 où Marie Knight (vo) et Sammy Price (p) avec Panama Francis (dms) marient joyeusement Gospel et Jazz comme le font Sallie Martin (vo) et un trio de jazz dans A Little Wooden Church, et il y a d’autres exemples. Blues et Gospel font aussi bon ménage comme Sister Bessie Griffin qui est avec Brownie McGhee (gt) dans I’ve Got A Home Eternal In Heaven ou Marie Knight (vo) avec Larry Johnson (gt) dans I Heard My Mother Pray, etc. Outre les grandes pointures du Gospel, il y a aussi des artistes moins connues qui méritent largement cette mise à l’honneur comme Jo Ann Blackman avec I’ve Been In The Storm en tempo rapide ou les Booker Gospel Singers avec Get Away Sinner en medium, Mary Frazier avec When The Roll Is Called Up Yonder I’ll Be There, Sister Emily Bram avec I Have a Friend Above All Others, Ernestine Washington dans God’s Amazing Grace avec l’orchestre du trompettiste de jazz Bunk Johnson et on pourrait allonger la liste sans problème, chacune des 54 faces méritant un éloge pour le plaisir d’écoute. On citera quand même encore Jesus I’ll Never Forget des Goldrock Gospel Singers (avec un tromboniste jazzy) ou Georgia Peach qui reprend un Negro Spiritual, Daniel Prayed In The Lion’s Den et en fait un gospel authentique (1). Une sélection d’enfer (oops !). – Robert Sacré
Note : Les Negro Spirituals s’inspirent en général de l’Ancien Testament (la Bible) tandis que les Gospel Songs s’inspirent du Nouveau Testament (les Évangiles)
Various Artists
50 Years Of Como Ms Blues
Wolf Records – www.wolfrecords.com
Quelle belle initiative que celle de Wolf Records ! Ce très beau disque, « 50 Years Of Como Ms Blues », permet de retrouver toute la saveur de Como. L’occasion pour tout amateur de blues de découvrir ou de redécouvrir la richesse musicale de cette petite ville, située au nord du Mississippi. Certains noms sont familiers (Fred McDowell, Jessie Mae Hemphill, Othar Turner), d’autres peut-être un peu moins (Ranie Burnett, Eli Green). Wolf Records a eu la bonne idée de rassembler, sur une seule galette, 50 ans d’enregistrements, allant de 1965 à 2017, en mettant l’accent sur une région bien identifiée. Car le style de blues joué autour de Como, le Hill Country blues, est très différent de celui joué dans le plat Delta. C’est un blues « peu orthodoxe », comme l’explique lui-même Cedric Burnside, enfant de Holly Springs, petite ville voisine de Como. De nombreux bluesmen ont marqué de leur bottleneck cette région vallonnée du Mississippi. Pour qui veut retourner aux sources du Blues, Como est une étape incontournable. À l’été 2016, je m’y suis moi-même arrêté lors de ma première excursion dans l’État le plus pauvre des États-Unis, en suivant le fameux Blues Trail. « 50 Years Of Como Ms Blues » exemplifie le concept de « sense of place » développé par William Ferris, enseignant-chercheur spécialiste en blues. Un concept selon lequel un lien étroit unit une personne à un lieu. Cette idée prend tout son sens avec cette petite pépite de Wolf Records. Cerise sur ce gâteau d’anniversaire, certains titres n’ont jamais été publiés auparavant… À découvrir d’urgence ! – Victor Bouvéron
Jimmy Nolen
Strollin’ With Nolen
Hot Guitar 1953-1962
Jasmine Records JASMCD 3135 – www.jasmine-records.co.uk
En 1965, le guitariste Jimmy Nolen rejoint l’orchestre de James Brown avec lequel il restera jusqu’à sa mort en 1983, malgré une brève interruption entre 1970 et 1972 ; à ce moment, tout l’orchestre de James Brown abandonna le leader à cause de son autoritarisme. Jimmy Nolen est le créateur du style « Chicken Scratch » qui apparut pour la première fois sur le tube de James Brown Papa’s Got A Brand New Bag en Juillet 1965. Il a ainsi laissé une trace indélébile dans l’Histoire de la musique. Il y a quelques années, le magazine Mojo le classa en 12ème place des 100 meilleurs guitaristes de tous les temps. Des générations de musiciens ont été influencées par Jimmy Nolen. Le parcours musical de Jimmy Nolen commença bien plus tôt. Ce double CD en est l’illustration. Dans son Oklahoma natal, il apprit d’abord le violon, puis la guitare en assimilant la technique de T. Bone Walker. Le chanteur Jimmy Wilson et le trompettiste et chef d’orchestre Monte Easter ont tous deux revendiqué leur responsabilité dans la venue de Jimmy Nolen à Los Angeles. Une fois sur la Côte Ouest, ce superbe guitariste de blues attira l’attention des autres musiciens. Il va alors enregistrer sous son nom propre, mais aussi en tant qu’accompagnateur de Monte Easter, Chuck Higgins, Moose John (Big Moose Walker), Rudy Ray Moore (Dolemite, dont on peut voir un excellent biopic sur Netflix), Little Arthur Matthews, Billy Robins, Sailor Boy et George Smith (sous le pseudonyme George Allen). Nous avons ici presque tout ce qu’a enregistré Jimmy Nolen entre 1953 et 1962. Ont été exclues les chansons dans lesquelles, en tant qu’accompagnateur, sa guitare était quasi inexistante et Swingin’ Peter Gun – Part 2, face B du médiocre 78 tours Fidelity 3015. Que ce soit en tant que leader ou accompagnateur, le jeu de guitare de Jimmy Nolen est toujours inventif, souvent éblouissant. Son chant est aussi appréciable. La musique superlative, le texte de pochette informatif de Bob Fisher, les renseignements discographiques et la qualité sonore font de ce double cd un MUST. – Gilbert Guyonnet
Bill Doggett
Dancing with Doggett
Bill Doggett, His Organ, His Combo 1955-60
Jasmine Records JASMCD CD 3142 – www.jasmine-records.co.uk
Bill Doggett (1916-1996) dirigea entre 1955 et le milieu des années 70 un excellent combo de r’n’b bien oublié aujourd’hui. Il débuta au clavier avec l’orchestre de Lucky Millinder en 1939, puis dans les années 40 accompagna de nombreux artistes comme Ella Fitzgerald, Lionel Hampton ou Johnny Otis et fit partie de l’orchestre de Louis Jordan (1948-1951). En 1951 suivant l’exemple de Wild Bill Davis, il décide de former un groupe basé autour de l’orgue Hammond qui devient en vogue. Il a la chance de rencontrer trois musiciens exceptionnels et complémentaires : le guitariste Billy Butler, le saxophoniste Clifford Scott et le batteur Shep Shepherd. Ensemble, ils composent le fameux Honky-tonk qui devient un tube majeur en 1956 chez King Records et qui est devenu un grand classique. Ce CD se concentre sur treize titres de la grande période King faits pour la danse et le swing et la réédition d’un album Warner Bros. enregistré live en 1961. Tout cela est de haute qualité, bouge et groove comme les meilleurs savaient le faire. Une musique tonique qui a sa place dans toute bonne discothèque. Indispensable ! – Marin Poumérol
Various Artists
Dave Godin’s Deep Soul Treasures, Vol 5
Kent Records Kent 485 – www.acerecords.co.uk
Les amateurs anglais de Soul music sont réputés pour être les plus exigeants, connaisseurs et rigoureux du genre au monde et n’ont aucun équivalent. Et ce n’est pas l’Hexagone qui peut entrer en compétition, puisqu’à l’exception de Gilles Pétard, personne ne peut rivaliser avec eux à mon humble avis. Dave Godin, à l’inverse des amateurs de « Northern soul » qui privilégient les rythmes sautillants de Motown et de ses satellites, est attiré par la « Deep soul » aux voix recherchées, aux mélodies suaves et puissantes et où l’émotion est à fleur de peau. Le présent volume est le cinquième d’une série de compilations qui regroupent son Olympe du genre. Vingt-cinq titres d’une sélection rigoureuse et érudite d’où il est difficile de faire un choix – tant la qualité est au plus haut niveau – et qu’il faudrait tous citer pour rendre compte de l’érudition et de la passion de son auteur. Chaque titre est abondamment documenté dans le livret par la plupart des spécialistes anglais comme Tony Rounce, John Marriot ou encore Stuart Cosgrove (pour n’en citer que quelques-uns). C’est ainsi que l’on prend plaisir à (re)découvrir des perles rarissimes comme I Ain’t Got Love Nobody Else des Masqueraders, (Until Them) I Suffer de Barbara Lynn extrait de son album Atlantic, These Ain’t Teardrops (James Carr) ou encore deux pépites produites par Allen Toussaint (Can’t Last Much Longer/ Betty Harris et All I Want Is You/Zilla Mayes). Une préférence ira toutefois à Jerry Washington et Right Here Where You Belong extrait de son unique album éponyme Excello, excellent de bout en bout et considéré par Sean Hampsey comme l’un des meilleurs LP soul jamais entendu. C’est aussi l’occasion d’apprendre certains détails comme celui raconté par John P. Dixon concernant Ernie Johnson (dont figure Standing At The Crossroads en duo avec Eddie Campbell) et qui révèle l’avoir rencontré en 2002 dans les rues de Phoenix poussant un chariot de supermarché qui contenait tout ce qu’il possédait. Ou encore découvrir Judy White (Satisfaction Guaranteed) qui est la fille du bluesman folk Josh White. Indispensable. – Jean-Claude Morlot
Ralph Willis
Hop On Down The Line
The (almost) Complete Recordings
Jasmine Records JASMCD 3133 – www.jasmine-records.co.uk
Insignifiant et superbe… Ne cherchez pas au fil des morceaux autre chose que le Blues dans son apparente simplicité. Nous ne sommes pas dans le domaine de la création majuscule, encore moins dans celui de l’innovation. Si, par chance, nous possédons le privilège de pénétrer dans cet art populaire, de synchroniser son tempo et le nôtre et d’embarquer au gré d’une pulsation entêtante et souple à la fois vers des terres oubliées, nous sommes conviés à partager cette plénitude, cette évidence qui laisse volontiers la raison dans son placard, près des balais. Si, au contraire, vous attendez une musique sophistiquée, variée dans ses atmosphères, astucieuse dans ses développements, Ralph n’est sans doute pas, pour vous, le meilleur artiste. Accompagné de musiciens de la scène new-yorkaise comme Brownie McGhee, Sonny Terry et autres, il nous prodigue des blues, souvent en tempo medium plein d’un swing dont on ne se lasse pas. Citer des morceaux est un peu superflu car, en fait, c’est un climat qui vous est proposé et qui vous envoûtera (ou vous lassera). Une spontanéité nonchalante qui évoque plus le bœuf que les concerts. Tout de même, j’avoue aimer un air dont le titre est tout un programme : Blues, Blues, Blues… Les témoignages en vidéo des prestations des artistes des années 50 et 60 ne sont pas si nombreuses. Je vous conseille d’aller sur Youtube et de rechercher : Washboard Pete Sanders, I’ve Been Living With The Blues. Vous y découvrirez Ralph Willis dans le rôle un peu ingrat de simple accompagnateur. Mais n’est-ce pas mieux que rien ? En prime, vous pourrez profiter de l’usine à gaz de Washboard Pete… Ralph est également un parolier attachant. Écoutez donc son Income Tax Blues. Bon, je vous abandonne pour retrouver Ralph et ses potes. – André Fanelli
The Isley Brothers
Just One Mo’ Tune
Singles As & Bs 1960-1962
Jasmine Records JASMCD 1020 – www.jasmine-records.co.uk
Au pays des mille danses, les Isley Brothers occupent une place de choix. De Shout, à Twist and Shout, leurs voix excitantes et leurs rythmes effrénés ont fait voler en éclats bien des réticences à rejoindre le dancefloor. Twist and Shout, justement, est au coeur de cette compilation de vingt-cinq titres captés pendant une courte période de deux ans. Le label Scepter/Wand de Florence Greenberg, avec lequel le trio Isley est sous contrat, publie dans la foulée un 33 tours intégralement repris ici. Avant cela, un court passage chez Atlantic donne déjà d’excellentes choses (Just One More Time, Write To Me). À côté d’originaux, le trio accommode à sa sauce soulful des standards de la variété américaine (Gypsy Love Song, Jeepers Creepers, Shine On Harvest Moon) comme il le fera plus tard sur ses albums T-Neck. Au vu de leur carrière, on peut préférer leur court et étincelant passage chez Motown ou leurs faces des années 70 dans lesquelles ils s’émancipent pleinement, mais cette compilation remet un ordre bienvenu et documenté dans le maquis de leur discographie. – Dominique Lagarde
Bo Diddley
Say Man Back Again
The Singles A & B 1959-1962 Plus
Jasmine Records JASMCD 3129 – www.jasmine-records.co.uk
Réédition de vingt-huit titres du Mighty Bo Diddley, sous-titrée : « The Singles A et B 1959-1962 Plus ». Cela consiste en la totalité de l’album « Gunslinger » plus six titres de l’album « Bo Diddley is a Lover », deux titres de l’album « Bo Diddley », plus les singles correspondants de 1959 à 1962. Il s’agit de classiques comme Road Runner, She ‘s Alright, I Can Tell et autres perles du même acabit. Tous ces morceaux ont été déjà souvent réédités et soit vous les avez (et dans ce cas rien de neuf), soit vous ne les connaissez pas et ce CD devient indispensable, car Diddley reste l’une des grandes figures du R‘n’B et du Rock’n’roll de cette époque. Personnellement, j’aurais aimé que les compilateurs nous présentent plutôt une belle sélection des années 63 à 66 bien moins rééditées… Peut-être la prochaine fois, s’il vous plaît ? – Marin Poumérol
Various Artists
Cadillac Baby’s
Bea & Baby Records, The Definitive Collection (4 CD Box Set + book Earwig CD 4975)
Earwig Music Earwig CD 4975 – www.earwigmusic.com
Narvel Eatmon était un personnage hors du commun. Il était né à Cayuga dans le Mississippi en 1914 (ou 1910 ou 1912). À la fin des années 30, il vint à Chicago comme tant d’autres pour se faire un nom dans le show business et sa réussite a été notable. Après un tas de petits boulots, il réussit sous le nom de “Cadillac Baby” à devenir propriétaire d’un night-club dans le South Side – le Cadillac Baby’s Club – puis, en 1959, à fonder une compagnie de disques, Bea & Baby (Bea étant le prénom de son épouse et Baby le sien), avec des labels apparentés comme Keyhole, Key et Miss dont l’activité s’est poursuivie jusqu’en 1971. À noter qu’en 1961, cinq groupes de gospel ont gravé chacun un single sous label Miss, les dix faces sont reprises dans le CD 4. Cadillac Baby est mort en 1991, pauvre et oubié. Ce projet a été mis en œuvre et finalisé par Michael Robert Frank pour sa compagnie Earwig Records, il va bien sûr tout remettre en perspective et vu la qualité (et la rareté souvent) des faces rééditées (comme des photos), il vient à point pour rendre justice à un entrepreneur visionnaire et doué. Entre les morceaux, ont été intercalés des extraits d’interview de Cadillac Baby enregistrés par Jim O’Neal pour le magazine Living Blues en 1971 (trois extraits de quelques minutes) et deux autres par Steve Cushing en 1983 lors de son show radio « Blues Before Sunrise » (12’52 et 4’02) ; ce sont des documents précieux et instructifs. Bien entendu, d’autres passages d’interview et une foule de détails sur Cadillac Baby et sur ses labels se retrouvent sous forme écrite dans le volume de 128 pages bourré de photographies rares voire inédites, sous la plume de Jim O’Neal. Il y a aussi, écrites par Bill Dahl, des notes très complètes concernant les musiciens, un peu moins d’une trentaine, de Eddie Boyd à Arelean Brown en passant par Homesick James, Hound Dog Taylor, Detroit Junior, Sunnyland Slim, Earl Hooker, Litle Mack, James Cotton, Willie Hudson et d’autres. Par ailleurs, c’est Robert Marovich – un spécialiste reconnu – qui a écrit les notes concernant les cinq groupes de Gospel (The Gloryaires, Eddie Dean & Biblical Aires, The Norfolk Singers, The Pilgrim Harmonizers et le Rev. Samuel Patterson). Notons aussi un texte de Michel Robert Frank, le maître d’œuvre de cette réédition qui fera date, qui raconte comment ce projet s’est imposé à lui et comment il l’a mené à bien. Les quelques noms de bluesmen cités ci-dessus vous auront donné une idée du plaisir d’écoute qui vous attend et on ne fera pas de développements fastidieux, on se contentera de mettre en exergue la qualité des faces du pianiste Eddie Boyd (qui a inauguré la série en 1959 avec le single Bea & Baby 101) ; Boyd est présent avec six faces Bea & Baby en tout (dont Blues Is Here To Stay, You Got To Reap, Thank You Baby,…) toutes excellentes, avec Robert Jr Lockwood (gt) très en forme et quatre faces Keyhole de 1960 (dont deux sont ex-Bea & Baby avec, en surimpression, les Daylighters, ce qui en fait du Doo-Wop ! … Bof !). Bobby Saxton (vo) avec Earl Hooker (gt) méritent aussi le détour (Trying To Make A Living, 1960), comme Sunnyland Slim avec deux faces Miss de 1960 (avec le toujours très inspité Robert Jr Lockwood) et cinq faces empruntées aux long-playings “Colossal Blues” et Red Lightnin’ de 1971, comme celles de Little Mac Simmons, Homesick James et Andrew “Blueblood” McMahon. D’autres plages sont bienvenues, comme celles de Hound Dog Taylor avec Detroit Junior (p) en 1960 pour Key (avant les séances Alligator Records), sans oublier Lee Jackson sur Keyhole avec Johnny Jones (p), J.T. Brown (sax),… et encore Arelean Brown avec Buddy Scott (g) et Little Mack Simmons (hca) sur Bea & Baby. On conclura en soulignant le caractère agréablement disparate du CD 4 avec un paquet de faces restées inédites, dont quatre du duo Sleepy John Estes/Hammie Nixon (début des années 60 : session où furent gravées quatorze faces ; les dix autres sont accessibles sur le site web de Earwig Music) et les dix faces gospel du top niveau dans la tradition du hard gospel. Une réédition majeure qui ne manquera pas, en 2020, de rafler des Awards bien mérités dans les grand-messes du genre à Memphis et ailleurs. – Robert Sacré
Big Walter Horton
In Session, From Memphis to Chicago
Jasmine Records JASMCD 3125 – www.jasmine-records.co.uk
Certains musiciens semblent avoir été marqués par un destin contraire. Quel que soit l’évolution de l’environnement ou la succession des modes, ils « passent à côté ». Inadaptés à la vie sociale, ils paraissent quelquefois être d’étranges visiteurs n’appartenant pas à notre univers. L’alcool est là pour aggraver les choses. Combien de bluesmen ont ainsi payé un lourd tribut à la bouteille… Pensez au grandissime Jimmy Reed ! Quel magnifique musicien que cet homme ne ressemblant à rien, Big Walter, avec son profil d’ascète, respecté de ses pairs et s’étant imposé parmi eux « en force ». J’ai souvenir d’une interview de Billy Branch racontant comment, un soir dans un club, il avait voulu titiller le vieux maître. Mal lui en pris car Horton, dégainant pour l’occasion sa version de La Cucaracha, le cloua définitivement au sol. Mais l’estime de la profession et l’adulation des fans les plus concernés ne suffisent pas pour constituer un vrai public. Fidèle. Lucratif. Revenons au CD. Il couvre un moment fondateur de la carrière de Big Walter. Autour de lui, au gré des séances, nous retrouvons la fine fleur du Blues d’après guerre. Des noms qui font rêver, de Tampa Red à Johnny Shines, de Sunnyland Slim à Jimmy Rogers et j’en passe. La sélection de titres est un vrai bonheur pour ceux qui aiment le Blues. Big Walter fut un maître de l’accompagnement. Toujours au service du band leader. Écoutez donc son travail auprès d’Otis Rush… Il y a tant de beaux passages dans ce CD. J’aime bien Evalena de Tampa Red avec son parfum de jam sur un tempo d’acier. Le chorus de Walter, faussement simple, est en fait très original… Ne ratez pas cette perle. Vous ne vous en lasserez pas. – André Fanelli
William Clarke
Heavy Hittin’ West Coast Harp
Bear Family BAF 18054 – www.bear-family.fr
William Clarke rencontra George Smith en 1977. Une véritable relation père-fils se noua entre les deux hommes grâce à l’harmonica. Clarke et Smith jouèrent très souvent ensemble dans les clubs. En octobre 1983, sur son lit de mort à l’hôpital, George Smith s’adressa ainsi à William Clarke : « I’ve done what I can. Now it’s your turn to fill my shoes ». William Clarke devint un formidable harmoniciste au timbre moelleux et velouté du style West Coast, qui mêle le son de Chicago au swing et au jazz californien. Malgré son talent, William Clarke enregistra quelques disques inégaux pour Good Time Records (« Hittin’ Heavy », 1978), Hittin’ Heavy Records (« Blues From Los Angeles », 1980) et Watch Dog Records (« Can’t Hear Me Callin’ », 1983). L’Europe le découvrit vraiment grâce à l’album « Tip of the Top » pour Satch Records que les Hollandais de Double Trouble eurent la bonne idée de diffuser. La reconnaissance internationale advint quand Alligator publia l’exceptionnel « Blowin’ Like Hell » en 1990. La gloire fut de courte durée pour William Clarke qui mourut subitement en novembre 1996, à l’âge de 45 ans. Les Allemands de Bear Family rendent hommage à ce grand musicien de blues avec un album vinyl 180g. pressé à 1000 exemplaires, dont ils ont confié la production à Bob Corritore, lui-même talentueux harmoniciste. Celui-ci a sélectionné dix titres de premier ordre, de la période précédant les enregistrements Alligator. Must Be Jelly, Let’s Celebrate Life et When I Get Drunk proviennent du disque de William Clarke et Junior Watson « Double Dealing », enregistré en 1983 et publié en 2010. Hittin’ Heavy est le titre éponyme du LP de 1978. Le live Chromatic Jump et Tribute To George Smith avaient été publiés sur l’album « Tip of the Top ». Le seul inédit, Goin’ Home To See My Baby, est chanté par Luke “Long Gone” Miles. Enfin, Home Is Where The Heart Is, That Ain’t The Way To Do It et I Got My Bags Packed sont des titres de 1981 que William Clarke avait retravaillés en studio quelques jours avant sa mort et que sa veuve avait édités sur le CD posthume « Now That You’re Gone » (Watch Dog Records, 2002). Il est, semble-t-il, impossible de connaître les details discographiques : dates et lieux d’enregistrement, musiciens présents en studio, à l’exception des guitaristes qui sont, selon les titres, Hollywood Fats, Ronnie Earl et Junior Watson. Voilà un bel hommage à un des grands bluesmen californiens, ce qui le rappelle à notre bon souvenir et le sort d’un oubli immérité. – Gilbert Guyonnet
The Vibrations
Talkin’ Trash
A Singles Collection 1960-1962
Jasmine Records JASMCD 1019 – www.jasmine-records.co.uk
Un de ces groupes vocaux dits de « doo-wop » très en vogue dans ces années-là, les Vibrations, formés en 1955 à Los Angeles, débutèrent sur disque sur le label Flash, puis passèrent chez Aladdin en 1957 pour arriver ensuite chez Chess/Checker en 1960. C’est de là que proviennent les vingt-cinq titres de ce CD. Avec l’énorme succès du Twist, il fallait pour avoir une part du gateau créer de nouvelles danses et les Vibrations s’y employèrent : The Watusi, Doin’ The Slop, The Junkernoo, Let’s Pony Again, The New Hully Gully, avec un certain succès. Mais ils gravèrent également d’excellents titres très r ‘n’b / rock’n’roll : Cave Man, Wallflower, une très originale version de Over The Rainbow et un très soulful If He Don’t en 1962. Plus tard, chez Atlantic, ils enregistrèrent My Girl Sloopy et leurs disques pour Okeh puis Neptune se vendirent très bien. Le groupe se sépara en 1970. Ce CD vous permettra de réviser toutes ces danses et de faire un malheur sur les dance floor ! – Marin Poumérol
Various Artists
Los Angeles Soul, Vol 2
Kent – Modern’s Black Music Legacy 1963-1972
Kent Soul CDKEND 486 – www.acerecords.co.uk
Plusieurs décennies déjà que Kent Soul publie avec régularité ces compilations thématiques, par producteurs, par villes, par labels, songwriters, voir sujets politiques ou sociaux, de faces soul, rock, country ou pop, tantôt connues, tantôt obscures. Dans des ensembles homogènes, élaborés avec soin et pertinence, il est rare qu’au moins un tiers des titres proposés ne se détachent encore du lot et deviennent des pépites incontournables. C’est encore le cas pour ce deuxième volume dédié aux efforts de la marque californienne Kent et de ses filiales pour promouvoir des talents, plutôt bluesy dans leur majorité, et recrutés autour de Los Angeles. Trois chansons sont annoncées comme inédites. À côté d’excellentes faces de Lowell Fulsom, Johnny Copeland, Larry Davis, Clay Hammond, Z.Z. Hill, Vernon Garrett, Arthur Adams (par ailleurs souvent enregistrés), figurent de belles surprises comme Rudy Love et son Then I found You, original et quasi Dylanien, peut-être le point d’orgue du disque. Mention aussi aux filles, Felice Taylor, Jeanette Jones, Venetta Fields et Millie Foster, ces deux dernières inventives sur des standards du Rhythm’n’blues. – Dominique Lagarde
Fats Domino
Fats in Stereo 1959-1962
Imperial Hit Singles Plus Bonus Stereo Tracks
Jasmine Records JASMCD 855 (2 CD) – www.jasmine-records.co.uk
Quarante-et-un titres parus en singles entre 1959 et 1962 réédités ici en stéréo. Tous sont très connus et ont été maintes fois publiés : I’m Ready, Margie, Josephine, My Real Name, etc. L’édition en stéréo ne leur apporte pas grand chose sinon un saxophone qui est beaucoup plus en avant et en devient presque génant ; mais c’est une opinion personnelle et au bout de quelques écoutes on s’y fait. Les vingt derniers titres sont beaucoup moins connus, mais sont plus « middle of the road » avec violons, proches de la variété de l’époque, et visent un public plus large ; leurs titres sont d’ailleurs symptomatiques : Magic Isles, Easter Parade, Along The Navajo Trail, Am I Blue. Pour collectionneurs des enregistrements du “Fat Man”. – Marin Poumérol
Various Artists
Blues Images Presents 22 Classic Blues Songs, 1920s-1950s, Volume 17
BIM-117 – www.bluesimages.com ; john@tefteller.com
John Tefteller a encore frappé fort. Le 17è album de sa série accompagné d’un superbe calendrier pour 2020 lorgne cette fois encore vers les classiques du Post War blues, en ce compris, cette fois, trois faces Irma démos de Juke Boy Bonner (aka J.B. Barner) complètement inédites, deux faces du mystérieux Blues Boy Bill de 1947 (dont une inédite) et une face de B.B. King de l’été 1949 gravée à Memphis pendant son séjour comme D.J. chez WDIA. En outre, une photo inédite de King en studio WDIA est en couverture du CD comme du calendrier, lequel révèle encore, en grand format, sept autres photos rares (Jim Jackson avec le metteur en scène King Vidor, Bo Carter, Texas Alexander, Victoria Spivey, deux des Mississippi Sheiks, Lonnie Johnson et Bessie Jackson (1) et quatre publicités Paramount, Romeo, Vocalion… toujours à couper le souffle !). Il faut y ajouter un grand nombre de publicités d’époque, en petit format, qui illustrent chaque mois du calendrier avec, en prime, plein d’infos utiles (dates de naissance et de mort de musiciens ou personnages importants dans le monde musical, événements historiques, …). Comme les seize albums/calendriers précédents (toujours disponibles), ceux-ci restent un duo « collector ». Quid de la musique, vous demandez-vous ? Et bien c’est le pied de bout en bout. En particulier pour les 78 tours restaurés avec un spectaculaire son, on ne peut plus clair pour Victoria Spivey (Blood Thisty Blues, 1927), Bo Carter (Howling Tom Cat Blues, 1931), les Mississippi Sheiks (Baby Keeps Stealin’ Lovin’ On Me et Back To Mississippi, 1930) ou les mêmes avec Texas Alexander (Days Is Lonesome, 1930), Charlie Spand (Ain’t Gonna Stand For That, 1929), Blind Lemon Jefferson (Bad Luck Blues, 1926), Bessie Jackson (1) (le libidineux Shave ‘Em Dry, 1935), William Moore (Tillie Lee, 1928), Leola B. Wilson avec Blind Blake (Ashley St. Blues, 1926), Jim Jackson (I’m Gonna move to Louisiana, 1928), Lonnie Johnson (She’s Makin’ Whoopee in Hell Tonight, 1930). C’est le pied aussi pour quelques faces incroyablement rares et retrouvées par John Tefteller comme celles de Joe Stone (J.D. Short) It’s Hard Time et Back Door Blues de 1933, ou celle de Mississippi Sarah avec Dady Stovepipe, Read Your ABC’s (1931) : on n’en connait qu’une seule copie ! Cerise sur le gâteau, il y a les quelques faces post-1945 qui comblent de grosses lacunes comme I got The Blues de B.B. King de 1949 avec Ben Branch, Phineas et Calvin Newborn, Hank Crawford, Ike Turner et consorts… et où se dessine déjà un talent exceptionnel, les deux faces de Blues Boy Bill de 1947, Come On Babe (une variante de Sweet Home Chicago) et Little Boy Blue qui valaient la peine d’être sorties de l’oubli, sans oublier les trois faces Irma inédites de Juke Boy Bonner dont les superbes Life is a Cheater et I Got Hip To It. Recommandé sans réserve. – Robert Sacré
Note : 1. Shave ‘Em dry est attribué fautivement à Bessie Smith (mais la photo relative à novembre est correcte), ce dont Blues Images s’est abondamment excusé dans la presse, mais les connaisseurs avaient rectifié d’initiative, bien sûr.
Various Artists
Blues Kings Of Baton Rouge
Bear Family BCD17512 (2 CD) – www.bear-family.fr
Nombreuses sont les compilations consacrées au blues de Chicago, Memphis, Detroit, New Orleans, Saint Louis. Beaucoup plus rares sont celles qui examinent le blues de Baton Rouge. Bear Family comble cette lacune et propose un double CD, avec 53 chansons datant de l’âge d’or du Blues de la capitale louisianaise, c’est-à-dire entre 1954 et 1971. Le label allemand a confié la production de ce disque à un expert : Martin Hawkins, à qui nous devons l’indispensable coffret Slim Harpo, « Buzzin’ The Blues : The Complete Slim Harpo » (Bear Family-2015) et l’essentielle biographie « Slim Harpo : Blues King Bee of Baton Rouge » (Louisina State University Press- 2017). Martin Hawkins explique son choix dans l’imposant livret de 52 pages. Avant 1954, il n’existe pas d’enregistrements qui permettent d’affirmer qu’une scène blues existait à Baton Rouge, ni quel pouvait en être le son. Après 1974, la Soul et le R’n B éclipsèrent le Blues de la ville. L’essentiel des deux disques célèbre les productions de Jay Miller, que ce soit pour ses propres labels, Feature, Zynn, ou pour Excello. Tous les musiciens qui ont donné son identité au Blues de Baton Rouge et ont contribué à l’éclosion du « Swamp blues » sont là : Lightnin’ Slim, Slim Harpo, Lazy Lester, Schoolboy Cleve, Lonesome Sundown, Jimmy Dotson, Tabby Thomas, Jimmy Anderson, Silas Hogan, Moses “Whispering” Smith, Arthur “Guitar” Kelley et Henry Gray. Martin Hawkins n’a pas oublié les enregistrements de terrain réalisés à Baton Rouge par l’ethno-musicologue Harry Oster entre 1958 et 1961, publiés par son propre label Folk Lyric : Butch Cage et Willie B. Thomas, le génial Robert Pete Williams, Smoky Babe, Herman E. Johnson, Clarence Edwards. Arhoolie a réédité ces magnifiques pièces non commerciales de l’histoire du Blues. La sélection parfaite des chansons au charme un peu triste mais irrésistible que le temps n’a pas encore fanées, le son exceptionnel et le livret fourni où chaque titre est scruté par Martin Hawkins, rendent ce double CD tiré à 1000 exemplaires, indispensable aux profanes et aux plus blasés des amateurs de Blues. Enfin – pour compléter votre connaissance de Baton Rouge – je vous recommande aussi le livre « Blues From the Bayou – the Rhythms of Baton Rouge » (Pelican Edition) de l’anglais Julian C. Piper, décédé le 19 septembre 2019 dans un accident de bicyclette. – Gilbert Guyonnet
Various Artists
This Is It
More From The Van McCoy Songbook 1962-1977
Kent Soul CDTOP 489 – www.acerecords.co.uk
Vingt-quatre chansons par autant d’interprètes différents pour redécouvrir une partie du répertoire de Van McCoy, près de dix ans après un premier volume conçu dans le même esprit par Kent Soul. Van McCoy est l’auteur de tous les morceaux entendus ici ; il en est aussi, le plus souvent, le producteur. Résolument ancrée dans une sonorité urbaine et dansante, une bonne partie de la sélection – au moins celle antérieure à 1969 – se rapproche du Motown sound. On ne parle pas encore de Northern soul, mais on y est déjà, avec de belles réussites (Bobby Reed, Erma Franklin, Tony Lamarr, Vonettes, Chris Bartley). Avec les années 70 sonne l’heure de productions davantage marquées par la soul psychédélique (Brenda & the Tabulations), le Philly sound ou le disco (Faith, Hope and Charity, Melba Moore) sans jamais se départir de ce côté « sweet soul » dont Van Mc Coy fut un des principaux instigateurs. – Dominique Lagarde
Ray Charles
The Complete 1961 Paris Recordings
Frémeaux et Associés FA 5748 (3 CD) – www.fremeaux.com
En juillet 1961, Ray Charles était à l’affiche du festival de jazz d’Antibes-Juan-les-Pins avec un « petit » orchestre de sept musicien et le retentissement en avait été énorme, au point qu’il fut à nouveau invité en octobre, à Paris cette fois, au Palais des Sports, pour cinq jours de concerts (20-24 octobre) avec un big band de jazz comptant seize musiciens (conduit par Hank Crawford (as) avec Wallace Davenport (tp), David “Fathead” Newman (ts, flûte), Don Willkerson (ts) et d’autres pointures du Jazz. Ray Charles réalise ainsi deux rêves : être au centre d’un big band à la Count Basie et jouer uniquement d’un orgue Hammond B3, laissant le piano au vestiaire. C’est le seul concert en public où Charles ait jamais joué de l’orgue de bout en bout et avec brio (One Mint Julep, Doodlin’, entre autres). Le coffret et ses trois disques permettent d’entendre les 55 faces enregistrées les 21 et 22 octobre dont 25 sont tout à fait inédites. Vu le contexte, il y a nombre de faces où brillent les musiciens de Jazz comme Solitude, Roll in G, Dat Dere, Stockholm Sweetnin’, Whisper Not ou l’excellent Moanin’ ; les amateurs de ballades sont gâtés aussi avec Just For A thrill, Come Rain Or Come Shine, Georgia On My Mind (en version longue, plus de 7 minutes et avec D. Newman à la flûte), etc. Bien sûr, le R&B est lui aussi très bien représenté avec des versions originales (avec orgue !) de Let The Good Time Roll, Hallelujah I Love Her So, My Bonnie (*), Sticke And Stones (*), Yes Indeed, …. ou blues (I’m Gonna Move To The Outskirts Of Town, …) sans oublier les faces avec les Raelets menées par la charismatique Margie Hendrix, outre celles mentionnées ci-avant (*) : I Believe In My Soul, I Wonder, My Baby I Love Her Yes I Do, ou l’étourdissant Hit The Road Jack et une version originale d’un What’d I Say de presque six minutes avec un fin courte mais inattendue lors du concert du 21. On pourrait citer beaucoup d’autres moments forts de cet opus. On se contentera de vous inviter à explorer vous-mêmes cette caverne d’Ali Baba, que vous soyez fan inconditionnel de Ray Charles ou simplement un amateur de bonne musique et d’un talent de premier ordre, le Genius. – Robert Sacré
Various Artists
Let’s Make Every Day A Christmas Day
R’n’b Christmas Classics with Charles Brown and Friends
Jasmine Records JASMCD 3185 – www.jasmine-records.co.uk
Les enregistrements concernant Noël sont une véritable institution aux États-Unis. Aucun artiste ne peut y échapper et les gens du R’n’B comme les autres. En général, je ne suis pas un fan de ce genre de chose, mais lorsqu’il s’agit du grand Charles Brown, crooner à la voix d’or présent ici sur six titres et d’interprétations comme ce Blue Holiday de Sister Aretha Franklin, comment résister ? On trouve également deux titres de Freddie King (d’origine King Records) et des souhaits de Noël venant de Sonny Boy Williamson, de John Lee Hooker, de Smokey Hogg, de Johnny Moore, de Little Willie Littlefield, de Mabel Scott, de Julia Lee et même de Huey Piano Smith dans un superbe Silent Night. Voilà un disque à placer sous le sapin pour former les nouvelles générations ! – Marin Poumérol
Dominique Fils-Aimé
Stay Tuned !
Modulor – www.modulor.tv
Insolite, inclassable, est la musique de cette chanteuse canadienne dont « Stay Tuned ! » est le deuxième album, après « Nameless » en 2018. Une voix comme élément majeur, des harmonies vocales, des handclaps, de rares touches de piano ou de trompette, son esthétique est résolument organique. Un peu comme un versant plus soul de ce que propose la chanteuse Camille. Quinze chansons originales sont retenues ici, dont certaines très courtes, qui font œuvre de passerelles entre les autres. Les textes de Dominique Fils-Aimé invitent les femmes et les hommes de toute condition, qui se sentent opprimés, à se lever face à l’adversité. Approche militante s’il en est, mais qui cherche davantage ses racines dans l’action et le combat, d’artistes, d’anonymes, de philanthropes, que dans celle de politiques investis. Ses compositions suivent la trame du blues (Some body), de la ballade (Revolution serenade, des similitudes avec Nights in white satin), du Gospel (Joy river), voire de la comptine (Old love). Le ton est parfois plus incantatoire (There is probably fire) ou plus funky (Constructive interference, Gun burial, sur la prolifération des armes à feu). Des silences de chapelle ont aussi parfois leur importance. Un univers très personnel, groovy et distingué, sans être distant. – Dominique Lagarde
L’apothéose des vaincus
Philosophie et champ jazzistique
par Christian Béthune
PUM – JAZZ-U
Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains… C’est une expression qui était réservée, pour l’essentiel, à des ouvrages « licencieux » qu’on devait écarter des âmes enfantines trop malléables où ne pas exposer aux regards d’épouses honnêtes et vertueuses. Aujourd’hui, à l’heure ou la Toile constelle notre ciel d’images pornographiques, cette admonestation est un peu dépassée. En ce qui concerne le sexe, certes. Mais qu’en est-il de la philosophie ? Le livre de Christian Béthune, fruit d’un travail que l’on devine aussi ardu que persévérant, se veut une véritable somme venant après d’autres et tentant de dégager une esthétique du jazz. L’auteur a déjà une solide expérience de son sujet. N’avait-il pas publié en 2003 Adorno et le jazz, analyse d’un déni esthétique sans parler de ses articles paru dans les Cahiers du Jazz ou son Jazz et l’Occident de 2008. Tant par son vocabulaire que par ses références, Béthune s’adresse à un lecteur déjà averti quant aux deux approches. Cet ouvrage pourrait prendre sa place dans une librairie au rayon « philo » au côté des œuvres de Kant ou Hegel, de Foucault et consorts. Cet ouvrage pourrait aussi bien être voisin des multiples bouquins historiques, biographiques, techniques et autres consacrés à aux musiques et musiciens. Sa lecture, de but en blanc, par un profane s’avèrerait aride. J’avoue très humblement que dans ma jeunesse j’ai fréquenté les écrits et les pensées des stars philosophiques du moment mais qu’il ne m’en reste pas grand chose. Côté jazz et blues je n’ai manqué aucun des classiques de Panassié à Malson, de Hodeir à Gerber et bien d’autres. Le jazz ou le blues se révèlent dans cet ouvrage autant prétextes qu’objets d’analyse. En fait, il me semble qu’une connaissance tatillonne des jazzmen et bluesmen n’est pas indispensable lorsqu’il s’agit de problématiques macro-esthétiques On n’a pas besoin de reconnaître dès les premières notes des dizaines de musiciens. Il serait vain de traquer la défaillance de détail. Je pense à un ami qui maugréera en voyant accorder à Lady Day un statut, pour lui usurpé, de chanteuse de blues. Peut-être aurait-il à intérêt à relire cette phrase qui dévoile bien des choses et que j’emprunterai à Christian Béthune en guise de conclusion à cette chronique ses doute un peu balourde. « Peu de vrai blues sans doute aux yeux des puristes, mais un blues embusqué derrière chaque mesure, fomenté à chaque note, à chaque respiration en un perpétuel défi. » Ainsi se réconcilient dans l’unité retrouvée le martellement dyonisiaque des pieds des danseurs de Congo Square et le chuchotement, deviné plus qu’entendu, des chercheurs dont les pas feutrés parcourent les moquettes académiques en quête de l’absolu du jazz. Tout porte à croire que la route est encore largement ouverte et que l’analyse des divers visages de la musique africaine-américaine n’ont pas fini de nous surprendre Parfois de nous séduire. Ce livre touffu mais passionnant mérite qu’on s’y aventure. – André Fanelli
Aretha Franklin
Amazing Grace
Livre de Aaron Cohen (traduction Belkacem Bahlouli) + DVD (film « Amazing Grace » de Sidney Pollack – 2019) + 2 CD
GM Editions
Quand on découvre un tel travail, on ne peut être qu’ébloui. Aaron Cohen – journaliste au Chicago Tribune et pour le magazine Downbeat – est un érudit de Soul et de Gospel. Ce livre ouvrage est un travail de fond exceptionnel à propos d’un disque majeur dans l’histoire de la musique afro-américaine (et de la musique en général). En janvier 1972, dans l’enceinete de la New Temple Missionary Baptist Chuch, à Los angeles, Californie, Aretha Franklin enregistre live une performance donnant naissance à un double album qui rencontrera un succès planétaire. Plus de deux millions de copies seront vendues. L’ouvrage d’Aaron Cohen (traduit par Belkacem Bahlouli) est en tous points remarquable, tant dans le texte (analyses musicales et théologiques, archives, nouvelles interviews…, un chapitre est consacré notamment à la tradition de contestation au sein du Gospel au long du XXe siècle), que par l’iconographie abondante et superbe. Mais le plaisir ne s’arrête pas là – et notamment pour ceux qui n’ont pas l’album – car y sont associés les deux CD correspondant au double album « Amazing Grace » ainsi que le DVD du film de Sidney Pollack parue en 2019 (un an après la disparition d’Aretha) retraçant l’histoire et l’atmosphère de ces deux jours d’enregistrement dans cette petite église du quartier de Watts. Il était difficile d’imaginer mieux que ce superbe objet et que cet hommage à un album culte d’une artiste désormais iconique. – Marcel Bénédit
Note : nous parlons rarement de prix dans nos chroniques, mais je dois signaler que ce livre / CD / DVD coûte moins de 40 euros ! Merry Christmas les amis…
Hip Hop Family Tree 4, 1984-1985
par Ed Piskor
Papa Guédé Treasury Edition
Dans ce quatrième volet de la saga Hip Hop Family Tree, Ed Piskor parcourt les années 1984-1985 avec le même esprit de précision historique et la même volonté d’humour décalé que dans ses trois premiers opus. Sur fond de soubresauts sociaux et de violences policières (l’arrivée du crack sur la Côte Ouest, les blindés V-100 du LAPD utilisés pour détruire les labos ou s’élabore la drogue à Los Angeles, les affrontements de la police et la communauté des écolos trash du « Move », décimée dans un bombardement orchestré par les forces de l’ordre ). Nous assistons aux débuts de Dr Dre et de Ice T, à l’émergence médiatique de la sphère rap de Philadelphie, à celle du rap de Floride (2 Live Crew), à la naissance du groupe féminin « Salt and Pepper ». Jusqu’alors le rap était perçu comme un mouvement dont le noyau dur restait ancré à New York, il est désormais devenu un joyau à facettes dont l’éclat chatoie sur l’ensemble du territoire des États-Unis. D’une planche à l’autre nous passons de New York à Los Angeles, pour nous retrouver à Miami, avant de repartir pour Philadelphie. La B.D. s’avère un medium particulièrement approprié pour rendre compte de l’aspect kaléidoscopique d’une culture protéiforme en train de s’approprier l’ensemble de la nation. Jusque-là, le rap était essentiellement une affaire de DJs, ce sont désormais les MCs (Maître de Cérémonie) qui occupent le devant de la scène. Porté par un flow qui s’affine et se diversifie selon les individus et surtout lieux d’origine, les textes deviennent plus âpres, plus contestataires, plus incisifs, plus provoquants. Il est également intéressant de constater comment, orchestré en grande partie par le label Def Jam (co-fondé par Rick Rubin et Russell Smith), le mouvement hip-hop a pris à revers l’industrie culturelle, utilisant les méthodes éprouvées par les trafiquants de substances illicites pour diffuser leurs produits, pour adapter l’offre aux caprices du marché, mais également pour forger le goût du public aux produits à diffuser. Le mérite de la BD de Piskor (lecteur attentif de Jeff Chang et de Dan Charnas) (1) c’est de nous révéler le jeu souterrain des rivalités et des alliances de circonstances, des plans délibérés et des coïncidences, des amitiés et des haines, souvent surjouées et sujettes à d’inattendus retournements, qui ont permis au hip hop de faire tache d’huile. Un morceau de rap, surtout s’il atteint des sommets dans les charts, n’est que la partie émergée d’un iceberg ; c’est sous la surface de l’eau que nous plonge Ed Piskor. L’amateur graphisme retrouvera dans ce quatrième volet le camaïeux de brun d’où émergent parfois des rouges et des noirs ; un parti pris pictural qui conférait déjà aux trois premiers volet de ce Family Tree leur originalité visuelle. L’amateur d’images percutantes retrouvera également en appendice la galerie de portraits réalisée par plusieurs graphistes, un bonus qui complétait déjà les précédents albums. Ceux qui s’étaient procuré les précédent volumes se jetteront sans nul doute sur ce nouvel opus ; gageons que ceux qui prendraient le train en marche avec ce tome 4 auront du mal à ne pas se procurer les tomes précédents tant le travail et le coup d’œil de Piskor s’avèrent indispensables à toute personne intéressée par la culture hip-hop. Jubilatoire et instructif, Hip Hop Family Tree nous donne une version graphique de l’exigence d’edutainement (2) prônée par KRS One. – Christian Béthune
Notes :
1 – Respectivement « Can’t Stop Wont Stop » (2005), traduction Eloise Esquié, Paris, Edition Allia, 2006, et « The Big Payback : The History of the Business of Hip Hop », New York, New American Library 2010.
2 – Mot-valise qui fusionne education et entertaiment (amusement). « Instruire en distraisant (treize ans et demi pas plus) », aurait sans doute dit Bobby Lapointe.