The Boxer, the Bluesman and the Jazzman
Boxing in African-American Music 1921–1962
• Avant d’entrer dans le « vif du sujet » de ce magnifique et original coffret Frémeaux FA 5800 (2 CD), voici quelques citations intéressantes pour commencer :
« La boxe comme le jazz sont des territoires à la marge. Ce sont les seuls domaines où, avant 1960, les Noirs étaient autorisés à s’illustrer » – Xavier Lemettre, directeur du festival Banlieues Bleues.
« La boxe est comme le jazz ; mieux c’est, moins les gens l’apprécient » – George Foreman (champion du monde en 1973 et 1974 puis en 1994, à vingt ans d’intervalle, ce qui n’est pas un mince exploit !).
Ce coffret très bien présenté comporte 48 titres d’artistes ayant un rapport avec la boxe, soit qu’ils l’aient pratiquée ou qu’ils en parlent dans leurs compositions avec talent….
« You can run but you can’t hide » fut la célèbre réponse de Joe Louis à son adversaire Billy Conn. En effet, sur un ring, il n’y a pas de cachette. Mais cette phrase est détournée de son sens premier dans la version de Solomon Burke qui devient « Tu peux courir, mais tu ne peux te cacher de Dieu à qui rien n’échappe » : ring et religion : même combat !
Les grands champions noirs furent largement célébrés, aussi bien par les artistes de Blues que de Jazz. Le premier champion du monde poids lourds entre 1908 et 1915 – Jack Johnson (1878- 1946) – inspira à Miles Davis un de ses meilleurs albums : « A tribute to Jack Johnson » en 1971. Miles Davis, qui était d’ailleurs un grand amateur, allait souvent voir des combats, encourager des boxeurs et même s’entraîner physiquement.
Leadbelly cita le même champion aussi dans son Titanic Blues dans lequel il prétend qu’il voulait monter à bord, mais que le capitaine le refusa parce qu’il était noir : « Jack Johnson wanna get on board, captain said : I ain’t hauling no coal, fare thee, Titanic, fare thee well ». Son combat du 4 juillet 1910 contre le Blanc James Jeffries fut qualifié de « combat du Siècle » et sa victoire fut suivie de manifestations ségrégationnistes qui firent plusieurs morts. En 1920, il ouvre le Club Deluxe à Harlem qui deviendra le Cotton Club.
Joe Louis, de son vrai nom Joseph Louis Barrow (1914- 1981), 69 combats dont 52 victoires par K.O, surnommé “The Brown Bomber”, fut sûrement le plus aimé. On trouve une multitude de chansons le concernant : Memphis Minnie (He’s In The Ring et Joe Louis Strut du 22 août 1935 suite à sa victoire sur Primo Carnera le 25 juin 1935) ; Cab Calloway, Joe Pullum et le chanteur Paul Robeson soutenu par Count Basie (1941) et aussi Sonny Boy Williamson (John Lee) dans Joe Louis and John Henry. Il ne s’agit pas du légendaire conducteur de locomotive, mais de John Henry Lewis qui fut champion du monde en 1935 ! Ce combat, qui eut lieu le 25 janvier 1939, se termina par un K.O. de Lewis au premier round, ce qui combla Sonny Boy qui avait parié sur Joe Louis. Joe Louis et son associé Charley Glenn lancèrent un label qui portait le nom de leur club le Rhumboogie ; ce label dura peu de temps (1944) mais permit à T. Bone Walker d’enregistrer.
Sugar Ray Robinson (1921- 1989), 200 combats dont 109 gagnés par K.O, fut lui aussi très populaire. Plus tard, il entreprit une carrière de tap-dancer, puis de chanteur. Il est dans la sélection de ce coffret, accompagné par l’orchestre de Earl Hines en 1953, mais on peut le voir photographié avec divers artistes de R’n’B dont Ruth Brown.
Muhammad Ali, ce combattant magnifique, fut un ami proche de Sam Cooke et enregistra même un disque, mais ce sont ses coups de gueule contre l’intolérance qui le rendent incontournable (voir ABS N°51 de septembre 2016).
Le monde du Gospel s’intéressa aussi à la boxe avec les Dixieaires emmenés par l’excellent J.C. Ginyard qui complimente Joe Louis dans Joe Louis Is a Fighting Man en 1950 . Sister Wynona Carr est prête à se battre pour Jesus. Dans 15 Rounds for Jesus du 14 mai 1954, elle dit : « Im gonna win this fight for Jesus », puis elle quitta le Gospel pour le R’n’B…
Dans le monde du Blues, tout le monde connaît le truculent Champion Jack Dupree dont le surnom vient tout droit des rings mal famés de La Nouvelle-Orléans où il fit ses classes de boxeur en même temps qu’il apprenait le piano. À son actif, 104 combats pro, beaucoup de coups reçus, mais il a toujours aimé poser avec des gants de boxe.
Toujours dans cette Crescent City, à nulle autre pareille, le jeune Joseph Edwin Bocage – plus connu sous le nom d’Eddie Bo – conserve encore son surnom de “Spider” glané sur les rings où il avait la manie de s’entortiller autour de son adversaire qui pouvait se croire pris dans une toile d’araignée. Il suffisait de l’appeler “Spider” pour qu’il éclate de rire !
Willie Dixon est célèbre pour ses nombreuses compositions et pour avoir accompagné à la contrebasse des dizaines de grands artistes et avoir enregistré de nombreux disques mais, en 1937, il remporta les Golden Gloves de l’Illinois et dut abandonner sa carrière pro après quatre combats, car il n’acceptait pas les magouilles autour des paiements non effectués. Il faut lire son livre : « I am the Blues » paru en 1989. L’excellent Screamin’ Jay Hawkins – avant de vous jeter un sort ou de vous donner un remède contre la constipation – avait participé aux tournois des Golden Gloves de Cleveland et fait de nombreux combats dans l’armée pendant son engagement. Il m’avait même affirmé au cours d’une interview n’avoir peur de personne et de faire le coup de poing facilement sur les gens qui lui déplaisaient, bien qu’il appréciait la politesse et la gentillesse des Français… Le chanteur et guitariste Johnny Copeland disait : « J’ai commencé à 11 ans à Magnolia (Arkansas) où chaque quartier avait son champion, mais il fallait savoir s’arrêter avant d’avoir pris trop de coups ». Bukka White, l’un des grands du Delta blues, n’a sans doute pas le nez de travers pour rien (regardez bien sa photo). Il remporta une vingtaine de combats avant d’être enfermé au sinistre Parchman Farm dont il parle si bien…
Jimmy Liggins – surnommé “Kid Zulu” – avait boxé dès l’âge de 16 ans. Il raccrocha en 1945 pour suivre son frère Joe et fonder un superbe groupe de r’n’b qui fit les beaux jours du label Specialty. Le flamboyant Jackie Wilson apprit la boxe au cours d’une période de détention. Il obtint le titre de Golden Gloves à 16 ans. Son jeu de jambes d’ancien boxeur lui servit dans sa carrière de « bête de scène » extraordinaire.
Le chanteur Néo Orleanais Lee Dorsey obtint quelques succès entre 1945 et 1955 sous le nom de “Kid Chocolate”, mais se retira en 1955 pour passer à la musique où son talent était plus évident. Le précurseur du Rock’n’roll, Roy Brown, s’installa en Californie en 1942 où il disputa 18 combats, puis revint à New Orleans pour y graver son immortel Good Rockin’ Tonight.
Plus près de nous, le chanteur et harmoniciste Big George Brock avait eu une belle carrière de pugiliste. Parallèlement au blues, son physique impressionnant le conduisit sur les rings. En 1952 il est le sparring-partner de Sonny Liston (futur champion du monde) qu’il bat en deux rounds.
Chuck Berry, surnommé “Wild Man” à cause de son style peu orthodoxe, connut le pénitencier d’Algoa où il purgea une première peine de trois ans à partir de 1946 ; après avoir été battu et avoir souffert, il fut trop heureux de passer à autre chose… (« Chuck Berry – The Autobiography » – Harmony Books, 1987). James Brown fut condamné à la prison à 16 ans et dut se mettre à boxer, mais suite à une douloureuse défaite, il mit toute son énergie sur le chant qu’il avait toujours pratiqué. Le futur “Mr Shotgun Wedding”, Roy C. Hammond, dut lui aussi abandonner ses ambitions sportives et démarrer une carrière de soliste au sein du groupe vocal The Genies. La boxe n’étant pas une chose évidente pour tous… N’est-ce pas messieurs Bobby Nunn (The Coasters) ou Jimmy McCracklin ?
De nombreux jazzmen eurent des rapports pas toujours très heureux avec le monde de la boxe dont le trompettiste Kenny Durham, le batteur Roy Haynes, le saxophoniste Lucky Thompson. Mais la complicité et l’entraide ont toujours été présentes entre ces deux mondes qui s’estiment et se respectent, car leurs racines sont communes. À lire sur le sujet « Uppercut Blues » de Thierry Grillet (Alliance Editions 2010) et « Black Boy » de Richard Wright (Le livre de poche) sur les origines de ces abominables combats auxquels on obligeait les jeunes Noirs à participer.
Par Marin Poumérol
Merci à Augustin Bondoux et à l’équipe de Frémeaux & Associés : www.fremeaux.com