Mathias Lattin

Mathias Lattin sur scène. Photo © Laura Carbone (courtesy of Mathias Lattin).

Du talent à revendre

• Lauréat de l’International Blues Challenge 2023 à Memphis, une fois le résultat annoncé, Mathias Lattin a fait l’unanimité sur cette première place qu’il venait de remporter. À l’image de ses jeunes amis et confrères musiciens D.K. Harrell et Sean “Mack” McDonald, cet artiste de seulement vingt-et-un ans est pétri de talent. Véritable pépite, il est bon chanteur et remarquable guitariste. La musique qui fait vibrer son âme ne s’arrête pas aux frontières du Blues, elle lorgne vers le jazz et l’ensemble des musiques afro-américaines, voire même au-delà. Son excellent premier album intitulé « Up Next » marque à l’évidence le début d’une carrière très prometteuse.

Dans notre édition précédente, D.K. Harrell disait de lui qu’il le considérait comme “le Frank Zappa du Blues”. Ce n’était pas une flatterie de sa part, mais plutôt une évidence… Faisons plus ample connaissance avec ce jeune musicien prodige avec lequel nous nous sommes entretenus en septembre dernier lors du Eastside Kings Festival d’Austin, Texas, où il fit forte impression.

Mathias Lattin, portrait, 2023. Photo DR (courtesy of Mathias Lattin).

Lundi 11 septembre 2023, la onzième édition du Eastside Kings Festival vient de fermer ses portes. Mathias Lattin est dans la capitale texane pour une journée encore. Plus tôt, la semaine précédente, nous avions calé ce rendez-vous le lendemain du festival. À nos yeux, ce créneau paraissait nettement plus favorable à la discussion que durant les 48 heures où le blues prend possession de la 12e rue et de Chicon Street… L’endroit où nous résidions retrouvait son calme, tous les musiciens étaient déjà repartis vers d’autres engagements ou en passe de l’être. Il est alors temps de faire plus ample connaissance avec ce jeune guitariste dont tout le monde s’accorde – à juste titre – à dire le plus grand bien.

Trois amis

« Depuis hier soir, on n’arrête pas de me parler du concert que nous avons donné avec D.K. Harrell et Sean “Mack” McDonald. Nous avons vraiment tous les trois savouré cette réunion qui restera pour nous mémorable. Il faut saluer Eddie Stout, le patron du festival, qui a pu rendre possible cette formidable soirée. Sean et D.K. possèdent de sacrés tempéraments, ce sont de formidables guitaristes et définitivement des amis. Nous discutons très souvent ensemble. C’est d’ailleurs au cours d’une de nos récentes conversations qui évoquait l’émergence des jeunes musiciens sur la scène américaine, mais qui portait également sur nos différentes approches musicales, que D.K. m’a déclaré sans crier gare : “ Toi, tu es le Frank Zappa du Blues ! ”. J’en fus vraiment le premier étonné ! »

De gauche à droite : Mike Connolly, Jason Moeller, D.K. Harrell, Sean “Mack” McDonald, Mathias Lattin, Mike Archer, Eastside Kings Festival, Austin, Texas, septembre 2023. Photo © Jean-Luc Vabres

La musique tout au long de la scolarité

« J’ai vingt-et-un ans. Je suis né et j’ai grandi à Houston, Texas. Ma famille n’a pas de musiciens en son sein, je suis le seul qui ait choisi cette voie. En revanche, ma grand-mère chantait à l’office du dimanche et, dans sa maison, la musique a toujours tenu une place prépondérante. On peut le dire, celle est un véritable juke box, elle connait et interprète un nombre incalculable de chansons ! C’est grâce à sa vaste culture que j’ai pu découvrir B.B. King et son classique Rock Me Baby, grâce à des vidéos qu’elle possédait. Ce fut une révélation. Ce concert enregistré lors du Crossroads Guitar Festival, je l’ai visionné chez elle des dizaines et des dizaines de fois. Il y avait, aux côtés de B.B., Buddy Guy, Eric Clapton, Robert Cray et Jimmy Vaughan. Ma mère, de son côté, s’est vite aperçue que, dès mon plus jeune âge, tout ce qui se rapportait au domaine musical m’attirait réellement. C’est donc à l’école primaire, grâce à un programme d’éducation spécifique dédié aux arts et à la musique, que je fis mes premières armes. Bien loin du Blues, mon grand-père David “Big Daddy” Lattin fut un sportif de haut niveau dans son registre de prédilection, le basket ! Il fut même admis dans le prestigieux NBA Hall of Fame. Auparavant, il avait joué avec les équipes du Golden State Warriors, Phoenix Suns, les Pittsburgh Condors ou encore les Memphis Tams ! Il est un grand fan du guitariste Wes Montgomery. Très souvent, lorsque je passe le voir, il me dit à son propos : “ Il faut que tu écoutes ce titre, il est formidable ! Tu te rends compte, il joue sans médiator, quelle classe tout de même ! Il faut à tout prix que tu écoutes, prends ce CD, je te le conseille vivement ! ”.

Mathias Lattin, International Blues Challenge, Memphis, TN, 28 janvier 2023 . Photo DR (IBC).

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours souhaité, lorsque je pensais à mon avenir, évoluer dans un univers musical. Très jeune, j’ai commencé par apprendre le violoncelle, puis j’ai basculé vers le piano, avant d’opter définitivement la guitare à l’âge de sept ans. Vu mon implication sans faille au fil des années, de mon appartenance à plusieurs formations lors de mon cursus scolaire, sans parler de mon travail quotidien sur mon instrument, mes parents ne furent pas étonnés lorsque je leur ai annoncé mon intention de devenir musicien professionnel. Du côté paternel où il y a plusieurs sportifs, on sait ce que cela veut dire de s’entrainer durant des heures, que le travail à faire n’est pas aisé, mais en alliant rigueur et opiniâtreté, on peut arriver à ses fins. Du côté de ma mère, on est plus habitué à avoir un travail régulier avec des horaires qui ne varient guère, pour s’assurer une vie sans trop de tracas, en donnant lorsque que c’est possible la priorité aux études. Au final, mon choix de carrière fut très bien accepté par les miens. Il faut dire qu’adolescent, en suivant le programme intitulé Kinder High School for the Performing and Visual Arts de la ville de Houston, je leur confirmais mon engagement total quant au futur emploi que j’envisageais bien des années plus tard. Beyoncé, que l’on ne présente plus, mais aussi les pianistes de jazz Robert Glasper et Jason Moran, ont suivi les cours de cette formidable institution de Houston qui excelle dans les divers mondes artistiques et culturels.

De gauche à droite : Christone “Kingfish” Ingram, D.K. Harrell, Mathias Lattin, Blues Music Awards 2023. Photo DR (courtesy of D.K. Harrell).

Ce choix de donner une place prépondérante à la musique a toujours été encouragé par ma mère. Quand j’étais au collège, pour les grandes vacances, elle m’inscrivit au Summer Jazz Workshop, ce qui me permit de découvrir des artistes comme Sonny Rollins, Archie Shepp, Sonny Stitt et bien sûr Wes Montgomery ou encore Grant Green et George Benson. Rejoindre la High School for the Performing and Visual Arts a été un choix mûrement réfléchi. Le parcours pour obtenir son sésame y est très sélectif. Il a fallu d’abord passer plusieurs entretiens devant un jury, ensuite on te contacte si la réponse est positive. Je souhaitais intégrer cette structure pour travailler mon instrument dans les règles de l’art, mais aussi pour pouvoir être aux côtés de personnes qui t’enrichissent grâce à leur savoir et leurs expériences. Les enseignants et les élèves sur place ont l’esprit ouvert, quand tu demandes à faire ou tenter quelque chose, on ne te regarde pas bizarrement, au contraire on t‘encourage.

De gauche à droite : Nick Andres (drums), Mathias Lattin (guitare) et Jesse Gomez (basse), International Blues Challenge, Memphis, TN, 28 janvier 2023 . Photo DR (IBC).

J’ai beaucoup étudié sur la guitare jazz et ses différents styles, je me suis également intéressé à la guitare basse et au piano, ainsi qu’à l’amélioration de mon écriture musicale. J’ai étudié l’écriture musicale, mais aussi la prise de son en studio, sans oublier le côté juridique. L’ambiance sur place est extraordinaire, les liens entre les étudiants qui assistent aux cours, ou avec les professeurs qui les dispensent, sont très forts, même lorsque le cursus est terminé, le contact est loin d’être rompu. Au final, je suis resté quatre années à la Kinder High School for the Performing and Visual Arts, ce qui est rare, généralement les étudiants vont et viennent même en cours de scolarité. L’enseignement dispensé était à mes yeux tellement intéressant et stimulant pour la voie que je souhaitais tracer, que je n’ai pas vu le temps passer ! Au cours de mon ultime année d’enseignement, j’ai produit et enregistré une session baptisée “Let’s Start Here” qui comprend cinq compositions originales. J’y ai fait également toutes les parties de guitare basse. Ce projet me tenait à cœur, il est pour ainsi dire le point de départ officiel de ma carrière en tant que musicien professionnel. J’ai enregistré ces titres en souhaitant qu’ils me servent de curriculum vitae et de carte de visite. Durant ces années, j’ai également régulièrement participé à des jam en fin de semaine, ce qui me permit de rencontrer des artistes comme Annika Chambers, Shawn Allen, le saxophoniste Kyle Turner ou encore Jonn Del Toro Richardson, qui m’ont tous prodigué de précieux conseils. »

Mathias Lattin (à gauche) plaisantant avec D.K. Harrell (à droite), Eastside Kings Blues Festival, Austin, Texas, septembre 2023. Photo © Jean-Luc Vabres

Premiers engagements

« J’ai obtenu mon diplôme en 2020. Par manque de chance, cela est arrivé alors que nous étions en pleine pandémie. On avait tous, au sein de l’école, des projets qui n’ont pas pu se réaliser à cause de ce qui arrivait malheureusement sur l’ensemble de la planète. J’avais alors en tête de poursuivre mon parcours à Boston au sein du réputé Berklee College of Music. Comme le pays était alors quasiment à l’arrêt, cela mit un terme à une possible installation sur la Côte Est. J’ai décidé alors de mettre un terme à mes études et de débuter ma carrière professionnelle. Rapidement, je me suis mis dans le bain, j’ai intégré pour plusieurs tournées la formation de la chanteuse Keeshea Pratt. À ses côtés, j’ai beaucoup appris notamment sur la cohésion d’une formation musicale et sur la vie en tournée. Nous nous étions rencontrés à Memphis en 2019, lorsqu’elle a remporté l’International Blues Challenge. J’étais alors avec mon groupe qui se nommait Untitled. Mes influences musicales doivent beaucoup à Wes Montgomery et à George Benson, mais aussi à des artistes comme Albert King qui, sur ses compositions, déployait ses mouvements d’accords et solos comme personne. J’aime tout cet esprit qui souffle avec vigueur et intelligence sur leurs musiques, je leur suis redevable, ma technique à la guitare s’en inspire bien évidemment, ils ont parmi tant d’autres contribué à donner un nouveau souffle à la musique. La musique que je joue, s’est du Blues bien sûr, mais je souhaite – à mon humble niveau – y apporter quelque chose de plus. Jouer huit ou douze mesures en unissant d’autres apports musicaux nous fait, c’est mon humble avis, changer d’échelle et embellit nos compositions. »

De gauche à droite : Mathias Lattin, Keesha Pratt et David Orr, Legendary Rhythm & Blues Cruise 2022. Photo DR (courtesy of Mathias Lattin).

International Blues Challenge 2023

« C’était la quatrième fois que je faisais le déplacement à Memphis pour participer à cet événement. Mon premier séjour remonte à 2017, j’étais dans le groupe de Sarah Grace. L’année suivante, j’ai participé avec mon groupe Untitled. En 2022, j’étais dans la formation de Cris Chrochemore, mais nous n’avons malheureusement pas passé le cap du premier tour des éliminatoires ; j’en fus vraiment fort contrarié, mais en parallèle cela m’a aussi fortement motivé à retenter l’expérience pour l’édition 2023. J’ai donc contacté mon ami bassiste Jesse Gomez ainsi que le batteur Nick Andres pour qu’ils se joignent à cette nouvelle aventure. Ce fut difficile pour décrocher cette première place. Au fil du concours, je commençais à douter et voyais que la plus haute marche du podium pouvait nous échapper.

Mathias Lattin (guitare) et Jesse Gomez (basse), et le “V” de la victoire, International Blues Challenge, Memphis, TN, 28 janvier 2023 . Photo DR (IBC).

Nous sommes restés unis et motivés et finalement la première, nous l’avons remportée ! Ma mère fit le déplacement à Memphis et resta toute la semaine pour m’encourager. Après la finale, nous avons fait la fête toute la nuit, le lendemain nous devions prendre l’avion pour rentrer à Houston à 10h du matin. Nous étions tous KO debout lorsqu’il fallut prendre la route de l’aéroport. Ce fut une semaine totalement folle. Je ressens beaucoup de fierté d’avoir obtenu la première place dans la catégorie “Meilleure Formation”, mais aussi dans celle de “Meilleur Guitariste”. Nous sommes très peu nombreux à avoir fait ce doublé et je pense être le plus jeune lauréat depuis que le concours existe. Ce fut une sacrée expérience, avec à la clé énormément d’émotions. Toutes ces années passées à la Kinder High School for the Performing and Visual Arts, à travailler dur dans tous les registres musicaux, ont payé. Grâce à l’international Blues Challenge, tout est allé très vite, avec pas mal de concerts dans la foulée, notamment au Telluride Blues and Brews Festival, au Big Blues Bender, et j’ai participé aussi à la Legendary Blues Cruise. Ensuite, à l’automne dernier, il y a eu au mois d’octobre mon album “ Up Next ”paru chez Vizztone Rlabel Group qui a été très bien reçu. L’année 2023 fut faste ! »

Mathias Lattin, Eastside Kings Blues Festival, Austin, Texas, septembre 2023. Photo © Gene Tomko

Les projets

« Pour cette année 2024, il y aura bien sûr beaucoup de festivals à honorer, mais je souhaite aussi garder du temps pour moi afin de travailler sur de nouveaux titres. Quand je dis “écrire des chansons”, je ne parle pas de mon répertoire, je pense plutôt à mon plaisir de composer et de produire pour les autres. J’adore créer de la musique, discuter avec des artistes, puis saisir au vol deux ou trois choses d’eux pour coucher sur le papier les quelques idées puisées à leurs côtés, et qu’au final ce que j’ai écrit puisse les toucher au point d’intégrer ces compositions dans leur répertoire. J’adorerais bien sûr venir jouer en France. Je sais que beaucoup de musiciens de Jazz et de Blues ont fait de Paris, depuis fort longtemps, une place stratégique. Il faut dire que votre pays ne m’est pas totalement étranger, car ma sœur Oni Lattin a vécu là-bas de nombreuses années, elle m’en a bien sûr énormément parlé. Elle a joué dans le club professionnel du Volley Sens Olympique, puis elle est également passée par les équipes de Quimper, Mougins et Chamalières ! »

La belle et grande histoire de Mathias Lattin débute sous les meilleurs auspices, on n’a pas fini d’en entendre parler…


Par Jean-Luc Vabres
Remerciement à D.K. Harrel et à Sean “Mack” McDonald,
 toute ma gratitude à Eddie Stout