Robert Finley

Robert Finley, Blues Rules Festival, Blues Rules Festival, Crissier, Suisse, juin 2022. Photo © Marcel Bénédit

Un homme modeste

• Grâce à Thomas Lecuyer, Vincent Delsupexhe et mon hôte lausannois – l’harmoniciste Jicé Gretener –, je fus manutentionnaire bénévole lors du dernier festival Blues Rules de Crissier en Suisse ! Cela m’a ouvert les portes du « lounge » du festival où artistes et bénévoles se retrouvaient. Le vendredi 10 juin après-midi, je demandai à Robert Finley – accompagné de sa fille, Christy Johnson –, s’il acceptait une interview. Accord immédiat. Rendez-vous le lendemain après le déjeuner. Le soir, Robert Finley donnait un remarquable concert…

Samedi 11 juin 2022, en début d’après-midi, Christy Johnson me confie son aveugle de père, chemise bleu marine à rayures rouges, chapeau vissé sur la tête. Elle me demande combien de temps durera l’interview. Je suis bien sûr incapable de lui répondre. Elle me met en garde : « Il est intarissable. Mais essayez de le garder un quart d’heure, le temps que je passe par le stand massage ». Quand elle revient, Robert Finley et votre serviteur devisent encore.

Robert Finley, Blues Rules Festival, Crissier, Suisse, juin 2022. Photo © Marcel Bénédit

Souvenirs d’Europe…

Mes premiers mots sont : « Êtes-vous heureux d’être en Europe ? »
• « Oui, oui, heureux d’être de retour en Europe. J’y ai séjourné dans les années 70. Je m’étais engagé dans l’armée américaine. Je connaissais bien ‘ein schnitzel (une escalope), ein bier’. Revenir ici en tant qu’artiste et chanteur, c’est un vrai bonheur. C’était mon activité dans les années 70. J’ai été dans un orchestre militaire de 1970 à 1975. Quand je suis arrivé en Europe, c’était un vendredi soir, le sergent qui m’accueillit me donna les consignes pour le lundi matin suivant, avant de m’installer. Un soldat me conduisit à mon casernement. Là, je croisai d’autres soldats et surtout repérai une guitare. Je m’en emparai, m’assis et commençai à en jouer. Cela provoqua un attroupement. De partout débarquaient de nombreux auditeurs. Un type s’approcha et me dit : « Demain a lieu le pique-nique de la compagnie et mon guitariste est reparti aux États-Unis. Nous n’avons plus de guitariste. Accepterais-tu de jouer avec nous ? » J’hésitai. « Je ne connais pas du tout votre musique », lui dis-je. « Cela n’a aucune importance », me répondit-il, « nous t’aiderons, nous te parrainerons. Tu joueras comme tu le sens ». Nous répétâmes pendant deux heures cette nuit-là. Le samedi matin, j’étais sur scène face à tout le bataillon, avant la moindre corvée militaire. J’ai ainsi été connu de tous les échelons de la brigade, du simple soldat aux officiers supérieurs. Le lundi matin, alors que je devais commencer mes activités et corvées militaires – je travaillais sur l’armement des hélicoptères – tous mes supérieurs me connaissaient déjà. Ils étaient très impressionnés favorablement après m’avoir vu sur scène. J’abandonnai très vite l’activité qui m’était destinée quand je fus convoqué et que l’on me demanda ce que je voulais faire. Je leur répondis : « J’aime la musique ». Les officiers me proposèrent de devenir directeur musical et artiste, une proposition que je ne refusai pas. Alors, chaque jour, je rassurais les jeunes gens qui arrivaient, essayais de leur faire découvrir leur talent ; et en particulier, s’ils étaient musiciens, je les dirigeais vers l’orchestre de la compagnie quand ils savaient jouer de la trompette, de la batterie ou de la guitare. Je leur disais : « Je peux t’éviter les corvées militaires en t’incorporant à l’orchestre ». Qui n’aurait pas préféré jouer dans un orchestre que de monter la garde ? Mon job était de détecter les musiciens talentueux et de les rassembler dans l’orchestre de la compagnie. C’est ainsi que j’ai passé mon premier séjour européen. Aider les autres à se révéler et exprimer leur talent. J’étais program director and entertainer. Avant cette expérience, j’avais acheté une guitare quand j’avais dix ans. Mais je ne pouvais pas jouer le blues à cause de mon père très religieux… »

Robert Finley au début de la vingtaine. Photo DR, courtesy of Christy Johnson.

La musique comme fil conducteur

Après cette longue introduction, Robert Finley se présente…
• « Je suis né à Monroe, Ouichita Parish, Louisiane, le 15 février 1954. Mais j’ai grandi à Winnsboro, Louisiane. Une petite ville. Après avoir voyagé un peu partout, je me suis installé dans une ville plus petite, Bernice, Louisiane. Ce qu’il y a de bien avec une petite ville, c’est que tout le monde se connaît. Si ta famille est acceptée, alors tu deviens membre de la communauté. La plupart des gens gagnent les grandes villes et oublient d’où ils viennent. Dans une petite ville, tu es quelqu’un. Je pense qu’il vaut mieux être un gros poisson dans un petit étang qu’un petit poisson dans l’océan. À Chicago, il y a tellement de bons musiciens que personne ne fera attention à toi. Mais, dans une petite ville où tu es seul, on te remarquera. C’est pour cela que je me suis installé dans une petite ville. J’ai tourné une vidéo dans cette petite ville, en mai, et tout le monde voulait y participer. On peut la voir sur YouTube ou à la télévision. Chacun des participants se reconnaît ou voit ses grands-parents ou un de ses voisins. C’est comme à la campagne et c’est très important pour moi. Ce sont tous ces gens, tout ce public local, qui décident de l’attribution des Grammys et des diverses récompenses. Mon premier prix vint de France (1). J’étais prêt à franchir l’Océan et faire une tournée en France. Mais il ne se passa rien, COVID oblige. Grâce à cette reconnaissance internationale, dans ma petite ville, on dit affectueusement : « il est de chez nous ! » Ce n’est pas désagréable. Je pense au christianisme et à Jésus, fils de Joseph et charpentier lui-même, qui resta inconnu dans sa propre ville ; Jésus qui dut parcourir le monde pour le sauver. Quant à moi, je suis connu dans ma bonne ville de Bernice, Louisiane, environ à une centaine de miles de Winnsboro, Louisiane, d’où je viens. Ces deux villes m’ont attribué un Robert Finley Day. J’en suis très fier. Martin Luther King, l’exceptionnel leader, n’a eu droit à un tel honneur qu’après son assassinat. C’est aussi le cas de tellement de grands hommes d’avoir eu des honneurs posthumes.

De gauche à droite : Albert White, Robert Finley et Robert Lee Coleman, Music Maker Relief Foundation revue, Nuits de Fourvières, juillet 2017. Photo © Marcel Bénedit

Vous n’imaginez pas le plaisir d’être célébré de son vivant et que chaque citoyen de ta ville s’arrête pour te saluer quand il te croise. La meilleure chose dans tout cela, c’est que cela fait rêver tous les jeunes musiciens et artistes. Leur souhait d’une opportunité pour réussir se réalisera peut-être un jour. Je leur dis : « Exprimez-vous et n’abandonnez jamais vos rêves ». Mon rêve, quand j’avais cinq ou six ans, était de devenir chanteur. Mais j’ai dû parcourir un très long chemin avant d’avoir la chance de le réaliser. C’est hélas actuellement une vraie compétition. Mais tu ne dois jamais t’endormir sur tes lauriers. Il te faut toujours aller plus loin, t’améliorer. Tu n’es jamais arrivé au sommet. Tu peux tomber très vite de ton piédestal. Tu ne dois jamais dire : « j’ai réussi », mais « je dois progresser ». Ainsi, l’aventure pourra-t-elle continuer. L’idée de conduire quelqu’un à ton niveau n’est pas suffisante. Tu dois tout faire pour que tes disciples deviennent meilleurs que toi. C’est ainsi que j’ai formé ma fille depuis sa plus tendre enfance (2). Je l’ai initiée aux arcanes de ce milieu. J’en suis fier, mais reste modeste. Si le matin, au lever, je ne peux plus mettre mon chapeau, c’est que j’ai la grosse tête. Cela m’incite à rester humble. J’aime beaucoup arrêter quelqu’un dans la rue et lui parler, qu’il soit journaliste ou un de mes voisins. Cela n’a aucune espèce d’importance. Seule l’humilité importe pour moi. Les personnes les plus humbles sont souvent les plus précieuses. Ceux qui ont du succès sont inaccessibles et ne veulent pas vous parler. Je résume tout cela ainsi : the winners don’t quit and the quitters will never win ! (NDLR : les gagnants ne lâchent rien et les lâcheurs ne gagneront jamais !) »

Robert Finley, portrait promotionnel, photo DR, Courtesy of Robert Finley.

Sharecropper’s Son

• Une question me taraude : « Avez-vous eu des problèmes avec le racisme ? »
• « Le racisme était partout. Mais, enfant, tu n’en as pas encore conscience. J’ai appris ce que c’était quand mes parents m’en ont parlé. J’ai alors très vite compris en quoi consistait la ségrégation. J’ai aussi beaucoup appris en écoutant les discours de Martin Luther King à la radio. J’ai ainsi ouvert les yeux. Mais nous vivions au fin fond de la campagne, bien loin de la ville, bien loin de tout. Cela m’a épargné de voir tout ce qui se passait réellement. Mais je me souviens qu’un jour, en ville, adolescent, alors que je voulais entrer dans une boutique et un restaurant, les gens m’interpelèrent : « Tu ne peux pas entrer par ici. Tu dois emprunter la porte réservée aux Noirs ». Je n’ai jamais vu cette porte, je n’ai jamais compris cette injonction et ne suis jamais entré dans ces lieux. Mais avoir rejoint l’armée américaine m’a permis de dépasser tout cela. Peu importait que tu fusses noir, blanc, brun, jaune. On t’obligeait à vivre tous ensemble. C’est pourquoi je pense que mon séjour à l’armée m’a aidé à surmonter le racisme. Le racisme ne m’affecte plus du tout. C’est un vrai bonheur de savoir qu’avec ma musique je donne du plaisir à des individus, quelles que soient leurs origines. Peut-être le fait d’être devenu aveugle m’a-t-il aidé ? Parce que, depuis que je suis aveugle, je ne peux qu’entendre les spectateurs. Je ne peux pas les voir. Peu importe leur couleur. Grâce à Dieu, je ne peux pas connaître la couleur de leur voix. Je saisis leurs cris et leurs souhaits d’en entendre plus de ma part. Quel beau cadeau d’être capable de faire plaisir à des gens de toutes races et toutes nationalités, sans distinction. Cela marche ainsi partout sur terre, si tu souris, les gens te sourient.

Robert Finley et sa fille, Christy Johnson, Blues Rules Festival, Crissier, Suisse, juin 2022. Photo © Gilbert Guyonnet

Bien sûr, quelque individu, pour quelque raison que ce soit, pourrait être affecté par des problèmes de racisme. Mais cela n’a jamais gêné ma carrière. Quand on regarde ma vidéo, on peut y voir des gens de diverses couleurs danser sur ma musique. J’ai écrit l’album « Sharecropper’s Son » en me souvenant de mon enfance et de mon éducation, avec des mots vrais. Tout y est vrai. Mais tu ne peux pas demander à des enfants de s’assoir et lire un livre d’Histoire s’ils veulent apprendre quelque chose du passé. Ils utilisent leurs téléphones portables et regardent des séries. Plus personne ne lit de livres. Les livres d’Histoire sont du passé. La musique est l’avenir. Tu peux raconter l’Histoire en musique. C’est ainsi que l’on retiendra l’attention des gens, des générations les plus jeunes, pour découvrir le passé. Ils écoutent la musique et comprennent le message. Si je leur donne un livre, ils ne le liront pas. Mais si je leur chante une chanson et attire leur attention, je peux faire passer n’importe quel message. Je peux ainsi leur parler du passé, du présent et du futur. C’était mon message lors du concert, hier soir. Certains appellent cela le Blues, moi je dis que c’est la Vérité. La vérité te libèrera. Contente-toi de chanter la vérité et ton public s’y reconnaîtra. Il y aura toujours des spectateurs pour partager la peine ou la douleur que tu exprimes avec tes chansons. Tu n’es jamais le seul être humain à avoir été maltraité. J’ai connu la vie du pauvre Noir condamné au métayage, travail très pénible et non rémunéré. Vie de misère sans le moindre dollar ! C’est pourquoi je suis reconnaissant de la chance que j’ai eue. Je connais tellement de gens meilleurs musiciens et chanteurs que moi qui n’ont pas été au bon endroit au bon moment et qui n’ont pas eu l’opportunité dont j’ai bénéficié… »

Robert Finley, Music Maker Relief Foundation Revue, Nuits de Fourvières, juillet 2017. Photo © Marcel Bénedit

Les enregistrements

• Avant que Music Maker ne vous découvre, aviez-vous enregistré un disque ?
• « Oui. J’ai fait un album intitulé « Lifetime On The Blues ». C’était sur Red Top Records en 2019 (3). C’est le premier disque que j’ai réalisé en studio. C’était un petit studio et un nouveau label qui venaient d’être créés. Cela ne me coûta rien. Le patron était heureux de m’enregistrer, j’étais heureux d’enregistrer. Malheureusement, il n’avait aucun lien avec les circuits de distribution, sa communication était inexistante. La diffusion de ce disque aurait été plus facile maintenant avec les réseaux sociaux. Tu peux dialoguer avec quiconque sur terre, filmer en direct un festival et le diffuser sur internet. Je corrige, je t’ai dit 2019, c’était 1999, quand je produisis ce premier disque que personne ne sut distribuer. C’est maintenant un collector. Je vendais, à la fin des concerts, les cassettes et les cd stockés dans une valise. La légende dit « directement du coffre de ma voiture ». C’est impossible, je n’avais pas de voiture à l’époque. Je n’ai plus aucune copie de cette cassette ni de ce cd. J’ai des amis qui en ont un exemplaire. Puis j’ai fait disque qui fut diffusé au plan national. Je l’ai enregistré pour Fat Possum à Memphis, Tennessee (4). C’est Tim Duffy, de Music Maker, qui m’a présenté à Bruce Watson, patron de la firme de disques Fat Possum. Puis Bruce Watson m’a mis en contact avec Easy Eye Sound, le label de Dan Auerbach et des Black Keys.

De gauche à droite : Robert Finley, Dan Auerbach et ????, durant la session d’enregistrement de Medicine Woman, photo DR (courtesy of Robert Finley).

Ces deux labels ont vraiment promu ma carrière. Je me suis demandé si ce n’était pas une erreur, si je ne rêvais pas. J’étais un sexagénaire avec trente ans de plus que Dan, mais nous avons été capables de fort bien travailler ensemble. Au départ, je ne devais enregistrer que quatre chansons. Nous avions quatre jours pour produire ces quatre titres. Je les ai faits en moins d’une journée. Il restait donc trois jours dans le studio à ne rien faire. Dan Auerbach proposa alors : « J’ai un livre avec de nombreuses chansons qui pourraient faire un album » (5). Je ne pouvais pas lire les paroles parce que je suis aveugle (« legally blind »). Dan m’a placé des écouteurs et m’a lu les paroles des chansons. Il m’a donné quelques indications pour les interpréter tout en insistant pour que je reste moi-même, très personnel. Cela a été formidable. Je veux souligner que Dan Auerbach ne m’a jamais rien imposé. Je ne suis pas sa créature. Il m’a poussé à être moi-même, m’a permis de découvrir ma personnalité. C’est la plus merveilleuse chose qui me soit arrivée. Tu ne peux pas me dire comment je dois être parce que tu n’as jamais été moi, tu ne peux pas raconter mon histoire sauf si je te l’ai narrée. C’est moi qui ai vécu cette histoire. Je suis le seul apte à la raconter et à la chanter. Alors, les gens écoutent ce que j’essaie de leur dire avec mes chansons et sont touchés. Je suis heureux d’avoir commencé une nouvelle vie à un âge avancé. Parce que je suis persuadé que, si cela m’était arrivé plus tôt, je n’aurais pas su supporter le poids du succès. Parce que le succès peut être source d’auto-destruction. Quand tu es jeune, tu fais tout très vite. Tu conduis un bolide, tu prends une courbe trop vite et tout ton monde s’effondre. Je connais beaucoup de jeunes artistes qui ont été détruits par les drogues. Ils ont joué avec quelque chose qu’ils ne contrôlaient pas. Mon message est donc : « Hope, it’s better than dope ! » (NDLR : « l’espoir, c’est mieux que la drogue »). Je chante ce message lors de chacun de mes concerts. Je ne prendrai jamais aucune pilule pour rester éveillé, ni aucune pour dormir, parce que chaque cachet a un effet secondaire. Si j’ai un mal de tête et que je prends quelque chose pour le soigner, cela pourrait me provoquer des problèmes rénaux. Si tu écoutes les spots publicitaires pour de nouveaux médicaments, ils te disent qu’ils soignent, puis t’énumèrent à toute allure les effets secondaires pour que tu n’entendes pas. »

De gauche à droite : Marlon Patton, Christy Johnson, Robert Finley, Rick Lollard, groupe s’étant produit à Crissier, juin 2022. Photo DR (courtesy of Christy Johnson).

Des textes au fil de l’eau…

• Pouvez-vous me parler de la session avec Kenny Brown ? Comment était-ce de travailler avec lui pour votre dernier disque « Sharecropper’s Son » ? » (6)
• « Ce n’était pas du travail. Non, on ne peut appeler ces séances un travail. Ce fut un sacré bon moment ! Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans le studio. Quand j’arrivai, les musiciens s’échauffaient. Ils prenaient du bon temps. En entrant dans la pièce, j’ai immédiatement accroché. J’aimais ce qu’ils jouaient. Dan Auerbach me dit alors : « Ajoute ta musique, mets-y des mots, si tu aimes ». J’ai alors essayé de trouver des paroles. Je n’avais pas le temps d’écrire quoi que ce soit. Des souvenirs de ce que j’écoutais et entendais pendant mon enfance me submergèrent. Les souvenirs d’un gosse de la campagne. C’est ainsi que s’est construit le disque « Sharecropper’s Son ». Tout est parti de cette première rencontre et session improvisée. Nous avons eu tellement de plaisir à jouer ensemble, cela sonnait si bien que lorsque nous avons réécouté l’enregistrement, nous nous sommes dits : « Il faut garder cela ! ». Hélas, cela ne s’est pas fait. C’était trop long. Mais avec cette bonne base de travail, nous avons alors enregistré trois chansons en trois séances. C’était comme une longue histoire que je racontais, telle cette interview que nous réalisons. La différence avec cette entrevue, c’est qu’il y avait un fond musical. Je n’ai jamais eu besoin d’écrire la moindre parole. Tout était déjà dans ma tête. Ils ont eu beau me supplier de rédiger quelque chose, je n’en ai jamais eu besoin. Plus je chantais, plus mes souvenirs d’enfance revenaient.

Quand j’ai fait écouter l’enregistrement à mes proches, leur réponse fut : « tu racontes ta vie ». Je ne voudrais surtout pas que l’on découvre que j’ai raconté des mensonges. Souvent, des gens te posent des questions telles que tu as l’impression qu’ils connaissent la réponse avant que tu ouvres la bouche. Heureusement, parfois, tes interlocuteurs préfèrent en apprendre à ton sujet de vive voix plutôt que dans un journal. Le plus important, c’est de dire la vérité. Aussi longtemps que tu diras la vérité, que tu chanteras la vérité, tu n’auras pas à redouter le moindre interrogatoire pratiqué par certains. Je ne suis pas le seul à avoir grandi dans une ferme. Je ne suis pas le seul à être passé par là où je suis passé. C’est ce que je raconte dans mes chansons. Je suis retourné aux champs pour le tournage de ma vidéo. Mes producteurs m’ont demandé s’il n’y avait pas de difficultés à ce qu’un vieil homme de 67 ans retourne dans un champ de coton. C’est de là que je viens, j’y suis retourné volontiers, y ai chanté et dansé ; mais j’ai refusé de ramasser le coton. L’histoire ne finit jamais. Il est difficile de résumer 68 années de vie en 15 minutes. »

Robert Finley, Blues Rules Festival, Blues Rules Festival, Crissier, Suisse, juin 2022. Photo © Marcel Bénédit

Christy Johnson, revenue de sa séance de massage, pose alors la main sur l’épaule de son père pour lui rappeler qu’il est temps de rentrer à l’hôtel…

• Aussi posai-je une dernière question : « Êtes-vous devenu une vedette grâce l’émission America’s Got Talent en 2019 ? » 
• « Absolument. Grâce à YouTube, Instagram, les gens peuvent regarder toutes les vidéos qui me concernent. C’est bien agréable d’être connu partout sur terre. Cela m’a permis de venir chanter ici en Suisse. Les gamins te reconnaissent dans la rue, t’arrêtent et font une photographie avec toi. C‘est parfois un peu pénible, mais je ne dois jamais oublier le long chemin parcouru pour en arriver là. Je suis reconnaissant à tous ces gens qui m’ont permis d’être là où je suis maintenant. Je suis très fier de ma réussite, mais insatisfait parce que, malgré toute ma volonté, je n’arriverai pas à rendre ce monde meilleur. Pour l’instant, je me contente d’apporter de la joie et de la bonne humeur pendant un moment trop bref à tous ceux viennent assister à mes concerts ou qui écoutent mes disques. »


Notes :

1. Prix SOUL de l’Académie du Jazz en 2022 pour le disque « Sharecropper’s Son ».
2. Christy Johnson assure les chœurs, joue du tambourin et chante même un titre, I’d Rather Be Blind.
3. Robert Finley se corrigera un peu plus loin dans l’interview en donnant 1999.
4. « Age Don’t Mean A Thing » -Big Legal Mess Records BLM 053 (2016).
5. « Goin’ Platinum » – Easy Eye Sound EES-002 (2017).
6. « Sharecropper’s Son » – Easy Eye Sound EES01502 (2021).


Par Gilbert Guyonnet
Remerciements à Christy Johnson, Thomas Lecuyer, Vincent Delsupexhe, Jicé Gretener et tout le staff de Crississippi