Liz McComb

Liz McComb sur la scène de Jazz à Vienne, juillet 2010. Photo © Brigitte Charvolin

Gospel et symphonique

• Lorsqu’en 2001 nous avions rencontré Liz McComb (Interview intégrale dans ABS Mag n°31), outre une actualité chargée, à la question : « Bientôt va sortir un coffret retraçant votre carrière (NDLR : « Liz McComb, L’intégrale 1991-2011 » – 9 CD + 3 DVD). Est-ce une consécration ? » ; elle avait répondu : « Non, c’est une étape. J’espère évoluer encore et apporter du neuf dans cette musique extraordinaire. » L’âme et la détermination de Liz résident dans cette unique phrase. Après une carrière déjà très étoffée pour cette artiste qui n’a que 65 ans, une nouvelle étape s’ouvre encore aujourd’hui, gospel et symphonique !

 

En effet, si les chapitres et titres d’albums de ce coffret magique pourraient résumer à eux seuls son parcours : le Gospel avec « The Sacred Concert » ou encore « Gospel Recital », la Soul, l’engagement, la défense des Droits Civiques, le regard sur la vie et le monde avec « Soul, Peace & Love » ou « I Believe », l’amour de La Nouvelle-Orléans avec l’extraordinaire « The Spirit Of New Orleans », le Jazz, la scène où elle se livre corps et âme comme dans « Liz McComb Live » ou « Olympia Live 1998 », Liz n’avait effectivement pas fini de surprendre…

Voici ce que disait Liz McComb au micro de Marin Poumérol le 12 août 2011 à Chédigny (extraits d’interview ABS N°31) :

Votre famille est issue de l’église Pentecostale. Qu’est-ce que cela implique ?

« C’était une église très ouverte à l’époque. On chantait, il y avait des drums, des guitares, un piano, des tambourins et des voix ; c’était presque du rock’n’roll ! Dans les églises baptistes, c’était beaucoup plus strict, souvent il y avait juste des voix. Moi, j’y ai débuté très jeune, à 5 ou 6 ans j’avais déjà une voix dominante qui me faisait remarquer et j’ai su dès cet âge que je deviendrais une chanteuse, que ce serait ma destinée… Je n’en ai jamais douté. »

Vos sœurs avaient formé un groupe ?

« Oui, sous le nom des Daughters of Zion. M es trois sœurs aînées, moi j’étais la « baby », la plus jeune, et je les ai rejointes quand mon âge me l’a permis. Mais j’allais à l’école où j’ai appris à jouer du violon, puis du piano mais plutôt en autodidacte, puis longtemps après j’ai rencontré Jean Austin qui a bien voulu me prendre dans son groupe au milieu des années 70. Mon frère aîné était trompettiste de jazz, il a éveillé mon oreille et ma curiosité envers cette musique. »

C’est avec Jean Austin que vous êtes venue en Europe pour la première fois ?

« Non, je suis venue en 1979 grâce à Willy Leiser qui était mon agent et qui s’occupait aussi des Stars Of Faith, puis en 1981 j’ai pu chanter à Montreux et aussi en France à Dunkerque. Je me souviens, j’ai tourné avec Jerôme Van Jones au piano et me suis associée pour un temps assez court avec la chanteuse La Velle et le pianiste Gregg Hunter. Nous avons même fait un disque qui doit être un « collector » maintenant. C’était produit par Maurice Cullaz qui était le meilleur spécialiste en France pour le gospel et même le jazz, il m’a souvent aidé et me manque beaucoup aujourd’hui. J’étais très amie avec son fils Abi, avec le saxophoniste Guy Laffitte et le chanteur Claude Nougaro. Tous ces gens m’ont permis de progresser. »

Liz McComb. Photo DR, courtesy of Gérard Vacher.

Votre carrière a pris une nouvelle direction après votre rencontre avec Gérard Vacher ?

« Oui, il a su me convaincre de faire ce qu’il fallait, d’aller professionnellement dans la bonne direction. Il a trouvé les bonnes filières pour les concerts, même si nous ne sommes pas toujours d’accord ; il a été très positif dans mon évolution. Il est plein d’idées et toujours en mouvement. »

Je vous ai vu pleurer à plusieurs reprises aussi bien en concert que durant une conférence de presse…

« Oh, je suis un cœur tendre. Il suffit que je pense à certaines choses qui me tiennent à cœur, des choses très personnelles ou le feeling de certains morceaux qui me submerge, alors je suis incapable de maîtriser mes émotions… On ne peut faire de la musique sans amour pour ça. C’est comme l’essence, si vous n’en mettez pas dans votre voiture, vous n’avancez pas. L’amour avec un grand « A » est le moteur de la musique, en tous cas de celle qui peut émouvoir un auditoire… »

Avez-vous écouté d’autres styles de musiques dans votre jeunesse ?

« Non, rien de particulier, dans la maison c’était totalement gospel. Ce n’est que plus tard que j’ai écouté du jazz. Le jazz occupait alors une grande place dans les musiques afro-américaines. Ce n’est plus comme ça aujourd’hui. Le gospel et le blues sont très liés, quoi qu’on veuille en dire dans certains milieux. Le gospel vient du blues ou l’inverse, mais ce sont les deux versants de la même chose. J’ai aussi écouté de la soul. Je me souviens de Rescue Me de Fontella Bass, ça vient en ligne droite du gospel, d’ailleurs sa mère Martha Bass était une grande chanteuse de gospel. Puis il y a eu Sam Cooke et surtout pour moi Ray Charles qui a tout changé (NDLR : Liz entonne alors un superbe I Got A Woman qui me laisse sous le choc). Souvent, j’intègre des phrases de piano de Ray dans mes concerts, je ne peux m’en empêcher. »

Pourquoi pas un album en hommage à Ray Charles ?

« C’est une idée, je vais y penser et la soumettrai à mon manager ! »

Liz avec les Blind Boys of Alabama, Aix-en-Provence, 1998. Photo © Brigitte Charvolin

Vous retournez souvent vous ressourcer à Cleveland ?

« Oh oui, j’y passe plus de temps qu’en France. J’ai des liens très forts avec mes sœurs, ma mère est très âgée maintenant et je suis toujours inquiète pour elle. La famille est la chose la plus importante au monde et j’aime me replonger dans l’ambiance de mon église, y retrouver mes racines, recharger mes batteries en quelque sorte ! »

Est-ce que vous sentez une différence quand vous chantez dans une église ou dans un festival par exemple ?

« Non. Je suis la même personne avec les mêmes motivations, peut-être que j’adapte un peu le répertoire pour que la communication ait lieu, mais je peux en définitive convertir plus de gens que dans une église où les gens sont déjà convertis. Bien sûr, dans les festivals les gens ne frappent pas toujours des mains sur le bon tempo, mais ce n’est pas grave, le message de joie et d’amour passe sans cela… Cela dit, je ne veux pas forcément convertir des gens, ils doivent venir d’eux mêmes, je dois juste être exemplaire et vivre une vie conforme à ce que je chante, comme le dit un vieux gospel : “Im gonna live the life I sing about in my songs”… »

Depuis, notamment avec son dixième album – « Brassland » – elle a substitué aux chorales gospel les sections de cuivres, donné de nombreux concerts et offert de superbes tournées en multipliant les genres tout en restant dans un même état d’esprit. Et même lorsqu’elle enregistre un disque de Noël l’an passé (« Merry Christmas » – GVE Productions), elle le fait de la manière la plus originale qui soit. En tant que musicienne, elle a su jusque là évoluer dans de multiples registres : en acoustique, piano solo, accompagnée par les maîtres de la sacred steel guitar, les cuivres de NOLA, et même avec orchestre à cordes comme avec l’Orchestre National de Lyon sous la direction de Kristjan Jarvi en décembre 2008.

Liz McComb avec Calvin Cooke (à sa droite) et Aubrey Ghent (à sa gauche). Chédigny, 12 août 2011. Photo © Benoît Matsha-Carpentier

Son actualité ne dément pas ce propos, loin de là, puisqu’elle se prépare à associer gospel et musique symphonique avec les concerts Symphonic Spiritual Suite. L’idée est simple. Le monde s’apprête en 2019 à commémorer les 400 ans de l’un des pires crimes contre l’humanité : la déportation en Amérique, en 1619, du premier contingent d’esclaves africains. Leurs descendants, évangélisés, ont inventé un chant original, le negro spiritual. Blues, gospel, jazz, soul, r’n’b, reggae, rock, rap… toutes ces musiques modernes en sont finalement issues ! Pendant le même Grand Siècle, l’ouverture « à l’italienne » devient la « sinfonia » et le signe de distinction des élites européennes enrichies par le commerce triangulaire… Ces musiques évoluent chacune dans son propre « ghetto », sans presque jamais se croiser. C’est partant de cette idée et afin de faire se rencontrer les deux termes de cette dialectique transatlantique qu’est prévue prochainement dans la Grande Cour des Invalides à Paris – pour la clôture de la 18ème saison des « Opéras en plein air » – une rencontre historique entre spiritual et symphonie avec Liz McComb accompagnée par l’Orchestre Symphonique des Opéras en Plein Air sous la baguette de Nicolas Guiraud.

Pour en savoir plus sur cette nouvelle aventure de Liz, nous avons interviewé son manager et ami, Gérard Vacher :

Comment vous est venue, à Liz McComb et vous-même, cette idée d’associer la voix de Liz à un orchestre symphonique ?

« Un jour, je reçois un appel de Gérard Kurdjian qui avait souvent fait appel aux talents de Liz sur le Festival de Musiques sacrées de Fez dont il était le fondateur directeur. Il me demande la disponibilité de Liz avec son quartet, mais en plus si elle pourrait chanter quelques titres faciles avec l’orchestre de l’Opéra de Nice. Liz, à qui je demande si elle pourrait chanter Summertime et Old Man River, me répond qu’elle pourrait faire cela même en dormant car, au pire, si les musiciens locaux étaient nuls, elle se ferait les titres toute seule a capela avec ou sans piano… Inutile de rappeler qu’auparavant Liz n’avait jamais mis les pieds sur la même scène qu’un véritable orchestre symphonique ! Une fois l’affaire conclue pour ces deux titres à chanter en fin de la première partie de cette « Nuit Américaine », Kurdjian me dit que ça « coûte cher » de louer les partitions pour l’orchestre pour quelques autres titres. Je lui propose alors que Liz chante plutôt ses propres chansons que je ferais arranger pour soixante-dix musiciens, ce que je fis. »

Liz McComb, Cognac Blues Passions, juillet 2002. Photo © Patrick Bertrand

Pour la petite histoire le concert se passait à Grasse, au Musée Renoir, un haut lieu du « Médecinisme » dont Christian Estrosi était l’héritier et il avait imaginé de bien soigner tous les grands électeurs des Alpes Maritimes en vue des sénatoriales en alignant deux séries de 1200 invités sur deux jours, comme quoi les cuisines électorales ne servent pas qu’aux traiteurs mondains… Mais tout cela a heureusement mis le pied de Liz à l’étrier du symphonique sans que je puisse alors deviner à quel point elle s’en sortirait bien.
Néanmoins, vu l’enjeu, j’avais pris contact avec Jeanine Reiss, ex coach vocal des Callas, Berganza, etc, qui a gentiment reçu Liz pour la faire travailler. Dès la deuxième séance, elle lui dit qu’elle n’avait vraiment rien à lui apprendre. Le jour même du concert, Liz dit soudain qu’elle aimerait bien une section de cuivres avec son quartet pour son propre concert… Je lui réponds que c’est un peu tard, donc on cherche un autre invité éventuel et on tombe sur le guitariste de l’Aga Khan qui veut bien se prêter à l’aventure.

Les musiciens de l’Opéra ont même accepté d’être filmés. Bref, pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. Sans insister outre mesure, je proposais de temps à autre la même formule, et L’Orchestre National de Lyon m’a demandé Liz pour un programme du même genre en essayant de la faire collaborer avec un des jeunes chefs les plus en vue – Kristjan Jarvi – avec, en plus des Porgy & Bess, des titres de Honey & Rue qu’André Prévin avait composés pour sa maîtresse d’alors, Katherine Battle, mais il fallait évidemment des tonalités plus basses et Prévin a refusé que quiconque d’autre que sa femme chante son œuvre. Cela m’a opportunément permis de faire arranger d’autres titres de Liz pour ces trois concerts qui furent des triomphes et des succès financiers pour l’ONL. »

Liz McComb en concert à Jazz à Vienne, juillet 2010. Photo © Brigitte Charvolin

Ce sont ces aventures qui donnèrent à Liz l’envie de poursuivre dans cette voie avec les concerts qui s’annoncent en septembre prochain ?

« En fait, quelques mois plus tard, ce fut à Metz avec l’Orchestre National de Lorraine et un autre chef devant un Arsenal bondé que l’aventure s’est d’abord poursuivie. En février 2014, on sollicite Liz pour une participation à un charity concert à l’Olympia pour « Les femmes contre le cancer ». Il s’agissait de deux titres avec l’orchestre de Anne Gravoin et je dis – amusé – à Liz : “Tu vas chanter avec une formation people dont la leader est la femme d’un type qui s’imagine qu’un jour il deviendra Premier ministre”, et c’est pourtant ce qui arriva quelques semaines plus tard… En voici les deux titres et ça s’est plutôt très bien passé. Il était donc naturel que nous choisissions le même orchestre avec comme chef Nicolas Guiraud. Il y aurait encore beaucoup à raconter mais, pour conclure, des gens de l’Opéra en Plein Air sont venus voir Liz en janvier et lui ont proposé de se produire avec eux juste derrière leur Carmen. J’avais, entre temps, commandé d’autres arrangements des œuvres de Liz ou des titres qu’elle chante déjà en petite formation. Ce sera donc bien une première mondiale à ce titre ! »

Avec ce nouvel espace d’expression, toujours en quête de nouvelles expériences musicales – même si le Gospel reste le fondement de l’œuvre de Liz McComb, – elle est certainement dans le paysage musical de ce début de XXIe siècle l’une des seules artistes afro-américaines à avoir autant contribué à enrichir la musique populaire en faisant fi des frontières, quelles qu’elles soient. Et ce n’est certainement pas fini… À quand un album hommage à Ray Charles ?


Par Marin Poumérol et Marcel Bénédit
Tous nos remerciements à Gérard Vacher

En clôture de la tournée Opéra en Plein Air : Château d’Haroué/Lorraine, dimanche 2 septembre à 18h00 et Hôtel National des Invalides, dimanche 9 septembre à 18h00

Extraits : Liz McComb Symphonic – Avec Nicolas Guiraud – Medley