Chroniques #74

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Elizabeth King

Living In The Last Days

Bible & Tire Recording Co.

À 78 ans, Elizabeth King est une sorte de survivante, non seulement pour avoir atteint cet âge en gardant intacts son enthousiasme, toute son énergie, sa ferveur et sa créativité, mais aussi parce qu’elle a survécu, tôt dans sa vie d’adulte, à un terrible accident de la route qui faillit lui coûter la vie. Aujourd’hui encore, elle en garde des séquelles. Elle est née à Grenada dans le Mississippi mais elle a grandi à Charleston. En 1960, elle s’est mariée et le couple est allé s’installer à Memphis. Elle a rejoint un groupe local, les Gospel Souls en 1969 et est restée avec eux durant trente-trois ans tout en conservant son emploi de fleuriste. C’est l’une des très rares femmes à avoir été, à cette époque, le leader d’un groupe entièrement masculin. Au début des années 70, King et les Gospel Soul ont enregistré un single pour Designer,(1) un autre pour Messenger (2) et deux pour D-Vine (2). Puis elle se consacra à sa famille et à ses… quinze enfants ! Elle continua à chanter avec son groupe et dans son église ainsi que sur la station WMQM-AM de Memphis chaque samedi matin vers 10h. En 2019, le label Bible & Tire Recording Co a réédité des faces des années 70 (2) et la même compagnie vient de lui donner l’occasion d’enregistrer un album complet sous son nom. On peut dire qu’elle casse la baraque (3) avec le soutien d’excellents musiciens de Memphis : les guitaristes Will Sexton et Matt Ross-Spang, le batteur George Sluppick, le bassiste Mark Edgar Stuart et l’organiste Al Gamble qui tous font – ou ont fait – partie de groupes prestigieux. Sur le plan vocal, King peut compter sur le concours d’amis de la famille comme Christopher et Courtney Barnes des Sensational Barnes Brothers et d’autres non nommés. No Ways Tired commence en douceur pour entrer rapidement en éruption afin de marquer une victoire sur l’adversité, les coups durs et les vicissitudes de la vie mais… « même pas fatigués ! », chacun y mettant du sien et en rajoutant une couche. Un entraînant et bien scandé Living In The Last Days pourrait suggérer la fin d’une époque, voire la fin du monde, mais au fur et à mesure que le morceau se développe on comprend qu’en fait c’est un constat selon lequel les problèmes de 2021 ressemblent à ceux du passé et préfigurent certainement ceux de l’avenir, et qu’il y aura toujours la musique pour nous réconforter et nous donner la force de continuer. Pour le reste, on a des gospel songs de facture classique comme un Walk With Me plein de retenue, un Testify exubérant et musclé à l’instar de He Touched Me ou Mighty Good God qui respirent la joie de vivre et de chanter. Et c’est encore le cas d’autres faces comme A Long Journey, Reach Out And Touch tous syncopés et cravachés par le batteur. À noter un très émotionnel Blessd Be The Name a capella. Longue vie encore à Elizabeth King, on en redemande. – Robert Sacré

Notes :
(1) Une face Designer (Testify For Jesus) a été rééditée sur une anthologie « The Soul Of Designer Records » (4 CD) – Big Legal Mess Records (2014) www.biglegalmess.com
(2) « Elizabeth King & The Gospel Souls – The D-Vine Spirituals Recordings » – Bible & Tire Recordings Co. BTRC004 (2019) www.bibleandtire.com reprend les 2 faces Messenger, les 4 faces D-Vine et des inédits.
(3) Selon l’expression « … wrecking the house down… »


Dexter Allen

Keep Moving On

Endless Blues Records – www.endlessblues.com

Dexter Allen est de retour ! Fils de pasteur et membre du groupe de gospel The Christian Travelers, c’est à douze ans qu’il joue pour la première fois de la basse à Crystal Springs, sa ville natale. Il devient quelques années plus tard le guitariste leader de Bobby Rush et enchaîne les tournées internationales. En 2008, il entame une carrière solo, remportant le Jackson Music Award dans la catégorie « voix de l’année ». Puis il enregistre son premier album, « Bluezin My Way » et, six albums plus tard, il nous revient avec « Keep Moving On ». « Keep your head up high, Keep reaching for the sky, Keep moving on… », un premier titre inspirant et positif qui nous plonge dans un univers soul/blues avec des sonorités venues tout droit du Delta. Dexter Allen a une voix soul et envoûtante, un jeu de guitare aux multiples influences, cela va de Buddy Guy à Eric Clapton. Il nous parle des femmes, d’amour, de l’amour d’un homme attiré par une femme dans Love Talk, de tout ce qu’il aime chez la Femme dans le titre lancinant I Just Love That Woman. Comment ne pas tomber sous le charme de la chanson Blues Eyes Girl, soul à souhait, ou encore de ce blues pimenté de cuivres et d’un solo de guitare dans le savoureux F.A.B.U.L.I.S.T. Woman ? Il suffit de fermer les yeux et nous voici transportés dans un de ces légendaires juke joints à se déhancher comme il le décrit dans la chanson I Like The Way au son d’un clavier déchaîné. Allen est multi-instrumentaliste, il joue de la guitare, de la basse ainsi que du clavier sur cet album, écrit et produit par lui-même et coproduit par Joey Robinson. – Lola Reynaerts


Wee Willie Walker
& The Anthony Paule Soul Orchestra

Not in My Lifetime

Blue Dot Records BDR 110 (sortie le 26/07/21) 

Willie Walker, né le 23/12/1941, était un chanteur qui, bien qu’ayant enregistré pour Goldwax et Chess/Checker, était plutôt méconnu du grand public. Il rencontre Anthony Paule en 2015 qui l’intègre à son Soul Orchestra, enregistre un premier album (« After A While ») et l’emmène dans ses valises au festival de Porretta (Italie). Ses capacités vocales, sa présence scénique, sa gentillesse, son affabilité et son éternel sourire lui offriront l’opportunité d’y retourner à trois reprises. C’est avec tristesse et émotion que nous évoquons le présent album, car Willie décéda quelques jours (19/11/2019) après avoir terminé son enregistrement. La plupart des titres (9 sur 13) sont des compositions originales dues, pour la plupart, aux plumes conjointes d’Anthony Paule, Christine Vitale et du choriste Larry Batiste. L’enregistrement réalisé « à l’ancienne », sans sophistication inutile, procure à l’ensemble une sensation d’intemporalité où Willie s’exprime avec simplicité et efficacité au point qu’il est difficile de choisir un titre meilleur qu’un autre. C’est toutefois, à mon avis, dans les titres lents où l’on peut mesurer l’intensité de ses capacités vocales comme dans Over And Over (sa chanson préférée) ou encore Darling Mine où il est soutenu par la discrète mais efficace guitare d’Anthony Paule. Il y a aussi quelques reprises comme Warm To Cool To Cold qu’il avait enregistrée pour Goldwax, ou encore Suffering With The Blues emprunté à Little Willie John qui semble avoir eu une grande influence sur lui, puisqu’il reprend également sa version de Heartbreak crée par Jon Thomas. Un chant du cygne à ne pas manquer. – Jean-Claude Morlot


Tia Carroll

You Gotta Have It

Little Village Foundation

Après un somptueux album de Sonny Green paru il y a quelques mois, la compagnie Little Village Foundation récidive en donnant un coup de projecteur mérité sur la chanteuse Tia Carroll qui est originaire de Richmond, dans la baie de San Francisco. Elle débute en faisant les premières parties de Ray Charles, Patti LaBelle ou encore Gladys Knight. Au fil des années, elle partage également la scène aux côtés d’artistes comme Sugar Pie DeSanto, E.C. Scott et Jimmy McCracklin, partant même en tournée avec ce dernier. Après deux CD parus en 1997 et 2005 chez Big Cat Records, Noel Hayes (le producteur exécutif), Jim Pugh (le boss du label) et Kid Andersen, ont décidé de mettre les petits plats dans les grands afin que le talent de cette artiste éclate enfin au grand jour. La session débute divinement avec Ain’t Nobody Worryn’, la reprise de cette composition interprétée à l’origine par Anthony Hamilton est ici avec classe, magnifiquement transcendée. Sur le morceau Our Last Time, chanté en son temps par Robert Cray, la guitare de Kid Andersen rend hommage à Magic Sam, tandis que sur Don’t Put Your Hands On Me composé par Rick Estrin, notre nouvelle diva démontre que le Blues fait impérieusement partie de ses priorités. Les compositions Even When I’m Not Alone, Leaving Again et Move On, qui ont été écrites par la chanteuse, nous font apprécier un registre nettement plus soul où son interprétation toute en retenue gorgée de feeling fait des merveilles. Tia Carroll n’a pas oublié de rendre hommage à ses idoles, son interprétation de Why Am I Treated So Bad appartenant au répertoire des Staples Singers, mais aussi I Need Someone de Z.Z. Hill en sont la meilleure preuve. À l’image des précédentes réalisations du label, la crème des musiciens est rassemblée en studio, Kid Andersen à la guitare est une nouvelle fois admirable de par sa technique et son jeu qui, tel un caméléon, s’adapte divinement au répertoire de la Californienne ; Jim Pugh aux claviers est imperturbable dans l’excellence de son art, tandis que Charlie Hunter avec son instrument hybride basse-guitare associé aux excellents batteurs que sont Derrick D’ Mar et Paul Revelli nous délivrent le meilleur de la musique. L’ensemble est magnifiquement habillé pour les chœurs par The Sons Of The Soul Revivers auxquels il faut ajouter l’admirable section de cuivres dans laquelle le saxophoniste Gordon Beadle vient prêter main-forte sur deux titres. Cette nouvelle production, à l’image des autres réalisations du label, est une totale réussite, elle nous donne l’envie irrésistible – dès que cela sera possible – de mettre à nouveau le cap sur la Côte Ouest afin d’assister à l’une de ses prestations. Voici un bel et grand album qui ralliera de nombreux suffrages. Bravo !
 – Jean-Luc Vabres


Robert Finley

Sharecropper’s Son

Easy Eye sound / Bertus

Fils de métayer, Robert Finley a ses racines dans la terre, celle travaillée par ses ancêtres et par lui-même, cette terre agricole jouxtant les marécages entre Bernice – sa ville natale – et Winnsboro où il réside aujourd’hui dans le centre-nord de la Louisiane. Robert raconte l’histoire de sa vie avec cette voix à nulle autre comparable, qui transcende dès les premières notes. La cueillette du coton, l’enfance à la campagne, les difficultés rencontrées dans la rue, la prison, l’amour, les rêves sont ici contés de manière intime, avec cette voix qui prend aux tripes dès le magnifique Souled Out On You d’ouverture. Sous la houlette du producteur Dan Auerbach, ces différents chapitres sont portées vers l’excellence grâce à ce timbre unique, mais aussi par des musiciens hors norme. Kenny Brown et Eric Deaton, respectivement à la guitare et à la basse, sont terriblement à l’aise dans les titres soul, même si le son du Mississippi Hill Country blues appris dans les groupes de Junior Kimbrough et R.L Burnside revient à la surface dès que l’occasion leur est donnée. Le claviériste et auteur-compositeur Bobby Wood, le bassiste Dave Roe (ex Johnny Cash, Dwight Yoakam, John Mellencamp), les batteurs Gene Chrisman et Sam Bacco, le légendaire guitariste louisianais Billy Sanford et une section de cuivres complètent le groupe. Onze titres originaux, pour la plupart autobiographiques, sont ici magnifiés par un groupe de rêve. « On n’est jamais trop jeune pour rêver, ni jamais trop vieux pour réaliser ses rêves », dit Robert Finley à propos de la réalisation de cet album entre Soul et Blues, émouvant de la première à la dernière note. Un très grand disque ! – Marcel Bénédit


Allison Russell

Outside Child

Fantasy Records /Concord

Membre des groupes Birds of Chicago avec Jeremy Lindsay et Our Native Daughters aux côtés de Leyla Mc Calla, Rhiannon Giddens et Amythyst Kiah, Allison Russell – originaire de Montréal, chanteuse, poète, songwriter, activiste – publie un premier album solo. La couleur musicale est à dominante folk, ce creuset musical toujours actif dans lequel les peuples du monde venus habiter l’Amérique, de gré ou de force, ont déposé leurs influences pour en faire l’aventure musicale la plus passionnante du XXè siècle. Enfant abusée, cette quadragénaire pourrait nourrir le ressentiment ou le désespoir. Non. La dureté de ses premiers temps contraste avec la limpidité, la légèreté qui s’échappe de ses musiques. Allison Russell est parvenue à surmonter ses douleurs et à se créer une nouvelle vie. Des chansons comme Little Rebirth, aux réminiscences médiévales, ou Perséphone, qui convoque le mythe de la déesse allant en venant entre le monde des morts et celui des vivants, en sont des témoignages poignants. L’élégant Nightflyer a fait l’objet d’un clip. 4th day prayer, plus funky et The Runner, un rock soutenu par des chœurs, apportent une touche différente dans un disque plein de finesse et d’introspection. – Dominique Lagarde


79rs Gang

Expect the Unexpected

Sinking City Records SCR 020 (LP) – www.sinkingcityrecords.com

Grâce au label Sinking City, on suit le son du 79rs Gang depuis maintenant six ans. Partant d’une base traditionnelle de Mardi Gras Indians – cf. l’enregistrement de 2016 (« Fire On The Bayou » – Urban Unrest/Sinking City Records 004) et son terrible Drama -, les deux big chiefs Romeo et Jermaine ont progressivement développé leur personnalité musicale. On se souvient de la participation en 2019 au brillant projet du label lyonnais Jarring Effects, qui mêlait une foultitude d’influences aux chants traditionnels. Le chemin continue avec ce présent CD qui fait la part belle à un son actuel où se lient bounce, electro et musique caribéenne. En ce sens, la présence du groupe haïtien Lakou Mizzik sur un Iko Kreole chaloupé, est un parfait complément au spoken word a capella de Big Chief Jermaine sur History ou sur War Cry qui voit le trompettiste de jazz Nicholas Payton apporter son obole au melting pot. À tout moment, les boucles électro prennent le relais des percussions « naturelles » sans marquer la moindre impression de rupture. On ne saurait trop conseiller aux auditeurs de bien aller jusqu’au bout du disque. Les 1 min 40 de l’utime morceau, Pretty Big Chief, valent le détour ; juste soutenues par le piano du producteur Eric Heigle, les voix des deux Mardi Gras Indians se succèdent et s’entremêlent. Un morceau apaisé qui, à l’instar de l’ensemble du vinyl, ne perd jamais rien de sa force incantatoire. – Stéphane Colin


Roy Roberts

Nothin’ But The Blues

Rock House Records – www.rokhouserecords.com

Roy Roberts est un artiste dont on entend malheureusement trop peu parler mais qui, contre vents et marées, continue de produire tout au long de ces dernières années d’excellentes sessions sur son label Rock House Records. Ce nouveau CD est en fait une compilation parue au premier trimestre de cette année regroupant des compositions qui virent le jour notamment sur les albums « Every Shade Of Blue », « Burnin’ Love », « Strange Love » ou encore « Back In Love ». Celui qui fut repéré par Solomon Burke (après qu’il l’ait accompagné en concert) nous propose ici douze compositions. À l’image de ses précédentes productions, Roy Roberts délivre du blues pur jus comme il sait si bien le faire, tout en rajoutant un zest de soul du meilleur effet. Les morceaux comme The Next Time, Singing Another Blues Song et Your Troubling Man (ces deux derniers en mode mineur) sont admirables. Notons également la participation sur Dirty Old Man Blues de l’ancien équipier de Muddy Waters, le guitariste Bob Margolin, ainsi que le regretté Skeeter Brandon à l’orgue Hammond B3. Le titre I Got A Gypsy Woman nous fait regretter de ne pas croiser plus souvent sur le Vieux Continent cet excellent musicien accompagné de sa fidèle et impeccable formation. Infatigable, on reconnait immédiatement la griffe de Roy Roberts dès le premier accord, il en est de même pour les multiples sessions qu’il a produites pour des artistes comme Barbara Carr, Chuck Willis, Floyd Miles ou encore Priscilla Price, sans oublier le sous-estimé Prince Ronnie Love désormais établi aux Philippines. Les productions du guitariste résidant à Greensboro, en Caroline du Nord, sont d’une admirable constance, il est plus que temps – aussitôt les affres de la Covid terminées – que les différents festivals des deux côtés de l’Atlantique mettent Roy Roberts à l’affiche de leurs prochains rendez-vous.
 – Jean-Luc Vabres


Chris Cain

Raisin’ Cain

Alligator records ALCD 5003 – www.alligator.com

Cela fait plus de trente ans que Chris Cain arpente les blues highways, gravant 14 albums au fil du temps, avant de se faire enfin engager par une grande compagnie de disques qui pourra mieux le promotionner, le produire et le faire tourner, même si tout allait déjà bien pour lui dans ce domaine avec des tournées dans le monde entier. Mais avec Alligator records et Bruce Iglauer à la manœuvre, cela devrait prendre d’autres proportions. Car Cain est plus connu à l’étranger qu’en Amérique et cela doit changer. Cet auteur-compositeur prolifique et multiinstrumentiste de talent (chant, guitare, piano, saxophone) est brillant, c’est une bête de scène qui suscite l’enthousiasme des foules partout où il se produit. Cet album, son 15ème, a été enregistré à San José en Californie dans le Greaseland Studio de Kid Andersen qui en est le producteur. Il contient 12 compositions originales et il porte un titre prophétique à double sens, « Il va faire du bruit » et « Il va permettre à Cain d’agrandir son statut dans le gotha des musiciens ». Il a un style très personnel, mais Joe Bonamassa le compare à B.B. King pour le timbre de voix et à Albert King pour le jeu de guitare, avis partagé par nombre d’amateurs ! Il est le type même de musicien apprécié et loué par les autres musiciens depuis son premier album en 1987. Son père est Africain-Américain et sa mère est Grecque. Il est né à San José en 1995 comme il le chante dans le très autobiographique Born To Play où il cite nommément B.B. King (B.B. King lui a fait un beau compliment : « Chris Cain ? Now that boy can play the guitare ! »et Ray Charles qu’il est allé voir en concert à plusieurs reprises, comme Albert Collins, James Brown, Albert King (devenu plus tard son ami et mentor), Johnny Winter, Jimi Hendrix et même les Beatles. Dans ce titre comme dans les autres, le jeu de guitare de Cain est spectaculaire, imprévisible, hors norme et son timbre de voix grave, flexible, est reconnaissable entre mille. En outre, sa créativité est stupéfiante, comme dans You Won’t Have A Problem When I’m Gone ou dans l’humoristique Hush Money avec de belles parties de cuivres dues à Michael Peloquin (sax ténor), Mike Rinta (tb), Jeff Lewiqs (tp) et Doug Rowan (sax baryton), des musiciens que l’on retrouve dans d’autres faces. Ses influences ont dépassé le cadre strict du Blues, elles vont du Rock au Funk, de la musique latino au Jazz. En effet, il a étudié le jazz au San José City College et y a même enseigné l’improvisation jazz ! C’est patent dans I Don’t Know Exactly What’s Wrong With My Baby, un thème qu’il aborde étonnamment beaucoup ici, celui des problèmes de couple (fake news ?) avec Found A Way To Make Me Say Goodbye, Out Of My Head (avec des paroles comme « on ne s’est jamais bagarré aussi fort auparavant, toute la nuit… ») ou As Long As You Get What You Want et I Believe I Got Off Cheap, une des meilleures faces. La conclusion avec Space Force est étonnante, c’est un instrumental funky dans lequel Cain joue d’un arp soloist synthetiser, d’un piano électrique Wurlitzer et d’un clavinet, tandis que Kid Andersen est au melodica et Greg Rahn au Fender Rhodes, sans oublier Steve Evans (bs) et deux batteurs : Derrick “D’Mar” Martin et Sky Garcia. – Robert Sacré


Guy King

Joy Is Coming

IBF Records IBFR0614CD

La vie réserve parfois de belles surprises et celle de Guy King en est la preuve. C’est une suite de rencontres qui lui ont permis de devenir le grand artiste qu’il est : celle d’Otis Rush dans un bar, celle avec le groupe Willie Kent and the Gents dont il a été membre jusqu’à la mort de Kent et, récemment, ce contact grâce à Buddy Guy avec David Ritz qui n’est autre que le créateur du célèbre titre Sexual Healing de Marvin Gaye. Une réunion inspirante et enrichissante, car Ritz a coécrit avec King sept des chansons de ce nouvel opus « Joy Is Coming ». Grand épicurien, King – originaire d’Israël où il a vécu ses 20 premières années –, décide en 1999 de faire ses valises, de prendre sa guitare et partir à la découverte de Memphis, de New Orleans et finalement poser ses bagages au royaume du Blues : Chicago. Ce nouvel album est un livre ouvert, une autobiographie dans laquelle le plaisir est totalement partagé. Dès la première chanson – Joy Is Coming –, l’univers de King est dévoilé. Une voix unique, un talent d’auteur-compositeur, un sourire qu’on lui devine derrière son micro et une sonorité à la Bill Withers, très séduisante. King a invité Joe Bonamassa pour le deuxième titre, Devil’s Toy, le single de cet album ; c’est un duo de guitares qui s’enflamment dont le clip vidéo a reçu un franc succès sur les réseaux sociaux. Les sections de cuivres et rythmique sont très présentes dans Hole In My Soul. Oh Sarah est une chanson dédiée à sa femme Sarah Fringero, grande chanteuse de Jazz avec laquelle il a une immense complicité. Sur le titre Up, Up, Up, il est accompagné par Vanessa Bell Armstrong, une chanteuse de gospel avec une voix à couper le souffle. « We all get down with grief and with pain but that’s the time people to get up… » Je n’ai qu’une envie c’est de me lever, de chanter avec eux et d’accompagner Tom Vaitsas dans son solo de clavier. Guy King, souvent comparé aux légendes du jazz Wes Montgomery et du blues Albert King pour son jeu unique de guitare, s’est entouré de Josh Smith, guitariste reconnu dans le monde entier, pour coproduire son album. Un opus enregistré au Riverside Studio à Chicago avec de dix compositions qui rassemblent avec Joshua Ramos à la basse, Samuel Jewell à la batterie, Anthony Bruno au Saxophone, Marques Carroll à la trompette, un trio vocal composé de Sarah Marie Young, Tina Jenkins Crawley, Devin Velez, sans oublier le Kaia String Quartet aux violon, alto et violoncelle. J’ai eu le plaisir de voir et entendre à quelques reprises Guy King sur scène en Belgique, au B.L.U.E.S. sur Halsted à l’occasion du 89ème anniversaire de Jimmy Johnson et lors du Chicago Blues Festival en compagnie de Chris Cain, je peux assurer que c’est un artiste de scène, de toutes les scènes, un grand professionnel qui s’adapte et dont la générosité et le plaisir sont contagieux. Sa passion et l’amour qu’il a pour la musique se transmettent à son public, c’est le cas dans ce nouvel album qui ne peut nous laisser indifférents. – Lola Reynaerts


Kat Danser

One Eye Open

Black Hen Music / Proper

D’ascendance polonaise et gitane, née à Edmonton au Canada, Kat Danser est une musicienne aguérrie. Déjà nominée aux Western Canadian Music Awards par trois fois, cette chanteuse, guitariste, auteur-compositeur, livre ici son sixième album, savoureusement inclassable. Si l’opus démarre par deux compositions très blues, Way I Like It Done (dans laquelle la section de cuivres est déjà mise à l’honneur) et Lonely & The Dragon, Bring It When You Come (ragtime de Gus Canon aux connotations coquines…) fait ensuite le pont vers un hommage à La Nouvelle-Orléans avec Frenchman Street Shake et l’évocation de Sonny Landreth, avec une section de cuivres remarquable. Suit Get Right, Get Church de Jessie Mae Hemphill dans lequel tout le talent de Kat Danser explose, tant au plan instrumental qu’au niveau de l’émotion, pour moi le sommet de l’album. Kat Danser est une femme de caractère, pour le moins affirmé dans le punk-rock One Eye Closed, déchaîné et inattendu. Trainwreck est une chanson basée sur la trame du Mystery Train de Junior Parker, revisitée avec force originalité, alors que Please, Don’t Cry et End of Days sont plus country. L’album se termine par un étonnant Mi Corazon, paso doble chanté en espagnol. Cet album – comme le précédent – a été enregistré dans le studio du guitariste et producteur de la session Steve Dawson, gage de qualité. Les musiciens sont excellents, que ce soit la section rythmique avec Jeremy Holmes (basse) et Gary Craig (batterie), les claviers de Kevin McKendre ou les cuivres de Dominic Conway (sax ténor), Jerry Cook (sax baryton), Malcolm Aiken (trompette). Cet album, en dix titres dont huit compositions, montre toute l’étendue du talent de Kat Danser qu’il serait bon de voir sur scène en Europe. Sait-on jamais ? Gardons un œil ouvert… – Marcel Bénédit


Eddie 9V

Little Black Flies

Ruf 1289 – www.rufrecords.de

Natif d’Atlanta en Géorgie, le chanteur/guitariste Brooks Mason a changé son nom en Eddie 9V en 2019 pour entamer une carrière de soliste, titulaire de son propre band. Il est né en 1996 dans une famille non musicale installée à 16 km au sud d’Atlanta. Il s’est intéressé à la guitare à l’âge de 6 ans et ses idoles étaient Muddy Waters, Freddie King, Rory Gallagher, Albert Collins, Mike Bloomfield. À 15 ans, il opta pour une carrière musicale de blue-eyed soul singer, laissant école et jobs pour les autres et il s’engagea résolument dans le circuit du soul-blues autour d’Atlanta. Il sortit son premier album – Left My Soul In Memphis – en 2019. À 24 ans il en est donc à son deuxième opus gravé en novembre 2020 en réaction contre le confinement consécutif à la pandémie de Covid 19 qui avait entraîné des mois d’inactivité pour lui et ses copains. Il a réuni une équipe avec, entre autres, Cody Matlock (gt), Brandon Bone (bs), Chad Mason (orgue Fender Rhodes), Jackson Allen (hca), et ils ont fait le job ! Eddie a composé 9 des 12 titres qui sont soit autobiographiques soit témoins des problèmes de son temps : un trip mouvementé en Ohio avec un très intense Columbus Zoo Blues, un très énergique Little Black Flies (avec en guest Sam Nelson, sax) qui parle d’une ado de l’étage au-dessus du sien (il en était amoureux or cette fille était abusée et il voulait agir contre cela), 3AM in Chicago traite du manque de justice envers les minorités et de l’inégalité des salaires en Amérique, tandis que dans Puttin’ The Kids to Bed on souhaite seulement qu’on mette les gosses au lit au plus tôt pour recommencer à composer des morceaux… Il y a aussi un superbe She Got Some Money à la slide et le speedé Dog Me Around, sans oublier Don’t Come Around This House, un slow blues d’excellente facture. Parmi les reprises, on appréciera à sa juste valeur un Travelin’ Man (Albert King) joyeusement rentre-dedans et on attribuera une mention spéciale à You Don’t Have To Go où c’est Cody Matlock qui tient la guitare, il fait des étincelles et casse la baraque avec le concours de J. Allen (hca) et C. Mason (piano) et d’Eddie 9V au chant bien sûr ! Un bilan plus qu’honorable pour un album qui fera date. – Robert Sacré


Alabama Slim

The Parlor

Cornelius Chapel Records – CCR54

Révélé en 2005 par le label de la Music Maker Relief Foundation, Alabama Slim, le guitariste natif de Vance en Alabama, signe ici un album dense qui va faire le bonheur des amateurs de « down home blues ». Cette nouvelle session pour le label Cornelius Chapel Records a néanmoins été co-produite par Denis et Tim Duffy qui – en l’espace d’une demi-journée – ont mis en boîte dix excellentes compositions. Il en résulte, à l’écoute, une atmosphère où planent les ombres bienveillantes d’artistes comme Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker ou encore celle du louisianais Clarence Edwards. Il suffit d’écouter des compositions comme Down In The Bottom, le sombre Rob Me With A Gun – qui se sert de la comparaison avec un révolver pour dire que si vous aimez quelqu’un, il n’a pas besoin d’une arme pour vous voler… –, Freddie’s Voodoo Boogie, mais aussi All Night Long, pour ressentir les empreintes indélébiles de ces glorieux aînés. Aux côtés d’Alabama Slim, nous retrouvons son cousin de La Nouvelle-Orléans Little Freddie King à la guitare, Matt Patton est à la basse, Jimbo Mathus aux claviers, tandis que le toujours excellent Ardie Dean est à la batterie. La voix de l’ancien déménageur nous délivre sans fioriture une musique brute de décoffrage, du blues à ras de terre formidablement bien fait, qui nous rappelle qu’il existe encore dans les états du Sud des « warriors » du douze mesures qui perpétuent avec talent, inspiration et ténacité, cette musique envoûtante et qui émeut, à l’opposé de productions alambiquées. Cet album, qui existe en CD et en vinyle, est une belle réussite. – Jean-Luc Vabres


Shawn Pittman

Stompin’ Solo

Must Have Music CD 109

Originaire d’Oklahoma où il est revenu vivre depuis quelques années, Shawn Pittman est un guitariste électrique. Il s’est fait connaître au Texas où il résida une vingtaine d’années. D’où un jeu de guitare agressif avec parfois des intonations rock. Ce nouveau disque acoustique en solitaire est donc un étonnement probablement dû aux circonstances provoquées par la COVID-19. Le confinement conduit à apprécier les joies de la solitude et à se retrouver. Ainsi Shawn Pittman s’est-il plongé dans un bain de jouvence intime en interprétant des compositions personnelles et des titres créés par Mance Lipscomb, Lightnin’ Hopkins, Frankie Lee Sims, Jimmie Rogers et Johnny Guitar Watson. De ce dernier, Sweet Lovin’ Mama (une des chansons phares des concerts électriques de Pittman), n’est pas dénaturée par le traitement acoustique. Le style de guitare fluide de l’artiste ruisselle sur les instrumentaux de Mance Lipscomb, Mance’s Rock et Spanish Flang Dang et celui de Lightnin’ Hopkins, Lightnin’ Stomp. Celui-ci bénéficie d’un bel hommage, Ode To Texas, composé par Pittman. Ce dernier varie les plaisirs. Il évite la monotonie grâce à des compositions personnelles en styles divers : downhome blues avec Leanin’ Load, Delta blues avec Pressin’ Your Luck ou Early In The Morning (quasi plagiat de Bukka White), funky avec Fly Swattin’ Woman et soul avec Go Down Swingin’. La voix traînante de Pittman est très agréable, ses soli de guitare sont créatifs. Si je vous dis que tous les titres ne durent que deux à trois minutes à l’exception de l’incursion soul Go Down Swing et ses 4’29’’, vous aurez compris qu’il est impossible de s’ennuyer une seconde à l’écoute d’un tel disque qui fait honneur aux grands prédécesseurs de cet artiste. Une bien agréable surprise. – Gilbert Guyonnet


Bruno Mars

Leave The Door Open

AfterMath Entertainment & Atlantic Reecording Corporation (single)

Il est rare qu’un single soit chroniqué dans ces colonnes, mais il aurait été difficile d’attendre la sortie de l’album auquel collabore Bootsy Collins pour évoquer ce qui sera certainement l’un des événements de cette année. Certains, comme Daptone Records, pour satisfaire les goûts de contemplateurs d’une époque qu’ils n’ont pas connue, recopient laborieusement les recettes de la soul « sixties » au point – et ceci sans dénier le talent des interprètes concernés – d’accoucher d’un revival poussiéreux. D’autres, comme Raphael Saadiq revisitent, s’approprient le son Motown, pour en faire une œuvre originale qui, sans tomber dans la nostalgie, frise la perfection (cf. l’album « The Way I See It »). Et c’est dans cette perspective que s’inscrivent Bruno Mars et son acolyte Anderson Paak en reprenant les canons d’un style, qui dans les années 70, fit la gloire des groupes vocaux comme les Temptations, les Spinners, les Stylistics (pour n’en citer que quelques uns). Ils récrée ainsi l’atmosphère d’une époque ou la sophistication, l’élégance des costumes et des chorégraphies régnaient en maîtres. C’est d’ailleurs la démonstration qui en a été faite lors de la récente soirée des Grammys où il s’est produit accompagné de trois choristes/danseurs dans une vibrante évocation de cette période aujourd’hui disparue. Démonstration qui confirme l’adage «  le talent fait ce qu’il peut, le génie ce qu’il veut ». – Jean-Claude Morlot


Jimmie Bratcher

I’m Hungry
Red-Hot Smokin’ Blues To Inspire Your Appetite !

Ain’t Skeert Tunes / Distr. CD Baby

Obsédé par la (bonne?) bouffe notre Bratcher ? En tout cas, c’est un Epicurien qui vante les bienfaits de la table, il a faim ! Il réside à Kansas City et il est à la fois chanteur, compositeur, guitariste et… Pasteur ! Surnommé Electric Rev’ ! C’est original, d’autant plus qu’avec l’aide de sa femme Sherri il a compilé un livre de plus de 200 recettes accompagné d’un album où tous les morceaux, comme le bouquin, sont inspirés par l’art culinaire en général et par la soul food du Sud en particulier. Sa musique s’inspire largement du Blues et il en profite pour délivrer des messages spirituels. Il faut savoir qu’il en est quand même à son 12è album. Il a réuni ici des musiciens de Kansas City et de Nashville, amis de longue date comme Craig Kew (bs), Terry Hancock (dms) et pas moins de deux autres batteurs et quatre pianistes et organistes qui se succèdent au fil des titres. Bratcher a composé dix des douze faces. Tout part en fanfare avec I Love Her Name dans lequel le pianiste John Selle dresse la table pour les plats délectables qui vont suivre sur un rythme de barrelhouse boogie endiablé (sorry, Pasteur !) soutenu par Bratcher (gt, vo). Ensuite, ce dernier joue le rôle du pauvre type mis au régime par son toubib et qui doit renoncer à certains de ses plats favoris, cela donne l’humoristique Mama Won’t Fry No Chicken. Il doit se rabattre uniquement sur les bonnes odeurs des plats en cuisson dans Bacon On My Mind un slow blues où sa frustration transparait dans son chant tendu et ses fulgurences agressives à la guitare. Il y a du double entendre dans la ballade Baby I Like Your Cooking en slow. Dans le bien enlevé Where You Gonna Stop, Bratcher nous fait faire le tour des bons restaurants de K.C. réputés pour leurs BBQ et il cite les noms… Avis à ceux qui envisagent un tour là-bas quand la pandémie de Covid 19 ne sera plus qu’un mauvais souvenir ! Greasy est un beau slow blues instrumental. Ensuite Bratcher critique le manque de saveur généralisée de la volaille dans un bien syncopé Chicken Tastes The Same, sur un rythme de rumba avec du vibrato dans la voix pour marquer sa déception. Quant à Green Bananas, c’est une ode à Carpe Diem sur un rythme syncopé style New Orleans second line, en medium, c’est superbe. Et ce n’est pas tout, car le Bologna Sandwich Man, c’est lui, il célèbre ainsi un de ses mets préférés et cela se déroule sur un rythme saccadé, entraînant. L’album se termine joyeusement avec Happy, un instrumental enlevé et, même sans paroles, on peut deviner qu’il a très bien mangé et qu’il en est heureux. Et il y a encore les reprises comme Goverment Cheese (Keb Mo’), une ballade chaloupée en médium au contenu politique et faisant référence aux difficultés matérielles rencontrées par pas mal de gens et qui se répercutent sur leur alimentation, devant se contenter du fromage (de piètre qualité) distribué par les autorités ; surtout il y a Grits Ain’t Groceries (un morceau Stax soul classique de Little Milton de 1969) délivré en puissance dans lequel Bratcher est particulièrement inspiré tant au chant qu’à la guitare. Bon appétit ! – Robert Sacré


AJ Fullerton

The Forgiver and The Runaway

Vizztone Label Group VT-AJF001 – www.vizztone.com

Chanteur, guitariste, originaire du Colorado mais transporté à Toronto pour les besoins de cet enregistrement, AJ Fullerton a déjà plusieurs disques à son actif, dont les albums « Fullerton & Friel » et « Kalamath ». Les sessions se sont tenues sous la neige dans l’interminable hiver canadien et le disque défile sur un mode paisible, comme des pas feutrés dans la poudreuse, entre blues, folk, soul et funk. L’atmosphère est parfois dylanienne. Remind Me Who I Am Again constitue une sensible entrée en matière. Homesick, parcouru de pedal-steel, traduit le mal du soleil dans cet univers blanc. Le boogie Never Was est la principale concession à un rythme plus élevé. AJ Fullerton soigne les textes ancrés dans ses expériences personnelles, portés par un sens aigu de l’observation. Il est l’auteur de dix des douze chansons du disque. Hooks On The Water et Cherry Red sont, elles, dues respectivement aux plumes de Colin Linden et JD Taylor/Tyler Goodson. La production est entre les mains de Steve Marriner, membre du groupe canadien Monkey Junk, présent également à la basse, à la seconde guitare, à l’orgue hammond et à l’harmonica. Le batteur Glenn Milchem, la bassiste Anna Ruddick, le pianiste Jesse O’Brien complètent le groupe de base, auquel se joignent plusieurs invités dont l’ingénieur du son Aaron Goldstein. – Dominique Lagarde


Pat Smilie

Last Chance

Fat Bank Music FBM 1004

Pat Smilie a, durant de nombreuses années, écumé les clubs du south side et du west side de Chicago aux côtés des plus grands, à l’image de Vance Kelly, Otis Clay, Willie White, Lil’ Bobby Reynolds et tant d’autres. Pour l’avoir vu de nombreuses fois au Gene’s Playmate, ses prestations étaient toujours exemplaires. Originaire de Detroit, il a décidé de retourner vers ses racines en 2015 pour s’installer à nouveau dans la ville qui l’a vu grandir. Cette nouvelle session, enregistrée durant la pandémie, a été produite par le guitariste Motor City Josh ; elle met une nouvelle fois en avant, sur les huit compositions originales proposées, tout le talent du chanteur qui a fait ses classes en écoutant Joe Cocker, Delbert McClinton, Otis Redding mais aussi toutes les légendes du west side de la Windy City. Avec le titre Heart In A Headlock, l’album démarre sur les chapeaux de roue avec un son qui nous rappelle les grandes heures de la Motown, grâce notamment à une très bonne section de cuivres emmenée par Walter White à la trompette et Keith Kaminski au saxophone, ce dernier ayant notamment travaillé aux côtés de l’illustre Bob Seeger. La composition très réussie Something On My Heart rend hommage au regretté Otis Clay, lorsque l’interprète de I Die A Little Each Day enregistrait chez Willie Mitchell pour son fameux label HI Records. Nae Nae (Months Of Sundays) est ouvertement soul avec un clin d’œil appuyé à l’œuvre de Wilson Pickett, tandis que l’excellente composition All The Way In My Corner va vite devenir un classique dans le répertoire du chanteur, tant elle est aboutie. N’omettons pas Broke Down Chevy #2 avec la participation à la guitare de l’une des gloires de la Motor City, Jim McCarty, alors que Last Chance bouscule la boussole en mettant le cap au sud avec son groove néo-orléanais. Ce nouvel album met magnifiquement en avant toute la classe mais aussi la palette musicale de l’artiste, le Blues, la Soul et le Rock n’ont plus de secret pour ce chanteur après toutes ces années passées dans les clubs. Pat Smilie nous délivre aujourd’hui le meilleur de sa production avec un CD important qui satisfera les plus exigeants. Une très belle réussite. – Jean-Luc Vabres


Jeremiah Johnson, Whitney Shay, Ryan Perry

Blues Caravan 2020

Ruf Records Ruf 1286 ( CD + DVD) – www.rufrecords.de

Voilà une caravane qui promettait beaucoup mais qui a été stoppée net par la pandémie de Covid 19 et l’arrêt total des concerts et tournées. Cela n’a pas empêché le trio, accompagné d’une batteuse exceptionnelle (Amanda Dal) et du bassiste vedette Roger Inniss d’enregistrer en live au Hirsch de Nuremberg en février 2020, sans masques ni distanciation sociale, un concert qui a été filmé. Voici le résultat avec un album audio de 14 morceaux (et proche de la limite des 80 minutes) et avec un DVD de près de 140 minutes avec 12 titres supplémentaires, dont une intro de Tom Ruf, soit 26 en tout ! Et pour un prix d’ami : le sticker sur le disque précise « CD + DVD pour le prix d’un ! ». Sur le CD, chaque membre du trio de base apporte sa contribution tour à tour à Let’s Work Together, le classique de Wilbert Harrison et ils sont présentés l’un par l’autre. Les trois morceaux suivants mettent Ryan Perry en évidence au chant et à la guitare et il développe un Mississippi blues moderne au climat tendu avec des passages de guitare lancinants et dramatiques (Ain’t Afraid To Eat Alone et High Risk, Low Reward) et même dans la reprise du Evil (Going On) du Wolf. Puis c’est au tour du duo Whitey Shay/Ryan Perry de prendre le devant de la scène avec trois titres dont un énergique Stand Up ! et A Woman Rules The World, un slow blues féministe tout en douceur mais chanté avec beaucoup de conviction par Shay avec des prouesses pyrotechniques à la guitare par Perry. Jeremiah Johnson prend le relais avec du solide blues-rock dans son jeu de guitare hors normes au service de ses propres compositions, le très long (plus de 8 minutes) Showdown et un revigorant White Lightnin’ boosté par drums (Dal) et basse (Inniss), à nouveau très présents dans Blues In Her Eyes, un slow blues tourmenté avec une guitare en folie. Le trio est à nouveau réuni dans les trois dernières faces, le musclé Good Man Good Woman, le Cherry Red Wine, emprunté à Luther Allison, un slow blues torride qui se conclut par une fulgurante guitar-battle JJ vs. RP (à admirer/écouter sur le DVD) et, enfin, un rock n’ roll endiablé, Old Time Rock’n roll. Bien sûr, il est fort plaisant de retrouver toutes ces faces sur le DVD avec tous les protagonistes en visuel pour découvrir leurs interactions, leurs mimiques et leur jeu de scène ainsi que 12 morceaux supplémentaires joués/chantés dans la même veine ; le medley Grinning In Your Face- Baby Please Set A Date est d’abord un court hommage, tout en délicatesse, à Son House rendu par Shay quasi a capella mais avec la complicité de Roger Inniss (bs), suivi d’un tribut déjanté à Elmore James ; Far Apart And Still Close est un duo festif Shay/Perry tandis que Get Down With It, uptempo, fait appel la participation du public. Du côté de J. Johnson, on le retrouve en plein mal du pays dans Long Way Home puis très exalté dans le paroxysmique American Steel et dans une bonne version très punchy du Born Under A Bad Sign d’Albert King et, chaque fois, il démontre une virtuosité impressionnante à la guitare. Le final et les rappels, tout le monde en scène, se concluent en apothéose avec un funky Shakey Ground qui appelle encore une fois le public à participer. On insistera sur les prestations particulièrement dynamiques et efficaces d’Amanda Dal aux drums et du très créatif Roger Inniss à la basse sur l’ensemble. – Robert Sacré


Eddie Turner

Change In Me

7-14 Records 7-14002

D’origine cubaine, Eddie Turner a grandi à Chicago. Il nous offre un quatrième album composé de sept créations, trois reprises et non des moindres. Un album, qui, musicalement, réveille des états d’âmes, des émotions dont nous n’avions plus conscience. Un album d’une grande finesse, mûrement élaboré, un mélange pétillant de blues contemporain, de son du Delta parsemé de ci de là de touches jazzy et de rock. Avec Change In Me, titre éponyme, il nous plonge directement dans une ambiance planante suivi d’un Dignify plus rock, plus engagé, s’inspirant de problèmes sociaux et raciaux. Il nous offre aussi une version toute en sobriété de My Friend de Jimi Hendrix qui révèle sa voix profonde et chaude. Un des moments forts de l’album est une création unique : Turner intègre, sur la musique de She Caught The Katy de Taj Mahal, les paroles du célèbre titre I’m Waiting For The Man de Lou Reed et se réapproprie la fin en ajoutant ses propres paroles. Standing On The Front Line tient sa force du son de la Fender. Avec Another Sign Of Weakness et Whoa, Whoa, Whoa, il a fait le choix de placer dans l’album deux titres qui évoquent son parcours de vie dans une atmosphère musicale très proche ; deux chansons qui se questionnent et se répondent. Il rend hommage à Chicago et au grand Willie Dixon avec le Hoochie Koochie Man qui clôture cet album. Enregistré à Brooklyn, NY, au Studio 99 et au Mad House Recorders à Leadville, CO, on compte trois grands noms à la production : Tim Stroh (qui a produit les trois précédents albums de l’artiste), Kenny Passarelli (qui a accompagné Elton John, Joe Walsh et Stephen Stills et qui a invité son ami Eddie Turner à former le Otis Taylor Band avec qui il a tourné pendant dix ans) et « last but not least » Eddie Turner lui-même. Il s’est entouré de Passarelli aux claviers, à la basse et au chant, de Jesse Lee Thetford au chant, de Neal Evans à l’orgue B-3, qui partage aussi la batterie avec Dean Oldencott et David Brenowitz. Contrairement aux précédents, cet opus a vu le jour autour des mots de Turner, la musique s’est mise au service du texte et la symbiose est parfaite. – Lola Reynaerts


The Hitman Blues Band

Not My Circus Not My Monkey

Nerus Records – www.hitmanbluesband.com

Si vous collectionnez les pochettes de disques inspirées par le cirque, celle-ci est pour vous ! « Not my circus, not my monkey » est le septième album du Hitman Blues Band depuis 2000, ce à quoi il faut ajouter un disque solo acoustique de son leader, Russell Alexander. Not my circus not my monkeys est une expression américaine imagée pour dire qu’une affaire ne nous concerne pas, que l’on n’a pas de lien avec elle et qu’on ne souhaite pas s’y engager. En revanche, on peut tout à fait s’engager dans l’écoute de ce disque plutôt traversé par une épidémie de bonne humeur, comme en témoigne en ouverture le titre éponyme et son suivant, l’entraînant Buy That Man A Drink. Rien ne semble retenir ce groupe basé à New York, formé il y a plus de trente ans, qui se lance dans une version iconoclaste et funky de The Times They Are A Changin’, méconnaissable, tout en préservant (et actualisant) l’esprit de la chanson. Si la ballade No Place Like Home apporte un peu de lyrisme, You Don’t Understand du groove à la Willie Mitchell, blues et boogie demeurent la base, avec deux adaptations de Blind Willie Johnson, Nobody’s Fault But Mine, et John The Revelator. – Dominique Lagarde


Archie Lee Hooker
& The Coast To Coast Blues Band

Living In A Memory

Dixiefrog DFG8817 – www.dixiefrog.com

Le chanteur Archie Lee Hooker est le neveu de John Lee Hooker. Ses blues sont plus « modernes » que ceux de son oncle et ils sont influencés par les courants actuels. Il sort un nouvel album accompagné par ses partenaires habituels, Matt Santos (claviers, harmonica), Fred Barreto (guitare), Yves “Deville” Ditsch (drums), Nicolas Fageot (basse) et une volée d’invités dont des cuivres avec Yann Thein (sax), Christian Ehringer (tp) et Ulrich Röser (tb) sur un Long Gone jazzy qui ouvre la séance. Ils récidivent dans cinq autres faces dont It’s A Jungle Out There, une réflexion intéressante sur notre société et dans deux des meilleurs titres de l’album avec, en guest, le pianiste Pugsley Buzzard Wateringcan : My Baby bien enlevé et jazzy avec de beaux passages de piano, de saxes et de guitare (F.Barreto) ainsi que I Lost A Good Woman, un beau blues en médium. Dans le super bien rythmé Give It With A Smile, on retrouve les cuivres, Pugsley B.W au piano et Sven Kiefer au vibraphone ce qui accentue ici aussi le côté jazzy. De son côté, Blinded By Love exsude l’énergie et est également dans les meilleures faces avec, comme invités, Bernard Allison (guitare) et deux trombonistes (Suavo Jones et Ulrich Röser). On notera des ballades en slow avec violon, cello et viola dans Living In A Memory et saxophone + trombone dans Sorry Baby. Les paroles de Parchman Bound et son ambiance dramatique valent le détour, comme les textes d’autres chansons (Nightmare Blues, I Miss You Mama…) et on peut y accéder sans peine puisque tous les textes sont repris en notes de pochette. Un Get Away bien musclé eut pu faire partie des meilleurs morceaux, mais des chœurs gâchent un peu mon plaisir, c’est subjectif mais j’y suis allergique dans le Blues et le R&B, on ne se refait pas. – Robert Sacré


José Ramirez

Whatever She Wants

Delmark Digital Singles 8868 (single) – www.delmark.com

Jeune musicien de 33 ans originaire du Costa Rica, José Ramirez possède déjà un solide curriculum-vitae puisqu’on le retrouve sur scène aux côtés de pointures comme Buddy Guy, Anson Funderburgh, Janiva Magness, Mark Hummel ou encore Bryan Lee. Son CD intitulé « Here I Comme », enregistré à Austin l’an passé, n’était pas passé inaperçu, notamment pour le label Delmark qui nous propose aujourd’hui une sortie digitale d’une nouvelle composition de l’artiste. À propos de son nouveau morceau, Jose Ramirez nous confie : « C’est ma façon à moi de rendre hommage à des artistes comme Bobby Bland, Bobby Womack et Johnnie Taylor ». Avec de tels références, on ne peut s’attendre qu’à de très bons résultats et c’est le cas. À découvrir en ligne sur le site du label en attendant son prochain album ou sur Youtube : https://youtu.be/FE8tLfomEN8

 – Jean-Luc Vabres


Tomislav Goluban

Express Connection

Blue Heart Records BHR 006

Surnommé “Little Pigeon” (?) , Tomislav Goluban a amené la Croatie dans le monde du blues. Influencé par Sonny Terry, il a débuté comme harmoniciste et chanteur de blues en 1997 et il offre ici son douzième album, enregistré à Memphis, avec neuf compositions originales et une reprise ! Depuis 2019, il joue dans la cour des grands, son dixième album, « Chicago Rambler », a été enregistré à Chicago avec des musiciens locaux et a eu un retentissement tant à Chicago qu’en Europe, donnant lieu à de nombreuses tournées et le 11è album, Memphis Light (2020) a confirmé son statut de membre important de la communauté blues internationale. Il a d’autres compétences : dee-jay, organisateur de festivals et animateur d’un programme « Blues In The Schools » en Croatie. C’est Jeff Jensen qui tient la guitare ici avec Mark Johnson à la slide, entre autre dans un bien rythmé Shoestring Blues, une des meilleures faces, avec un pianiste inspiré (Rick Steff) et la chanteuse Kelly Zirbès que l’on retrouve encore en duo vocal avec Goluban dans un trépidant Seeds In The Bag, encore avec M. Johnson impérial à la slide et avec David Green, un excellent batteur qui rythme le tout de deux mains sûres. L’album démarre avec un instrumental étourdissant qui est le titre éponyme et augure bien de la suite avec une section de cuivres dans Used To Be Lonesome et No Future In Your Past et en particulier dans Beast Walk, un instrumental excellent et bien enlevé qui conclut l’album en beauté. – Robert Sacré


Bob Corritore & Friends

Spider In My Stew

SWMAF18 / Vizztone – www.bobcorritore.com

L’harmoniciste, chanteur, auteur-compositeur, patron de label et de club, homme de radio, l’attachant Bob Corritore, on le sait, a de multiples cordes à son arc. Sa discographie commence à être impressionnante, de par son talent propre et ses participations marquantes, mais aussi par l’intérêt qu’il porte aux autres. Si à titre personnel j’ai beaucoup d’affection pour l’individu, force est de constater qu’au plan professionnel peu de musiciens en activité ont autant donné la parole et aidé les autres. Il le fait depuis de nombreuses années soit en leur permettant de jouer et de s’exprimer dans son club, le Rhythm Room à Phoenix, Arizona, soit en les enregistrant et/ou les produisant, soit via les émissions de radio dont de nombreux disques ont émané. La présente compilation, sous-titrée « Blues Comix », met en avant des artistes et amis tels que Lurrie Bell, John Primer, Alabama Mike, Shy Perry, Willie Buck, Oscar Wilson, Johnny Rawls, pour ne citer qu’eux, dans 14 faces blues et soul toutes de niveaux musical et sonore exceptionnels. Un CD qu’on passe en boucle sur la platine en y découvrant à chaque fois quelque chose de nouveau. – Marcel Bénédit


Randy McAllister
& The Scrappiest Band In The Motherland

Paperbag Salvation

Reaction Records – www.randymcallistair.com

Né au Texas, McAllister vit maintenant dans le Sud Dakota. À la fois compositeur, chanteur, batteur et harmoniciste, il a un sérieux background. En 1997, il a signé avec J.S.P. Records (UK) et a enregistré trois albums pour ce label, puis il est passé chez Severn Records et maintenant il est chez Reaction Records. Il a composé les dix faces de l’album qui commence en beauté avec un intense You’re Like Mashed Potatoes qui le met en évidence au chant et harmonica, avec le remarquable guitariste Brandon Hudspeth, présent partout avec brio sauf dans No Conductor, une ballade en slow, avec Howard Mahan (gt) et où McAllister s’amuse à installer un contraste entre les paroles (pas de conducteur dans ce runaway train…) qui ne semblent pas coller avec la musique ! Humour et dérision sont les maître-mots des textes comme dans le bien scandé Most Irritating Person In The World (une charge contre les casse-pieds de toutes sortes, ceux qui posent des questions et le coupe dans ses réponses, ceux qui le serrent de trop près et lui postillonnent au visage…) ou Personal Pinata (l’amoureux transi qui n’arrive pas à ses fins doit persévérer jusqu’à un résultat concret comme si l’objet de son désir était une pinta (au Mexique, à Noël ou lors d’une fête, d’un anniversaire, un sac bien décoré – en papier mâché souvent – est suspendu à une branche ; il est rempli de friandises, de fruits et de cadeaux et des enfants aux yeux bandés, à tour de rôle, essayent de le déchirer à coups de bâton, jusqu’à ce que l’un d’entre eux y arrive et en récolte tout le contenu). – Robert Sacré


Joe Lewis Band

Up Next

Autoproduit

James Joseph Lewis est originaire de Picayune, une petite ville située à une heure de La Nouvelle-Orléans. Il a grandi au milieu des sons du blues et du gospel, a commencé à jouer de la guitare à l’âge de dix ans. Sa croyance en Dieu l’inspire souvent pour les textes de ses chansons. En 2009, il a sorti son premier disque avec son trio composé de Tom Cole à la basse et Derrick Enyard à la batterie. Après deux autres enregistrements en 2012 et 2015, il a participé en 2020 à l’International Blue Challenge de Memphis avec « Up Next » qui est donc son quatrième album. Il a toujours son même trio auquel il a ajouté pour deux titres “Biscuit Miller” à la basse. Les dix chansons originales sont toutes écrites par Lewis. L’enregistrement s’est fait aux États-Unis, mais l’album a été mixé par Kevin Shirley dans le célèbre studio The Cave à Sydney en Australie. Lewis chante les louanges de celui qu’il nomme Le Tout Puissant comme dans Do Your Work In Me et il montre sa vraie dévotion par la balade acoustique Jesus I Love The Way You Love. Des morceaux comme Up Next ou il évoque la vie, la foi et l’amour pour son épouse, ou Broken Angel Of The Delta sur la vie de sa défunte belle-sœur ajoutent au côté très intime de cet album. En conclusion, quelles que soient vos croyances, ce disque mérite d’être écouté et même apprécié car Lewis est un excellent guitariste, à l’aise dans les blues rapides ou les ballades et il a une remarquable voix de ténor. – Robert Moutet


Reverend Freakchild

Supramundane Blues

Treat and Released Records TNR-013

En sortant de l’université, Fordham Murdy mène à New York une vie de musicien sous la bannière « sex and drugs and rock & roll ». Il adopte le surnom de “Reverend Freakchild” à cause du Reverend Gary Davis qu’il admire. Mais, un jour, après quelque excès, il se retrouve dans l’unité psychiatrique du Cabrini Medical Center. Il en sort assagi, bien décidé à ne plus boire d’alcool ni  consommer de drogues. En 2012, il se convertit au bouddhisme. Il se considère comme un « Buddhist bluesman ». « Supramundane Blues » est le titre de ce double CD. Le premier présente treize chansons à thèmes religieux traitées dans divers styles : Delta blues (Preachin’ The Blues de Son House), country à la Bill Monroe (Cryin’ Holly), funk (le traditionnel Working On A Building), folk-rock type Jefferson Airplane (l’hymne traditionnel Good Shepherd). Keep On Praying fait penser à Lou Reed. La version de Personnal Jesus de Martin L. Gore (et Depeche Mode) n’arrive pas à la cheville de celle, inoubliable, de Johnny Cash. L’interprétation « americana » de See That My Grave Is Kept Clean de Blind Lemon Jefferson et It’s Gonna Be Alright du Reverend Gary Davis est agréable à écouter, sans plus. Mais quand arrive le treizième titre de ce disque, Seven Billion Light Years, c’est la catastrophe. Je mets au défi quiconque d’être capable d’écouter les seize minutes de mysticisme musical délirant du Reverend Freakchild. Le second CD, intitulé « Psychedelic Trip Hop Mass », est dans la droite ligne de cette chanson : inaudible mélange de commentaires se voulant poétiques par notre révérend devenu en toute modestie “Her Majesty Reverend Galaxy” sur un mixage de musiques très diverses allant de Stevie Wonder à la Marseillaise. Cette messe catholico-bouddhiste est particulièrement indigeste. N’est pas Saint Jean de la Croix qui veut ! Ce disque de sapience ne s’adresse qu’aux fans inconditionnels du Reverend Freakchild. – Gilbert Guyonnet


Steve Strongman

Tired Of Talkin’

Ontario Creates

Au chant, guitares acoustique et électrique, dobro et harmonica, Steve Strongman a composé onze des douze faces de cet album, dont neuf en collaboration avec le batteur/producteur Dave King. Ces faces proviennent de deux sessions ayant produit six morceaux chacune. La séance de Nashville avec Pat Sansone (claviers, piano, guitare acoustique), James Haggerty (bs) et Audley Freed (el-gt) a produit le titre éponyme (assez parlé, place aux actes !), un excellent blues en médium avec guitares et piano inspirés et aussi un bien cadencé Just Ain’t Right avec de beaux passages de clavers et de dobro, un haletant Livin’ The Dream au goût de revenez-y et des ballades bluesy ou soul comme la reprise Let’s Stay Together. La session d’Hamilton, Ontario est marquée du sceau du blues avec un Paid My Dues mené tambour battant avec harmonica bien en place, un Can’t Have It All en rock’n’ roll blues étourdissant avec de belles parties d’harmonica et guitares et aussi Tell Me Like It Is, un slow blues de bonne facture comme Highway Man, un blues intense et tourmenté, sans oublier une belle ballade bluesy, Still Crazy About You pour clôturer l’album. – Robert Sacré


The Hungry Williams

Brand New Thing

Rochelle Records RR1202

Superbe ! Voila un groupe inconnu au bataillon et qu’on est heureux de découvrir. Ils nous viennent de Milwaukee dans le Wisconsin et portent ce nom en hommage au grand batteur de La Nouvelle-Orléans Charles “Hungry” Williams, pilier de maintes séances dans ce bon vieux studio de Cossimo Mattassa. Le décor est jeté et la musique qui va avec a un fort accent néo-orléanais : reprises de titres de Smiley Lewis (Go On Fool, Hook Line and Sinker), de Paul Gayten (For You My Love), d’Eddie Bo (Where’s My Baby), plus quelques perles de Sugar boy Crawford, Jessie Hill et Tommy Ridgley complétées par des joyaux de Lowman Pauling, Ruth Brown, Don and Dewey, Wynona Carr et même une excellente version de Whole Lotta Shakin’ Goin’on complétement originale et qui ne doit rien au Killer. La chanteuse Kelli Gonzalez fait juste ce qu’il faut, sans agressivité mais avec talent, les musiciens ont une pèche d’enfer, prennent leur pied et savent transmettre leur plaisir de jouer pour un disque plaisant du début à la fin. Régénérant avec un son actuel : tous ces morceaux retrouvent une nouvelle jeunesse. Chapeau ! – Marin Poumérol


Johnny Mastro & Mama’s Boys

Elmore James For President

CSB Roxy Music Project CBHCD 2039 / Continental Records 

Ce groupe est basé à New Orleans et pratique un blues influencé par Chicago avec, par exemple, deux reprises : See You In The Evening (Taylor) et Baby Don’t You Worry (Sonny Boy Williamson). Influence aussi de New Orleans, ses symboles et personnalités (Rampart Street, Like Marie Laveau et Little Freddie Is King), du Swamp blues avec If You Think I’ve Lost You (J. West) et du Mississippi blues classique, hypnotique et répétitif à la R.L. Burnside comme One More Time et surtout le titre éponyme qui fait rêver : Elmore James comme Président ? Pourquoi pas, s’il ressuscitait. C’est une composition du chanteur/harmoniciste Johnny Mastrogiovanni (J. Mastro) comme neuf autres des treize morceaux de l’album. Parmi les Mama’s Boys, on notera les excellentes interventions du guitariste Smoke dans toutes les faces, un excellent soutien pour les parties d’harmonica et pour le chant de Johnny Mastro. – Robert Sacré


Various Artists

Blind Racoon Nola Blue Collection Volume III

Blue Heart Records HR009 Blind Raccoon – www.blindraccoon.com

Nous présentons régulièrement dans ABS Magazine des albums dont la promotion émane de Blind Raccoon, sous l’égide de la charmante Betsie Brown qui, depuis plus de 25 ans, assume avec force conviction son rôle de promoteur, relation media, communication et entertainment en matière de musiques afro-américaines. Après sept ans de collaboration avec Crows Feet Productions, Betsie démarra le projet Blind Raccon à Memphis en 2008 avec le succès qu’on connaît quant à la diffusion des musiques blues, roots, rock, R&B, soul, Americana et folk, s’intéressant et promouvant aussi bien des artistes indépendants que des musiciens officiant sous des labels connus. Blind Raccoon assure ainsi le support artistique et promotionnel de nombreux musiciens américains mais aussi de quelques européens. Voici le troisième volume de la série qui associe Blind Raccon à Nola Blue, le label de La Nouvelle-Orléans de Sallie Bengtson, pour mettre en lumière des artistes du monde entier. Le présent opus offre en 2 CD de très belles faces, dont certaines ont un caractère totalement inédit. Si l’on retrouve au gré des 32 titres des artistes comme John Németh, Dudley Taft, Jason Weinheimer, Benny Turner, Blind Lemon Pledge, Teresa James, The Reverend Shawn Amos, Frank Bey, Sammy Eubanks, Cash McCall, il est à noter qu’une bonne moitié des titres sont proposés en avant-première d’albums à venir comme ceux de Mark Cameron, Wily Bo Walker & Danny Flam, Kirsten Thien, Teresa James & The Rhythm Tramps ou Rob Stone et son Trio in Tokyo en compagnie d’Elena Kato et Hiroshi Eguchi. On trouve aussi dans cet opus des raretés, telle Hotlove – une version acoustique de de Malaya Blue –, des inédits de Clarence Spady, Matt Lomeo, Brigitte Purdy ou Sandy Haley, bref, bien plus qu’une simple compilation, une petite mine d’or en matière de blues, soul, rhythm’n’blues, jazz et rock’n’roll. À noter que les deux précédents volumes sont tout aussi intéressants. Le slogan de Blind Raccoon, « Promoting & Supporting Music Worldwide », n’a jamais été aussi vrai. – Marcel Bénédit


Patti Parks

Whole Nother World

VT-Booga003

L’album de la chanteuse Patti Parks est produit par Kenny Neal qui y apparait comme invité au chant, harmonica et guitare et a utilisé pour ce faire son propre studio à Bâton Rouge en Louisiane. Tout démarre en fanfare avec un I’m Trouble enlevé et comminatoire avec Frederick Neal aux claviers et Brandon Adams et Guy Nirelli à l’orgue. Plus loin, Patti Parks s’épanche dans une version très émotionnelle du It’s A Man’s Man’s World de James Brown avant d’enchanter l’auditeur avec Baby Bee, un slow blues composé par Bob Greenlee et par Kenny Neal, lequel est en duo vocal avec Ms Parks et aussi à l’harmonica. L’album réserve encore de bonnes surprises avec Stickin’ To My Guns, B. Adams est aux keyboards et il officie aussi dans l’entraînant I Can’t Think. L’album –un peu trop court avec ses 28 minutes et des poussières… –, se conclut avec une revendication de femmes qu’il faut, hélas, encore rappeler à pas mal de mecs, No Means No… Robert Sacré


Maria Muldaur
with Tuba Skinny

Let’s Get Happy Together

Stony Plain Records SPCD 1429 – www.stonyplainrecords.com

C’est dans l’univers du blues, du jazz et de la musique des jug bands des années 20 et 30 que Maria Muldaur a choisi de nous plonger. Douze faces constituent ce recueil qui a pour vertu de « nous rendre heureux ensemble », tout comme les musiciens le furent à l’évidence lors de l’enregistrement de ce disque. Juste avant la pandémie de Covid 19, Maria Muldaur demanda à Tuba Skinny de collaborer à un showcase lors de l’International Folk Alliance Conference à La Nouvelle-Orléans ; l’expérience fut tellement agréable et enrichissante musicalement qu’un album en découla. Avec juste ce qu’il faut de surrané, le chant de Maria Muldaur est idéal dans ces titres portés merveilleusement par Todd Burdick au tuba, Shaye Cohn au cornet, Barnabus Jones au trombone, Craig Flory à la clarinette, Jason Lawrence au banjo 6 cordes, Greg Sherman et Max Bien Kahn aux guitares, et Robin Ruppuzi au washboard. Un disque joyeux qui nous renvoit avec talent et malice au début du siècle passé. Un vrai bonheur. – Marcel Bénédit


Luca Giordano

Let’s Talk About It

Blue Crawfish BCRF25

Luca Giordano a un solide background. Depuis 1985, alors qu’il avait 25 ans, il a passé plus de temps à Chicago qu’en Italie et il a joué avec de artistes comme Sharon Lewis, James Wheeler, J.W. Williams et beaucoup d’autres. Il a fait partie du groupe du regretté Eric ‘Guitar’ Davis et joué au Chicago Blues Festival de 2011. De retour en Europe, il a été choisi par de nombreux groupes en tournée comme ceux de Sugaray Rayford, John Primer, Nora Jean Bruso, Jimmy Burns, Tony Lynn Washington, Billy Branch et, tout récemment, Chris Cain. Avec eux, il a joué dans quasiment tous les pays européens, en Russie mais aussi en Amérique du Sud, Brésil, Chili, Argentine, etc. Il est l’un des piliers du groupe Blues Prophet de Mighty Mo Rodgers (en invité ici) et il a participé au projet « Griot Blues » de Rogers avec Baba Sissoko ! Il signe ici son troisième album avec huit compositions originales et trois reprises et tout du long, il y décline ses talents de guitariste avec des lignes sensuelles et suggestives par ci, affirmées et tranchantes par-là, bien soutenu par une section de cuivres conduite par Sax Gordon Beadle (l’instrumental Let’s Talk about It mais aussi Next Time, Flat 91 et Days Of My Life) et par l’ excellent Abramo Riti au piano (Buzios Blues, Teasin’ Me) et claviers dans Heartquake Blues ou dans Cold Winter, à mon goût la meilleure face de l’album (avec aussi Francesco Cerasoli, guitare). C’est Mighty Mo Rogers qui est au chant dans Movin’ Day, une ballade mélancolique et triste. – Robert Sacré


Awek

Awek

Mojo Diffusion / Awek – www.awekblues.com

La parution d’un nouveau disque d’Awek a, chaque fois, la force d’une sorte de manifeste. Et ce n’est pas pour rien qu’ils ont fidélisé un auditoire d’amoureux véritables d’une musique qui donne beaucoup à celui qui l’accueille… Je me souviens de l’intérêt manifesté par Vasti Jackson lors d’un concert où ils assuraient la première partie. Vasti, un sacré guitariste, avait été impressionné par le groupe, un blues band véritable, solidement ancré dans la tradition mais visiblement animé d’une passion musicale partagée. Une passion que les longues années passées dans des festivals certes, mais aussi, au fil d’une multitude de gigs au fin fond de nos belles provinces, ont fortifiées au lieu de l’affaiblir. Ils n’ont pas pour projet de surfer sur les modes ni de se métamorphoser en ingénieurs électroniciens pour dompter un bon m2 de stomp boxes. Ils sont là pour jouer. Jouer avec toujours plus de flamme. Jouer avec la force apaisée de ceux qui ont trouvé leur voie. Pour cette fois, Awek n’a pas fait voile vers la Californie et a voulu nous offrir le meilleur du made in France. Ils se sont adjoint deux complices. Dès le premier morceau, on se sent à l’aise. On ferme les yeux et on se laisse transporter dans le temps et l’espace. On se retrouve accoudé, dans un club, dans un bar, à un comptoir un peu branlant, interminable, véritable piste d’envol pour les verres de bière ou de bourbon. Il y a foule. Et la musique est là, ciment véritable qui fait d’une audience hétéroclite un corps rassemblé et irrésistible. Vous avez sans doute compris que j’aimais beaucoup ce groupe que j’ai invité dans ma cambrousse à plusieurs reprises et qui a comblé tous mes potes ravis d’échapper à ce blues esbrouffard qui bombe les torses, obstrue les oreilles et semble toujours en quête d’une hypothétique victoire sur un public soigneusement laminé, et, hélàs, qui fait florès aujourd’hui. Bien évidemment tous les morceaux ne sont pas du même niveau et c’est bien normal. Mais quand c’est réussi, c’est réussi. Et c’est souvent le cas avec des musiciens aussi solides que nos quatre baroudeurs du blues. Quelques coups de cœur – non limitatifs – qui me viennent à l’esprit au gré des écoutes… Awek n’est pas rivé au seul blues de Chicago ou d’autres écoles. Le groupe peut aussi parcourir d’autres chemins. Tenez, par exemple, Beer O’ Clock, il y a là du Charlie Christian ou du Tiny Grimes. Bien soutenue par la rythmique, épaulée par l’harmo de Stéphane, la guitare de Bernard Sellam virevolte et déboule avec la virtuosité d’une boule de flipper. J’ai bien aimé la batterie d’Olivier dans The Healer. Là encore, c’est l’élasticité qui prime et qui appelle au mouvement, à la danse et entraîne les pachydermes les plus rétifs. Le bassiste dans un vrai groupe de blues a un rôle irremplaçable mais ingrat, car plus il rassemble le groupe au gré du tempo idéal, plus il s’immerge dans le collectif. On n’a nul besoin de Pastorius ou autres Stanley Clarke. Joël convient parfaitement. Et que dire de Stéphane ? Déployant tour à tour la densité efficace d’une section de saxos, le chant expressif et torturé digne des grands vocalistes, sans oublier une fraîcheur demeurée intacte au-delà d’une longue pratique, il est l’un des meilleurs. Le groupe ne refuse pas les reprises et, en général, il s’y retrouve très à son aise, s’appropriant des compos variées ; Black Nights, belle réussite de Charles Brown, en est un bel exemple. N’est-ce pas l’esprit du Blues, feu sacré qui a nourri et soutenu leur longue carrière ? Je pense que pour apprécier le blues il faut essayer de la replacer dans son contexte. C’est un art populaire faussement simple, un langage qui a ses secrets et qui exprimait le destin d’une minorité confrontée à un vécu exécrable. Une population meurtrie, en quête de jours meilleurs et qui s’est libérée de son blues qui lui rappelait trop les jours difficiles. Qui a abandonné sa peau, sa dépouille hivernale, dans l’espérance du printemps. Il n’est pas suffisant d’être musicien accompli, voire virtuose, pour échapper à la froide copie conforme. Il faut absorber un feeling qui est, au départ, lointain, parfois étranger. Cette grâce n’est pas offerte à tous. Pour moi, en tout cas, Awek la possède. Hâtez vous de la partager. Un CD à consommer sans précaution ni modération. – André Fanelli


Guilty Delight

Lose Control

www.guiltydelight.fr

Ce jeune groupe originaire d’Arras n’a que deux ans d’existence et sort déjà un premier album, élégant, dans un registre blues/soul/funk porté par la chanteuse Orel et le guitariste Rémi Voisin, co-auteurs des dix titres originaux chantés en anglais. À leurs côtés, le batteur Angel Legagneur, le bassiste Christophe Delille, Flo Vincenot ou Mehddy Ziouche aux claviers, Omar Rafa saxophone ; enfin, l’harmoniciste Chris Deremaux et la choriste Cécile Cuvelier. La voix très soulful d’Orel donne le change aux parties de guitare west coast sur Lose Control, où à l’harmonica, très présent dans Nobody, Next Door et Pocket. Une partie de saxophone traverse le mordant Coward dans une tonalité qui rappelle Marvin Gaye. Like The Rhythm est un reggae. Who I Am, une conclusion plus intimiste. Le swinguant Very, Very Special véhicule un parfum sixties et Like The Rhythm joue sur le mode reggae. Une bonne découverte. – Dominique Lagarde


Lenny Lafargue

Unplugged Secret

Bontempsrouler/Inouïe Distribution

Pour son neuvième disque, Lenny Lafargue nous propose – avec sa Gibson – un album acoustique dans une ambiance country blues sudiste. En fonction des morceaux, il est accompagné par Philippe Eliez ou Pascal Charbonnier qui se succèdent à la batterie, de Greg Ricoy à la basse ou à la contrebasse et Laurence Plavata à l’accordéon. Sur les dix morceaux de l’enregistrement, sept sont de la plume de Lenny, chantés en français ou en anglais. Il évoque dans ses textes les femmes et l’amour, leur beauté mais aussi les douloureuses ruptures. Il a une pensée pour les migrants du Sud et leur dur voyage des champs de coton vers Chicago. Il évoque aussi ce que beaucoup d’entre nous ont un jour ressenti, l’ennui d’un dimanche avec comme seul avenir le retour au travail le lundi… Pour les reprises, on retrouve Mopper’s Blues de Big Bill Broonzy, Early This Morning d’Arthur Blind Blake et Cadyman du Reverend Garry Davis. De l’enregistrement, on retiendra la clarté des notes de la guitare acoustique et la douceur de la voix de Lenny. Ce disque est à mon goût le meilleur de sa (déjà) longue carrière et il se termine par Streets Of Dublin, un très agréable instrumental. – Robert Moutet


Delgres

4 AM

Lanmela/PIAS- no number

Le trio Delgres revient trois ans après l’intéressant « Mo Jodi ». Pascal Danaë, le leader, chanteur et guitariste d’origine guadeloupéenne, a grandi en France métropolitaine où il a forgé sa personnalité musicale en écoutant du blues, des musiques africaine, cubaine, haïtienne, néo-orléanaise, du rock, de la pop et de la variété française. Il s’est associé à un batteur, Baptiste Brondy, et à un joueur de soubassophone, Rafgee, pour assurer les chaudes lignes de basse ; ce dernier joue aussi de la trompette. Danaë écrit en créole ses textes au contenu social et personnel important (ouvriers, migrants, famille, identité). Sa musique mêle habilement les mélodies et rythmes chaloupés caribéens aux rock, en passant par le blues du Delta, grâce au jeu de guitare slide, et l’électro. Peut-être pourrait-on parler de « tropicana » pour un tel cocktail aussi épicé ? Ou mieux « Ile Country Rock » ? Le trio exploite très bien le studio d’enregistrement, avec un travail abouti au service de chansons brèves interprétées avec simplicité, naturel et aisance. Celles et ceux qui aiment la musique pour danser, protester, pleurer ou se réjouir, se régaleront de l’énergie et du groove distillés par cet orchestre. Mais que nos lecteurs soient prévenus, ce disque sonne souvent trop rock pour mes vieilles oreilles. Je vous suggère donc, humblement, de peut-être écouter avant d’acheter. – Gilbert Guyonnet


Julien Brunetaud Trio

Feels Like Home

Label Fresh Sound Records

Originaire d’Agen, le pianiste, compositeur et chanteur de blues Julien Brunetaud s’installe à Marseille en 2018. Rapidement, il fait connaissance de deux musiciens de la scène jazz de la cité phocéenne, le batteur Cédrick Bec et le contrebassiste Sam Favreau. Avec eux, il forme le trio JB3. Alors qu’il a déjà produit quatre autres disques, voici avec ses deux compères son 5ème enregistrement, dans lequel – pour la première fois – il ne chante pas. Il a composé tous les morceaux excepté Let It Be de Paul McCartney. Alors qu’il était classé dans le registre « pianiste de blues et de bogie », il semble s’être tourné maintenant vers un jazz inspiré de Thelonious Monk. Mais ce nouveau virage dans sa carrière laisse bien apparaître les premières influences de ses prestations avec Otis Spann, Pinetop Perkins et même B.B. King. En résumé, ce disque ne déroutera pas les amateurs de blues, mais il plaira surtout aux amateurs de piano jazz. – Robert Moutet


Hip Lankchan

Original West Side
 Chicago Blues Guitar

JSP Records JSP2504 (2 CD) – www.jsprecords.com

Tombé comme tant d’autres musiciens de la Windy City dans les oubliettes du blues, John Stedman et Twist Turner ont décidé à juste titre d’exhumer toute une série d’enregistrements de Hip Lankchan en publiant un double compact qui lui rend enfin justice. Le label JSP éditait en 1980 onze titres sur l’album intitulé « Original Westside Chicago Blues Guitar » (JSP 1010), cette nouvelle publication remet aujourd’hui à nouveau sous les projecteurs les premières compositions du guitariste, à l’image de Steal My Heart Away et Millionaires Blues enregistrées en 1963, qui restèrent en l’état de bande démo et non publiés à l’époque. Ensuite, suivent les excellents Millionaires Blues et On My Way parus sur le label Lola’s en 1966, puis les deux puissantes compositions Somebody’s Fishin’ In My Pond et Pork Chop sur Sanns Records parues trois années plus tard. Le 5 avril 1976, le batteur Twist Turner le fait entrer en studio aux côtés du guitariste Dave Clark et du regretté bassiste Prez Kenneth pour enregistrer sept compositions. Un 45 tours sur le label Blues King (BK 01) fut publié en 1977 avec le superbe Confusion Blues et Millionaires Blues, puis suivent My Whole Life Baby et Nightlife édités par Teardrop Records en 1981 sur le label du bassiste Frank Bandy qui publia en simultané le LP intitulé « Change My Blues ». Pour conclure le premier CD, nous avons droit aux deux instrumentaux sur lesquels Hip est aux côtés de Jimmy Dawkins, West Side Part 1 et 2, qui furent édités en leur temps par Carlis-Hutchins Productions en 1982 sous le nom de West Side Oasis Band (single et LP étaient dans une simple pochette sur lesquelles figuraient les noms des participant comme Eddy Burks, Joe Barr, Barkin’ Bill, ou encore Lil’ Bobby Reynolds). Et enfin, totalement inédit et toujours produit en 1988 par Twist Turner qui résidait alors en Californie, deux petits bijoux intitulés Goin’ Away Blues et Saddle My Poney. La seconde galette nous fait découvrir un enregistrement maison effectué entre les années 1974 et 1984 sur lequel Hip est à la guitare acoustique sur huit morceaux aux côtés de Rich Yescalis à l’harmonica ainsi que Twist toujours derrière ses fûts. Il faut rajouter également quatre très bons morceaux, Somebody Loan Me A Dime, Take Me Back Baby, Wee Wee Baby et Whole Lot Of Lovin’ enregistrés en 1977 dans le club de Dusty Brown, sur lesquels nous retrouvons Prez Kenneth mais aussi Sunnyland Slim ! Enfin, pour conclure cette fastueuse réédition, le compilateur a choisi les quatre enregistrements de l’harmoniciste Dusty Brown sur lesquels Hip est mis à contribution, qui furent mis en boîte en 1959 pour le compte du label Bandera et réédités en 2001 par Ace Records (« Bandera Blues And Gospel From The Bandera, Laredo And Jerico Road Labels » – CDCHD 808). Hip Lankchan nous a quittés malheureusement le 13 février 1989, il avait 53 ans. Deux ans auparavant, il signait son formidable et ultime album « Airbusters » chez Black Magic Records, puis édité par Evidence aux USA quatre ans plus tard. Après le CD de Fenton Robinson, la compagnie de John Stedman nous propose à nouveau une excellente réalisation gorgée de raretés qui fera assurément le bonheur de tous les amateurs de Chicago blues. Indispensable. 

- Jean-Luc Vabres


Smokey Hogg

The Texas Blues of Smokey Hogg

Ace Records CDCHD 1588 – www.acerecords.co.uk

Quand on apprécie le vin dans ce qu’il a de meilleur, on ne peut pourtant se confiner aux grandes appellations, aux crus légendaires. Il faut savoir découvrir des produits ne méritant pas la notoriété des chaix de prestige mais qui sont porteurs d’une sorte de vérité basique et d’un pouvoir de séduction qui, s’il vous conquiert, vous rendra riche d’un partage inépuisable. Le blues abonde en « petits maîtres » véritables magiciens qui, une fois que vous vous serez abandonné à leur apparente simplicité, aboliront le temps et vous ouvriront le secret d’une culture qui a joué un rôle essentiel dans l’art musical de notre temps et qui s’en est allée, discrètement, mourir loin des éclats de la « modernité »… Smokey Hogg fait partie de cette génération, issue en droite ligne de la tradition, qui a su en conserver l’essence et, en même temps, participer à la grande mutation qui aboutira aux musiques d’aujourd’hui. Des musiques multiples qui presque toutes doivent beaucoup à l’expression noire originelle. Seul ou avec son comparse Black Ace, il a connu à ses débuts l’errance au fil des campements de bûcherons ou dans les camps forestiers de production de térébenthine. Il a joué dans les rues des quartiers noirs, il a même travaillé dans les champs de coton. Son look, à l’époque, ne devait pas être celui qu’il connaîtra plus tard comme en témoignent ses photos où il affiche une certaine élégance. Au fond, cette évolution vestimentaire traduit bien son évolution personnelle et musicale. Ni grand « guitariste », sans phrasé complexe, sans vélocité ou sans créativité harmonique ; sans talent vocal hors du commun, il nous happe et nous entraîne à sa suite tel le joueur de flûte de la légende. Au rythme hypnotique de sa musique, tempo cardiaque auquel nous nous « ajustons » sans nous en rendre compte, il nous fait parcourir les douleurs et les joies d’un peuple réprouvé sans cesse écartelé entre oppression et espérance, entre exultation et désespérance. Si vous avez la chance de ne pas encore connaître Smokey Hogg, c’est le moment de vous écarter de l’agitation, de mettre votre casque et de laisser sa musique vous envahir. Succombez à cette apparente uniformité qui ne peut révéler sa magie aux oreilles blasées ou aux âmes asséchées. Smokey Hogg ne dissimule pas ses sources et il a partagé la manière de quelques artistes de haut niveau comme Lightning Hopkins par exemple. Les amateurs de discographies seront à la fête car Smokey a enregistré pour de nombreux labels. Bonne chasse aux étiquettes de 45 tours ! Avant de vous libérer et de vous laisser bondir vers votre ordi ou votre tablette, je ne résiste pas à vous dire quelques mots sur des morceaux que j’affectionne particulièrement. Mais bien d’autres faces méritent votre attention. Good Mornin’ Little School Girl par exemple, qui bénéficie d’une rythmique souple et légèrement balancée, et où chacun joue pleinement son rôle. La charmante Hadda Brooks réussit à accorder présence et discrétion. Cette reprise fut l’un des plus grands succès de Smokey Hogg et figura en bonne place dans les charts. When the Sun Goes Down, fort proche du classique In The Evenin, est une démonstration de blues et peut concurrencer Big Bill. Everybody Gotta Racket, avec son tempo décontracté et sa partie de piano bluesy à souhait. Kind Hearted Woman, autre classique, attachant dans son dépouillement et, là encore, avec un piano particulièrement efficace. Un bon point pour les notes de Guido Van Van Rijn qui a veillé à ne pas « doublonner » les CD déjà disponibles. Excellente idée qui allège nos étagères… J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, de chroniquer un CD de Smokey Hogg. J’avais sans doute été trop sévère sur cette production car elle s’inscrivait, pour moi, dans le désir d’exhaustivité de certains labels. L’accumulation de morceaux proches les uns des autres engendrait un risque de monotonie… Les disques originaux n’étaient pas destinés à un public de musicologues avides de compléter leur discothèque, mais au grand public qui achetaient les 78 et 45 tours au fil des parutions étalées dans le temps. Donc sans risque de monotonie… Les similitudes dans cette production n’irritaient pas les clients qui, au fil des sorties, voyaient leur plaisir se renouveler, comme avec un vieil ami avec lequel on reprend une conversation interrompue mais demeurée vivante comme le feu sous les cendres. Bonne écoute ! – André Fanelli


Larry Williams

Rock, Soul and Roll
Greatest Hits and More, 1957-1961

Jasmine Records JASMCD 1091 – www.jasmine-records.co.uk

Prenez les Beatles, remontez de quelques années l’épopée du rock, et vous tombez immanquablement sur Larry Williams. Il aurait presque sa place dans les manuels d’Histoire du XXè siècle. Les quatre de Liverpool ont repris trois des succès de ce chanteur natif de la Nouvelle Orleans mais installé en Californie : Slow Down, Dizzy Miss Lizzy, Bad Boy, passés ainsi de modestes succès au rang de classiques du rock. L’orchestre y fait beaucoup de bruit, c’est ça qui est bien. De quoi vous remettre en selle un chanteur plus ou moins tombé dans l’oubli. Depuis lors, ses disques ont été régulièrement réédités agrémentés d’inédits. Jasmine prend ici le parti de ressortir la quasi totalité de ses singles Specialty de 1957 à 1959. Plus ses dix titres enregistrés pour Chess en 1960, dont la redécouverte est plus récente. Un 33 tours avec une référence déjà attribuée ne sortit jamais mais cinq 45 tours virent le jour, sans se hissser à la hauteur des classiques précédents, dans une veine encore rock/r’n’b’ (Oh Baby, Lawdy Mama), gospel (Get Ready, I Wanna Know) mais généralement plus pop, augmentée de chœurs féminins. Attention, cette réédition, compilée, annotée et produite par Bob Fisher, avec reproduction d’affiches et de disques d’époque, est très proche dans son contenu d’une autre publiée par Acrobat en 2017 avec deux titres supplémentaires. – Dominique Lagarde


Nappy Brown

Just For Me
The Classic 1988 Studio Album

JSP Records JSP 3020 – www.jsprecords.com

Le retour sur scène du grand blues shouter Napoleon Brown dans les années 70 et 80 fut un événement remarquable. Après une carrière à succès dans les années 50 et au début des sixties sur le label Savoy (disques indispensables à tout amateur de solide R’n’B ) ce bon vieux Nappy disparut quelque peu de la circulation. Retour sur le devant de la scène avec une série d’excellents albums chez Ichiban, Nightflite, Stockholm Records, Meltone, Wild Dog où l’on pouvait constater que le bonhomme n’avait rien perdu de sa voix magnifique ni de sa superbe. En 1988, il passait par Londres et gravait pour JSP un album ici réédité, accompagné par une superbe formation anglaise dans laquelle brille le guitariste Richard Studholme et le légendaire saxophoniste Big Jay McNeely toujours aussi dynamique. Pour compléter la durée du CD, JSP a eu l’excellente idée de rajouter quatre titres tirés d’un concert du même Big Jay enregistrés durant le festival blues d’Ecaussinne en Belgique en 1997. Là aussi, McNeely « pète le feu » et c’est du grand R’n’B. Le tout donne une belle tranche saignante de cette musique indémodable. À cette époque, j’avais pu voir et entendre Nappy en concert au Meridien et cela reste un grand souvenir ! – Marin Poumérol


Eddie ‘Guitar’ Burns

I Love To Jump The Boogie

Jasmine Records JASMCD 3186 – www.jasmine-records.co.uk

Les anciens, comme votre serviteur, se souviennent d’Eddie Burns qui foula quelques fois le sol européen dans les années 1970s et 1980s. Il y enregistra même deux albums pour Action et Big Bear en 1972. Il était à l’affiche de la tournée européenne 1986 du Chicago Blues Festival. Eddie Burns est originaire de Belzoni, Mississippi. Il y naît le 8 février 1928 dans une famille de métayers. Il apprend à jouer de la guitare et de l’harmonica en autodidacte. Ses principales influences sont Big Bill Broonzy et John Lee Sonny Boy Williamson. Dans les années 1940s, il joue dans les rues des bourgades du Mississippi. En 1948, il s’installe définitivement à Detroit, avec l’espoir de jours meilleurs. L’industrie automobile lui offre du travail. Mais, fort de son expérience, Eddie Burns s’impose très vite dans le milieu musical de Moto City. Animation de « house parties » et jam sessions le mettent en contact avec Bobo Jenkins, Eddie Kirkland et surtout John Lee Hooker. Celui-ci apprécie le jeu d’harmonica d’Eddie Burns. Quand il a besoin d’un souffleur pour sa prochaine séance d’enregistrement, il invite Burns. Nous sommes en 1949. Les deux hommes sympathisent. Cette année-là, avec son complice de l’époque, le guitariste John T. Smith, Eddie Burns et son harmonica gravent un premier disque dont il existe deux éditions : sous le nom des Swing Brothers (Palda 2004) et Slim Pickens (Holiday 202) ; les excellents Notoriety Woman et Papa’s Boogie ouvrent logiquement ce CD qui déroule l’intégrale chronologique de Burns jusqu’en 1961. Les possibilités d’enregistrement sont rares. En 1951, dans l’arrière-boutique de Joe Von Battle, Eddie Burns – toujours harmoniciste – enregistre trois chansons accompagné par John Lee Hooker, puis, quelques semaines plus tard, trois autres avec John T. Smith. Ces six faces furent vendues au label de Philadelphie, Gotham, qui ne les publia pas. Elles restèrent inédites jusqu’en 1987, quand elles apparurent grâce aux anglais de Krazy Kat (LP KK 816). Elles sont regroupées ici. Les quatre titres suivants enregistrés par Joe Von Battle en 1953 avec une formation plus étoffée (piano et batterie) et cédés aux frères Bihari, connurent le même sort : ils apparurent sur une compilation Kent des années 1970 (Kent KST 9006). C’est pendant cette séance qu’Eddie Burns joua pour la première fois de la guitare pour un disque (Tavern Lounge Boogie). Toujours sous la houlette de l’incontournable Joe Von Battle, les enregistrements suivants eurent plus de chance. Deluxe, filiale de King Records, accepta deux chansons en 1953 : Dealing With The Devil et une version à peine déguisée de Good Morning Little School Girl intitulée Hello Miss Jessie Lee. Checker en fit de même, en 1954, avec un disque (Checker 790) sous le nom de Big Ed & His Combo avec Biscuit Baking Mama, plagiat de Biscuit Baking Woman de Yank Rachell. Burns est enfin guitariste quand il grave, en 1953, son titre le plus célèbre, Treat Me Like I Treat You (JVB82/ Chess 1672). Mais il végète et ne voit rien venir. Il reprend espoir quand Harvey Fuqua et des musiciens proches de Berry Gordy et la naissante firme de disques Motown l’approchent en 1961. La musique produite sur les trois 45 tours Harvey est plus sophistiquée que celle des années 1950 avec la présence de cuivres. Sur le Harvey 111, c’est la future star Marvin Gaye qui joue de la batterie. Orange Driver (Harvey 111 et Harvey 118) rapportera, au début des années 1970s, de substantiels droits d’auteur à Eddie Burns grâce au succès de la reprise de cette chanson par le groupe rock J. Geils Band. Ces 23 morceaux ne remplissaient pas un CD. Aussi la firme Jasmine complète-t-elle avec deux superbes disques de l’harmoniciste Little Sonny (Aaron Willis), autre musicien de la scène de Detroit. La justification de leur présence : Eddie Burns joue la partie de guitare des 45 tours Duke 186 et Excello 2209, avec, sur ce dernier, le maintenant classique Love Shock. Réunir pour la première fois en compact-disque l’œuvre complète d’Eddie Burns jusqu’en 1961, avec en bonus Little Willis, est une riche idée. – Gilbert Guyonnet


Mahalia Jackson

Complete Mahalia Jackson
Intégrale vol.19, 1962

Frémeaux & Associés FA1329 – www.fremeaux.com

Un loi européenne sur l’exploitation du domaine public interdit la publication des enregistrements post-1962 de Mahalia Jackson sans payer les ayant-droits. Ce volume 19 conclut donc cette intégrale jusqu’à nouvel ordre, sauf découverte éventuelle de documents inédits antérieurs à 1962 débouchant sur un volume 20… Qui vivra verra. Les 6 premières faces (sur 16) ont été enregistrées par Mahalia à Hollywood, CA, le 22 mars 1962 avec un orchestre conduit par le pianiste Edward C. Robinson et une chorale dirigée par Thurston Frazier sur 4 faces. La première partie de cette séance se trouve sur le volume 18. Comme d’habitude, Jackson s’y révèle grandiose avec une voix ample et conquérante, une décontraction totale et un talent sans affectation. Grâce à Robinson et Frazier, cela swingue à tout va, cela commence en fanfare avec un Lord Don’t Let Me Fail une valse gospel où une Mahalia en verve est boostée par le piano de Robinson. Cela continue de la même manière dans l’excellent I Couldn’t Keep It To Myself et puis il y a les splendides valses gospel à trois temps comme It’s In My Heat, No Other Help I Know et Without God I Could Do Nothing (avec de belles parties de piano de Robinson et d’orgue dues à Albert A. Goodson). Quant à It Took A Miracle, c’est une ode à l’Amérique, bourrée d’émotion contenue, avec une certaine solennité et de l’ampleur. Les faces 7 à 13 datent de juillet 1962 avec orchestre et chœurs, sous la direction de Johnny Williams, à Hollywood toujours. Ce sont des chants de Noël qu’elle avait, pour la plupart, déjà enregistrés auparavant, mais c’était une commande et Mahalia a fait le job, de bonne grâce, avec sérieux, foi et conviction, comme toujours ; l’accent est mis sur la solennité voire la grandiloquence, c’est lisse et pauvre en syncopes mais c’est beau, la chorale prend le dessus sur l’orchestre et manque de punch, mais l’album était destiné au grand public, blanc en particulier, ceci explique cela. Tous les classiques sont là, de Go Tell It On The Mountain à Silent Night, Holy Night en passant par Sweet Little Jesus Boy, Joy To The World, O Little Town Of Bethlehem… Seuls trois de ces chants sortent de l’ordinaire, deux sont nouveaux dans le répertoire de la diva, What Can I Give et Christmas Comes To Us All Once A Year et elle n’a gravé le troisième, A Star Stood Still, qu’une seule fois, en 1956, mais tous les trois sont aussi solennels que les autres de cette séance. – Robert Sacré


Mahalia Jackson

He’s Got The Whole World In His Hands

Jasmine Records JASMCD 864 (2 CD) www.jasmine-records.co.uk

Sans aucun doute, Mahalia Jackson est et reste la plus grande chanteuse de gospel de toute l’histoire de la musique afro américaine, mais on peut avoir des avis partagés sur la qualité de son répertoire. Sur ce double CD, il y a 55 titres gravés entre 1955 et 1962 dont beaucoup de classiques des musiques religieuses grand public. Lorsque Mahalia est soutenue par The Falls-Jones Ensemble ou un simple pianiste, tout va bien : la voix majestueuse de la diva sauve la situation, mais lorsqu’il s’agit de l’orchestre de Percy Faith ou de Marty Paich, on tombe dans de la variété bien éloignée de la ferveur du vrai Gospel, bien que sur le plan technique ce soit parfait mais inécoutable pour de vrais amateurs. Je ne peux m’empêcher de comparer cela aux enregistrements réalisés par Sam Cooke – autre grande voix de la même musique –, mais qui grava des albums entiers de variétés insignifiantes et ennuyeuses : il faut bien vivre et plaire à un large public, mais c’est dur à avaler ! Mais ne tombons pas dans les excès. Sur ces 55 titres, il y a de quoi se régaler et sur les lecteurs de CD il y a un bouton qui permet de zapper les faces les plus pénibles. Sans doute faut-il réécouter ses faces antérieures de 1946 à 1951 chez Apollo pour trouver un équilibre plus équitable, mais Mahalia reste un monument de la musique afro-américaine. – Marin Poumérol


Various Artists

Birth of Soul
Los Angeles Special

Kent SoulL CDKEND 496 – www.acerecords.co.uk

Quelques interprètes célèbres, Ike et Tina Turner, Richard Berry et Sylvester Stewart (futur Sly !), Darlene Love et beaucoup d’obscurs, la recette a fait son chemin chez Ace/Kent. Ces vingt-quatre enregistrements proviennent de 45 tours et d’archives inédites (cinq au total) gravés de 1960 à 1964 pour des labels indépendants. Entre le déclin du rock’n’roll et l’arrivée de la British Invasion, une période longtemps jugée négligeable par les historiens du rock. Derrière plusieurs de ces chansons, des producteurs reconnus : Gary S. Paxton, Marty Cooper, George Motola, Phil Spector, dont le travail a largement dépassé le cadre du rhythm’n’blues, ce qui explique peut-être leur versant plutôt plus pop et sans doute moins profond. Nous sommes, il est vrai, à Los Angeles et non dans le Deep South, à Muscle Shoals ou à Memphis et l’approche n’est pas la même. Au casting, il y a de superbes voix chez les Vows et les Classicals. Le duo Dorothy Berry et Jimmy Norman est bien pêchu, et le baryton de Don Wyatt s’illustrera en 1973 au sein du groupe soul Creative Source. Ray Appleberry, moitié du duo Ray & Bob composera une décennie plus tard la chanson Johnny Porter, adaptée au milieu des années 70 par les Temptations, Garnet Mimms et le groupe Southside Movement. Des titres pas assez accrocheurs ? Trop proches de succès du moment ? Pour une fois, je termine l’écoute de ce genre de compilation sans avoir vraiment envie d’y revenir. Consolation, l’intérêt documentaire du livret d’Ady Croasdell demeure riche et intact. – Dominique Lagarde


Sunnyland Slim

The Chicago Blues Of Sunnyland Slim
Rockin’, Rollin’, Tumblin’ & Slippin’, 1948-1954

Jasmine Records JACMCD 3188 www.jasmine-records.co.uk

C’est à un panorama approfondi, très représentatif des enregistrements d’Albert Laundrew a.k.a. Sunnyland Slim (piano, chant) réalisés à Chicago entre 1948 et 1954 que nous convie le label Jasmine. On part des deux faces Opera/Chance de 1948 avec Leroy Foster (gt) parues sous le pseudo de Delta Joe jusqu’à quatre faces inédites de 1954 avec Snooky Pryor (hca), Floyd Jones et Eddie Taylor (guitares) et Alfred Wallace (dms) dont la qualité est telle qu’on se demande vraiment pourquoi elles n’ont pas été éditées à l’époque ! Dans l’intervalle, on a l’occasion d’apprécier six faces Mercury, deux d’avril 1949 avec Oliver Alcorn (ts), Sam Casimir (g) et Big Crawford (bs) dans la toute première version du fameux Everytime I Get To Drinkin’ et quatre autres du 9 décembre 1951 avec Robert Lockwood Jr (g), Moody Jones (b) et Alfred Wallace (dms) dont Hit The Road Again qui narre les périples du pianiste de New Orleans à Chicago et ailleurs. Il y a aussi deux faces Apollo d’août 1949 en trio avec Sam Casimir(g) et Andrew Harris (b), deux faces Sunny d’octobre 1950 avec Snooky Pryor (hca) et Leroy Foster (g), six faces J.O.B., deux de février 1951 avec Robert Lockwood Jr (g) et Moody Jones (b), deux de mars 1951 avec Billy Howell (tp) et Alfred Wallace et deux de 1952 dont un inédit, City Of New Orleans. En clôture de ce panorama, on a encore trois faces Regal d’avril 1951 dont une inédite, Low Down Sunnyland Train, et une face Constellation de janvier 1953 avec J.T. Brown (ts), J.B. Lenoir (g), Moody Jones (b) et Alfred Wallace (dms). Il va sans dire que ce sont des classiques du Chicago blues de ces années-là et que chacun des 26 morceaux mériterait d’être cité, mais qu’importe, la seule question qui se pose est : avez-vous déjà tout cela ? Sinon ne ratez pas cet album, même avec quelques duplications. – Robert Sacré


Barbara George

I Know
The AFO and Sue Years

Jasmine Records JASMCD 3180 www.jasmine-records.co.uk

Barbara George, née en 1942 à New Orleans, mariée à 16 ans et chantant dans les bars, fut remarquée par le chanteur Jessie Hill qui la présenta à Harold Battiste qui recrutait des artistes pour fonder un label indépendant A.F.O (All For One) : un pour tous ou tous pour un… pour échapper à la main-mise des autres labels. Coup de chance, son premier titre en 1961 devint assez rapidement un grand succès : I Know, avec Melvin Lastie au cornet, Nat Perillat au sax, Roy Montrell à la guitare et Harold Battiste au piano. D’autres faces suivirent, puis un album. Barbara n’est certes pas une grande chanteuse, mais ces 18 faces très New Orleans sont très agréables à écouter et c’est une découverte à ne pas négliger avec d’excellents musiciens du cru. Barbara se tourna ensuite vers l’Église où elle chanta jusqu’à sa disparition, en août 2006. – Marin Poumérol


Various Artists

Juke Joint Jump
Whole Lotta Drinkin’ On The Block

Jasmine Records JASMCD3172 – www.jasmine-records.co.uk

Le label britannique Jasmine Records nous propose dans ce recueil une série de titres « rockin’, boopin’, boogie & blues » autrefois destinés aux juke boxes. Cette musique, que l’on jouait et diffusait dans les juke joints ruraux et dans les clubs urbains comme à Chicago, eut une influence majeure sur le rhythm’n’blues et le rock naissants. Ici donc une très belles compilation de 30 faces de haut niveau. Musique souvent faite pour danser, mais aussi blues lancinants. Les faces allant de 1944 à 1960 – en mono –, semblent avoir été enregistrées dans le même juke joint tellement le son et l’ambiance sont proches. On voyage du blues de Baby Boy Warren à Big Chenier en passant par les excellentes faces Loudella d’Ernest Lewis ou Good Road Blues de Wright Holmes… Musiques très diversifiées et pourtant si proches, ces ce type de compilation présente un réel intérêt car, outre la qualité du choix des titres et du son, si elle présente des artistes connus, elle s’intéresse aussi à des musiciens restés dans l’ombre. Autre intérêt notable : la remarquable qualité des instrumentaux. Un deuxième volume est à paraître : « Juke Joint Jump, Throw A Little Boogie » (JASMCD3173), que nous sommes impatients d’écouter. – Marcel Bénédit


Hadda Brooks

Blues, Boogies and Torch Ballads 1945-1958

Jasmine Records JASMCD3190 www.jasmine-records.co.uk

Le monde du jazz français (et du blues) a été marqué par l’ignorance tranquille de toute une floppée d’artistes très populaires aux States mais que les mandarins de la critique « sérieuse » ne jugeaient pas dignes de leur faveur. En France, en effet, on rencontrait bien peu de gens s’intéressant à ce qui se passait dans les terres originelles. Encore moins qui avaient la curiosité de comprendre le monde du show business américain et de mieux évaluer la place des musiques africaines américaines. Pour l’amoureux de la musique noire, la consultation du Billboard est pourtant souvent éclairante. Il en va de même pour l’ancienne programmation de l’Apollo par exemple. Le CD qui nous est proposé offre une bonne occasion de découvrir la belle Hadda, son piano et sa voix. Elle n’est pas seule, certes, à distiller une musique où le piano tient une place majeure au sein d’un petit groupe tout dévoué à la réussite de sa chanteuse. Parmi les grandes vedettes bien peu connues chez nous on pourrait citer Hazel Scott, Nellie Lutcher, Martha Davis ou Dorothy Donnegan (et sa relecture époustouflante de Franz Liszt !). Mais Hadda Brooks pourrait certainement occuper une place prépondérante. Ne fut-elle pas une des premières artistes africaines américaines à conduire son propre show télévisé, dès les années 50, sur KLAC-TV… Ce n’est pas sans raison que le Los Angeles Music Awards lui décerna le prestigieux Lifetime Achievement Award. Hadda Brooks a incarné à merveille une composante sociale nouvelle : aux marges du ghetto on voit se constituer une classe qu’on pourrait qualifier de classe bourgeoise. Sa mère est Docteur, son père Deputy Sheriff, c’est une famille qui a à cœur de donner toutes ses chances à leur fille qui va étudier le piano dès 4 ans et acquérir une solide culture classique. Un talent de concertiste qu’elle mettra au service du boogie-woogie et de la ballade. Comme d’habitude chez Jasmine, les aspects biographiques sont abordés avec sérieux et compétence, il n’est donc pas nécessaire de paraphraser ce qui a déjà été écrit et bien écrit. La sélection qui nous est proposée et tout à fait représentative de la manière d’Hadda Brooks. Elle a, en outre, l’avantage de nous faire mieux connaître un guitariste talentueux ayant participé à des séances historiques comme celle du Ladnier-Bechet Quintet de 1938 où fut gravé If You See Me a Comin’ et dans laquelle Teddy Bunn joue et chante le Blues mais qui est peu connu. J’aime bien You Won’t Let Me Go ou le solo de Teddy distille une atmosphère mélancolique, désabusée, sereine, un peu comme dans certains disques de Jimmy Yancey. À signaler aussi Romance in the Dark, qui fut un véritable hit et qui donne une place de choix à Bunn. Il est intéressant de comparer cette version avec celle de Lil Green où Big Bill nous offre un solo intemporel. Pour revenir à Hadda Brooks, il est clair qu’elle préférait les ballades au blues sauf si celui-ci s’exprimait dans le langage pianistique du Boogie. Ce type de musique nécessite une « adhésion » qui tend à exclure des critiques inutiles. Il faut prendre cette musique pour ce qu’elle est. Une musique légère, simple entertainment. Mais qui par moments se laisse emporter, peut-être à son insu, vers une autre dimension, celle de l’art. – André Fanelli


The Dreamers to The Blossoms

Evolution Of A Girl Group

Jasmine Records JASMCD1092 www.jasmine-records.co.uk

Aimez-vous les girls’ group des années 50 à 60 ? C’était tout un monde changeant, les filles passant d’un groupe à l’autre et les groupes changeant de nom toujours à la poursuite d’un hit pas toujours du meilleur goùt. Les Dreamers étaient un groupe de teenagers de Los Angeles qui avaient appris à chanter à l’église (comme tout le monde…) et débutèrent comme choristes de Richard Berry (“Mister Louie Louie”) sur les six premiers titres très rock’n’roll. Puis elles deviennent les Blossoms en passant chez Capitol en 1957 et les Playgirls en 1959 chez RCA. La chance leur sourit avec un gros succès en 1962 sous le nom des Crystals : He’s a Rebel produit par un certain Phil Spector, succès confirmé avec Zip a Dee Doo Dah, cette fois sous le nom de Bob B Soxx and the Blue Jeans. Elles seront aussi employées par le guitariste en vogue du moment, Duane Eddy, sur son tube Dance With The Guitar Man. L’ensemble forme un CD sympathique très rétro pour un groupe qui n’a pas laissé une trace indélébile. – Marin Poumérol


Will Porter

Tick Tock Tick

www.willporter.com

C’est un réel bonheur que de voir cet album remis sur le marché, après une première distribution très limitée en 2015 qui couvrait l’Europe, le Japon, l’Australie, mais curieusement pas les États-Unis (où il a pourtant été conçu), pour des questions contractuelles. Will Porter (éclipsé par Gregory ?) est un superbe chanteur, sorti d’un peu nulle part pour une majorité du public, mais connu pour ses prestations aux côtés de nombreux musiciens de Louisiane et d’ailleurs. En témoignent les nombreux invités. Parmi eux, Doctor John, Bettye Lavette, le guitariste des Meters Leo Nocentelli, Curtis et Friendly Womack, Jimmy Haslip, bassiste des Yellowjackets, les Louisiana Philarmonic Strings. Une réédition précieuse, d’autant que plusieurs d’entre eux nous ont quitté depuis. Et que ces onze chansons devaient déja patienter dans leur boîte, depuis plusieurs années, le grand producteur Wardell Quezergue étant lui-même décédé en 2011. Tout est à savourer ici dans un disque intemporel, élégant et groovy porté par la voix douce amère et profonde de Will Porter. Il fait des ballades Make You Feel My Love (poignant duo avec Bettye Lavette) et Don’t Go To Strangers (avec sa superbe ligne de basse), This California Sun et Why Do We Get Blue ?, ses territoires de prédilection, sans rien perdre de son mordant sur les énergiques When The Battle Is Over, Treadin’ Water et l’irrésistible traitement funky du rockabilly Tear It Up. Dans le flot des parutions, à coup sûr un album à la triple pochette cartonnée avec livret vers lequel on a envie de revenir souvent. – Dominique Lagarde


Bobby Day

The Bobby Day Story 1952-1962

Jasmine Records JASMCD1077 – www.jasmine-records.co.uk

Bobby Day (1930-1990), né à Fort Worth (Texas), de son vrai nom Robert James Byrd, fait ses classes dans la chorale de son église (c’est banal !) et forme un groupe qui va se produire sous divers noms : The Flames, The Sounds, The Crescendos, The Hollywood Flames, Bobby Day and The Satellites. Parmi ces titres de 1952 à 1959, il y a d’excellents rocks : Wagon Wheels, Buzz Buzz Buz, et une belle version du fameux Little Bitty Pretty One qui fut un succès pour Thurston Harris, mais l’original aurait été composé par Bobby Day. En 1958, c’est le jackpot avec Rockin’ Robin, numéro 2 dans les charts avec 2 millions de copies vendues ! Jasmine nous propose ici un CD très typé de son époque par un artiste sans doute de second plan, mais qui mérite d’être réécouté.- Marin Poumérol


Sister Rosetta Tharpe
La femme qui inventa le rock’n’roll

Jean Buzelin

Éditions Ampelos

Ce siècle voudrait réhabiliter certains artistes confondus dans un même oubli et une injuste obscurité. C’est la démarche entreprise par Jean Buzelin depuis quelques années en produisant l’intégrale enregistrée de la chanteuse et guitariste Sister Rosetta Tharpe que publie en CD Frémeaux & Associés. Il était logique qu’il s’attelât à une biographie de cette artiste importante. Le résultat de ce labeur d’amour vient d’être publié par la petite maison d’éditions Ampelos. Il existe déjà une biographie américaine de Sister Rosetta Tharpe, rédigée par Gayle F. Wald, réservée aux bilingues, « Shout, Sister, Shout – The Untold Story of Sister Rosetta Tharpe – Rock ‘n Roll Trailbraizer » (Editions Beacon Press, 252 p., 2007), qui fut un précieux outil pour la rédaction du livre ici étudié. Quelle que soit la version, américaine ou française, le titre racoleur aurait hérissé cette grande dame profondément religieuse : le rock & roll était, pour elle, la musique du Diable. Ainsi éprouve-je une petite gêne avec le choix du titre, vite balayée par la lecture du texte. Femme très religieuse certes, mais avec un impressionnant don pour la communication et un grand sens commercial illustré par son troisième mariage, le 3 juillet 1951, avec Russell Morrison : grand spectacle avec 20000 participants payants et un enregistrement par la firme de disques Decca ! Nous suivons à la trace les étapes importantes de la vie de Sister Rosetta Tharpe : sa véritable identité que je ne vous révèlerai pas et les moments-clés de sa carrière musicale. Son arrivée à Chicago, en 1921, avec une mère très (ou trop ?) présente ; ses débuts précoces de petite prodige du gospel ; son passage par la musique séculière comme chanteuse de l’orchestre de Lucky Millinder. Puis, reniant cette période, son retour au bercail en 1944 après sa rencontre et longue relation (homosexuelle ?) avec la remarquable chanteuse Mary Knight. Sa collaboration fructueuse mais parfois houleuse avec le pianiste Sammy Price. Enfin, sa consécration européenne et son amitié avec le regretté Jacques Demêtre. Un diabète non décelé interrompit malheureusement son activité le 12 novembre 1970, quand elle fut hospitalisée à Genève (Suisse), puis rapatriée aux États-Unis. Elle mourut en 1973, mais sa tombe fut privée de l’honneur d’une inscription jusqu’en 2009. Qu’elle fut seule avec sa guitare ou accompagnée par l’élite des musiciens afro-américains, Sister Rosetta Tharpe laisse une œuvre enregistrée pléthorique et magistrale. Jean Buzelin analyse sans complaisance les séances d’enregistrement de l’artiste, ses hauts mais aussi ses rares bas. Sa plume alerte reconstitue très bien les conditions sociales que connut la chanteuse. Guitariste hors-pair à l’irrépressible swing, pionnière de cet instrument justement admirée, Sister Rosetta Tharpe, à la curieuse destinée posthume, mérite amplement ces efforts de résurrection. Prions pour que ce livre rencontre un succès mérité. PS : l’éditeur a commis l’étourderie d’oublier d’indiquer le nom de l’illustrateur de la couverture : Julien Mortimer. – Gilbert Guyonnet


 

De Christophe Colomb à Barak Obama 1492-2016
Une chronologie des musiques afro-américaines

Jean-Paul Levet

Éditions Le champ du signe – Commander ici

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire dans les colonnes d’ABS Mag tout le bien que je pensais de cette somme monumentale réalisée par Jean-Paul Levet, lors de la sortie du 3e volet. Il s’agit en effet d’une réalisation majeure, unique en son genre et indispensable à quiconque s’intéresse non seulement à la culture afro-américaine mais, plus généralement, à l’histoire des Temps Modernes – dont il est convenu, rappelons-le, de faire remonter l’origine à la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb. Mon seul regret était, à l’époque, que cet ouvrage, sans équivalent, ne fut pas disponible en édition papier. Réjouissons-nous car c’est désormais chose faite grâce à l’économie participative qui a permis de financer le tirage. « De Christophe Colomb à Barak Obama » n’est pas un livre que l’on lit linéairement, c’est un ouvrage que l’on consulte, que l’on feuillette, que l’on manipule, où l’on grappille et où il est enivrant de se perdre : autant de pratiques de lecture que ne favorise guère une édition électronique et que permet le bon vieux procédé de l’imprimerie, dont l’invention n’est pas très éloignée de celle du voyage de Colomb vers… « Les Indes ». – Christian Béthune