Chroniques #87

• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Lurrie Bell & Frank Catalano

Set Me Free

Catalano Music – http://catalanomusic.com/

Autant le dire d’emblée, l’association du saxophoniste Frank Catalano avec le guitariste Lurrie Bell, l’une des icônes du blues contemporain, est la très bonne nouvelle musicale de cette rentrée de septembre. Le jazzman de Chicago possède un sacré curriculum-vitae, en 1998 il signe chez Delmark Records et enregistre, en trois années, trois grands albums dont un aux côtés de son mentor Von Freeman (You Talkin’ To Me?! DE-525), mais également une superbe session live enregistrée dans le prestigieux et légendaire club le Green Mill (DE-536). Il signe ensuite chez Savoy Records, puis s’associe avec Jimmy Chamberlin, le batteur des Smashing Pumpkins, mais aussi plus récemment au groupe Los Lobos. L’alliance parfaite entre les deux musiciens est ici telle qu’ils nous délivrent une alchimie parfaite où le Blues et le Jazz sont intimement mêlés pour ne faire qu’un. Enregistrée en début d’année 2024, cette divine session nous offre des grands classiques comme Everyday I Have The Blues, At Last, The Sky Is Crying ou encore Georgia On My Mind. Tous ces grands standards sont ici admirablement revisités, avec un Lurrie Bell au sommet de son art, tout en retenu dans son jeu à la guitare comme dans sa partie chant. Le saxophoniste, de son côté, délivre de somptueux solos où le feeling du musicien est littéralement palpable. De superbes compositions originales à l’image des funky Shakin, Kickin ou encore Set Me Free, dévoilent une totale osmose entre les deux artistes, auxquels il faut rajouter la participation des excellents Tom Vaitsas au piano, Aaron Mitter à la basse et Kurt Lubbe à la batterie. Avec une carrière en montagnes russes, Lurrie Bell démontre grâce à ce superbe enregistrement qu’il est aujourd’hui en pleine possession de ses moyens. Saluons l’admirable travail de production de Frank Catalano qui est un formidable et grand musicien. Cet album se doit de figurer au sein de votre discothèque. Un pur régal, bravo ! – Jean-Luc Vabres

Note : L’album est déjà disponible sur Spotify et sur les plateformes de streaming dédiées. Le CD « physique » sera prochainement disponible (ainsi qu’un vinyl en édition limitée début octobre 2024) sur le site de Frank Catalano : https://catalanomusic.com


Shemekia Copeland

Blame It On Eve

Alligator Records ALCD 5022 – www.alligator.com

Shemekia Copeland est née et a grandi à Harlem. En 1987, elle n’a que huit ans quand son père, le chanteur et guitariste texan Johnny Copeland, la fait chanter sur la scène du Cotton Club de New York.  Elle sera chanteuse ! Elle se livre alors au destin qui l’entraîne vers cette carrière. Elle n’a pas vingt ans quand le label indépendant de Chicago, Alligator, publie son premier excellent enregistrement en 1998, « Turn Up The Heat » (Alligator ALCD 4857). Shemekia s’impose alors comme une des meilleures chanteuses de blues contemporain. Ce « Blame It On Eve » est son onzième album, le neuvième pour le label de Bruce Iglauer (il y eut une parenthèse Telarc avec « Never Going Back » en 2009 et « 33 1/3 » en 2012). Ce disque a été enregistré à Nashville et est produit par le multi- instrumentiste Will Kimbrough (guitare, mandoline et orgue). Shemekia Copeland poursuit avec ce cd le chemin qu’elle a emprunté depuis quelques années avec une musique beaucoup plus americana qu’à ses débuts. Le disque commence avec la chanson Blame It On Eve consacrée au droit des femmes d’être les maîtresses de leur propre corps. Tough Mother traite de la violence urbaine, le guitariste des North Mississippi All Stars, Luther Dickinson, s’y fait remarquer. Avec Only Miss You All The Time, c’est une femme au cœur brisé qui s’exprime. Le réchauffement climatique est le sujet de Broken High Heels. Shemekia Copeland sombre avec humour dans l’alcool pour éviter la monotonie du quotidien et c’est Wine O’Clock.  Elle chante Is There Anybody Up There ? en duo avec Alejandro Escovedo, une des stars de l’Americana. Cadillac Blue permet d’apprécier les talents de Jerry Douglas et sa lap steel guitar. On retrouve celui-ci dobro en main sur Tee Tot Payne pendant que Shemekia chante la touchante histoire du pauvre musicien noir des rues qui apprit à un très jeune Hank Williams à jouer le Blues. À noter aussi deux purs gospels, Tell The Devil et Heaven Help Us et un bel hommage à son regretté père, Johnny Copeland, avec l’interprétation d’une composition de celui-ci Down On Bended Knee. J’ai gardé pour la fin la surprise du disque : Belle Sorcière, résultat de la collaboration de Pascal Danae, de l’excellent groupe Delgrès avec Shemekia Copeland. John Hahn est l’auteur des paroles, Pascal Danae le compositeur de la musique. Il est aussi l’auteur des brefs passages que Shemekia Copeland chante en français après avoir travaillé consciencieusement notre langue. Lui-même chante ; le violoncelle joué par Cara Fox donne un ton particulier à cette chanson. Une collaboration réussie qui nous éloigne du Blues. Voici un disque varié qui aborde des thèmes forts (droit des femmes, changement climatique, …) dans la bonne humeur et avec humour. Il confirme le grand talent de Shemekia Copeland. – Gilbert Guyonnet


Willie Buck & The Delmark All-Stars

Live at Buddy Guy’s Legends

Delmark Records DE 882 – www.delmark.com

Pour son quatrième album sur Delmark Records, les dirigeants du label emblématique du Blues de Chicago ont choisi d’installer le natif de la petite cité de Houston (Mississippi) dans le club de Buddy Guy, le Legends, pour une session live enregistrée le 28 août 2023. Willie Buck, qui fit ses premières armes du côté de Maxwell Street, est ici solidement accompagné par les impeccables Billy Flynn et Thaddeus Krolicki aux guitares, tandis que Scott Dirks est à l’harmonica, Johnny Iguana au piano, le toujours excellent Melvin Smith à la basse, et le regretté Willie Hayes aux drums dont c’est ici l’ultime participation à une session. Celui qui travailla aux côtés des Aces, Big Leon Brooks ou encore John Primer, nous offre ici cinq compositions originales, à l’image des superbes Tried To Work Something Out, What We Were Talking About, ou encore Let’s See if We Can Come Together. Toutes admirablement interprétées, ces morceaux s’inscrivent dans la grande tradition musicale du douze mesures de la Cité des Vents. Celui qui allait voir Muddy Waters dans le fameux club le Smitty’s Corner grâce à l’entremise de son beau-frère rend hommage à son idole en reprenant les inusables Rock Me Baby et Hoochie Coochie Man. Même si ma préférence au fil des ans concernant ses diverses productions s’oriente toujours vers ses superbes 45 tours datant de son début de carrière, comme Get Down And Disco To The Blues ou de I Want My Baby ainsi que son excellent 33 tours auto-produit intitulé It’s Alright (réédité en 2010 avec le titre « The Life I Love »), force est de reconnaître que ce nouvel album sait parfaitement mettre en valeur l’un des derniers « old school bluesmen » de la Windy City. Willie Buck est dorénavant l’un des patriarches de Chicago, merci à Delmark Records d’avoir mis en place cette impeccable production qui ravira de nombreux amateurs. – Jean-Luc Vabres


Bette Smith

Goodthing

Kartel Music Group / BS001 CD

Avec une coupe afro résolument seventies, Bette Smith, originaire de Brooklyn, nous est présentée comme étant « la nouvelle Betty Davis ». Elle n’est pas vraiment une débutante, puisqu’elle a déjà enregistré une poignée de CDs dont certains sous le nom de Bette Stuy. Son style pourrait se définir comme un funk ponctué de larges interventions d’une guitare sous amphétamines. Enregistré en Angleterre sous la houlette de Jimmy Hogarth qui collabora avec Tina Turner et Amy Winehouse, le présent opus semble prendre une orientation plus pop et est, semble t’il, destiné au public européen. Le titre d’ouverture Good Times en est le parfait exemple. Mais on retrouve aisément l’esprit de ses racines dans la seconde partie avec les émouvantes ballades Darkest Hour, More Than A Millionnaire, Beautiful Mess, etc.. où sa voix écorchée légèrement rauque à la manière de Macy Gray fait sensation. On regrettera l’absence d’informations discographiques sur le livret traditionnel d’accompagnement, car un rapide coup d’œil aux vidéos de son site permet de découvrir que son orchestre comporte une section de cuivres. Espérons qu’il l’accompagnera lorsqu’elle se produira sur la scène du Jazz Club Étoile à Paris le 18 octobre prochain. – Jean-Claude Morlot


Khalif Wailin’ Walter

Phoenix Risin’

Timezone Records – www.damnyalljamn.com

Il faut apparemment remonter à 2012 pour trouver trace d’un précédent album de ce chanteur, guitariste et bassiste, marqué à la fois par le blues de Chicago et celui du Texas. L’attente valait la peine. En se faisant rare, Khalif Wailin’ Walker a parfaitement réussi son retour avec ce disque plein de verve et de bonnes compositions, dans lesquelles s’expriment des accompagnateurs nombreux et de qualité. La bonne impression surgit dès le shuffle Connie Lee en ouverture, porté par piano et guitare. La touche texane s’affirme sur Baby Please Lie To Me ou Big Bootyed Woman. The streets, I’m Through Cryin’, I’m Your Love Doctor nous ramènent au blues d’inspiration Westside. Stone Coldbusted est un titre humoristique à la Coasters, quant à la chanson titre Phoenix Risin’, elle déboule sur tempo rapide traversée d’un solo de guitare. Le moment le plus rock de l’album. Ancien sideman de Lonnie Brooks, Carl Weathersby et Lurrie Bell, Khalif Walter s’est par le passé frotté à des styles musicaux assez divers, du jazz au hard rock. À l’arrivée, c’est le Blues qui a gagné la mise. Ne boudons pas notre plaisir. – Dominique Lagarde


Paul Allen (Paul B Allen III)

Lost Anthology Volume One

Autoproduction

Des nouvelles de notre ami Paul B Allen III qui sort, sous son nom d’artiste Paul Allen, « Lost Anthology, volume One ». Il a longtemps été l’un des excellents membre des Platters  et cette anthologie est consacrée à sa carrière solo, laissant découvrir son talent funk/soul sur des titres qui sentent bon les années 80 et le DX7, ce qui nous met une bonne dose de nostalgie et surtout de joie, pour ceux qui ont connu cette période où tout était possible et ou les paillettes éblouissaient les discothèques internationales. Alors, on vous remet un peu de sa biographie qui vous montre l’importance de cet artiste au niveau mondial. Paul B Allen III est né à Omaha, Nebraska, mais a grandi à San Bernardino, en Californie. Il a été impliqué dans la musique pratiquement toute sa vie. Paul est devenu le chanteur principal de Raw Sugar, un groupe formé par ses jeunes frères, Corey et Milo. En très peu de temps, le groupe a développé une immense popularité dans la région du sud de la Californie. Peu de temps après l’époque de Raw Sugar, l’ancien saxophoniste de James Brown, Dr. Larry “T-Byrd” Gordon, a entendu Paul chanter et a été époustouflé par la douceur de ses phrasés vocaux. T-Byrd a immédiatement demandé à Paul de rejoindre son groupe. En tant que chanteur principal du groupe de “T-Byrd”, Paul a joué pour les riches et célèbres au Texas, y compris l’ancien candidat à la présidentielle Ross Perot, le multimillionnaire Paul Bass et les pom-pom girls des Dallas Cowboys. Paul B Allen III nous confie : « Je pensais que ces chansons étaient perdues à jamais. Elles n’avaient été préservées que sur des cassettes, qui étaient à la pointe de la technologie à l’époque. Ces chansons datent des années 1970 à 2005, certaines ont 50 ans ! Ce sont tous les enregistrements originaux. Je crois que c’est mon père qui avait sauvegardé ces cassettes. Lorsqu’il est décédé en 1996, le lot de chansons s’est retrouvé chez son fils, Paul B Allen IV. Il y a quelques mois, Paul les a retrouvées dans un box de stockage qu’il possédait et il a fait de son mieux pour les sauver des bandes magnétiques en décomposition. Il les a ensuite numérisées. « Il y avait plus de 60 chansons que j’avais écrites, enregistrées, et en gros oubliées au fil des décennies. J’ai envoyé la première ou les deux premières chansons à l’un des meilleurs ingénieurs de mastering au monde, primé et juge aux Grammy Awards, nommé Earle Holder. Dans son studio de mastering de renommée mondiale, HDQTRZ Mastering Studios à Atlanta, en Géorgie, M. Holder a pu restaurer les chansons en ajoutant sa touche magique phénoménale à chaque piste. Elles brillent maintenant avec une clarté sonore moderne. Quand j’ai parlé à Earle de ce lot de chansons qui avait été soudainement découvert, il m’a dit qu’il voulait masteriser tout le projet. C’était un cadeau venu tout droit du ciel ! Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans son génie et son expertise. À peu près à la même époque, j’ai renoué avec mon partenaire de composition originale du début des années 1970, Frank Kavelin. Frank est un arrangeur de classe mondiale et a travaillé avec de nombreuses icônes musicales. Je lui ai parlé de ma récente découverte et lui ai envoyé certaines des chansons. À ma grande surprise, il a suggéré d’ajouter quelques améliorations d’arrangement à ces morceaux. Ce n’était pas une tâche facile – il devait faire en sorte que des instruments modernes sonnent comme s’ils venaient d’il y a des décennies – et chaque élément qu’il ajoutait devait s’intégrer parfaitement aux enregistrements originaux. Frank a réussi à le faire, et de façon magnifique. Mais comment présenter ces chansons ? Elles prennent désormais la forme de cinq albums différents ! Comme j’ai toujours été d’abord un auteur-compositeur, j’écrivais pour différents projets dans divers genres. Ainsi, il y a un album appelé “Lost Northern Soul”, un autre album appelé “Kaleidoscope”, un album de musique électronique de danse (EDM), un album de musique instrumentale rythmée appelé “Instrumental 8”, et enfin, deux albums de chansons et ballades de danse R&B, intitulés “Lost Anthology – Volume One” et “Lost Anthology – Volume Two”. La pochette de l’album est une photo de moi prise le jour de la naissance de Paul IV, alors que j’appelais tout le monde pour leur annoncer la nouvelle de mon merveilleux nouveau fils. J’avais 20 ans sur cette photo. Je l’ai choisie parce que, sans l’amour, la diligence et le travail acharné de Paul pour essayer de sauver ces chansons, aucun de ces projets n’aurait vu le jour. Le single qui accompagne la sortie de “Lost Anthology” s’appelle Dream A Dream Of You. J’espère que tout le monde appréciera le nouvel album. “Lost Anthology – Volume Two” est prévu pour une sortie au printemps 2025 ». Paul B Allen III ou dans le cas présent Paul Allen fonctionne par passion. Et pas seulement sa passion pour la musique, mais aussi l’écriture. En tant que chanteur, Paul a joué dans de nombreux lieux impressionnants, tels que le Kennedy Center, accompagné par le National Symphony Orchestra, à Washington, DC. Et la liste des stars et dignitaires pour qui il a chanté est encore plus impressionnante, y compris des performances pour la famille royale d’Angleterre ; le prince Albert et sa sœur, la princesse Caroline de Monaco ; le président et la première dame des Fidji… Paul a également été invité à La Maison Blanche pour chanter pour le président des États-Unis d’Amérique. En mars 1997, Paul a été sollicité par les dirigeants de la société de gestion originale de The Platters pour devenir le nouveau membre du groupe qu’ils ont aidé à fonder et qu’ils gèrent depuis 1953. Depuis, Paul a dirigé le groupe dans des performances sur presque tous les continents du globe. On ne compte plus les nombreux succès de Paul et cet album est en quelque sorte le reflet de cette période heureuse et remplie de succès et pourtant le premier album solo de Paul, « The Arrival », n’est paru qu’en 2014 ; c’est donc un document passionnant que nous offre ici Paul B Allen III, reflet d’une époque, d’une belle technique vocale et surtout qui montre quel grand interprète il est, créant des univers féeriques vocalement et, lorsque vous l’entendrez chanter Dream A Dream Of You, avec cette belle fragilité vocale, vous comprendrez l’excellence artistique qui a fait l’admiration de tous et continue de séduire autant son public que les musiciens. – Thierry De Clémensat


Muddy Gurdy

Seven

Buda Musique 860397 – https://muddygurdy.com

The queen get free from heavy chains… À Sorges, pendant le MNOP tour 2024, l’orage avait menacé toute la journée. On avait retiré les bâches qui enserraient la scène en fin d’après-midi, en priant Papa Legba de ne pas déchaîner les éléments contre le château du Bouquet. Une Litanie de Saints avait déroulé son chapelet pour éloigner les derniers crachins loin de la vitrine vaudou. Juste le temps suffisant pour que le son atypique de Muddy Gurdy apprivoise l’instant, le maîtrise et le guide. La vielle nimbée de percussions limoneuses entourait la chanteuse guitariste d’un hâlo protecteur. L’instant de grâce modulait son tempo, le polissait pour mieux l’apprivoiser. La “Black Madonna” trouvait en la personne de Tia Gouttebel sa plus vivante égérie. Il y était question d’extase après la survie. Un tambourin à la place des six cordes, une danse baroque où le corps se libère des turpitudes existentielles pour mieux régénérer l’esprit. Les larmes de sang se sèchent au fil du groove… L’ombre de la Black Madonna, figure de proue du disque précédent, flotte sur « Seven », le nouvel enregistrement de Muddy Gurdy. Reprendre ce morceau phare pour parler d’un cd produit essentiellement en Louisiane ressemblerait à une gageure si les rencontres antérieures effectuées au gré des chemins de l’Auvergne volcanique ne paraissaient pas aussi proches de cette Louisiane enchantée, rêvée et finalement matérialisée. Un coup de vielle pour rajeunir Louisiana Blues et Jambalaya. La présence vivifiante de l’accordéon de Ruben Moreno, du « parlé Indians » de Big Chief Juan Pardo, du Jure des Broussard Sisters ou du violon « dedans le sud de la Louisiane » de Bobby Michot participent à l’élaboration d’îlots musicaux que seul ce groupe atypique est à même de passer à l’épure. La présence de Marco Glomeau, co-concepteur du projet, trop tôt disparu, est une évidence qui flotte tout au long de l’album. Elle rejoint dans une spiritualité forte, palpable et évidente, le travail de sous-marin effectué par Pierre Bianchi et Didier Lamaze. Sonorisateurs émérites, présents depuis le début de l’aventure, ils ne sont pas pour rien dans la mise en valeur « sur le terrain » de la vielle magique de Gilles Chabenat, des grooves du nouveau batteur Fabrice Bondy et, bien sûr, de la voix et de la guitare de Tia Gouttebel, toujours plus grave et prenante au fil du temps et des field recordings. Loin des modes et des apprêts de circonstance, Muddy Gurdy poursuit cette route particulière, mélange d’exigence et de vigilance, qui le voit finir l’enregistrement de ce périple louisianais dans les locaux d’ABS Magazine : le « Castlegay for ever » méritait bien une Maison Blanche… – Stéphane Colin


Billy Price

Person Of Interest

Little Village LVF 1065 – www.littlevillagefoundation.com

Il faut régulièrement rappeler le rôle généreux et désintéressé du label Little Village. Il permet, depuis neuf ans, à des artistes qui n’en auraient sans doute pas l’opportunité, d’enregistrer un disque grâce au financement participatif. Little Village reverse tous les bénéfices des ventes à ses protégés, qui conservent en outre la propriété intellectuelle de leur œuvre. Billy Price est, dans le cas présent, l’un des bénéficiaires de la fondation dirigée par le claviériste Jim Pugh, avec cet album « Person Of Interest ». Nous avions quitté Billy Price en 2022 sur un triple CD rétrospective de cinquante ans de carrière. Carrière débutée dans les années soixante-dix comme chanteur dans la formation du guitariste Roy Buchanan et marquée plus tard par plusieurs CD Dixiefrog avec Fred Chapelier. Billy Price livre ici treize compositions originales dans un style qui lui est cher, celui des productions de Willie Mitchell à Memphis dans les années soixante-dix. Le batteur Tony Braunagel est aux manettes. Le groupe connaît son affaire. L’ensemble oscille entre titres funky cuivrés, ballades mid-tempo ou soul plus enlevée. Joe Bonamassa vient prêter sa guitare sur Change Your Mind, hommage à Buchanan. Mention aux trois derniers morceaus Crying In The Spotlight, I Lose It et Damage Control, qui semblent élever encore plus les débats. – Dominique Lagarde


Chris Cain

Good Intentions Gone Bad

Alligator Records ALCD 5021 – www.alligator.com

Le 20 juillet 2018, le chanteur et guitariste californien Chris Cain et sa précieuse guitare baptisée “Melba” (une Gibson ES-335), accompagné du Luca Giordano Band, donna un excellent concert auquel j’assistais, très marqué par le jeu d’Albert King. Je me promis alors d’écouter les disques de cet artiste dont je ne connaissais que le nom. En 2021, je découvris avec enchantement « Raisin Cain » (Alligator ALCD 5003). Avec « Good Intentions Gone Bad », voici le résultat d’une nouvelle collaboration de Chris Cain avec Kid Andersen en son studio de San Jose, CA, d’où celui-là est originaire, publiée par Alligator. Le rapprochement entre l’artiste et Bruce Iglauer ne fut pas simple. Chris Cain affirme avoir envoyé une démo au boss d’Alligator. Celui-ci lui répondit qu’il avait « une voix maniérée et qu’il essayait de ‘sonner noir’ ». Bruce Iglauer ignorait que Chris Cain a un père afro-américain et une mère grecque. Il eut l’intelligence de changer d’opinion quand il découvrit Chris Cain lors d’un Chicago Blues Festival… Chris connut un vrai « traumatisme » : son père l’emmena à un concert de B.B. King quand il avait trois ans. Il est ainsi devenu guitariste et chanteur de Blues. Voici son seizième album dont il a composé tous les titres. Le jump blues Too Little Too Late ouvre de bien belle façon ce disque. L’attention ne faiblira jamais jusqu’à sa conclusion en compagnie du chanteur Tommy Castro ; Thankful est un message en hommage à son épouse (« I thank God everyday for bringing you into my life »). Entre ces deux chansons, vous découvrirez aussi les déboires amoureux de Chris Cain avec sa compagne, Good Intentions Gone Bad. Chris Cain est aussi concerné par ce monde qui ne tourne plus très rond. « I’m worried that this darkness will never go away », chante-t-il sur la balade Waiting For The Sun To Rise. L’avenir l’angoisse : « not sure what is going to happen to the world », déplore-t-il dans Fear Is My New Roommate. L’humour est aussi très présent et très flagrant sur le funky Still Drinking Straight Tequila, Chris Cain confie que la consommation de Tequila est son ultime péché. Quoi de plus normal, quand on est influencé par B.B. King et Albert King, qu’une excellente section de cuivres intervienne sur la majorité des titres ? Chris est aussi un excellent pianiste. Il joue du piano sur diverses chansons, en particulier sur la superbe ballade Waiting For The Sun To Rise. Retour à la guitare pour un grand moment d’émotion en hommage à son défunt père. La chanson Blues For My Dad a été composée et enregistrée par Chris Cain en version acoustique minimaliste, il y a près d’un quart de siècle. Kid Andersen, en la découvrant, incita Chris Cain à la réarranger et à l’enregistrer sur un rythme mambo. Excellent chanteur et guitariste, Chris Cain et Alligator publient un disque très haut de gamme. – Gilbert Guyonnet


Lara Price

Half & half

Gulf Coast Records – www.gulcoastrecords.net

Rescapée par miracle d’un crash aérien lors du rapatriement vers les États-Unis d’orphelins et d’enfants métis nés au Vietnam d’un père américain pendant la guerre, Lara Price est aujourd’hui une femme proche de la cinquantaine à la carrière musicale accomplie. Ses débuts se sont effectués en duo avec la guitariste Laura Chavez dans les années quatre-vingt dix. Quelques albums ont suivi. Ce nouvel opus, marqué par la soul et le blues, dans lequel s’équilibrent originaux et reprises, devrait bénéficier d’une diffusion plus large. Le titre du disque, « Half & Half », sorti sur Gulf Coast Records – le label de Mike Zito – parle de lui-même. Ces créations, Lara Price en partage l’idée avec les guitaristes David Jimenez et Mike Schermer. Le disque se révèle au fil des écoutes. Kid Andersen a fait le nécessaire pour que la production soit robuste et carrée. Mais des instants plus accueillants (et surprenants) vous attendent, comme Rain, Days Ago ou une adaptation du Solitude de Duke Ellington. La voix explosive de Lara Price s’approprie des reprises de Candi Staton (Evidence, Heart on a String – excellent) et de Ann Peebles (Trouble, Heartache, Sadness) et séduit sur la version du classique de Jack Clement pour Jerry Lee Lewis, Fools Like Me. – Dominique Lagarde


Jubu Smith

Jubu

Little Village Foundation – www.littlevillagefoundation.com

Lorsque Little Village Foundation m’a proposé cet album, cela m’a franchement amusé. En effet, jusqu’alors, pour moi, Jubu Smith était un musicien que je voyais apparaître sur de nombreux albums de smoothjazz ou de jazz, qui a collaboré avec, entre autres, des personnalités telles que Luther Vandross, Mary J. Blige, Boyz II Men, Toni Braxton, George Duke et George Benson. D’un point de vue purement blues, les amateurs du genre trouveront probablement que c’est un album en demi-teinte et pas précisément blues. Il sera difficile de les contredire. Disons d’emblée que c’est un album de bonne facture, le disque d’un guitariste qui visiblement s’est amusé avec ses racines culturelles, ne cherchant pas autre chose qu’à se faire plaisir et enchanter ses fans. Le pari est parfaitement réussi. Le parcours de Jubu Smith dans l’industrie musicale témoigne de son talent exceptionnel et de sa polyvalence en tant que guitariste. À l’âge de 19 ans, Jubu a entamé une brillante carrière en tant que guitariste de Tony Toni Toné, posant, pendant une remarquable décennie, des rythmes envoûtants qui captivaient le public avec ses mélodies soul. Par la suite, il a entrepris une tournée mondiale prestigieuse avec Whitney Houston, consolidant davantage sa réputation de musicien recherché. Tout cet album est un jeu de cache-cache musical, dans lequel cet excellent guitariste montre toute l’étendue de son talent grâce à des arrangements musicaux particulièrement riches, inventifs et intelligents. Cet album éclectique satisfera aussi bien ses nombreux fans que les guitaristes en herbe qui cherchent à apprendre et extraire trucs et astuces, car ici, que ce soit du point de vue rythmique ou musicalement en général, le savoir-faire et le talent de Jubu sont hors-norme. Jubu a entrepris une nouvelle aventure musicale en s’associant avec le batteur lauréat d’un Grammy, Calvin Napper (notamment Maze avec Frankie Beverly, Stephanie Mills, Donnie McClurkin) et le guitariste/producteur trois fois nommé aux Grammy, Charlie Hunter. Celui-ci est le fils d’une mère qui réparait les guitares. Il a appris à jouer de cet instrument sur le tas avec des guitares à 7 ou 8 cordes fabriquées à la maison et a développé un style très personnel. Cet album est totalement tourné vers la scène. Les dix instrumentaux présents estompent les différences entre Jazz et Blues. Ils ont été improvisés en studio, chaque titre ne nécessitant qu’une seule ou deux prises au plus. À l’écoute des dix titres de cet album, on peut parfaitement imaginer le résultat scénique qui sera assez proche des prestations que l’on voit en smoothjazz, où le musicien principal est toujours accompagné de musiciens hors-normes, le tout assurant la perfection du spectacle. Album démonstration d’un musicien passionnant et passionné qui va approfondir les thèmes choisis, comme lorsqu’il envoie son blues EG Is Here en compagnie d’un excellent Eric Gales. Les propositions et arrangements de cette production sont ceux d’un grand du Jazz, une belle prouesse musicale. En outre, signalons la parfaite production et le mixage fremarquable qui rendent l’écoute de ce disque très agréable. Vous serez Totally Convicted, titre qui conclut de manière envoûtante ce bien bel exercice de style. – Thierry De Clémensat (avec la complicité de Gilbert Guyonnet)


Eliza Neals

Color Crimes

E-H Records 

Eliza Neals est une digne représentante du genre blues/rock admiré par certains et honni par d’autres et le présent Cd ne déroge pas à la règle, même si son titre est une ballade pour le moins sympathique. Elle ne cache pas sa passion pour le rock des années 1960/1970 de Jackson Browne ou de Bonnie Rait ainsi que pour le blues plus traditionnel de Buddy Guy ou d’Albert Collins. Mais le plus surprenant est son amitié de longue date avec le vétéran Motown Barrett Strong, auteur du célébrissime Money qui fut l’un des premiers hits du légendaire label de Detroit. Il lui a donc écrit – peu avant son décès survenu le 29/01/2023  – trois titres ; il en a produit deux, dont Sugar Daddy (clin d’œil ?) où l’on retrouve des traces de l’inspiration passée de son auteur, sans toutefois reprendre à l’identique les trames qui néanmoins suintent. Eliza Neals se produira le 13 septembre au Leman Blues Festival à Annecy. – Jean-Claude Morlot


Kid & Lisa Andersen

Spirits / Soul

Little Village Foundation LVF 1063 – www.littlevillagefoundation.com

Voici un objet étrange : d’un coté vous découvrez la pochette du cd « Soul » de Lisa “Little Baby” Andersen et, de l’autre, celle du disque « Spirits » de Kid Andersen. Pour découvrir les titres, les notes de pochette et la très longue liste des musiciens, il faut déplier le triptyque. Kid Andersen et son épouse Lisa sont devenus en quelques années des personnalités importantes de la vie musicale californienne. Lui a une activité débordante. Il est le guitariste de la formation de Rick Estrin, the Nightcats. Il est le créateur du studio Greaseland sis dans un faubourg de San Jose, Californie. Là, il enregistre, produit et accompagne d’innombrables artistes. Près de deux cents disques ont été réalisés en ce lieu devenu incontournable grâce ses indéniables qualités. Lisa Andersen collabore à cette entreprise avec ses talents de chanteuse. Elle est la choriste du studio. Elle fut une candidate malheureuse du télé-crochet American Idol, éliminée, injustement semble-t-il, après avoir  « magnifiquement chanté Sweet Thingde Chaka Khan » (selon Kid Andersen). Le couple a décidé de se mettre sous les feux de la rampe et d’afficher son talent. Vous imaginez qu’ils ont enregistré de nombreuses chansons dans leur atelier. Celles-ci proviennent de séances s’étalant sur plusieurs années. Ces deux disques nous présentent un catalogue des diverses qualités des deux artistes. Le cd de Monsieur, « Spirits », contient neuf chansons, sept composées par lui-même et deux reprises, Nobody’s Fault But Mine de Blind Willie Johnson arrangée de façon originale et très moderne et Day Tripper des Beatles agréable à l’écoute. Scratch est un tempo reggae. Charlie Musselwhite et son harmonica sont les invités de Mr. Reaper, sombre blues ; Kid Andersen se place du point de vue d’un mourant qui a accepté son sort et qui estime que la mort ne vient pas assez vite (« Death, don’t make your rounds so slow… because it’s time for me to go »). Ships Of Fools nous met en garde à cause des temps troubles que nous vivons (« How can you get to dry land on a ship steered by fools ? We’re sinking deeper every day…we’re all gonna pay the price… we’re lost at sea for life on a ship of fools »). Spirits est hantée par l’orgue de Lucky Peterson et les fantômes des regrettés Willie Walker, Les McCann, Paul Oscher, Finis Tasby, Frank Bey, Henry Gray, Ron Thompson, Little Carlie Baty, Mike Finnigan, James Harman, Willie ‘Big Eyes’ Smith et Michael Ledbetter. I Ain’t Right est marquée par une section de cuivres très présente et appréciable. Tout au long du cd, le chant et le jeu de guitare sont excellents. « Soul », le cd de Lisa “Little Baby” Andersen, nous emmène dans un univers très peu blues. Neo soul et ballades sont la marque de la majorité des treize chansons. Accompagnée par son guitariste de mari et par des pointures telles le bassiste Jerry Jemmott, le batteur Derrick ‘D’Marr et le pianiste et organiste Jim Pugh, Lisa Andersen chante d’excellente façon un répertoire qui, à l’exception de Rock Bottom (Joe Baker/Elvin Bishgop), Why Not Me (John Nemeth), You Met Your Match et Free (Stevie Wonder), me touche moins. Le clavier et la voix de Latimore apparaissent sur le très appréciable Slipped Throuh My fingers. Ces deux disques faits de bric et de broc sont riches en musique de qualité. Ils ne satisferont probablement pas les amateurs de downhome blues, mais ils méritent votre attention. Merci à Little Village Fondation de publier de tels albums. – Gilbert Guyonnet


Shawn Kellerman

Kell’s Kitchen

Songsurfer Records 2023

Shawn Kellerman est un chanteur guitariste de blues canadien, originaire de l’Ontario. Après trente ans de carrière, il publie « Kell’s Kitchen » qui n’est que son troisième album solo. Son deuxième disque, « Blues Without A Home », n’est paru qu’en 2009. Mais son activité loin des studios a toujours été importante. Après des début avec Zoom, une chanteuse de blues de Detroit, il a participé à des tournées avec Mel Brown, Bobby Rush et Lucky Peterson. Plusieurs de ces stars du Blues participent d’ailleurs à l’enregistrement de « Kell’s Kitchen ». Sur les quatorze morceaux du disque, Shawn en a composé douze. Bobby Rush est invité au chant et à l’harmonica sur le superbe We Are Blues Men où les notes de la guitare de Shawn sont puissantes. Pour le morceau Mac & Cheese, il a retrouvé Zoom, la chanteuse de ses débuts, qui sera peut-être une découverte pour certains. Pour Living Off The Love You Give de Little Milton, qui termine l’album, Lucky Peterson joue de l’orgue Hammond B3. Aucune date ni aucun lieu d’enregistrement ne sont précisés sur la pochette du disque. Le décès de Lucky Peterson en mai 2020, peut être une indication. L’un des points forts de l’album est aussi la performance à l’harmonica de Jason Ricci sur trois titres. En conclusion, si la voix harnieuse et criarde de Shawn ne vous rebute pas, ce disque peut être consommé sans modération. – Robert Moutet


Curtis Salgado

Fine By Me

Little Village Foundation LVF 1066 – www.littlevillagefoundation.com

Curtis Salgado, chanteur et harmoniciste de qualité, auteur et compositeur, est un vétéran de l’industrie musicale avec une dizaine de disques depuis 1995 dont quatre chez Alligator. Il est un touche-à-tout. Gospel, jazz, blues, soul, rhythm & blues, funk et rock lui sont très familiers. Il jongle sans difficulté entre ces divers styles musicaux en y apportant sa touche personnelle. L’artiste a acquis une longue expérience depuis ses débuts dans l’orchestre de Robert Cray dont il était l’harmoniciste, au début des années 1980, puis avec un passage comme chanteur de Room Full of Blues avant de se lancer dans une carrière solo. Il glana de nombreuses récompenses, dont celle de Soul Blues Male Artist of the Year, lors des Blues Music Awards 2022 et 2023. En outre, il est de notoriété publique que l’amitié de Curtis Salgado avec l’acteur John Belushi inspira le personnage de Joliet Jake des Blues Brothers. Curtis Salgado est l’auteur et co-auteur de huit des dix chansons présentes sur ce disque produit par la très active Little Village Foundation, une firme de disques à but non lucratif qui aide gratuitement les artistes. Une bien belle mission dans ce monde où la moindre activité est monnayable. On passe avec grand plaisir de la simplicité de My Girl’s A Nut en quartet avec une belle partie de slide acoustique due à Alan Hager au gospel profond Hear The Lonely Hearts avec les superbes harmonies vocales de The Sons of The Soul Revivers (les frères James, Walter et Dwayne Morgan) soutenant le chant habité de Curtis Salgado. Hélas, Walter Morgan mourut peu de temps après l’enregistrement de cette chanson. Les arrangements de cuivres sont particulièrement brillants sur Better Things To Lie About, The Big Chagrin avec des effluves New Orleans, You Give The Blues A Bad Name et Under New Management. Ces deux dernières chansons bénéficient de la contribution du guitariste Anson Funderburgh. The Only Way Out est interprétée sur un rythme de tango, le guitariste jouant dans un style flamenco. Fine By Fine qui donne son titre au cd et Safe At Home, trop americana à mon goût, ne me touchent pas. Deux excellentes reprises sont au menu de ce disque : Niki Hoeky, le tube de 197 de PJ Proby, et la composition d’O.V. Wright I’ m Gonna Forget About You. Cette chanson figurait sur le premier disque de Robert Cray, « Who’s Been Talkin’ » (Tomato TOM-7041 en 1980). Curtis Salgado y était l’harmoniciste. Celui-ci chante remarquablement cette nouvelle interprétation. Il a invité son ancien leader qui prête discrètement sa voix et joue de la guitare dans son style caractéristique. Le jeu d’harmonica de Curtis Salgado n’est pas spectaculaire, mais il est efficace, au service du message délivré. Il est impossible de nommer tous les musiciens qui ont contribué à la réussite de ce disque. Je ne citerai que Kid Andersen présent sur sept chansons à la basse, à la guitare et derrière ses claviers. Saluons la très grande qualité de ce CD. – Gilbert Guyonnet


Black Cat Bones

Troublemaker

Codacopina Music 2024

Black Cat Bones est un groupe de blues rock qui s’est formé en 2004 à Tucson en Arizona. Voici leur cinquième album en vingt ans d’existence avec Charles Pitts au chant, Richard Rivera et Kid Dynamite aux guitares, Jeff Daniels à la basse et Bill Greenberg à la batterie. Il y a trois invités, Mark “Doc” Holladay aux claviers dans Junkie, Mike Blommer à la guitare dans Come On Down et Billy Yates à la guitare solo dans Soul To Save. L’album de onze compositions du groupe a été enregistré à Tucson et nous offre toujours un mélange explosif de blues rock sudiste. La voix de Charles Pitts est aussi à l’aise dans les blues lents que dans les morceaux de rock rapides. Avec un savant mélange de blues rock des années 70 et des rythmes plus actuels, on comprend pouquoi Black Cat Bones est l’un des groupes les plus demandés aux États-Unis. Et comme les groupes de rock sudiste ne sont pas nombreux, écoutons avec plaisir les 45 minutes de cet enregistrement. – Robert Moutet


Sam Joyner

Come What May (I’ll Always Love You)

Autoproduction – sam@samjoyner.com

Solidement ancré dans le Chicago blues, Sam Joyner a choisi le piano comme instrument de prédilection. Loin de tirer la couverture à lui, il partage l’espace avec guitares, saxophones, rythmiques swinguantes. Fils d’un révérend, il a été prié de garder les pieds sur terre et de se tourner vers ses racines. Son expression s’est enrichie, au fil des rencontres, des couleurs du Mississippi ou de La Nouvelle-Orleans, pour aboutir à cet album entraînant et varié. Comme chez nombre de musiciens issus de la tradition pianistique de la ville, les rocks et boogies frénétiques alternent avec les blues plus recueillis, parfois teintés de hip-hop (As Long As You Are Here). Les originaux sont majoritaires, aux thèmes ancrés dans la mythologie du blues (It’s That Mojo That Makes Me Stay, Teddy’s Juke Joint, Tennessee Whiskey) et si, pour les reprises, Hoochie Coochie Man reste assez commun, Stormy Monday blues reçoit un traitement funky plus singulier. Sam Joyner est aussi, paraît-il, un personnage à suivre sur scène, un conteur plein d’humour et au contact facile avec le public. On ne demande qu’à voir. – Dominique Lagarde


John Clifton

Too Much To Pay

Flower Records FCD 077

Depuis presque quarante ans, le chanteur et harmoniciste John Clifton sévit sur la scène californienne. À la fin des années 1980, il fut le chanteur du groupe californien The Mo-Fo Party Band. Il eut la chance de partager la scène avec des musiciens tels James Cotton, Rod Piazza, le regretté John Mayall, Mark Hummel, Billy Boy Arnold, James Harman et Kim Wilson. Il apparaît sur le cd de Big Bill Morganfield « Bloddstains On The Wall » (Black Shuck Records BSR 103, en 2016). En 2017, il décida de se lancer dans une carrière solo. Hélas, le Covid puis de très graves ennuis cardiaques en 2020 brisèrent quelque long temps son rêve. Il mit à profit cette double punition pour écrire et composer. Enfin, en 2022, il refit surface et reprit son activité. Ce cd a été enregistré à Varsovie, lors d’une tournée en Pologne, avec d’excellents musiciens du cru, The Boogie Boys. Il rassemble dix compositions originales de John Clifton qui mélangent Chicago blues, Soul des sixties, Jump blues californien, Rockabilly et Swamp rock. Voici un disque sans prétention dont l’écoute est fort agréable. – Gilbert Guyonnet


Christopher Wyze & The Tellers

Stuck In The Mud

Big Radio Records BIGR 1000

Christopher Wyse est un harmoniciste, auteur-compositeur-interprète de blues, originaire de l’Indiana. Depuis vingt ans, il interprète les grands standards du blues avant de créer ses propres morceaux. Il est alors repéré par Johnny Phillips dont le père Tom a fondé avec son oncle, Sam, le célèbre label Sun en 1960. Johnny vient de créer le label Big Radio Records et il désirait avoir Christopher Wize pour lancer ce label. Les trois morceaux Stuck In The Mud, Soul On The Road et Hard Work Don’t Pay sont enregistrés à Clarksdale et les dix autres chansons à Muscle Shoals en Alabama. Christopher est au chant et à l’harmonica, Eric Deaton à la guitare acoustique et à la guitare slide, Gerry Murphy à la basse, Douglas Banks ou Justin Holder à la batterie, Eli Hannon ou Brad Kuhn à l’orgue Hammond et aux percussions. Cary Hudson est aux guitares électriques, acoustiques et slide sur les trois morceaux enregistrés à Clarksdale. Chaque texte raconte une histoire et certaines ont été vécues par Christopher. C’est un bon musicien et un maître conteur. Malgré sa voix grave qui serait bien adaptée à la country, on peut considérer qu’il entre avec ce premier disque dans le cercle des grands interprètes du blues moderne. – Robert Moutet


Layla Zoe

Into The Blue
Live in Concert

Layla Zoe Music (CD/Blu-ray)

Je me souviens il y a bien des années avoir photographié Layla Zoe sur un festival en France, dans ce genre de festival ou bien souvent le niveau musical et artistique est relativement moyen, lorsqu’une artiste a la carrure internationale apparait, on reste sans voix, tant le décalage est grand par rapport à d’autres artistes, c’est ce qui était le cas avec Layla Zoe. Tous ceux qui auront vu Layla Zoe live savent que c’est une bête de scène, mais personnellement, c’est sa voix qui m’a tout de suite fasciné, reste qu’avec le temps, ce que je prévoyais à ce moment-là c’est produit, sa voix s’est affinée, plus profonde, et a gagné aussi en qualité d’interprétation. Plaçant les intonations juste là où il faut, usant d’une puissance mesurée. Layla Zoe meilleure que jamais et toujours aussi généreuse avec son public, c’est le menu de cet album dont je vous livre l’histoire ici : en mars 2024, Layla Zoe, également connue comme la chérie canadienne du Blues, s’est lancée avec son groupe de musiciens “guerriers de la route” dans la tournée Into the Blue pour conquérir les scènes d’Europe, comme elle l’a fait ces quinze dernières années. Mais avec une différence. Pendant la tournée Into the Blue, elle a divisé le concert en deux parties chaque soir : une première partie avec des chansons originales tirées de son vaste répertoire (y compris des albums produits par Henrik Frieschlader, Jan Laacks et en indépendant), et une seconde partie avec des reprises d’artistes qui l’ont inspirée dans sa jeunesse à suivre une carrière musicale. Et justement, ce qui est intéressant, c’est d’entendre la façon dont elle a su faire évoluer ses anciens titres, car pour une artiste comme Layla Zoe, il ne suffit pas de se contenter de l’existant, une artiste comme elle évolue tout le temps, il est donc tout à fait normal que ses titres évoluent. Pour ce qui est des reprises, avec Layla Zoe il vaut mieux parler de sa vision des titre des artistes qu’elle aime qu’elle reprend avec grâce : War Pigs (Geezer Butler/Tony Lommi/Bill Ward/Ozzy Osbourne), Move Over (Janis Joplin) ou encore Forever Young (Bob Dylan)… Un véritable régal. Un tel album ne peut laisser personne indifférent, d’autant que tout se termine par une magnifique interprétation du  Freight Train d’Elisabeth Cotten. Elle est accompagnée par Krissy Matthews (guitares), Felix Dehmel (drums) et Josh Rigal (basse et chœurs). Le concert a été capté à Bonn, Allemagne, le 27 mars 2024. Ces enregistrements live que propose a quelques années d’intervalle Layla Zoe sont un peu comme la signature de son évolution. Je n’ai malheureusement pas eu le Blu-Ray sous la main pour pouvoir vous en parler, mais compte tenu du haut niveau d’exigence qualitatif de Layla Zoe, je pense que vous pouvez investir sur celui-ci sans crainte car, comme toujours, elle propose un album de très haute qualité avec un mixage qui ferait presque oublier le côté live s’il n’y avait pas les applaudissements. Rares aussi sont les artistes de la scène blues qui gardent contact avec les critiques d’album ; Layla Zoe, en grande professionnelle, sait parfaitement quand envoyer ses albums à la presse et n’oublie jamais personne, c’est assez rare pour être souligné. – Thierry De Clémensat


Ben Sidran 

Rainmaker

Bonsaï Records BON240402

Chanteur, pianiste, organiste et auteur-compositeur, Ben Sidran ne montre pas le moindre signe de fatigue. Après plus de cinquante années d’une carrière bien remplie qui lui a permis d’aider à l’essor du Steve Miller Band, d’enregistrer une quarantaine de disques, de produire de nombreux artistes, d’accompagner Diana Ross, Sarah Vaughn, Wynton Marsalis, Herbie Hancock et Rickie Lee Jones et d’enseigner son art, il a accepté la proposition de son ami Pierre Darmon d’enregistrer un nouveau disque pour fêter ses 80 ans. Ainsi composa-t-il neuf nouveaux titres et sélectionna-t-il deux reprises, Times Getting Tougher Tan Tough et Ever Since The World Ended de Mose Allison, ce grand pianiste de jazz et blues originaire de Tippo, Mississippi, dont les mânes planent sur ce disque. L’œuvre fut enregistrée dans un studio à Meudon. Des musiciens de diverses origines ont accepté de prêter main forte : les bassistes Billy Petersen et Max Darmon, les guitaristes Rodolphe Burger et Romain Roussoulière, l’harmoniciste Olivier Ker Ourio, les saxophonistes Rick Margitza et John Ellis, le trompettiste Michael Leonhart, le percussioniste Denis Benarrosh, le vibraphoniste Mike Mainieri et le joueur de steel drums Andy Narell. Pas vraiment des artistes de Blues qui, bien sûr, modifièrent un peu l’approche blues initiale de Ben Sidran. Swing impeccable, groove jazzy enchanteront vos oreilles. Il se dégage de cette musique un charme indéniable. Les chansons sont empreintes d’un humour désabusé. Elles abordent des sujets ancrés dans notre époque. Someday Baby est une ode à des jours meilleurs, Humanity une véritable complainte des temps présents. L’empire des profits démesurés est dans le collimateur de Ben Sidran quand il chante « Your cash ain’t nothing but trash » sur Rainmaker. L’humour caustique fait que jamais Ben Sidran ne sombre dans la déploration plaintive et larmoyante. Pas de pathos insupportable ! Ces paroles de Mose Allison pour Ever Since The World Ended, chanson reprise ici, résument la philosophie de ce disque remarquable : « Depuis que le monde a pris fin/Je ne sors plus aussi souvent (…) Ce n’est pas plus mal que le monde ait pris fin/De toute façon, ça ne marchait pas (…) Depuis que le monde est terminé/J’affronte l’avenir avec le sourire ». Ce cd instille en vous, grâce à son charme et sa délicatesse, un immense plaisir. – Gilbert Guyonnet


Amanda Fish

Kingdom

Vizztone Label Group VT-FF-03 – www.vizztone.com

À Kansas City, on connaît bien les sœurs Fish, Samantha et Amanda. Samantha s’est fait un nom dans le blues rock avec le succès de ses enregistrements depuis 2011. Moins connue, sa sœur ainée Amanda a déjà enregistré deux disques, « Down In The Dirt » en 2014 et « Free » en 2018. Ces deux albums ont été récompensés par des Blues Music Awards. Voici donc, après six années de silence, son troisième album studio, « Kingdom ». Elle cite comme influences R.L. Burnside et Nirvana ! Au plan vocal, elle est fan d’Etta James. Elle a écrit les dix titres du disque avec une forte influence dans les textes des méfaits de la pandémie Covid et de la corruption des gouvernements de son pays. Elle remonte même au comportement de la CIA pendant la guerre froide. L’écoute de ce disque nous plonge dans un excellent blues rock, sur fond de message très politique et engagé. – Robert Moutet


Jerry McCain
Featuring Chick Willis, Nappy Brown, The King Bees

Jerry McCain’s Blues Party

Wolf Records GBS 120.204 – www.wolfrec.com

Le label autrichien nous dévoile des enregistrements en provenance des archives du guitariste Rob Baskerville et de la bassiste Penny Zamagni, qui forment l’ossature de la formation The King Bees. Les différentes sessions studio et live furent enregistrées au début des années 90. C’est un vrai plaisir de retrouver l’harmoniciste Jerry McCain qui était également un sacré compositeur. Il est formidable sur ses titres comme I Used To Have It, Mama’s Pride ou encore l’excellent Burn The Crack House Down, alors que dans un registre très down home, les morceaux Hotrod Ford, Pretty Baby et I Got To Go Home sont somptueux. Sa composition fétiche datant de 1960, She’s Tough, qui assit définitivement sa réputation, est ici une fois encore irrésistible. Également présent, Chick Willis fait des étincelles sur les classiques Hello Central et Look On Yonder Wall, tandis que le célèbre Blues Shouter de Caroline du Nord Nappy Brown est, comme à son habitude, impérial sur la composition de Big Maceo, Worried Life Blues, ainsi que sur l’enlevé Who Told You. Voici un très bon album qui permet de retrouver le regretté Jerry McCain au sommet de son art. Les fans de l’interprète de 728 Texas (Where The Action is), seront comblés. – Jean-Luc Vabres


Albert Castiglia

Righteous Souls

Gulf Coast Records – www.gulfcoastrecords.net

Albert Castiglia est un guitariste, chanteur et auteur-compositeur de blues rock américain qui a remporté plusieurs Blues Music Awards. Il a publié deux enregistrements, « Masterpiece » et « I Got Love ». Mais, depuis deux ans, il est en tournée comme membre des Blood Brothers, le groupe du guitariste Mike Zito. Et c’est ce dernier qui encourage Albert Castiglia à enregistrer un nouvel album. Après de si longs mois sur les routes, Albert n’a pas eu le temps d’écrire de nouvelles chansons. Alors, Mike lui propose de faire un disque avec des invités prestigieux. Ainsi, onze titres sont gravés aux Greaseland Studios de San Jose en Californie. Il y a du beau monde pour les quatre titres qu’Albert a réussi à écrire, malgré un très court laps de temps. Pour Centerline, le premier titre, il y a Popa Chubby. Et pour les reprises choisies par Albert, il y a des compositions de Willie Dixon, Buddy Guy, Eric Clapton, Luther “Snake Boy” Johnson, et deux morceaux écrits par Amos Blakemore aka Junior Wells. Au fil des autres morceaux, on découvre Alabama Mike, Danielle Nicole, Joe Bonamassa, Jimmy Carpenter, Josh Smith et Monster Mike Welch. L’association du talent de Castiglia à la complicité de ce panel d’invités prestigieux donne avec ce « Righhteous Souls » un disque superbe qui pourrait sans problème être considéré comme le meilleur disque de blues rock de l’année. – Robert Moutet


The Nu Blu Band featuring Carlise Guy

A New Day

Delmark 884-8 (single) – www.delmark.com

Carlise Guy n’est autre que la fille du grand Buddy, l’icône du Blues. Son association avec le groupe Nu Blues comprend notamment Marcil Maddox à la guitare et Dan Henley à la batterie. La formation est plus qu’à son aise dans tous les styles comme le Blues, le R&B, mais aussi la Pop. La composition intitulée A New Day est une belle balade aux influences soul qui met parfaitement en évidence les belles qualités vocales de la chanteuse. Cette nouveauté digitale n’est qu’un début, un prochain album devrait nous faire découvrir les autres facettes musicales de cette artiste talentueuse. – Jean-Luc Vabres


Jamiah Rogers

Comin’ For Mine

Delmark 885-8 (single) – www.delmark.com

Jamiah Rogers fait partie des jeunes loups de la Windy City. Il est à la tête d’un groupe depuis ses seize ans. Il nous offre ici, pour cette sortie exclusivement digitale, une belle composition aux sonorités funky du meilleur effet. Il est accompagné par ses fidèles complices, à savoir Larry Williams à la basse et Tyvon “Tank” Rice à la batterie. Souhaitons que son arrivée chez Delmark lui donne l’occasion de publier un album à la hauteur de son talent qui est indéniable. – Jean-Luc Vabres


James Cotton

Rocks

Bear Family Records BCD 17651 – www.bear-family.fr

L’excellente série « Rocks » de la firme de disques allemande Bear Family s’enrichit d’un volume consacré au chanteur et harmoniciste James Cotton. Cette compilation contient vingt-sept titres enregistrés entre 1953 et 1968. Pour le confort d’écoute, l’ordre chronologique n’est pas respecté, comme c’est la coutume dans cette collection. James Cotton a forgé son jeu d’harmonica et son style à l’écoute des saxophonistes de Rhythm & Blues de son enfance et sous la tutelle du géant Sonny Boy Williamson (Rice Miller). Il était inévitable que le cd débutât par le premier titre gravé par James Cotton, à Memphis, le 7 décembre 1953 (Sun 199). James Cotton ne joue pas d’harmonica. Il chante uniquement sa composition originale My Baby avec le soutien du pianiste Billy ‘Red’ Love et du guitariste Pat Hare dont on reconnaît le son caractéristique. La face B de ce disque Sun 199, Straighten Up Baby, autre composition personnelle de Cotton, sans harmonica, bénéficie d’un remarquable solo rhythm & blues du saxophoniste Harvey Simmons. Des débuts prometteurs. La qualité grimpe avec la seconde et dernière séance Sun de Cotton. Toujours pas d’harmonica pour les deux chansons originales du Sun 206. Cotton Crop Blues et Hold In Your Arms, en compagnie de Mose Vinson, un des meilleurs pianistes de Blues, et du grand Pat Hare, sont superbes. Pourquoi Sam Phillips n’était-il pas intéressé par Cotton harmoniciste est une énigme. En effet, à cette même époque, Cotton jouait de l’harmonica dans la formation de Howlin’ Wolf. Il était déjà un des grands harmonicistes du Blues moderne avec un jeu profus et un souffle étonnant. En 1955, il est repéré par Muddy Waters de passage à Memphis. Il rejoint alors l’orchestre de Muddy Waters avec qui il restera presque douze années. Pas étonnant de trouver des chansons du catalogue Chess de Muddy Waters : She’s Got It, Short Dress Woman, I Won’t Go On, Meanest Woman, Elevate Me Mama, I Feel So Good et My Dog Can’t Bark , sélectionnées parmi diverses sessions de Muddy Waters avec un James Cotton impérial. Même si celui-ci avoue avoir apprécié son séjour au sein de l’orchestre de celui-là, il était démangé par l’envie de créer son propre orchestre. Muddy Waters semble avoir bridé l’inspiration de son harmoniciste. Le leader souhaitait que Cotton reproduisît les solos de Little Walter. Cette velléité d’indépendance commença probablement à le titiller quand, pendant l’été 1961, il débarqua seul en Angleterre à l’invitation de Chris Barber. Celui-ci obtint à James Cotton un contrat avec Columbia. Huit chansons enregistrées et deux EP’s publiés, véritables raretés. Il est bien agréable d’en découvrir Rock Me Mama avec Chris Barber au trombone et Alexis Corner à la guitare et l’instrumental Jimmy’s Jump nourri de réminiscences de Sonny Boy Willamson (Rice Miller), Little Walter et Walter Horton. James Cotton prit réellement son envol en 1965, quand Sam Charters lui offrit une séance d’enregistrements qui vit le jour sur l’album « Chicago/ The Blues Today ! Vol.2 » (Vanguard LP VRS 9217). Son harmonica sonne comme une section de saxophones sur Rocket 88. De cette même séance provient Love Me Or Leave Me. Cotton y est superbe aussi bien au chant qu’à l’harmonica. Quant à la relecture de Cotton Crop Blues, elle n’est pas inférieure à l’original de 1954. Otis Span (p), James ‘Pee Wee’ Madison (g) et S.P. Leary (d) sont au diapason de leur leader. James Cotton retrouvera Vanguard en 1968. De l’album « Cut You Loose ! » (Vanguard LP VSD79283) sont extraits Honest I do de Jimmy Reed et Next Time You See Me avec le guitariste Lonnie Brooks. Le premier disque solo de James Cotton, sorti en 1967, fut « The James Cotton Blues Band » (Verve Forecast LP FTS 3023). Don’t Start Me Talkin’ (Sonny Boy Williamson, Rice Miller), Feelin’ Good (Junior Parker), Off The Wall (Little Walter) et Oh, Why ? (I Need You So Bad) (Earl Forrest) sont un choix judicieux. L’année suivante, James Cotton collabora de nouveau avec Verve. Bear Family a choisi Lovin’ Cup de l’album « Pure Cotton » (Verve Forecast LP FTS 3038). Le son est plus moderne, conséquence de la participation de James Cotton à la scène rock de l’époque. Le musicien avait séduit ce nouveau public blanc et les hippies. Il avait été adopté par eux. Il partageait la scène avec Janis Joplin, The Greatful Dead, Led Zeppelin, Santana, Steve Miller, … N’oublions pas Rock Me Mama (All Night Long), chanté par Muddy Waters sans sa guitare et avec le pianiste Otis Spann, chanson enregistrée à New York en Février 1961 que l’on découvrit une trentaine d’années plus tard sur le cd « Muddy Waters/Memphis Slim – Chicago Masters Volume One » (Capitol CPD 8 29375). Si cette chanson est ici republiée, c’est dû au jeu exemplaire de James Cotton. Enfin, complète cette compilation Three Harp Boogie, probablement enregistrée en 1962/1963 à Chicago, qui provient du rare LP Roots LP TR 1005. C’est un boogie interprété par trois harmonicistes : James Cotton, bien sûr, qui chante aussi, Billy ‘Boy’ Arnold et Paul Butterfield et avec  le guitariste Elvin Bishop. L’excellent livret rédigé par Martin Hawkins, le son remarquable, le vrai travail d’orfèvre dans la sélection des titres, devraient vous inciter à acquérir ce disque, quel que soit le nombre de disques de James Cotton de votre discothèque ! – Gilbert Guyonnet     


Jimmy McCracklin
with The Original Blues Blasters

1945-1951 

Jasmine Records JASMCD3280 – https://jasmine-records.co.uk/

Le compilateur britannique nous offre un somptueux double album qui met en avant les débuts discographiques de celui qui allait devenir l’une des icones du Rhythm & Blues de la Côte Ouest. Jimmy McCracklin découvre adolescent la musique de Walter Davis qui était un ami de son beau-père. À seize ans, l’entraineur de Sugar Ray Robinson, Pop Slaughter, lui enseigne l’art de la boxe. Il remporte alors une bonne douzaine de combats. Durant la seconde guerre mondiale, il est appelé à servir dans la marine. À la fin du conflit, il est démobilisé en Californie, il s’installe alors dans la baie de San Francisco et prend la décision d’embrasser la carrière de chanteur. Peu confiant au départ dans ses talents de pianiste, il entre pour première en studio en 1945 aux côtés de J.D. Nicholson pour le compte du label Globe. Trois 78 tours voient le jour cette même année comprenant notamment Miss Mattie Left Me, Highway 101 ou encore Achin’ Heart. Avec sa première formation, la compagnie de John Fullbright édite les titres Rock And Rye et You Had Your Chance. Sa carrière est lancée. Les engagements dans les clubs de la baie de San Francisco s’enchainent, ainsi que les séances d’enregistrements pour les compagnies Cava-Tone, Trilon, Down Town, ou encore Modern Records et Swingtime. Au fil des sessions, deux grands guitaristes le rejoignent, Robert Kelton et Lafayette Thomas, excellents sur les compositions du pianiste au jeu maintenant affirmé et à la voix puissante immédiatement reconnaissable. Jasmine Records nous propose en tout 54 compositions superbes qui, telles de robustes fondations, allaient permettre à cet immense artiste de dérouler une formidable et longue carrière. Même si des titres risquent à l’évidence de doublonner avec de précédentes compilations, il sera toutefois difficile de faire l’impasse sur une telle production. – Jean-Luc Vabres


James Cleveland    

The King of Gospel
The
Early Years 1951-1962    

Frémeaux & Associés FA 5879 – www.fremeaux.com

Un double CD de 49 titres pour reprendre l’essentiel de la carrière de l’un des grands hommes du Gospel. Né à Chicago en 1931 et décédé en 1991, James Cleveland peut être considéré comme l’un des géants masculins de cette musique, à l’égal de Tom Dorsey ou Ira Tucker. Le texte de pochette signé Jean Buzelin vous dira tout ce qu’il faut savoir sur cet artiste, magnifique chanteur à la voix grave, pianiste inspiré et efficace et leader de toutes sortes de formations : des Meditation Singers de Ernestine Rundless et Della Reese, aux Roberta Martin Singers, en passant par les formidables Caravans d’Albertina Walker, The Voices of Tabernacle, The Gospel Chimes avec Jessy Dixon et Dorothy Norwood, puis des chorales importantes comportant plus de cent musiciens ; il a su tout faire avec maestria et a enregistré copieusement pour de nombreux labels : Apollo, Hob, Specialty, Gospel, Savoy. Sur l’album « Amazig Grace » d’Aretha Franklin, c’est lui qui dirige la Southern Californian Community Choir et qui accompagne Aretha au piano et chante avec elle sur Precious Memories. Sur ce double CD, beaucoup de titres sont de sa plume et aucun ne devrait décevoir les amateurs de Gospel. James Cleveland était pour nous tous un nom connu, mais assez mal représenté en CD, c’est donc une lacune importante qui est comblée : à ne pas laisser passer ! – Marin Poumérol


Various Artists

Didn’t I Blow Your Mind?
Thom Bell – The Sound of Philadelphia 1969-1983

Kent Soul CD Top 522 – www.acerecords.co.uk

Ace Records nous avait gratifié en 2020, avec « Ready Or Not », d’une première compilation consacrée aux productions soul de Thom Bell à Philadelphie dans les années 1960/1970. Avec ses arrangements de cordes et de cuivres sophistiqués, Thom Bell fut l’architecte – avec Gamble et Huff – de ce son luxuriant, caractéristique d’une certaine soul des seventies. Associé à Linda Creed, Thom Bell fut aussi un compositeur prolifique. Fidèle à sa démarche, Kent/Soul, dans ce CD de vingt chansons, mélange titres à succès (pour les Delfonics, les Spinners, les Stylistics) et interprétations moins répandues (Chargers, New York City, Ronnie Dyson, Little Anthony, Phyllis Hyman). L’éventail s’ouvre, enjambe le disco, pour élargir la sélection au début des années 1980. Comme il est de coutume lorsqu’un son nouveau (à succès) apparaît, des artistes d’horizons divers-rock, jazz ou variétés viennent y puiser un souffle nouveau pour leur carrière. Ainsi Nancy Wilson, Johnny Mathis, Dionne Warwick, ou Elton John dont les « Thom Bell Sessions » sont un must. Dee Dee Bridgewater n’y trouvera pas encore le succès qui sera le sien en France quelques années plus tard, mais y dévoile de belles promesses. Recommandé pour les amateurs de soul au sens large. – Dominique Lagarde


Sonny Terry  

Ride & Roll
The 1950s Singles Plus   

Jasmine Records JASMCD 3282https://jasmine-records.co.uk/

Voici un excellent CD qui nous rappelle à des valeurs essentielles. Sonny Terry est l’un des grands harmonicistes du Blues, mais il est aujourd’hui sous-estimé, car sa longue association avec le chanteur guitariste Brownie McGhee a produit beaucoup d’enregistrements routiniers et peu originaux. Terry avait débuté en 1938 en accompagnant le grand Blind Boy Fuller, puis en jouant avec le washboardiste Bull City Red alias George Washington en 1940. Ces enregistrements méritent d’être recherchés. Ici on démarre en 1950 avec des faces Capitol très swingantes, puis Gramercy et Red Robin. Brownie McGhee est déjà là et apporte tout son dynamisme et son impeccable jeu de guitare. Il y a des versions différentes de Sittin’ On Top Of The World et tout au long de ces faces, on rencontre de superbes musiciens : Mickey Baker sur les faces RCA de 1953, le pianiste Bob Gaddy, J.C. Burris en 1958. Tout cela sonne très rhythm’n’blues grande époque et même très rock’n’roll à la Bo Diddley : Uncle Bud ou Chicken Hop avec le chanteur Billy Bland. Les tempos sont variés et on ne s’ennuie pas une seconde ! Sans doute le meilleur disque de ce bon vieux Sonny Terry que l’on puisse trouver actuellement. – Marin Poumérol


Arthur “Big Boy” Crudup

My Baby Left Me… But That’s Allright
Rockin’ Rhythm & Blues 1943-1954 Plus

Jasmine Records JASMCD 3273 – https://jasmine-records.co.uk/

Variations sur le même thème … Il y a les artistes traditionnels et les artistes transitionnels. Arthur « Big Boy » Crudup fait partie de la deuxième catégorie. Considéré à juste titre comme l’un des pères du Rock’n Roll, fondateur d’un rythme dont le premier à se vernir les ongles avec se nomme Elvis Presley. Il sera suivi par tant d’autres qu’en faire une liste exhaustive ici ne servirait pas à grand-chose. Citons Clapton, BB King, Elton John, … Arthur Crudup nait le 24 août 1905 (où 1909 selon son dossier de sécurité sociale) à Union Grove, Forest dans le Mississippi. Il voyage avec sa famille dans le Sud et le Midwest à la poursuite d’engagements pour se nourrir, il va dans les églises où il s’initie au chant gospel (ses premières armes, il les fait avec les Harmonized Four du côté de Clarksdale) et trime à l’usine et à la cueillette du coton avec ses parents. Il apprend la guitare en autodidacte vers l’âge de trente ans, initié par un cousin musicien de string band nommé Malcom Banks qui lui offre sa première guitare sur laquelle se battaient deux pauvres cordes auxquelles il rajoute au fur et à mesure de ses avancées en la matière une corde à la fois (est-ce cette façon de faire qui lui donne ce rythme ?) tout en recevant des conseils d’un professeur de musique, George Lee (surnommé “Tutor” en raison de sa renommée en tant que prof de musique). Tout ça nous amène doucement au milieu des années 1930. Crudup (dont le sobriquet “Big Boy” lui vient de sa daronne qui à la vue de sa grande taille ne pouvait le nommer autrement), s’exerce dans les bals et les juke joints du coin en compagnie de locaux tels que les frères Odell, Robert Dees et d’autres un peu plus connus comme Sonny Boy Williamson (Rice Miller) ou Elmore James. Rêvant peut-être de gloire, Arthur “Big Boy” Crudup décide de monter à Chicago au début des années 1940 et traîne dans la rue pour quelques pourboires. Et là, les avis divergent dans une farandole de légendes aussi farfelues les unes que les autres, comme quoi ce serait Lester Melrose qui l’aurait trouvé sous un carton, tapant la manche et qui, après l’avoir entendu, décide de le graver pour la filiale de RCA, Bluebird. D’autres disent que c’est Tampa Red qui le repère dans un coin de rue avant de le présenter à Melrose. D’autres disent que c’est au cours d’une soirée musicale chez Tampa Red … D’autres encore disent … Mais arrêtons là les suppositions. Crudup grave ses deux premiers titres If I Get Lucky et Death Valley Blues en 1941 pour Bluebird, filiale de RCA Victor fondée en 1932 par Eli Oberstein. Si Death Valley Blues est un blues lent, If I Get Lucky, lui, pose les jalons d’une musique rythmée pour faire danser les travailleurs du samedi soir dans un juke, rythme qu’il ne lâchera plus, au point d’en faire des variations sur le même thème tout au long de sa vie. Car le « reproche » que l’on peut lui faire, c’est de n’avoir pas été si inventif, musicalement, que cela ! Alors qu’une écoute attentive nous démontre tous les champs du possible qu’un même morceau peut détenir et que ces variations sont loin d’être avariées. Le son unique sur lequel il pose une voix très expressive feront le bonheur des juke boxes et des acheteurs de disques qui se vendent comme des petits pains… Mais Crudup n’en profite pas malgré les rééditions et l’engouement des sorties spéciales pour les forces armées de la Seconde Guerre mondiale. Son blues échappe à tout ce que l’on entendait jusqu’alors. Il ne s’accroche ni aux standards du Mississippi, ni aux couleurs locales de Chicago. Il séduira son public avec sa voix de stentor et sa façon de se déhancher qui rappelle celle d’un petit blanc de Tupelo qui fera ses premières classes avec la reprise d’un That’s All Righ (Mama), façonnant pour l’Histoire une nouvelle façon de concevoir la rythmique dans une chanson. À ce moment, nous sommes en 1954, Crudup termine son association avec Melrose car il sent bien que cet homme ne lui rend pas la monnaie de son argent (on connait l’histoire du pauvre noir qui ne gagne pas un rond avec ses chansons quand d’autres s’enrichissent), Eisenhower a remplacé Truman à la présidence depuis peu, les Rosenberg passent sur la chaise électrique à Sing Sing et on chasse encore « le rouge » alors que Mc Carthy tombe enfin en désuétude… Crudup, ne voyant pas d’avenir dans la musique, descend en Virginie, à Franktown, bourgade paisible à deux cent kilomètres de Richmond où il travaille comme ouvrier agricole et s’enrichit de trois enfants. En 1962, Le producteur (noir) Bobby Robinson qui vient de Virginie, entend parler de l’homme qui reste dans l’ombre de la gloire et le convainc, avec l’aide d’Elmore James, de rallier New York pour une nouvelle session d’enregistrements qui resteront dans l’ombre eux aussi. Son premier album, « Mean Ol’ Frisco » (en 1962 sur Fury Records), qui réunit une douzaine d’anciens titres de la période Bluebird augmentés de trois titres nouveaux (Greyhound Bus, Look On Yonder Wall et Coal Black Mare) ne suffira pas à dépasser un succès d’estime, car Robinson manque cruellement de moyens pour promouvoir le disque. Trois ans plus tard, Fury et Fire seront revendus à Bell Records avant d’être lui-même « bouffé » par Arista qui se fera engloutir à son tour par Sony, le rouleau compresseur. À la fin des années 1960, Bob Koester, qui à enregistré Crudup (l’album Delmark « Look On Yonder’s Wall ») demande au promoteur, photographe et manager Dick Waterman de l’aider à faire entrer Crudup dans le circuit des festivals. Crudup commence à tourner aussi bien au pays que sur les scènes de festivals européens jusqu’à sa mort le 28 mars 1974 suite à un accident vasculaire cérébral. Nassawadox en Virginie lui ferme les yeux. Que retient-t-on de cet énergumène qui ne ressemblait à aucun de ses contemporains ? Un That’s All Right Mama transcendé par Elvis qui en fit ses lettres de noblesse. La version originale de Crudup est enregistrée le 6 septembre 1946 avec Ransom Knowling à la contrebasse et Judge Riley à la batterie. Ce titre est un morceau que Crudup construit petit à petit dès sa première session en 1941 avec If I Get Lucky dans laquelle il incorpore des paroles elles aussi changeantes. L’origine de ce morceau peut remonter à l’année 1929, quand Jimmy Rushing chante « That’s all right, Baby, that’s all right for you » sur Blue Devil Blues, son premier enregistrement vocal avec les Blue Devils de Walter Page. En 1926, Blind Lemon Jefferson chante déjà « That’s all right, mama, that’s all right for you » dans l’un de ses titres les plus populaires, That Black Snake Moan. Ce disque rassemble la même formule musicale et lyrique que Crudup développe depuis le début de sa carrière, mais le pousse à un niveau supérieur. Il s’agit de la première session sur laquelle il est accompagné à la fois d’un batteur et d’un bassiste. Crudup joue de la guitare électrique, comme c’est le cas depuis son deuxième enregistrement en 1942. Quelqu’un chez RCA Victor y croit suffisamment pour qu’en mars 1949, ce blues soit réédité à l’occasion d’une évolution technologique de sa création, le single 45 tours de 7 pouces, en attribuant une couleur spécifique pour chaque genre (bleu pour la pop, vert pour la country). Le tout premier vinyle orange vif, couleur choisie pour le Rhythm and Blues, est le classique de Crudup. Bien que cette réédition lui apporte une brève série de nouvelles diffusions dans quelques stations radio du Sud, le disque ne remporte pas davantage de succès… Jasmine, dans cette compilation, a réuni une grande partie de ses titres up-tempo qui rythmaient à l’époque les juke boxes. Ses variantes ne font pas exception et c’est tant mieux pour nous. Principalement piochés chez RCA/Bluebird, cette compilation visite aussi quelques titres posés chez Groove en 1954 (She’s Got No Hair), chez Champion Records en 1952 (My Baby Boogies All The Time sous le nom d’Arthur “Blues” Crump), chez Checker en 1952 (Open Your Book sous le nom d’un de ses fils, Percy Lee Crudup), ainsi que les deux titres qu’il reprend d’Elmore James chez Tumpet (Gonna Find My Baby et Make A Little Love). Une régalade ! – Patrick Derrien


Jimmy Baby Face Lewis    

Ridin’ With Jimmy    

Jasmine records JASMCD  3277 – https://jasmine-records.co.uk/

Ce Jimmy Lewis est un des plus oubliés des grands artistes du Rhythm’n’ Blues classique de 1947 à 1955. Chanteur et guitariste original, il fut meme surnommé “The Madman of the Guitar”. Son style le situe entre Guitar Slim pour l’attaque de la note et Clarence “Gatemouth” Brown, avec l’influence de T. Bone Walker. Il débute en mars 1947 chez Aladdin avec l’orchestre de Floyd Campbell, puis, après quelques faces Savoy et Manor, il atterrit chez Atlantic en 1949 pour l’essentiel de sa carrière. Il y est accompagné suivant les séances par Ernie Freeman (piano), René Hall (guitare), Joe Morris (trompette) pour une série d’excellentes faces jusqu’en 1955. Sur ce cd, nous avons l’intégrale de son œuvre plus trois faces dans lesquelles il accompagne Joe Morris, Lavern Baker à ses débuts dans le superbe How Can You Leave A Man Like This ? et le classique Hey Bartender de Floyd Dixon. En 1963, il est arrêté pour trafic de drogue et emprisonné. Il meurt en 1969 suite à une sombre affaire de crime, il n’avait alors que 37 ans. Cette réédition devrait faire le bonheur des collectionneurs et des vrais amateurs de Rhythm’n’ Blues. Il faut signaler qu’il y avait déjà eu une réédition semblable en 2002 sur le label espagnol Blue Moon (BM CD 6028). – Marin Poumérol


Washboard Sam

Diggin’ His Potatoes 1935-1953

Jasmine Records JASMCD3279 (2 CD set) – https://jasmine-records.co.uk/

Washboard Sam était le pseudonyme de Robert Clifford Brown, chanteur à la voix forte et grave, auteur-compositeur et joueur d’un instrument assez primitif, un washboard auquel il avait ajouté une sonnaille. À ses débuts, il grava des disques sous le nom de ‘Shufflin’ Sam’ et ‘Ham Gravy’. De 1935 à 1953, il enregistra cent soixante seize chansons pour diverses firmes de disques : Bluebird, Vocalion, Melotone, Perfect, Romeo, Conqueror, Decca, Montgomery Ward, Oriole, RCA Victor et Chess. Il fut un musicien de Blues très populaire auprès des Afro-américains. Sa carrière discographique est très liée à Big Bill Broonzy. Les deux hommes commencèrent à travailler ensemble vers 1932 à Chicago. Une collaboration fructueuse naquit alors à laquelle se joignirent, selon les séances d’enregistrement, le pionnier de la guitare électrique George Barnes, les pointures du piano que furent Black Bob, Memphis Slim, Joshua Altheimer et Roosevelt Sykes, les contre-bassistes Ransom Knowling et Willie Dixon. Sous la houlette de Lester Melrose, la musique produite était urbaine et sophistiquée, malgré les limites rhytmiques du frottoir de Washboard Sam. Celui-ci écrivit l’essentiel de son répertoire. Big Bill Broonzy lui fournit diverses chansons et nombreuses furent les reprises d’autres bluesmen. Parmi les titres les plus populaires qu’il enregistra, vous retrouverez Don’t Tear My Clothes (une composition de Big Bill Broonzy sur les dangers, pour les vêtements, d’une sexualité trop débridée), Back Door (une relecture du Back Door Blues de Casey Bill Weldon ; ici le livret est erroné qui donne Back Door Blues comme titre et le 11 novembre 1937 pour la date d’enregistrement alors que cela eut lieu le 4 mai 1937), Buckets Got A Hole In It (très inspirée d’une chanson homonyme de Clarence Williams),  Diggin’ My Potatoes (ou les déboires d’un mari trompé dont l’épouse va faire très souvent l’amour ailleurs… /« to dig potatoes » signifie faire l’amour, baiser / probablement le plus célèbre titre de Washboard Sam gravé en mai 1939 que le dernier mari de Memphis Minnie, Little So Joe (Ernest Lawlars), avait enregistré pour Vocalion en février 1939), Who Pumped The Wind In My Douhnut (dans lequel Washboard Sam se demande qui a pu engrosser son épouse)… Au milieu des années 1940, la musique de Washboard Sam, sous l’impulsion du pianiste Roosevelt Sykes, amorce une ébauche d’évolution vers le Blues : Good Old Cabbage Green (de Big Bill Broonzy et Champion Dupree), River Hip Mama (une relecture de River Hip Papa de Lil Johnson), Down South Woman, Ain’t That A Shame (reprise mot pour mot d’une composition de BroonzyYou May Need My Help Some Day – ARC, 1935), I Get The Blues At Bedtime (encore de Big Bill Broonzy, que jamais il n’enregistra). À partir de 1949, les goûts musicaux des Afro-américains changent. À Chicago, un nouveau type de Blues éclôt avec l’arrivée d’innombrables migrants venus du Sud, et l’avènement des guitares électriques. Il est devenu bien difficile pour un joueur de washboard de se faire entendre dans les bouges, la batterie est beaucoup plus adaptée aux nouvelles sonorités du Chicago blues. Washboard Sam disparait alors de la circulation. Il semblerait qu’en 1953 Leonard Chess reconnût Washboard Sam parmi les agents de sécurité du Medway Airport de Chicago. Ce qui permit une séance de qualité pour Chess dont Jasmine nous délivre seulement trois titres : une relecture de Diggin’ My Potatoes, Shirt Tail et Horse Shoe Over My Door. Malgré les encouragements de Willie Dixon et de Memphis Slim, Washboard Sam abandonna toute activité musicale en 1959. Pour votre gouverne, en 1964, il enregistra une chanson pour Victoria Spivey, épaulé par Blind John Davis et Homesick James. Cette même année 1964, il enregistra pour la radio nationale suédoise ; Jefferson publia ces chansons en CD en 2000. L’auteur du livret, Alfred Rhode, a lu le livre essentiel de Guido van Rijn, « The Chicago Blues of Washboard Sam » (Agram Blues Books) ; celui-ci démontre que Washboard Sam n’était pas le demi-frère de Big Bill Broonzy, invention de l’exceptionnel conteur qu’était Big Bill Broonzy dont toutes les affirmations sont à prendre avec des pincettes. Washboard Sam n’était pas né en Arkansas le 15 juillet 1910, mais à Jackson, Madison County, Tennesse, soit le 15 juillet 1903, selon sa carte de Sécurité Sociale, soit le 15 juillet 1904 selon son certificat de décès. Après un séjour à Memphis dans les années 1920 où il se produisit dans les rues avec Sleepy John Estes et Hammie Nixon, il gagna en 1926 Chicago à cause de la difficulté à trouver des engagements sur place. En outre, la légende semée par le peu fiable Broonzy d’un Washboard Sam policier est mise à mal. Il était veilleur de nuit intérimaire pour la Night Watch Company. Voici une excellente musique roborative pleine de joie de vivre qui peut vous paraître monotone en écoute continue. Je rappelle que les acheteurs afro-américains des 78 tours de Washboard Sam souhaitaient écouter la même chose de disque en disque. Si vous possédez l’intégrale en six cds de chez Document, vous passerez votre chemin. Je signale douze doublons avec le double cd Frémeaux et Associés CD FA 263 et trente-huit avec le triple cd Acrobat ACTRCD9038. Ce double cd est chaleureusement recommandé : excellent livet et sélection judicieuse des chansons. Il est impensable de n’avoir aucune compilation consacrée à Washboard Sam dans toute discothèque de Blues digne de ce nom.Gilbert Guyonnet


Jesse Allen

Rockin’ & Rollin’ in New-Orleans 1951-1958

Jasmine Records JASMCD 3297 – https://jasmine-records.co.uk/

Dans la galaxie des nombreux chanteurs de R’n’B de la Crescent City, Jesse Allen est certainement l’un des moins connus. Il a gravé une vingtaine de faces qui nous sont proposées sur ce CD. Il y avait bien eu un LP édité en France dans les années 1970 mais devenu ultra rare ! Né en Floride en 1925, il débute chez Aladdin en 1951, puis Coral et Bayou où il démontre qu’il est possesseur d’une voix solide et parfois agressive et d’un jeu de guitare original. En 1953, il est chez Imperial avec la chanteuse Audrey Walker et il montre qu’il est aussi un excellent bluesman, mais ce n’est qu’en 1954 qu’il atteint sa plénitude, accompagné par une véritable « dream team » : Lee Allen (sax), Red Tyler (sax baryton), Edward Frank (piano), Frank Fields (basse) et Earl Palmer (drums) ; ce qui se fait de mieux à N.O. !  Sittin’ And Wondering est une réponse au Lawdy Miss Clawdy  de Lloyd Price , Rockin’ and Rollin’ une magnifique reprise du tube de Lil Son Jackson et Goodbye Blues un blues de derrière les fagots avec un formidable solo de guitare. Il n’enregistrera plus par la suite mais continuera à jouer jusqu’à sa mort en 1976. Ce sera en tout cas une découverte majeure pour beaucoup d’amateurs. Marin Poumérol


George “Harmonica” Smith

Oopin’ California Blues 1954-1962

Jasmine Records JASMCD 3291 – https://jasmine-records.co.uk/

Il y a eu dans le milieu du Blues de grands harpistes qui furent des innovateurs et des influenceurs tel que les deux Sonny Boy Williamson, Little Walter et Walter Horton qui, à grands renforts de techniques incroyables d’amplifications et de jeux de bouche, surent se faire entendre dans le brouhaha des salles bruyantes et surchauffées d’un Chicago plein de promesses, comme dans les cabanes en bois du Sud… John Lee “Sonny Boy” Williamson peut être considéré comme le premier instigateur du style Chicago blues, utilisant son harmonica comme d’une seule note et comme un instrument à part entière. Rice Miller (le second Williamson, qui enregistra pour Trumpet et Chess), fut lui aussi un pionnier de l’instrument. Le grand Little Walter et Walter Horton peuvent eux aussi être fiers d’être de grands influenceurs. Little Walter, reconnu par tous comme « le roi de l’harmonica amplifié », avec une approche terriblement imaginative de l’impro doublée d’un auteur-compositeur hors pair, ainsi que le jeu plus massif mais néanmoins dynamique de Walter Horton bloquant avec sa langue certaines notes pour leur donner toute la fougue que l’on connaît, ont indéniablement leur place dans le panthéon des grands noms du Blues. Il en est un autre qui passe souvent entre les mailles du filet et dont on ne retient pas souvent le nom. Un des tout premiers à utiliser l’amplification sur son harmonica avec une technique de jeu chevauchant deux notes et jouant très légèrement derrière la rythmique pour lui insuffler une dynamique peu ordinaire mais efficace. Il utilisait la technique (de son invention) qui consistait à jouer deux notes à la fois mais à une octave d’intervalle, donnant au son de son harmonica chromatique des sonorités d’orgue cuivré. Jamais de superflu ou d’abondance. Un jeu simple et humble comme l’homme, qui laissait se dérouler la musique pour se placer là où il fallait être. Il a joué un rôle important, tout en restant modeste et discret, dans la « modernisation » de l’harmonica blues, le monde musical ne devrait jamais l’oublier. Allen George Smith pousse ses premiers cris en 1924 à Helena (Arkansas) mais grandit à Cairo (Illinois) et subit sa première influence par l’intermédiaire de sa mère qui lui colle un harmonica à la place d’une tétine vers l’âge de quatre ans. Adolescent, il joue le hobo et parcourt le Sud avec sa gamelle pour la manche. Il rencontre Early Woods avec qui il joue un peu de country, appuyé par Curtis Gouls aux cuillères. Il accompagne aussi un groupe de gospel dans le Mississippi, The Jackson Jubilee Singers. Vers 17 ans, il se pose à Rock Island (Illinois) et joue avec un groupe comprenant le batteur Francis Clay. Comme il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc, ce qui le nourrit à ce moment là est un job au Dixie Theater dans lequel il ramasse un vieux projecteur, en extrait l’amplificateur et le haut-parleur et se met à faire vibrer les murs de la ville. En 1949, il s’installe à Chicago et commence à bosser avec un jeunot du nom d’Otis Rush et avec les frères Myers. Il rencontre Little Walter qui avait joué avec Muddy Waters avant de se faire remplacer par Henry “Pot” Strong, poignardé par sa copine en 1954 et rendant son dernier soupir sur la banquette arrière de Muddy. La place est libre. Smith traîne quelque temps avec le groupe et use les planches du Zanzibar Lounge, mais ça ne dure pas. Peut-être gagnait-il mieux sa vie à l’Orchid Room de Kansas City dans lequel la musique swing avait plus de place que le blues électrifié du Delta ? C’est à ce moment là qu’il enregistre son premier disque, accompagnant Otis Spann en 1954 sur It Must Have Been The Devil (Checker). En 1955, Joe Bihari, à la recherche de nouvelles têtes, le découvre et enregistre sur Modern les deux titres qui colleront à la peau de George Smith comme une chemise trempée de sueur à la sortie d’un concert. Telephone Blues et Blues In The Dark restent les deux faces de sa carte de visite. Ce dernier, joué sur chromatique et amplifié d’une manière « grasse », touche le swamp du bout des lèvres, quand Telephone Blues se joue sur un diatonique, lui donnant ce trémolo caractéristique du jeu de George Smith ; tous deux gravés sur RPM, la filiale de Modern et enregistrés sous le nom de “Little George” Smith. Prendre différents patronymes pour ses enregistrements ne lui sera pas bénéfique car, à aucun moment, il n’arrivera à se « faire un nom » sous son identité propre. Les deux disques marchent bien et le boss d’Orchids Room, Marty Graham, lui organise une tournée Universal Attractions avec Champion Jack Dupree et Little Willie John. Ils se posent quelque temps du côté de Cincinnati en 1955 pour une session d’enregistrements avec Dupree en tant que sideman (So Sorry, So Sorry, Sharp Harp sont des titres puissants). Puis Los Angeles qu’il ne quittera plus. C’est durant la tournée organisée par Marty Graham que George Smith découvre la ville au doux climat, une communauté importante d’Afro-américains et le port d’attache de son label. Il y enregistre Cross-Eyed Suzie Lee et Down In New Orleans (Hey Mr Porter) accompagné d’une section de cuivres du plus bel effet, teintant sa musique de la couleur du Rhythm’n Blues qui prenait alors beaucoup de place dans les juke boxes, comme le Rock qui remplissait de plus en plus les tiroirs caisses des labels. Smith est gentiment mis au placard. Il en profite pour travailler avec tous les labels qui voulaient bien de lui : J&M, Sotoplay, Carolyn, Melker, … Utilisant ses fameux patronymes comme ‘The Harmonica King’, ‘Little Walter Jr’, ‘George Allen’, … Ce qui ne lui facilitera pas la tâche pour une reconnaissance (Rod Piazza, avec qui il formera le Southside Blue Band, pensait qu’il allait voir Big Walter Horton la première fois qu’il a rencontré Smith…). En 1960, George Smith fait la connaissance du producteur Nat McCoy, propriétaire des labels Sotoplay et Carolyn pour lesquels il enregistre une bonne dizaine de titres sous le nom de ‘George Allen’. Après ces enregistrements soutenus notamment par Jimmy Nolen à la guitare (Sometimes You Win When You Loose est un titre que n’aurait certainement pas renié un Jimmy Johnson quand il chantait Now Looking Back sur Magnum Records, ou encore un certain Leaving Mississippi par Cléo Page pour Las Vegas Records), il forme son propre trio avec Al Calloway au piano et Wayne Stock à la batterie, accompagnant souvent Big Mama Thornton sur scène. Smith retrouve Muddy Waters pour la deuxième fois, après le départ de James Cotton quand il est retourné à Chicago, mais cette phase de sa carrière – comme sa première avec Muddy – n’a duré qu’un an environ – mais assez longtemps pour que Smith enregistre avec le groupe de Muddy pour le label de Victoria Spivey. Il jouera également derrière Otis Spann sur un set live que Bob Thiele a enregistré pour Bluesway en 1966. Peu de temps après, Smith retourne dans sa famille à Los Angeles, mais lui et Muddy restent en bons termes et, lorsque Little Walter meurt en 1968, Smith fait appel au groupe de Muddy pour le soutenir sur « A Tribute To Little Walter » sur World Pacific Records. Cette compilation, qui retrace ces enregistrements de 1954 à 1962, est une tentative réussie de réunir ces premiers enregistrements sus-cités, mais aussi tout son travail ou en partie, de sessions sous différents noms. Influent et pionnier d’un jeu qui savait adroitement métisser le swing de Kansas City au blues de Chicago et dans lequel des réminiscences d’un swamp bien gras mais pas lourd du tout, il reste néanmoins largement méconnu du grand public. Souhaitons que cette compilation répare un peu le vide qu’il laisse quand l’album se finit. Allen George Smith est décédé le 2 octobre 1983 à Los Angeles. – Patrick Derrien


Gene and Eunice   

This Is Our Story     

Jasmine Records JASMCD 3268 – https://jasmine-records.co.uk/

Du milieu des années 1050 au début des années 1960, dans le monde du Rhythm’n Blues et de la variété, les duos homme/ femme furent immensément populaires. Les plus connus furent sans doute Shirley and Lee from NewOrleans, Mickey and Sylvia (Baker), Charlie and Inez (Foxx), puis, plus tard, Marvin Gaye et Tammy Terrell et quelques autres encore. Eugene Wilson et Eunice Russ, nés en 1931 au Texas, se produisaient en Californie et se firent remarquer par Jake Porter qui leur fit enregistrer Ko Ko Mo sur son label Combo en 1954. Ce fut un succès. Ils firent une jolie carrière jusqu’en 1961 sans jamais entrer dans les hit parades. Leurs disques Aladdin et Case rendent bien compte de leurs qualités : du bon vieux R’n’B bien swingant avec d’excellents musiciens, dont la plupart du temps les membres de l’orchestre de Johnny Otis. Ils se retirèrent à la fin des années 1960, heureux d’être surnommés “The Sweethearts of Rhythm’n Blues”. – Marin Poumérol


Muddy Waters 

Aristocrat Of The Blues 1941-1950 

Jasmine Records JASMCD3283 – https://jasmine-records.co.uk/

McKinley Morganfield quitta la plantation Stovall de Clarksdale, Mississippi, en 1943. Direction Chicago où il devint “Muddy Waters”. Il avait déjà été enregistré chez lui par Alan Lomax en août 1941 et juillet 1942. En « Bonus Tracks », en fin de cd, Jasmine republie les deux premières chansons gravées par Muddy Waters, I Be’s Troubled et Country Blues. La Bibliothèque du Congrès les avait publiées sous la forme d’un 78 Tours dans une anthologie baptisée « Afro American Blues and Game Songs ». Une fois installé dans la Windy City, il attendit presque trois ans pour enregistrer son premier disque commercial. Il grava, en 1946, Mean Red Spider qui apparut en face B d’un 78 Tours attribué à James ‘Sweet Lucy’ Carter and His Orchestra (20th Century 20-51). Cette production de J. Mayo Williams fut un échec tel, que celui-ci se désintéressa de Muddy Waters. L’écoute de cette première version de Mean Red Spider est fort agréable, même si l’on est encore loin de ce qui va arriver. Lester Melrose s’intéressa alors à Muddy Waters. Il lui fit graver trois chansons dans le style typique ‘Bluebird Beat’. La firme de disques Columbia ne les trouva pas très originales et les archiva. Elles ne virent le jour que bien des années plus tard et ne sont pas sur ce cd. L’été 1947, les frères Leonard et Phil Chess, patrons d’un club à Chicago, prirent des parts d’un label créé par Charles et Evelyn Aron, Aristocrat. Ils en devinrent propriétaires en 1948. En août 1947 commençait la collaboration entre celui qui s’appelait encore McKinley Morganfield et les frères Chess. Ces derniers venaient de découvrir celui qui allait devenir un des plus grands artistes de Blues. Muddy Waters avait bénéficié d’un petit coup de pouce : le pianiste Sunnyland Slim (Albert Luandrew) l’avait recommandé aux frères Chess. Jasmine Records propose l’intégrale Aristocrat de Muddy Waters, vingt-cinq chansons gravées entre l’été 1947 et février 1950, quand Aristocrat devint Chess. Deux premières séances avec une petite formation composée du pianiste Sunnyland Slim, du contre-bassiste Ernst ‘Big’ Crawford et d’un batteur inconnu accouchèrent de quatre titres dont Gypsy Woman qui rencontra un important succès d’estime. Ainsi, les frères Chess poursuivirent-t-ils leur collaboration avec Muddy Waters. Ils le firent enregistrer avec le seul soutien d’Ernst ‘Big’ Crawford. I Can’t Be Satisfied et I Feel Like Going Home, magnifiques relectures respectivement de I Be’s Troubled et Country Blues, remportèrent immédiatement un immense succès à Chicago, puis sur le plan national. Pendant cette période Aristocrat, les frères Chess imposèrent à Muddy Waters la même formule musicale – succès oblige – avec parfois l’adjonction du guitariste Leroy Foster, des pianistes Sunnyland Slim et Little Johnny Jones. La musique est superbe. Quelques exemples : Sittin’ Here And Drinkin’, You’re Gonna Miss Me (When I’m Dead And Gone, Mean Red Spider (il est intéressant de comparer les deux versions présentes sur ce cd), Hard Days et Rollin’ And Tumblin’ (Part1 and 2). Mais ce n’est pas la musique que Muddy Waters souhaitait enregistrer. Il se produisait dans les petits clubs de Chicago avec un pianiste, un second guitariste, un bassiste, batteur et un harmoniciste. Grâce à un stratagème que je vous laisse découvrir en lisant l’excellent livret rédigé par Tony Rounce, Muddy Waters obtint gain de cause et put enregistrer pour Chess selon son vœu. Musique indispensable à tous les amateurs de Blues. – Gilbert Guyonnet


Ike Cole  

I’d Know You Anywhere    

Jasmine Records JASM CD 2815 – https://jasmine-records.co.uk/

Dans la famille Cole, voici maintenant Ike. Tout le monde connait Nat “King” Cole, superstar incontestée, mais ses trois frères enregistrèrent également dans des styles semblables. Eddie, l’aîné, a récemment eu son CD Jasmine 2765 avec sa femme Betty. Ike, lui, né en 1927, connut une carrière beaucoup moins glorieuse, mais se produisit beaucoup à Las Vegas et à la télévision dans des shows avec Dean Martin ou Andy Williams. Il enregistra plusieurs albums et on retrouve beaucoup de reprises de classiques et de tubes de variété. Un crooner, de qualité sans doute, mais sans grande originalité et une musique plaisante mais vite oubliée.Marin Poumérol


Various Artists

Walkin’ to New Orleans
An Aural Accompaniment   

Jasmine Records JASMCD3300 (2 CD) – https://jasmine-records.co.uk/

Un double CD de 65 titres pour féter le 50e anniversaire du livre de John Broven, « Walkin’ to New Orleans », qui fut en son temps une révélation et une œuvre majeure (si vous ne l’avez pas, recherchez-le sans délai !). Le compilateur a sélectionné des titres mythiques de cette musique, mais en essayant d’éviter les plus connus. Malgré tout, on démarre avec Fats Domino dans l’obligatoire Walkin’ to New Orleans, hymne à cette ville. Fats est représenté par cinq titres, puis Earl King et Huey Smith par trois titres, Eddie Bo, Roy Brown, Smiley Lewis et Tommy Ridgley ont deux titres chacun. En vrac, on trouve des prestations de Sugar Boy Crawford, Archibald, Bobby Charles, Lee Dorsey, Paul Gayten, Chris Kenner, Jessie Hill, Irma Thomas, Bobby Marchan, Aaron et Art Neville, Lloyd Price, Little Richard, Shirley and Lee, Amos Milburn et bien d’autres. Sur le deuxième CD, le compilateur a choisi des morceaux moins connus et plus rares pour éviter les doublons. De toute façon, tout est de premier ordre et l’écoute de toutes ces perles est un plaisir continu. Allez, marchons vers New Orleans, même si on doit user plusieurs paires de chaussures, comme le suggère Fats Domino… – Marin Poumérol


Miles Davis

Simply

Union Square Music Ltd – year 2014

Je ne suis pas un fan des compilations, loin de là, mais pour une fois, ce luxueux coffret qui était très difficile à trouver en Europe lors de sa sortie, devient extrêmement simple à trouver et à des prix en général en dessous de 10$. C’est le label anglais Union Square Music qui est à l’origine de cet exploit : réunir les meilleurs titres de la période Bebop de Miles Davis, allant de 1947 aux années 1960. C’est probablement la période le plus prolifique de Miles, celle qui lui a permis de se faire connaitre dans le monde entier et durant laquelle il aura marqué profondément Paris, au point de susciter de très nombreuses vocations, amant de quelques belles et désirables chanteuses ou actrices françaises de l’époque et fuyant – au dire de ses propos dans les quelques livres qu’il aura écrits – un racisme profond qui était enraciné dans l’Histoire américaine. Je me demande ce que Miles penserait de la France d’aujourd’hui. Sur le premier CD de cette trilogie… So What dans sa version originale, parfaitement nettoyée et numérisée, nous offre un son tel que l’on peut sentir la présence du trompettiste près de soi, presque comme si l’on voulait nous forcer a adorer l’artiste, c’est sa version de Around Midnight, vibrante dans le bleu de la nuit, Summertime, trébuche sur la troisième piste pour nous asséner un coup fatal avec Millestone dans sa version de 1958, qui fera la bande du film australien « Dingo » dans lequel le héros est Miles Davis qui fascine un petit garçon hanté par son jazz. Lorsque l’on réécoute ce titre, on peut comprendre tout Miles Davis, c’est sans doute celui qui le représente le mieux, profond, réfléchi, héritier lui-même d’aînés prestigieux dont il n’a fait que pousser à leur reconnaissance. Le second album offre des titres plus orchestraux, ouvrant – et ce n’est pas un hasard – par The Duke, petit nom qu’utilisaient certains musiciens pour parler de Miles devenu aujourd’hui une légende interculturelle dans laquelle nous sommes nombreux à nous reconnaître. Passant de cette période Bebop où les notes fusaient parfois même excessivement avec une autre période qui va du début des années 1970 a la fin de sa carrière durant laquelle Miles allait à l’essentiel avec une économie de notes, tentant à chaque fois de viser juste, sur ce second CD, le titre qui m’impressionne le plus est probablement Pan Piper qui offre une forme cinétique dans l’interprétation. Ce sdeuxième CD se fonde sur diverses expérimentations de l’artiste et donne le ton de ce qu’il deviendra artistiquement des années plus tard. Le troisième CD est plus thématique, ouvrant sur All Blues, un de ces titres devenu rapidement un succès que tout le monde ou presque a en tête grâce à la section rythmique répétitive, un délicieux In Your Own Seet Way précède le fameux Miles Ahead, on se met à rêver, car le choix des titres de ces trois albums est celui d’un parfait connaisseur. Ce troisième album se termine sur Blue In Green, impossible de trouver une plus belle fin à cette trilogie, Miles fouillant les notes, improvisant dans le creux des silences, oui, pour une compilation, c’est une belle réussite à laquelle il est bien difficile de résister et dans laquelle le travail technique de numérisation a été particulièrement soigné. Un parfum d’indispensable… – Thierry De Clemensat


Various Artists

Macadam Farmer
Tainted Love      

Frémeaux & Associés FA 8610 – www.fremeaux.com

Ouh la ! Que voilà un disque pas simple à chroniquer ! Un disque qui se veut complétement country fait par des musiciens français en hommage à des musiciens inconnus pour moi : Cindy Lauper, Depeche Mode, Yes, Genesis, avec une saveur qui fleure bon les bayous ! (texte de pochette). Non, pas d’accord : les bayous c’est pas ça ; c’est Clifton Chenier, Lazy Lester, Nathan Williams et les autres. Mais bon, passé ces remarques, la musique est sympa avec washboard, soubasophone, banjo, guimbarde, mandoline et bruitages divers. Vous pouvez les rejoindre, avec bottes de foin et vieille grange de circonstance, sur YouTube ! – Marin Poumérol


I Believe in You
The Incredible Journey of
R&B Legend Johnnie Taylor

Par Gregory M. Hasty avec T.J. Hooker Taylor

Archway Publishing

La vie du formidable chanteur Johnnie Taylor fut intense et tumultueuse. Le Texan Gregory M. Hasty – avec la collaboration de T.J. Hooker Taylor, l’un des fils de l’artiste – détaillent avec précision toutes les étapes qui ont marqué la carrière de l’interprète du désormais classique Who’s Making Love. De sa naissance à Crawfordsville dans l’Arkansas jusqu’à sa respectable propriété dans un quartier résidentiel de Dallas, l’auteur nous dévoile les faits marquants professionnels comme familiaux qui ont jalonné sa vie. Tout commence dès son plus jeune âge, sa superbe voix lui ouvre les portes de nombreuses congrégations locales dans lesquelles il se produit. Au fil des pages, nous le suivons à Kansas City, puis il emménage à Chicago puis, quelque temps plus tard, met le cap sur la Californie, pour finalement s’établir définitivement à Dallas. Très vite remarqué grâce à ses qualités vocales, il gravira tous les échelons pour rejoindre l’une des formations les plus huppées du répertoire sacré, les fameux Soul Stirrers. L’auteur, avec beaucoup d’acuité, évoque sa vie sur la Côte Ouest, son amitié avec Sam Cooke et son choix, comme ce dernier, d’aborder le répertoire profane. L’ouvrage fourmille de détails et d’anecdotes, à l’image de celle de son absence du méga concert Wattstax le 20 août 1972 ; en fait, tous les artistes qui étaient programmés avant son passage avaient pris du retard. Pour terminer dans les temps avec Isaac Hayes, il fallut passer entre autres à la trappe Johnnie Taylor et Little Milton ! Voilà pour l’explication des organisateurs… Gregg Hasty nous propose une autre version, expliquant que Taylor refusa de passer sur scène avant le créateur de la bande originale du film Shaft qui était alors au firmament de sa gloire. Au sujet de cette non-participation à l’événement, il déclara, quelque temps plus tard à Rodgers Redding, le frère d’Otis : « Depuis que ton frère est décédé, il n’y a qu’à deux personnes à qui j’aurais laissé le soin de conclure Wattstax, ce sont Aretha Franklin et Bobby Bland ». Greg Hasty évoque également le côté obscur de l’artiste, notamment ses addictions. Alors qu’il était en vacances au Bahamas, il fit trois mois de prison pour détention de drogue, d’un révolver et d’un poing américain. Ses relations avec la gent féminine furent plus que complexes, notamment en Californie, en marge de la loi. Bien des années plus tard, ses nombreux enfants – reconnus ou non – se déchirèrent à coup de tests ADN pour le partage de ses biens. Nous suivons également ses différentes étapes musicales d’où résultent ses formidables enregistrements, mais aussi ses relations professionnelles avec entre autres les labels CBS, Stax, Malaco ou encore SAR Records. Au fil des pages, nous partageons aussi sa vie à Dallas aux côtés de ses amis proches qu’étaient Ernie Johnson, Bobby Patterson ou encore Gregg A. Smith, qui assuraient très souvent sa première partie dans les grands clubs de la ville. Même accédant au statut de star au début des années 1980, Johnnie Taylor, même connu, rencontra le racisme. Il choisit, au fait de sa gloire, de s’installer dans un quartier huppé caucasien de Dallas ; l’imposante demeure qu’il avait achetée imposait le respect, au grand dam de ses voisins. Un jour, alors qu’il était en train de tondre sa pelouse, une voiture s’arrêta devant chez lui ; son conducteur lui demanda alors si, lorsqu’il aurait fini son travail, il pourrait également venir chez lui s’occuper de son jardin qui en avait besoin, pensant s’adresser au jardinier de la vaste propriété ! Johnnie Taylor lui répondit alors très calmement : « Quand j’aurai fini de tondre MA pelouse, je viendrai pourquoi pas éventuellement faire la vôtre ! ». S’apercevant de sa gaffe monumentale, l’automobiliste bâtit piteusement en retraite. Ce livre passionnant est un régal de bout en bout. Il ravira les nombreux fans, mais aussi ceux qui veulent faire plus ample connaissance avec cet artiste qui nous a laissé un immense héritage musical. Vivement recommandé. – Jean-Luc Vabres


 

1 Trackback / Pingback

  1. Chronique nouvel album "Seven" - ABS Magazine - Stéphane Colin - Des sons hypnotiques qui mèlent musique traditionnelle du centre de la France et blues

Les commentaires sont fermés.