Chroniques #78

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Mississippi Heat

Madeleine

Van der Linden Recordings VDL710 / Distribution Select-O-Hit/Proper
www.mississippiheat.net

Mississippi Heat est un des groupes de blues traditionnel les plus populaires à Chicago et, par extension, dans tout le pays et dans le reste du monde. Il est sous la direction de l’harmoniciste Pierrre Lacocque qui signe neuf des douze titres de cet album, lequel est le ttreizième de sa carrière. Tout a été enregistré aux V.S.O.P. Studios de Chicago en novembre 2019, mais la pandémie de Covid a retardé sa parution jusqu’au 1er avril 2022. Les fidèles accompagnateurs sont là : Inetta Visor (vo et une composition), Michael Dotson (gt et deux compositions), Brian Quinn (bs), Terrence Williams (dms). D’autres sont de retour, comme Giles Corey (gt), Chris “Hambone” Cameron (p, organ, keys), Carl Weathersby (gt), , Kenny Smith (dms) et – excusez du peu – il y a des invitéss comme Daneesha Hamilton (vo), Lurrie Bell (vo, gt), Marc Franklin (tp), Kirk Smothers (sax), Ruben Alvarez (percussions) et un trio vocal féminin ! Tous les ingrédients étaient donc réunis pour produire un opus exceptionnel et… caramba ! c’est une réussite totale, olé ! On notera d’emblée l’excellent Havana En Mi Alma, un hommage de Pierre Lacocque à Victoria, son épouse d’origine cubaine ; le contexte est latino avec cuivres, trio vocal et percussions, mais le rythme est vif, dansant et R&B avec Ina Visor au chant et Carl Weathersby à la guitare. Même équipe pour booster Madeleine(à la mémoire de la grand-mère maternelle de Pierre, Emma Magdalena Van der Linden, que tous appelaient “Madeleine”) en médium avec plus de cinq minutes de plaisir auditif, une fort belle prestation de Carl Weathersby à la guitare et le chant inspiré d’InettaVisor. Tous les autres titres méritent une mention. Il serait fastidieux de les analyser tous,mais on ne passera pas sous silence la grande prestation de Lurrie Bell dans Uninvited Guest, un slow blues avec de belles partiesde guitare. Autre point d’orgue : les brillantesprestationsvocales de Daneesha Hamilton dans un Batty Crazymémorable avec G.iles Corey (gt) et Kenny Smith (dms) entre autres, mais aussi dans Nothin’ I Can DoetRidin’ On A Hitbien enlevés, avec un excellent Lurrie Bell à la guitare dans le premier et un Michael Dotson en forme dans le second, sans oublier Pierre Lacocque (hca) transcendant ici, comme tans tous les autres morceaux. Daneesha Hamilton est encore remarquable dans un At The Lucky Stardansant et chaloupé d’excellente facture (avec tp, sax, trio vocal). On ne doit pas oublier Michael Dotson dans ses deux compositions, au chant et à la guitare slide : Everybody Do Something (un beau blues en médium) et Truth Like Rain(en slow). Quel beau disque ! – Robert Sacré


Diunna Greenleaf

I Ain’t Playin’

Little Village Foundation. LVF 1045 – http://littlevillagefoundation.com

Le label Little Village Foundation nous a habitués au fil de ses publications à de superbes productions. Cette nouvelle session ne déroge pas à cette règle ! Coup de chapeau pour commencer à Jim Pugh, Noel Hayes, ainsi qu’au maître du Greasland Studio – Kid Anderson – pour l’excellence de ce nouvel album qui assurément fera date dans la carrière de la chanteuse texane. Originaire de Houston, la diva possède un curriculum vitae à faire pâlir ; elle a partagé la scène avec des pointures comme Odetta, Carey Bell, Pinetop Perkins, Big Bill Morganfield, Hubert Sumlin ou encore Sam Myers. Le répertoire choisi colle parfaitement aux multiples facettes de l’artiste qui fait siennes des compostions appartenant à Long John Hunter (à l’image de I Don’t Care), mais aussi des Staples Singers avec le magnifique composition I Know I’ve Been Changed, ou encore la reprise du titre de Johnny Copeland, Let Me Cry, sans oublier le morceau écrit par le sous-estimé Joe Medwick, Damned If I Do. Mentions particulières pour la reprise du succès de Nina Simone intitulée Wish I Knew How It Would Feel To Be Free interprétée ici avec talent, implication et émotion, ou encore l’hommage à Koko Taylor avec Never Trust A Man qui se savoure en ouverture de l’album. Sous la houlette du guitariste Kid Andersen et de ses amis et complices, à l’image du batteur D’Mar et du bassiste Jerry Jemmott, alliés dans cette belle entreprise à une superbe section de cuivres, l’ensemble propose de magnifiques arrangements. Cette formidable équipe – pour notre plus grand plaisir – propose un somptueux écrin au talent de Diunna Greenleaf qui donne, sur cette session réussie de bout en bout, le meilleur d’elle-même. À n’en pas douter, cet enregistrement va se classer aisément comme l’une des meilleures productions de cette année. Une fois encore, saluons le travail d’orfèvre de Little Village Foundation qui a su servir d’une manière exemplaire tout le potentiel de cette formidable interprète qu’est Diunna Greenleaf. Bravo ! – Jean-Luc Vabres


Ann Peebles & The Hi Rhythm Section

Live in Memphis 1992

Memphis International Records
www.memphisinternationalrecords.com

Ann Lee Peebles fait partie des toutes grandes chanteuses de soul blues. Elle est née près de Saint Louis en avril 1947 et débuta en chantant du gospel dans la chorale de l’église de son père pasteur mais, vers 1965, elle commença à se produire dans des clubs de Blues et de R&B de Saint Louis. En 1968, à Memphis, Willie Mitchell l’invita à rejoindre son label Hi Records ; il lui adjoignit la Hi Rythm Section constituée de Leroy Hodge (basse), Charles Hodges (keyboards), Howard Grimes (drums) et Thomas Bingham (guitare). Très vite, elle connut le succès avec sa voix sensuelle et enjôleuse et ses interprétations passionnées. En 1970, elle reprit à son compte le Part-Time Love de Little Johnny Taylor (un hit de 1963) qui la propulsa au devant de la scène et elle continua sur cette lancée avec d’autres tubes comme I Feel Like Breaking Up Somebody’s Homerepris à Albert King puis avec ses propres compositions comme I’m Gonna Tear Your Playhouse Down, I Didn’t Take Your Man, etc. Et elle surfa sur les sommets de la gloire avec son I Can’t Stand The Rainen 1973. Son répertoire était savamment construit, avec minutie et talent, par le chanteur/compositeur/ manager Don Bryant qu’elle épousa en1974, un an après la fin des activités de Hi Records ! Il est à noter que les cinq titres cités sont repris, avec quatre autres, dans cet album qui reprend des faces inédites enregistrées lors d’un show Evening Of Classic Soul qui eut Memphis pour cadre en février 1992 avec, au programme, Ann Peebles accompagnée par la Hi Rhythm Section reconstituée, mais aussi une section de cuivres musclée et un chœur comprenant entre autres le chanteur David J. Hudson (au même programme, on trouvait Otis Clay : un autre album à espérer ?). Bien qu’ils n’aient plus joué ensemble depuis 1973, tous et toutes, Ann Peebles, la Hi Rhythm Section, les cuivres et les chœurs retrouvèrent la flamme dès le premier morceau et c’est à une séance torride à laquelle nous sommes invités ici. Outre les cinq faces précédemment citées, Let Your Lovelight Shine de Buddy Miles, Didn’t We Do Itde Billy Always, You Keep Me Hangin’ On des Supremes sont remarquablement interprétées. Un bel exploit réalisé par cette chanteuse qui s’était retirée du show business en 1973 pour s’occuper de sa famille et qui fit un come back fracassant en 1989 pour retravailler avec Willie Mitchell et son nouveau label, Waylo Records, avant de passer chez Rounder/Bull’s Eye Records au début des années 1990, enregistrer des albums, participer à des festivals et à des tournées (notamment en Europe) et se produire dans des concerts (comme celui de Memphis en 1992) et ce jusqu’en 2012 quand une attaque cardiaque l’obligea à tout abandonner. Mais en 2022, à 75 ans, elle se porte bien ! – Robert Sacré


The Sully Band

Let’s Straighten It Out

Belly Up Records BUR001 – https://bellyup.com

Cette impressionnante formation de neuf musiciens arrive de San Diego, California. Portée par la voix toute en nuances de Bob “Sully” Sullivan et des sidemen d’expérience, elle s’exprime dans un registre soul sixties/seventies parfaitement maîtrisé. Au programme, dix reprises. Ne craignez rien, toutes ont leur mot à dire et bénéficient d’un traitement de choix. Pour preuve, l’adaptation du Higher and Higher de Jackie Wilson, plus que jamais aérienne, ou celle du I Wish it Would Rain des Temptations, danse la pluie réitérée dans un monde au cœur sec. Deux titres sans doute moins célèbres, Ice Cold Daydream de Shuggie Otis et If I Could Only Be Sure de Nolan Porter connaissent ici une exposition méritée et, par là-même, une nouvelle jeunesse. Nul ne sait encore si Sully sera un jour roi de la soul… Il en est pour le moment un excellent ministre. – Dominique Lagarde


Sugaray Rayford

In Too Deep

Forty Below Records FBR027 – www.fortybelowrecords.com

Sugaray Rayford est assurément le (soul)blues shouter 3.0 de ce début de siècle ! (interview + cover dans Living Blues n°276 de janvier 2022, pages 10-17). Sur la base des Awards glanés par son dernier album « Somebody Save Me » – B.B. King Entertainer 2020 et Soul Blues Male Artist of the Year (2020 et 2021) –, il nous revient gonflé à bloc avec du soul/blues aux hormones, boosté par une section de cuivres de choc : Aaron Liddard (sax, flûte), Simon Finch (tp) et Tom White (tb) dans les bien enlevés Gonna Lift You Up (le but ? inspirer et élever) et United We Stand (l’union fait la force) ainsi que dans Under The Crescent Moonen. Au niveau des paroles, les problèmes de société sont aussi à la une dans d’autres faces comme Please Take My Hand (les Droits Civiques) et l’excellent titre éponyme, haletant et déterminé (… trop impliqué !) ou le musclé Invisible Soldier avec le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder / le stress post-traumatique des soldats), etc. On salue Rick Holmstrom (guitare) sur six des dix faces et Eamon Ryland (guitare) sur trois autres faces, sans oublier deux claviers et des cordes. C’est Eric Corne qui est le producteur de toute la séance, il a composé musique et paroles des dix titres (dont deux en collaboration avec Rayford) et tient la guitare dans United We Stand. – Robert Sacré


Keb’ Mo’

Good To Be…

Rounder Records 0088807229955 – https://rounder.com

Keb’ Mo’ est le pseudonyme de Kevin Moore. Ce Californien d’origine, chanteur et multi-instrumentiste, fit ses premiers pas dans le milieu musical avec le violoniste du Jefferson Airplane, Papa John Creach, avec qui il collabora pour quelques enregistrements dans les années 1970’s. En 1980, son premier disque, « Rainmaker », passa inaperçu. Puis il travailla avec Monk Higgins. Après le colossal et inattendu succès de la réédition sortie en 1990 des chansons de Robert Johnson, la firme de disques Sony proposa à Keb’ Mo’ de devenir un Robert Johnson moderne. Il enregistra alors deux disques assez réussis où il interprétait un Delta blues remis au goût du jour : « Keb’ Mo’ » (Okeh – 1994) et « Just Like You » (Okeh – 1996). Les deux disques suivants, toujours dans la même veine, ne présentaient pas grand intérêt. Il s’agissait de redites des deux précédents. En 2003, Sony profita de la série produite par Martin Scorsese, « The Blues », en publiant une compilation de ses quatre disques précédents, « Martin Scorsese Presents The Blues : Keb’ Mo’ ». À partir de là, se sentant à juste titre bridé, prisonnier d’un rôle absurde, Keb’ Mo’ va trouver sa voie. Il quitte le rôle à lui imposé par Sony. Il s’éloigne du blues traditionnel, il introduit la country, le jazz, le reggae, le folk et la variété dans sa musique. Le grand public suit. Le succès commercial est au rendez-vous et les récompenses pleuvent. Ce nouveau disque est fait de douze chansons écrites ou co-écrites par Keb’ Mo’ et une reprise très reggae de Lean On Me de Bill Withers. Se mêlent tous les ingrédients cités plus haut. La production est riche (cuivres, instruments à cordes, percussions diverses…), léchée, un peu aseptisée même à mon humble goût. Marvelous To Me voit la discrète contribution de la jeune star montante du Blues, Christone ‘Kingfish’ Ingram. La sérénité du bonheur retrouvé, grâce au retour dans la maison de sa mère et de son enfance, se dégage de cette musique aux charmantes mélodies. Est-ce un disque de Blues ? Mais aucune oreille ne peut résister à une telle douceur, surtout en ces temps difficiles. – Gilbert Guyonnet


Randy McAllister

Power Without Power

Reaction Records RR08 Rec – www.randymcallister.com

Randy McAllister a commencé sa carrière de musicien dans son Texas natal à la batterie, mais il fait aujourd’hui partie des chanteurs/harmonicistes qui comptent depuis sa rencontre et son travail avec “Earring George” Mayweather (hca) à Boston à la fin des années 80’s. Après un séjour en Alaska et beaucoup de concerts avec divers blues bands, il est revenu au Texas en 1992 et a consolidé sa réputation de musicien et de compositeur au sein d’autres groupes. En 1997, il a été repris dans l’équipe de J.S.P. Records pour lesquels il a gravé trois albums très applaudis, puis il est passé chez Severn Records et maintenant chez Reaction Records. Comme chanteur, il a recours, de ci de là, au falsetto, sans basse ni batterie. Il a composé dix des onze faces ; c’est (Somebody) Ease My Troublin’ Mind qu’il a reprise à Sam Cooke dans une version soul fébrile, style « à l’aide, me laissez pas tomber ». Accompagné par l’excellent guitariste Brandon Hudspeth et des invités, il égrène ses compos comme Surprise !!!, un slow bourré d’adrénaline, une vraie bonne surprise avec harmonica et B. Hudspeth à la slide ! Face First est une ballade passionnée avec Howard Mahan (gt), Envy’s Embrace une ballade également, dotée d’une belle mélodie et chantée avec conviction. On a aussi un Son haletant qui part au galop avec des parties d’harmonica et de slide (Hudspath) qui déchirent et Not Everybody Leaves (Her Words), une ballade slow très mélancolique et personnelle (tous ne se barrent pas… mais ! « My father left when I was four… »). On notera encore un trépidant C’mon Brothers and Sisters chanté avec une forme d’urgence. – Robert Sacré 


The Duke Robillard Band

They Called It Rhythm and Blues

Stony Plain CD 1444 – https://stonyplainrecords.com

Duke Robillard (vocal/g) et son excellent groupe ont décidé de rappeler aux amateurs ce qu’était le vrai R’n’B et ils savent de quoi ils parlent. Avec quelques invités bien choisis, ils reprennent avec panache 18 classiques du genre. Sugar Ray Norcia se distingue au chant et à l’harmonica dans Ramblin’ Blues, John Hammond est toujours excellent, ainsi que Kim Wilson dans The Things I Forgot To Do, hommage à Guitar Slim. Sue Foley et Michelle Willson chantent sur No Good Lover ou Trouble In Mind et le chanteur Chris Cote est présent sur six titres. Mais ce qui fait l’attrait de ce disque, c’est « la pèche » du groupe et bien sûr la guitare de Duke, le piano de Bruce Bears, la basse de Marty Ballou, le sax de Doug James et la batterie de Max Teixeira. Oui, on appelait ça R’n’B et, dans les mains de ces musiciens là, il retrouve ses grandes heures. Un CD pour les nouvelles générations, pour qui le terme r’n’b est peut-etre un peu vague ! – Marin Poumérol


Kenny Neal

Straight From The Heart

Ruf Records Ruf 1296 – https://rufrecords.de

Fils de l’harmoniciste Raful Neal, Kenny (vo, gt, hca, auteur-compositeur) est né à New Orleans en octobre 1957, mais il a vécu tout le temps à Bâton Rouge, avec sa famille, son père et ses frères, tous musiciens. Il a réalisé une carrière hors normes. À 13 ans il jouait de la guitare dans le groupe de son père et, en 1976, de la basse dans celui de Buddy Guy ! Puis il fit partie du Neal Brothers Blues Band avec ses frères et, en 1988, son premier album solo (« Bio On The Bayou » – King Snake Records / Bob Greenlee) fut repris par Alligator Records et publié sous le titre « Big News From Baton Rouge ». Le succès ne l’a plus abandonné depuis et il a fait des tournées dans le monde entier, donné une multitude de concerts et participé à moult festivals, gravant au fil du temps trois autres albums pour Alligator Records, trois pour Telarc Records, un album Isabel avec Billy Branch, sans oublier des albums Booga Music, Blind Pig Records, Dixiefrog, Cleopatra Records et maintenant Ruf Records. Mais sa base reste Bâton Rouge. Il y retrouve les sienset il y a même créé les Brookstown Recording Studios où il produit les albums de ses amis, d’autres musiciens louisianais. Paradoxalement, il n’y avait encore jamais rien enregistré sous son propre nom mais voilà, la lacune est comblée, à sa grande joie et – comme il le dit – c’est venu directement dcœur ! Il a composé six des onze faces et arrangé les cinq autres. Il s’est aussi fort bien entouré avec son frère Darnell Neal (basse), Jason Parfait (sax), Ian Smith (tp), Brandon Adams (Hammond B3, claviers), Michael Harris et Bryan Morris (dms) et des invités top niveau comme Christone Kingfish Ingram venu du Mississippi lui prêter main forte dans un Mount Up On The Wings Of The Kingtrépidant et énergique. Autre invité surprise, le chanteur Tito Jackson dans unTwo Timingen medium (et avec Syreeta Neal, la fille de Kenny, au chant). Kenny s’est souvenu que la Louisiane c’est aussi le zydeco et il a eu l’excellente idée d’inviter des amis spécialistes de ce style comme Lee Allen (bs), Big Nate Williams (accordéon), Kevin Menard (dms) et Rockin’ Dopsee Jr (washboard) soutenus par J. Parfait (sax), I. Smith (tp) qui nous donnent un superbe Louise Anaen slow. Rebelote avec un endiabléBon Temps Roulerqui déménage, cette fois avec Rockin’ Dopsee Jr. & The Zydeco Twisters : Lee Allen (bass), Anthony Dopsee, Dwayne Dopsie et Big Nate Williams (accordéons), K. Menard (dms), Rockin Dopsee Jr (wbd) boostés par Parfait Smith et Kenny Neal. Dans la foulée, ce dernier flirte avec le swamp-pop dans un langoureux It’s Been So Longet conclut la séance avec un New Orleansjazzy, chaloupé et typique de la Crescent City avec Bryan Morris (dms), Rockin Dopsee Jr (wbd), les cuivres et cela a des accents de second line. – Robert Sacré


Gina Sicilia

Unchange

VizzTone VT-GS07 – www.vizztone.com

Gina Sicilia est une chanteuse compositrice originaire de Philadelphie. Elle a un physique qui rappelle celui de l’illustre actrice italienne qui a le même prénom. Son premier album est sorti en 2006 et « Unchange » est son dixième, toujours blues et rhythm’n blues. Avec une voix puissante, elle chante avec conviction les dix morceaux dont One Last Tender Moment, le seul qu’elle ait écrit. Pour la première fois, elle s’est associée à Colin Linden ; guitariste, auteur, chanteur, compositeur et producteur canadien, il a joué avec un nombre impressionnant d’artistes. Il a composé six morceaux du disque. Gina et Colin se sont découvert une affinité pour la musique gospel. Aussi, on retrouve dans leur co-production des accents du Révérend Gary Davis. Johnny Dymond est à la basse et Bryan Owings à la batterie, et plusieurs invités sont présents. Les sœurs Ann et Régina McCrary sont au chant sur trois morceaux, alors que Janice Powers et Kevin McKendree sont au piano et à l’orgue. Pour ses enregistrements précédents, Gina avait souvent de puissants orchestres de studio à consonnance jazz. Pour ce disque, elle n’a qu’un solide trio, avec quelques très bons invités. Et le résultat est remarquable. Espérons que dans ses prochaines productions elle reconduise cette formule et qu’elle poursuive sa collaboration fructueuse avec Colin Linden. Nous aurons grand plaisir à retrouver cette voix exceptionnelle qui est le point fort de Gina. – Robert Moutet


T. Rogers & Jeno Fekete

Chicago Blues Union

Self Publ. 2022 – www.chicagobluesunion.com

Hourrah ! pour ce retour de Fersi Kovacs (gt, vo) et nos amis hongrois du blues avec un nouvel album sur lequel, même  il n’y a que des covers, nous portons notre attention. Chapeau à leur éclectsisme qui fusionne l’East Coast blues de Blind Willie McTell (Statesboro Blues), le Memphis Blues de Jr. Parker (Mystery Train) et le California blues de Junior Guitar Watson (Too Tired) avec le Chicago blues classique qu’ils interprètent avec panache. Comme à son habitude, Fersi Kovacs assure du début à la fin et Jeno Fekete prête magistralement sa voix cassée et graveleuse – et son jeu de guitare – à la majorité des titres. C’est à savourer sans retenue de Born in Chicago à Sitting On Top Of The World (la version d’Howling Wolf), en passant par Help Me, Last Night, My Babe, I’m Ready ou Blues With A Feeling… Plaisir d’écoute garanti de bout en bout ! Enjoy. – Robert Sacré


Jose Ramirez
With The Delmark All-Star Band featuring Jimmy Johnson

Major League Blues

Delmark Records 872 – https://delmark.com

Nouveau venu sur le label phare du Chicago blues, le guitariste originaire du Costa Rica ne pouvait rêver mieux comme illustres parrains pour ses débuts prometteurs. Si l’intitulé de l’album nous annonce un Delmark All-Star Band, il faut bien l’avouer, pour cette session, c’est criant de vérité, puisque nous retrouvons dans le studio Riverside : Billy Flynn (guitare), Bob Stroger (basse), Willie Hayes (batterie), Roosevelt Purifoy (Hammond B3) et le regretté Jimmy Johnson sur la composition qui ouvre cet album, Major League Blues. L’illustre aréopage déroule sur du velours tout son savoir pour mettre le guitariste en valeur. Les deux reprises, en guise d’hommage, à Eddie Taylor avec Bad Boy et Magic Sam avec le réussi My love is your love en sont le meilleur exemple. Jose Ramirez signe également huit excellentes compositions originales, à l’image de Whatever She Wants, After All This Time, ou encore le remarquable Here in the Delta. Jose Ramirez joue dans son jardin quand il aborde les douze mesures traditionnelles ou des titres en mode mineur, mais il est également à son aise sur ceux aux inflexions plus soul. Visiblement, il a été à bonne école, ayant déjà croisé sur sa route des artistes de la trempe de Janiva Magness, Buddy Guy, Anson Funderburgh, Mike Wheeler et de nombreux autres. À n’en point douter, ce premier album chez Delmark Records va booster une carrière qui s’annonce fructueuse.
Jean-Luc Vabres


Vaneese Thomas

Fight The Good Fight

Blue Heart Records 025 – www.vaneesethomas.com

Vaneese Thomas est la fille de Rufus Thomas et la sœur de Carla et de Marvell. Elle a de qui tenir et elle signe ici son neuvième album ! Elle a composé, seule ou en collaboration, les douze titres d’un album de soul mâtinée de roots music, de gospel, de blues, de country et d’Americana, sur des thèmes traditionnels de romance, de célébration et d’amour, dans un contexte de problèmes socio-politiques comme dans Raise The Alarmet Fight The Good Fight, ce dernier avec son côté Nashville boosté par Katie Jacoby au violon. Au chant et claviers, Thomas est accompagnée par son mari, Wayne Warnecke (dms, bass, gt), les Memphis Horns (Marc Franklin, tp ; Kirk Smothers, sax baryton ; Lannie MLcMillan, sax ténor) et par toute une série de musiciens selon les faces, comme Scott Sharrard (slide gt) sur un fougueux I’m Movin’ On. Bad Manest aussi un blues vigoureux et mordant avec Corrin Huddleston (hca). On retrouve aussi Al Orlo (guitare acoustique et mandoline) et Joe Mennonna (accordéon) sur un très personnel Time To Go Homeune ballade en slow. L’album se termine avec Lost In The Wilderness aux accents gospel avec, entre autres, Scott Sharrard. – Robert Sacré


Gov’t Mule

Heavy Load Blues

Fantasy Recordings – https://fantasyrecordings.com

La puissance que dégage Gov’t Mule sur scène trouve prolongement dans le présent enregistrement. Il y a dans ce mélange reprises/compositions un fond commun d’énergie qui permet au chanteur guitariste Waren Haynes de donner libre cours à son talent. La force qui se dégage de Ain’t No Love In The Heart of the City offre à l’artiste la trame idéale pour poser son empreinte, tout à côté de celle de Bobby Blue Bland et de Walter Wolfman Washington. Même impression sur Long Distance Call et I Ask For Water. On garde pour la bonne bouche le morceau éponyme de l’album. ; totalement acoustique, Heavy Load Blues nous mène au plus profond. Seul face aux intempéries, Waren Haynes assure. À l’écoute de cet instant suspendu, on peut se souvenir du live solitaire enregistré au festival Bonaroo. I got dreams to remember… – Stéphane Colin


Charlie Musselwhite

Mississippi Son

Alligator Records ALCD 5009 – www.alligator.com

Né le 31 janvier 1944 à Kosciusco, Mississippi, et élevé par sa mère seule, Musselwhite a grandi à Memphis, dans une ambiance blues, hillbilly et gospel diffusée par la radio et pratiquée par des musiciens de son voisinage. Fasciné par le Blues, il apprit à jouer de la guitare et de l’harmonica et il croisa la route de musiciens locaux comme Elvis Presley, Johnny Cash… et surtout Furry Lewis, Will Shade et Gus Cannon. En 1962, comme tant et tant d’autres, il alla s’installer à Chicago et fréquenta les bars des quartiers noirs, se liant d’amitié avec Walter Horton (son mentor) et devenant co-locataire de Big Joe Willams avec lequel il enregistra en 1969 pour Arhoolie (et avant cela avec Walter Horton pour Vanguard Records en 1965), gravant son premier album sous son nom pour la même compagnie en 1967. Il a côtoyé et joué dans les clubs avec tous les grands noms du blues à Chicago, de Little Walter, Howling Wolf et Magic Sam, à S.onny Boy Williamson 2, Muddy Waters, Earl Hooker, Jimmy Reed et bien d’autres. Toute sa carrière s’est poursuivie sous les mêmes auspices, gravant une bonne trentaine d’albums sous son nom et d’autres, en guest ou en duo, avec Bonnie Raitt, les 5 Blind Boys of Alabama, Tom Waits, etc… Et, bien sûr, il a remporté de multiples distinctions. La boucle est bouclée, après un long séjour en Californie, il est revenu aux sources, il s’est installé à Clarksdale, Mississippi où, à 78 ans, il a gravé un nouvel album pour Alligator avec Ricky “Quicksand” Martin aux drums et Barry Bays à la basse dans 7 des 14 faces. Un album dans lequel c’est son talent de guitariste qui est mis en exergue, sans négliger le chant ni l’harmonica, évidemment. Il a composé 8 morceaux et il y a 6 reprises. C’est comme un livre de souvenirs dont il tourne les pages avec nostalgie. Ce sont essentiellement desouvenirs agréables, mais ils font partie du passé et, avec le recul, cela le rend mélancolique. De ce fait, beaucoup de faces sont douces amères et en tempo lent comme Blues Up The River (ado, il contemplait longuement les flots du Mississippi), In Your Darkest Hour (une réflexion, un blues en 8 mesures), Blues Gave Me A Ride (comment le blues peut affecter les gens), My Road Lies In Darkness (en open tuning). Toujours en tempo lent, il reprend le Hobo Blues de Yank Rachell et le Crawling King Snake de Joe Lee Williams, entendus sur la radio WLAC, interprétés par John Lee Hooker. Par ailleurs, Drifting From Town To Town – qui pourrait être un résumé de sa vie passée sur les routes –, bénéficie d’un rythme plus soutenu, comme l’humoristique Stingaree, une fille qui a du piquant (... my baby is a honeybee …). Il se souvient aussi de rencontres importantes avec Remembering Big Joe (Williams), un morceau sur lequel il joue d’une vieille guitare de Big Joe ; avec Pea Vine Bluesrepris à Charley Patton, en souvenir d’un oncle qui lui avait raconté avoir travaillé sur cette ligne de chemin de fer, etc Vu les thèmes abordés, certains passages sont poignants et génèrent de l’empathie. – Robert Sacré


Mercedes Nicole

Constellation

Frank Roszak Radio – https://frankroszacpromotions.weebly.com

Un joli minois, une belle voix douce mais nuancée. Originaire de Seattle, elle en est à son quatrième disque. Aussi à l’aise dans les blues que sur des titres plus jazzy, elle semble très cool mais persuasive. Quelques classiques comme Stormy Monday, The Thrill is Gone ou This Bitter Earth sont remarquablement interprétés, avec le soutien de musiciens de qualité comme Jake Sele (piano), D’Vonne Lewis (drums) ou Thaddeus Turner (guitare). Une chanteuse à suivre, qui nous fait passer un bon moment avec ce CD. – Marin Poumérol


Bubba & The Big Bad Blues 

Drifting

Fullerton Gold Records / Distr. CD Baby – www.bubbablues.com

Christopher “Bubba” Clerc est un très valable chanteur de la Californie du Sud doublé d’un guitariste expérimenté et inventif et d’un compositeur talentueux. Il a composé d10 des 12 titres repris ici, gravés en deux séances. La première, 6 titres, produite par Tony Braunagel, aussi drummer aux multiples awards, les 6 autres par Nick D’Virgilio, un autre drummer, tout aussi renommé et récompensé aux Awards. Cela fait une dizaine d’années que Bubba arpente les blues highways avec son répertoire de Texas blues, de Blues-Rock de Californie du Sud, avec sa Southern soul et son R&B New Orleans. Cela commence bien avec I Wan t To Make Love To You Baby, un blues en medium boosté par une section de cuivres et claviers au top : Richard Rosenberg (tb), Joe Sublett (sax), Les Lovitt (tp) et Mike Finnigan (orgue). Bubba est au chant et à la guitare, comme partout ailleurs. Même schéma dans le bien enlevé Do What’s right, rentre-dedans et bien balancé, de même que dans I Own The Road, un blues décliné en rock’n roll déjanté où brillent, entre autres, Bubba (gt) et Rick Solem (p). Cette ambiance se maintient dans Lose These Blues, un excellent blues en medium avec les cuivres, Bubba et Solem. Une mention encore à If You Need Me, intense et mémorable, comme au titre éponyme Drifting, un slow blues brûlant mais tout en délicatesse, avec les cuivres et Mike Finnigan (p). – Robert Sacré


Samantha Fish

Faster

Rounder Records – https://rounder.com

Originaire de Kansas City, Samantha Fish est une chanteuse guitariste de blues-rock. Elle a sorti son premier album en 2009 et Fasterest son huitième, enregistré aux Studios Village de Los Angeles. Classée parmi les meilleurs auteurs-compositeurs, elle a écrit les douze titres du disque, avec la collaboration de Martin Kierszembaum. Multi-instrumentiste et producteur de l’album, ce dernier a travaillé pour Sting et Lady Gaga. Pour compléter son groupe, Samantha a fait appel au bassiste Diego Navaira et au batteur Josh Freese de Guns N’ Roses. Avec de tels musiciens, elle explore de nouveaux horizons. Si le répertoire reste dans le domaine du rock, le morceau Loud fait exception. Après un démarrage lent, le rythme s’accélère avec un final de hip-hop bien surprenant. Pour cette performance, Samantha a fait appel au célèbre rappeur américain Tech N9ne. En intégrant cette musique à son répertoire, elle a déjà provoqué des commentaires défavorables comme pour ce morceau de rap qualifié de « stupide ». Mais « Faster » reste un exceptionnel disque de blues-rock avec un jeu de guitare efficace et une puissante et agréable voix. L’album va forcément plaire aux amateurs qui vont l’écouter en boucle. Certains vont probablement éviter Loud, le huitième morceaux de l’enregistrement. Actuellement, Samantha est considérée comme l’une des meilleures interprètes du blues-rock, mais va t’elle prendre une nouvelle direction dans sa carrière ? C’est la question que ses fidèles admirateurs vont se poser après cette écoute. – Robert Moutet


The Lowdown Saints

Hit Me Hard

BigT 001

La Suède est toujours au taquet pour proposer encore plus de groupes de blues talentueux. Voici maintenant les Low Down Saints, un groupe qui exsude l’adrénaline et un « rentre-dedans » sans complexe, avec Tommy Moberg (vo, dms), Hannes Mellberg (gt), Felix Matthiessen (gt), Karl Ivert (bass) et des guests. Ils veulent en prendre « plein la gueule »… OK, les gars, pas de problème, pronto… Avec trois compos personnelles et neuf reprises choisies avec soin dans un programme de blues, pugnaces et déchaînés, comme Don’t Want No Woman (Don Robey) en mode furieux, Georgia Slop ( Jimmy McCracklin), déjanté et militant, A Man Needs His Loving (Earl King) haletant et fiévreux en tempo rapide. On peut en dire autant du survolté Take 5 ( H.D. Taylor) avec D. Kornelius (slide), de Take It Easy (Willie Love), de Your Turn To Cry ( Rusty Zinn) ou de Sittin’ and Waitin’ (Kim Wilson). Quelle énergie ! Du côté des compos personnelles, une mention au virevoltant Hit Me Hard et au prenant I’m Not Lyin’. Ils méritent votre attention ! Check out ! – Robert Sacré


Ronnie Earl and the Broadcasters

Mercy My

Stony Plain SPCD1449 – https://stonyplainrecords.com

Ronald Earl Horvath se passionne très tôt pour le blues et le jazz. Il apprend à jouer de la guitare après avoir assisté à un concert de Muddy Waters. Il comprend aussi très vite qu’il ne sera jamais chanteur et décide de faire chanter sa guitare. Sa production sera essentiellement instrumentale. Il développe un style de guitare virtuose, délicat, très mélodieux, où se mêlent blues traditionnel, jazz et soul. Ses solos de guitare sont souvent longs mais joués avec un minimum de notes pour un maximum d’émotion. Depuis 2004, il est fidèle à la firme de disques canadienne Stony Plain. Ses disques sont d’une très grande qualité. Ce dernier, son vingt-huitième, toujours en compagnie de ses Broadcasters ne déroge pas à la règle. La formation des Broadcastersest constituée du fidèle pianiste et organiste, Dave Limina, du bassiste Paul Kochanski, du batteur Forrest Padgett ; l’excellente chanteuse Diane Blue complète le tableau en interprétant les cinq titres chantés du CD. Au gré des morceaux, on appréciera aussi les interventions du pianiste Anthony Geraci (4 titres), du guitariste Peter Ward (5 titres) et des saxophonistes Mark Early et Mario Perrett (7 titres). Le classique de 1953 de Muddy Waters, Blow Wind Blow, chanté par Diane Blue, ouvre le CD sur un mode swing un peu surprenant ; Ronnie, Geraci et Limina sont très brillants. Il n’est pas étrange de découvrir une interprétation réussie d’Alabama de John Coltrane par l’amateur de jazz qu’est Ronnie Earl. Peter Ward a tout l’espace souhaité pour s’exprimer dans Blues for Ruthie Foster, joué en mode acoustique. La reprise de Soul Searching, composition de Ronnie Earl créée en 1988 pour Black Top Records, est particulièrement inspirée. L’instrumental Blues for Duke Robillard est un beau blues lent qui rend hommage à celui que Ronnie Earl remplaça au sein du Roomfull of Blues en 1979. Retour de la chanteuse Diane Blue pour Only You And I Know où les deux saxophonistes ont des solos remarquables. Le délicat jeu de piano d’Anthony Geraci est bien mis en avant sur A Prayer for Tomorrow, collaboration de celui-ci et Ronnie Earl. Dave Limina et les saxophonistes se font remarquer sur le shuffle composé par celui-ci, Dave’s Groove. Pendant les presque 11 minutes de Please Send Me Someone To Love de Percy Mayfield, Diane Blue et tous les musiciens s’en donnent à cœur joie. Le dialogue Anthony Geraci, Peter Ward et Ronnie Earl est délectable sur Cool Train Blues. Diane Blue a l’honneur de conclure ce disque avec deux excellentes interprétations : une ballade, The Sun Shines Brightly, dont les paroles doivent beaucoup à The Sky Is Crying d’Elmore James, et un standard de Jackie Wilson (Your Love Keep Lifting Me) Higher And Higher. Ronnie Earl nous offre un disque, une nouvelle fois, marqué du sceau de la classe. – Gilbert Guyonnet


Michael Rubin

I’ll Worry If I Wanna

Many Hats Records 001 – www.michaelrubinharlmonica.com

Rubin est harmoniciste et chanteur/compositeur. Il a fait toute une carrière d’accompagnateur, mais il a décidé de « se lancer » sous son nom, avec Mike Keller (gt), Michael Archer (bass), Mark Hays (dms) et des invités comme Emily Gimble (claviers). Dès le cartoon de la pochette et le titre éponyme, le ton est donné. L’humour et les jeux de mots seront à l’honneur. A priori, la voix de Rubin interpelle, légèrement chevrotante et grasseyante, puis on se rend compte qu’elle colle parfaitement au comique déjanté et à l’ironie osée des textes. Le ton est coquin, à double-entendre, mais explicite, dès le début, avec Little Rabbit (« …je suis un petit lapin, toi aussi, … tu peux mordiller ma carotte et goûter le jus de ma carotte… ») avec harmonica et slide guitar au top. La suite est à l’avenant avec Go Milk Your Own Cow (« la tienne, pas la mienne ! ») en slow et mode New Orleans avec  le violoniste Dr. Sick (?) qui ajoute une touche country du plus bel effet, touche que l’on retrouve encore plus marquée (mais sans violon) dans Old Rodeo Dreams, une ballade mélancolique bien balancée entre chant, harmonica, guitare et piano. Retour au double-entendre avec Kama Sutra Girl… (« une fille qui sait toujours quelle position prendre… ») boosté par guitare et harmonica. Humour encore et autodérision en vedette dans Can We Break Up Again (« on aurait dû faire cela plus tôt et définitivement ») , I’ll Worry If I Wanna (« … parce que quand je suis tracassé, je me sens bien… ») ou le bien enlevé Beer Belly Woman («ma petite amie a un ventre de buveuse de bière et j’adore l’observer secouer ce machin… ») avec, dans chaque cas, de belles parties d’harmonica et de guitare. L’album se conclut avec Fourth Coast,un instrumental musclé dans lequel chaque musicien se défonce sans compter. – Robert Sacré


Susie Blue and The Lonesome Fellas

Blue Train

Seraphic 8644- 361

Le précèdent CD de cette jeune chanteuse, « Bye Bye Blues », avait obtenu un award. Celui-ci, enregistré dans les studios Steve Yates à Morton (Illinois), continue ce mélange de rock, roots, jazz, swing et blues avec des compositions et des reprises originales telle Lucky Lips de Ruth Brown. Musique faite pour danser, bien ficelée, joyeuse, avec un groove indéniable, par de très bons musiciens. On survole tous ces styles d’une façon un peu légère. “Susie Blue” alias Solitaire Miles chante bien. Un bon disque, plaisant à écouter. – Marin Poumérol


Neal Black and The Healers

Wherever The Road Takes Me
30 Years Best of Collection

Dixiefrog DFGCD8833 (2 CD) – www.dixiefrog.com

Avec sa voix graveleuse, cassée et enfumée de rogomme – elle fait mouche ! – et ses talents de guitariste (slide et dobro inclus) et de banjoiste, c’est à une commémoration de trente ans de carrière à laquelle nous invite Neal Black avec deux CDs. Le premier est composé de 18 faces gravées en studio à New York, au Texas, au Tennessee, au Mexique, en Allemagne et en France ; elles sont tirées de 13 albums pour Dixiefrog, avec ses musiciens et invitéss de haut vol. Tandis que le second rassemble morceaux inédits, en concert en Allemagne et en France avec Mike Lattrell (p), Nico Wayne Toussaint (hca), divers bassistes (dont Kris Jefferson) et deux batteurs, selon les lieux. Ce dut être un choix cornélien et très subjectif, mais Black a fait le job, consciencieusement et judicieusement. Du côté des 18 gravures en studio, on notera 14 compos de Black (dont une, Justified Suspicion, en slow, dans une ambiance dramatique, co-écrite avec Poppa Chubby qui y est à la guitare). Iil y a aussi deux faces « mexicaines » festives, avec Cesar Bareiro (tp), Carlos Avilez (bs), des percus et Mario Garabay (accordéon) : Hotel Room In Mexico en mode speedé avec guitare slide et Bad Rose Tattooe. Des slow blues comme Cry Today (avec Fred Chapelier, gt), Mississippi Doctor avec N.W. Toussaint (hca) et on retrouve ce dernier dans New York City Blues (avec Poppa Chubby, gt acoustique) et dans un bien chaloupé Sunrise In Prison. Pour le reste, on saluera la présence de Robben Ford en guest (gt, 2è solo) dans le All For Business de Jimmy Dawkins, celle de Jimmy Vivino (dobro) dans le It Hurts Me Too de Elmore James, sans oublier Saints Of New Orleans (Neal Black) et son rythme de valse avec Larry Garner (chant et gt). Côté concerts, on retiendra de belles versions, dynamiques, voire tempétueuses et rentre-dedans, du If I Had Possession Over Judgement Day de Robert Johnson, de Lost Without You (J. Chatman) (présent aussi sur CD1), de Goodbye Baby (Elmore James) et de Streeamline Woman (Muddy Waters). Quant aux trois compos de Black, elles sont dans le même registre : Did You Ever (présent aussi sur CD1) en rock ‘n roll speedé, Handful Of Rain (présent aussi sur CD1) bien enlevé, tout comme Chicken Shack Cognac. – Robert Sacré


Bobby Gentilo

Gentilo

Blue Heart Records – www.bobbygentilo.com

Artiste autant electro que hill country blues, funk, soul, cumbia ou Go-Go music, le multi-instrumentiste Bobby Gentilo a trouvé l’astuce pour faire monter la sauce. À l’arrivée, c’est naturellement une fusion pop-rock qui semble prendre le pas d’entrée, comme dans l’excellent et quasi « beatlesque » Disease. Tous les titres, originaux, sont conçus dans un format entre trois et quatre minutes. Originaire de Washington D.C., Bobby Gentilo affiche de beaux états de service, comme membre des Cornlickers, qui accompagnèrent naguère Big Jack Johnson. Les acquis de cette expérience parcourent l’énergique Peace Train, tout comme Troublin’, Treat Me So Mean, Tire Fire, Higher, qui infléchissent, une fois passé l’inclassable Ghost prend une tangente résolument plus blues hypnotique. Le graphisme de la jaquette est recherché, le potentiel de séduction certain. Une excellente découverte. – Dominique Lagarde


Dave Weld & The Imperial Flames

Nightwalk

Delmark Records 874 – http://delmark.com

Robuste et énergique, le troisième album pour Delmark Records du guitariste de Chicago ne va pas décevoir ceux qui suivent la carrière de ce brillant musicien. Disciple de J.B. Hutto, Dave Weld est resté de nombreuses années aux côtés de Lil Ed and The Blues Imperials avant de poursuivre sa route avec les Blues Imperials. Sa nouvelle production met les petits plats dans les grands en nous proposant de puissantes compositions originales, à l’image de Mary Who, Travelin’ Woman, Hit By The 103 ou encore Don’t Ever Change Your Ways. Le groupe charpenté qui l’accompagne déroule tout son savoir faire grâce à Monica Myhre qui est admirable au chant sur six morceaux, mais aussi de Harry Yaseen et Graham Guest au piano, Kenny Pickens à la basse et Jeff Taylor derrière les fûts. La participation de l’harmoniciste Billy Branch est formidable sur le titre hommage à J.B. Hutto, le classique She’s Gone qui est ici superbement revisité, tandis que la section de cuivres comprenant les indispensables Bill McFarland, Kenny Anderson, Rogers Randle Jr mais aussi Sax Gordon, enrobe divinement la session. Le jeu à la guitare de celui qui a fait ses classes aux côtés de Ted Harvey et Brewer Phillips est toujours aussi efficace, rappelant habilement la musique apprise auprès de ses illustres aînés, mais aussi en proposant des sonorités nettement plus contemporaines. Dave Weld & The Imperial Flames signe avec fougue un puissant album qui ne décevra pas les nombreux fans de la formation. – Jean-Luc Vabres


Various Artists

The Wildroots Sessions vol.2

WildRoots Records CD2022 – www.wildrootsrecords.com

Suite logique du volume 1 de 2021, ce volume 2 est dans la même voie, celle de la qualité. Produit par le guitariste Stephen Dees avec Patricia Ann Dees (vo, sax), il rassemble tout un panel d’artistes globalement au top, à commencer par Victor Wainwright (p, vo) dans I.O.U. en médium puis dans I Feel Fine, un slow blues mémorable avec, entre autres, l’excellent guitariste Bryan Bassett et Stephen Kampa, un harmoniciste au top. Mais aussi dans Wildroot Boogie, un instrumental enlevé (avec Mark Hodgson, hca ; Patricia Ann Dees, sax ; S. Dees, gt ; Billy Dean, dms) et encore dans un festif Good Wordde bonne facture. Mark Hoggson au chant est au centre de The Thread Of Time, un beau slow blues avec B. Bassett (gt), S. Dees (gt), R. “Top” Thomas (gt), Scott Corwin (dms) et Lucky Peterson (piano et orgue). Lucky Peterson est aussi à l’orgue en support de l’excellent chanteur Dyer Davis dans The Bad Seedavec B. Bassett (gt), S. Dees (basse), R. “Top” Thomas (gt) et S. Corwin (dms). De très bonnes surprises attendent l’auditeur avec le chanteur Anthony “Packhat” Thompson et sonLazy Little Daisy, un slow blues accrocheur avec Victor Wainwright (p), S. Dees (gt), Robert “Top” Thomas (rhythm guitar & slide), S. Kampa (hca) et Billy Dean (dms). Robert “Top” Thomas chante un fort bon Pile Of Bluesen s’accompagnant à la slide, c’est un slow blues avec Wainwright, Kampa, S. Dees et Dean. Mention aussi au chanteur Billy Livesay et un fougueux Working For My Car Blues. On notera enfin la présence de la chanteuse Reba Russell en duo avec P.A. Dees dans Long Way To Goet dansThat Man Of Mine. – Robert Sacré


Kendra Morris

Nine Lives

Karma Chief Records – https://www.coleminerecords.com

Même si ses albums sortent avec parcimonie (un tous les dix ans ?), Kendra Morris n’est pas une inconnue sur la scène new-yorkaise. Elle s’y est fait une place voilà une vingtaine d’années, après une enfance en Floride. La chanteuse semble se mouvoir avec autant d’aisance dans l’underground new-yorkais qu’en partageant l’affiche avec le guitariste funk Dennis Coffey. Classée (à moins d’être inclassable) dans les artistes au style cinématographique, elle confirme cette impression dans ce troisième album au style très pointilliste et dont plusieurs chansons pourraient se glisser dans la bande-son de quelque road-movie. Rien d’étonnant, puisqu’elle est également réalisatrice. Remarquée en 2012 par le label Wax Poetics (deux albums, dont un de reprises), elle est de retour cette année sur une sous-marque de Colemine Records. Pour n’être qu’une jeune quadra, Kendra Morris aurait suffisamment d’histoires à nous conter pour remplir neuf vies. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. – Dominique Lagarde


Brad Absher and the Superials

Tulsa Tea

Horton Records – https://orcd.co/tulsatea

Enregistré live au Paradise Studio de Grand Lake (proche de Tijuana, OK) – que Leon Russell fit construire dans les années 70’s –, et produit par l’excellent musicien de jazz Chris Combs, cet album comporte huit titres écrits par le guitariste et chanteur Brad Absher est une intéressante découverte. C’est un disque dominé par le blues (parfois électrique : Hard Times) avec des accents New Orleans (Neutral Ground), et des incursions réussies vers la soul (Turn It Up) car la voix grave et un brin éraillée de Brad Absher se prête à merveille à cet exercice. EZ Mireles (claviers), Danny Timms (Wurlizer, Hammond B3), Jake Hemphill (guitare), Dylan Layton (basse), Matt Martin (drums), Charlie Redd et Briana Wright aux chœurs et Abbie Rose (hand claps) complètent ce groupe qui maîtrise le sujet à merveille. Un bel album sans moment faible. – Marcel Bénédit


Popa Chubby

Emotional Gangster

Dixiefrog DFGCD 8831 – www.dixiefrog.com

Toujours en surpoids mais débordant d’énergie, Theodore Horowitz a.k.a.Popa Chubby a remis le couvert en proposant un nouvel album blues-rock où, une fois encore, il fait tout, tout seul, en one-man band, chant et instruments, sauf sur deux faces où il est accompagné par Jason Ricci (hca). On ne sait s’il part du principe :« c’est par soi-même qu’on est le mieux servi » ou s’il pense, dans une forme de mégalomanie, être le meilleur en tout et n’avoir besoin de personne d’autre sur ses albums, ou encore est-ce par pingrerie pour ne pas avoir à payer d’autres musiciens (qui en auraient pourtant bien besoin) ? Allez savoir! Sur le plan instrumental et mélodique, il se prive ainsi d’une dynamique que pourraient apporter d’autres musiciens avec des sensibilités complémentaires mais différentes de la sienne. Bah !, chacun fait son lit comme il se couche, dit-on et objectivement. Mais il faut reconnaître que c’est bien fait. Ce n’est néanmoins pas un hasard si les faces où Jason Ricci intervient à l’harmonica sont parmi les meilleures :un trépidant New Way Of Walkinget un savoureux Save The Best For Lastoù guitare et harmonica s’affrontent de belle façon. Par ailleurs, Popa Chubby a composé 10 des 12 faces. Les problèmes d’actualité continuent à l’inspirer ; ainsi l’entraînant Equal Oportunity, avec une belle partie de piano, est un hommage mérité aux femmes. Il y a aussi Why You Wanna Make Waren deux versions bien balancées avec guitare en folie, une en Anglais et l’autre partiellement en Français ; bien sûr, il parle d’une guerre dans un couple, mais aujourd’hui, cela pourrait être un anathème destiné à Vladimir Poutine dans sa guerre en Ukraine. Les deux reprises sont rondement menées : Hootchie Coochie Mande Willie Dixon dans une version accrocheuse et adroitement dépoussiérée et Dust My Broomde Robert Johnson/ Elmore James qui retrouve ici une nouvelle jeunesse. Ces deux morceaux se voulaient un hommage de Popa Chubby à deux de ses idoles, mission accomplie  ! Le reste est, globalement, du même tonneau. – Robert Sacré


Chuck Berry

Live From Blueberry Hill

Dualtone 8030202241

Enregistré dans sa bonne ville de St Louis, dans un club où il se produisait encore en 2005/2006, voici un dernier live de ce bon vieux Chuck. Seulement 29 minutes de musique pour 10 titres faisant tous partie du répertoire depuis bien longtemps. Orchestre correct sans plus, avec le fiston Charles Berry Jr à la guitare, la fille Ingrid Berry à l’harmonica plus piano, basse, drums. Le poids des ans se fait nettement sentir, la guitare n’est plus aussi tranchante et les Roll Over Beethoven, Carol, Sweet little Sixteen et autres Johnny B. Goode font pâle figure par rapport aux originaux. Deux titres se distinguent malgré tout : une belle version de Around and Around et un blues bien enlevé nous rappelant que Chuck était aussi un grand bluesman : Mean Old World. Un disque secondaire à réserver pour les inconditionnels du grand homme. – Marin Poumérol


Mike Zito

Blues For The Southside

Gulf Coast Records – www.gulfcoastrecords.net

J’apprécierais d’assister à un concert de Mike Zito. Pour autant, je ne ferais pas du double album live de cet artiste un de mes disques de chevet. Non que celui-ci soit râté, c’est même tout le contraire. Juste que je goûte moins ce style de heavy blues où la guitare se taille la part du lion. Les reprises de Voodoo Chile et Johnny B. Goode sont une étape obligée pour tout guitariste soliste désireux de se mesurer aux deux maîtres de l’instrument que sont les auteurs de ces titres. Mike Zito partage la scène avec quelques invités, spécialistes de la six-cordes : Eric Gales, Dave Kalz, Tony Campanella de la guitare blues. Sans jouer les blasés, un enregistrement à conseiller avant tout aux amateurs du genre ou aux novices qui pourront parcourir l’évolution de la guitare blues, des racines au rock, via le jeu en slide. – Dominique Lagarde


Ina Forsman

All There Is

Jazzhaus Records JHR211 – http://www.jazzhauserecords.com

La voix exceptionnelle, subtile et puissante, empreinte de soul et de blues, de l’Islandaise Ina Forsman vous prend aux tripes avec énergie et spontanéité. Elle s’est installée à Berlin et a quitté Ruf Records pour graver son troisième album pour Jazzhaus. Ici, elle propose une véritable introspection favorisée par le confinement dû à la pandémie de Covid 19. Elle s’est demandé : « Qui suis-je? Que fais-je ici ? J’ai recherché des mélodies aussi émouvantes et organiques que possible, j’ai tout réalisé, j’ai appris à jouer du piano, j’ai développé les arrangements de cuivres et de cordes ; ce fut un grand défi pour moi mais je l’ai fait… » Résultat ? On a ici un album miroir de son interprète, un album d’histoires d’amour dont elle dit : « Même derrière les plus grandes histoires d’amour, il y a généralement un combat et dans certaines chansons, je raconte comment les gens se battent ensemble et trouvent ensuite leur chemin vers le bonheur… » Voilà qui résume fidèlement ce qu’elle développe de plage en plage dans cet album qui est vaguement blues, voire soul et jazz avec une fresque magistrale de musique jazzy qui fait penser à ce que fait l’ Anglaise Adèle et d’autres stars du box office. Ina Forsamn est sortie de sa zone de confort, tout en affirmant son attachement à la soul et au jazz, cela mérite toute l’attention de ses fans et des amateurs de bonne musique. – Robert Sacré


Mama’s Biscuits

Love Advice

Autoproduit

Mama’s Biscuits est un groupe qui a été créé en 2001 par Véronique Sauriat. En tant que soliste de la formation Difference Gospel Choir, cette chanteuse a acquis une solide expérence de la scène qu’elle a partagée avec le Golden Gate Quartet ou Carol Fredericks. Dans ce nouveau groupe, la voix de Véronique garde clairement son influence gospel, mais avec des accents blues teintés de soul et de jazz. Le premier disque des Mama’s Biscuits est sorti en 2005 ; « Woman » était un vibrant hommage aux chanteuses de blues et de rhythm’n’blues des années 50 et 60. En récompense – fort méritée –, ce premier CD a été sélectionné pour représenter la France à l’International Blues Challenge de la Memphis Blues Foundation. Ensuite, il a fallu attendre 2012 pour découvrir « Evil Gal », deuxième album du groupe qui reçut de très bonnes critiques. Dix ans plus tard, voici donc « Love Advice ». Des délais certes longs entre deux enregistrements, mais le groupe n’a jamais cessé son activité sur scène. Au fil du temps, les membres du groupe ont changé. Pour cette nouvelle production de Véronique, Jérémie Tepper est à la guitare, Hervé Guillet ou Bruno Maurin à la basse, Christophe Garreau à la contrebasse, Bala Pradal au piano et à l’orgue, Philippe Floris à la batterie. En invités, Vincent Bucher est à l’harmonica et Didier Marty au saxophone. C’est donc après une longue période de silence que l’on retrouve avec bonheur Véronique Sauriat et ce superbe groupe à fortes connotations blues. Espérons qu’elle retourne en studio avec ces mêmes musiciens sans attendre de longues années, mais en attendant délectons-nous de ce très bel album. – Robert Moutet


Mojo Bruno & Mannish Boys

Muddy Waters Project

Sweet Home Production SHP 0122

Mojo Bruno est un chanteur guitariste originaire des Caraïbes et résidant à Toulouse. Avec son groupe, les Mannish Boys, il a déjà enregistré treize disques. « Muddy Waters Project » est son quatorzième CD, enregistré au Sweet Home Studio de Toulouse à l’été 2021. Mojo Bruno est le leader vocal et à la guitare, mais aussi au banjo, à la mandoline et aux claviers. Aux voix, il y a aussi la bassiste Queen Gandha, le batteur Franck Levin et l’harmoniciste “Blowin” Pierre. Invités, Hélène Maspimby est au chant et Chris Seminor aux percussions. S’il n’a jamais oublié les musiques de ses origines, Bruno a fortement été marqué par ses rencontres avec le fondateur du Chicago blues moderne, Muddy Waters. Pour preuve, la photo du jeune Mojo avec Muddy au dos de la pochette du disque. Les 14 morceaux de l’enregistrement ont été interprétés par Muddy, mais ne sont pas tous de sa composition. Ainsi, on découvre des morceaux de Willie Dixon, Jimmy Reed et le célèbre Caldonia de Louis Jordan. Muddy Waters nous a quittés il y a plus de 40 ans et il est rassurant de constater que son répertoire n’est pas démodé. Alors, remercions Mojo Bruno et ses complices de nous rappeler, grâce à ce superbe disque, l’importance majeure de Muddy et du Chicago blues. – Robert Moutet


Black Coffee

Monona Lake

Autoproduit

Black Coffee est un groupe de blues et de rhythm’n’blues de la région lyonnaise. Voici leur premier disque comprenant huit compositions originales du guitariste Dominique Sanfourche. Les enregistrements ont eu lieu au studio l’Artisterie de Villeurbanne, du début du printemps à l’automne 2021. Philippe Langilier est le leader vocal avec la deuxième guitare, les autres membres du groupe sont Frédérick Colin au saxophone, Gérard Vandestoke à la contrebasse et Albert Gnanho à la batterie. Leur répertoire va du blues à la soul et aux passant par le rock. L’écoute des ces huit compositions donne, bien sûr, l‘envie de voir ce groupe live. Ces cinq musiciens venus d’horizons divers nous précisent qu’ils ont longuement répété leur prestation de 1h30 pour la scène, avec vingt titres ; elle se compose de deux tiers d’œuvres originales et d’un tiers de standards du Blues très maîtrisés. Aucun contrat de concert n‘avait été signé lorsque j’ai écrit ces quelques lignes. Au vu de la qualité du répertoire et des musiciens, avis aux directeurs de programmation des festivals, Black Coffee est à découvrir impérativement. – Robert Moutet


Cleo Page

Black Man : Too Tough To Die

A.D.S. Records (ADS010) & En Avant La Zizique ! (EALZ3003)
https://thepusher.fr

Imaginez que vous entriez chez un disquaire, vous découvririez immédiatement – présentée de façon ostentatoire j’espère – une très belle pochette en quadrichromie, réalisée par l’illustrateur Mortimer : Cleo Page, « Black Man : Too Touch To Die ». Très rares sont les créations graphiques originales pour les pochettes de disques actuels. Le bel objet se présente sous la forme d’un triptyque. Une fois le panneau déplié, on découvre dans le panneau central un album vinyle 33tours glissé dans une pochette en carton sur laquelle sont imprimées, en français et en anglais, les notes du producteur Patrick Derrien et de son complice américain Gene Tomko. La partie gauche du triptyque édite la liste des chansons de l’album, sous la forme de vignettes en noir et blanc, ainsi que l’indispensable discographie. La partie droite accueille un 45tours qui reproduit le rarissime et extraordinaire Black Man (Too Tough To Die) Part I and II pour Wonder. Ce disque, créé dans des circonstances terribles (la mort d’un fils), est un véritable cri de rage. L’étiquette centrale de ces deux disques représente, pour la face A, un portrait couleur de Cleo Page à partir de la seule photographie connue de lui, il y a quelques années, toujours par Mortimer. En outre, un feuillet libre, orné d’une nouvelle photographie de Cleo Page en compagnie de son fils – fournie par Nakia, l’arrière petite nièce de Cleo Page –, complète ce magnifique objet. Sur cette feuille volante, Patrick Derrien narre en détail ce que fut sa quête de dix années pour mettre de la chair et une âme, donc un peu de réalité, à Cleo Page, que nous ne connaissions que par sa musique. Son enquête « policière » a nécessité l’aide précieuse des américains Gene Tomko et Dawayne Gilley. En plus du 45tours cité et tiré à part, Patrick Derrien a sélectionné dix chansons enregistrées au début des années 1970’s par cet homme d’origine louisianaise, qui était cuisinier de profession. On les trouvait sur le CD japonais P-Vine PCD-23983 et l’introuvable album anglais JSP LP 1003 et sa pochette verte si peu attrayante. Les arrangements de Cleo Page sont originaux. Un orgue caverneux, une basse ronflante au service d’une guitare intéressante. « Blues sauvage et écorché », écrit l’avisé producteur. La musique obsédante touche la corde sensible de l’auditeur. La version du maintenant classique Boot Hill ici présente, est la relecture de celle enregistrée entre 1955 et 1960. Cette dernière est à l’origine d’innombrables débats et querelles entre amateurs de blues depuis soixante ans. Elle apparut, en 1963, sur un album de Jimmy Witherspoon (Sutton SU 316), dans une collection à petit prix, Sly Williams était l’interprète annoncé. Qui affirmait qu’il s’agissait de Clarence Samuels, qui de Jesse Allen. Tout le monde fut mis d’accord quand quelqu’un dénicha le 45tours original, Dalton 107, au nom de Curley Page and Band, la chanson Boot Hill et son incroyable et originale partie de guitare étant attribuée à Cleo Page. Du blues authentique renversant qui fait quelque violence à notre émotion. Foin du blues aseptisé souvent produit actuellement. Cette musique vous prend aux tripes et ne vous lâche plus. On imagine la vie dans le ghetto noir de Los Angeles dans les années 1960’s et 1970’s. Les Black Panthers, les émeutes urbaines, les pillages, les violences policières, les nuits incandescentes. Peut-on faire plus proche de la réalité de la vie des Afro-américains de cette époque ? S’il y a un Au-delà, Cleo Page doit se réjouir et être fier d’un si bel hommage mérité. INDISPENSABLE ! – Gilbert Guyonnet


Wayne Bennett

In Session 1950-1961

Jasmine Records JASMCD 3237 – https://jasmine-records.co.uk

La série In Session produite par Jasmine Records, je l’ai dit, nous propose parfois des trucs un peu bizarres, mais aussi des réussites qu’on attendait depuis longtemps. C’est une occasion, pour les nouveaux bluesfans de se familiariser avec un magnifique guitariste. Bien souvent, il surpasse son modèle, T. Bone Walker. Le parcours de Wayne Bennett est des plus surprenants. D’abord parce que, comme Matt Murphy ou Hubert Sumlin par exemple, il n’a jamais assumé un leadership ; il est demeuré au second rang, pour le public en tout cas, car pour ses confrères il était l’un des maîtres des six cordes. Son phrasé était un modèle et sa manière de répondre aux chanteurs, ses licks très personnels, ses passages de l’univers poignant du blues aux harmonies du jazz, ne cessent de nous étonner par leur à propos. Ceux qui voudraient mieux connaître ce merveilleux guitaristes peuvent tirer profit d’une longue video tournée à Gary’s Guitar, mythique boutique d’instruments vintage de toutes sortes. Tout au long de ce très riche exposé, Wayne nous offre des anecdotes, un retour sur ses rencontres et sa carrière. Son parcours avec King Kolax, Lee Collins, Mickey Baker et autres. Tout cela est très instructif et montre notamment combien le respect des traditions et des hommes est capital dans la culture des Africains-américains. Le chemin de l’excellence ne passe pas seulement par celui de l’innovation… Écouter quelques morceaux joués en quelque sorte a capella est un régal. En scène, il affichait une force tranquille, économe de ses gestes. Alors que son boss, le regretté Bobby, se plaisait dans des imitations porcines parfois envahissantes, lui demeurait debout, inébranlable. Avec une petite note de fantaisie, une petite guitare épinglée à son instrument… Pour conclure, je ne peux que vous conseiller cet album (au passage saluons le travail de Bob Fisher, auteur d’un travail très fourni sur la pochette) qui aborde plusieurs facettes du talent d’un sideman qui méritait certainement quelques LPs sous son nom… N’oubliez pas le lien pour la vidéo ! Blues Guitar Legend Wayne Bennet visited Gary’s…_YouTube André Fanelli


Johnny Littlejohn & J.B. Hutto

Slide ‘Em On Down
Chicago Slide Guitar 1966 – 1992

JSP Records JSP 2507 – https://www.jsprecords.com

John Littlejohn fait sans aucun doute partie des artistes slide les plus rêches et abruptes que la scène de Chicago ait pu nous donner. Né à Lake (Mississippi) un 16 avril 1931, Fred Wesley Funchess se laisse prendre au jeu des six cordes grâce à Henry Martin, un ami de son père qui lui fournira ses premières amours. À l’âge de quinze ans, l’autodidacte est déjà sur les routes, posant son maigre bagage du côté de Jackson (où il anime une émission sur la station WOJK) avant de rejoindre l’Arkansas, New York (en 1949) puis Gary dans l’Indiana, ville située le long de la rive sud du lac Michigan, à environ 40 km du centre-ville de Chicago, dans laquelle il se pose en 1951 (il y trouve un job dans une station de service). Ses mentors d’alors seront Arthur « Big Boy » Crudup et Lightnin’ Hopkins qu’il écoute attentivement et dont il gardera la rudesse d’un jeu typiquement texan. Arrivé à Chicago quelques temps plus tard, il se fait adopté par Blue Smitty (Claude Smith de son vrai nom, auteur de trop peu de titres sur Chess en 1952) qui lui ouvre les portes des clubs aux ambiances torrides dont il n’est plus vraiment nécessaire de relater l’atmosphère dans ces colonnes, tellement elle à été décrite maintes et maintes fois. En 1966, le label Margaret lui permet d’enregistrer quelques titres (Kitty O, Johnny’s Jive, What In The World et Can’t Be Still) que l’on retrouve en ouverture de ce double CD, avant de graver pour TDS quatre morceaux où le métal froid de son petit doigt bagué réchauffe des cordes qui ne demandaient qu’à grincer un peu plus. Accompagné par cinq compères particulièrement efficaces (dont Abb Locke, Lafayette Leake, Calvin Jones…), ces quatre morceaux (dont un Bloody Tears où le sax rugueux d’Abb Locke semble s’écorcher sur du papier de verre) ne demandaient pas mieux que de se retrouver aussi sur cet album. S’ensuivent trois titres où il accompagne Bob Riedy (orthographié Reidy sur le CD), le pianiste (qui finira comptable) et son Chicago Blues Band dont deux disques publiés dans le courant des années 1970 sur Flying Fish et  Rounder sont à rechercher. On saute les époques allègrement pour se retrouver en automne 1980 à Brookfield dans l’Illinois où on pourra apprécier en live les subtilités du jeu d’un guitariste qui était considéré encore en 1973 comme un jeune nouveau malgré de nombreuses contributions, puis ce concert du 28 novembre 1983 à Gildhof en Belgique, sur la tournée du Chicago Blues Festival où il est accompagné de Buster Benton, Lafayette Leake, Joe Beard (qui pousse parfois la chansonnette), Bob Stroger et Odie Payne. Ces derniers morceaux sont publiés ici pour la première fois et c’est quand même extra pour une génération comme la mienne qui n’avait pas eu accès à cette niche musicale, de pouvoir se rendre compte de la virtuosité d’un artiste qui n’aura pas fait grand bruit et sera resté dans la confidence des amateurs malgré ses enregistrements avec Jimmy Reed, Eddy Taylor, son superbe album sur Arhoolie (séance co-produite par Chris Strachwitz et Willie Dixon où la slide tranchante et subtile est particulièrement bien soutenue par les saxophones cuivrés de Robert Pulliam et Willie Young) ou encore ce brûlot pris sur le vif du club Ma Bea’s par Marcelle Morgantini. Le contenant du second CD proposé est un remixage plus brut de l’album « When Your Best Friends Turns Their Back On You » paru initialement en 1992 – toujours sur JSP –, ainsi que quelques titres d’un autre grand « slideman », JB. Hutto, qui mériterait plus que quelques lignes. Le livret retrace, avec iconographies à l’appui, la carrière des deux protagonistes à l’affiche avec force détails et petites histoires qui font les légendes (notamment celle avec le Wolf’s Band). En terme de conclusion, ce disque est une régalade sans nom que je conseille à tout amateur de slide issue de la scène de Chicago et dont l’âme d’Elmore James aura servi de fil conducteur jusqu’au bout. – Patrick Derrien


Various Artists

New York City Blues

Ace Records CD TOP 1618 – www.acerecords.co.uk

New York n’est sans doute pas considérée comme étant une des capitales du blues… Et pourtant, attirés par les studios, les grands labels et un large public, beaucoup de musiciens de la Côte Est, s’y établirent. Ce disque vient illustrer le livre « New York City Blues » de Larry Simon sous-titré : « Post War Portraits from Harlem to the Village and Beyond » qui nous parle de l’âge d’or de cette musique entre 1940 et les années 60’s. La sélection est excellente et toute la musique est de premier choix : 25 titres et plus de 80 minutes de musique. La photo de pochette représentant le flamboyant guitariste Wild Jimmy Spruill (présent sur 8titres) nous met tout de suite dans l’ambiance : quel musicien original et percutant ! On trouve beaucoup de musiciens très connus comme Big Joe Turner, Blind Boy Fuller, John Hammond , Rev. Gary Davis, Ruth Brown, Lonnie Johnson avec l’exquise Victoria Spivey, Buddy et Ella Johnson, le chanteur et grand guitariste Larry Dale, le saxophoniste Noble Watts et son épouse, l’étonnante June Bateman, Tarheel Slim, le pianiste Bob Gaddy superbe dans sa version de Stormy Monday, admirablement secondé par la guitare de Jimmy Spruill dans un solo magique. On pourrait parler de ces 25 titres en égrenant les plus hauts compliments, ce qui ne serait que justice. Belle présentation avec un livret de 28 pages commentant tous les titres et contenant de magnifiques photos assez peu connues. Évidemment, les amateurs d’un certain âge auront déjà dans leur collection certains de ces morceaux, mais l’ensemble forme un document de grande classe absolument incontournable offrant un grand plaisir d’écoute. Et si vous appréciez Wild Jimmy Spruill, il existe un double CD : « Scratchin’, The Best of Wild Jimmy Spruill » – GVC 2039 avec 61 titres d’enfer ! – Marin Poumérol


Various Artists

Matchbox Bluesmaster Series

SAYDISC (7 coffrets de 6 cds : MSESET 1 à MSESET 7) – http://www.wyastone.co.uk

L’autrichien Johnny Parth découvrit tout jeune le blues et le jazz. Après des études d’Art, il devint portraitiste et restaurateur d’œuvres anciennes. En outre, il acheta d’innombrables 78tours. Généreux et partageur, il souhaita faire profiter ses contemporains de ses découvertes musicales. Ainsi créa-t-il la firme de disques Roots dans les années 1960’s. Roots publia d’abord de la musique traditionnelle autrichienne, mais s’orienta très vite vers des compilations consacrées au blues. Jusqu’à sa disparition, en 1970, ce label pressa à 300 exemplaires soixante albums. Johnny Parth revint dans le monde du disque de blues quand il créa, en novembre 1982, la série d’albums « Matchbox Blues Masters Series » que diffusa la firme anglaise Saydisc. L’aventure cessa en juin 1988, après la publication de quarante-deux albums. Entre temps, en 1985, Johnny Parth avait lancé Document Records avec l’ambition de mettre à la disposition du public toute l’œuvre enregistrée avant 1943 de tous les bluesmen. Depuis 2000, Document est devenu une maison de disques écossaise.

La firme anglaise Saydisc, filiale de Nimbus Records, publie l’intégralité de la collection « Matchbox Bluesmasters Series » sous la forme de sept coffrets de six cds, chaque disque étant la reproduction d’un vinyle original. Les remarquables notes des pochettes, rédigées par le grand historien du blues que fut Paul Oliver, ont été réimprimées telles quelles. Elles reflètent l’état des connaissances de l’époque. On sait maintenant que Palmer McAbee (MSE 209-Set 2) n’était pas afro-américain, mais un musicien blanc ; Paul Oliver écrit que Charlie Lincoln (MSE 212-Set 2) tua un homme en South Georgia et fut emprisonné à Cairo, Illinois. Une correction s’imposait : le meurtre se déroula à Atlanta et la prison était en South Georgia. À partir du troisième volume, Tony Russell a apporté quelques corrections bienvenues sous forme de notules, grâce aux découvertes sur les musiciens, réalisées depuis une trentaine d’années. La discographie est celle imprimée sur les originaux. Elle correspond à la troisième édition du « Blues & Gospel Records 1902-1943 » de R.M.W. Dixon et J. Godrich (Storyville 1982). Des modifications auraient dues être apportées en se référant à la quatrième édition de la bible discographique et aux discographies de Stefan Wirz, disponibles gratuitement sur internet (www.wirz.de) . Le son des albums originaux avait été créé à partir de bandes magnétiques enregistrées par les divers collectionneurs de 78tours de blues de la planète sollicités pour cette entreprise titanesque. Toutes ces bandes ont disparu, ainsi que les masters pour la gravure des disques. Saydisc a « remastérisé » la musique à partir des 33tours de la série. La qualité sonore de départ oscillait de l’exécrable au médiocre. Dans l’ensemble, le son de cette réédition est tout juste acceptable. Nous sommes loin de Yazoo Records ! Hélas, le remarquable procédé de restauration de John Tefteller n’a pas été utilisé.

Avec ces quarante-deux cds à écouter, préparez-vous à une véritable exploration du blues d’avant-guerre : un instructif voyage ! Pour de nombreux artistes, nous découvrons l’ensemble de leurs enregistrements ou l’amorce d’une intégrale, comme l’indiquent les sous-titres des vingt-quatre premières productions : « Complete Recordings in Chronological Order ». Puis, à partir du cinquième volume, les disques sont sous-titrés « The Remaining Titles » ou « Mostly New to LP ». Il serait bien trop long d’étudier chacun des quarante-deux disques. Aussi que mes oublis ou lacunes me soient pardonnés ! Le chanteur texan, Texas Alexander, bénéficie de quatre cds (MSE 206-Set 1, MSE 214-Set 3, MSE 220 et MSE 224-Set 4). Je vous renvoie au #72 de ce magazine au sujet de cet artiste, avec un très complet article. On ne peut se lasser du génial Skip James (MSE 207-Set 2) malgré la médiocre qualité sonore. L’écoute de Leroy Carr (MSE 210-Set 2) est plombée par un son exécrable. Celle du Dallas String Band (MSE 207-Set 2), de Tommie Bradley et James Cole (MSE 211-Set 2) et du cd MSE 209-Set 2, consacré aux harmonicistes virtuoses et leurs imitations de trains et d’animaux avec leurs sonorités et techniques diverses, est fort agréable. Ce dernier est un des meilleurs disques de l’ensemble. Je doute beaucoup que vous écoutiez souvent la médiocre chanteuse St Louis Bessie, de son vrai nom Bessie Mae Smith (MSE 223-E 4). Elle est sauvée par l’excellence de ses accompagnateurs : Lonnie Johnson (9 titres) ou le pianiste Henry Brown. Les enregistrements de Willard Ramblin’ Thomas, frère de Jesse Thomas, chanteur-guitariste dont on dit qu’il fut un copain de Blind Lemon Jefferson, sont remarquables. Il a un pied dans le passé (Poor Boy Blues) et un dans l’avenir ; Ramblin’ Man de novembre 1928 anticipe Robert Johnson (MSE 215-Set 3). Noah Lewis et Jed Davenport sont les vedettes du disque « Memphis Harmonica Kings 1929-30»  (MSE 213-Set 3) et nous remémorent l’influence de Memphis dans le développement du jeu d’harmonica. DeFord Bailey n’est pas oublié (MSE 218-Set 3). Il fut le premier artiste afro-américain qui se produisit, en 1925, dans l’antre de la culture blanche, bastion de la musique country ; au Grand Ole Opry de Nashville, il interpréta son imitation virtuose du train Pan American Blues et sa puissante version de John Henry, toutes deux ici présentes. Blind Lemon Jefferson apparaît avec une sélection de dix-sept chansons sur les près de quatre-vingt-dix qu’il grava : dont l’incontournable classique Match Box Blues et les remarquables Hot Dogs, Hangman’s Blues, Bed Spring Blues et un gospel, He Arose From The Dead, enregistré sous le pseudonyme de Deacon L.J. Bates (MSE 1001-Set 5). Que ce soit en solitaire ou en duo avec le guitariste Dan Sane ou le violoniste Will Batts, l’œuvre de Frank Stokes est de haut niveau. Tain’t Nobody’s Business If I Do, South Memphis Blues, It Won’t Be Longet Dream en sont l’illustration (MSE 1002-Set 5). Il n’y a pas beaucoup de déchets dans la production du virtuose de la guitare Blind Blake (MSE 1003-Set 5). Seul ou accompagné par le clarinettiste de jazz Johnny Dodds, ou accompagnateur de la chanteuse Bertha Anderson, Blind Blake est parfait. La sélection des morceaux du cd MSE 1004-Set 5, consacré à Big Bill Broonzy, laisse un peu à désirer : on passe du superbe Misteater Mama aux pénibles Me and O Blues et Ruckus Juice Blues avec les Jug Busters et leur trompettiste qui joue faux. Rien à jeter avec les toujours excellents Mississippi Sheiks (MSE 1005-Set 5 et MSE 1012-Set 6). Le choix des titres du disque de Lonnie Johnson (MSE 1006-Set 5) n’est pas très judicieux. Ah ! Lonnie Johnson jouant du kazoo en accompagnement de son frère James ‘Steady Roll’ Johnson (Newport Blues) ! Son jeu de guitare aux côtés des chanteurs Joe Brown et Raymond Boyd ne casse pas trois pattes à un canard. Lonnie Johnson est, par contre, impressionnant sur To Do This, You Go To Know How et Crowing Rooster Blues. Papa Charlie Jackson fut le premier artiste masculin de blues à remporter un vrai succès commercial. Il est bien oublié. Le cd MSE 1007-Set 6 vous permettra de découvrir un vrai talent quoi jouait d’un banjo à 4 cordes ou d’une guitare/banjo à 6 cordes. Impossible de ne pas aimer Mama Don’t Allow It (And She Gonna Hve It Here) ou la chanson comique Look Out Papa Don’t Tear Your Pants ou The Judge Cliff Davis Blues. Le moment faible de ce disque, ce sont les trois titres sur lesquels il joue de la guitare. Le Memphis Jug Band, créé par Will Shade, mêle dans la bonne humeur, le blues, le ragtime et la country music (MSE 1008-Set 6). Des dix-huit titres publiés se détachent I Packed My Suitcase Started To The Train, chanté par l’épouse de Will Shade, Jennie Clayton, et Tear It Down, Bed Slats and All. Rien à jeter sur le cd de Barbecue Bob (MSE 1009-Set 6). Inconditionnel de Roosevelt Sykes, ici publié sous la référence MSE 1011-Set 6, je serais un mauvais critique. Seuls cinq titres sont de Roosevelt Sykes en tant que leader, sous son nom ou sous les pseudonymes Willie Kelly et Easy Papa Johnson. Sinon il accompagne, entre autres, la chanteuse Isabel Sykes qui aurait été sa sœur, et Carl Rafferty, dont l’excellent titre Mr. Carl Blues, gravé en décembre 1933, contient ces mots devenus légendaires : « I believe I’ll dust my broom ».

Dans l’ultime volume de cette imposante série, on trouve un second disque consacré à Lonnie Johnson (MSE 1013-Set 7) bien supérieur au premier, que ce soit sur le plan sonore ou celui du choix des titres. Quel guitariste ! La musique exécutée par les Hokum Boys (MSE 1014-Set 7) est légère. Georgia Tom, pas encore converti à la religion, et Big Bill Broonzy sont les maîtres d’œuvre d’une musique joyeuse aux paroles obscènes. Enfin les quatre derniers cds rééditent les deux importants doubles albums Songsters & Saints qui illustraient musicalement l’indispensable livre éponyme de Paul Oliver. Une compilation de musique profane et de gospel, excellente conclusion à ce panorama de la musique afro-américaine d’avant-guerre.
Malgré les défauts signalés au cours de cette longue recension, il me semble que les sept volumes ici considérés méritent toute votre attention, surtout si vous êtes nouvellement convertis au Blues et voulez en découvrir les arcanes. – Gilbert Guyonnet


Clyde McPhatter

More Of The Greatest Recordings
3 Complete Albums Plus Bonus singles

Jasmine Records JASMCD3203 (2CD set) –  www.jasmine-records.co.uk

Grande vedette du rhythm’n’blues du début des années cinquante au milieu des années soixante, Clyde McPhatter (1932-1972) est aujourd’hui remis à l’honneur par Jasmine qui complète, avec ce double CD, la réédition des faces Mercury de cet interprète à la voix nourrie de gospel, délicate, sensuelle, acrobatique et puissante à la fois. Son parcours initial au sein des Dominoes, des Drifters, puis en solo chez Atlantic appartient à l’histoire du rock’n’roll au sens large, pour ne pas dire à celle du XXe siècle. Les trois albums repris ici ont été enregistrés à Nashville en 1961 et 1962 sous la direction de Shelby Singleton. La réédition y ajoute des faces de 45 tours de la même époque. De la country soul avant l’heure, avec un jeune Charlie McCoy à l’harmonica, marquée par le hit Lover Please. On entend d’abord des adaptations de succès antérieurs, puis des compositions plus fraîches. La formule est à son zénith sur l’album « Rhythm’n’Soul » (la sublime ballade Maybe). Il y a beaucoup de bonheur ici. On regrettera que cet interprète, à la classe naturelle, proche de Sam Cooke, discrètement engagé à ses côtés pour la reconnaissance des droits civiques et trop tôt disparu, n’ait pu bénéficier d’une seconde carrière plus aboutie, au tournant de la Soul. Question de génération. – Dominique Lagarde


Son House

Forever On My Mind

Easy Eye Sound CD EES-024 ou LP EES-024 – http://store.easyeyesound.com

Que se passa-t-il dans la tête de Son House quand il vit débarquer, sur le pas de sa porte, en juin 1964 à Rochester (New York), trois jeunes blancs-becs, Nick Perls, Phil Spiro et Dick Waterman ? Que pouvaient lui vouloir ces trois hommes caucasiens qui réalisaient enfin un rêve : leur quête pour redécouvrir une légende du Blues du Delta du Mississippi avait abouti. Depuis 1943, Son House avait quitté le delta et abandonné la musique qui tourmentait son âme. Il ne possédait même plus de guitare. Les trois compères lui offrirent une guitare métallique National, modèle dont il jouait avant-guerre. Ils firent appel à un jeune guitariste blanc âgé de 22 ans, Alan Wilson, qui deviendra célèbre avec Canned Heat, pour lui remémorer son répertoire. Ce que Son House réalisa rapidement. Cela déboucha sur un contrat avec Columbia et le superbe album, en 1965, « Father of the Folk Blues ». Auparavant, Dick Waterman était devenu son manager. Il avait organisé quelques concerts. Le premier de ceux-ci eut lieu, en novembre 1964, au Wabash College de Crawfordsville, Indiana. Une cinquantaine d’étudiants blancs y assistaient. C’était la première fois que Son House jouait devant un tel public. Heureusement que cet évènement fut enregistré. La bande dormait dans les archives de Dick Waterman, qui l’a exhumée. Elle était en excellent état et la musique de qualité. Ces cd et lp représentent une pierre angulaire du blues revival des années 1960’s. La voix de Son House est extraordinaire, aves toutes les nuances possibles allant du murmure au hurlement, des gémissements aux pleurs. Son jeu de guitare d’une grande intensité est de toute beauté. Il se dégage de cet enregistrement un haut degré d’émotion qui vous donne parfois la chair de poule. S’y j’ajoute que la qualité sonore est impressionnante, vous aurez compris que l’achat de ce disque est indispensable. – Gilbert Guyonnet


Paul Williams

Doing The Hucklebuck 1948-1955

Jasmine Records JASMCD 3191 – www.jasmine-records.co.uk

Paul Williams, saxophoniste et chef d’orchestre, dirigeait une formation qui accompagna de nombreux artistes de rhythm’n’blues dans les années 40’s et 50’s et en particulier les gens de chez Atlantic : Big Joe Turner, Ruth Brown, Lavern Baker. En 1949, leur adaptation du D Natural Blues de Lucky Millinder rebaptisée The Hucklebuck fut le plus grand succès de l’année dans les charts R’n’B (14 semaines au numéro 1 et lancement d’une nouvelle danse). Il faut dire que dans cet orchestre on trouvait quelques fameuses pointures : Phil Guilbeau, King Porter (trompettes) puis, suivant les séances, Noble Watts (ts), Larry Dale (gt), Mickey Baker (gt), Wild Bill Moore (ts). Il y a même là le tout premier enregistrement du tout jeune Little Willie John, Betty Ann, en 1955. Le saxophoniste Noble Watts est présent dans les séances de 1953-1955 qui sont de petits chefs-d’œuvre : Hard Working Woman, Women Are The Root Of All Evil. À la fin des années 50’s, Williams dirigea l’orchestre de l’Apollo et on peut le voir dans de nombreux clips sur YouTube où il accompagne les stars de l’époque. Il devient ensuite directeur musical pour Lloyd Price , puis pour James Brown. Il meurt en 2002, à 87 ans. Une superbe carrière et un CD de R’n’B indispensable pour tous les amateurs de grande musique afro-américaine. – Marin Poumérol


James Harman Band

Sparks Flying : Live In 1992

JSP Records JSP3023 – https://www.jsprecords.com

Il y a un an mourait le chanteur, harmoniciste et auteur-compositeur James Harman, auquel la firme anglaise JSP consacre une nouvelle publication avec l’enregistrement d’un concert au 2ndSouth Blues Festival de Tamines, section de la commune de Sambreville, en Belgique, le 29 août 1992. La réalisation de ce disque a été possible grâce aux archives enregistrées de Pierre Degeneffe. À celui-ci, nous devons l’excellent cd live de Denise LaSalle (« Mississippi Woman Steppin’ Out » – CDJSP 3014), quelques enregistrements en concerts européens d’Eddie C. Campbell, Big Jay McNeely et Fenton Robinson avec le Son Seals Blues Band. Originaire d’Anniston, Alabama, James Harman a trainé ses guêtres dans l’est des États-Unis pendant les années 1960’s. Sur les conseils des musiciens de Canned Heat, il gagna la Californie où il devint un important harmoniciste de la riche scène californienne. Après avoir enregistré des disques mineurs pour divers obscurs labels, il fut reconnu à sa juste valeur quand il signa avec Black Top Records en 1991 et les excellents disques qui furent produits. James Harman se présenta à ce festival belge, le même soir qu’Eddie C. Campbell, avec sa formation soudée par quatre ou cinq ans d’expérience commune : le guitariste ‘Dr’ Joel Foy, le bassiste et guitariste slide Jeff ‘Big Daddy’ Turmes et le batteur Estin Cook. Cet ensemble bien rôdé a dû régaler le public du festival. Cela démarre sur les chapeaux de roues, sous les auspices de Rice Miller Sonny Boy Williamson n°2, avec Keep Our Business To Yourself qui n’est autre que Keep It To Yourself auquel James Harman a mêlé des bribes de Red Hot Kisses et Eyesight To The Blind. Do Not Disturb a un groove à la Billy Boy Arnold et Bo Diddley. Three-Way Party est une bien belle complainte lente où James Harman médite en compagnie d’une bouteille de Jack Daniels sur les méfaits d’une ex-compagne. Le guitariste Joel Foy case une belle intervention sur l’instrumental de Freddie King San-Ho-Zay. Accompagné du bottleneck de Jeff Turmes, James Harman nous entraîne sur les traces d’Homesick James et Elmore James (Sparks [Starts Flying] et Stranger Blues). Sonny Boy Williamson n°2 peut être fier de son disciple indirect à l’écoute All I Want You To Do. L’excellent jeu de guitare de Joel Foy domine New Game et Is It Yes Or Is It No avec son rythme de rumba ; ici pas d’harmonica, James Harman se contente de chanter. Le chant de James Harman est remarquable. Son jeu d’harmonica, très imprégné de ceux de Little Walter, Walter Horton et Sonny Boy Williamson n°2, est brillant, expressif. Les chansons ne s’éternisent pas. On ne ressent aucun moment d’ennui, comme cela est, hélas, trop souvent le cas pour les enregistrements de concerts. Ce cd est une bien belle réussite qu’ABS vous recommande chaudement. – Gilbert Guyonnet


Red Saunders

“Red” The Bebop Guy 1945-1951

Jasmine Records JASMCD 3231 – www.jasmine-records.co.uk

Même si Red Saunders a été un musicien omniprésent dans le début des fifties, sa renommée n’a pas franchi l’Atlantique et accosté dans notre beau pays… Mais cela ne signifie pas que sa musique soit sans intérêt. Jasmine nous entraîne, une fois encore, dans le monde foisonnant du R&B naissant. Nous découvrons ainsi que Leon Washington est un bien agréable saxo ténor dans la grande lignée des maîtres de l’après-guerre. Son jeu inventif, ses petites phrases inattendues, s’écoutent avec plaisir. C’est lui qui donne leur lustre aux diverses sessions auxquelles il participe. Il est à l’aise sur des tempos médium/lent qu’on pourrait dire « fait pour le confort ». Cherchons un peu les douze mesures que nous aimons tant. Freight Train Blues par exemple. Un (petit) air de bop, un vocal un peu poussif… Card Playin’ Blues, c’est un peu du blues passé à la machine à laver. Les teintes sombres sont invitées à la discrétion. Mais ce n’est pas sans doute une décision du leader. La mixité musicale était encore à construire en 1950. Le chanteur est typique des vocalistes mi-crooner mi-shouter. En général, ils ne font pas lever les foules. En tout cas, aujourd’hui. Le baryton est cependant intéressant par exemple dans Mr, Mr. Low-Blow ou CHI. Il va exhumer de bonnes grosses notes enfouies dans la masse du groupe. Sans rire c’est le son frémissant qui doit transporter les éléphantes lors de la période idoine. Encore la même session avec un blues très réussi, Lyon’ Girl Blues. Là encore, les saxos sont à l’honneur. Le leader est un batteur efficace, à l’aise dans son contexte musical. Ce n’est pas Jo Jones, ou Panama Francis, mais il assure. L’intéressante pochette nous apprend des choses qui consolident notre érudition mais nous engluent dans la perplexité. Une des épouses de Saunders était chanteuse et … contorsionniste ! Bigre. En définitive, je pensais au début que ce CD était, avant tout, un gentil disque de jazz représentatif de ce début des années 50’s. En fait, c’est tout de même un disque de blues. Pas d’un disciple de Blind Lemon, bien évidemment, mais d’un émule de Big Joe Turner. Je crois même que je vais réécouter ces faces. En commençant par 4.AM avec un festival de sax qui est peut-être le meilleur moment de ce CD. Et je suis convaincu que j’en serai ravi. Et vous ? – André Fanelli


Eddie Kirkland

I’ll Move You Baby
Bluesin’ In Detroit 1950-1961

Jasmine Records JASMCD 3189 – www.jasmine-records.co.uk

En se tuant dans un accident de la circulation, à Crystal River, en Floride, le 27 février 2011, au retour d’un concert, le chanteur et guitariste Eddie Kirkland a emporté un secret entretenu grâce à sa fertile imagination, et laisse un casse-tête à quelque futur biographe. Il clama qu’il vit le jour en Jamaïque, citant le 16 août 1928 comme date de naissance. Sa pierre tombale indique le 16 août 1923. Le certificat de mariage d’Eddie Kirkland avec Ida Mae Shoulders, en 1949, donne des renseignements confirmés par sa mère nommée Dixie Rainey, semble-t-il : lieu de naissance Hetland, Alabama, une erreur pour Headland, Henry County, comté voisin de Dothan, Houston County, Alabama ; date : 10 octobre 1927. Le document officiel précise : « No proof of birth ». Deux lieux, trois dates. Quel imbroglio ! En outre, Eddie Kirkland affirma qu’il s’était vieilli pour intégrer l’armée américaine où il fut victime de sévices racistes. Qui résoudra l’énigme ? Démobilisé en 1945, il rejoignit sa mère à Detroit. Le jour il travaillait à l’usine Ford, la nuit il jouait de la guitare dans les clubs afro-américains de la ville et les « house parties ». C’est ainsi qu’il rencontra, en 1948, John Lee Hooker. Les musiciens de Detroit trouvaient celui-ci trop difficile à accompagner. Mais l’excellente oreille de Kirkland le fit accepter par Hooker. La collaboration épisodique des deux musiciens dura de 1949 à 1962. Eddie Kirkland fut certainement un des meilleurs accompagnateurs de John Lee Hooker, ce qu’illustrent les huit titres ici publiés de Hooker accompagné par Kirkland, le tout gravé à Detroit entre 1950 et 1953. Les vingt autres chansons représentent tout ce qu’enregistra Kirkland à Detroit entre 1950 et 1961. Certains vendeurs, pour allécher le chaland, affirment que le cd contient huit inédits. C’est un mensonge. Le seul réel inédit est la prise n°2 de I Mistreated A Woman, gravée à Cincinnati en juillet 1953 pour King Records. Kirkland réalisa d’excitantes chansons, âpres, peut-être frustes mais gorgées de feeling, pour Fortune, RPM et King. La compilation nous permet aussi de découvrir un autre aspect du jeu de guitare d’Eddie Kirkland, plus sophistiqué et tout aussi excitant, qui lui permettra d’enregistrer plus tard avec King Curtis et de travailler avec Otis Redding. Dans un environnement étoffé avec,sur quatre chansons, le groupe vocal les Falcons dont faisait partie Eddie Floyd, Eddie Kirkland se montre élégant et aussi créatif. De cette remarquable séance furent extraites, à l’époque, deux chansons, I Tried et Train Done Gone (45tours Lupine 801), titre sur lequel Eddie Kirkland joue aussi de l’harmonica. Tout le reste apparut sur le vinyl Relic LP 8003, « Three Shades of the Blues », publié au début des années 1990’s. Encore une compilation Jasmine très recommandée. – Gilbert Guyonnet


Roy Gaines

Bluesman For Life

JSP Records JSP 3024 – https://www.jsprecords.com

Roy Gaines fut l’un des grands guitariste (avec Mickey Baker ) de notre époque. Depuis ses débuts dans les années 50’s avec Chuck Willis, puis Jimmy Rushing ou Billie Holiday, on le trouve sur de nombreux disques top qualité. Depuis les années 90’s, il était revenu sur le devant de la scène avec quelques excellents enregistrements. Cet album JSP est une réédition du CD du même nom paru en 1998 (JSP 2110). Gravé aux studios Pacifica à Los Angeles et produit par Jimmy Morello, c’est un des meilleurs disques de sa longue carrière : guitare affutée, voix bien posée en avant, bel orchestre où tout le monde donne le meilleur ; c’est tout simplement un grand disque de blues moderne. Si vous l’aviez manqué en 1998, voici l’occasion de réparer cette erreur. Les CD « New Frontier Lover » chez Severn Records ou « I Got The T-Bone Walker Blues » chez Groove Note, sont également excellents. Je vous recommande aussi un autre somptueux CD, « Tuxedo Blues », avec un superbe big band ; sorti en 2012 chez Black Gold, il est malheureusement assez difficile à trouver. – Marin Poumérol


Henry Gray

Shake A Hand
Great Piano Blues by The Louisiana & Chicago Legend
Louisiana Swamp Blues Vol.8

Wolf Records CD 120.634 – http://www.wolfrec.com

Le pianiste et chanteur Henry Gray est mort début 2020. Il avait 95 ans. Il fut un des derniers musiciens qui connut l’âge d’or du Chicago blues des années 1950’s à se produire sur scène dans les années 2010’s. En 1946, il arriva à Chicago de sa Louisiane natale. Sous la houlette du grand Big Maceo, il perfectionna son jeu de piano. Il accompagna de nombreux musiciens sur scène et en studio. Ses propres enregistrements pour Chess en 1953 ne furent publiés qu’en 1974 et ceux pour Parrot en 1955 n’apparurent sur disque qu’en 1989. En 1956, il rejoignit l’orchestre de Howlin’ Wolf. Il y resta jusqu’en 1968, quand, inquiet du nombre de morts autour de lui, dont son père, il s’en retourna, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge, à Baton Rouge. Il délaissa la musique quelques mois. Mais, finalement, il reprit sa carrière de musicien. I’m A Lucky Man est la chanson qui le plaça sur un piédestal mérité. Cette composition d’Henry Gray, dont on trouve inévitablement une version live sur ce cd, avait été enregistrée à Crowley, Louisiane, dans le studio de Jay Miller, et publiée en 45tours sur le label de celui-ci, Blues Unlimited. Elle permit ainsi à Henry Gray de voyager partout dans le monde, quasiment jusqu’à sa mort. La firme autrichienne Wolf Records, dans sa série « Louisiana Swamp Blues », nous offre – avec ce huitième volume – dix-sept chansons, seize en public et une en studio, enregistrées entre 1994 et 1996, en Angleterre, Irlande, Norvège et France (Dunkerque, le 22 avril 1995). Les divers accompagnateurs, différents selon les dates et lieux, s’acquittent très bien de leur tâche : ils sont au service de leur leader et de sa main gauche forgée par des mois de collaboration avec Big Maceo devenu hémiplégique. Au menu de cet excellent cd : des compositions d’Henry Gray, bien sûr, telles I’m A Lucky Man, évoquée plus haut, et Good Bye Baby, des hommages à Howlin’ Wolf avec les excellentes versions de Little Red Rooster et surtout Howlin’ For My Baby, réalisée en studio et sa belle partie d’harmonica d’Errol Linton. L’on passe du blues d’avant-guerre avec How Long de Leroy Carr et Everybody’s Fishing de Memphis Minnie, au tube de Z.Z. Hill, Downhome Blues. Henry Gray met une touche personnelle sur Sweet Home Chicago de Robert Johnson et It Hurts Me Too de Tampa Red. Vous ajoutez une pincée de Rock’n’roll avec Tutti Frutti, un zeste de Ray Charles et What I’d Say, un peu d’épice néo-orléanaise et My Girl Josephine de Fats Domino : tout cela donne un gumbo goûteux et roboratif grâce au chef Henry Gray en très grande forme. Ceux qui eurent la chance de le voir sur scène se précipiteront pour écouter cet excellent cd avec un brin de nostalgie, les plus jeunes pour découvrir un vrai talent au sommet de son art en ces années 1990’s. – Gilbert Guyonnet

Note : un peu plus d’attention de la part du correcteur avant impression de la pochette aurait évité que l’on trouvât deux fois Lousiana au lieu de Louisiana.


Earl Hooker

The Elecrifying Blues Guitar of Earl Hooker
Ride Hooker Ride 1953-1962

Jasmine Records JASMCD 3219 – www.jasmine-records.co.uk

Earl Zebedee Hooker est originaire de Vance, Quitman County, près de Clarksdale, dans le Delta du Mississippi ; la date : 15 janvier 1930 (certaines sources donnent 1929). Était-il cousin de John Lee Hooker, ou est-ce une légende ? Il est à peine âgé d’un an quand ses parents prennent la direction de Chicago avec l’espoir de trouver un travail et une vie meilleure. La famille s’installe non loin de Maxwell Street. Le jeune Earl apprend à jouer de la guitare en autodidacte, instrument qu’il maîtrise très vite. Il rencontre, au début des années 1940’s, Robert Nighthawk qui lui enseigne les rudiments de la technique slide. Il surpassera son mentor et modèle. Il devient un remarquable guitariste, mais délaisse le chant qu’il ne pratique que très occasionnellement. Est-ce par manque d’intérêt ? Est à cause de son important bégaiement ? Est-ce lié à la tuberculose détectée dès l’enfance, qui l’emporta en avril 1970 au Sanatorium municipal de Chicago ? Nul n’a la réponse. Pour cette compilation, Jasmine a délaissé les quatre instrumentaux enregistrés pour King en novembre 1952. Le disque démarre donc avec les six faces très downhome, avec Little Sam Davis (batterie et harmonica), réalisées à Miami pour Henry Stone et Rocking Records vers avril 1953, dont Sweet Angel, une excellente interprétation de Sweet Black Angel qu’Earl Hooker apprit avec Robert Nighthawk. Puis nous sommes à Memphis, dans les studios SUN, avec des séances dirigées par Sam Phillips. Aussi bien comme leader qu’accompagnateur de Pinetop Perkins et Boyd Gilmore, Earl Hooker dévoile les immenses qualités de son jeu de guitare. Pourtant, tout ce travail remarquable resta inédit jusqu’à ce que le label anglais Charly l’exhumât dans les années 1990’s. Jasmine fait l’impasse sur les sessions Argo (1956), C.J. (1959) et Checker (1962) pour se concentrer sur la collaboration réussie, à Chicago, d’Earl Hooker et Mel London, propriétaire des firmes de disques Chief, Age et Profile. Mel London réussit à canaliser le guitariste qui, en studio, emporté par sa virtuosité, sa fouge, sa créativité, avait tendance à partir dans tous les sens. Le saxophoniste A.C. Reed, Junior Wells et le pianiste-organiste Johnnie “Big Moose” Walker étaient quelques-uns des accompagnateurs. Notez que deux instrumentaux présents sur cette compilation dont “Big Moose” Walker est le leader, The Bright Sound et Off The Hook (Age 29113) furent un vrai succès à Chicago. Le premier titre de Earl Hooker chez Chief, l’instrumental Calling All Blues, fut publié sous le nom d’Elmore James ! Quel plaisir d’écouter Galloping Horses A Lazy Mule, Rockin’ With The Kid, Universal Rock, Blues In D Natural très inspiré de Everyday I Have The Blues où le jeu slide et finger-picking de Hooker est exceptionnel, ou la mémorable adaptation de Rock Me Baby intitulée Blue Guitar. L’écoute de cette compilation est réjouissante. Même si nombreux sont les possesseurs de ces faces sous diverses références, ce cd mérite de rejoindre votre discothèque. – Gilbert Guyonnet


Making Tracks :
A Record Producer’s Southern Roots Music Journey

par Scott Billington
Foreword by Peter Guralnick

University Press of Mississippi

Cela fait plus d’une quarantaine d’années que Scott Billington travaille dans l’industrie musicale. Musicien lui-même (il joue de l’harmonica), il devient, en 1976, collaborateur de la maison de disques Rounder Records dont il sera un producteur avisé et important, dans le domaine des musiques vernaculaires du Sud profond. Pas question pour lui de re-produire la musique du passé : « En général, je n’aime pas les enregistrements qui tendent à recréer les sons, les chansons et les attitudes des époques anciennes » (p.244 de l’édition numérique). Depuis quelques années, Scott Billington est aussi professeur à l’Université Loyola de La Nouvelle-Orléans, où il enseigne la « Production musicale ». « Making Tracks » constitue une partie des mémoires de Scott Billington. Dans ce livre, il évoque les figures de divers artistes avec lesquels il travailla : Irma Thomas, Charlie Rich, Johnny Adams, Bobby Rush, Ruth Brown, Solomon Burke, James Booker, Boozoo Chavis, … Il y dévoile, à nous auditeurs de cette musique, tout un monde inconnu : le choix de l’artiste à produire, rencontre fortuite ou choix délibéré ; la sélection du répertoire et des accompagnateurs ; les méandres, les arcanes et les difficultés de l’enregistrement en studio entre technologie et psychologie ; enfin les aléas de la promotion et la satisfaction d’un travail bien fait (trois Grammys pour ses productions). Chaque artiste bénéficie d’une brève biographie. De nombreuses anecdotes illustrent la collaboration entre Scott Billington et les musiciens qu’il produit. L’auteur ne dissimule pas les conflits avec des artistes de l’envergure de Solomon Burke. Il en parle avec aménité. On ressent une grande sympathie pour l’accordéoniste louisianais Beau Jocque. Le toujours très élégamment vêtu Johnny Adams lui doit une fière chandelle, car Scott Billington, en élargissant son répertoire à Percy Mayfield et Doc Pomus, ouvrit d’autres possibilités à sa formidable voix. Scott Billington contribua au retour sur le devant de la scène de Ruth Brown, star des années du label Atlantic, « cette maison que Ruth construisit » (« The house that Ruth built »). La tragique histoire du génie du piano, James Booker, est narrée avec beaucoup de délicatesse et sans pathos. Celui-ci, en plus de graves problèmes psychologiques, avait un fond paranoïaque. Il s’imaginait traqué par le FBI et la CIA. Quand il fut contacté pour faire la première partie de la pianiste Marcia Ball, il demanda à son interlocuteur l’orthographe du prénom : MarSHA ou MarCIA. Ainsi déclina-t-il l’opportunité d’un concert ! Les propos de Clarence “Gatemouh” Brown tenus à Scott Billington sont irrésistibles : « Blues is the sound of ignorance. You listen to somebody singing about misery and alcoholism and all that low-down moaning shit, it’ll make you want to kill yourself. Music should be uplifting » (p.31 édition numérique) ; un jour, avec une grimace, il imita la prononciation du public européen lui hurlant de jouer « the bleeuuues » (p.32 édition numérique), ce qu’il interprétait comme un avilissement de sa musique ; je vous laisse découvrir comment il y répondait. Croyez-vous qu’il est possible d’enregistrer un album complet de qualité en 2h30 ? Lisez le chapitre consacré à la famille Delafosse. Comme vous pouvez l’imaginez, ce livre de Scott Billington fourmille d’anecdotes irrésistibles, rédigées dans un style alerte, très agréable à lire, accessible sans difficulté à tout lecteur français bilingue. Sa volonté de révéler un pan de l’histoire de ces humbles ou célèbres artistes qui ont marqué la musique du Sud profond est un pari réussi. Une indispensable discographie complète le livre ; de nombreuses photographies de Rick Olivier l’illustrent. Un vrai bonheur de lecture. – Gilbert Guyonnet

Note : je ne puis m’empêcher de signaler la coquille de la page 201 (édition numérique) qui saute aux yeux : Johnny Taylor au lieu de Johnnie Taylor !