Chroniques #60

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Walter Wolfman Washington

My Future Is My Past

Anti- Records / Pias – www.anti.com

What a Difference a Day Made… La ballade distanciée. Un art fragile en équilibre instable sur le fil. Lost Mind pour transcender la fêlure, la déplacer hors tempo là où le souffle apporte toute sa force au murmure. Le smoking est peut-être froissé, la chemise à jabot dégrafée du col et le nœud papillon pendant sur le côté, pas besoin de justification pour l’after-hour. Dans le clair-obscur, le cœur a ses raisons que la raison ignore… Une véhémence et un abandon irrationnels collent à l’enregistrement. Il y a quelques jours, on avait vu Walter Washington et ses Roadmasters sur scène au French Quarter Festival de New Orleans ouvrir le show avec Lost Mind. Accroche immédiate. Le septuagénaire semblait flotter au-dessus des notes de la même manière que sur son enregistrement. Le disque « Walking On A Tightrope » de Johnny Adams en souvenir. Walter partageait les guitares avec Duke Robillard et Johnny Adams, le chanteur ultime de la Cité du Croissant, le Tan Canary y déclinait un art du désenchantement porté par le songbook de Percy Mayfield, un spécialiste du genre. Lost Mind en ouverture, là aussi… Plus loin, revient en mémoire ce disque de Sam Cooke, « Night Beat », enregistré live en studio avec le guitariste néo-orléanais Rene Hall. Économie de moyens pour un épure de feeling qu’on retrouve ici. Le producteur Ben Ellman, par ailleurs saxophoniste des Galactics, se transforme là en ordonnancier du silence. Rien d’autre que le chant et la guitare pour Lost Mind, un peu de rythmique ou un soupçon de claviers ça et là pour le reste. Une sobriété de haut vol confiée à Jon Cleary, Ivan Neville, Stanton Moore ou James Singleton. Au gré des écoutes et des réécoutes, on repensera à une idée de maquette aboutie, quand le cœur a déjà tout pris et que les efforts ultérieurs ne feraient qu’alourdir et empeser. Sur Even Now repris aussi en son temps par Johnny Adams, c’est Irma Thomas qui vient faire sa part de duo avec Walter comme pour transcender la sobriété. Sur She is Everything to Me de Doc Pomus, repris avec un filet de Fender Rhodes d’Ivan Neville, ou I Cried My Last Tears d’Allen Toussaint juste accompagné par le piano de Jon Cleary, on reste sur cette impression de raisin ni trop vert ni trop mur, juste cueilli au bon instant. Une vendange de vin ample et mature dès la première gorgée de la première année. – Stéphane Colin


Ben Harper and Charlie Musselwhite

No Mercy In This Land

Anti- Records / Pias – www.anti.com

Humour et tragédie. Amitié et admiration mutuelles. Osmose avec un groupe qui a tout compris du jeu et de la symbiose entre deux musiciens d’exception. Tout est ici à portée d’oreille et d’âme, comme une offrande. Ce deuxième opus composé à quatre mains par le guitariste Ben Harper et l’harmoniciste Charlie Musselwhite participait de retrouvailles nécessaires à plus d’un titre. Les dix faces blues sont souvent à ras de terre, faisant l’économie de fioritures inutiles, allant à l’essentiel. Le son de l’un et de l’autre semble n’avoir jamais été aussi bon. Le fait que Ben ait composé le morceau titre de l’album en référence à l’histoire personnelle de Charlie – sa mère, Maxine, a été assassinée par des braqueurs en décembre 2005, son corps a été découvert par la police le 19 décembre 2005 ; son père est quant à lui décédé quelques jours plus tard, le 28 décembre 2005 – aussi intimiste soit-il, est une marque indélébile de la complicité qui unit les deux hommes. Vingt-cinq ans d’écart, des parcours musicaux exceptionnels et une compréhension mutuelle hors norme sont à l’origine de ce « No Mercy In This Land », pour moi l’un des plus beaux albums blues de ces dix dernières années. – Marcel Bénédit


Rockwell Avenue Blues Band
Steve Freund, Tad Robinson, Ken Saydak, Harlan Terson, Marty Binder

Back To Chicago

Delmark DE 854 / Socadisc – www.delmark.com

Comme une évidence. Les musiciens abonnés du label Delmark viennent de sortir un album Chicago blues qui est tout bonnement excellent. Le titre de l’album en guise de clin d’œil à l’histoire de l’ancien magasin Jazz Mart s’inspire de la nouvelle adresse des studios Delmark installés depuis 2015 4121 North Rockwell St. On sait que depuis plus de 50 ans ce label est à l’avant-garde de la scène musicale blues de Chicago. Qu’il s’agisse de « Hoodoo Man Blues » de Junior Wells ou encore de « West Side Soul » de Magic Sam – pour ne citer qu’eux – ce sont immanquablement des albums marquants dans le monde du blues moderne qui résonnent encore aujourd’hui aux oreilles averties des amateurs. L’inusable Bob Koester l’a encore fait ! « Back to Chicago » est un album du groupe conduit par Tad Robinson, Steve Freund et Ken Saydak rejoints par le bassiste Harlen Terson et le batteur Marty Binder. Robinson, Freund et Saydak contribuent tous à la quintessence de ces quinze titres. Le bassiste Terson a écrit deux chansons pour compléter cet ensemble de musique original. Robinson, Freund et Saydak se partagent le chant et leurs styles contrastés contribuent à la réussite de l’album. Comme souvent, Robinson apporte de manière récurrente une approche vocale plus axée sur l’âme et l’évangile à ses textes. Freund, dont la guitare brille littéralement, est valorisé dans cet opus. Ensuite, il y a Ken Saydak à la voix intemporelle, lui qui est aussi un pianiste et organiste d’exception. Ses titres ici regorgent d’idées originales et de choix créatifs et innovants qu’il applique à un modèle de blues traditionnel. La guitare de Freund, l’harmonica de Robinson et les claviers de Saydak partagent le feu des projecteurs et la section rythmique bien en place produit un son d’ensemble très homogène. Le riche vécu et le professionnalisme éprouvé des musiciens de Delmark résonnent ici comme une évidence. Il n’a fallu qu’une session de trois jours enregistrée à la fin de 2017 par Dick Shurman pour sortir cette galette. Alors qu’ils ont tous eu une carrière émérite personnelle ou en accompagnant certains des meilleurs artistes du label chicagoan, la combinaison des talent qui composent le Rockwell Avenue Blues Band est une pleine réussite. « Back to Chicago » est un album qui entre comme une évidence dans mon top of mind 2018. Philippe Prétet


Vasti Jackson ‎

The Soul Of Jimmie Rodgers

Vast Eye Music VJM39684 – www.vastijackson.com

Sans cesse en tournée autour du globe, Vasti Jackson a vécu une faste année 2017. Lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards, il fut doublement à l’honneur dans la catégorie « Blues Traditionnel », pour sa participation en tant que directeur musical et guitariste sur l’album de Bobby Rush « Porcupine Meat” et également sur sa propre production intitulée « The Soul Of Jimmie Rodgers ». Sur ce CD, le musicien rend hommage à l’une des icônes de la country music, célèbre pour son yodel. Il nous explique ainsi son choix : « Mon public a été assez étonné que je reprenne les grandes compositions de ce pionnier de la Country music. Ils doivent savoir cependant que Jimmie Rodgers a été énormément influencé par les divers musiciens afro-américains qu’il a fréquentés dans le Mississippi ». L’autoproduction du guitariste originaire de McComb, Mississippi, nous délivre ici neuf compositions appartenant au répertoire de l’illustre légende. Elles nous montrent qu’à bien des égards Blues et Country Music sont très souvent plus que proches qu’on ne le pense. Il faut voir dans cette réalisation réussie un hommage à Jimmie Rogers et à son apport essentiel à la grande histoire de la musique populaire américaine. – Jean-Luc Vabres


Archie Lee Hooker
& The Coast To Coast Blues Band

Chilling

Dixiefrog DFGCD8804 – www.bluesweb.com

Ce chanteur est le neveu de John Lee Hooker et il pousse le mimétisme jusqu’à donner à son band le même nom que celui qui accompagna son oncle en fin de carrière, mais son style est très différent. Tous les morceaux sont originaux, pas de reprises (Bright Lights & Big City est sans rapport avec le blues de Jimmy Reed) et ils semblent contenir une large part autobiographique. Cela est évident dans les quatre talking blues The Roots Of Our Family, Don’t Forget Where You Came From, Don’t Tell Mama et Thank You John. Ailleurs, les textes tournent autour de ruptures – vécues ou non, qui sait – tantôt avec humour comme dans 90 Days (« T’es partie ?… OK. T’as 90 jours, pas 91, pour revenir »), tantôt avec acrimonie (Love Ain’t No Playing Thing, une des meilleures faces, sur un rythme enlevé), ou avec désenchantement dans Moaning The Blues (un blues lent avec longue intro de guitare de Fred Barreto et une belle partie d’orgue de Matt Santos) ou encore avec le sombre Tennessee Blues et les désabusés Blues Shoes, I’ve Got Reasons et You Don’t Love Me No More (avec, en guest, le pianiste Pugsley Buzzard Wateringcan). Hooker exprime aussi son contentement dans Your Eyes et sa satisfaction dans I Found A Good One, un excellent slow blues avec de belles parties de guitare (Barreto) et d’orgue (Santos). Il anticipe aussi son plaisir dans Chilling, une ballade érotique au premier degré, comme Jockey Blues l’est au deuxième degré. – Robert Sacré


Kid Ramos

Old School

Rip Cat records RIC 1802

Dix-sept and que Kid Ramos n’avait pas enregistré d’album ! Le truculent guitariste manquait cruellement au paysage du blues. Ses amis n’avaient cependant pas oublié les excellentes faces que cet artiste avait fournies jusqu’à son dernier album « Greasy Kid’s Stuff » en 2001. Nous l’avions ainsi croisé il y a quelque temps, affaibli par la maladie. Durant cette longue période de disette discographique, il a combattu un cancer et vu grandir ses enfants. Il était temps de revenir aux sources, avec ce superbe enregistrement dans lequel on découvre son fils Johnny Ramos au chant sur un titre emblématique de Magic Sam, All Your Love, qui donne le frisson, sa tessiture vocale étant totalement adaptée au morceau, remarquablement servi par ailleurs par la guitare du papa. D’autres amis à l’évidence ne sont pas restés loin de la famille Ramos pendant les heures difficiles si l’on en croit le casting qui a répondu présent pour cet enregistrement. Outre Kendar Roy (basse) et Marty Dodson (drums) qui assurent à merveille la rythmique, on retrouve Bob Welsh aux claviers, Danny Michal à la deuxième guitare, Johnny Tucker ou Bg John Atkinson au chant, Kim Wilson – brillantissime – à l’harmonica. Quelles retrouvailles et quel disque ! Treize titres de pur bonheur communicatif où l’on passe de faces composées seul ou avec l’ami Johnny Tucker à des morceaux de T-Bone Walker, Arthur Alexander,… pour ne citer qu’eux. Chansons et instrumentaux sont présents, dont le superbe Wes Side dans lequel on constate que Kid Ramos n’a rien perdu de son inventivité à la guitare, à laquelle l’orgue d’Atkinson répond de la plus belle des manières. Pas besoin d’une éternité pour caler les choses, même de ce niveau. Enregistré en seulement deux jours dans le studio de Big John Atkinson à Hayward, Californie, ce disque qui sort des tripes procure un bien fou. – Marcel Bénédit


Gus Spenos

It’s Lovin’ I Guarantee

Frank Roszack Radio Promotions

Un splendide big band étincelant de tous ses cuivres avec des soli percutants, un répertoire non galvaudé : reprises de T.N.T. Tribble, Eddie Boyd, Jimmy Rushing, Titus Turner ou Eddie Mack, des compositions originales du leader, chanteur et saxophoniste ténor Gus Spenos. Tout est fait pour nous plaire et on ne s’ennuie pas une seconde. Le jazz est ici le maître, mais le blues n’est jamais loin et il n’y a aucune faiblesse. Ça balance, ça donne des fourmis dans les jambes et c’est bon pour le moral en ces temps troublés. Gus Spenos, un nom à retenir et un orchestre à aller voir si l’occasion se présente ! – Marin Poumérol


Reverend Raven
& The Chain smoke’ Altar Boys

My Life
Twentieth Anniversary

Nevermore Records – www.reverendraven.com

Ce huitième album du Reverend Raven marque aussi ses vingt ans de carrière. Deux décennies largement consacrées à sillonner les salles de concert des États-Unis. « My Life » est une compilation de morceaux anciens couplés à des versions remixées ou réenregistrées de quelques autres favoris. Un disque tout entier imprégné de la moiteur du Excello Sound, du légendaire producteur de Baton Rouge, Jay Miller. Dans ce format qui pourrait paraître répétitif, les nombreux invités (Cadillac Pete Rahn, Madison Slim, Benny Rickun, Big Al Groth,…) procurent une diversité bienvenue à l’album. Aux shuffles ou rythmes binaires sur lesquels se déploie généralement le son caverneux du label louisianais, viennent s’ajouter des pièces plus chaloupées, rumbas, calypsos, pilotées par d’économes mais mordantes parties d’harmonica ou de guitare. Un retour aux sources. – Dominique Lagarde


Mike Zito

First Class Life

Ruf Records Ruf1253 / Socadisc
www.rufrecords.de

Zito, c’est le fils prodige du blues-rock qui, après vingt ans de carrière déjà et treize albums, est revenu en fanfare à ses racines blues (comme c’était déjà le cas dans son album précédent chez Ruf, « Make Blues Not War », en 2016). Ici, il signe neuf des onze titres et, au fil des plages, il égrène des souvenirs de sa vie, des jours sombres marqués – à ses débuts à Saint Louis – par la pauvreté et de funestes addictions jusqu’à la « renaissance » actuelle, délivré des drogues (« clean and sobre »), avec une famille soudée, une relative aisance, son installation à Beaumont au Texas et la vie dont il rêvait (d’où le blues lent First Class Life). Très personnel aussi, Dying Day, un blues en medium et un hommage appuyé à son épouse qu’il « aimera jusqu’à son dernier jour». À noter aussi Old Black Graveyard, à propos d’un vieux cimetière oublié et en triste état, décrépi et abandonné, pas loin de sa maison à Beaumont et où serait enterré Blind Willie Johnson ; une triste illustration du manque de dignité avec lequel sont traités les Noirs – même célèbres – que ce soit de leur vivant ou dans la mort ! Le superbe blues lent Damn Shame abonde dans le même sens. Une note d’humour aussi avec Mama Don’t Like No Wah Wah (écrit en collaboration avec Bernard Allison – d’ailleurs en guest, guitare et basse) ; cela raconte le premiers gig de Bernard Allison comme guitariste dans le band de Koko Taylor. Celle-ci ne tolérait aucun effet spécial à la guitare, quels qu’ils soient – elle les qualifiait tous de « wah wah » – et, quand Bernard fit une petite tentative de transgression, il lui fit redresser les bretelles, d’où ce titre… L’album se conclut avec le bien enlevé Tryin To Make A Living qui donne l’envie irrésistible de tout redémarrer dès le début. – Robert Sacré


Blues Caravan 2017
Big Daddy Wilson, Vanessa Collier, Si Cranstoun

Blues Got Soul

Ruf Records Ruf1258 (1 CD + 1 DVD) / Socadisc
www.rufrecords.de

Blues Caravan est une réunion de trois artistes talentueux, plateau renouvelé chaque année. La formule qui a relancé la tradition des revues itinérantes a été créée par le label allemand Ruf Records en 2005. Assez peu connus et souvent guitaristes, ils font une tournée de concerts en Europe et aux États-Unis, et un enregistrement de l’un de ces concerts fera l’objet d’un disque (accompagné ces dernières années d’un DVD). L’édition 2017 a été enregistrée le 14 février au Hirsh Club de Nuremberg. Jusqu’à présent toujours orientée vers le blues, elle propose cette année dans son répertoire une touche de Soul et de Rythm & Blues. En effet, le premier membre de cette tournée est le chanteur britannique Si Cranstoun dont la voix est souvent comparée à celle de Sam Cooke ou de Jackie Wilson. Les deux derniers morceaux du disque sont d’ailleurs de Sam Cooke. Le récent album de Si, « Old School », est d’ailleurs une belle réussite. Le deuxième membre de la tournée est le chanteur et guitariste Big Daddy Wilson. Originaire de Caroline du Nord, il est installé en Allemagne depuis plusieurs années et il est sous contrat avec Ruf depuis 2009. Mais, à l’inverse de la majorité des autres artistes des tournées Blues Caravan, Big Daddy n’est pas un jeune dans le domaine du Blues puisque l’enregistrement de son premier disque remonte à 2004. Avec sa voix chaude et bourrée de soul, son succès ne s’est jamais démenti puisqu’il a neuf CD à son actif et d’innombrables concerts et tournées. Enfin, pour compléter cette affiche, Thomas Ruf a fait appel à une chanteuse saxophoniste américaine, Vanessa Collier. En 2014, elle autoproduit son premier album, « Heart Soul &  Saxophone ». Ensuite, elle accompagne sur scène Joe Louis Walker. Avec ses propres chansons et sa présence sur scène, Vanessa est la grande découverte de cette tournée. À noter aussi la présence en invitée de marque de la californienne Laura Chavez, fidèle guitariste de l’ inoubliable Candye Kane. S’il est facile de mettre un nom sur chaque voix et bien sûr à qui attribuer les solos de saxophone, il est plus difficile de savoir qui est l’auteur de chaque solo de guitare car – c’est à noter – le rôle de chaque musicien n’est pas spécifié sur la pochette. La réponse vient en visionnant le DVD de 89 minutes (dans le même boîtier que le CD). Les 14 morceaux du disque sont en effet sur ce DVD avec, en plus, un bonus de deux titres (tous les solos de guitare sont de Laura Chavez qui démontre une fois encore sa maestria). En conclusion, Ruf Records nous offre ici une superbe et très intéressante production originale. – Robert Moutet


Bernard Allison

Let It Go

Ruf Records Ruf 1252 / Socadisc – www.rufrecords.de

Bernard Allison a écrit paroles et musique de huit faces sur douze de cet album et il a repris deux compos de son père, Luther Allison. Il est aux commandes au chant et guitare d’un groupe bien soudé avec John T. McGhee (guitare rythmique), George Moye (basse), Mario Dawson (drums et percus) et, pour un seul titre, “Kiddio” Jose Ned James au saxophone. Bernard Allison est particulièrement en bonne voix tout au long de l’album, dans ses propres compos comme l’autobiographique et bien syncopé Cruisin’ For A Bluesin’, les funky Same Old Feeling et Night Train, mais aussi dans les reprises comme dans le Kiddio de Brook Benton et Clyde Otis pris en mode doux et dansant (on se souviendra de la version originale de Brook Benton et surtout de celle de John Littlejohn pour Arhoolie Records), le Look Out Mabel de Melvin London et G.L. Crockett en version speedée et, bien sûr, dans les deux faces reprises à son père, You Gonna Need Me en version slow marquée par un jeu de guitare magnifique et l’émouvant Castle en slow aussi et à la guitare acoustique. Mais, faut-il le dire, c’est en tant que guitariste que Bernard est au pavois, dans les faces déjà citées, à la slide dans Blues Parry et Backdoor Man, mais aussi à la guitare électrique entre autres dans Let It Go Bernbard, aussi avec effets wah-wah, comme dans Leave Your Ego et dans Hey Lady. Mais le morceau le plus flamboyant du recueil est certainement Blues Party, avec son énumération de grands bluesmen. Je dois avouer que je n’étais pas grand fan de Bernard Allison jusqu’à ce jour, mais cet album me réconcilie avec lui et je lui tire mon chapeau, il a du talent et il se révèle le digne fils de son père… Well done, man ! – Robert Sacré


David Evans

Lonesome Midnight Dream

Blind Lemon recordings BLR-CD1801
www.blindlemondrecords.de

L’ethnomusicologue Professeur d’Université (University of Memphis) David Evans est un homme attachant à plus d’un titre. Certes, ce natif de Boston s’est dès les années 60 intéressé de près à la musique du Sud des États-Unis et a très tôt enregistré des musiciens pour la plupart inconnus, tels Jack Owens ou Jessie Mae Hemphill, et ne serait-ce qu’à ce titre on lui doit déjà beaucoup. Les disques sur son label High Water Recording sont en majorité des pépites figurant dans les discothèques des amateurs et collectionneurs, avec des albums marquants comme ceux des Fieldstones par exemple ou d’autres musiciens de la périphérie de Memphis où il vit encore aujourd’hui. Auteur de nombreux ouvrages sur le blues au rang desquels son « Tommy Johnson » en 1971 ou son « Big Road Blues » en 1982 sont des références, il fait aussi partie – à l’instar de la famille Lomax – de ces chercheurs, musiciens eux-mêmes. S’agissant de David, c’est depuis son premier disque personnel une vraie réussite. Il joue de « vieux blues » et en écrit en restant dans la plus pure tradition du blues du Delta d’avant-guerre, en s’accompagnant à la guitare et en jouant du kazoo. Quand on connaît l’homme, on ne peut qu’apprécier son honnêteté et son intégrité. Sa musique, que d’aucuns pourraient considérer comme un simple « ajout » à son travail, fait partie intégrante certes de sa vie de chercheur, mais elle est avant tout un plaisir et elle vient du fond des tripes. David joue en perpétuant une tradition, une musique et des sons qu’on n’entend plus que rarement aujourd’hui, et il le fait de la meilleure manière, avec un don et une culture que peu de musiciens possèdent. Les treize faces de ce « Lonesome Midnight Dream » sont dans cette veine. Si dix titres sont en solo à la guitare, il est épaulé ça et là sur trois titres par les accompagnateurs de talent que sont Tom Shaka à la mandoline ou à la guitare, Axel Küstner à l’harmonica, ou Lise Hanick (Snare drum, harmonica, chant). Tout est là, de l’âme de Robert Johnson au yodel, des collines du Mississippi au son down home du Delta. Une véritable gageure en 2018, comme si le passé faisait irruption dans le présent, avec la douceur et la modestie d’un home de 74 ans hautement cultivé mais d’une gentillesse inouïe, comme « sans vouloir déranger »… Merci pour tout cela Mr Evans. – Marcel Bénédit


James & Black

This Time

Magnet Records

Bruce James avait évoqué dans nos colonnes cet album enregistré aux studios Magnet de Bruxelles qui reprend pour beaucoup des titres interprétés lors des différentes prestations qui figurent sur le « live » chroniqué dans le numéro 55 d’ABS. Il est très rare qu’un album live précède son presque équivalent studio. Cette démarche est intéressante, car elle permet de se rendre compte du processus de création sur des titres rodés devant un public et d’évaluer le chemin parcouru pour atteindre une œuvre élaborée. Un signe évident de cette élaboration est la disparition des samples et des scratches largement utilisés précédemment, au profit de musiciens et plus particulièrement du saxophoniste Jeroen Capens. C’est ainsi que Right On que j’avais qualifié de « mélodie pop sautillante sixties » prend un jour différent en devenant un titre influencé par le mouvement « Acid Jazz » à la manière des Brand New Heavies, au point que le quotidien Libération l’a inclu dans sa « playlist » et qu’il ne serait pas surprenant que Radio Nova s’en empare. « This Time » pourrait apparaître comme un album festif dont Nothing Left To do et NOLA seraient les locomotives, s’il n’y avait les textes écrits par Bella Black. Sombres, pertinents, ils décrivent sa vision d’une Amérique et son lot de discriminations. C’est ainsi que Golden Boy, dont le style est celui d’une bluette – agréablement soulignée par voix de baryton d’Alain Chenneviere – décrit une bavure policière commise,selon ses termes, par un « pig ». En hommage à de nombreuses victimes innocentes, Bella Black écrit dans la tradition de Billie Holiday et son célèbre Strange Fruits. – Jean-Claude Morlot


Dave Keyes

The Healing

Keyesland Music

Sixième CD personnel pour le chanteur et pianiste Dave Keyes que nous avions découvert au festival de Cognac il y a une douzaine d’années. Il accompagnait alors d’excellente façon la grande Odetta, puis par la suite Marie Knight. Dave Keyes possède une vaste culture musicale et est à l’aise dans tous les styles. Ses albums précédents étaient tous réussis, celui-ci est peut-être encore meilleur avec onze titres dont seulement deux reprises : Traveling Riverside Blues de Robert Johnson complètement transformé et Strange Things Happening de Sister Rosetta qui lui va comme un gant. Ses compositions sont travaillées, finement ciselées, certaines tirent sur le blues, d’autres sur le gospel (Faith Grace Love and Forgiveness avec le Brooklyn Interdenominational Choir), ou ont un côté plus jazz (Dance in the Dark). La plupart des musiciens sont des habitués des séances de Dave : Poppa Chubby, Frank Pagano, Chris Eminizer et Vaneese Thomas (invitée sur un titre). Tout cela offre un album cohérent, superbe, varié, qui donne beaucoup de plaisir à l’auditeur. Pas de doute, Dave Keyes fait aujourd’hui partie des musiciens les plus interessants dans la musique que nous aimons. – Marin Poumérol


Marcia Ball

Shine Bright

Alligator ALCD 4982 / Socadisc – www.alligator.com

La pianiste et chanteuse Marcia Ball est très fière de sas racines Texas-Louisiane (Texas born – Louisiana raised) et elle est une valeur sûre de la scène blues et R&B. Elle signe ici son septième album pour Alligator Records qui est aussi le quinzième d’une carrière qui a commencé il y a cinquante ans ! On y retrouve son mélange habituel de Texas blues et de funk New Orleans dont raffolent ses audiences de par le monde. Elle peut passer d’un boogie woogie exubérant à une ballade qui touche chacun au plus profond de son cœur et c’est ainsi qu’elle a remporté, à ce jour, cinq nominations aux Grammy, dix Blues Music Awards et dix Living Blues Awards…. Excusez du peu ! Marcia Ball a écrit (ou co-écrit) neuf des treize faces de présent opus, du joyeux et pétulant Shine Bright à l’utopie intimiste World Full Of Love (en trio avec Red Young à l’Hammond B3 et Mike Schermer à la guitare) et aux vibrants hommages à New Orleans et à la Louisiane comme When The Mardi Gras Is Over, I Got To Find Somebody et Take A Little Louisiana (avec accordéon), gravés à Maurice, LA, avec une belle brochette de talents locaux comme Lee Allen Zeno (basse), Jermaine Préjean (drums), Roddie Romero (guitare, accordéon), Eric Adcock (Hammond B3). Le reste a été enregistré à Austin, TX, avec ses musiciens habituels, avec cuivres (I’m Glad I Did What I Did en mode déjanté) ou sans (Pots and Pans bien enlevé et aussi un appel politique à l’action), mais le feeling NOLA est souvent encore là comme dans They Don’t Make ‘Em Like That. Un must. – Robert Sacré


Victor Wainwright
and The Train

Ruf Records Ruf 1254 / Socadisc – www.rufrecords.de

Ce chanteur et pianiste américain à la carrure généreuse et à la voix sinueuse et grasseyante (une ressemblance avec Doctor John ?) se révèle un solide interprète de boogie-woogie. Enregistré au studio Ardent de Memphis, cet album dégage une bonne humeur communicative. Le groupe régulier de Victor Wainwright constitué du guitariste Pat Harrington, du bassiste Terrence Grayson et du batteur Billy Dean, s’étoffe de nombreux invités : guitariste, cuivres, choristes qui donnent aussi en contrepartie l’impression de se bousculer au portillon. Cela rend la nature de certains morceaux un peu confuse (Healing) ou poussive (Money), mais le boss finit par remettre de l’ordre. Dans des registres différents, Victor Wainwright est un compositeur qui sait aussi varier les climats. Par exemple, lorsqu’il remercie Lucille, la guitare de B.B. King pour les torrents d’émotion qu’elle a déclenchés chez lui comme chez des milliers de fans à travers le monde. Plus ambitieux encore, Sunshine est une ballade débutée à l’orgue sur un rythme lent et qui prend son envol dans des accents orientaux. Tant pis, prenez le train en marche. – Dominique Lagarde


Breezy Rodio

Sometimes The Blues Got Me

Delmark 853 / Socadisc – www.delmark.com

Le premier album du chanteur/guitariste Breezy Rodio pour Windchill Records en 2015 (« So Close To It » – WR 1001) reçut des critiques élogieuses et fut un succès de vente. Il faut dire qu’il avait bénéficié d’un support de choix avec Lurrie Bell, Billy Branch, Carl Weathersby, Chris Foreman et consorts. Pour son nouvel album, sur Delmark cette fois, Rodio nous gratifie d’excellents passages de guitare tout du long et certains de ses amis sont à nouveau là, comme Billy Branch au chant et harmonica dans deux des meilleurs titres, un rythmé Doctor From The Hood et Chicago Is Loaded With The Blues, un beau slow blues écrit par Clifton James. Chris Foreman est à l‘orgue et Sumito “Ariyo” Ariyoshi au piano sur toutes les faces, plus toute une série de guests qui interviennent ici et là dans un généreux album de dix-sept titres dont dix sont des compos personnelles de Rodio. Il semble apprécier davantage les faces lentes et en médium où éclate un amour total pour le blues dans ses compositions Sometimes The Blues Got Me, The Power Of The Blues, Change Your Ways, Make Me Blue ; cette passion transparait aussi dans des covers comme Don’t Look Now But I’Ve Got The Blues (Lee Hazelwood) ou Blues Stay Away From Me (Delmore/Raney). Il y a aussi deux ou trois ballades et des faces trépidantes et jazzy avec cuivres (I Walked Away, You Don’t Drink Enough). À noterenfin le superbe A Cool Breeze In Hell, un instrumental inspiré dans lequel Rodio (guitare) et Ariyoshi (piano) dialoguent avec talent. – Robert Sacré


Janiva Magness

Love Is An Army

Blue Elan Records BER1072

Voici le quatorzième album de Janiva Magness. J’ avoue ne pas les connaître tous ! Cataloguée comme chanteuse de « Blues and Soul », Janiva Magness a décidé d’élargir son champ à la pop et à l’Americana. Elle a donc invité Delbert McClinton, Rusty Young (de Poco), Courtney Hartman la virtuose de la guitare et du banjo bluegrass, ainsi que nos favoris Charlie Musselwhite (intervention à l’harmonica sur Hammer) et Cedric Burnside ; ce dernier chante en duo avec la vedette et joue de la guitare sur Home. Dans ce nouvel album, la magnifique voix claire de Janiva Magness, son phrasé élégant, atteignent de nouveaux sommets et font merveille sur ce répertoire plus vaste qu’auparavant. La juste récompense devrait être un public accru. En jetant un pont entre la meilleure soul memphisienne (Back To Blue, superbe titre d’ouverture du disque) et l’Americana (On And On), Janiva Magness aurait pu produire une musique « lisse », « policée » ; elle a évité cet écueil en peaufinant les paroles des chansons. Le titre du disque, « Love Is An Army », indique clairement que nous écoutons un message de protestation : l’amour pour vaincre la haine, avec cette touchante naïveté américaine. Janiva dit quelque part : « le fil conducteur de l’album, ce sont les paroles et ce qui se passe en ce moment – la division, le racisme, la violence, le manque d’intérêt de notre président pour les besoins vitaux des gens, tels l’assurance-maladie et la pauvreté ». Ce disque pas véritablement blues, dont chaque réécoute dévoile la profondeur, enrichira votre horizon musical. – Gilbert Guyonnet


Tommy DarDar

Big Daddy Gumbo

Chez les Indiens Houmas de la Louisiane du Sud, DarDar est un vocable répandu et Tommy faisait partie de cette communauté. Son album « Fool For Love » en 1999 l’avait révélé comme compositeur, chanteur et harmoniciste talentueux dans la région du Golfe du Mexique (Louisiane, Mississippi, Texas). Sa mort récente a consterné tous ses fans (et sa famille !) d’autant plus qu’il travaillait depuis 2001 sur un nouveau projet et que neuf faces étaient déjà presque prêtes être publiées. Ses amis – le producteur et batteur awardisé Tony Braunagel en tête, mais aussi Jon Cleary (piano), Johnny Lee Schell (guitare), Mike Finnigan (orgue Hammond), Joe Sublett (sax) et d’autres – ont finalisé ces plages. Il en résulte un album assez court, d’un peu plus de 31 minutes, mais extrêmement attachant avec ses coups de cœur pour la Louisiane tels les deux faces écrites par Jon Cleary (le pétulant C’mon Second Line et la valse mélancolique Let’s Both Go Back To New Orleans), sans oublier un vitaminé Headed Down To Houma et un intimiste In My Mind de DarDar lui-même. Quatre faces ont été composées par le guitariste Schell, dont le très enlevé It’s Good To Be King et un funky Big Dady Gumbo, encore un clin d’œil à la Louisiane. Un album court mais festif. – Robert Sacré


Barrence Whitfield & The Savages

Soul Flowers Of Titan

Bloodshot BS 258 / Differ-Ant

Dans les années 80, se produire en concert après Barrence Whitfield et ses Savages relevait de l’exploit. Tant le personnage déployait de fureur et de charisme, jusqu’à voler la vedette à bien des groupes installés. Trois décennies plus tard – et malgré un silence de plus de vingt ans – la musique de Barrence est toujours aussi énergisante. Les années 2000 manquaient-elles à ce point de groove que l’intéressé ait voulu reprendre les choses en main ? Son style garage psyché enfiévré est ici augmenté d’une dimension cosmique venue de Titan, la plus grande lune de Saturne, symbole de douleur et de lutte. Les planètes étaient donc alignées à Cincinnati – ville de l’enregistrement – pour que de nouvelles compositions voient le jour. Des reprises aussi : I Can’t Get No Ride d’un certain Finley Brown, Slowly Losing My Mind et I’m Gonna Love You Baby de Willie Wright and The Sparklers. Barrence Whitfield sait aussi ralentir le tempo comme sur le blues dramatique I’ll Be Home Someday ou la ballade Say What You Want et bien sûr donner un coup de chapeau à l’une de ses idoles, Howlin’Wolf, pour un Adorable au climat lourd et menaçant. Perché et revigorant. Dominique Lagarde


Ian Siegal

All The Rage

Dixiefrog DFGCD 8805 – www.bluesweb.com

Dédicacé à Freddy James et Jim Dickinson, ce nouvel opus de Ian Siegal s’éloigne quelque peu de chemins qu’on a connus plus rock pour s’installer plus nettement dans une ligne assurément plus blues, certes souvent un peu déjantée… La présence de Jimbo Mathus en tant que musicien et à la production n’est certainement pas pour rien dans la couleur particulière de cet album. D’ailleurs comment mettre une « étiquette » sur un tel enregistrement dans lequel on passe du très rythmé, presque « militaire », Jacob’s Ladder, au superbe porceau soul Sweet Souvenir (co-écrit par Mathus et Siegal), en passant par Shit It, blues s’il en est, où la slide et le côté poisseux à souhait dominent ou encore ce If I Live où plane l’ombre du Wolf. Les dix morceaux – avec un accompagnement remarquable – témoignent de l’ouverture d’esprit de ces musiciens et du l’étendue de leur registre qu’on ne saurât cantonner à un genre. Excellent album qui, depuis la première écoute, ne cesse de me surprendre. – Marcel Bénédit


Laurie Morvan

Gravity

Screaming Lizard Records SLR0006

Sixième album pour cette chanteuse/guitariste talentueuse, écartée des studios par une malencontreuse fracture d’un poignet en 2014. Elle est complètement rétablie et elle a composé musiques et paroles des douze faces de son nouvel album produit par le batteur qui collectionne les Awards, Tony Braunagel. Morvan est une chanteuse correcte mais une guitariste exceptionnelle comme elle le démontre tout au long avec des faces comme My Moderation et Twice The Trouble qui sont rehaussées par de beaux échanges guitare (Morvan) – orgue Hammond B3 (Mike Finnegan). L’humour est présent aussi avec Money Talks boosté par le pianiste Barry Goldberg tandis que Gravity, le titre éponyme, est une sorte de mini-odyssée spatiale qui met en scène le jeu de guitare sidéral de Morvan et le jeu inspiré du Jim Pugh aux claviers. À noter encore Gotta Dig Deep, un beau slow blues, comme le très personnel The Man Who Left Me (son père !). Dans Shake Your Tailfeathers, un blues plus optimiste (« secoue toi et cela ira mieux »), Morvan se livre à un solo de guitare à la B.B. King et, en conclusion de l’album, on pointera Too Dumb To Quit qui bénéficie de beaux passages à la slide. – Robert Sacré


Sonny Landreth

Recording Live In Lafayette

Provogue Records/Mascott Label Group PRD75232
www.mascottlabelgroup.com

Quasiment passé inaperçu dans la presse spécialisée, voici un double album qui sort des sentiers (re)battus par une musique « déjà entendue » ou monotone. Brillant musicien louisianais, Sonny Landreth a la capacité non seulement en tant que guitariste mais aussi en tant que chanteur et auteur-compositeur d’être internationalement reconnu, tout comme les grands noms de l’histoire du blues et du rock and roll avec lesquels il a travaillé. D’Éric Clapton à Kenny Loggins, de Mark Knopfler à B.B. King, pour n’en citer que quelques-uns. Enregistré à Lafayette (Louisiane), voici le troisième album live de Landreth après son remarquable « Grant Street » en 2005 et son « Live At New Orleans Jazz » en 2007. Pour cette occasion, le guitariste né dans le Mississippi a décidé de revenir à l’endroit qu’il appelle maintenant « sa maison », autrement dit Lafayette en Louisiane, en se produisant trois nuits consécutives à guichets fermés au théâtre local. Le résultat est un superbe double album dans lequel Landreth a enregistré deux sets séparés, l’un acoustique et l’autre électrique, un peu comme pour montrer les deux faces de la même médaille. Soutenu par David Ranson à la contrebasse, Brian Brignac à la batterie et aux percussions, ainsi que deux autres musiciens invités comme Steve Conn aux claviers, accordéon et choeurs et Sam Broussard aux guitares, Landreth offre une performance surprenante et intense sur les deux sets. La partie acoustique est remplie de véritables trésors : Key To The Highway et The High Side sont très impressionnants, ce dernier mettant en vedette la bluffante finesse de Landreth en tant que guitariste. Creole Angel est joliment revisité dans une version qui, étrangement, sonne d’une manière encore plus intimiste que l’original. Bound By The Blues, du dernier album studio de Landreth, est lyrique et figure parmi les meilleures chansons que l’artiste ait jamais écrites, considérant que la qualité de son interprétation en direct est aussi forte que celle du studio originale. La version acoustique de clôture The U.S.S. Zydecoldsmobile est un pur plaisir à écouter. L’ensemble électrique est ici l’apothéose de l’art de Landreth. Back To Bayou Teche possède ces merveilleuses vibrations des années 70 si proches du cœur de groupes comme Creedence Clearwater Revival, par exemple, Landreth déchaînant encore plus son talent de guitariste mais aussi ses talents de chanteur. La trilogie des airs instrumentaux présents sur l’ensemble électrique explique en détail pourquoi Landreth est considéré comme l’un des plus grands guitaristes de cette génération. The Milky Way Home est une fusion extraordinaire de styles, à mi-chemin entre le rock progressif et instrumental, avec un tempérament à couper le souffle et d’une beauté envoûtante. Brave New Girl est interprété avec énormément de classe et d’intensité, tandis qu’Uberesso, par son rythme rapide et furieux, voit la guitare de Landreth s’exprimer à plein régime en trois minutes et plus de poésie rock absolue. Avec Walkin’ Blues, qui distille beaucoup de fanfaronnades, Landreth et les musiciens extraordinaires qui l’accompagnent sur scène livrent une autre performance qui laisse pantois. Landreth livre alors la scène sur la chanson de clôture de cet album live à son collègue musicien accordéoniste et ami Steve Conn qui met le feu grâce à l’un de ses airs les plus populaires, le boogie incandescent The One And Only Truth. Landreth et le groupe fournissent enfin une nième performance incendiaire, le moyen idéal pour mettre fin à un album live pyrotechnique. Hé là-bas ! – Philippe Prétet


Scottie Miller Band

Stay Above Water

www.scottiemiller.com

Mèches et collier de barbe soignés ; lunettes réfléchissantes ; veste, pantalon et chaussures en cuir ou simili, on pourrait prendre Scottie Miller en couverture de ce CD pour un mannequin sénior illustrant une marque de parfum ou de vêtements design dans un hebdo BCBG. Passé la première image on découvre ce chanteur et claviers entouré de Mark O’Day (batterie), Dik Shopteau (basse) et Patrick Allen (guitares), d’autres vétérans de la scène blues-rock le sourire aux lèvres et l’air satisfait. La plénitude de l’âge ? Scottie Miller distille depuis vingt ans son blues-rock plutôt économe de sons gras. Il signe les douze titres de cet album. La chanteuse Ruthie Foster est invitée sur l’un deux, le plutôt funky Keep This Good Thing Going. Rippin’ and Runnin’ sonne très New Orleans et Falter se développe sur un rythme de valse. Sinon l’album voyage entre titres funky, shuffle, midtempo, ballades. – Dominique Lagarde


Marie Knight

The Gospel Truth Live !

M.C. Records MC – 0084

Marie Knight était l’une des grandes dames du Gospel. Il faut absolument écouter ses enregistrements des années 40 avec le trio de Sam Price et avec la fabuleuse Sister Rosetta Tharpe (Gospel Friend PN 1500 ). En ce XXIe siècle, âgée de plus de 85 ans, elle a connue une fin de carrière remarquable. D’abord un CD chez Dixiefrog « Let Us Get Together » dans elle rendait hommage au Reverend Gary Davis soutenue par un bel orchestre avec l’excellent guitariste Larry Campbell. On a pu la voir à Cognac (lire l’article écrit par Dave Keyes dans le numéro 38 de mai 2013 d’ABS Magazine et qui est un vibrant hommage). Et elle a beaucoup tourné avec le pianiste Dave Keyes, son parfait complément que l’on retrouve dérrière elle sur ce CD enregistré en public en octobre 2007 à North Adams (MA). Ils s’entendent comme larrons en foire et la vieille dame semble s’éclater en reprenant les répertoires de Gary Davis ou de Sister Rosetta. Le public applaudit et nous aussi. Marie Knight nous a quittés le 30 août 2009, mais elle nous laisse quelques fabuleux disques, dont celui-ci. – Marin Poumérol


Laurie Jane & The 45’s

Midnight Jubilee

Down In The Alley Records
www.downinthealleyrecords.com

Basée à Louisville dans le Kentucky, la chanteuse Laurie Jane possède un superbe timbre de voix qui la place dans le top 10 des (nombreuses) chanteuses blanches de blues et R&B actuelles. En outre, elle est fort bien entourée avec Cort Duggins (guitare, piano, lap steel) qui a composé huit des onze faces, Scott Dugdale (percussions) et Jason Embry (basse). L’album commence sous les meilleurs auspices avec un bien enlevé Wait So Long et ses belles envolées à la lap steel, comme dans le superbe Couldn’t Cry Alone en slow, avec des accents C&W. Il y a d’autres petits joyaux musicaux comme l’hypnotique What’s A Girl to Do en slow et syncopé à souhait, Not With You, survolté et enlevé. Il faut y ajouter les deux faces en medium mais bien rythmées Fine By Me et Down This Road et, parmi les covers, de très bonnes versions de Howlin’ For My Darlin’ (Willie Dixon/Howlin’ Wolf) et un bien scandé Got Me Where You Want Me (Robert). Un opus digne d’attention. – Robert Sacré


Z.Z. Hill

That’s It
The Complete Kent Recordings 1964-1968

Ace Records  CDTOP2 476
www.acerecords.co.uk

Natif de le petite ville de Naples au Texas, Arzell Hill fait ses classes à l’office dominical avant de rejoindre la formation des Spiritual Five. Fin des années 50, il se produit dans les clubs de Dallas et à l’époque il est influencé par B.B. King, Bobby Bland et Sam Cooke. Son frère aîné Matt, qui était parti en éclaireur en Californie, l’incite à le rejoindre pour qu’il signe sur un label important. Les débuts sur la Côté Ouest sont hésitants. Z.Z. Hill entre en studio pour le compte de Chess, mais le label refuse de sortir la session. Matt fonde alors un premier label, Mesa, puis MH Records, pour donner à son frère plus d’exposition. Il signe finalement pour Kent Records et enregistre ses premiers titres en  septembre 1964. Le compilateur britannique va ravir les nombreux fans de l’interprète du classique Down Home Blues, car il nous propose la totalité des enregistrements effectués pour le compte des frères Bihari, à savoir 38 titres plus 14 compositions qui apparaissent pour la première fois en CD. Le livret signé Tony Rounce est complet et fourmille d’anecdotes. Voici un superbe double album qui mérite toute notre attention. – Jean-Luc Vabres


Carey Bell

Harpslinger

CD JSP3011 / Socadisc
www.jsprecords.com

En 1988, JSP publiait son premier enregistrement sous la forme CD uniquement et abandonnait le vinyl. Carey Bell et son disque « Harpslinger » (JSP CD211) inauguraient la nouvelle politique de John Stedman. Cet excellent disque de Chicago blues était bien court. Ce que signala la critique de l’époque. Quand JSP le réédita, en 1996, avec la référence JSP CD264, il lui fut ajouté quatre titres gravés par Lurrie Bell en 1989. L’édition du trentenaire, remastérisée, a remplacé Lurrie Bell par quatre chansons enregistrées par Carey Bell pour la BBC en avril 1988 présentes sur le JSP CD221 (une compilation avec d’autres artistes) et joint la seconde prise de Blues With A Feeling apparue en 2004 avec le JSP CD5102. Avis aux vieux aficionados de blues : rien d’inédit. J’aime beaucoup ce Chicago blues tout simple. Le jeu de Carey Bell est parfait, gorgé de feeling aux harmonicas chromatiques et diatoniques. Le chant est à l’unisson de l’harmonica, c’est-à-dire excellent. Peut-être quelques rares maniérismes à l’harmonica peuvent parfois irriter l’auditeur. C’est un reproche mineur. Des musiciens anglais accompagnent Carey Bell : le guitariste Richard Studholme, le bassiste Andy Pyle et le batteur Geoff Nichols s’acquittent avec tact et goût de leur tâche. Les chansons aussi sont bonnes. Aucune scie recyclée ! La seconde partie du disque est constituée d’enregistrements réalisés par la BBC, dans le cadre d’un hommage à Muddy Waters. Seuls Carey Bell et Richard Studholme ont été conviés. Carey Bell, débarrassé des quelques tics précédemment indiqués, se surpasse, très inspiré par le géant et maître Muddy Waters. Lui et son guitariste brillent. Muddy aurait été heureux d’un tel témoignage d’amour. Ce bien beau disque de Chicago blues n’a pas pris une ride. – Gilbert Guyonnet


Little Willie Littlefield

The Best Of The Rest
Selected Recordings from Eddie’s, Federal & Rhythm Years 1948-1958

Jasmine Records JSAMCD 3090
www.jasmine-records.co.uk

Littlefield est né à El Campo, Texas, et a grandi à Houston avec sa mère. En 1947, à l’âge de seize ans, il était déjà une attraction locale dans beaucoup de clubs de Dowling Street. Il enregistre d’abord pour Eddie Henry – un propriétaire de magasin de disques local – sur son label Eddie’s Records. Littlefield forme son premier groupe avec le saxophoniste Don Wilkerson, un ami d’école. Il est alors très influencé par le pianiste de boogie-woogie Albert Ammons dont il enregistrera d’ailleurs le Swanee River Boogie sur Eddie’s Records, mais aussi par Charles Brown ou Amos Milburn. Son premier enregistrement, Little Willie’s Boogie, outre le succès qu’il lui procure en 1949 au Texas, attire l’attention de Jules Bihari de Modern Records à Los Angeles. Ce dernier trouve en Little Willie l’artiste idéal pour concurrencer Amos Milburn et s’envole pour Houston afin de sceller un contrat avec cet adolescent qui, avec son piano, semble mettre le feu à l’Eldorado et faire danser tout le monde. Sous la houlette de Modern, Little Willie enregistre It’s Midnight qui devient un hit national et sera suivi d’autres singles à succès, rapidement épaulé par la crème des musiciens tels les saxophonistes Maxwell Davis et Buddy Floyd, le guitariste Johnny Moore, les drummers Al Wichard et Jessie Price. Le succès est là, qui couronne trois sessions d’enregistrement Modern. En 1952 , il intègre Federal Records, sous-division de King, et sa première session fait mouche avec notamment K.C. Loving écrite par le duo Leiber et Stoller (plus tard reprise par Wilbert Harrison sous le titre Kansas City). En 1957, Littlefield part pour le nord de la Californie et continue à enregistrer, cette fois pour le label Rhythm de Don Barksdale basé à San Francisco. Ses chansons ont peu d’écho dans les charts, mais son succès est assuré à chaque prestation en club. À la fin des années 70, il tourne en Europe et s’installe aux Pays-Bas où il gravera plusieurs albums de 1982 à la fin des années 90 sur Oldie Blues, le label de Martin Von Olderen. Après plus de 50 ans de carrière, Little Willie Littlefield décide de stopper en 2000. Il se produira néanmoins encore occasionnellement jusqu’en 2010, son amour de la scène étant plus fort que tout. Il décède aux Pays-Bas en 2013, emporté par un cancer, à l’âge de 81 ans. Sa discographie est importante non seulement du point de vue de ses créations originales, mais aussi et surtout en raison de son jeu de piano. Littlefield a développé très tôt son propre style pianistique qui sera copié par certains musiciens de rhythm’n’blues dont Fats Domino qui s’en empare au début des années 50 en y injectant sa touche New Orleans… Le CD Jasmine Records présenté ici est une sélection de 28 titres marquants de ses débuts : pour Eddie’s, Freedom, Federal et Rhythm de 1948 à 1958. On y retrouve bien sûr en ouverture Little Willie’s Boogie qui, juste après-guerre, en dit déjà long – vu le jeune âge de Littlefield à l’époque – sur son style, son énergie, mais aussi sur ce besoin à l’époque de musiques faites pour la danse. Le livret comporte les références des sessions par dates et lieux d’enregistrement. Très belle compilation consacrée à l’un des plus influents pianistes de boogie-woogie et chanteurs de rhythm’n’blues des années 50. – Marcel Bénédit


Little Freddie King

Fried Rice & Chicken

Orleans Records ORL 2918
orleansrecords.com

Un nouvel album de Freddie Martin aka Little Freddie King ne passe jamais inaperçu chez les aficionados du Louisianais. Or, contre toute attente et malgré le fait que cette galette sorte dans les bacs en 2018, il s’agit en réalité des faces qu’il a enregistrées naguère pour le label de La Nouvelle-Orléans. Les titres 1 à 6 figurent dans « Swamp Boogie » paru en 1995. Les faces 7 à 11 proviennent de l’album « Sing Sang Sung » réalisé en 2000. Les morceaux du présent opus doublonnent donc avec les galettes précitées, me direz-vous. Toutefois, cet album n’est pas dénué d’intérêt puisque les faces (dont plusieurs instrumentales) ont été remastérisées dans le but de les produire en vinyle. Lequel acétate devrait être disponible rapidement chez votre disquaire favori. L’album est aussi disponible en téléchargement numérique et en streaming via Orleans Records. On se rappelle que le premier album solo de Little Freddie King, un homme « country-funk-blues » de la Nouvelle-Orléans, était en version low-down. King avait 55 ans en 1995, l’année où Orleans Records a sorti « Swamp Boogie ». Pendant la plus grande partie de sa carrière, il a joué à La Nouvelle-Orléans, en tant que pianiste pour John “Harmonica” Williams, Billy “Boogie Bill” Webb et “Brother” Percy Randolph. Il se rendait aussi à la maison d’un certain Gary Rouzan, guitariste chanteur et manager. Des décennies plus tard, Rouzan a vu la photo de King dans un magazine de blues, l’a recherché et a commencé à s’occuper de ses affaires. Rouzan l’a ensuite amené à La Nouvelle-Orléans rencontrer le propriétaire du label Orleans, Carlo Ditta. Celui-ci a réuni des musiciens confirmés pour les sessions de « King’s Swamp Boogie » : les bassistes Earl Stanley (célèbre pour le classique local Pass the Hatchet), Robert Wilson et Jason Sipher, les batteurs Kerry Brown et Bradley Wisham et l’organiste et pianiste « fou » Rick Allen (Howlin’ Wolf, Dr John, Etta James, Sonny Boy Williamson, Albert King). Six de ces pistes composent les faces A de « Fried Rice & Chicken ». Ils comprennent l’instrument instrumental Cleo’s Back, version Chicago blues (enregistré dans les années 1960 par Jr. Walker & The All Stars et les Mar-Kays), Mean Little Woman (un blues douloureux écrit par King), I Used to be Down (inspiré du style décontracté de Jimmy Reed) et l’interprétation instrumentale de King sur Cotton Fields de Leadbelly (rebaptisé Kinky Cotton Fields). Les morceaux présentés sur la face B sont issus de l’album « Sing Sang Sung », paru en 2000, lequel s’appuie sur deux concerts de 1999 au Dream Palace sur Frenchmen Street à La Nouvelle-Orléans. Little Freddie King y joue avec son batteur de longue date “Wacko” Wade Wright, le bassiste Anthony Anderson, et l’harmoniciste Bobby Lewis Titullio. Une autre écoute au son remastérisé s’impose donc. – Philippe Prétet


Sam Cooke

Cupid
The Very Best Of Sam Cooke 1961-1962

Jasmine CD 991 – www.jasmine-records.co.uk

Trente des meilleurs titres enregistrés par le légendaire Sam Cooke, chanteur unique qui a influencé toute la musique américaine depuis ses débuts avec les Soul Stirrers en 1950. Ses faces gospel pour Specialty (1950-56) sont sans doute ce qu’il a fait de mieux, avec certains titres comme Change Is Gonna Come ou Chain Gang, mais les titres présentés ici sont aussi devenus des classiques : Cupid, Twistin’ the Night Away, Soothe Me, Bring it on Home to Me, Havin’ a Party, Somebody Have Mercy et tout amateur éclairé devrait être séduit. Sa voix « honey and sandpaper » (miel et papier de verre) est une merveille. Il fut assassiné le 10 décembre 1964. Si vous ne possédez pas ces faces, c’est une belle occasion de réparer cette lacune. – Marin Poumérol


Mahalia Jackson

Intégrale, Vol. 18, 1962

Frémeaux & Associés FA1328 – www.fremeaux.com

En 1962, Mahalia Jackson est devenue une grande vedette, célèbre dans le monde entier. Le show business et une major (Columbia) se sont emparés de sa carrière. Elle-même ne la domine plus. On décide (à peu près) tout à sa place, le répertoire, les accompagnateurs, le cadre et le décorum. Plus question pour elle de poursuivre dans la voie du hard gospel swinguant et extraverti, en petite formation (piano, orgue, drums, basse). Elle est maintenant l’icône d’un chant religieux à l‘échelle internationale, noyé dans un océan de cordes et de chorales pathétiques dont la principale caractéristique est un manque de swing récurrent et navrant (Dame ! Ce sont quasi exclusivement des choristes blancs qui connaissent surtout le chant à l’unisson tel qu’on l’interprète dans les églises blanches, les white spirituals et pas le canevas appel-réponse des Noirs-américains…). Malgré tout Mahalia surmonte tous ces handicaps avec un timbre de voix unique, intemporel, un charisme intact, bref un talent qui pulvérise tous les obstacles (au grand dam des « puristes » comme votre serviteur qui regrette la période Apollo et les premiers enregistrements Columbia et surtout l’absence ici de la pianiste Mildred Falls et de quelques autres). Ceci est éminemment subjectif et chacun se fera son opinion sur ce 18è volume de l’intégrale où, pour moi, « sévissent » le grand orchestre et les chœurs dirigés par Johnny Williams dans douze faces gravées à Los Angeles en mars 1962 (dont Danny Boy, The Green Leaves Of Summer, Trees). Et le gospel ? Où est-il dans tout cela ?. Les cinq autres faces (mars 1962) sont plus traditionnelles et excellentes ; l’orchestre est conduit par le pianiste Edward C. Robinson avec Albert A. Goodson (orgue), Al Hendrickson (guitare), Joe Mondragon (basse), tantôt Shelly Manne, tantôt Johnny Williams aux drus, et une chorale plus en phase dirigée par Thurston Frazier. À elles seules, ces faces valent l’achat de l’album. On en retiendra un bien enlevé Sign Of The Judgement et un très plaisant That’s All Right. Cette chorale-ci est absente dans deux titres, le brillant Speak Lord Jesus et In Times Like These très inspiré et en slow. – Robert Sacré


Peppermint Harris

I Got Loaded
The Very Best Of 1948-1959

Jasmine Records JSAMCD 3096 (2 CD) – www.jasmine-records.co.uk

De son vrai nom Harrison Nelson, Peppermint Harris (1925-1999) fut un guitariste et chanteur de blues de grand talent. Né à Texarkana au Texas, il débute réellement sa carrière en 1943 en s’installant à Houston. Il fait son premier enregistrement à la fin des années 40 sous le nom de Peppermint Nelson. Il enregistre en 1950 sous le nom de Peppermint Harris le titre Raining In My Heart sur le label Sittin’ In With de Bob Shad. En 1951, il signe chez Modern Records à Los Angeles, Californie, via Aladdin Records et enregistre son plus gros hit R&B, I Got Loaded, rapidement n°1 du Billboard R&B aux US. Malheureusement, la majeure partie de ses enregistrements suivants n’aura qu’un succès d’estime malgré une qualité indéniable. À la fin des année 50 et dans les années 60, il enregistre sur de nombreux petits labels comme Southern California, Dart, Combo, Duke, Jewel, Time… ce jusqu’en 1962. Puis il gravera des faces à Shreveport, Louisiana, et travaillera à Sacramento puis dans le New Jersey avant de graver un dernier album en 1995 sur le label Home Cooking. Le coffret de deux CD présenté par Jasmine Records regroupe 56 faces de l’artiste allant de 1948 à 1959. On y retrouve les deux faces de 1948 sur Goldstar, Peppermint Boogie et Houston Blues, sous le vocable Peppermint Nelson (guitare et chant), accompagné par Elmore Nixon au piano ; puis des faces pour SW, Time, Aladdin, Modern, Money, Combo, Dart… en groupe, avec des musiciens excellents parmi lesquels Maxwell Davis au sax ou encore Charles “Chuck” Norris. Du blues cool ou dansant, intemporel, qui n’a pas pris une ride. Un régal. – Marcel Bénédit


Piano Red aka Dr Feelgood
& The Interns

Rockin’ With Red – Singles A’s & B’s 1950-1962

Jasmine JASMCD 3094 (2 CD)
www.jasmine-records.co.uk

De son vrai nom Willie Lee Perryman, frère cadet de Speckled Red et noir albinos comme lui, il reçoit le surnom de Piano Red à la fin des années 1930 lorsqu’il joue à Atlanta (Ge). Il se produit régulièrement entre 1954 et 1969 à Atlanta au très réputé Magnolia Ballroom. Ce double album comporte soixante-deux titres. Une partie d’entre eux regroupe des morceaux en solo enregistrés chez RCA et sa filiale Groove entre 1950 et 1962, huit titres avec son groupe Meter-Tones pour le label Jax en 1959 et six avec The Interns chez Okeh en 1962. Le présent opus est construit comme si vous écoutiez sa musique avec un juke box. Ressemblant étrangement à son frère Speckled Red par l’exubérance qu’il dégage, Piano Red pratique un jeu de piano boogie percutant et efficace. Il n’a pas beaucoup changé son style au fil des ans : piano à deux mains et chant bruyant, résultat de tentatives pour se faire entendre au-dessus d’un torrent de voix et de tintements de verres et de bouteilles à la mode des années 30… Le Saturday Review of Literature l’avait qualifié de « vrai primitif»  qui « assaille le piano avec une sauvagerie habituellement réservée aux tambours de guerre africains ». Réhaussé par des parties vocales truculentes, son style très typé « barrelhouse » est extrêmement contagieux. Il avait l’habitude d’enregistrer avec son propre groupe. Bob Rolontz – qui a produit Red pendant son séjour à Groove – a déclaré : « Red jouait beaucoup de fausses notes, donc j’ai dû avoir des musiciens qui le comprenaient ». Piano Red était un vrai original et bien sûr un interprète intemporel avec un énorme succès à ses débuts en 1950 avec le single à double face Rockin’ With Red / Red Boogie (RCA/Victor 0099) qu’il vendra à un million d’exemplaires, plusieurs années avant Bill Haley. Il récidivera peu après avec The Wrong Yo-Yo (RCA Victor 106). Cet excellent set comprend également son hit de 1962, Doctor Feel-Good (Okeh 7144) qui est devenu une référence pour de nombreux groupes britanniques. La dernière session de Red pour RCA a eu lieu le 2 mars 1958 à Nashville. Chet Atkins, qui a supervisé la date, a dit à Willie Lee Perryman : « Je suis un homme de la campagne. Tout ce que je peux faire, c’est m’asseoir et écouter, jusqu’à ce que vous me disiez tous quand vous pensez que tout va bien ». Ce n’était pas un problème car Red savait toujours ce qu’il voulait enregistrer longtemps avant d’entrer en studio et les chansons étaient bien répétées. Le contrat de RCA Victor n’a pas été renouvelé, mais Red ne dépendait pas trop des ventes de disques. Son émission de radio quotidienne, de nombreux concerts locaux et des dates de week-ends à l’extérieur de la ville avaient de quoi l’occuper. Résident à Atlanta pendant la majeure partie de sa vie, ses faces rock’n’roll mâtinées de boogie virevoltant ont fait de lui l’une des principales attractions touristiques de la ville pendant des décennies. Ce double album constitue une alternative intéressante à ce qui reste à ce jour la référence avec le coffret luxe édité par Bear Family. – Philippe Prétet


Jimmy Witherspoon
Featuring Hal Singer

Big Blues

JSP Records CD JSP3012 / Socadisc – www.jsprecords.com

L’album vinyle « Big Blues » (JSPlp1032) de Jimmy Witherspoon, enregistré en juin 1981, apparut la même année dans les bacs des disquaires. JSP le publia en CD en 1997, en y ajoutant cinq titres d’Hal Singer datant eux aussi de la séance de juin 1981 (JSP CD285). La référence JSP CD5101 – sortie en 2004 – duplique le précédent disque au format SACD. Aujourd’hui, la référence JSP3012 est absolument identique à celles de 1997 et 2004. Toutes ces précisions discographiques, peut-être fastidieuses, me semblaient indispensables. Cette séance d’enregistrement, à l’ambiance swinguante et détendue, a été réalisée avant les graves ennuis de santé qui tourmenteront Jimmy Witherspoon au milieu des années 1980. Parfaitement soutenu par son vieux copain, exilé en France depuis 1965 à cause de la ségrégation raciale, le saxophoniste ténor Hal Singer (1) et par quelques pointures du jazz anglais : Peter King (alto sax), Mike Carr (claviers), Jimmy Mullen (guitare), Harold Smith (batterie), Jimmy Witherspoon délivre de sa voix chaude et profonde un répertoire parfaitement adapté à son style jazz-blues. On retrouve avec grand plaisir les classiques Lotus Blossom et Nobody Loves You When You’re Down and Out, une bien belle version de Big Boss Man (Jimmy Reed), le sardonique Just A Dream (Big Bill Bronzy), l’ émouvante ballade Once There Lived A Fool (Jessie Mae Robinson)… Jimmy Witherspoon laisse la plupart de ses talentueux accompagnateurs s’exprimer en soliste sur chacun de ses morceaux. Les cinq derniers titres du CD voient Hal Singer devenir le leader, Jimmy Witherspoon ne chantant pas. L’atmosphère devient plus jazzy. En plus de son magnifique jeu au saxophone ténor, Hal Singer chante tout à fait convenablement sur la chanson qui clôt le disque, The Snow Was Falling. Chacune des interventions de Mike Carr, à l’orgue ou au piano, et le jeu fluide du guitariste Jimmy Muller, sont un bonheur pour les oreilles. Un achat qui s’impose pour ceux qui ne possèdent pas les éditions précédentes. – Gilbert Guyonnet

Note (1) : Hal Singer, qui vit toujours en France, devrait fêter ses 100 ans le 8 octobre 2019 !


Mickey Baker

Return Of The Wildest Guitar

Jasmine Records JSACD 979 – www.jasmine-records.co.uk

Dès les premières notes de Riverboat qui ouvre cette compilation bienvenue de nos amis britanniques de Jasmine consacrée au guitariste Mickey Baker, on comprend qu’on va écouter de la très bonne musique. Le titre, « The Wildest Guitar », reprend celui de son exceptionnel LP Atlantic de 1959 – que l’on retrouve ici – préalablement associé à des faces Savoy, Groove (avec deux faces de 1954 non éditées originairement), ou Rainbow (avec ses House Rockers). 29 faces compilées de la meilleure manière dans lesquelles, outre les talents et l’inventivité de guitariste de Mickey Baker, on perçoit aussi ses qualités de chanteur (écoutez Love Me Baby, seul guitare et chant – Savoy 874, 1952) : une pépite. Ses parties de guitare avec Big Red McHouston & His Orchestra (où l’on retrouve Champion Jack Dupree au piano) sont un vrai régal, comme dans Where Is My Honey. Un disque dans lequel le compilateur a intelligemment mélangé les genres afin de faire toucher du doit l’incroyable étendue du talent de Mickey Baker. – Marcel Bénédit


Jimi Hendrix

Both Sides Of The Sky

Experience Hendrix Sony Music Legacy 19075814192

Treize enregistrements du “Voodoo Chile” captés entre 1968 et 1970. Tous les titres réunis ici sont inédits, même si plus de la moitié se retrouvent ailleurs dans des versions différentes. Dans la chronologie des archives officielles publiées depuis 2010, ce disque clôture la trilogie débutée avec « Valleys of Neptune » puis complétée par « People, Hell and Angels ». Jamais rassasié de rencontres musicales avec ses contemporains, Hendrix invite ici pour deux titres Stephen Stills en septembre 1969 au chant et à l’orgue ($20 Fine et une version précoce de Woodstock). L’ex-Buffalo Springfield n’est pas encore la vedette mondiale qu’il deviendra en s’associant à Crosby et Nash, mais le disque « Super Session » avec Al Kooper et Mike Bloomfield lui a déjà donné une belle notoriété. Son amitié avec Hendrix est née deux ans plus tôt lors du festival de Monterey. Things I used To Do voit la présence de Johnny Winter à la slide et du batteur Dallas Taylor. Jimi Hendrix se replace en simple guitariste du groupe du chanteur et saxophoniste Lonnie Youngblood pour Georgia Blues. Deux instrumentaux le font entendre simplement accompagné du batteur : Buddy Miles dans le planant Jungle et Mitch Mitchell lors d’une complexe et passionnante version de Cherokee Mist, dans laquelle Hendrix utilise aussi le sitar. Toujours riche de découvertes. – Dominique Lagarde


Various Artists

Johnny Cash, Forever Words

The Music Sony legacy 88985441532
www.johnnycashforeverwords.com

Ce « concept album » constitue une forme de défi lancé à la scène country-rock contemporaine. À partir de textes inédits laissés par Johnny Cash, il a fallu créer des musiques à poser sur les mots et, plus que cela, inventer des chansons tout en apportant une pierre supplémentaire à l’édifice déjà imposant laissé par l’icône de la musique populaire américaine à sa disparition en 2003. Le pari a pris forme avec ce disque de 16 titres réunissant des stars de la country music (Kris Kristofferson et Willie Nelson en ouverture) autant que des artistes du genre, moins connus (au moins sous nos latitudes). Entre les deux, des valeurs sûres de la scène bluegrass, folk et rock : Elvis Costello, John Mellencamp, le regretté Chris Cornell (chanteur de Soundgarden), Jayhawks, Alison Krauss, T. Bone Burnett et naturellement des héritières liées à la famille de l’artiste telles Rosanne Cash ou Carlene Carter. Ce disque est devenu le miroir animé du recueil (à succès) de poèmes du même nom sélectionnés par John Carter Cash. L’histoire personnelle de nombre de ces artistes a croisé celle de Johnny Cash. Les textes, très introspectifs, bénéficient souvent d’approches musicales distantes de celles du maître. Goin’, Goin’, Gone par Robert Glasper featuring Ro James & Anu Sun, qui verse doucement dans l’électro, est le titre le plus aventureux. Une remise en cause qui n’aurait sans doute pas déplu au Johnny Cash des dernières années séduit par les expériences nouvelles. – DominiqueLagarde


 

The Swinging Dice

Let’s Pick Up The Tempo !

Celebration Days Records CDR 013

Voici le deuxième album du groupe picard The Swinging Dice. Depuis 2010, ce quartette a donné plus de 400 concerts dans toute l’Europe et a remporté en 2013 le grand tremplin de Blues sur Seine. Pierre Matifat au piano, Fabien Lippens à la guitare, Matthieu Duretz à la basse ou à la contrebasse et Dann-Charles Deneux à la batterie ne viennent pas de La Nouvelle-Orléans comme pourrait le faire croire l’écoute de leur musique. Inspiré par le Swing, le Rock’n’Roll et le Rhythm & Blues, le groupe propose onze compositions originales où l’on retrouve l’influence de nombreux standarts de Nat King Cole, Louis Jordan, Wynonie Harris ou Dave Bartholomew. Les textes sont du songwriter anglais Mickey Van Gelder qui est le parolier historique du projet. En s’inspirant des New Orleans piano players et du Rock’n Roll des années 50 à 70, The Swinging Dice apporte à ce répertoire une fraîcheur et un renouveau bienvenus dans le monde des musiques actuelles. Et si vous avez eu un vrai coup de cœur pour cet album, les quatre membres des Swinging Dice font appel à vous pour les aider à financer le pressage en 33 tours vinyle de ce disque (swingingdice@gmail.com). – Robert Moutet


Petit Vodo

I Like It Like That

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Après des années d’expérience comme batteur au sein de nombreuses formations de jazz et de rock, c’est en 1997 que le bordelais Sébastien Chevalier se lance en solo. Jouant simultanément de la batterie, de l’harmonica et de la guitare, il chante avec une voix qui semble sortir d’un interphone. Il prend le nom de Petit Vodo en hommage à son grand-père d’origine tchèque (aucune référence au culte vaudou). En 1998 il sort « Monom », son premier album, bien aidé par le très médiatisé groupe Noir Désir. Il se produit alors dans de nombreux festivals dans toute l’Europe. Il partage notamment l’affiche avec T-Model Ford. Il a un public fidèle en Suisse, en Espagne et en Angleterre. En 2000, il sort « Balling The Jack », son deuxième album qui va lui permettre de toucher un public encore plus international, de l’ Australie au Japon. Cela fait donc plus de vingt ans que Petit Vodo écume en solo les scènes du monde entier, partageant l’affiche avec R.L. Burnside, Metallica, Dyonisos, Mike Patton ou The Dead Brothers ! Voici donc « I Like It Like That », son neuvième album où il reprend, avec une approche très personnelle, les plus célèbres morceaux des grands du blues : John Lee Hooker, Muddy Waters, Slim Harpo, Son House et deux morceaux de Hound Dog Taylor sont au programme. Chaque reprise de ces monuments du blues foisonne de détails expérimentaux qui sont la marque de fabrique de ce « one man band » que les puristes qualifient souvent de bidouilleur ! Alors, à vous de découvrir les dix productions de ce CD pour vous faire une opinion. Nous, on aime. Robert Moutet


Memphis Rent Party

Par Robert Gordon

Bloomsbury Publishing (Livre + Vinyle)
www.bloomsbury.com

Dans cet excellent recueil d’essais, Robert Gordon (« It Came from Memphis »), journaliste musical chevronné rompu à la scène de Memphis d’où il est originaire, écrit avec brio sur les hors-la-loi, les rebelles et les personnages tragiques qui ont fourni l’étincelle à l’industrie du divertissement. Certes, beaucoup d’essais ont déjà été publiés sur le sujet, mais chacun inclut une nouvelle vision qui place les musiciens (et les morceaux eux-mêmes) dans un plus grand contexte. Contrairement à ses livres précédents, ce nouveau travail ressemble à une sorte de sac à main qui rassemble des notes de couverture et des pièces journalistiques, dont certaines n’ont jamais été publiées. Étant donné le sujet, cependant, cette approche semble appropriée ; la musique, après tout, est complexe et insaisissable, comme le sont beaucoup de gens représentés ici. Robert Gordon compare la scène musicale ancienne de Memphis à une fête carrément surréaliste vu de ce côté-ci de l’Atlantique où les locataires organisent un événement, embauchent des musiciens et récupèrent des dons pour payer le loyer. Chaque profil est riche en détails et en perspicacité. Gordon capture le personnage insaisissable du patron de Sun Records, Sam Phillips (« Le diable est dans les détails, et Sam accueille les démons ») et met en lumière des artistes influents tels que Moss Vinson et James Carr, « le plus grand chanteur de Soul du monde ». Il discute du circuit Jim Crow avec le crooner Bobby Blue Bland qui note que, même dans un circuit entièrement noir, « le racisme était là ». Gordon se souvient également d’une grande interview avec un Jerry Lee Lewis sans défense, dans laquelle il dit « l’accès que je recevais était plein de plus de vérité que n’importe quelle interview ». Le meilleur est à venir avec la version juridique incroyable de l’auteur sur les droits d’auteur de Robert Johnson, une histoire écrite pour LA Weekly. L’art des affaires et « l’art de l’art » deviennent intimement liés ! Finalement, Gordon démontre de manière convaincante que si la musique ne peut pas nous sauver, elle peut nous dire qui nous sommes, à tout le moins.

Various Artists

Memphis Rent Party

Fat Possum FP1653-1 – LP compilé par Robert Gordon – Fichiers MP3 téléchargeables inclus

Robert Gordon déclare que « l’esthétique de Memphis est de… sonner différemment ». Introduction parfaite à l’enregistrement qui accompagne le livre puisque le vinyle reprend plusieurs des musiciens qui ont été mis en évidence dans l’ouvrage. Disons-le tout net : la chose la plus accrocheuse de cet enregistrement est la sélection des titres. Jerry McGill était un artiste de disques country de Sun Records qui a également écrit des chansons avec Waylon Jennings. Il a été arrêté 97 fois sur des accusations allant de l’ivresse au vol à main armée. Alors qu’il était encore en fuite du FBI, McGill a enregistré Desperados Waiting for a Train de Guy Clark. Le disque comprend également des documents inédits, y compris Chevrolet, une chanson écrite par Lonnie Young, et un enregistrement de 1960 par Alan Lomax. Il est interprété ici par Luther Dickinson du North Mississippi All Stars et Sharde Thomas, la petite-fille du maître de la fifre Othar Turner. All Night Long était la chanson-titre du deuxième album studio du pionnier du Hill Country blues Junior Kimbrough. Furry Lewis, l’un des premiers artistes country blues sortis de la retraite lors du renouveau folklorique de 1960, chante Why You Come Home Blues. Calvin Newborn, un guitariste de jazz qui a travaillé avec B.B. King, interprète Frame for the Blues écrit par Alex Chilton. Chilton interprète le classique reggae Johnny Too Bad. Jerry Lee Lewis interprète une version rock de Harbour Lights enregistrée pour la première fois par Francis Langford en 1937 et un succès pour The Platters en 1960. Tav Falco était le leader du groupe de rock Memphis “Panther Burns” et leur chanson Drop Your Marque. Mose Vinson, pianiste de blues et de boogie-woogie qui a travaillé avec James Cotton, interprète ici son Same Thing On My Mind. Charlie Feathers était un musicien de country et de rockabilly de Sun Records qui a enregistré Defrost Your Heart en 1956. L’une des bonnes surprise est une pièce rare et inédite du groupe emblématique de Memphis The Fieldstones, Little Bluebird, enregistrée en cassette par Robert Gordon au Green’s Lounge – probablement en 1989 d’après les notes de l’auteur – dans laquelle on retrouve Will Roy Sanders et Joe Hicks, entre autres. Clin d’œil appuyé de Robert Gordon à ce groupe mythique puisque la photo de couverture du disque le représente (en partie du moins) au Green’s Lounge. L’album se termine par une autre chanson inédite de Jim Dickinson, le bluesman bohème, producteur et père de Luther et Cody. Enregistré après une nuit dans la ville est J’aimerais être un hippie (mais mes cheveux ne pousseront pas si longtemps)”. Une Rent Party se déroule lorsque les amis se réunissent pour écouter de la musique, danser, et aider un des leurs à traverser des temps difficiles ; c’est une célébration face à la tragédie imminente, un espoir quand le Blues est à la porte. Robert Gordon excelle dans cet exercice car il sait trouver le mystère dans le quotidien, l’inspiration dans la tristesse, et révèle ce qui dans l’individualisme relie ces diverses rencontres. Bien entendu, le vinyle est indissociable du livre et réciproquement. Philippe Prétet


Wake Up America Tome 2 : 1960-1963

Par John Lewis, Andrew Aydin, Nate Powell

Éditions Rue de Sèvres ISBN : 9-782369-810384

Après l’épisode tragique du « Bloody Sunday » (voir ABS 59), John Lewis poursuit dans ce deuxième tome sa quête biographique de remémoration et de transmission de l’indicible chaos dans lequel lui et tant d’autres furent entrainé(e)s contre leur gré. En l’occurrence, il décrit avec force et dignité les actes de violence subis par les membres du mouvement des droits civiques notamment à Nashville (Tn) au début des années 60. Grâce à une stratégie de non-violence fondée sur les sit-in, l’organisation était parvenue à mettre fin à la ségrégation dans les comptoirs de la ville. Elle s’était ensuite focalisée sur les fast-foods (chez Krystal) et les cafétérias. L’objectif était d’attirer l’attention sur l’injustice que représentait la ségrégation… La prison fut pour beaucoup la conclusion d’un mouvement qui ne visait qu’à faire respecter la dignité humaine. En 1961, eut lieu la marche de la liberté (Freedom Ride) qui devait mener les activistes de Washington à La Nouvelle-Orléans en passant par le réseau d’autocars Trailways et Greyhound dans les gares routières. En route, un « incident » brutal survint qui fit que le groupe de John Lewis n’atteignit jamais Birmingham dans l’Alabama. Plusieurs faits se produisirent à Montgomery faisant état d’une résistance effrénée des ségrégationnistes de tout poil. Un « passage musclé » au sinistre pénitencier d’État du Mississippi dit « la ferme de Parchman » en juin 1961 l’illustrera. Tout comme l’entrée du premier afro-américain à l’Université du Mississippi en septembre 1962 qui entraîna des violences contre les 300 US Marshall chargés de le protéger. Où encore l’arrestation hallucinante d’un millier d’enfants qui défilaient à Birmingham uniquement pour revendiquer leur liberté : « Can a Man Love God and Hate His Brother ? », pouvait-on lire sur les pancartes des gamins ce jour-là. C’était le 2 mai 1963. Ce deuxième volume se lit d’un trait tellement l’histoire est captivante et bouleversante à la fois. La BD graphique est superbe et les textes plongent dans le réel avec cette capacité rare de faire vivre le passé de l’intérieur, comme si vous y étiez. À lire et à partager sans modération. – Philippe Prétet


Blues With A Twist : Over 50 Years Of Behind The Scenes Blues Adventures – A Biography Of Chicago Blues Drummer Twist Turner

Par Twist Turner

E book (livre électronique) / Bookbaby Publisher (version papier)

Qui a inoculé le redoutable virus du Blues à Twist Turner ? Son père et sa discothèque : Big Joe Turner, Louis Jordan, Meade Lux Lewis, Pinetop Smith ? Albert Collins qui, quand il le vit sur scène, le bouleversa ? Isaac Scott, seul bluesman afro-américain de Seattle où naquit Twist Turner au milieu des années 1950 ? Cette incurable infection le fit s’établir à Chicago en 1975. Il y a quelques années, Twist Turner se brisa un pied. Six mois d’immobilisation le conduisirent à écrire ses souvenirs pour tuer le temps. Quels souvenirs ! Il a connu et joué dans près de deux cents clubs de la Windy City et côtoyé tous les musiciens de Blues. Twist Turner nous conte ses rencontres (John Brim, Jimmy Reed), ses débuts comme bassiste, le choc Howlin’ Wolf sur scène, ses tribulations, dans une langue simple très facile à lire. Les anecdotes narrées sont souvent tragi-comiques. Nous voyageons dans un van miteux à l’agonie en compagnie de Sunnyland Slim, assistons à une violente altercation entre un célèbre harmoniciste et son guitariste de fils. Nous écoutons Magic Slim ou Hound Dog Taylor au Florence’s et humons les odeurs de tabac, sueur, mauvais déodorant, alcool et les pestilentielles émanations des « pretty damn funky » toilettes du lieu. Nous déambulons dans le marché aux puces de Maxwell Street, grande passion de Twist Turner, et croisons l’excentrique Yochanan, “The Muck, Muck Man”, qui enregistra avec Sun Ra. Nous empruntons les tortueux sentiers par lesquels passent les âmes de quelques bluesmen. Twist Turner dresse un portrait affectueux, mais sans complaisance, de ses amis Hip Lankchan, Sammy Lawhorn et Junior Wells ; vous découvrirez l’incroyable privilège dont jouissait ce dernier près du Theresa’s. La longue narration de la répétition chez le pianiste Jimmy Walker en compagnie de la chanteuse Little Miss Cornshucks qui voulait relancer sa carrière, est extraordinaire. Twist Turner révèle aussi la face sombre d’un immense bluesman et son inadmissible comportement avec Valerie Wellington. La scène blues de Chicago décrite dans le livre ressemble beaucoup à un étonnant théâtre où se joue une interminable comédie des apparences. Voilà un petit livre très vivant qui provoque rires et grimaces chez le lecteur. Peut-être regretterons-nous l’absence d’un index et que l’auteur ne développe pas le thème : « qu’est-ce qu’un batteur de blues ». – Gilbert Guyonnet


Blues et Féminisme Noir

Par Angela Davis

Editions Libertalia ISBN 9-7823776-290154 (CD inclus)

En 1998, de l’une des intellectuelles contemporaines les plus importantes des États-Unis a surgi une analyse originale et inédite de la tradition du Blues. Angela Davis (née en 1944) est connue pour son engagement politique depuis les années 1960. Communiste, élève de Marcuse et Adorno, membre du Black Panther Party, emprisonnée deux ans en 1970, inscrite alors sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI, elle mène depuis 1969 une carrière universitaire. Avec « Blues et Féminisme Noir », elle a effectué un travail titanesque qui dissèque « autrement » les carrières de trois chanteuses noires majeures : Gertrude “Ma” Rainey (1886-1939), Bessie Smith (1894-1937) et Billie Holiday (1915-1959), figures emblématiques de la musique blues, et ce à travers un prisme féministe et une posture dogmatique complètement assumée. Angela Davis a été formée à la Théorie Critique de l’école de Francfort pour qui, entre autres, la compréhension du monde social est porteuse d’émancipation. Ainsi, Davis s’appuie sur les contextes historiques, sociaux et politiques pour réinterpréter le sens, la valeur et la portée des paroles de Gertrude “Ma” Rainey, Bessie Smith et accessoirement Billie Holiday (voir supra) comme « des articulations puissantes d’une conscience alternative profondément en désaccord avec la culture américaine dominante ». Pourquoi, alors, me suis-je demandé en lisant les premières pages, Angela Davis a t’elle écrit ce (son) livre ? Quelle lacune espérait-elle combler dans nos connaissances sur Rainey, Smith, Holiday et sur le « programme féministe» de leurs chansons et succès ? Au sujet des féminismes noirs au début du XXe siècle ? Quelles nouvelles recherches son livre présenterait-il ? À la réflexion, l’objectif principal de « Blues Legacies and Black Feminism » (version originale) – comme Davis le souligne dans l’introduction – est de « divulguer les traditions non reconnues de la conscience féministe dans les communautés ouvrières » en utilisant les morceaux enregistrés de Rainey, Smith et Holiday. L’auteure considère que la dimension de classe du féminisme noir reste largement peu développée. Elle nous offre donc une grille de lecture novatrice qui permet de comprendre comment s’articulent les affres du racisme, les stéréotypes et clichés de genre et les dominations de classe. Cette théorie de la dimension de classe des femmes de blues est fondamentale ici, bien que certainement pas propre à Davis. D’abord, avant elle, Harrison (1), Lieb et Carby se sont concentrés précisément sur ces « traditions non reconnues », bien qu’ils n’utilisent pas les mots à la mode « classe ouvrière » et « conscience féministe » dans leurs écrits. Ensuite, l’étude par Davis des « implications féministes des chansons enregistrées » de Rainey, Smith et Holiday pour démontrer qu’il existe « de multiples traditions féministes afro-américaines » est à la fois originale et significative. Enfin, l’explication de Davis sur les sous-entendus politiques de leurs œuvres semble exacte, même si elle est plutôt banale par rapport à la splendeur et à la vigueur des paroles elles-mêmes. Le livre est divisé en deux parties : des essais sur la politique et l’esthétique de la musique, de ses sujets et des transcriptions des chansons enregistrées de Rainey et Smith (Davis ne fournit pas curieusement de transcriptions des chansons de Holiday « quand bien même on les trouvera facilement ailleurs », dit-elle !). Plusieurs thèmes émergent dans l’analyse de cette musique par Davis : le Blues comme affirmation de la conscience sociale ouvrière ; le Blues comme défi à la domination masculine ; le Blues comme défi aux valeurs de la classe moyenne noire, en particulier celles définies dans la Renaissance de Harlem ; le Blues comme réponse collective au désespoir social ; le Blues comme bâtisseur communautaire parmi les femmes noires de la classe ouvrière, y compris le lesbianisme. Ceux-ci sont repris dans chacun des huit chapitres et tissent la trame argumentaire de Davis. Le chapitre 1, « I Used to Be Your Sweet Mama », explore les thèmes du blues de Rainey et Smith. Comme Harrison et Lieb, Davis identifie l’amour sexuel, la violence domestique et les voyages comme omniprésents. Pour Davis, l’imagerie sexuelle prédominante dans le blues féminin était une expression de liberté impossible pendant l’esclavage. Les femmes de blues articulaient par la chanson leurs besoins et désirs émotionnels individuels, « donnant la voix à la preuve la plus puissante qu’il y avait pour beaucoup de personnes noires que l’esclavage n’existait plus ». Les paroles sur la violence contre les femmes abondent dans le blues féminin. En chantant au sujet des hommes qui les ont maltraitées, les femmes du Blues ont fait des déclarations publiques de leurs griefs privés. Ces actes de déclaration publique sont significatifs car ils décriaient hardiment la violence masculine si bien connue de nombreuses femmes noires et appelaient les femmes – comme Davis spécule – à développer « des attitudes plus critiques envers la violence qu’elles ont subie ». Davis analyse toute une série de blues centrés sur la violence domestique, y compris l’effrayant Sweet Rough Man de Rainey, avec son imagerie graphique d’une femme dont l’homme l’a battue avec des bobines de cuivre… Le voyage, un thème de blues généralement masculinisé, est devenu pour les femmes de blues une affirmation d’indépendance et d’autonomie. Ce thème fait l’objet du chapitre 3, « Here Come My Train », dans lequel Davis affirme que « les représentations blues des femmes engagées dans un voyage auto-initié et indépendant constituent un moment significatif d’opposition idéologique aux hypothèses prédominantes sur la place des femmes dans la société ». Les blues itinérants de Rainey et Smith, dont Leaving This Morning, Walking Blues, Travelling Blues, Sobbin’ Hearted Blues et Bessemer Bound Blues, montrent aux femmes le contrôle de leur vie, désengagées de leurs limites. Comme Davis l’écrit, les gens qui prennent la route quand un partenaire les abandonne ou les maltraitent ou quand, comme leurs homologues masculins, ils sont poussés par l’envie de voyager. Les arguments de Davis sur les voyages et les chansons de blues écrites par des femmes sont convaincants : elle nous fait comprendre l’histoire du voyage parmi les esclaves et les nouveaux libres, hommes et femmes, et nous montre l’importance de ce « body of blues » pour les femmes qui vivaient par procuration la musique de Rainey et Smith. Les chapitres 2, 4, 5 et 6 explorent les aspects de renforcement de la communauté et de protestation du blues des femmes. Dans le chapitre 2, « Mama’s Got the Blues », Davis compare les idéaux des femmes noires et de la classe moyenne, représentées dans des organisations telles que l’Association nationale des femmes de couleur, avec ceux des femmes noires de la classe ouvrière dont les vies se reflétaient dans les blues de Rainey et Smith. À travers le blues qui prêchait, donnait des conseils et demandait une réponse spontanée et collective, les femmes ouvrières ont construit un modèle de féminité – sexuelle et indépendante – en contradiction avec celui des femmes noires de la classe moyenne qui, dans « la défense des femmes noires » l’intégrité morale et la pureté sexuelle, « se voyaient refuser l’autorité sexuelle ». Le chapitre 4, « Blame It on the Blues » (on remarquera que cette chanson est le titre du deuxième chapitre dans l’étude de Lieb) est sans aucun doute le meilleur chapitre du livre. Alors qu’elle encense le travail de telle « sociologue féministe noire », Davis manie l’art du paradoxe en utilisant une réthorique sans détour, parlant de « spécialistes du blues » réduits à leur condition « d’hommes blancs » forcément « parternalistes »… En l’occurrence, Davis réfute les arguments d’Edward Brooks, de Paul Oliver et de Samuel Charters, qui discutent selon elle des textes de blues comme une plainte plutôt que comme une protestation, suggèrent des contextes sociopolitiques pour les comprendre et, finalement, définissent la nature de la protestation. En écrivant que « le niveau littéral et sémantique des paroles de blues est souvent une invitation à mal lire», Davis rejette explicitement les analyses de textes de blues de Brooks et suggère de nouvelles possibilités pour comprendre la musique de Rainey et Smith. Pour Davis, les protestations dans la musique n’ont pas besoin d’avoir un caractère explicitement politique, ce qui nécessiterait « une structure politique organisée capable de transformer la plainte individuelle en protestation collective efficace », afin d’être effectivement des protections efficaces. Un des intérêts majeurs de ce livre est que Davis attire notre attention sur le fameux « double entendre » qui a fait l’objet d’une incontournable et magistrale somme rédigée par Jean-Paul Levet (2) citée par le traducteur du présent opus. Pour renforcer ses arguments, Davis analyse les textes qui protestent contre le racisme et le sexisme dans le système de justice pénale (Chain Gang Blues, Tough Luck Blues et Sing Sing Prison Blues qui contiennent des références codées à l’oppression économique et raciale dans les communautés noires « Backwater Blues » et « Blame It on the Blues » et ceux qui se contentent de pleurer l’expérience noire « Tough Luck Blues ». La conclusion de Davis sur l’élément de protestation dans le blues des femmes est remarquable, car elle nous permet de visualiser notre propre palette d’interprétation. Cela dit, ce prisme militant constitue-t-il un effet de biais ? Car on peut effectivement poser la question de savoir pourquoi le travail universitaire colossal d’Angela Davis n’a pas trouvé de prolongements pratiques – à l’instar du Pr Davis Evans, voire de George Mitchell qui, eux, ont permis par leurs investigations de terrain de mettre en évidence des artistes féminines qui auraient eu toute leur place dans « Blues et Féminisme Noir » –. Au lecteur donc de se faire une opinion. Par ailleurs, curieusement, « When a Woman Loves a Man » et « Strange Fruit », les deux chapitres que Davis consacre à Billie Holiday, sont réduits à portion congrue. Dans son introduction, Davis nous dit qu’une de ses raisons pour ne pas inclure les paroles des chansons de Holiday est que son originalité « ne consiste pas tant dans ce qu’elle a chanté, mais dans la façon dont elle a chanté les chansons populaires de son époque ». Effectivement, on conviendra aisément que la lecture de l’art de Holiday ne s’effectue pas à cause de la puissance des textes de ses chansons, mais à cause de son interprétation extraordinaire du banal et du cliché. Davis consacre seulement trente-sept pages à Holiday, ce qui semble vouloir indiquer que la référence à Billie Holiday dans un livre axé dans une large mesure sur les traditions de la conscience féministe parmi la classe ouvrière noire est quelque peu conçue comme une pensée après coup ; autrement dit, comme le résultat – semble-t-il – d’une stratégie de marketing pour augmenter les ventes en ajoutant à l’étude savante de Davis sur les légendes du blues Rainey et Smith un nom familier reconnaissable par les lecteurs profanes. À cet effet, Davis nous explique que « l’écrasante majorité des chansons que Lady Day a jouées et enregistrées … ne contient aucune allusion explicite à l’amour ou à la sexualité », qu’Holiday travaillait « seulement tangentiellement avec le Blues ». Elle n’appartiendrait donc pas à ce livre ! Sa musique, avec une ou deux exceptions que Davis discute, n’a aucune incidence sur le féminisme noir. En fait, Davis écrit que le point de vue masculiniste dans une grande partie de la musique de Holiday n’a pas, selon le critique féministe noire Michele Wallace, attiré Billie Holiday aux féministes. En conclusion, ne nous méprenons pas : « Blues et Féminisme Noir » est une œuvre qui certes s’appuie sur le travail de ses devanciers, qui comporte des répétitions à vocation pédagogique parfois monotone, qui aurait pu souligner notamment l’humour truculent de Ma Rainey dans ses textes, mais qui surtout offre une grille de compréhension originale et novatrice de l’univers du Blues d’artistes féminines majeures. En 1998, Toni Morisson s’extasiait : « Ce livre d’Angela Davis est, pour moi, une révélation et une véritable rééducation ». On notera que l’éditeur a tout particulièrement soigné la traduction avec Julien Bordier. Et puis, l’accès aux textes de Ma Rainey et de Bessie Smith (parus dans l’édition originale) est un véritable plus (3) en surfant sur le site des Editions Libertalia, hormis un CD qui réunit les faces emblématiques de Ma Rainey et Bessie Smith. Ce livre contribue indéniablement au support écrit de l’Histoire américaine. – Philippe Prétet

Notes :

(1) La Professeure Daphne Duval Harrison a écrit et publié « Black Pearls : Blues Queens of the 1920s » – Rutgers University Press 1988.
(2) Jean-Paul Levet : « Talkin’ That Talk, le langage du Blues, du Jazz et du Rap », dictionnaire anthologique et encyclopédique – Editions Outre Mesure Paris 2010.
(3) Textes accessibles ici.