Édito #82

MARCO GLOMEAU
Marc Glomeau. Photo © Yann Cabello

La vie est parsemée de plaies dont certaines ne cicatriseront pas. Le décès de Marc “Marco” Glomeau en fait partie. Il y a bien des années, je rencontrai ce « personnage » à la sortie d’un concert de blues à Clermont. La conversation qui s’ensuivit à l’extérieur de la salle de spectacles reste, pour moi, inoubliable. Malgré le froid ambiant et l’heure tardive de la nuit, Marco enchaîna histoires, récits de rencontres avec un don d’imitateur irrésistible, réflexions sur la musique en général, le blues et son petit monde en particulier, avec un œil avisé, une intelligence rare, une culture forçant le respect et surtout, surtout, énormément d’humour et de recul. Passionné de latin jazz mais s’intéressant à toutes les musiques, musicien reconnu (percussions, batterie, claviers), compositeur, arrangeur (Black Chantilly, Huggy le bon Trio, Mère Grand and the Sound Avengers, …), ses collaborations furent également multiples (Marlon Simon, Arthur H, Stephan Rizon, Denis Clavaizolles, …). Son rapport à la note bleue ces dernières années, il le vécut en lien avec sa compagne, la musicienne Laetitia “Tia” Gouttebel et avec leur ami « vielleux » Gilles Chabenat via l’expérience Hypnotic Wheels puis, à partir de 2017, Muddy Gurdy, mariant merveilleusement blues et musique traditionnelle auvergnate. Les rencontres avec les musiciens locaux lors de leur voyage dans le Mississippi (cf. ABS Magazine n°56) l’avaient profondément marqué, lui qui aimait les choses « simples et vraies ». Leur album « The Muddy Gurdy Mississippi Project », enregistré dans le North Mississippi Hill County et le Delta avec les descendants de bluesmen emblématiques de la région : Cedric Burnside, Sharde Thomas, Cameron Kimbrough et Pat Thomas, rencontra un vif succès. Le sociologue, chercheur et journaliste Scott Barretta dit de cette aventure aux musiciens : « Ce qui rend votre projet unique, c’est que vous n’êtes pas venus ici juste pour “prendre”, mais pour donner et partager, en amenant un élément de votre culture. » Muddy Gurdy se produisit dès lors sur les plus belles scènes des festivals européens. L’aventure continua en Auvergne, dans le même esprit, avec le superbe « Homecoming » enregistré en 2020 et paru en 2021 ; entendre Marco en parler est plus qu’émouvant. Un projet de disque à Lafayette et La Nouvelle-Orléans était dans les tuyaux ; après un premier repérage, Tia, Marco et Gilles devaient aller y enregistrer en avril dernier. Mais la maladie, sournoise et obstinée, qui s’était invitée dans cette belle histoire, n’a pas permis ce voyage. Marco vivait le mal comme les traitements avec un apparent détachement, un humour second degré permanent même avec les oncologues, visant sans cesse à préserver les siens contre vents et marées, ne se plaignant jamais de rien. Il alla donner son ultime concert le 31 mars au festival de Salaise dans des conditions que je sais plus que difficiles, avec la même dignité, la même envie. Ma qualité de médecin a participé au fait que nous nous soyons de plus en plus parlé, rapprochés ces deux dernières années, et ce jusqu’au bout. Après les maux du quotidien évoqués « juste ce qu’il fallait », la musique était toujours au cœur de nos discussions et son enthousiasme intact. Il avait même souhaité participer au numéro 81 d’ABS en chroniquant le disque « Cubanismo ». Il s’est éteint le 14 avril à la mi-journée. Il faisait sombre et terriblement froid ce jour-là sur le chemin de l’hôpital. Aujourd’hui j’essaie, à chaque fois que je pense à lui, pour ne pas chialer, de me remémorer tous ces bons moments passés ensemble à la maison, comme cette rencontre avec Jean-Pierre Urbain et leur discussion passionnée sur le blues et les gens du Mississippi avant-même le projet Muddy Gurdy, cette soirée festive et cette dégustation de vins en compagnie de Kenny Brown et Sharde Thomas jusqu’à pas d’heure, sa gourmandise pour le gombo cuisiné par mon épouse Rachel, mais aussi ce formidable concert (parmi tant d’autres) à la Comédie de Clermont organisé par Arvern’ Blues Concerts qui me tira les larmes, ces fous rires lors de nos discussions parfois interminables, sa façon désopilante à chaque fois au téléphone de me dire « Allo, Bénédit ? » en imitant notre ami Stéphane Colin et son accent du sud ouest… Marco ne s’est préoccupé que de faire de la bonne musique et de rendre heureux les gens qu’il aimait. Sa pudeur l’empêchait souvent de dire les choses de manière crue, mais la joie que lui procurait son fils Nola, l’admiration et l’amour qu’il avait pour Tia étaient omniprésents, entre les lignes, dans ses propos. Nous pensons très fort à eux, le vide qu’il laisse est abyssal. Je l’aimais et je l’admirais. J’ai eu la chance d’être son ami. Il nous manque terriblement. Ce numéro d’ABS est pour lui.

Marc Glomeau
De gauche à droite : Marc “Marco” Glomeau, Laetitia “Tia” Gouttebel, Pierre Bianchi (l’ami ingénieur du son) et Gilles Chabenat. Photo DR (courtesy of Muddy Gurdy).

Dans ce numéro 82 d’ABS Magazine, en couv, nombre d’entre vous découvriront un jeune musicien très talentueux mais – une fois n’est pas coutume – qui n’a pas encore enregistré d’album. Jean-Luc Vabres et Gilbert Guyonnet sont littéralement tombés sous le charme de cet artiste lors du Eastside Kings Festival, en septembre 2022 à Austin, Texas. Eddie Stout leur en avait dit le plus grand bien. Ses prestations devant le public texan confirmèrent les dires du boss de Dialtone Records. Avec Sean “Mack” McDonald, on a affaire à une véritable pépite. Tout juste diplômé de la Middle Tennessee State University, il peut dorénavant se consacrer totalement à son art : la musique. Il chante bien, joue merveilleusement de la guitare, totalement dans l’esprit et le respect de ses aînés. Il a gentiment accepté un entretien afin de faire mieux connaissance. Il sera notamment sur la scène du Blues Festival de Lucerne en novembre prochain. À ne pas manquer. 

Chris Strachwitz vient de nous quitter (1931-2023) ; créateur et patron d’Arhoolie Records, il a toute sa vie – à l’instar d’un Bob Koester à Chicago – contribué à faire vivre ce label indépendant et ainsi façonner tout un pan de la musique américaine du XXe siècle et du début du XXIe. Hommage lui est ici rendu par Gilbert Guyonnet. Marin Poumérol évoque ensuite dans « Blues and Jazz ? ou… Jazz and Blues ? » des trésors du Blues que l’on peut retrouver chez les jazzmen. Votre serviteur met un coup de projecteur sur le Musée Européen du Blues, via un entretien avec son fondateur, Jacques Garcia. Enfin, Stéphane Colin parle d’un « tatouage au fond du cœur », évoquant Harry Belafonte et le formidable double album « Aide-mémoire » que vient de publier Geraint Watkins ; tout en poésie, en pensant fort à Marco Glomeau…

Les chroniques de disques sont nombreuses, les nouveautés très intéressantes, à l’image des sorties Little Village Foundation d’Alabama Mike et D.K. Harrell, mais aussi les albums de Selwyn Birchwood, William Bell, Ivan Neville, Boo Boo Davis, Bob Corritore (par ne citer qu’eux) qui semblent, en ce printemps, s’être donné le mot pour nous faire plaisir. Les rééditions ne sont pas en reste, que ce soit cher Narro Way/Gospel Friend, Jasmine, Ace, JSP ou Wolf Records. À vos platines (ou plateformes…) !

Marcel Bénédit