Ernie Johnson

Ernie Johnson. Photo © Norman Williams (courtesy of Hidden Duo LLC).

La Soul du kid de Winnsboro

• Ernie Johnson est né à Winnsboro, en Louisiane. Il n’a commencé à chanter professionnellement qu’après avoir déménagé à Dallas, Texas, où il a formé le groupe The Soul Blenders. Depuis son premier single en 1968, Lovin You / Cold Cold Heartpour Movin’ Records, sa carrière discographique et scénique est des plus étoffée, ce qui en fait un artiste soul reconnu. Il était l’invité de la 34ème édition du Porretta Soul Festival en Italie en juillet dernier, occasion rêvée pour le rencontrer et nous entretenir avec lui sur sa carrière discographique.

Ernie Johnson, Porretta Soul Festival, Italie, juillet 2022. Photo © Giorgio Barbato

• Vous êtes né en en 1948 ?

Je n’en sais rien. Je n’en suis pas certain, car à cette époque les autorités enregistraient les informations qu’on leur donnait ! Je suis né à Winnsboro en Louisiane, c’est à 39 miles de Monroe.

•  Sonny Green en est originaire aussi ?

Oui. Je l’ai connu lorsqu’il était gamin. Je ne l’ai pas revu pendant une soixantaine d’années et j’ai été surpris de découvrir ce qu’il est devenu. Quand j’ai vu les photos, j’ai eu du mal à croire que c’était lui !

Ernie Johnson et Orange Jefferson, Eastside Kings Festival, Austin, Texas, septembre 2022. Photo © Eddie Stout

• Lorsque vous étiez enfant, vous avez travaillé dans les champs de coton ?

J’ai commencé en ramassant le coton. Il fallait faire des sacs de 20 livres, alors j’avais trouvé le truc pour les alourdir en y ajoutant des cailloux. J’avais environ neuf ans à l’époque. Ensuite, plus vieux, j’ai ramassé du foin et il fallait faire des paquets de 50 livres… Je n’aimais pas aller à l’école parce qu’il fallait marcher peut-être jusqu’à dix miles pour y arriver. Avec mon cousin, on passait à travers champs. Il fallait se méfier, car il y avait des serpents. C’était un environnement très rural. Ensuite, nous avons déménagé en ville. J’aimais la vie à la campagne, regarder les écureuils…

Ernie Johnson et le band du Eastside Kings Festival, Austin, Texas, septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

• Vous avez commencé la musique lorsque vous êtes arrivé en ville ?

Non, c’est lorsque je me suis installé à Dallas en 1957. J’ai toujours chanté pour attirer l’attention des jeunes filles. Il y avait cette station de radio de Nashville, WDIA, qui passait Brook Benton, puis Sam Cooke et Clyde McPhatter. J’adorais la voix de Brook et j’essayais de sonner comme lui. Mais j’ai réellement commencé à chanter lorsque j’ai rencontré un type du nom de Fats Washington. Il avait écrit une chanson pour Lowell Fulson. J’avais mon propre orchestre, The Soul Blenders, et il m’a proposé d’accompagner Lowell. Fats m’a présenté à lui, à Bobby Blue Bland, B.B. King, ainsi qu’à Joe Blue qui commençait à jouer de la guitare, et à Buddy Ace.

Ernie Johnson, photo promotionnelle, DR (collection Gilles Pétard).

• À ce moment, votre label c’était Ride Records ?

Exact. Ride et Movin’ étaient les deux labels de Fats Washington. Mon premier disque avec lui a été Loving You (NDLR : sous le nom de “Lil” Ernie Johnson). Lowell Fulson était en studio pour enregistrer, B.B. King était là aussi, mais Lowell était tellement saoul qu’il ne pouvait pas tenir debout. Aussi, B.B. a dit à Fats : « pourquoi ne pas enregistrer ce gars ? », en parlant de moi, et Fats a répondu que c’était une bonne idée. Puis Fats a écritLoving Youtrès rapidement et il m’a demandé de la chanter à la manière de Bobby Bland car il savait que c’était mon chanteur préféré. J’ai pensé que ce serait un hit, mais Fats est mort avant que le disque sorte des presses. Ça a été le dernier disque pour Ride.

Labels de singles / Ernie Johnson (collection Gilles Pétard).

 

• Le single suivant fut For Your Precious Love ?

Oui. Il n’est pas sorti sur Ride puisque Fats était mort, je l’ai donc sorti sur mon propre label, Aries (NDLR : également sur Ride M 10071 sans, pour autant, qu’il puisse dire lequel a été édité en premier). Je ne m’en souviens plus beaucoup de celui-là, je crois que nous sommes allés dans le Mississippi pour l’enregistrer.

• Puis il y a eu Disco Music Keep On Going On en 1976 ?

Effectivement. C’est bizarre, car malgré le titre, ce n’est pas très disco ! Néanmoins je pense qu’il en a la rythmique.

• Ensuite vous enregistrez Big Man Cryen 1978 sur Steph And Lee. Que veux dire ce nom ?

C’est le nom de deux filles, Stephanie et Lisa…

Ernie Johnson, années 80, photo promotionnelle, DR (collection Gilles Pétard).

• Puis vient You’ve Got To Be Faithfull And True sur Duplex ?

Oui. J’ai produit et arrangé le disque avec Babe Washington. Il est à Galveston maintenant, il est comme mon frère.

• Il est le frère de Fats ?

Non, non, ils n’ont aucun rapport ensemble. Babe et moi, nous nous sommes connus lorsque nous étions adolescents. Il est devenu mon band leader.

• Et Jimmy Liggins était le producteur ?

Oui. Ça fait longtemps que je n’ai pas de ses nouvelles, il avait produit le disque avec son frère Joe. J’étais avec The Soul Blenders dont Willie Clayton était le batteur et Larry T. Bird Gordon le leader. Willie a d’ailleurs enregistré son premier single, That’s What My Daddy Did (NDLR : sous le nom de Willie “Pee Wee” Clayton), avec eux.

Ernie Johnson, Porretta Soul Festival, Italie, juillet 2022. Photo © Dave Thomas

• Vous avez enregistré Dreams To Remember la première fois en 1977 pour Biscuit Records ?

Oui. Biscuit Records était une sous-marque de Malaco et il n’a eu aucun succès, car il n’a bénéficié d’aucune promotion. Aussi, Stan Lewis, de Shreveport, Louisiane, l’a repris et édité sur Ronn Records.

• C’est ainsi que vous avez rejoint Ronn pour votre premier single You’re Gonna Miss Me ?

En fait, c’est une réédition, puisque je l’avais déjà publié sur mon propre label Arie, et il a eu plus de succès de ce fait. C’est ainsi que j’ai enregistré un album pour Ronn. Just In Time et You’re Gonna Miss Me y figurent. Il a été enregistré au début des années 1980. Je ne me souviens plus précisément de l’année, mais il n’est sorti qu’en 1986. Je n’ai fait que deux albums avec Stan, le second étant « It’s Party Time ». « Just In Time » s’est très bien vendu car il a été fait à la manière de Bobby Bland qui était très populaire alors. Après « Party Time », je suis allé chez Malaco. Ils sont venus me chercher en fait. J’étais à Paris, au Méridien, lorsque j’ai reçu un appel de Tommy Couch Jr. Je pense qu’il a pris contact avec moi parce que mes albums se vendaient bien. Stan n’était pas d’accord pour que je le quitte, mais il a fini par me laisser prendre la décision seul.

Ernie Johnson et les frères Moeller, Eastside Kings Festival, Austin, Texas, septembre 2022. Photo © Eddie Stout

J’ai enregistré pour Malaco / Waldoxy l’album « In The Mood » qui est très bon, mais qui a été éclipsé par celui de Johnnie Taylor sorti en même temps. Je l’aime beaucoup, car je n’enregistre que ce que j’aime ! En plus, il y avait ces musiciens qui sont vraiment le dessus du panier. Harrison Calloway en avait fait tous les arrangements. C’était un type formidable qui voulait être l’équivalent de Willie Mitchell. Il a travaillé pour beaucoup de gens Dorothy Moore, Johnnie Taylor, Z.Z. Hill qui a eu un album à succès grâce à lui. Il m’avait écrit une chanson que je n’ai pas enregistrée car il est mort entre temps ; elle est superbe, j’avais fait une démo que j’ai encore, mais je ne sais où je l’ai rangée !

De gauche à droite : Ernie Johnson, Jayy Hopp, James Lott (Gospel Starz), Jontavious Willis, Eastside Kings Festival, Austin, Texas, septembre 2022. Photo © Eddie Stout

• Puis il y a « Hot & Steamy »en 1998 ?

Je n’en était pas très satisfait, car je voulais avoir un véritable orchestre de Muscle Shoals et ça aurait pu faire un carton, parce que les gens deviennent dingues lorsque je le chante sur scène. Au lieu de cela, on m’a donné des ordinateurs et je n’aime pas ça ! Alors, j’ai décidé de partir, car je me suis senti abusé et arnaqué. « Hot & Steamy » continue à se vendre, mais je n’en touche aucune royalty.

• Ensuite, il y a eu l’album « Squeeze It » ?

Je l’ai fait à Detroit avec Frank O Johnson, un type très talentueux. C’était sur PhatSound, qui était mon label et celui de Frank O également.

Ernie Johnson et Gene Evans posant devant le Archie’s BBQ truck – 12th & Chicon, Austin, Texas, septembre 2018. Photo © Marcel Bénédit

• Vous avez aussi enregistré du gospel ?

Oui. J’ai fait deux CD : « Jesus Is A Way Maker » et « This Is My Prayer ». Je les vends surtout dans les églises. « Selling in the name of the Lord ! ». J’aime beaucoup le gospel et des groupes comme The Mighty Clouds Of Joy ou The Five Blind Boys Of Alabama.

• Quelles sont les chansons que vous préférez chanter ?

Your Precious Love, Move Along qui aurait du être un succès, mais Dreams To Remember reste ma préférée.

Ernie Johnson, Porretta Soul, juillet 2022. Photo © Dave Thomas

• Votre version est différente de celle d’Otis Redding. C’est intéressant de voir comment vous mettez votre empreinte sur les chansons des autres. Sur Love On The Other Line, vous sonnez comme Bobby Bland. Est-ce que vous l’avez fait volontairement ou est-ce que c’était naturel de votre part ?

C’était comme pour You’re Gonna Miss Me, ça m’est venu naturellement. C’est tellement similaire qu’un club en Floride m’a engagé pour cette raison. Et j’ai fait comme Bobby, y compris les raclements de gorge !

Ernie Johnson, Porretta Soul Festival 2022. Photo © Giorgio Barbato

• Vous ne semblez pas très intéressé par vous produire dans des clubs, vous préférez les festivals ?

Je vais où il y a de l’argent à gagner ! Je vais au travail. Ici, à Porretta, c’est différent. C’est un peu comme des vacances. C’est pas trop pour l’argent. J’ai ma photo partout sur les affiches. C’est ma plus belle promotion ici, alors que j’y étais déjà venu il y a plusieurs années. Ce coup ci, je suis comme un VIP !


NDLR : il est à noter qu’Ernie a un homonyme au sein du duo Eddie & Ernie (Edgar Campbell et Ernie Johnson) qui n’a enregistré que des singles au cours des années 1960 et 1970, dont certains ont été compilés par le label anglais Kent.


Propos recueillis par Dave Thomas & Jean-Claude Morlot (transcription et traduction) à l’Hôtel Helvetia les 22 et 25 juillet 2022 lors du 34ème Festival Soul de Porretta Terme (Italie).