Au-delà de la musique, l’Amitié
• Après leur premier album « Get Up ! » qui reçut un Grammy Award en 2014, Ben Harper et Charlie Musselwhite se retrouvent aujourd’hui avec « No Mercy In This Land » (Anti-, Pias), disque de dix titres, œuvre écrite à quatre mains, alliant blues et amitié, humour et tragédie. Simplement magnifique.
Lorsque nous avions rencontré Charlie Musselwhite dans le cadre du festival de Lucerne il y a quelques années, cet homme discret recevait toute l’attention de la presse suite à l’album « Get Up ! », premier opus enregistré avec Ben Harper. Carrière personnelle exceptionnelle émaillée de nombreux albums sous son nom, multiples collaborations, nominé à maintes reprises pour les Grammy Awards, c’est néanmoins avec cet album en commun que Charlie Musselwhite, aussi talentueux que modeste, allait enfin remporter un Grammy. Jean-Pierre Urbain avait choisi – pour le sortir un peu du rythme effréné des interviews qui se succédaient toutes les trente minutes et qui portaient essentiellement sur cette collaboration – de revenir sur sa jeunesse et ses débuts (interview ABS Magazine #51). Charlie Musselwhite en avait été visiblement très heureux, mais n’avait pu, en « off », s’empêcher de déjà nous parler de son amitié pour Ben Harper, de la maturité de ce dernier et de leur connivence malgré la différence d’âge qui les séparait (25 ans), et du profond respect qu’il avait pour son cadet tant en tant qu’homme qu’en tant que musicien. On avait clairement senti dans le disque comme dans l’émotion de Charlie en nous parlant de son complice que cette histoire dépassait de loin le cadre du seul enregistrement et appellerait certainement une suite.
De blues évidemment il s’agit encore ici avec ce nouvel album, « No Mercy In This Land ». John Lee Hooker, qui permit il y a une vingtaine d’années la rencontre entre Ben et Charlie, serait certainement tout aussi admiratif de ce nouvel enregistrement que nous le sommes nous-mêmes. Le jeu de guitare subtile de Ben Harper allié à celui de Charlie à l’harmonica donne ici tout son sens aux mots « transmission » et « partage ». Ben dit de Charlie : « Il est la meilleure alchimie entre le passé, le présent et le futur de cette musique, il transforme les notes en émotions qui nous les rendent à la fois familières et neuves, comme si on les entendait pour la première fois. » Et d’ajouter : « Non content d’être une légende vivante de l’harmonica, il continue encore à progresser ! » Charlie lui rend bien cet hommage lorsqu’il explique : « Sur scène ou en studio, travailler avec Ben Harper me procure la même excitation que lorsque je jouais avec les légendes du Chicago blues autrefois. » Et d’ajouter : « Je pense que Ben a réinventé le blues de la meilleure manière qui soit, en jouant dans un style moderne tout en préservant l’émotion et les sentiments. »
Plus encore qu’une collaboration, c’est une osmose. La vie de chacun semble imprégner celle de l’autre. Ben a par exemple composé cette magnifique chanson qui donne le titre à l’album, No Mercy In This Land, en référence au terrible assassinat de la mère de Charlie il y a quelques années par des braqueurs et à la mort de son père.
Father left us down here all alone
My poor mother is under a stone
With an aching heart and trembling hands
Is there no mercy in this land
Ce morceau, comme d’autres dans le disque, marque tant par le texte que par la façon de l’interpréter. À tel point d’ailleurs que rares sont les collaborations de ce type dans lesquelles le sentiment qui émane de chaque titre dépasse de loin la complicité pour se transformer en une sorte de symbiose musicale et spirituelle. Anti Records nous révèle ici les deux hommes dans ce qu’ils sont vraiment, sans artifice, avec cette amitié et cette complicité qui transpirent tout au long de l’album, plus encore même que dans le précédent opus. Ils sont récemment venus en France, leurs passages sur scène comme en émission de télé n’ont fait que confirmer cette impression.
Lorsque Charlie Musselwhite dit de cet album : « La musique attendait de pouvoir jaillir ! », Ben Harper rétorque : « Ce qui a changé depuis notre premier album, c’est qu’on est allé tellement plus loin dans notre relation ; notre amitié au fil du temps s’est consolidée d’une manière que je n’aurais pu imaginer. C’est comme une famille. On sentait qu’il restait beaucoup trop de choses encore à exprimer entre nous deux. (…) Le blues est un miroir, non seulement de soi-même, mais aussi de la culture et de l’époque où on vit. (…) Le blues que j’écris est né pour être joué avec Charlie. » Et d’ajouter : « Le groupe tout entier a ce rapport évident quand on écoute la musique. Ce dont il s’agit, de notre relation et de la manière dont elle a grandi dans notre amitié, je pense qu’on peut l’entendre simplement en appuyant sur “play”. »
Par Marcel Bénédit
Remerciements à Charlie Musselwhite, Chantal Neeten, Yazid Manou, Michel Rolland