Chroniques #85

• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Cedric Burnside

Hill Country Love

Provogue Records CD  PRD77282 / Mascot Label Group

Né en 1978 à Memphis et élevé à Holly Springs, Mississippi, Cedric Burnside est le fils du batteur Calvin Jackson (décédé en 2015) et petit-fils du guitariste R.L. Burnside. R.L. est l’icône d’un style de blues unique, apparu et développé dans la région des collines du nord du Mississippi, un style basé sur un accord et une ligne de basse, avec une rythmique hypnotique se répétant à l’infini, un blues cathartique et poisseux qui a baigné Cedric dès sa naissance. D’abord batteur comme son père et engagé comme tel par R.L. Burnside dès ses treize ans, il a fait ses classes en famille, passant à la guitare où il excelle aujourd’hui sur les traces de son grand-père, avec un talent reconnu et récompensé déjà par plusieurs Awards. Il a composé onze des quatorze faces de son nouvel album, gravé à Ripley (MS), qu’il a produit avec Luther Dickinson, présent ici à la basse et à la guitare slide ; ils sont accompagnés par Artemas LeSueur aux drums et Patrick Williams à l’harmonica. Cet album est une tranche de Hill Country blues moderne mais exemplaire, habité par l’amour de la région et de ses traditions musicales (Hill Country Love, Juke Joint, Love You Music, …), en mode slow à médium tout du long, sur un ton rageur et véhément qui ne peut venir que de cet endroit hors du temps. Outre les morceaux déjà cités, on pointera l’excellent Coming Real To You (avec slide), Thank You, haché et touchan, tout comme Smile, Strong et Closer. Même les trois reprises, Shake Em On Down, You Got To Move et Po’ Black Maddie sont dans la même tonalité, obsédante et hypnotique, avec un Cedric Burnside qui dévoile sa vérité, ancrée dans la tradition mais libre et tournée vers l’avenir. Une belle réussite et un must pour tous les amateurs de ce style musical. – Robert Sacré


Bernard Allison

Luther’s Blues

Ruf Records Ruf 1303 – www.rufrecods.de

Bernard Allison, le plus jeune des neuf enfants de Luther Allison, est le seul de la fratrie qui a suivi la voie tracée par son illustre père. Encouragé par celui-ci (« Play it like you feel »), Bernard Allison a développé un jeu de guitare qui mêle blues, rock, rock psychédélique, funk jazz et gospel avec une prédilection pour Jimi Hendrix ; écoutez le premier titre du premier cd « Hang On » pour vous en convaincre. À dix-huit ans, il tourna avec Koko Taylor’s Blues Machine ; il était le chef d’orchestre et guitariste de la formation de Koko Taylor. Il occupa ce même poste quand il rejoignit son père. Après ce long et fructueux apprentissage, comme d’autre part il chante plutôt bien, il prit enfin son envol comme leader. Sa carrière solo débuta à la toute fin des années 1980. Depuis 1990, avec son premier disque « The Next Generation » (TIS LALP 1990-1) jusqu’à son dernier enregistrement, « Highs & Lors » (Ruf 1294) en 2022, l’artiste a publié près de vingt albums qui contiennent tous une ou deux compositions paternelles. Promesse qu’il fit à son père un peu avant sa mort. Parmi treize de ces albums, Bernard Allison a sélectionné vingt chansons composées par Luther et les a compilées sur un double cd que publie Ruf, label allemand créé par Thomas Ruf qui débuta dans la musique comme manager de Luther Allison. Bernard a parfaitement écouté les conseils de son père. À aucun moment il ne le copie ni ne l’imite. Il reste personnel dans chacune des interprétations du répertoire de Luther. L’influence de celui-ci est fort prégnante, mais pas écrasante. Celle d’Albert King est manifeste sur I Gave It All, Bad Love, Into My Life, un des meilleurs moments ce double cd, et le sombre et émouvant A Change Must Come. Le son du West Side éclate avec Let’s Try It Again et You’re Gonna Need Me ; Otis Rush n’est pas loin. Agréable est l’écoute des funks avec cuivres Reaching Out, Too Many Woomen, Now You Got It, Midnight Creeper et Life Is A Bitch. J’avoue n’avoir écouté que très rarement un disque de Bernard Allison, trop « rock » à mon goût. C’était au siècle dernier… Avec ce double cd, je me suis surpris à prendre beaucoup de plaisir.  Ces disques m’ont ouvert les oreilles et permis de revoir mon opinion sur Bernard Allison, une personnalité attachante du Blues-rock qui n’est pourtant pas mon domaine de prédilection. – Gilbert Guyonnet    


Angie Wells

Truth Be Told

Cafe Pacific Records 

Angie Wells est bien connue en France pour avoir été programmée dans de très nombreux festivals. Vocaliste passionnée et passionnante, accompagnée par de remarquables musiciens et produite par John Clayton, elle nous offre ici un album de très grande qualité et presque inclassable puisqu’il est autant jazz, blues, que soul music. Certes, à première vue, cet album parait un peu classique, mais les arrangements sont si majestueux et la voix de Angie Wells si bien portée qu’il est impossible de résister au charme de ce CD. Seize titres, comme seize clichés extraits d’un film pour illustrer des moments de vie, des interrogations, parler de l’amour et pas un seul instant pour s’ennuyer. Le titre Truth Be Told, qui donne son nom à l’album, commence par un a capella que peu d’artistes seraient capables de tenir avec une telle perfection. À la réflexion, le choix des titres me fait penser a une sorte de kaléidoscope de styles musicaux qui font vibrer Angie Wells, comme Nick Of Time qui est à la limite du Smooth Jazz, tandis que d’autres sont beaucoup plus jazz. On apprécie également sur cet album la place donnée aux instruments. Wells a commencé sa carrière de chanteuse dans un petit club intime à Saint-Germain des Prés, à Paris, lorsqu’elle a rejoint le trio qui y jouait ce soir-là, pour quelques chansons. Les applaudissements explosifs du public l’ont encouragée à commencer à se former pour chanter professionnellement. Elle a remporté le Concours des Nouveaux Talents lors du dernier Festival de Jazz Sweet n’Hot à Los Angeles et s’est qualifiée en tant que demi-finaliste pour le 1er Concours International de Chant Jazz Sarah Vaughan. Elle s’est imprégnée de son passage en Europe, de sa façon de gérer la musique en y associant son incroyable voix et c’est ce qui fait qu’un titre comme You Don’t know What Love Is est largement supporté par un violoncelle. Peu d’artistes américains se seraient risqués à ce genre d’arrangement, mais pour une chanteuse comme Angie Wells, cela fait des miracles. « Truth Be Told » est un album tout en équilibre, un équilibre que seule une très grande artiste est capable de gérer. – Thierry De Clémensat


John Ellison Soul Brothers Six

Some Kind Of Wonderful

Popmi 230CD

Il y a quelques temps, lors d’un  Soul Weekender à Blackpool (Angleterre), Brenda Holloway et Eddie Holman racontaient qu’un seul titre avait contribué à faire leur fortune, avec respectivement You’ve Made Me So Very Happy (dont la reprise par Blood, Sweat & Tears y a largement contribué) et Hey There Lonely Girl. C’est aussi le cas de John Ellison avec Some Kind Of Wonderful qu’il enregistra au sein du groupe Soul Brother Six et qui connut un succès tel qu’il fut repris par un nombre incalculable d’artistes. Le groupe de Hard Grand Funk Railroad le classa dans les charts Rock, tandis que fleurissaient, au fil des époques, des versions par Swamp Dogg, Rod Stewart, Joss Stone (pour ne citer qu’eux) ; il existe même une version française (Martin Circus  : Cette Fille Me Rend Fou). La rencontre de John Ellison avec le producteur néerlandais Roger Heijster lors du festival de Porretta lui a permis de mettre sur pied le présent album qui ne comporte que des compositions originales qu’il a écrites seul ou en collaboration. Et c’est tout naturellement que le disque démarre avec une nouvelle version de son titre fétiche. Fidèle à un style qui lui est propre, il reste dans l’esprit de la soul sixties en y apportant une légère touche de modernité, comme dans Let’s Get The Party Started, Love Line, sans oublier une influence caraïbe (peut être due au fait qu’il vit désormais en Floride) dans If Ihad Just One Wish et Let Me Be The One. Une série de ballades est également présente, dont la splendide I Simply Love You qui permet d’apprécier l’étendue de ses qualités vocales et qui clôture la présente édition. Aujourd’hui âgé de 83 ans, John Ellison* n’en demeure pas moins actif car, outre son activité de chanteur, il a rédigé ses mémoires et à créé une sauce “gourmet seasonning” garantie sans gluten et à faible teneur en sodium. ABS magazine lui avait consacré un long portrait/entretien, à retrouver dans notre n° 52. – Jean-Claude Morlot


Various Artists

Phoenix Blues Ramble

Vizztone Label Group / SWMAF Records SWMAF22 – www.vizztone.com

Infatigable Bob Corritore ! Tel un métronome, quasiment tous les trimestres, il nous gratifie de superbes enregistrements en provenance de ses incroyables vastes archives. Cette superbe nouvelle galette nous propose des sessions enregistrées entre 1987 et 2017. Elle comporte douze titres dont sept inédits. L’affiche proposée est à nouveau somptueuse, nous retrouvons ceux qui ont fait les grands soirs du Rhythm Room club à Phoenix, Arizona, à savoir : Big Pete Pearson, Dino Spells, Chico Chism, Sugaray Rayford, King Carl, Chief Schabuttie Gilliame, Tommy Dukes, Davie Rimey et George Bowman. Quel plaisir de retrouver King Carl, l’un des maîtres du Swamp Pop, sur les irrésistibles Walking In The Park et Mathilda, mais aussi l’excellent guitariste Tommy Dukes. Ce dernier fut l’une des premières rencontres de Bob Corritore, lorsqu’il s’installa à Phoenix en provenance de Chicago. Real Bad Day est une composition originale à la manière de Jimmy Reed, qui est l’une des grandes influences du natif de Hattiesburg. Mention particulière également pour le formidable et sous-estimé Dino Spells qui, sur la magnifique composition rugueuse et explosive Jennie Bea, nous dévoile une fois encore toute sa classe. Le guitariste et saxophoniste, qui fit en son temps un bout de route aux côtés d’Albert Collins ou encore de Little Joe Blue, mérite toute notre attention. Ayant vu le jour en novembre 1928 et arrivé en Arizona début des années 80, il est formidable de retrouver l’alerte nonagénaire sur cette compilation. Nouveau coup de chapeau à l’ami Bob pour cette brillante production qui met admirablement en valeur des artistes résidant dans le vaste sud-ouest des États-Unis. Si vous possédez les précédents albums, il vous sera alors bien difficile de faire l’impasse sur celui-ci. Vivement recommandé. – Jean-Luc Vabres


The Cinelli Brothers

Almost Exactly…

No number – www.cinellibrothers.com

Soulevons la couverture, qui tient du surréalisme et du pop art, pour que se révèle un quartet britannique marqué par le blues bien sûr mais aussi la soul de Memphis, de Chicago ou de Detroit. Si le groupe s’affiche sous l’identité du compositeur et producteur Marco Cinelli, c’est bien un travail d’équipe qui a été mis en place ici. Le mérite des Cinelli Brothers est de s’être imprégné de ces influences, tout en s’affranchissant de leur poids pour créer un répertoire propre. Plein d’harmonica, d’orgue, de choeurs, de conviction, le solide mid-tempo Last Throw of The Dice est – malgré son titre – le premier des dix chansons retenues. Dozen Roses est plus pop, Prayer un funk lent qui finit gospel rapide, Making it Through the Night s’habille en Coasters pour une historiette humoristique, Don’t Need No Favor et Fool’s Paradise clôturent l’opus dans une couleur plus soul. Dans un désir de peaufiner les compositions et les arrangements, ce  quatrième album enregistré à l’Applehead Recording Studio de Woodstock dans l’État de New York, arrive en prélude à une tournée française de vingt dates, de fin mars à mi-mai. – Dominique Lagarde


Patti Parks   

Come Sing With Me     

Vizztone Label Group VT PP02 – www.vizztone.com

Voici le deuxième album de Patti Parks, jeune et jolie chanteuse blues/ rhythm’n’soul, qui nous vient de Buffalo (N.Y.). Le disque est produit par Johnny Rawls qui chante sur deux titres et joue de la guitare sur trois.  La voix est agréable, l’orchestre est bon avec piano, harmonica, orgue, sax ténor et trompette, drums et percussions. Anthony Geraci est invité aux claviers. Le son est chouette et ça balance bien. C’est un disque sympathique par une artiste intéressante qu’il faudra suivre. – Marin Poumérol


Cliff Beach

You Showed Me The Way

California Soul Music – www.californiasoulmusic.com

Parfois on reçoit un album, on le lance et on se met à danser, est-ce bien normal docteur ? De mon point de vue, inutile de consulter, cet album jazz/funk/soul est comme une fontaine de jouvence. Originaire de Washington, D.C., Beach a « grandi dans une église ». Il dit : « Presque tous mes proches étaient des pasteurs, sauf ma mère et moi. J’ai appris l’harmonie vocale à l’église en chantant dans des groupes a capella à six voix et des chœurs. J’ai également commencé à étudier le piano très jeune et j’adorais chanter et jouer pour ma famille à la maison. » Beach a continué à chanter et à jouer du piano tout au long de sa scolarité et est finalement allé au Berklee College of Music (Boston, Massachussetts), où il a étudié le chant et obtenu un BM en gestion de la musique. Comme tous les grands artistes, cet apprentissage est vite devenu autre chose… Il suffit d’écouter la voix de Cliff pour en être convaincu et, comme il est également compositeur et arrangeur, déstructurer des compositions pour les transformer en feu d’artifice personnel semble être pour lui un jeu d’enfant. Il faut toutefois rendre justice à Cliff, la musique telle qu’il la pratique est un art complexe, prenez le temps d’écouter les arrangements ; par moment on pourrait se croire dans un concert de Earth Wind and Fire, avec d’incroyables « descentes » de cuivres et des riffs de guitare à vous couper le souffle. Beach a lancé sa carrière professionnelle en 2003 lorsqu’il a déménagé à Los Angeles. Il a commencé à jouer de petits concerts et, à mesure que sa popularité grandissait, il a finalement joué avec un groupe complet de sept musiciens et des choristes. Il savait également à quel point il était difficile de soutenir ses projets d’enregistrement en tant que musicien, c’est pourquoi il est allé à l’Université Pepperdine où il a obtenu un diplôme de MBA spécialisé en marketing. Il raconte comment il parvient à travailler à plein temps tout en poursuivant ses projets d’enregistrement dans son livre « Side Hustle & Flow ». Cliff est un passionné. On remarquera que nombre d’albums sont sortis ces derniers temps avec le titre Round Midnight de Theolonious Monk qui, au travers des décennies, a franchi le pas pour passer du XXe au XXIe siècle ; force est de constater que seuls les artistes les plus talentueux s’y attaquent et heureusement, car nous avons ici une version incroyable d’inventivité qui nous montre à quel point Cliff Beach est un formidable artiste. Il y a en lui à la fois le respect de certaines traditions et sa propre forme de modernité, c’est ce qui nous plait. Beach a sorti un album par an au cours des dix dernières années. Son premier projet d’enregistrement en 2013, « Who The Funk is Cliff Beach ? » lui a valu plusieurs nominations aux L.A. Music Awards, notamment en tant que “Enregistrement de l’Année”, “Artiste de Jazz de l’Année” et “Artiste de Musique Urbaine de l’Année”. Alpha Magazine a déclaré : « Cliff Beach est un musicien unique en son genre, avec une voix puissante et des doigts habiles lorsqu’il joue du clavier. Les compétences d’écriture qu’il a développées sont de premier ordre. Ce qui le rend unique, c’est son style musical soulful et funky. » L’ombre d’Ella Fitzgerald plane sur cet album, « You Showed Me The Way ». En son sens, cet album est un hommage à Ella, Cliff déclare : « Elle m’a tellement inspiré, non seulement parce qu’elle était une improvisatrice incroyable, mais aussi parce qu’elle s’est plongée dans différents types de musiques à la fin de sa carrière. Elle a chanté des chansons des Beatles, de Ray Charles, de Jobim et d’autres encore. » Il faut bien écouter ces paroles car elles ont un sens profond. Faire des reprises, ce n’est pas faire une adaptation insipide et millimétrée comme on entend trop souvent, il faut « entrer dedans », les cerner, y apporter sa propre vitalité ; peu nombreux sont les artistes capables de cela et pourtant, que ce soit Ray Charles, Ella ou aujourd’hui Cliff Beach, tous ces merveilleux artistes ont eu – ou ont dans le cas de Cliff – cette capacité. C’est également le premier album où il ne joue pas du piano, laissant les claviers à son arrangeur principal, Munenori “Moon” Kishi, un jeune compositeur pour la télévision et le cinéma originaire du Japon. Beach voulait des musiciens capables de naviguer facilement entre le jazz, le funk et le gospel, et il a compté sur son vieil ami et collègue musical Evan Mackey pour être son directeur musical et tromboniste principal. Mackey a amené Rubén Salinas (saxophone baryton), Sam Williams (saxophone ténor), Luis Cardena-Casillas (trompette), Satoshi Kirisawa (batterie), Andy Moresi (guitare), Leah Concialdi (saxophone baryton et alto) et Joe Ferruzzo (trompette). Cet album pourrait s’avérer indispensable à tous les amateurs de jazz, funk /soul et autres amateurs de musique des artistes noirs américains… Thierry De Clémensat


Emma Wilson

Memphis Calling

Autoproduit EWMC 02

La chanteuse anglaise Emma Wilson, dont c’est ici le deuxième album, a été désignée “Emerging Blues Artist Of The Year” par les UK Blues Awards 2022. C’est, alors qu’elle était en visite chez son distributeur Select-O-Music à Memphis, qu’elle a rencontré John Philipps, propriétaire des Sam Philipps Recording Studios qui s’est récemment rendu acquéreur de la légendaire console d’enregistrement des studios Stax. L’idée d’y enregistrer son nouvel album mûrît rapidement. De retour à Memphis en mars 2023, elle y fait la connaissance du producteur des Bo Keys, Scott Bomar, qui réunira pour elle la crème des musiciens locaux, puisqu’on y retrouve Charles & Leroy Hodges, Archie “Hubbie” Turner (Hi Rhythm Section), Joe Restivo, Kirk Smothers, Marc Franklin (The Bo Keys), ainsi que le batteur Steve Potts. On ne peut rêver mieux certes, mais chanter avec ces musiciens est en même temps un sacré challenge à relever : concilier le son de Memphis avec l’esprit anglais. Et le moins que l’on puisse dire est qu’Emma Watson s’en sort admirablement bien (un peu comme sa compatriote Joss Stone qui était aller traîner ses escarpins du côté de Miami chez les anciens de T. K. Records). Elle s’intègre à merveille dans cet univers musical, comme dans What Kind Of Love où elle admirablement soutenue par les cuivres des Bo Keys et la participation du chanteur Don Bryant (par ailleurs auteur du célébrissime  I Can’t Stand The Rain). Emma Wilson a, gage de son immersion totale, co-écrit avec Gary Burr, Terry Reiet et Scii Bomar, quatre des neuf titres de cet album qui se termine par deux reprises plus classiques, Hoochie Coochie Man et Since I Fell For You. Examen de passage réussi pour un retour aux sources du son Hi. – Jean-Claude Morlot


Lone Star Mojo        

A Shot Of The Blues     

Joe Mark Music – www.lonestarmojo.net

Voici le deuxième album de ce quatuor texan formé lors du confinement lié à la pandémie de Covid 19, autour de 2020. Les quatre musiciens sont chevronnés et expérimentés, après des années de tournées et de concerts au sein de bands locaux : on a ainsi Joe Splawn (chant, orgue Hammond B3), Mark Snyder (chant, guitare), Tim Maloney (chant, basse) et Barry Sloan (drums) avec des invités comme Scott Biggs (slide guitar) et Doc Louie Luton (guitare acoustique). À l’exception de deux ballades mélancoliques en slow (Thoughts of You et So Long Ruthie), leur répertoire est plutôt du type « rentre-dedans », à la mode Texas R&B. Les voix manquent quelque peu d’originalité mais, heureusement, sur le plan instrumental, tous assurent avec compétence. Tout au long de cet album, Splawn (orgue Hammond) et Snyder (guitare) démontrent leur savoir-faire, que ce soit dans le slow blues Desolation Blues ou dans les bien enlevés Hey Hey, Good Blues Travels Fast, She Really Loves the Blues, Your Blues Gives My Blues the Blues (sic !), You’re Just A Blur et surtout Corner Boogie qui porte bien son nom. Une mention à What Do You Feel et sa touche reggae et surtout au titre qui conclut l’opus, Americas Got The Blues, en slow et tout à fait d’actualité avec Snyder excellent à la guitare. – Robert Sacré


Curtis Fondren

Heart Songs & Other Melodies vol.1
The Writing Of Curtis Fondren

Fondren Records – curtisfondren.hearnow.com/

Curtis Fondren est un éminent musicien de la scène sacrée de Chicago. Au cours de sa carrière, on le retrouve à la batterie notamment aux côtés du Révérend Maceo L. Woods and The Christian Tabernacle Concert Choir, mais aussi avec le regretté Révérend Clay Evans, ou encore Lou Della Evans-Reid and the Fellowship Choir, sans oublier Albertina Walker, Jessy Dixon et les formidables Donald and Geraldine Gay. Côté profane, il accompagne également – entre autres – Fontella Bass durant de nombreuses années et Dionne Warwick. Ayant fondé son propre label et édité l’an passé un single intitulé With The Tee I Wed – Wedding Song avec Desmond Pringle & Felicia Coleman-Evan, il nous propose aujourd’hui un double CD, avec bien sûr un répertoire sacré sur la première galette, tandis que la seconde nous offre un répertoire profane. Au niveau des compositions, l’émotion est au rendez-vous à l’écoute de Get Ready avec Tina Brown et de Trust Him interprété par “Lil” Harry & The DuBose Brothers, ou encore He Did It All aux côtes des remarquables Jocelyn Buchanan & Nash Shaer III qui sont vraiment admirables. Si vous appréciez le gospel contemporain, mais aussi de somptueuses mélodies à la croisée des musiques afro-américaines, cette nouvelle production de Curtis Fondren, que l’on peut retrouver également en tant que batteur dans plusieurs albums édités par The Sirens Records de notre ami Steven Dollins, trouvera une place de choix au sein de votre discothèque. Ce brillant compositeur est, depuis des décennies, l’un des meilleurs musiciens de la Windy City, ce double album en est un vibrant témoignage. – Jean-Luc Vabres


Heavenly Cream

An Acoustic Tribute to Cream

Quarto Valley Records QVR0174

Une partie des participants à cet hommage n’est déjà plus de ce monde : Pete Brown, Bernie Marsden, disparus dans le courant de l’année 2023, le batteur Ginger Baker quatre ans plus tôt. Vu du ciel, c’est un hommage collectif au groupe sixties Cream (Baker, Clapton, Jack Bruce) dans une série de reprises « acoustiques » du mythique trio. Dans cet équipage, une galerie de noms familiers : Bobby Rush, Paul Rodgers, Pee Wee Ellis, Maggie Bell, Joe Bonamassa, Malcolm Bruce (fils de Jack), Deborah Bonham (sœur cadette du premier batteur de Led Zeppelin). On redécouvre combien Pete Brown, le parolier de Cream et icône underground (aux vrais airs de Léo Ferré), était aussi un merveilleux chanteur dans Theme From An Imaginary Western. Maggie Bell taquine dans Take it Back. Elle est aussi inspirée aux côtés de Bobby Rush et son harmonica pour Sitting on Top of the World, Rush interprète encore de belle manière de Spoonful. Un prêté pour un rendu. Deborah Bonham s’adjuge I Feel Free et la belle chanson Badge qui annonçait déjà la dissolution du premier super groupe de l’histoire du rock. L’entreprise me semble plutôt réussie, même si, en s’attaquant à Cream et sa puissance légendaire, il n’est pas facile de sonner totalement « unplugged ». – Dominique Lagarde


Katie Henry

Get Goin’

Ruf Records Ruf 1306 – www.rufrecords.de

Katie Henry est une chanteuse multi-instrumentiste et compositrise américaine, originaire du New Jersey. Adolescente, elle écoute Elmore James et Freddie King et elle se produit en solo dans les clubs de blues de New York. En 2018, elle enregistre « High Road », son premier album auto-produit. Ce disque lui vaut une reconnaissance nationale et une nomination aux International Bluegrass Music Awards. Son deuxième album, « On My Way » sort en janvier 2022 chez Ruf Records. Thomas Ruf l’engage pour la tournée 2022 de Blues Caravan aux côtés de Ghalia Volt et de Will Jacobs. Le disque et le DVD enregistrés pendant cette tournée sont chroniqués dans ABS Magazine n° 81. Voici donc « Get Goin’ », son nouvel album, enregistré en novembre 2023 à Bad Sooden-Allendorf, petite ville d’Allemagne. L’orchestre est composé de Eric Cannavaro aux claviers, Michael Murauer à la guitare, George Moye à la basse, Richard Pappik aux percussions et Matt Kimathi à la batterie et la guitare. Katie est à la guitare et au piano et chante avec une voix qui rappelle celle de Bonnie Raitt ou celle de Janis Joplin. Notons enfin que le disque est produit par Bernard Allison. Voici une jeune artiste qui personnalise avec talent la nouvelle génération du blues, avec le savoir faire de Thomas Ruf, son avenir semble assuré.Robert Moutet 


Mike Wheeler
& the Delmark All-Stars

Serves Me Right To Suffer

Delmark 880-8 (Digital Single) – www.delmark.com

Voici une sortie disponible en téléchargement enregistrée dans le club Space à Evanston, lors de la soirée célébrant le 70ème anniversaire du célèbre label de Chicago, en septembre dernier. L’excellent guitariste Mike Wheeler, qui fit ses débuts aux côtés du pianiste Lovie Lee, rend ici un formidable hommage au regretté Jimmy Johnson, mais aussi au créateur de Serves Me Right To Suffer, à savoir John Lee Hooker. Il est admirablement épaulé dans son entreprise par Dave Specter à la guitare, Roosevelt Purifoy aux claviers, tandis que Larry Williams est à la basse et Cleo Cole derrière les fûts. Cette formidable et dynamique équipe donne le meilleur d’elle-même pour saluer comme il se doit la musique et le style uniques de “Bar Room Preacher”. Cette pépite est également disponible sur les plateformes de streaming. – Jean-Luc Vabres


Sheryl Youngblood
& the Delmark All-Stars

Every Day of Your Life

Delmark 879-8 (Digital Single) – www.delmark.com

Deuxième single numérique extrait de la soirée du 70ème anniversaire du label Delmark. Après Mike Wheeler, place à la talentueuse Sheryl Youngblood qui rend hommage à son tour à Jimmy Johnson. Formée à l’école du Gospel au sein de diverses congrégations de la Windy City, la chanteuse – qui sait également parfaitement tenir sa place derrière une batterie – nous délivre avec force d’âme et passion une magistrale interprétation. À ses côtés, Mike Wheeler et Dave Specter donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cet enregistrement capté lors de l’événement qui a rassemblé la crème du Blues de Chicago ravira les nombreux fans. – Jean-Luc Vabres


The Hitman Blues Band

« Hey, Can You Guys Play… »
The Hitman Blues Band Versions of Great Songs

Nerus Records NR4496 – www.hitmanbluesband.com

On se demande bien où veut en venir ce groupe new-yorkais avec sa pochette illustrée de morts vivants. Le dénominateur commun de cet enregistrement de reprises de standards du blues, du folk, de traditionnels serait-il au fond l’exhumation de vieilles rengaines sauvées in-extremis du trépas ? Pas vraiment le cas au regard du listing : Hoochie Coochie Man, John the Revelator, Nobody’s Fault But Mine, Boom Boom. Plutôt des choses toujours encore bien vivaces dans la mémoire collective de la musique. Alors Russell “Hitman” Alexander revisite cet héritage par le biais de l’humour et de l’énergie. En ajoutant ou modifiant des couplets, de versions déjà parues. Sur de généreuses nappes d’orgue et de glissandos de slide, avec sa voix d’ogre, il ose même des choses plus légères comme Who Put The Benzedrine in Mrs Murphy’s Ovaltine de Harry “The Hipster” Gibson. Sunday Morning Coming Down devrait lui coûter moins cher en versement de droits que Me and Bobby McGhee du même Kris Kristofferson. Pourquoi ? Parce qu’à la manière des comparatifs de prix de la grande distribution, Hitman mentionne élégamment dans la jaquette un top 8 de ce qu’il faut débourser pour reprendre certains standards du blues, du rock ou de la pop. Gratifiant mais pas gratos. – Dominique Lagarde


Tower Of Power

Oakland Zone

Mack Avenue – www.mackavenue.com

Voici l’un des meilleurs albums live de ce groupe légendaire qui parcourt les scènes avec autant de succès depuis 1968, moins connu en Europe que Earth Wind & Fire mais tout aussi impressionnant dans ses prestations et qui, probablement, survivra à l’excellente équipe de musiciens qui l’ont créé. Passons un instant sur la remarquable captation de ce concert à Oakland qui, comme tous les albums produits par nos amis de Mack Avenue, bénéficie d’un mixage hors norme où il faut vraiment tendre l’oreille pour se rendre compte qu’il s’agit d’un album live. Les liens avec le jazz dans ce groupe sont particulièrement évidents, principalement dans les arrangements, c’est sans doute ce qui fait son originalité. Ce concert enregistre en 2008 à Oakland, de l’avis de ceux qui suivent Tower Of Power depuis longtemps, est une de leur meilleures prestations. Si vous vous intéressez à ce groupe, vous devez lire cet article du New York Times qui date de 1977 « Rock : Tower Of Power’s Funk » de Robert Palmer, il s’agit d’une version digitalisée qui date d’avant 1996, date a laquelle le New York Times est passé en version en ligne, pour un simple petit dollar vous y aurez accès. Emilio Castillo saxophoniste, Stephen “Doc” Kupka membre fondateur de TOP saxophoniste baryton, le batteur David Garibaldi, Tom E. Politzer, saxophoniste ténor, Adolfo Costa trompettiste, Jerry Cortez guitariste et chanteur, Marc Van Wageningen guitariste, Mick Jerel chanteur, Dave Richards trompettiste, Francisco Rocco Prestia (un des membres fondateur disparu) : tous ses musiciens (qui pour certains étaient sur ce fantastique album) ont participé a écrire les lettres de noblesse de Tower Of Power. Que ce soient les parties purement instrumentales ou les parties chantées, ce groupe n’a pas d’équivalent. Avec une telle énergie déployée de titre en titre, réglés comme des métronomes, une précision féroce de chaque instrument et des parties vocales, Tower Of Power est un des groupes les plus impressionnants depuis 1968 qui, au fil du temps, a développé une identité particulière qui les rend reconnaissables entre tous. Si on se laisse prendre aussi facilement par un tel album, c’est peut-être aussi grâce à la différence culturelle de chaque artiste du groupe ; bien entendu la base est funk, mais le jazz n’est pas très loin, la soul music et le blues circulent aussi dans leur veines. Comme je vous le disais, Tower Of Power a un ADN particulier. Ils font un nombre incalculable de concert par ans et sont acclamés partout. Si la musique funk a réussi à passer les décennies et continue d’évoluer avec des personnalités comme Cameo ou George Clinton par exemple, c’est parce que, tout comme dans le jazz actuel, la musique funk est une musique d’écriture et d’arrangements, une aventure humaine qui laisse derrière elle les machines et demande un haut niveau de technicité. Ce concert à Oakland est aussi important en tant que document que les concerts d’Errol Garner ou d’Oscar Peterson proposés par Mack Avenue. – Thierry De Clémensat


11 Guys Quartet

11 x 11

Vizztone Label Group VT-11412 – www.vizzztone.com

Voici un groupe obsédé par le chiffre 11 ! C’est un quartet et pas 11 Guys et il y a bien 11 faces mais pas 11 x 11 ! Chacun ses mystères… (1). Quoi qu’il en soit, c’est anecdotique et le plus important c’est que l’album est excellent de bout en bout, rentre-dedans et intense ! Ce groupe, originaire de Boston et formé dans les années 70, a été enchanté par le succès de son album d’instrumentaux et par ses concerts de 2020, leur premier retour sur la scène musicale US depuis 1985 et il a décidé de remettre le couvert ! Bon retour donc à Paul Lenart (guitare, chant), Bill ‘Coach’ Mather (basse), Chuch Purro (drums, chant) et Richard Rosenblatt (harmonica) qui ont produit et composé ensemble les onze faces de cet album. Neuf sont instrumentales et deux sont chantées : He Ain’t Got You (un slow blues avec Paul Lenart au chant) et Drivin’ A Fast Car (joué à toute vitesse, comme son titre l’annonce, c’est emballé et festif et chanté par Chuch Purro). La cohésion des musiciens, forgée durant cette cinquantaine d’années passées à tourner et à jouer ensemble, saute aux oreilles dès la première face instrumentale et persiste dans les suivantes, toutes assez courtes (entre 2 et 3 minutes) et habitées par la passion, que ce soit dans les slow blues comme l’introspectif Blues Beyond Midnight, Joker Blues et Stompin’ Blues, ou dans les faces en medium comme Lightnin Road, The Rona Stomp et un Black Cat Bone plein d’entrain dans la lignée « feel good songs » et surtout dans un Rockin’ The Blues bien enlevé et entraînant. – Robert Sacré

Note (1) :  à ses débuts, le quartet a joué dans tous les bars et clubs de Boston et des environs et fut rapidement surnommé “The 11th hour group” (“le groupe de la 11ème heure”), d’où cette obsession du chiffre 11 sans doute.


Peter Veteska & Blues Train

Full Tilt

Blue Heart Records BHR/056 – www.nola-blue.com

Peter Veteska est un chanteur et guitariste américain qui a fondé son trio en 2013. C’est avec Coo Moe Jhee à la basse et Alex d’Agnese à la batterie qu’il a déjà publié sept albums. Voici « Full Tilt », son nouveau disque avec, en plus de ses deux fidèles compagnons, de nombreux invités. Jeff Levine est à l’orgue Hammond et au piano sur tous les titres, sauf sur One After 909 des Beatles. Ensuite, on découvre Jen Barnes au chant sur trois morceaux, Mikey Jr., aussi au chant et à l’harmonica, sur trois autres. Et pour compléter l’orchestre, il y a des cuivres. Peter Veteska est l’auteur de huit des douze titres. En plus du morceau des Beatles déjà cité, I Get Evil d’Albert King, Nobody Knows You de James Cox sont très réussis avec, en final, le slow Merry Christmas Baby de Johnny Moore. Enregistré en studio à Long Branch, ville du New Jersey, dans les conditions d’un concert live, voici un disque que l’on peut classer dans le domaine du blues rock. Malgré sa voix puissante et la qualité de ses disques, Peter est un artiste qui reste assez méconnu, c’est très dommage car lui et ses acolytes sont pétris de talent. À découvrir. – Robert Moutet


Stix Bones-Bob Beamon

Olimpik soul

(EP)BE010 – www.boneentertainment.com

Derrière un graphisme d’arrière cour qui renvoie à la pochette de « Physical Graffiti » de Led Zeppelin, au premier Fleetwood Mac ou à « Gasoline Alley » de Rod Stewart, se cache un étrange objet mis en scène par le batteur Stix Bones et son escadron, le Bone Squad. Dans ce EP de huit titres (et trente minutes quand même) l’invité surprise est un percussioniste nommé Bob Beamon. Bob Beamon a 77 ans. C’est une légende de l’athlétisme américain (et mondial), médaille d’or du saut en longueur en 1968 à Mexico et détenteur 23 années durant du record du monde de la discipline avec 8,90m. Aujourd’hui, c’est un un autre challenge que se fixe le champion pour distiller une soul élégante et sans histoire, teintée de jazz et de hip hop, instrumentale pour l’essentiel, à l’exception de deux morceaux : une adaptation du Be Thankful For What You Got de William De Vaughn avec la chanteuse Khadejia, et  Price of Freedom, scandé par Abiedun Oyewole, membre des Last Poets. Retour vers la pochette par cet escalier de secours à l’arrière d’un building qu’en dévalant ou en escaladant, plus d’un fugitif (à l’écran ou dans la vraie vie) a trouvé son salut (ou sa perte). Le descendre, puis le remonter. Un bon exercice pour garder la forme et… l’Olimpik Soul. – Dominique Lagarde


Erja Lyytinen

Diamonds On The Road
Live 2023

TUOHI Records THC-020

Erja Lyytinen est une chanteuse guitariste finlandaise qui a déjà sorti douze albums studio et trois en live : « Song From the Road », « Live in London » et « Loockdown Live ».Voici donc son dernier concert enregistré sur un double CD, le 11 mars 2013 dans la ville de  Seinäjoki en Finlande. Treize morceaux sont proposés, pour une durée de 85 minutes. Erja est sur scène avec Petri Rahikkala aux claviers, Tatu Back à la basse et Hro Laitinen à la batterie. Tous les morceaux sont des compositions de Erja, sauf Crosstown Traffic de Jimi Hendrix. Connue aussi sous le nom de “Queen Of The Slide Guitar”, elle nous propose un blues-rock à la limite parfois du hard rock. Mais elle garde toujours des accents blues dans des morceaux qui dépassent les dix minutes, comme dans Wedding Day et dans The End Of Music (qui porte bien son nom et termine le 2ème CD). Avec dix-neuf ans de carrière, Erja nous a déjà offert d’excellents albums de blues-rock. Elle continue avec réussite dans la même voie. – Robert Moutet


Mike Zito                    

Life Is Hard

Gulf Coast Records  GCRX-9051 – www.gulfcoastrecords.net 

Mike Zito (chant, guitare) s’est entouré du « gratin » pour son dernier album : Joe Bonamassa et Josh Smith comme producteurs et comme guitaristes partenaires, rejoints, entre autres, par Reese Wymans aux claviers (ex-Stevie Ray Vaughan), Calvin Turner à la basse, Lemar Carter aux drums, etc. Le titre de l’album annonce la couleur et les onze faces (1) tournent autour du décès de Laura, l’épouse de Zito, victime d’un cancer et à laquelle tout l’album rend hommage, que ce soit dans les deux compos de Zito lui-même, mélancoliques en slow (Without Loving You et Forever My Love (1)) ou dans les reprises qu’il a sélectionnées. On retrouve ainsi le titre éponyme de Fred James ou le Lonely Man de Little Milton dans une belle version enlevée avec déluge de guitare et d’orgue, ou le No One To Talk To (But To The Blues) de Sherry et Walker, un slow blues bien scandé avec une superbe mélodie. On notera aussi Darkness de Tab Benoit et le Nobody Moves Me Like You Do de Walter Trout et d’autres morceaux très intéressants. Mention spéciale au Death Don’t Have No Mercy de Gary Davis dans une belle version slow très émotionnelle qui commence a capella et devient vite hargneuse et revendicative.Robert Sacré   

Note (1) : une face 12 est annoncée sur la pochette, c’est parait-il une version « radio edit » de Forever My Love, mais elle est absente de ma copie !


The Blood Brothers
Mike Zito – Albert Castiglia

Live in Canada

Gulf Coast Records – www.bloodbrothersband.com

À l’énoncé des principaux participants à ces Blood Brothers, les guitaristes Mike Zito et Albert Castiglia, on se doute que Ça va faire du ramdam. Frères de sang ? Frères sanguins ? Frères saignants ? ils sont un peu tout à la fois. Explosifs. L’énergie qu’ils dégagent sur scène avec leur section rythmique les classe sans équivoque dans le heavy rock, même si le fond de leur inspiration est ancré dans le blues. Outre les titres crédités au duo, des contributions de Tinsley Ellis (Tooth and Nail), John Hiatt (My Business) et au final une version du Rockin’ in The Free World de Neil Young. Même lorsqu’il dégage en surface des parfums plus subtils pour honorer les grands espaces (In my Soul, A Thousand Heartaches, Bag Me, Tag Me, Take me Away), le fond de sauce demeure bien épais. Epicé comme il faut sur le blues You’re Gonna Burn signé Fred James. Au compteur électrique, ce soir de concert était un soir bleu. Le jus bon marché. On pouvait lâcher les chevaux. – Dominique Lagarde


Jennifer Porter

Yes, I Do !

Cougar Moon Music CMM 009

Look angélique et sourire ravageur, Jennifer Porter a un pedigree impressionnant : compositrice, chanteuse, pianiste, actrice et scénariste, elle a suivi une formation de chanteuse d’opéra et de pianiste classique en développant, en parallèle, un répertoire allant du jazz et du blues à la country et à l’opéra ! Qui dit mieux ? Elle a chanté avec des orchestres classiques et de jazz comme le Glenn Miller Orchestra et est emballée, depuis l’enfance, par les pianistes de boogie-woogie. Toutes ces influences se retrouvent dans ses enregistrements comme dans cet album, le neuvième dans sa discographie. Elle en a produit huit faces et en a composé six. Elle y chante et joue du piano et de l’orgue Hammond avec Dana Packard aux drums, Damon Banks à la basse, George Naha à la guitare, Steve Jankowski à la trompette, Doug Dehays aux saxes et des invités. En bonus, les textes sont dans les notes de pochette. Toutes les faces sont des ballades très jazzy et syncopées, soit en slow comme Yes I Do et Over You, ou plus enlevées comme Before We Call It A Day et Lucky Dust (Shining Through) avec cuivres, piano et guitare survoltés ; c’est le cas encore dans All I Needed Was You avec, invité, C.J. Chenier (assez discret) à l’accordéon, Porter au Hammond B 3 et piano, c’est musclé et très flatteur pour la ville de Paris et ses atouts. Notons aussi Don’t Worry No More avec Cindy Cashdollar, discrète elle aussi à la pedal steel guitar, une ballade sentimentale et nerveuse au rythme soutenu. Quant aux reprises, ce sont How Long de Leroy Carr en version romantique en slow et Good Ol ‘ Wagon de Bessie Smith, en slow et plutôt jazzy. – Robert Sacré


Malted Milk

1975

Mojo Hand Records / L’Autre Distribution

1975 est l’année de naissance d’Arnaud Fradin et le titre de ce nouvel album de Malted Milk (paru le 23 février 2024, date anniversaire d’Arnaud). Chaque album de Malted Milk est un sans-faute. Ce collectif d’excellent musiciens, plus que jamais, donne cette étrange impression d’avoir enregistré dans les studios de Stax records ou de la Motown. Les années passant, la voix d’Arnaud Fradin a gagné en profondeur, les arrangements aussi ont pris de l’ampleur avec des chœurs qui tombent de partout, des cuivres et des riffs de guitares qui vous envahissent de la tête au pied. Depuis la création du duo blues originel (guitare et harmonica), en 1997, jusqu’à la formation de onze musiciens lors de la tournée 2016 de l’album « Milk & Green », le groupe a expérimenté plusieurs types de formations (quartet, quintet) jusqu’à trouver sa formule actuelle à sept. Peu importe, l’efficacité de ces musiciens français n’est plus à démontrer, Nantes ou Paris sont bien trop petits pour un groupe de cette qualité qui ferait le plein ici aux USA et probablement se retrouverait avec de belles propositions de collaborations de grands artistes soul ou funk assez rapidement. Malted Milk, c’est un état d’esprit, autant dans les textes que dans la musique, de l’amour, de la générosité. Leur musique est à l’image de leurs concerts et ce nouvel album est la preuve d’une belle évolution et de l’extraordinaire cohésion de ce groupe, I’m Possible en est un bel exemple. Malted Milk a un son bien à lui, un véritable savoir-faire façonné avec passion au fil des années. Ce nouvel album est la conséquence de toutes ces années de scènes, pas seulement des succès visibles, mais également des scènes plus modestes, des rencontres diverses et variées et, bien entendu, de la réactivité du public à chaque concert. Rares sont les groupes européens qui trouvent le succès en s’engageant dans ce style musical, on commence simplement depuis quelques années a voir des artiste français comme Thomas Kahn réussir – à force d’un travail acharné – à atteindre un tel niveau musical. Malted Milk s’est adjoint les services du guitariste et chanteur italien Marco Cinelli, membre du groupe The Cinelli Brothers sur ce nouvel album ; une bien belle idée car cela donne une couleur particulière a ce nouveau CD et, pour ceux qui trouveraient que huit titres c’est un peu court, c’est sans compter sur les live dans lequel le groupe rallonge tel ou tel morceau pour le plus grand bonheur du public. – Thierry De Clémensat


Doc Lou & The Roosters

Cock-a-Doodle-Live

Mojo Rodéo 2023

Doc Lou est un chanteur, harmoniciste et guitariste qui a acquis une bonne expérience en jouant avec des bluesmen en Louisiane et à Paris entre 2010 et 2015. De retour en Occitanie, il forme un trio avec Jeff Hug (guitare et chœurs) et Mitch Geronim (battterie et chœurs). Avec des compositions originales et des reprises de célébrités comme Slim Harpo et Jimmy Reed, le trio enregistre deux albums, « Crowing Blues » en 2019 et « Back to Louisiana » en 2021. Après de multiples concerts dans les clubs de leur région, ils sont sélectionnés en 2023 pour l’International Blues Challenge de Memphis aux États-Unis. Ils terminent cette aventure en quart de finale du challenge. Voici donc leur nouveau disque de 14 morceaux enregistrés live à l’auberge café théatre Chez Tonton à St Aubin dans le Lot et Garonne. Le morceau Scratch My Back de Slim Harpo ouvre le concert qui va durer une heure et nous emmener de la Louisiane jusqu’à Chicago, en passant par le Texas. Après l’écoute de ce concert, il ne reste plus qu’à souhaiter à ce trio de se produire hors de l’Occitanie pour entrer dans le cercle des meilleurs groupes de blues français. – Robert Moutet


Delgres

Promis le Ciel

Discograph – www.delgresmusic.com

Ce que nous aimons chez Delgres, c’est ce côté presque cajun de leur musique, bien que l’histoire du groupe soit différente de l’histoire cajun, à l’exception de la langue créole qui a donné au monde cajun cette étrange francophonie que les francophones peinent à comprendre… Avec son troisième album, « Promis le Ciel », le groupe s’inscrit dans l’honorable lignée des grands power trios avec cette singularité toute personnelle d’entremêler le créole et le français, comme s’il s’agissait d’une nouvelle langue susceptible de rivaliser sur le terrain du verbe anglais. C’est lors de l’aventure “Rivière Noire” que Pascal Danaë, chanteur et guitariste d’origine guadeloupéenne, a rencontré le batteur Baptiste Brondy. Ils ont vingt ans d’écart, mais ils se reconnaissent aussitôt dans ce projet ramenant la musique brésilienne à ses racines africaines. Une Victoire de la Musique en 2015 les récompense, avec le chanteur brésilien Orlando Morais et le bassiste et réalisateur Jean Lamoot. Fils d’un batteur professionnel, Baptiste Brondy s’installe derrière ses toms dès l’âge de trois ans. Le musicien nantais accompagne le gotha de la chanson rock, de Jean-Louis Aubert aux Silencers, avant sa rencontre avec Pascal Danaë, fils d’électricien élevé au son de la guitare des Kinks : « Malgré notre différence d’âge, nous sommes hyperconnectés. Les morceaux naissent de ce dialogue, comme si Baptiste connaissait déjà la suite de la phrase dès que je pose un doigt sur ma guitare ». Bien au-delà, il faut entendre sous les sons – et au travers de la voix de Pascal Danaë – une façon de raconter, pour ne pas oublier, l’Histoire des îles françaises avec une succession de douleurs et le christianismes en toile de fond pour mieux manipuler les populations locales et les asservir. De nos jours, même si elles semblent avoir changé, les choses demeurent, la population locale est souvent la plus touchée par la pauvreté et la criminalité. Delgres raconte un peu de cette histoire, souvent avec des textes profonds qui devraient être étudiés dans les écoles et universités, tant ils sont révélateurs d’une réalité et de la douleur d’un peuple. Pierre Bastide est l’ancien prof de musicologie de Pascal Danaë. « Après un début de carrière avec l’orchestre de l’Opéra de Paris, l’orchestre philaarmonique de Radio France et autres orchestres du Capitole ou de Lille, j’ai commencé à me diversifier tant dans la variété que dans le jazz avec des artistes comme Ibrahim Maalouf ou Enrico Macias », relate le joueur de tuba basse. En retour, Pascal Danaë s’extasie : « C’est un extra-terrestre ! Il est tout à la fois capable de s’épanouir chez Moussorgski comme dans une mazurka antillaise ou une fanfare mandingue ! » L’analogie entre la musique de Delgres et les musiques cajun, le blues ou d’autres formes musicales chères a nos cœurs, est omniprésente sur chaque titre de cet album très fort et, si lors de leur derniers concerts aux USA leur succès a été tel, c’est parfaitement légitime et compréhensible. Ce groupe donne ses lettres de noblesse à la formule trio et, de disque en disque, ne déçoit pas. « Promis le Ciel » est un grand cru. Saluons l’humanisme qui se dégage de l’ensemble des œuvres contenues dans cet album. – Thierry De Clémensat


The Deweys

Silence As A Friend

DEW0001 – www.thedeweys.fr

Le titre du EP de sept titres de ce trio originaire de Pau résume en partie sa philosophie. L’ensemble des chansons, en anglais, se déroule sur un rythme lent et recueilli dans une ambiance oscillant entre blues et country-folk alternatif. On imagine mal des bruits extérieurs venir perturber ce flux méditatif et cinématographique de la voix, des guitares et de l’harmonica, sinon quelques accords de violons, quelques chorus de trompette à la Miles Davis. Majesty, du groupe Madrugada, ouvre le disque dans une certaine intensité dramatique. Only The Heat révèle une approche plus mélodieuse et détendue. The Voodoo Game laisse entendre une guitare saturée. Une reprise très personnelle du Hard Time Killing Floor de Skip James ou un No Fun des Stooges, apaisé, sont les deux autres adaptations retenues. Dans cette atmosphère qui peut paraître sombre, l’éclaircie est au bout du chemin. – Dominique Lagarde


Various Artists

Down Home Blues
Chicago Volume 3
The Special Stuff

Wienerworld WNRCD5121 – www.wienerworld.com

Wienerworld publie un sixième coffret concocté, comme les cinq précédents, par le regretté Peter Moody qui eut juste le temps de terminer cette dernière compilation de 4 cds avant de mourir, début novembre 2021. C’est le troisième consacré à Chicago. Je rappelle qu’en plus de Chicago, Detroit, New York, Cincinnati & the North Eastern States et Miami, Atlanta & the South Eastern States, rassemblaient de superbes et rares chansons. Le livret de quatre-vingt-quatre pages, illustré de rares photographies et des étiquettes de labels des disques ici compilés, a été rédigé par l’éminent Chris Bentley. L’excellente et copieuse discographie est due à Mike Rowe. 110 chansons rares ou inédites à l’époque enregistrées entre 1941 et 1961 sont à découvrir. A quelques rares exceptions, elles seront familières à de nombreux lecteurs de ce magazine. Les prises alternatives ont toutes vu le jour sur des albums, puis des cds à partir de 1970. Les célébrités telles Muddy Waters, Robert Lockwood Jr, J.B. Hutto, Big Joe Williams, John Lee Sonny Boy Williamson, Eddie Taylor, Little Brother Montgomery, JB Lenoir, Big Joe Turner, Junior Wells, Bo Diddley, Big Maceo, Chuck Berry, Little Johnny Jones, St Louis Jimmy, Little Walter, Jazz Gillum, Sunnyland Slim, Willie Mabon, Forest City Joe, …, sont présentes avec des morceaux plus ou moins connus. Par exemple, le 1 Septembre 1954, enregistrait Smokestack Lightning pour les frères Chess qui ne jugèrent pas bon de publier cette chanson qui n’apparut que dans les années 1970s sur quelque compilation. C’était un an et demi avant que Howlin’ Wolf en donnât la version définitive que nous admirons. Revenons aux vraies raretés. La chanteuse et joueuse de washboard Ann Sorter, qui fut quelque temps l’épouse de Robert Nighthawk, bénéficie de deux excellents titres, Tell It To The O.P.A 5 (Chicago 100/1 en 1945) et Bad Stuff (20th Century en 1946) enregistrés par J. Mayo Williams, sur lesquels elle est accompagnée par le pianiste Memphis Slim et le batteur Jack Cooley. Ces deux disques ne se vendirent pas. En outre, elle eut la mauvaise idée de mourir en mars 1949. Elle n’avait que 26 ans. J. Mayo Williams enregistra l’excellente pianiste de Boogie Woogie Mata Roy, probablement en 1952. Son seul disque, Pete’s Shuffle Boogie Part 1 and 2, est une découverte enchanteresse pour moi. Tout comme la chanteuse inconnue Minnie Thomas avec Don’t Let It Happen To You. Connaissiez-vous le chanteur Grover Pruitt ? Accompagné par Freddie Roulette et sa lap-steel guitare, il délivre un Fool For You Baby (Laredo 1002 en 1959) qui mêle pour notre plus grand plaisir auditif Elmore James et Chuck Berry. Le classique Blues With A Feeling (PAM 1002 en 1961) est interprété avec talent par le chanteur-pianiste Lucky Carmichael, soutenu par l’excellent guitariste Matt Murphy. On retrouve ce dernier aux côtés du célèbre Memphis Slim dont Peter Moody a sélectionné quatre titres enregistrés à Chicago en 1961 et publié sur le très rare album Strand LP 1046 « Memphis Slim World’s Famous Blues Singer ». Strand était un label new-yorkais qui produisit des séries économiques jusqu’en 1965. Malgré son excellence, ce 33 tours passé inaperçu n’a pas été réédité à ma connaissance. Finissons l’examen de ce coffret par les inédits. Le chant du cygne de Johnny Temple est un acétate gravé en 1950, semble-t-il, dans les studios Chess et découvert il y a quelques années. Le voici enfin sur le support cd. Aucun renseignement autre que les titres : Pretty Woman et Jack And Jill. Il n’est pas sûr que Johnny Temple soit le guitariste de la session. Ses accompagnateurs sont aussi inconnus, même si certains soupçonnent la présence du pianiste Sunnyland Slim. Ce sont cinq titres inédits exceptionnels de Magic Sam et son oncle l’harmoniciste Shakey Jake, qui concluent ce coffret. Imaginez-vous dans la salle de séjour de Magic Sam à Chicago. Vous avez avec vous un magnétophone. C’est l’aventure qui arriva en 1966 à un grand amateur de Blues australien Rick Milne. Le joyau de cette séance impromptue est Every Day And Every Night. Magic Sam est seul avec sa guitare et sa voix. Quelle émotion ! Cassez votre tire-lire ou mettez quelque objet au clou et procurez-vous cet indispensable coffret ainsi que le cinq autres de la série si ce n’est déjà fait. – Gilbert Guyonnet


Calvin Arnold

Funky Way
Venture Records 1967-1969

Kent Records KENTX 528 – www.ace-records.co.uk

Tout commence avec un nom entre parenthèses collé à une chanson. C’est peu comme reconnaissance mais, comme dirait l’autre, c’est toujours mieux que rien et Calvin Arnold devra s’en contenter, comme nous, jusqu’à ce jour où le Label Kent décide de se pencher sur le phénomène en question qui débute sa carrière sous la houlette d’un Esquerita (Steven Quincy Reeder Jr.), l’extravagant chanteur qui signait chez Capitol en 1959 un (et unique) album plus excentrique que son mentor Little Richard. Calvin Arnold ouvre les yeux un 29 avril 1941 à Atlanta en Géorgie. Issu d’une famille qui ne penche pas plus que çà vers la musique, il écoute avec frénésie les ondes locales qui diffusent des titres noirs pour les Noirs, et lui se plaît déjà à s’imaginer une guitare à la main dès son adolescence. En 1949, WERD-AM devient la première radio appartenant à et gérée par des Noirs et la musique fuse. Calvin a les doigts qui démangent et, coup de chance, il trouve un portefeuille garni d’une quinzaine de billets qu’en honnête homme il rapporte à sa mère qui décide de lui offrir sa première guitare à 7.50$. Et voilà le gosse sur le perron de la maison à casser les oreilles des voisins, à ne pas savoir jouer, jusqu’au jour où un voisin plus cool que les autres lui montre comment l’accorder. Avec quelques copains du quartier, ils décident de monter un groupe de gospel, les Sons of Heaven (constitué d’Harry Lee Williams, Arnold Calvin, Lloyd White, Carlton Sheppard et Willie Dixon) qui squattent quelques églises de quartier pour faire honneur aux parents, jusqu’au déclic entendu sur WERD. Hank Ballard & The Midnighters épate les gosses qui se faufileront dans la salle où le groupe joue. À partir de ce moment là, Calvin et sa troupe ne feront que jouer les morceaux de Hank, mais le Rhythm’n’Blues hurle à la mort et s’en sera fini pour le Gospel. Dixon prend le chant et, après quelques tâtonnements, le groupe prend le nom de The Gardenias. Tout le reste est très bien résumé dans le livret qui accompagne le disque, rédigé par Brian Poust (musicologue à qui l’on doit notamment « Eccentric Soul, The Tragar & Note Labels » sur Numero Group, Richard Marks, « Never Satisfied », sur Now-Again Records et d’autres qu’il faut dénicher tant la qualité indéniable de ses recherches sont remarquables. Musicalement, nous sommes en pleine période où le blues se teinte de soul et de funk. Calvin entame les hostilités avec ce fameux Funky Way qui ébranlera la censure d’Atlanta pour un mot considéré à l’époque comme obscène (mais pas ailleurs), un titre dans lequel les riffs du moulinet de Bo Diddley sont des ombres omniprésentes qui fréquentent la « funkitude » d’un James Brown produit par l’écurie Stax (et on comprend mieux le pourquoi en suivant les notes de Brian Poust). Funky Way est aussi un pamphlet sur les défauts du genre humain, suggérant par là même une leçon de vie directement affiliée à Joe Tex qui en avait fait sa marque de fabrique. Pas de fioritures inutiles dans ce disque qui retrace les débuts d’un label, Venture (filiale de MGM qui ne voulait pas être en reste sur la scènes soul/funk en pleine explosion), et c’est là qu’on se dit que si une meilleure promotion avait été faite, le gars de Georgie ne serait certainement pas resté cantonné dans l’arrière-cour des auteurs compositeurs interprètes. On ne réécrit pas l’histoire, alors quand Kent Records, pour sa première sortie de l’année, lui redonne toute sa place, l’album mérite plus que notre attention. Calvin Arnold a un chant puissant, comme un  regard de braise, plaqué sur des riffs de guitares et notes d’orgues/cuivres simples mais ultra malignes (Mini Skirt) et bougrement dansantes. Et tout suit son cours comme une normalité. You Got To Live For Yourself aurait très bien pu figurer sur un album d’Otis comme d’Aretha sans aucune honte tellement il est dans la couleur du temps. Just A Matter Of Time offre un puissant groove, rude, urbain, entraîné joyeusement par quelques notes de piano qui lui donnent toute sa ferveur et là s’arrêtent les huit titres enregistrés et édités par Venture. Kent nous rajoute quelques inédits (5) dont un Tryin’ To Fly My Kite (In Rainy Weather) qui tient le pavé comme un Darondo avec une basse ronflante. C’est donc une rentrée fracassante pour Kent Records et nos platines, car l’album se trouve aussi en vinyle (avec un ordre différent d’apparition pour un confort d’écoute, comme ils disent). À se demander pourquoi ces cinq titres n’ont pas été édités à l’époque ? Peut-être en raison des moyens financiers inexistants pour poursuivre et l’aventure de Venture et celle d’Arnold (qui pour gagner sa croûte conduit des camions avant de « finir » comme producteur derrière des consoles). Calvin Arnold enregistrera encore quelques titres (sur Sonday Records et IX Chains Records) qui ne sont pas inclus ici, mais ce n’est pas si grave, car cet album est un superbe hommage à un chanteur qui le méritait grandement. Extra ! – Patrick Derrien


Edward White

The Great Gates

Jasmine Records JASMCD 3255 – www.jasminre-records.co.uk

Une redécouverte importante. Ces enregistrements de rhythm’n’bblues West Coast faits entre 1949 et 1957 sont d’une grande qualité et nécessaires dans toute bonne collection de blues. Edward White, surnommé “The Great Gates” (1918-1992) fut un excellent chanteur. Il enregistra sur de nombreux labels dès 1949 : Selective, Kappa, Miltone, 4 Star, Hollywood, Modern, Combo, States, Aladdin, au début sous l’influence de Charles Brown, puis dans un style plus dynamique avec de très bons musiciens dont le guitariste Jesse Ervin, bien mis en avant sur de nombreuses faces, ainsi que le saxophoniste Marvin Phillips et le batteur Earl Brown. R&B de haut niveau avec de petits bijoux comme Late After Hours, Rockin’ Time, Change Your Ways, mais on pourrait citer la majorité de ces titres, tous excellents. Sur la fin de sa carrière, Edward White se mit à l’orgue, mais de façon anecdotique. Seize de ces faces étaient parues en 1986 sur un LP Krazy Kat 7435 devenu un « collector » très recherché, mais ce CD, avec ses 27 titres et un son impeccable, devient le disque incontournable du “Great Gates” : à ne pas laisser passer ! – Marin Poumérol


Various Artists

The Memphis Blues Box
Original Recordings First Released On 78s and 45s, 1914-1969

Bear Family Records BCD17515 – www.bear-family.fr

La cité de Memphis, par son idéale position géographique, a attiré d’innombrables afro-américains venus du Mississippi, de l’Arkansas, de l’Alabama et du Tennessee. Certains s’y installèrent définitivement, d’autres gagnèrent d’autres cieux plus au nord, tels Saint Louis, Missouri, Chicago, Illinois, ou Detroit, Michigan. A Memphis, autour de Beale Street, les afro-américains ont développé une véritable vie économique et culturelle avec cabinets d’avocats, salons de barbiers, ateliers de tailleurs, hôtels, restaurants, théâtres, cabarets. Mais aussi une importante activité de loisirs : tripots clandestins, bordels et bars où la musique était omniprésente, le Blues en particulier. Beale Street est une alcôve convoitée par les amateurs de Blues. Sous un ciel de volupté, de loisir, de vies tragiques, de passion, la plus grande liberté semblait promise aux fêtards noctambules dans le choix des plaisirs et rêveries. La musique y tenait une très grande place. Dans ce véritable creuset, les afro-américains ont fait surgir ce que nous désignons maintenant par « Memphis Blues », un des plus formidables joyaux de la culture américaine, alliage résultant d’une véritable alchimie ; « Musique non pas seulement par ses cadences, ses recherches harmoniques, par ses sonorités, mais par une sorte de noble énergie à ne rien vouloir signifier, par le désir de n’être plus qu’une douce offrande, placée sur le chemin de ceux qui demandent du secours, de celles qui ne veulent pas s’abandonner, et de la foule des hommes qui chercheront éternellement sur le sable les traces d’une invisible douceur » (Léon-Paul Fargue, Paris, Seine, Editions Fata Morgana).

Sous les auspices d’un des meilleurs connaisseurs de la musique de Memphis, Martin Hawkins, la firme de disques allemande Bear Family publie un copieux coffret consacré aux trésors musicaux de cette ville. Vingt cds diffusent 534 chansons présentées dans l’ordre chronologique à partir de 78 tours et 45 tours gravés et enregistrés entre 1914 et 1969. Un livre de 360 pages accompagne cette impressionnante publication. Charlie Musselwhite narre quelques souvenirs de Memphis où il fit son éducation musicale avant de gagner Chicago. David Evans présente avec beaucoup de clarté et d’intelligence ce qu’est le « Memphis style Blues ». Martin Hawkins, le maître d’œuvre de ce monument, est l’auteur de plusieurs essais passionnants. Ont collaboré Paul Swinton, Tony Russell et Bob Eagle dont les connaissances sont très précieuses. Chaque artiste a droit à une notice biographique plus ou moins longue selon l’état de nos connaissances. Chaque chanson est analysée. La discographie est parfaite. Les illustrations de qualité sont innombrables. Quant au son, je vous laisse deviner « deutsch qualitat », c’est-à-dire remarquable, à quelques très rares exceptions dues aux originaux. Il est impossible de détailler tout ce que cet écrin renferme, de la voix de W.C. Handy en 1914 à Ike et Tina Turner en 1969. Musiciens de jazz, de vaudeville, chanteurs de rue, bluesmen, jug bands, prêcheurs, artistes de Rhythm & Blues, de Blues électrique, de Soul et Rock’n Roll sont ici rassemblés. Cela permet ainsi de tisser une toile dans laquelle on peut découvrir quelque lien entre Gus Cannon, Bobby Bland, Rufus Thomas et Big Lucky Carter. Cette ville fut fertile en talents considérables. Ce miracle musical est compilé sur ce coffret. Les onze premiers cds sont dévolus au Blues d’avant-guerre : Sadie James, Ollie Ruppert, Fury Lewis, Memphis Jug Band, Jim Jackson, ‘Mooch’ Richardson, Frank Stokes, Walter Rhodes, Will Weldon, Hambone Willie Newbern, Robert Wilkins, Hattie Hart, Memphis Minnie, Sleepy John Estes et tant d’autres moins connus. Les neuf autres cds vous feront entendre, entre autres, Memphis Slim, BB King, Joe Hill Louis, Roscoe Gordon, Ike Turner, Howlin’ Wolf, Jackie Brenston, Walter Horton, Rufus Thomas, Junior Parker, Don Hines, …, et une petite poignée de chanteurs blancs, tels Elvis Presley et Carl Perkins, influencés par la musique entendue dans les rues et les clubs de Memphis.

Les lecteurs d’ABS Magazine possèdent probablement la plupart des chansons ici présentées sur divers supports. Je pense que comme moi ils découvriront quelque rareté tel le plus bluesy des clarinettistes que j’ai jamais entendu, Douglas Williams. Son titre sur le cd5, Undertaker Blues, est une révélation. Que cette compilation est bien faite. Même le plus vieux et blasé des amateurs de Blues ne pourra qu’être séduit par l’intelligence du producteur capable d’amadouer le plus exigeant des passionnés. – Gilbert Guyonnet


Larry Darnell  

I’ll Get Along Somehow   

Jasmine Records JASMCD 3267 – www.jasmine-records.co.uk

Larry Darnell est un artiste dont nous avons tous entendu parler ou dont nous avons écouté des titres sur diverses compilations sans en savoir plus sur lui. Dommage, car il s’agit d’un superbe chanteur/crooner et l’apparition de ce CD est une aubaine. Surnommé “Mr Heart and Soul”, il est né à Colombus (Ohio) en 1928 sous le nom de Lee Edwards Donald. Après avoir travaillé dans une revue de danseurs et travestis “Brownskins Models”, il se retrouve a New Orleans où il est engagé pour se produire au fameux Dew Drop Inn. C’est là qu’il est remarqué par Fred Mendelsohn, le patron des disques Regal. Ses premiers enregistrements deviennent des « tubes » importants : For You My Love, numéro 1 dont il existe de nombreuses versions et I’ll Get Along Somehow, numéro 2 en 1949. Les succès vont continuer tout au long des années 50 avec des titres comme Oh Babe de Louis Prima, Boogie-oogie, Give Me Your Love. Il est accompagné par de superbes orchestres dont ceux de Paul Gayten, de Leroy Kirkland, de Howard Biggs et des musiciens de premier ordre : Sam Taylor (ts), Mickey Baker (gt), Panama Francis (drums), Haywood Henry (sax ). Possesseur d’une très belle voix grave, il est aussi à l’aise comme crooner que comme swinger (pré-rock). Les années 60 et 70 vont être plus difficiles pour lui, atteint d’un cancer il va disparaitre en 1983 à l’âge de 54 ans. Ce CD résume fort bien sa carrière avec 29 titres de qualité qu’on aurait tort de négliger.Marin Poumérol


Ben Harper with Charlie Musselwhite

Get Up !

Stax / Craft Recordings / Universal Music

« Get Up ! », enregistré en janvier 2013 dans les studios Stax à Memphis, était le vingt-cinquième album de Charlie Musselwhite et le onzième de Ben Harper, et l’un des sommets discographiques de ce qui est devenu un duo mythique. Deux générations, une grande culture de la musique-afro-américaine, mais avant tout une même passion, une même envie créatrice. Nous avions en son temps mis en avant cet album aux textes forts, enregistré de manière remarquable et, dix ans après, on se rend compte que cette réédition par Craft Recordings/Universal Music n’a pas pris une ride. L’intensité des textes et de la musique, la guitare dépouillée de Ben Harper et les riffs d’harmonica habités de Charlie Musselwhite, nous font vibrer comme à la première écoute. L’album avait glâné le Grammy Award du Best Blues Album en 1994, ABS Magazine avait alors publié un article de fond sur Charlie Musselwhite avec une interview de JP Urbain et des photos du duo. En 2019, la chanson For Found Another Lover (I Lost Another Friend) a été certifiée “Gold” par la Recording Industry Association of America. L’album a également été en tête du classement Blues du Billboard. « Get Up ! » reste à ce jour l’album le plus vendu du duo Harper/Musselwhite et peut désormais être considéré comme un « classique » du Blues moderne. Cette belle réédition des dix titres en format vinyle 33 tours ravira ceux qui n’avaient pas acheté le disque à l’époque et tous les fans – comme moi – du duo. – Marcel Bénédit


Mary Lane
And Her West Side Blues Band
Featuring Detroit Jr. and Johnny B. Moore

Leave Me Alone

Wolf Records CD 120.843 – www.wolfrec.com

Ce cd de la chanteuse Mary Lane que Wolf Records a intitulé « Leave Me Alone » est la réédition du disque « Appointment With The Blues » publié en 1997 par Noir Records (Noir Records 1280). Ce n’est pas tout à fait une réplique exacte de l’original, puisque la firme de disques autrichienne a modifié l’ordre des douze chansons et créé une nouvelle pochette avec une photographie couleur de Mary Lane, la belle photo noir et blanc de l’original due à James Fraher orne le verso du cd. Le producteur de la séance, Kirk Whitig, est l’auteur des nouvelles notes du livret. J’indique à nos lecteurs qu’une première rare réédition de ce cd apparut en 2008 avec la référence MLR-4161. Je soupçonne que MLR était l’acronyme de Mary Lane Records. Hélas, mes recherches à ce sujet ont été vaines. Il existe bien un Mary Lane Records, maison de disques créée en 2015, mais consacrée au rap et au punk… Mary Lane est maintenant une dame d’âge respectable. Elle est une excellente chanteuse de Chicago où elle arriva en 1957, venue de Brinkley, Arkansas. Là où Robert Nighthawk l’incita à chanter. Dans les années 1960s, elle vécut à Waukegan, Illinois, où elle rencontra et épousa l’excellent chanteur et guitariste Morris Pejoe. Celui-ci était tellement jaloux qu’il battait Mary Lane. Ils se séparèrent après huit ans de vie commune et trois enfants. Il semble qu’elle ne lui en tient pas rigueur puisqu’elle reprend une chanson de son ex-mari, Hurt My Feeling. Depuis les années 1980, elle vit à Chicago, hélas avec de grandes difficultés financières. En outre elle souffre actuellement de la cataracte. Heureusement, la généreuse Music Maker Foundation, œuvre de Tim Duffy, lui vient en aide. Le documentaire qui lui a été consacré ne l’a pas rendue plus célèbre. Il faut dire qu’elle n’est pas facile à aborder : elle veut se faire payer les interviews ! Ce disque, enregistré par Twist Turner, rassemble quelques pointures. Le regretté pianiste Detroit Jr. est particulièrement remarquable sur Three-Six-Nine-Blues. La prestation du guitariste Johnny B. Moore est superbe. Celui-ci a disparu de la circulation. Malgré toutes mes recherches, personne n’est capable de donner de ses nouvelles. Le bassiste et mari de Mary Lane depuis les années 1990, Jeffery Labon, le guitariste Robert Mell, l’organiste Erskine Johnson, le saxophoniste Michael Jackson et le batteur Cleo ‘Bald Head Pete’ Williams sont aussi de la partie. Le répertoire est en majorité dû à la plume de Mary Lane et son époux Jeffery Labon. En plus de la reprise signalée plus haut, Mary Lane interprète Make Love To Me One More Time de Denise LaSalle et Candy Yams (Country Girls Return) d’Al Smith et ses paroles qui font allusion à la violence conjugale dont elle fut victime : « Shot my man five times to make sure he was dead/But when I raised my leg, that man, he raised his head ». L’impeccable soutien de l’orchestre met bien en valeur la voix de Mary Lane. Ce disque a très bien vieilli. Il s’écoute avec toujours autant de plaisir qu’il y a 27 ans. Soyez très nombreux à acheter cette réédition, ce qui garnira modestement l’escarcelle de Mary Lane. – Gilbert Guyonnet