Chroniques #61

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Snoop Dogg

Bible of Love

RCA Inspiration 19075835082 / Sony Music

Le rappeur Snoop Dogg surprend tout le monde lorsqu’il annonce il y a un an que son seizième album sera 100% Gospel. Rien d’étonnant pourtant, car l’ancien trublion de Long Beach rêvait de ce projet depuis longtemps. Dans l’émission « Beats 1 », il déclarait alors : « Je travaille sur un album gospel, c’est quelque chose qui m’a toujours tenu à cœur. Je n’ai jamais eu le temps de m’y mettre parce que j’étais trop occupé par mon business de gangsta ou par d’autres activités. Mais j’ai l’impression que ça fait trop longtemps que j’ai ça dans le cœur… » Le projet abouti est un double CD de 32 titres répartis en deux chapitres. On passe de morceaux assez dépouillés musicalement à des plages sophistiquées, où G-funk et Gospel cohabitent merveilleusement, comme dans le sublime You avec Tye Tribett dans lequel on a l’impression d’être assis sur les bancs d’une église au sein d’une messe gospel, atmosphère jubilatoire avec Snoop Dogg en prêcheur habité soutenu par le gros son des lignes de basse métronomiques. Un mélange inhabituel mais totalement réussi. Idem sur le morceau qui clos le Chapitre 2, Words Are Few, dans lequel Snoop est soutenu par des chœurs magnifiés par la voix de B. Slade, et qui a donné lieu à un clip filmé dans une église et paru en avant-première en février dernier. On retrouve autour de Snoop Dogg un nombre incroyable d’invités de marque parmi lesquels le cousin et compagnon de route de Snoop, Daz Dillinger, mais aussi des chanteurs de gospel (Marvin Sapp, les Clark Sisters, The Zion Messengers), de R&B (Faith Evans, Mali Music), Charlie Wilson, Uncle Chucc, Chris Bolton, ou encore les formidables Patti Label et Erykah Badu. Du jamais entendu, c’est évident, un disque très personnel. Le « bad boy » se rapproche ainsi un peu plus du Paradis… – Marcel Bénédit


Lurrie Bell & The Bell Dynasty

Tribute To Carey Bell with special guests Charlie Musselwhite and Billy Branch

Delmark Records DE855 / Socadisc – www.delmark.com

Carey Bell, l’un des meilleurs harmonicistes de Chicago, nous quittait en 2007. Il avait 70 ans. Ses fils, tous élevés au blues dès le biberon, se sont rassemblés afin de lui rendre un bel hommage. Le plus célèbre des fils de Carey Bell est le guitariste et chanteur Lurrie Bell. Comme son père, il est devenu une légende de Chicago. Il est ici parfait au chant et à la guitare. Gone To Main Street (Muddy Waters) qui ouvre le CD, donne le « la » du disque. Steve Bell a choisi l’harmonica ; il a très bien assimilé le jeu de son père tout en y ajoutant une note personnelle. Carey Bell jouait aussi de la basse. C’est l’instrument qu’a choisi Tyson Bell, dont le jeu est discret et efficace. Enfin, James Bell a préféré s’installer derrière les fûts d’une batterie, dont il joue fort bien ; en plus, il se révèle être un très bon chanteur, en particulier sur sa composition personnelle Keep Your Eyes On The Prize. Participent aussi à cette fête sonore : Charlie Musselwhite (qui interprète à sa manière I Got To Go, un titre de Little Walter, qui était un pilier du répertoire de Carey Bell, et le pianiste Sumito “Ariyo” Aryioshi – très Pinetop Perkins – pour trois titres. Billy Branch a offert une chanson originale, Carey Bell Was A Friend Of Mine, sur laquelle nous avons un beau duo (ou duel) d’harmonicas entre lui et Steve Bell. Enfin, le guitariste Eddie Taylor Jr. – lui aussi fils d’un géant du blues (à quand un « Tribute to Eddie Taylor » par ses enfants ?), s’entend à merveille avec Lurrie Bell ; il est quasiment impossible de différencier les deux guitaristes qui tissent une véritable et irrésistible toile de fond. Carey Bell était un interprète. Il composait assez peu. Ce qui explique le répertoire fait de titres fétiches de l’artiste, qui sont des reprises de Junior Wells, Walter Horton, Little Walter et Muddy Waters et de seulement deux de ses compositions (So Hard To Leave You Alone et Heartaches and Pain). Tout amateur de Chicago blues se doit d’écouter cette superbe production intemporelle. – Gilbert Guyonnet


Buddy Guy

The Blues Is Alive And Well

Silvertone / RCA 1 9075-81247

À 81 ans, Buddy Guy a toujours la pêche. Son timbre de voix n’a pas changé, il est toujours clair et bien articulé. Quant à son jeu de guitare, il est toujours brillant et tranchant dans le style Chicago westside avec arpèges à gogo et maestria. Disons-le tout net, c’est un excellent album, le meilleur sans doute que Guy ait gravé ces dernières années. Ses talents sont bien mis en valeur par Tom Hambridge, le producteur de la séance qui est une pointure dans ce domaine et collabore avec Buddy Guy depuis des années ; en outre il est le batteur attitré du maestro et il a composé, co-composé ou arrangé, 13 des 15 faces ! N’oublions pas les partenaires habituels de Guy comme Kevin McKendree aux claviers, Rob McNelley à la guitare rythmique et Willie Meeks à la basse. La carrière de Buddy Guy s’est étendue sur une cinquantaine d’années, avec des bas, au début, et des hauts depuis quelques années. Il s’en souvient d’entrée de jeu dans A Few Good Years, une ballade nostalgique douce-amère. Il y a beaucoup d’autres faces autobiographiques comme When My Day Comes ou End Of The Line où il évoque sa fin de vie et The Blues Is Alive And Well avec, en guests, les Muscle Shoals Horns (on les retrouve dans Old Fashioned et dans End Of The Line). Dans la même catégorie, on peut mettre Bad Day (avec en guest Emil Justian, harmonica). Tout est de qualité, même le funky Whisky For Sale (avec un trio de choristes), mais quelques faces sortent du lot comme l’excellente version de Nine Below Zero (sans harmonica !), le bien enlevé Guilty As Changed, ou Cognac, une « battle of guitares » entre Buddy Guy, Keith Richards et Jeff Beck, ainsi que les duos Buddy Guy et James Bay (vo, gt) dans Blue No More ou Guy avec Mick Jagger à l’harmonica dans You Did The Crime, avec ce texte mémorable du gars qui se plaint, son partenaire a commis le crime mais c’est lui qui est en taule ! (I’m the one doin’ the time). L’album se conclut avec un court (0’57) Milking Muther For Ya, variante des Dirty Dozens. Si on voulait chercher la petite bête, on pourrait regretter qu’une majorité de morceaux soient en tempo lent ou medium (sauf Guilty As Charged et Ooh Daddy), mais franchement cela n’enlève rien au plaisir d’écoute qui est maximum tout du long. Je persiste et signe, on tient là un candidat très sérieux aux Awards en tous genres en 2018. A killer, don’t miss it… – Robert Sacré


Billy Price

Reckoning

Vizztone Label Group VT-BP03

www.vizztone.com

Peu de temps après la publication de son disque public (« Alive and Strange » – 2017), le chanteur Billy Price propose un nouvel effort remarquable, fruit d’une séance californienne dirigée par le guitariste cultivé Kid Andersen. Fort de son réseau et de sa réputation, ce dernier a agrégé pour l’occasion plusieurs musiciens particulierment sérieux, dont Jim Pugh, Derrick Martin (très apprécié à Porretta), le bassiste Jerry Jemmott, mais aussi Rusty Zinn (en qualité de choriste !). Quant à l’orchestration, pas d’économie de moyens ni de synthétiseurs de substitution, pupitre de cuivres et même cordes ont été prévus. Le répertoire est bien équilibré avec notamment des reprises de goût non galvaudées : Otis Redding (I love you more than words can say), Swamp Dogg, Bill Coday (un Get your lie straight parfaitement executé) et, pour les contemporains, Johnny Rawls. Parmi les compositions originales de Price, on notera particulierement l’excellent One and one, qui me semble être un clin d’œil subtil non avoué au son Hi et Al Green, sans sombrer comme tant d’autres dans le revivalisme. Une belle gageure. Malgré certaines limites vocales, Price apporte un soin à sa diction et demeure un artiste Soul aussi intéressant qu’attachant qui séduit par son vécu et son côté authentique. – Nicolas B.


Jon Cleary

Dyna-Mite

Fhq Records FHQ008

En ligne directe avec ce à quoi Jon Cleary nous a habitués, voici un nouvel album de NOLA fonk qui ne dépareille pas en terme de qualité et d’inventivité au sein de sa déjà riche discographie. Il faut dire que, pour ce disque produit avec John Porter, le pianiste britannique 100% néo-orléanais dans l’âme, a encore une fois su s’entourer. On retrouve notamment Leo Nocentelli à la guitare et Jamison Ross aux drums. Dès le morceau-titre d’ouverture, Dyna-Mite, on est plongé dans le second line et l’ambiance si particulière de La Nouvelle-Orléans. Alternace de morceaux très rythmés et funky avec de magnifiques titres en tempo lent, cet album renferme dix faces dont l’écoute passe à la vitesse de la lumière. Un enchantement du début à la fin sans aucun moment faible, avec une base rythmique hors catégorie, un jeu de piano tout en subtilité et une voix douce amer qui nous transporte, sans avoir à prendre l’avion, dans cette Cité du Croissant si chère au cœur de Jon… et au nôtre aussi. – Marcel Bénédit


The Billy Jones Band

Funky Blues & Southern Soul, Volume 1

Auto-produit

Surprenant parcours que celui de Billy Jones (né Theophilus Jones) qui a commencé sa carrière en tant qu’artiste funk, faisant de larges emprunts à Prince (Purple Rain) ou encore aux Ohio Players (Fire). Il a opéré depuis quelques CDs un changement radical en adoptant un style musical un peu plus « conventionnel ». Il est un artiste complet, chanteur au délicat phrasé et guitariste au jeu agressif et incisif, au point que certains journalistes américains considèrent qu’il pourrait être la relève de Buddy Guy. Également auteur, il a écrit et composé la moitié des titres de son album. D’entrée de jeu, My Love Is Real s’affirme par sa puissance rythmique alors que le très rock Ready For Some Lovin’ donne au pianiste Corey Bray l’occasion de montrer son talent. Jamais à cours d’inspiration, Billy permet à sa guitare de se livrer à de pertinentes incursions dans Love Nobody Else jusqu’à devenir rugueuse, grasse et poisseuse dans un long solo à la manière d’Albert King sur Alligator Farm. Côté reprise, la surprise est d’entendre deux titres peu habitués à ce genre d’honneur : Man And A Half est interprété de manière très différente de celle de Wilson Pickett, tandis que Can’t Let You Go est une relecture qui ferait presque oublier les Staple Singers. Et pour être tout à fait complet, citons Chiseled In Stone qui respecte l’esprit du chanteur country Vern Gosdin. – Jean-Claude Morlot


Big Harp George

Uptown Cool Blues

Mountain Records CD 03

Original et bien ficelé ! Du jazz très r’n’b par un petit big band emmené par un chanteur harmoniciste. Big George Bisharat est un spécialiste de l’harmonica chromatique, instrument qu’il exploite à merveille dans ce cadre de big band, ce qui est plutot rare. Les douze compositions de Big George sont de grande qualité et les rythmes sont variés. On passe un très bon moment, festif et jouissif en écoutant ce CD qui peut en réconcilier beaucoup avec ce type de jazz. – Marin Poumérol


Keeshea Pratt Band

Believe

Frank Roszak Radio Promotions

Cette chanteuse de Houston, pétrie de soul, blues, country et gospel, réussit dans cet album à faire siennes toutes ces influences, pour les restituer avec sa propre griffe. Si elle privilégie les titres introspectifs et profonds (Make it good, It’s too late, Monkey see, monkey do), Keeshea Pratt sait aussi imposer sa personnalité explosive à Home to Mississippi, Have a good time y’all et d’autres titres « enlevés » dus au bassiste Shawn Allen. Comme quoi, avec un groupe excellent et compact, une section de cuivres à l’unisson, il est toujours possible aujourd’hui de produire un album de blues sans artifice et pertinent. L’album se referme sur So bad blues, un long développement capté en public et qui synthétise le feeling et l’énergie qu’elle parvient à insuffler à ses prestations. Une belle entrée dans le monde du blues et qui donne toutes les raisons d’y croire. – Dominique Lagarde


The Lucky Losers

w/Cathy Lemons & Phil Berkowitz

Blind Spot

Dirty Cat Records DCR 1507

Plusieurs arguments donnent envie d’écouter ce disque : le nom du groupe, un oxymore bien choisi (les perdants chanceux !), la production de Kid Andersen au Greaseland Studio de San Jose, Californie, et la présence de la guitariste Laura Chavez, de la saxophoniste Nancy Wright et du batteur D’mar. Si, en plus, j’ajoute que Danny Caron – qui fut le formidable guitariste de Charles Brown – a participé à la composition des chansons, voilà autant de gages qui peuvent éveiller la curiosité. The Lucky Losers est un orchestre dirigé par un duo : la chanteuse Cathy Lemons et le chanteur-harmoniciste Phil Berkowitz. Cathy Lemons a commencé à chanter dans les bars de Dallas, Texas. Arrivée à San Francisco à la fin des années 80, elle tape dans l’œil de John Lee Hooker qui l’engage pour débuter les concerts de son Coast To Coast Blues Band. Elle sort d’une d’une sombre période d’intoxication aux drogues, heureusement guérie. Elle raconte ses difficultés passées dans l’émouvant blues autobiographique Take A Long Road avec, en prime, un solo de Laura Chavez. Elle aborde le terrible problème des armes à feu aux États-Unis : Last ride fait référence à la tuerie de Las Vegas, quand un type tira d’une chambre d’hôtel sur les spectateurs d’un concert, l’année dernière. Phil Berkowitz est un excellent harmoniciste ; il possède une agréable voix de ténor et un vrai talent de compositeur. It’s Never too Early flirte avec La Nouvelle-Orléans grâce au piano de Chris Burns. Make A Right Turn lorgne vers l’Americana. Les musiciens des Lucky Losers, Ian Lamson (guitare), Endre Tarczy (basse), Chris Burns (piano), Robie Bean (batterie) réalisent un excellent travail: écouter le groove impeccable de Love Is Blind. Voilà un disque dont les chansons intelligentes et sensibles vous toucheront. – Gilbert Guyonnet


Paul MacMannus and The Old Timers

Bee Boo (Gie)

Autoproduit

Début 2017, Paul MacMannus sortait son 4ème CD, « Boogie & Soul », avec ses habituels six musiciens. Trois mois plus tard, il nous proposait « Roo Doo Doo », son premier album en trio, avec deux complices baptisés The Old Timers. Paul était toujours à la basse, au chant et à la composition des morceaux, Luc Lavenne à la guitare et Hervé Letrillard à la batterie. C’est toujours avec ses deux Old Timers que Paul a enregistré, début 2018, « Bee Boo (Gie) » qui est donc sa sixième production d’ Original Boogie’n Blues ! Paul reste toujours fidèle à sa passion pour le bogie qui représente ici la majorité des compositions, mais le blues reste présent avec I Know Someday qui se rapproche du Chicago blues ou The Road To Boogie avec un déluge de guitare slide. Paul est aussi un authentique compositeur et ses textes posent parfois des questions importantes comme What Did God Do This Morning qui évoque la faim dans le monde. En France, Paul MacMannus est certainement l’un des meilleurs représentants des grands courants de la musique afro-américaine. Sa discographie offre une musique de qualité, jouée avec amour et conviction. – Robert Moutet


Willie Jackson

Chosen By The Blues

TYB / Frank Roszak Radio Promotions

www.williejacksonblues.com

Je ne connaissais pas ce chanteur et musicien afro-américain né à Savannah, Georgie, avant de recevoir ce CD. Willie est le plus jeune d’une famille de six enfants. Les parents, le Reverend Jackson et son épouse Annie Pearl, étaient très croyants. C’est donc tout naturellement, comme beaucoup d’enfants de sa communauté, qu’il va à l’église tout gamin et chante le gospel. Puis il se met aux drums tout en continuant à chanter à l’office. Mais il aime le blues et forme le Tybee Blues Band, ce qui l’éloigne un peu des voies du Seigneur… ; il est aussi un songwriter prolifique qui a toujours utilisé son temps libre pour écrire, tout en assurant par son travail le quotidien de sa famille. Un grave accident en 2009 l’a obligé à cesser son activité professionnelle et il s’est tourné vers la musique de manière plus concrète, apprenant à jouer de la basse et continuant à écrire. Ce premier CD permet de découvrir un artiste original (il est auteur et compositeur des six titres) et surtout une voix. Et quelle voix ! Grave, profonde, issue du Gospel, mais très à l’aise dans le registre blues. Accompagné d’Ace Anderson (harmonica), Dillon Young (guitare), Jon Willis (basse) et Paxton Eugene (drums), cet intéressant (mais trop court) CD nous donne envie d’en entendre plus. – Marcel Bénédit


Elvin Bishop’s Big Fun Trio

Something Smells Funky ‘Round Here

Alligator ALCD 4983

www.alligator.com

Elvin Bishop fait figure de vétéran. Il débuta en 1965 dans le Paul Butterfield Blues Band. Depuis, il a fait son chemin. Il est devenu l’un des meilleurs guitaristes blues-rock avant de se rapprocher d’une musique plus blues depuis la fin des années 80. Outre le fait qu’il continue à se produire sous son propre nom, il s’est associé en 2015 au pianiste et guitariste Bob Welsh et à Willy Jordan créant The Big Fun Trio. La particularité du chanteur Willy Jordan est d’être joueur de cajon, instrument inventé par les esclaves noirs du Pérou au XVIIIe siècle et utilisé dans le flamenco. Alligator publia le remarquable premier CD du trio en 2017. Les trois musiciens prirent beaucoup de plaisir à enregistrer et jouer sur scène. Ils décidèrent donc de poursuivre leur collaboration. Ainsi nous arrive ce « Something Smells Funky ‘Round Here », toujours pour Alligator. Le disque a été enregistré dans le propre studio d’Elvin Bishop baptisé Hog Heaven Studio, à Lagunitas, Californie. Bishop, qui vit à la campagne et cultive son jardin, élevait des porcs. Ses voisins, excédés par l’élevage porcin, obtinrent que Bishop arrêtât cette activité. Ainsi transforma-t-il sa porcherie en un studio d’enregistrement. D’où le nom ! À l’écoute du disque, on se rend compte que le trio s’est beaucoup amusé, pour le bonheur de nos oreilles aussi. Quand l’album s’achève, on s’exclame : « C’est déjà fini ! » et l’on presse immédiatement le bouton « Play » du lecteur de CD pour une nouvelle écoute. Le répertoire est un intelligent dosage. Le trio apporte deux nouvelles compositions, dont le titre éponyme du disque qui fait allusion à l’élection de Donald Trump (Ça pue par ici !) ; il reprend trois chansons d’Elvin Bishop (Looking good, Stomp, Right Now Is The Hour) et donne de superbes versions chantées par Willy Jordan de Higher and Higher popularisée par Jackie Wilson et I Can’t Stand The Rain créée par Ann Peebles. Bob Welsh nous régale d’un boogie-woogie délectable (Bob’s Boogie). L’album se clôt par le zydeco My Soul avec le soutien de l’accordéoniste Andre Theirry. Si j’ajoute (mais est-ce la peine ?) que la guitare d’Elvin Bishop est magnifique, vous savez ce qu’il vous reste à faire. – Gilbert Guyonnet


Artur Menezes

Keep Pushing

www.arturmenezes.com

Chanteur et guitariste brésilien de blues-rock établi à Los Angeles, Artur Menezes nous livre ici son quatrième album. Il chante d’une voix énergique et bien timbrée, qui accroche dès le titre d’ouverture Now’s the time appuyé par une section de cuivres. C’est aussi un guitariste capable de jouer tout en retenue comme sur le blues Anyday, Anytime. Je goûte moins les incursions dans un style plus heavy (Come with me) ou hendrixien (Til the day I die), mais cet album de dix chansons assez courtes et bien tournées a pas mal de qualités. Ne connaissant pas ses albums précédents, je ne peux en revanche vous dire si celui-ci me semble plus ou moins réussi que tel ou tel autre, mais les dix courtes compos retenues ici sont fort bien tournées. – Dominique Lagarde


Big Daddy Wilson

Songs From The Road

RUF 1247 (1 CD et 1 DVD)

www.rufrecords.de

Wilson Blount a.k.a. Big Daddy Wilson est né Edenton, une petite ville de Caroline du Nord, il y a une bonne cinquantaine d’années. Engagé dans l’armée US, il a longtemps vécu en Allemagne avant de s’engager dans une carrière musicale et il tourne abondamment en Europe. Les faces reprises ici proviennent d’un concert donné en Suisse à l‘automne dernier avec une petite formation italienne. Doté d’une voix bien posée et expressive, son jeu de scène (voir le DVD) est minimaliste, mais son charisme est indéniable dans un répertoire où dominent les morceaux en médium et en slow (comme le très prenant Ain’t No Slave). Texas Boogie est, malgré son titre, un blues en medium comme 7 Years. Sous l’influence de son ami Eric Bibb, d’autres faces ont une coloration country – pour ne pas dire folk – comme Anna Mae (Wilson y joue du dobro et c’est un hommage à son épouse) ou Cross Creek Road, voire reggae (Drop Down Here et Neckbone Stew) et il y a même un Miss Dorothy Mae (hommage à la mère de Wilson) sur un rythme à la Bo Diddley. Séance « live » oblige, quatre faces sur douze dépassent les 8 minutes et c’est forcément plus agréable sur le DVD qui démarre d’ailleurs sur le gospel John The Revelator (7’40), absent sur le CD et se termine avec un Country Boy Medley de près de 20 minutes, plutôt soul et où les accompagnateurs chantent à tour de rôle. À noter encore que Wilson joue du diddley-bow sur un blues, Baby’s Coming Home Again (DVD seulement), et que les quatre accompagnateurs font un excellent travail, en particulier le guitariste Cesare Nolli et le claviériste Enzo Messina. – Robert Sacré


Teresa James and The Rhythm Tramps

Here In Babylon

2018 Jesi-Lu Records

Teresa James est originaire de Houston au Texas mais vit à Los Angeles depuis les années 90. Auteure-compositrice, chanteuse et pianiste, elle a été initiée à la musique dès son plus jeune âge par son père et son grand père qui jouaient de la guitare. Mais comme elle n’arrivait pas à maitriser cet instrument, elle a choisi le piano et a pris sa première leçon dès l’ âge de 5 ans. En déjà plus de vingt ans de carrière, elle a enregistré avec Tommy Castro, Eric Burton, Spencer Davis, Neil Diamond, Walter Trout et bien d’autres. « Here In Babylon » est son dixième album et le premier qu’elle enregistre en studio avec son groupe, les Rhythm Tramps. Dans ce groupe, il y a bien sûr son partenaire de longue date, le bassiste Terry Wilson qui est aussi le compositeur de la majorité des 12 titres de l’album, Billy Watts est à la guitare, Mike Finnegan à l’orgue B3 et, pour la première fois dans ce groupe, le talentueux batteur Jay Bellerose qui est bien connu pour son travail et son style très imaginatif à la batterie. Le groupe est complété par Darrell Leonard à la trompette et Joe Sublett au saxo. Et puis il y a la voix de Teresa qui est naturellement forte et expressive, ce qui lui permet même de s’aventurer dans le Gospel comme dans 21st Century Man. Cet album est une suite logique à sa longue discographie de qualité. Et il est vraiment difficilement compréhensible qu’elle soit encore autant ignorée du public, surtout européen. – Robert Moutet


Bob Corritore and Friends

Don’t Let The Devil Ride !

Swmaf Records SWMAF 12 / Vizztone Label Group

www.bobcorritore.com

Comment ne pas apprécier Bob Corritore ? Musicien, dee-jay, patron de club et producteur, il vit le blues et le sert merveilleusement depuis plusieurs décennies en étant toujours ouvert aux autres, à l’écoute. On ne compte plus les sessions qui ont permis à des musiciens parfois un peu en perte de vitesse de se relancer, à d’autres d’être simplement connus grâce à son émission, ses enregistrements ou encore la scène qu’il a partagée avec tant et tant. Harmoniciste de talent, c’est aussi un garçon d’une gentillesse inouïe. Alors, pas étonnant que pour ce nouvel opus blues, tant d’amis soient là. Les parties vocales des douze titres sont tour à tour assurées par Alabama Mike (exceptionnel sur Laudromat Blues et sur l’interprétation du morceau-titre joué sur un tempo très lent), Sugaray Rayford (remarquable sur The Glide), Oscar Wilson, Willie Buck, Bill Perry, George Bowman ou encore Tail Dragger. Côté musiciens, on retrouve Big John Atkinson, Danny Michel, Junior Watson, Mojo Mark, Jimi “Primetime” Smith, Johnny Rapp, Chris James, Rockin’ Johnny, Illinois Slim (guitares), le complice et ami Henry Gray, Bob Welch, Fred Kaplan (piano), Troy Sandow, Kedar Roy, Patrick Rynn, Bob Stroger (basse), Brian Fahey, Rene Beavers, Malachi Johnson (drums) et, bien sûr, Bob omniprésent à l’harmonica. En 2018, il y a « jouer le blues et jouer le blues… » . Là, chaque titre peut mettre tout le monde d’accord tant dans les prestations des musiciens, la qualité des voix, les arrangements, le son, sont remarquables d’intensité et de justesse ; ce son que Bob Corritore sait si bien rendre lorsqu’il est aux manettes. Un grand disque de blues. – Marcel Bénédit

 


Kat Riggins

In the Boy’s Club

Bluzpik Media Group

Katriva Tabitha Riggins nous vient de Floride Dans sa famille, on écoutait tous les types de musique, mais ses préférences vont à Koko Taylor, Bessie Smith, Nina Simone, Tina Turner, Ray Charles et Denise LaSalle. Elle réside quelque temps à La Nouvelle-Orléans avant de tourner au sein d’un orchestre au répertoire « top 40 ». Elle décide de s’orienter vers le blues dans lequel elle introduit des éléments de gospel, de rock sudiste, soul et même de hip-hop. Son premier CD, en 2016, s’intitulait « Blues Revival ». Les qualités de cette dame sont telles qu’elle fut invitée à venir chanter en Europe avec Marquise Knox dans le cadre des tournées annuelles New Blues Generation, en novembre 2017. La puissante voix de contralto de Kat Riggins est un régal. La chanteuse interprète avec conviction douze compositions personnelles. Que ce soient le blues traditionnel (Troubles Away, Cheat or Lose, Don’t Throw Me Away), le blues-rock (Kitty Won’t Scratch, accompagnée par le guitariste Albert Castiglia, Tightrope, Fistful of Water), le soul-blues (Hear Me, Second To None), tout est marqué du sceau de l’originalité. Les arrangements, dus à Kat Riggins elle-même et à ses accompagnateurs (Darrell Raines, guitare et claviers ; George Caldwell, basse ; Johnnie Hicks, batterie) sont bien ficelés. Kat Riggins est petite par la taille, mais imposante par sa voix puissante qui saisit l’auditeur et ne le lâche plus. Une belle révélation. – Gilbert Guyonnet


Deb Ryder

Enjoy The Ride

Vizztone Label Group VT-DR04

www.vizztone.com

Deb Ryder a grandi dans le célèbre club de son beau père, le Topanga Corral, à Los Angeles. Et c’est au contact de vedettes comme Neil Young ou Etta James qu’elle a commencé sa carrière de chanteuse. Elle a débuté sur scène avec son mari, le bassiste Ric Ryder. En 2013, elle a enregistré son premier album solo, qui sera suivi de deux autres. Voici donc « Enjoy The Ride » qu’elle considère comme l’album résultat des succès qu’elle a accumulés durant ces cinq dernières années. Elle a fait appel à Chris Cain, Debbie Davies et Coco Montoya pour compléter son groupe où se succèdent une douzaine de musiciens. L’album débute par le funky A Storm’s Coming, où l’on retrouve dans sa voix des accents de Koko Taylor et Katie Webster. Les douze morceaux qui suivent, tous écrits par Deb, révèlent les influences de B.B. King ou de Bo Diddley comme dans What You Want From Me. Dans Sweet Sweet Love, Deb est vocalement assistée de Debbie Davies. Sur Red Line, on retrouve l’excellent harmoniciste Pieter van/der Pluijm que l’on a apprécié tout au long de l’album. Mais ce qui ressort de ce disque, c’est surtout la capacité vocale de Deb Ryder. Il est fort probable que ce disque soit nominé cette année pour les BMA. – Robert Moutet


Dany Franchi

Problem Child

Station House Records 

La belle ville de Gênes (Italie) a donné naissance à de nombreux peintres et musiciens, dont le légendaire violoniste Paganini, « génial et macabre, qu’on disait possédé du diable » (Maupassant). Cent cinquante ans plus tard, le diable s’est emparé de l’âme d’un jeune guitariste et chanteur gênois : Dany Franchi. Mais cette fois, il en a fait un excellent interprète de blues ! Le talent de cet artiste n’a pas échappé aux vétérans Ansom Funderburgh et Andy Talamantez. Ces derniers ont produit son troisième CD ; eux-mêmes interviennent sur quelques titres. Pour cet album, Ansom Funderburgh a rassemblé – au célèbre Wire Recording Studio d’Austin – Jim Pugh (piano et orgue), Nate Rowe (basse), Wes Starr (drums) et les Texas Horns (Kaz Kazanoff, John Mills et Jimmie Shortel). Dany Franchi est un chanteur « soulful » avec une belle voix légèrement voilée qu’il ne force pas. Son jeu de guitare est authentique, old school, jamais bavard. Le son de son instrument ne laisse aucune place au rock. Ces qualités sont au service d’un répertoire d’une haute tenue : dix solides compositions originales bien construites de Dany Franchi et trois reprises bien choisies et remarquablement interprétées (Big Town Playboy d’Eddie Taylor, Sen Sa Shun de Freddie King et Everything Gonna Be Alright de Willie Dixon). Ce jeune italien, musicien de blues, est une belle surprise. – Gilbert Guyonnet


Little Boys Blue

Hard Blue Space

Vizztone VT-LBB-18

www.vizztone.com

Le groupe Little Boys Blue a été fondé il y a une vingtaine d’années par le chanteur harmoniciste JD Taylor et le guitariste Steve Patterson. Basés à Jackson dans le Tennessee, ils ont fait des tournées avec les artistes Nashville Country et Sun Records Rockabilly et, en mélangeant toutes ces influences Rockabilly, Rock et Country, ils ont créé le son Little Boys Blue. Taylor et Patterson son devenus amis avec la légende du rockabilly Carl Perkins. Taylor a accompagné Carl sur des concerts et a continué à jouer pour les Little Boys Blue avec la production de quatre albums dont le dernier, « Tennissippi », a été publié par Vizztone en 2016. Il revient alors à Jackson et à ses premières amours : le blues. Il rencontre alors le guitariste John Holiday alias Kid Memphis qui jouait le rôle de Carl Perkins dans le film de 2005, « Walk The Line ». Et ils vont raconter cette histoire dans ce nouvel album des Little Boys Blue, « Hard Blue Space ». Le groupe se compose du chanteur harmonisiste JD Taylor, des guitaristes John Holiday et Alex Taylor, du bassiste Dave Mallard et du batteur Mark Brooks. Et il y a des invités comme Andrew White, Wes Henley et Brad Webb aux guitares slide et Dave Thomas à l’orgue B3 et au piano. Le résultat est un album de dix titres originaux correspondent exactement à ce que l’on peut attendre aujourd’hui du blues moderne du Sud des États-Unis. Les inconditionnels de blues traditionnel pourront y trouver beaucoup de plaisir. – Robert Moutet


John Clifton

Nightlife

Rip Cat Records Ric 1803

www.ripcatrecords.com

Attaquer un album Blues par le si rythmé Strange Land de Charlie Musselwhite en dit long sur les qualités de musiciens du groupe qui entoure John Clifton, à commencer par la performance du guitariste Scott Abeyta (remarquable de bout en bout) tout comme le pianiste Bartek Szopinski que sur celle du leader à l’harmonica. Le titre d’ouverture laisse présager d’un bel album blues dans lequel Clifton fait montre de beaucoup de sensibilité, chantant bien – sans jamais forcer – sur des titres pourtant pas faciles du registre soul ou soul blues (Sad About It de Moses ou Last Clean Shirt de Lieber & Stroller). Un album plein de belles trouvailles, à l’image des titres Swamp Dump et Wild Ride, deux des cinq morceaux écrits par Clifton parmi les douze que compte l’album. Très plaisant. – Marcel Bénédit


Various Artists

Tribute

Newly recorded blues celebration of Delmark’s 65th Anniversary

Delmark DE 856 – www.delmark.com

Nous sommes nombreux à ne pas aimer les fêtes à date fixe, en particulier les anniversaires. Les maisons de disques ne font pas grand-chose pour rendre attrayants ces évènements, avec la publication de disques, catalogues de leurs productions. Ces compilations d’anniversaire sont, en général, une suite de déception, provoquant l’insatisfaction des fidèles auditeurs des disques publiés par les labels. Delmark n’était pas exempt de ce défaut lors des cérémonies précédentes. Pour le 65ème anniversaire, la politique a changé. Il a été demandé aux artistes contemporains qui collaborent encore avec le légendaire label, avec l’ajout de Lil’ Ed « prêté » par Alligator, de rendre hommage aux regrettés bluesmen qui ont fait Delmark. La contrainte en création artistique a souvent du bon (penser à l’Oulipo en littérature). Le résultat est formidable. Nous avons là un disque indispensable. Le CD débute par un bel hommage de l’harmoniciste Oscar Coleman à Junior Wells, dont l’album « Hoodoo Man Blues » (1965) est la meilleure vente du label Delmark, dont on dit qu’elle est « la maison que Junior construisit ». La dynastie Bell enchaîne avec une excellente interprétation d’une chanson du pater familias. La guitare de Billy Flynn domine l’hommage de Linsey Alexander à Jimmy Dawkins, dans All For Business. Demetria Taylor se fond bien dans la peau de Big Time Sarah. Le mississippien Jimmy Burns est impeccable dans sa reprise de Big Joe Williams (She Left A Mule To Ride), musicien si important pour Delmark. Qui, mieux que Lil’ Ed pouvait rendre hommage à son oncle J.B. Hutto ? Un toujours excellent Jimmy Johnson, bientôt 90 ans, associé à Dave Specter, a choisi Out Of Bad Luck de Magic Sam dont Mac Thompson – frère de Jimmy Johnson – était le bassiste. L’un des sommets de l’album est la dynamique version de Broke And Hungry de Sleepy John Estes par Corey Dennison et Gerry Hundt. Mike Wheeler s’attaque à Otis Rush et So Many Roads ; la voix n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Tout comme Shirley Johnson qui est bien inférieure à la regrettée Bonnie Lee. Les bons pianistes n’étant pas légion, on est content d’écouter Ken Saydak s’attaquer à Roosevelt Sykes ; il réussit l’épreuve avec succès. Quel bonheur d’écoute que ce grand disque de blues, musique dont l’infinie répétition ne nous lassera jamais. Grâce à de telles productions, la pérennité du label Delmark, qui vient de changer de mains, est assurée. – Gilbert Guyonnet


Steve Krase Band

Just Waitin’

Connor Ray Music CRM18 – 002

Produit par Rock Romano (qui joue aussi de la basse dans le groupe, chante et compose), ce CD du chanteur et harmoniciste Steve Krase délivre un blues énergique, souvent roots, grâce à des compos originales bien inspirées et des covers plutôt réussis, au titre desquels I Don’t Mind de Willie Johnson et deux faces du Wolf (All in The Mood et My Baby Walked Off). Dix titres au total conduits sans moment faible par une bonne équipe de musiciens dont David Carter (guitare), Tamara Williams (drums), James Gilmer (percussions), Brian Jack (accordéon), Mike V (rubboard) et Kenan Ozdemir (lead guitar). Lorsqu’on observe la variété des instruments, on comprend l’originalité de la mise en forme dans un disque où on passe d’Howlin’ Wolf et Big Walter Price à du zydeco ! Un remède contre l’ennui. – Marcel Bénédit


 

Arthur “Big Boy” Crudup

If I Get Lucky

JSP Records JSP77204

www.jsprecords.com

Le pur bluesman Arthur Crudup fut surnommé le “Père du Rock’n Roll” parce qu’un jour de 1954, Elvis Presley grava That’s All Right Mama, un morceau de Crudup, sur son premier disque Sun. Plus tard, Presley reprit So Glad You’re Mine et My Baby Left Me. Les ventes de ces disques furent faramineuses. Malheureusement, Crudup ne vit jamais la couleur du moindre billet ! Il mourut en 1974 dans la misère, avant d’avoir pu profiter des sommes importantes qui tombèrent finalement dans l’escarcelle de ses héritiers. Peut-être avait-il la prémonition de sa malchance, quand il grava If I Get Lucky, une ébauche de That’s All Right, en septembre 1941. Arthur Crudup naît en août 1905 à Forest, Mississippi. Il sillonne le Sud profond, survivant grâce à de petits boulots pénibles : ouvrier agricole, salarié dans une fonderie, employé de chemin de fer. En 1937, il trouve une vieille guitare et apprend à en jouer. Il a 32 ans. Un apprentissage tardif ! En 1940, il décide de monter tenter sa chance à Chicago. Très vite, il est condamné à vivre dans un abri en carton au pied d’une voie ferrée. Un jour, alors qu’il chante son blues, le puissant producteur Lester Melrose et Doctor Clayton passant par là, l’entendent, l’écoutent et l’invitent à jouer. Il se retrouve dans le bastion du Chicago blues des années 1940 : la maison de Tampa Red. Devant Memphis Slim, Washboard Sam, Lil Green, Big Bill Broonzy, Memphis Minnie, Lonnie Johnson, St Louis Jimmy, il interprète son blues assez fruste, aux accords de guitare mal assurés, et séduit cette difficile assemblée. Ainsi débute la carrière d’Arthur “Big Boy” Crudup. Nous avons ici sur trois CDs tout ce que grava Arthur Crudup pour Bluebird entre 1941 et 1951. Sa puissante voix déclamatoire et son jeu de guitare sans sophistication mais efficace alliés à une section rythmique au swing implacable font mouche auprès du public afro-américain. Ses complices sont un contre- bassiste (Ransom Knowling) et un batteur (Melvin Dapper, Judge Riley ou Charles Sanders). Rock Me Mama, I’m In The Mood, So Glad You’re Mine et I’m Gonna Dig Myself A Hole se classèrent très bien dans le Billboard R&B Charts. Les deux titres Checker – sous le pseudonyme Percy Lee Crudup – sont absents. Sonny Boy Williamson (Rice Miller), superbe à l’harmonica, et une magnifique partie de guitare due à Joe Willie Wilkins font que Gonna Find My Baby/ Make A Little Love (Trumpet) ici présents – sous le surnom d’Elmer James – sont indispensables. Crudup dissimulait son identité parce que son contrat avec RCA n’était pas terminé. JSP nous délivre les huit titres RCA Groove de 1954, en compagnie d’un pianiste et d’un saxophoniste. Crudup réussit son interprétation du She’s Got No Hair de Professor Longhair. Après un hiatus de huit ans, Bobby Robinson le fait enregistrer à New York en 1962 : une paire de 45 tours et un album Fire voient le jour. Ils n’intéresseront personne. C’est ainsi que s’achève le quatrième et dernier CD du coffret, avec une nouvelle disparition du bluesman. Celui-ci ne refera surface qu’à la fin des années 1960 grâce à Delmark. Il enregistra et donna quelques concerts en Angleterre en 1970. Quand il extirpa sa veste de scène de sa misérable valise, il découvrit que le dos avait été rongé par les rats ! Si vous n’avez pas déjà toute cette musique, l’achat du coffret JSP, à la présentation spartiate, est essentiel, malgré une certaine monotonie. Mais sachez qu’en 2016, Acrobat publia un coffret quasiment identique (« The Definitive Collection 1941-1962 » – ACQCD 7098) et, surtout, Bear Family (Deutsche Qualitat) avait honoré la mémoire de Crudup avec l’indispensable « Arthur “Big Boy” Crudup – A Music Man Like Nobody Ever Saw » avec 5 CDs (grâce à de nombreuses versions alternat’) et un livret de 70 pages. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

The Meaning of the Blues
The Legacy of Paul Oliver 1927- 2017

Jasmine JASMCD 3091 – www.jasmine-records.co.uk

Ce disque est un hommage au chercheur et écrivain Paul Oliver, bien connu de tous les amateurs de blues de par ses œuvres, livres et maint textes de pochettes. Ce fut d’abord « Blues fell this morning » qui fut suivi par l’édition d’une compilation vinyle comprenant quelques-uns des meilleurs blues disponibles à cette époque, puis ce fut « Conversation with the blues » qui donna naissance à une autre compilation. Ce CD reprend les 14 titres du premier album plus 12 du second. C’est une façon originale de redécouvrir ces faces mythiques qui, à l’époque, semblaient venir d’une autre planète ! Aujourd’hui, nous sommes sans doute un peu blasés, mais imaginons l’émotion de ceux qui découvraient ce monde magique, et ayons une pensée et un grand merci pour des gens comme Paul Oliver. En plus, il y a certainement des titres que même les amateurs les plus pointus ont oubliés. Qui se souvint de Lewis Black ou de Jack Ranger ? – Marin Poumérol


Various Artists

Cheap Old Wine and Whiskey
Drinking Songs Straight From The Juke Joint

KokoMojo KM-CD 01 – www.koko-mojo.com

Retour sur cette remarquable série thématique (cf ABS N°60) qui, faut-il le rappeler, met en exergue des pointures et/ou des musiciens obscurs qui ont enregistré des titres parus des labels locaux ou régionaux dont l’audience géographique fut limitée sur place voire famélique de ce côté-ci de l’Atlantique. On retrouve ici deux disques sur un seul cd dont les titres figurent par ailleurs sur les deux volumes de la série vinyle « Too Much Booze » et « Bad Hangover » du label KokoMojo, faces que l’on écoutait à l’époque en version 45 tours dans les juke joint enfumés. Hormis les très familiers Lightnin’ Hopkins avec une superbe version acoustique de Drinkin’ Woman parue sur Aladdin, Amos Milburn avec Bad, Bad Whiskey aux accents rock’n’roll marqués, Peppermint Harris au swing étincelant sur I Got Loaded, JB Lenoir au groove prenant sur Give Me One More Shot enregistrée chez Job et Jimmy McCracklin avec le truculent Beer Tavern chez Irma, le brillant Square Walton sur Bad Hangover (RCA Victor 22002), l’album valorise judicieusement des artistes de l’ombre : parmi d’autres, Lick, Slick & Slide interprète une version enlevée de I Got Drunk (Savoy 1150), Sonny Boy Williams à l’harmonica au phrasé aérien sur Bring Another Half A Pint (RCA Victor 220021), Bill Walker à la voix de crooner sur Wineo (Kaiser 874),) Birmingham Jones avec une formation au beat qui décoiffe sur Drinkin’ Again (Vivid), Richard Bros en solide version down home binaire et hypnotique sur Drunk Drivers Comin (Strate8 1500), sans oublier la fameuse version de Cheap Old Wine And Whiskey interprétée par le tonitruant duo Jack The Bear Parker et Lazy Slim dans un brillant solo roots à la John Lee Hooker. Attention : les titres 7 et 8 ont été inversés dans la short list. Au final, les 28 faces de cet album d’égale valeur devraient vous régaler soit en version digitale ou numérique. En effet, le mastering effectué par Rawand Baziany permet de redécouvrir sur la platine toute la quintessence de ces titres inusables et terriblement dansants. – Philippe Prétet


Various Artists

Stack Of Soul
Red Hot R&B Classics

Jasmine JASMCD 995 – www.jasmine-records.co.uk

Souvent cataloguée comme le nadir de la pop music, la période 1958-1962 (du départ d’Elvis pour l’armée à l’émergence des Beatles) vaut beaucoup mieux que ça. Cette compilation vient à point nommé pour en témoigner. Vingt-huit titres R&B, sorties de chez Atlantic et quelques marques associées. Il y a des choses bien connues et d’autres plus précieuses comme une version du Stupidity de Solomon Burke par les Van Dykes, Daddy Rollin’ Stone par Jimmy Ricks ou So fine par les Fiestas. La chanteuse folk Barbara Dane fait une concession aux dancefloors dans I’m on my way qui garde malgré tout l’intégrité de sa ferveur gospel. On se rappelle au passage quel merveilleux artiste, trop tôt emporté, était Chuck Willis avec son Whatcha gonna do et il n’est pas interdit de verser une larme si l’on garde une âme d’enfant sur l’éternel Young boys blues de Ben E. King. – Dominique Lagarde


Chuck Jackson

The Best Of The Wand Years

Kent Soul LP Kent 510 (LP) – www.acerecords.co.uk

Si le désormais célèbre I Don’t Want To Cry enregistré en 1961 ouvre la face B de ce magnifique LP compilation de faces Wand de Chuck Jackson, les treize autres titres ne dépareillent pas en qualité. Ady Croasdell, en compilateur avisé, a choisi des morceaux plus ou moins connus mais emblématiques de Jackson enregistrés entre 1961 et 1966. (I’d Be A) millionnaire et I Can’t Stand To See You Cry n’avaient été publiés par Kent qu’en 1987 (LP Kent 073), quant au titre What’s With This Loneliness, il apparaissait chez nos amis britanniques sur le CDKend 935 (1990). Chuck Jackson, né le 22 juillet 1937 en Caroline du Sud, a travaillé très jeune dans les champs de coton. Il commence à chanter le gospel dans une chorale à l’église à l’âge de six ans. Il est si doué qu’à huit ans il anime sa propre émission de radio de quinze minutes le dimanche matin, dans laquelle il joue du piano et chante. À douze ans, il participe à un concours à l’échelle de l’État avec la chorale de son église, mais la ségrégation institutionnelle aboutit à la fermeture de son école. Il décide très vite de suivre sa mère à Pittsburgh en 1950. En 1955, Chuck Jackson intégre le groupe de doo-wop The 5 Mellows. En 1955 et 1956, il commence à chanter et enregistrer avec les Ray Raspberry Gospel Singers, groupe basé à Cleveland. Il retourne en Caroline du Sud en 1956 pour utiliser sa bourse et s’inscrit au South Carolina State College à Orangeburg, école spécialisée en musique. Entre 1957 et 1959, il est membre d’un autre groupe de doo-wop, The Del-Vikings. Il est embauché par Jackie Wilson pour se joindre à sa revue à l’Apollo Theater de New York en 1960. Remarqué par le producteur Luther Dickinson, il entre chez Wand, filiale du label Scepter Records. Son premier single sous ce label, I Don’t Want to Cry – qu’il a coécrit – sort en 1961 et sera son premier grand succès. Sa popularité dans les années 1960 ne fait que croître. Il quitte Wand pour la Motown en 1967, mais trois ans passés dans la firme de Berry Gordy ne permettent pas à Jackson de regagner la tête des charts, même si plusieurs titres figurent néanmoins dans les classements du Top R&B. Il enregistre trois albums puis quitte Motown en 1970. Il signera chez ABC Records quelques années plus tard. Les faces réunies ici font partie de la meilleure période, la plus prolifique et la plus intense, de cet artiste pétri de talent. Le format LP avec ce son irremplaçable et cette magnifique photo cover sont autant de valeurs ajoutées à cette réédition remarquable. – Marcel Bénédit


Memphis Slim

The International Playboy of The Blues 1948-1960
From Chicago to London All The R&B Hits and more

Jasmine JASMCD 3105 – www.jasmine-records.co.uk

Une nouvelle compilation consacrée à Memphis Slim arrive dans les bacs des derniers disquaires encore en activité. Il faut rappeler que sa production est pléthorique, il suffit de consulter les discographies de blues. Cela laisse un grand nombre de possibilités à l’imagination du compilateur. Jasmine a choisi d’extraire du catalogue de Memphis Slim les quelques hits que publièrent les labels Miracle, Peacock, Premium Mercury, United et Vee-Jay entre 1948 et 1959. Il a complété avec trois titres de la London Session de 1960 et Rockin’ The House, enregistré à l’Olympia, Paris, le 20 octobre 1962, dans le cadre de l’American Folk Blues Festival. Rockin’ The House fut une chanson fétiche de Memphis Slim. Il l’interprétait à chacun de ses concerts. La version ici choisie étai restée inédite jusqu’en 2015, quand Frémeaux et Associés exhumèrent les enregistrements de l’Olympia (indispensable coffret 3 CDs FA 5614). En 1948, Memphis Slim connut son premier tube, Messing Around, qui grimpa à la première place des charts. Quatre autres chansons, jusqu’en 1949, sur le même label, rencontrèrent le succès et se classèrent parmi les meilleures ventes. Le 78 tours Miracle 145 fut très important Memphis Slim : la face A (Angel Child) atteignit la sixième place des charts ; la face B, ici présente, Nobody Loves Me, est le titre originel du maintenant classique Everyday I Have The blues, qui assura de confortables royalties à Memphis Slim. Mother Earth, qui fut aussi un tube pour le label Premium, poursuivit longtemps son succès ; Chess, qui racheta les masters de Premium, plaça cette chanson dans de nombreuses compilations les années suivantes. En 1953, Memphis Slim changea le son de son orchestre en engageant un formidable guitariste électrique : Matt Murphy (j’ai un pincement au cœur en rédigeant cette chronique à cause du décès de Matt Murphy quelques heures plus tôt). Cette formation enregistra des pépites dont le dernier R&B Chart hit de Memphis Slim ; The Comeback (United 156). De superbes faces Mercury (1951) et Vee-Jay (1959) complètent cette excellente compilation. Son acquisition dépendra de votre discothèque. Les profanes peuvent l’acheter les yeux fermés. – Gilbert Guyonnet


Memphis Slim

Live in Paris, 27 mai 1961

Frémeaux et Associés FA 5725

www.fremeaux.com

Au début des années 60, les marches organisées par Martin Luther King pour les Droits Civiques ont pour assise les Negro Spirituals et Gospel Songs qui ont été de tous temps et restent LA musique des Good News (« une éternité de bonheur attend les chrétiens dans l’au-delà ») – ces chants deviennent en plus des symboles de conquête de Liberté et Égalité. Dans une Amérique en ébullition, cela coïncide avec une désaffection croissante pour le Blues qui est la musique des Bad News et parle d’un passé que les Noirs veulent oublier (pas ou peu d’accès à l’éducation, aux logements salubres, au travail, aux soins de santé, le chômage, les insultes, les drogues, les infidélités…). Heureusement pour la survie de ce style musical, un Blues Revival prend naissance en Europe avec, dès 1962, les tournées American Folk Blues Festivals, des magazines spécialisés, etc. Juste avant ces AFBF, des bluesmen confrontés à la perte de popularité chez eux – et à une ségrégation toujours aussi féroce – font des tournées en Europe à titre individuel ou en petits groupes, et certains s’y installent à demeure, entre autres des pianistes comme Champion Jack Dupree, Curtis Jones ou Memphis Slim qui se fixe à Paris peu après ce concert du 27 mai 1961 à l’Olympia, un concert patronné par Europe N°1. Il est en solo et, tout au long, de blues en boogie woogies endiablés, il déploie une décontraction totale, sa voix puissante et son jeu vigoureux font merveille. Il introduit, souvent avec humour, chacune des 23 faces, suivant en cela les conseils de Big Bill Broonzy qui l’a précédé en France dans les années 50 et y a connu un très grand succès. Slim joue ses propres compositions bien sûr (un superbe Unidentified Boogie, un Chicago Boogie Woogie à la Jimmy Yancey, Beer Drinkin’ Woman, A Letter Home, Chicago Stomp, Pigalle Love…) mais aussi celles de ses modèles à commencer par Leroy Carr (How Long, How Long Blues), Roosevelt Sykes (Miss Ida B) et les bluesmen de Kansas City (deux versions de Kansas City Blues, l’une à la façon de Jim Jackson et l’autre à la façon de Big Joe Turner et Pete Johnson) ; à ces derniers, il reprend aussi Roll ‘Em Pete, sans oublier un K.C. Loving dans le style de Little Willie Littlefield ! Il rend aussi hommage avec talent à des amis comme Big Bill Broonzy (Keep Your Hand On Your Heart, All By Myself, I Feel So Good), Willie Dixon (I Just Want To Make Love To You en slow). À partir de là, Memphis Slim devient une vedette populaire, il joue dans les clubs parisiens mais aussi en Province, il tourne dans toute l’Europe, il gagne très bien sa vie (il roule en Rolls Royce) et il va enchaîner les gravures d’albums. Avec celui-ci qui est magistral, on a le point départ de la carrière éblouissante d’un bluesman noir en France. Il est mort en 1988. – Robert Sacré


Memphis Minnie

Guitar Queen, Killer Diller Blues
(Her best 24 songs)

Wolf Blues Classics BC 013 – www.wolfrec.com

Je me souviens d’une chronique de Jacques Réda dans Jazz Mag à propos de Fats Waller. Mon confrère y affirmait en substance qu’on pourrait demander à sa concierge, à l’épicier du coin, au ministre des finances, voire à Pierre Boulez de réunir 20 morceaux du pianiste sur un album et tout chroniqueur imposerait de mettre cinq étoiles à la réalisation. Il n’en va pas autrement en ce qui concerne Memphis Minnie et de la présente compilation, eut-elle réuni de tout autres blues que le titre de « 24 best songs » n’eût point été usurpé. À 13 ans, Memphis Minnie quitte le domicile familial et ses douze frères et sœurs pour chercher fortune comme chanteuse de rue. Il ne s’agit pas de n’importe quelle rue, mais de Beale Street, une artère de Memphis immortalisée par W.C. Handy, où la pègre et le vice ont longtemps tenu le haut du pavé. Gageons que cette expérience rugueuse lui a valu son style vocal énergique aux formules percutantes et sa personnalité de forte femme prompte à sortir un couteau ou une arme à feu pour se débarrasser d’un importun. Mais Memphis Minnie est également une guitariste hors pair au doigté délié et à l’invention harmonique luxuriante. Soliste inventive et percutante, elle excelle également dans les duos avec un autre guitariste (par exemple ici Kansas Joe ou Little Son, ou encore Charlie McCoy à la mandoline-1), autant de qualités qui font d’elle l’une des sources incontestées de la guitare moderne. Repérée par un talent scout dans son numéro de duettiste avec son époux Joe McCoy en 1929, elle commence à enregistrer à New York, Chicago, et Memphis. Memphis Minnie n’a pas connu de longue interruption de carrière comme la plupart de ses consœurs, mais les problèmes de santé l’obligent à se retirer au tout début des années 60, ce qui l’empêchera de profiter pleinement de la vague du Blues Revival portée par le Rock’n’roll. Elle mourra en 1973. Ceux qui connaissent déjà Memphis Minnie pourront se laisser tenter par quelques titres qu’ils ne posséderaient pas. Pour les autres, cette compilation peut constituer une excellente façon de se familiariser avec cette artiste, d’autant que le prix en reste particulièrement raisonnable. Enfin, eux qui voudraient aller plus loin trouveront leur bonheur avec les « Complete Recordered Work 1944-1953 » publiés en plusieurs volumes chez le même éditeur ; même les prises jusqu’ici inédites y figurent, et tout cela pour un prix toujours très abordable. – Christian Béthune

Note 1 : On a tendance à oublier que, dans le Sud rural des années 1920-1930, la mandoline italienne avait presque autant d’adeptes que sa cousine espagnole. Ce sont essentiellement les compagnies de disques qui ont systématisé l’usage de la guitare comme identificateur du blues.


Ike Cosse

The Lowdown Throwdown

JSP Records JSP3013

www.jsprecords.com

Quel plaisir de retrouver un artiste original de cette qualité, qu’on avait beaucoup apprécié à Cognac il y a une douzaine d’années où il se produisait dans une formule one man-band ! Aujourd’hui, après avoir pris sa retraite, il revient sur scène plus en forme que jamais. Ce CD comprend huit titres q’il avait gravés sur son premier CD : « The spot is hot » indisponible de nos jours et huit autres titres qui sont la réédition de son premier album pour JSP. Tout au long de ces 16 faces il est remarquablement soutenu par deux petites formations très dynamiques avec basse, batterie, orgue, harmonica, piano, saxes. L’un des points forts de ce gentleman, ce sont ses talents de compositeur : beaucoup d’humour et une certaine philosophie de la vie. Il y a là du blues : When I get home, Cold world blues, des choses plus funky ou soulful et une touche de bon vieux rock’n’roll. Cette musique coule facilement et est constamment plaisante et tonique. Voilà quelqu’un qui devrait être bien plus connu et faire un malheur dans les festivals d’été. En plus, il est extrêmement sympathique ! – Marin Poumérol


The James Cotton Band

100 % Cotton
Buddah Blues
Live & On The Move
High Energy

Floating World Records FL0ATD6331 – www.floatingworldrecords.co.uk

James Cotton (1935-2017), fils d’un pasteur, était un harmoniciste né à Tunica (Ms). Chanteur et compositeur, il a joué et enregistré avec de nombreux grands artistes de blues et avec son propre groupe. James Cotton a aussi joué de la batterie au début de sa carrière, mais il est surtout devenu célèbre pour son jeu d’harmonica. Gamin, il fait la connaissance de Mack Simmons (qui deviendra “Little Mack”) et devient son mentor. Après avoir rencontré Sonny Boy Williamson II (Rice Miller), Howlin’ Wolf et Willie Nix avec lesquels il joua au début des années 1950, il constitue son groupe en 1952 « Rhythm Masters » avec, entre autres, le guitariste Hubert Sumlin. En 1953-54 il enregistre pour Sun puis s’établit à Chicago. Au début de 1955, il entre dans l’orchestre de Muddy Waters et demeure dans cette formation pendant les onze années suivantes. En 1966, il forme « The James Cotton Band » où figure Luther Tucker et recrute en 1971 le regretté Matt “Guitar” Murphy. Dans les années 1970, Cotton enregistre plusieurs albums pour Buddah Records, période que l’on nomme aussi « Buddah Blues ». Cette collection (curieusement anachronique) comprend trois de ces enregistrements. « Live & On The Move » a été publié en 1976 par Buddah et capture fidèlement les effluves de boogie-burning du milieu des années 70. Cotton s’est ensuite rendu à La Nouvelle-Orléans pour travailler avec le producteur Allen Toussaint en lançant en 1975 le disco blues « High Energy » sur lequel figure un certain et brillant James C. Booker au piano. Avant cela, il y avait eu en 1974 « 100% Cotton », un album que certains considèrent comme son zénith, mettant en vedette le non-stop Boogie Thing, un How Long Can A Fool Go Wrong d’anthologie et un racé Rocket 88. Remarquable technicien de l’harmonica, James Cotton était démonstratif et excellait dans les longues pièces instrumentales comme sur l’épatant Help Me. Son jeu évoque à la fois Little Walter et Big Walter Horton. Chanteur fougueux et instinctif, James Cotton était doté d’un charisme débordant sur scène avec un band dynamique fusionnel et en complète osmose avec son leader. Et puis, la présence de l’immense et récemment disparu Matt “Guitar” Murphy sublimait littéralement sa prestation, comme sur le somptueux Goodbye My Lady ou sur Rock’n’Roll Music. L’influence décisive d’Allen Toussaint transpire dans une version live disco blues de Hot’N Cold où les talents du pianiste et du guitariste éclaboussent à eux seuls la scène musicale. On retrouve cette ambiance nonchalante et sirupeuse de la NOLA des seventies sur le deuxième album studio enregistré sous la houlette du célèbre pianiste. Orchestration soignée, clavier au doigté fin, lignes mélodiques ciselées au millimètre et section de cuivres rutilante. Bref, une session d’égale valeur qui s’écoute en boucle dans une atmosphère dansante à la basse métronomique et au groove hypnotique comme sur I Get A feeling ou sur Fannie Mae. Le final Keep Cooking Mama se déguste avec délectation. Carpe Diem ! « 100 % Cotton » est un album essentiel. Avec comme évoqué plus haut Boogie Thing qui renvoie à l’époque de ses enregistrements Sun avec cette dimension roots et hypnotique propre au blues joué dans les juke joints enfumés du Sud. Ambiance funky blues intemporelle avec One More Mile et diablement emballée sur Creeper Creeps Again. L’interprétation de Rocket 88 scotche littéralement et incite à déplacer les meubles du salon et à inviter prudemment les voisins… How Long Can A Fool Go Wrong, version studio, est du même acabit. L’interprétation superbe de ‘Fatuation de Matt Murphy est une invitation pressante à la sensualité et au lâcher prise. Enfin, Fever est un indice fort de l’augmentation de température corporelle ; la connection entre Matt Murphy et James Cotton et son band atteint son paroxysme. Les notes de pochette sont certes minimalistes – avec quelques photos de concert – mais on retiendra que l’essentiel est ailleurs : cette trilogie tombe à pic pour apprécier ou (re)découvrir une partie significative de la carrière discographique pléthorique de James Cotton. – Philippe Prétet


Willie Dixon

Everything Blues
The Singer, the Writer, the Producer 1954-1962

Jasmine JASMCD 3116 – www.jasmine-records.co.uk

Ce CD a l’ambition de dresser un portrait musical d’un des piliers du Chicago blues : Willie Dixon. Une fois sa carrière de boxeur enterrée (il fut même sparring partner du champion Joe Louis), il concentra son activité sur la musique. Avec le pianiste Leonard Baby Doo Caston, il créa le populaire Big Three Trio. Dès 1951, les frères Chess l’embauchèrent en tant que producteur, auteur-compositeur, musicien, arrangeur et découvreur de talents. Quelques années plus tard, brouillé avec Chess, il collabora avec Eli Toscano et Cobra Records. La seconde moitié du disque, « The writer / producer / arranger », où Willie Dixon est dans l’ombre –c’est-à-dire qu’il arrange et produit ses propres compositions ou celle de James Oden (Going Down Slow chanté par Howlin’ Wolf) – est musicalement exceptionnelle. Muddy Waters (I Just Want to Make Love to You, I’m Ready), Little Walter (My Babe), Otis Rush (I Can’t Quit you Baby,…), Betty Everett (Tell Me Darling) et Howlin’ Wolf (Spoonful, The Red Rooster, …) représentent d’authentiques grandioses moments de l’âge d’or du Chicago blues. La première partie du CD, intitulée « The Singer », est plus discutable, car de nombreux arrangements ont mal vieilli. À l’écoute de ces titres, on imagine la perplexité des frères Chess et ON comprend leur refus d’éditer quelques-unes de ces chansons. Violent Love, par exemple, que Willie Dixon et le Big Three Trio gravèrent en 1955, en est un exemple. Willie Dixon réussit finalement à la refourguer à Otis Rush pour Cobra ! La présence d’un groupe vocal gâcherait presque quelques excellentes chansons, telles Wang Dang Doodle avec les El Rays (17 février 1954) ou 29 Ways. All The Time, non publiée à l’époque, comme les précédentes, est sauvée par un excellent solo du guitariste Jody Williams. Le meilleur de cette époque est une remarquable interprétation d’une chanson de Champion Jack Dupree : Walking The Blues. Ce titre où Willie Dixon est accompagné d’Harold Ashby (ts), Lafayette Leake (p), et Fred Below (d), fut son seul tube en ces années1950.  Crazy For My Baby et The Pain In My Heart sont d’un très haut niveau (avec les musiciens cités ci-dessus). Le pianiste Lafayette Leake brille sur l’instrumental Wrinkles, face B du 45 tours Tuba 8002 de 1962. Qui ne possède pas ces faces sous une forme ou une autre ? – Gilbert Guyonnet


Shirley and Lee

Shirley and Lee’s Golden Decade
Don’t Stop Now Keep The Good Times Ronnin’
Complete Singles As & Bs 1952-1962

Jasmine JASMCD 848 – www.jasmine-records.co.uk

L’histoire des Sweethearts of the Blues débute comme un conte de fées. Shirley Goodman (1936-2005) et Leonard Lee (1935-1976) commencent à chanter en 1947 dans leur établissement scolaire d’un quartier de La Nouvelle-Orléans. La voix naïve de Shirley s’harmonise avec celle plus flegmatique de Leonard et en 1952. Ils arrivent à convaincre le producteur Cosimo Matassa de les enregistrer. Une première chanson, I’m gone, sur le label Aladdin, est un succès. La face B Sweethearts leur vaut leur surnom, sans que leur relation dépasse pour autant celle de la collaboration artistique. La couleur musicale est proche de Lloyd Price et Fats Domino, soulignée par l’orchestre de Dave Bartholomew. Les meilleurs musiciens de la ville sont aux pupitres. Les succès s’enchaînent, souvent dus à la plume de Leonard Lee : Feel so good, Let the good times roll, I feel good. La formule est simple : ballades bluesy, bluettes, rocks. Même si la qualité s’améliore, à la fin des années 50 : la formule s’essouffle. Le duo quitte Aladdin pour la marque New Yorkaise Warwick, puis rejoint Imperial avant de jeter l’éponge. Leonard Lee quitte le monde de la musique en 1967 puis devient travailleur social jusqu’à sa disparition prématurée à 41 ans. Shirley poursuivra une carrière de choriste très active (Dr John, Rolling Stones) avant de revenir sur le devant de la scène en 1975 le temps d’un tube mondial, le Shame Shame Shame, de Shirley & Co. Un double CD de 64 fitres quand même, à réserver aux exégètes du R&B fifties. – Dominique Lagarde


Various Artists

On The Soul Side

Kent Records CDKEND 473

www.acerecords.co.uk

Nos amis britanniques de chez Ace Records entament un travail de réédition en CD de LP Kent réalisés dans les années 80. Parmi eux, des pépites de soul dont ce « On The Soul Side », première compilation de la série de titres tirés du catalogue Kent/Modern. Vingt-six faces enregistrées entre 1962 et 1966 composent cette compilation avec des titres issus des labels Capitol, Liberty, Minit, Imperial et United Artists. Seuls quatre titres du LP ont déjà été réédités en CD. Ici, dix titres ont été ajoutés par rapport au vinyle d’origine, dont l’inédit The Thrill of Romace par Patrice Holloway. Garnet Mimms, Bobby Sheen, Homer Banks,Earl King, Lou Rawls pour ne citer qu’eux sont au menu de cette copieuse réédition au son formidable. – Marcel Bénédit


Various Artists

Lone Star Guitar Attack : The Kings of Texas Blues Guitar

Jasmine JASMCD 3109

www.jasmine-records.co.uk

Une sélection / compilation de 30 titres des meilleurs guitaristes texan des années 50/60. Il s’agit de Blues/R’n’blues de haute volée qui faisait fureur à cette douce époque. Les meilleurs ? Oui, sans aucun doute : Cal Green, qui fut le guitariste des Midnighters de Hank Ballard, son frère Clarence Green, Clarence “Gatemouth” Brown, Goree Carter, Albert Collins dans quelques-uns de ses premiers titres et aussi, derrière Peppermint Harris, Ray Sharpe, Long John Hunter, mais aussi l’excellent Royal Earl qui sait si bien faire parler sa guitare. Tout cela avait déjà été publié sur une série de LP Krazy Kat dans les années 80, mais c’est un réel plaisir de les retrouver sur CD. Il y a bien un style texan, agressif, métallique et très reconnaissable et différent de T. Bone Walker. Une bonne portion de R’n’b bien saignant à consommer comme un excellent steak ! – Marin Poumérol


Various Artists

The Night train (Route 2)

Jasmine JASMCD 984

www.jasmine-records.co.uk

Ce train de nuit nous emmène de Los Angeles vers l’inconnu. On croyait tout connaître de ces stations légendaires qui ont jalonné l’évolution du rhythm’n’blues fin des années cinquante, vers des styles nouveaux comme le newbreed, le popcorn, la soul. Eh bien non, il restait des haltes de campagne, des gares oubliées depuis le Pony Express, dans lesquelles seuls quelques initiés ou aventuriers osaient descendre entre chien et loup. Le label Jasmine l’a fait pour notre grand plaisir. Pas de compartiment réservé aux Blancs ou aux Noirs, tout le monde dans le même wagon, dans ce voyage où la seule préoccupation semble être de reproduire à la guitare, au chant, au saxophone, au piano ce roulement propre au boogie-woogie dans un style punchy et juteux, proche de ceux de Johnny Otis ou Ike Turner à l’époque. Quelques voyageurs sont connus en première classe (Jimmy Rogers, Dave Bartholomew, Faye Adams, Big Maybelle, Bobby Mitchell, Mary Ann Fisher, Jimmy Nolen), mais d’autres ne feront pas assez de trajets, pour postuler à une carte d’abonnement. N’empêche, l’humour et l’énergie qu’il auront mises à distraire les passagers leur valent bien un bouquet sur le quai. – Dominique Lagarde


Willie Nelson

Last Man Standing

Sony Music 19075827252

Le temps ne semble pas avoir de prise sur Willie Nelson, 85 ans, chanteur populaire américain par excellence. Qu’il ait imposé dans les années 70 un look indien-hippie en hommage à l’une de ses épouses Cherokee demeure un sujet d’étonnement dans le monde plutôt formaté du show-biz US. Le monde du blues et de la soul a largement puisé dès les années 60 dans ses standards (Night life, Hello Walls, Funny how time slips away, etc). De bons albums chez Atlantic au milieu des années 70 l’ont connecté à celui du rock. Cette liberté d’aller et venir qui l’a vu pencher du côté de la variété américaine lui permet aussi de revenir vers des rivages plus introvertis et plus raciniens. C’est le cas de ce « Last Man Standing » très réussi dans son approche country rock traditionnelle. Le retour du rebelle y est illustré par 11 chansons co-écrites avec le producteur Buddy Cannon. – Dominique Lagarde


Jerry Lee Lewis

The Indispensable 1956-1962

Frémeaux & Associés FA 5727 (Box 3 CD, livret 28 pages avec photos)

www.fremeaux.com

De tous les rockers blancs US des années 50-60, Lewis est sans doute le plus proche du Mississippi blues et du black gospel (une ou deux couches de plus que son copain Elvis Presley – dont il a repris, entre autres, une version speedée de Don’t Be Cruel). C’est son éducation qui a permis cela ; élevé dans une famille ruinée par la crise des années 30 et ultra dévote de Monroe (Louisiane) avec un père guitariste et tous ses proches chanteurs de gospel dans l’Assembly Of God, une église pentecôtiste blanche. Il apprend d’abord la guitare comme son père mais il n’aime pas et il passe très vite au piano. Nourri de cantiques sanctifiés, ses idoles sont aussi Jimmie Rodgers, Hank Williams, Roy Acuff, Ernest Tubb et d’autres grands noms de la country music. La famille s’installe à Ferriday, de l’autre côté du Mississippi, en face de Natchez et, dès l’âge de douze ans, Jerry Lee est un amateur des musiques noires… Oh, il ne sera jamais un militant des marches pour les Droits Civiques mais, malgré une féroce ségrégation raciale, ado, il fréquente déjà, clandestinement, les clubs pour Noirs et il devient un fan inconditionnel d’Amos Milburn, Little Richard et Fats Domino, pianistes de blues et R&B de New Orleans, puis de Ray Charles, Chuck Berry, voire Elmore James. Il leur a emprunté l’essentiel de son style boogie woogie et R&B (Lewis boogie, Hello Josephine, What’d I Say, Sweet Little 16, Good Golly Miss Molly, It Hurts Me Too, Little Quennie…, sans oublier les titres auxquels son nom reste attaché pour l’éternité comme Whole Lotta Shakin’ Goin’ On, Great Balls Of Fire, etc. Tous sont repris dans ce recueil. En fait, ce box de 3 CDs reprend les 58 faces gravées par Lewis pour SUN Records et Sam Phillips à Memphis. Elles sont le reflet des musiciens qu’ils admiraient, les Noirs comme les Blancs. Son charisme fut exceptionnel et tous ses concerts débouchaient sur un show délirant, surréaliste, avec des provocations, un jeu debout sur le piano, auquel il mettait le feu ou sur lequel il jouait avec les pieds ou son postérieur. Un phénomène spectaculaire. Un scandale de mœurs en 1958 porta un coup dur à sa carrière et l’empêcha d’atteindre à une véritable célébrité à l’international, il le méritait, mais jusqu’il y a peu, il a continué à enregistrer avec originalité et succès auprès des amateurs nostalgiques d’un rock and roll suranné mais sur-vitaminé. – Robert Sacré


Various Artists

Boombox 3
Early Independent Hip Hop, Electro and Disco Rap 1979-83

Soul Jazz Records SJR CD411 – www.souljazzrecords.co.uk

Troisième anthologie de l’excellente série consacrée à la naissance du Hip Hop. Deux CDs, un livret de 44 pages, les passionnés du rap, avant qu’il ne sorte de l’underground, trouveront encore ici matière à enrichir leur culture avec ces rééditions de 45 tours ou de maxis, devenus pour certains bien rares dans leur version originale. Des producteurs estimés de la scène new yorkaise ont mis au service de ces nouvelles musiques de la rue, leur savoir-faire déjà ancien. Au premier rang desquels Bobby Robinson et Sylvia Robinson. L’objet se décline aussi en vinyl, pour être plus proche du support d’origine, mais pas encore en cassette pour jouer dans le sound system. Retour vers le futur ? – Dominique Lagarde


Wake Up America Tome 3 : 1963-1965

par John Lewis, Andrew Aydin, Nate Powell

Éditions Rue de Sèvres ISBN : 9-782369-810452

Troisième et dernier tome du portrait autobiographique de John Lewis (cf ABS #59 & 60), l’un des premiers activistes noirs et membre fondateur du mouvement des droits civiques aux côtés du Révérend Martin Luther King. L’évocation du graphisme superbe de la première de couverture suffit à elle seule à constituer le marqueur de cette période trouble et de grande instabilité subies par la minorité noire aux États-Unis : freedom vote… « Le bulletin de vote est l’instrument le plus puissant jamais inventé par l’homme pour combattre l’injustice ». Cette revendication d’un droit légitime à participer à la démocratie et ce signal fort du respect de la dignité constituaient la pierre de taille de l’action du mouvement des droits civiques. Au-delà du dogme, les faits historiques révélés par John Lewis sont terribles. Retour sur l’épisode tragique de septembre 1963 où une bombe explosa dans l’église baptiste de la 16ème rue à Birmingham, Alabama. Celle-ci était le quartier général du mouvement et pleine d’enfants à l’occasion de la journée annuelle de la jeunesse, l’odieux attentat tuant quatre enfants et faisant vingt-et-un blessés. Comment la quête de dignité pouvait-elle déclencher de telles horreurs ? À cette époque-là, à Selma et à peu près partout dans le Sud, il était quasiment impossible pour les Noirs de s’inscrire sur les listes élcctorales. Dans certains endroits, on leur demandait de remplir un questionnaire qui avait pour but de compter les haricots dans un pot ou le nombre de bulles que faisait un savon… La pertinence de la réaction des activistes fut à la hauteur de l’abomination. Dans le Mississippi, le Mouvement des Droits Civiques organisa le vote de la liberté. L’idée était que ce dernier organise ses propres élections avec ses propres candidats, ce qui donnerait aux femmes et hommes noirs une idée de ce que cela faisait vraiment de voter et qui mettrait en évidence l’exclusion des Noirs du processus électoral. L’assassinat de JF Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas (Tx) marqua un tournant dans la lutte des activistes. Le Ku Klux Klan marqua rapidement son territoire… La suite, passionnante, vous la découvrirez en lisant intégralement cette collection qui a reçu le National Book Award 2016, le Eisner Award de la meilleure BD de reportage. Un témoignage vivant essentiel pour mieux comprendre cette période charnière de l’histoire des droits civiques de la minorité noire aux USA au XXe siècle. – Philippe Prétet