Chroniques #64

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Bloodest Saxophone

Texas Queen 5

Dialtone / Vizztone Label Group VT-DT0030 – www.dialtonerecords.com

Eddie Stout – le patron du label Dialtone – a toujours eu la cote au Japon. Après une production avec la chanteuse Jewel Brown et toujours aux côtés de ses amis Yusufumi Higurashi et Akira Kochi, la belle association continue aujourd’hui avec une formidable session autour de la formation nippone Bloodest Saxophone qui est entourée ici de cinq chanteuses sudistes, à savoir Diunna Greenleaf (Houston), Lauren Cervantes (Austin), Angela Miller (Austin), Jai Malano (Austin) et Crystal Thomas (Shreveport, Louisianne !). Le groupe cuivré originaire de l’empire du soleil levant emmené par Koda Shintaro est tout simplement époustouflant ; difficile de rester en place à l’écoute des deux instrumentaux endiablés intitulés Pork Chop Chick et Cockroach Run. Les chanteuses sont toutes exceptionnelles, même si j’avoue un petit faible pour Chrystal Thomas qui, au passage, jouait également du trombone dans la formation de Johnny Taylor (cf article de Scott M. Bock dans ce numéro) ! Le répertoire choisi fait la part belle à de grands classiques, mais ils sont tous divinement interprétés à l’image de Losing Battle, Walkin’ the Dog, Run Joe, I Just Want to Make Love to You ou encore Don’t Hit Me No More repris ici par l’excellente Angela Miller, et qui n’a rien à envier à la version de Mable John. Bloodest Saxophone a déjà à son actif onze albums qui baignent tous dans une envoûtante atmosphère faite de ce fameux Jump blues qui faisait la gloire et la renommée de nombreuses formations des années 50. Fidèle à ses racines texanes, le label Dialtone continue à tracer son sillon et nous fait apprécier ces cinq chanteuses qui sont dans la plénitude de leur art. Une belle réussite à ne pas manquer. – Jean-Luc Vabres


Crystal Thomas

Drank Of My Love

Autoproduction Gooba Sac Music – https://store.cdbaby.com/cd/crystalthomas33

Un véritable coup de coeur que fut en septembre 2018 la rencontre avec Crystal Thomas à Austin (Texas) lors du Eastside Kings Festival. Auteur-compositeur, chanteuse et tromboniste, Crystal Thomas est issue de Mansfield (Louisiane). Toute petite, elle écoutait les disques de sa mère. À deux ans, elle interprétait la chanson culte de McDonald. Très tôt, elle a baigné dans un milieu familial rompu aux versets flottants de la musique sacrée. Sa mère faisait partie de la chorale à l’église tandis que son père oeuvrait à la guitare à l’office. Signe particulier : tous aiment le blues, souligne-t-elle en souriant. Autodidacte et à bonne école au chant avec sa mère à l’église, Crytal Thomas s’est forgée une culture musicale soul/blues aux sonorités exaltées du Sud, ce qui explique son éclectisme talentueux dans ses interprétations. En grandissant, elle trouve ses sources d’inspiration dans son quotidien et écrit ses premiers textes à la puberté. Chanter est donc vite devenu une passion envahissante et communicative. Tout l’inspire. Sur son second album, « Drank Of My Love », Crystal Thomas a écrit tous les textes et s’est rapprochée des producteurs Slick Ross, Gary Smith et Secret On Da Track. Sa voix chaude et suave est magnifique avec un timbre très subtil. Ses textes sont un vrai régal, c’est une narratrice épatante. Les deux premiers morceaux Party et Show Me How To Zydeco invitent immédiatement à la fête et vont ravir les danseurs. I’ll Be Right Here plonge dans le meilleur de la Southern soul. Every Hour à tempo lent est le summum de l’album qui fait surgir la quintessence du talent vocal de Crystal Thomas entourée d’excellentes choristes qui subliment sa prestation. Sur le fascinant Drank Of My Love, on croirait entendre Denise LaSalle ; orchestration bien lèchée et choristes en parfaite osmose en prime, le titre groove superbement. L’addiction n’est pas loin… Mr. Do Right met en lumière un bluffant Hammond B3 et des choristes au diapason. Séquence émotion. L’album contient aussi des influences bluesy avec notamment un cinglant Hey Baby. Le titre est bonifié par l’excellente prestation du band composé d’Eddie Stout (basse), Steven Fulton (guitare) Pee Wee (piano) et Russel Lee Adkins (drums). It’s too Late est un titre aérien composé pour les danseurs qui vont s’en donner à cœur joie. Enfin, Country Girl régale avec un texte truculent qui exalte les vertus de la campagne sur la ville. Crystal Thomas est manifestement devenue une étoile montante puisqu’elle vient d’être récompensée par un Blues Critic Award dans la catégorie “Best Soul Blues Album” 2018Philippe Prétet


Watermelon Slim

Church Of The Blues

Northern Blues CD-NB-065

En 2004, Bill Homans abandonne son boulot de chauffeur routier pour ne se consacrer qu’au Blues instillé en ses oreilles par une domestique de ses parents, une afro-américaine qui chantait le répertoire de John Lee Hooker. Il devient “Watermelon Slim”. Avant d’en arriver là, il a mené une vie débridée : vétéran du Vietnam, petit délinquant, déménageur, transporteur de matières dangereuses, ouvrier du bâtiment, employé dans une scierie, diplômé de l’Université (Master of Arts), cuisinier, livreur de pastèques… En 1999, lors d’un voyage à Clarksdale, Mississippi, il est attaqué, volé, battu et laissé pour mort dans une rue. N’ayant pas d’assurance santé, l’hôpital de Clarksdale – Northwest Regional Center – refusa de le soigner. Le visage lacéré et de multiples fractures à la mâchoire, Watermelon Slim prit le volant jusqu’à son domicile dans l’Oklahoma (555 miles) où il reçut les soins nécessaires. Il fut aussi victime d’une crise cardiaque en 2002. Watermelon Slim est un chanteur avec une belle voix de baryton rude et expressive mais également un guitariste slide et harmoniciste autodidacte. Il délivre un blues solide bien loin des insipides inepties que certains veulent faire passer pour du Blues de nos jours. Il a choisi un dosage équilibré de sept compositions personnelles et sept reprises. Parmi les nouveautés, on se régalera de Mni Wiconi – The Water Song (l’eau est la vie en langue vernaculaire Lakota) et de son solo de guitare signé Joe Louis Walker, de Charlottesville (Blues For My Nation) où il critique l’exhibition des symboles de la suprématie blanche lors d’une marche (« Nazis on our streets ») et les incidents qui ont suivi. Autres réussites : Too Much Alcool original homonyme de la chanson de J.B. Hutto et hommage à celui-ci avec le guitariste Albert Castiglia, et l’émouvant Holler #4 que Watermelon Slim chante accompagné d’un unique tambour. En ce qui concerne les reprises, elles sont excellentes. Son formidable solo d’harmonica sur Gypsy Woman (Muddy Waters) donne l’impression d’entendre deux instruments. Ici, Bob Margolin lui prête main-forte ainsi que sur deux autres titres, dont le surprenant Get Out Of My Life Woman d’Allen Toussaint avec le soutien vocal de John Nemeth et Sherman Holmes. Watermelon Slim honore deux autres géants : Howlin’ Wolf avec Smokestack Lightning et Mississippi Fred McDowell et son 61 Highway Blues. Le bassiste John Allouise et le batteur Brian Wells offrent un soutien rythmique de premier plan. Watermelon Slim voulait enregistrer un disque purement Blues. Pour cela il a choisi le label canadien Northern Blues qui lui a laissé entière liberté de réaliser son rêve. Le résultat est à la hauteur des espoirs de l’artiste. – Gilbert Guyonnet


Leyla McCalla

Capitalist Blues

Jazz Village / Pias

Il y a chez Leyla une grâce et une fraîcheur que la succession d’enregistrements et de tournées ne semble pas à même d’altérer. Ce troisième enregistrement en apporte une nouvelle preuve. Un travail premier avec un drôle de producteur, un enregistrement à deux pas de la maison néo-orléanaise, la présence d’invités chaleureux, tout est fait ici pour éliminer les affres de la routine. On saute sans difficulté d’un calypso à une vieille mélopée caraïbe ou à une chaloupe de vieux jazz. Le drôle de producteur – à savoir Jimmy Horn (du groupe de Rythm and Blues King James and the Special Men) – amène sa déglingue toute organisée et la voix de Leyla transcende un répertoire dont la variété n’est en rien synonyme de catalogue désincarné. On goûtera particulièrement la ballade soul Heavy as Lead qui sied bien à la tessiture vocale de la chanteuse. La pointe de Rara Haïtienne avec son unisson de trompettes atypiques paraît tout aussi à sa place sous les contrées néo-orleanaises que l’accordéon charnu de Corey Ledet. Même sans son violoncelle, absent de l’enregistrement, la dame développe une gamme d’arguments musicaux qui perpétue l’attachement que l’on peut avoir pour cette artiste définitivement hors du commun. – Stéphane Colin


Carvin Winans

In The Softest Way

Thirty Tigers

Dans la famille Winans, je demande le frère. Carvin est l’un des membres de la fratrie des Winans, une formation de gospel dont l’aura a largement dépassé les États-Unis dans les années 90. Et ce grâce à plusieurs disques d’or et récompenses aux Grammy Awards. Les compositions de Carvin Winans ont également été interprétées par des grands noms de la scène soul américaine, de Whitney Houston à Peabo Bryson. À l’instar de tant de chanteurs de gospel, Carvin Winans franchit le pas vers la soul et s’offre un premier album solo, dont il a écrit les onze titres. Un disque elegant, sobre et raffiné, sur lequel Stevie Wonder, Kenny G. ou son frère jumeau Marvin figurent au rang des invités. Du sacré au profane, selon la formule consacrée, de “God” à “Baby”, il n’y a qu’un mot qui change… – Dominique Lagarde


Randy McAllister

Triggers Be Trippin

Reaction Records – www.randymcallister.com 

Batteur et harmonciste, McAllister est un Texan pur jus qui arpente les routes du Blues depuis plus de trente ans et affiche quinze albums à son palmarès. Après un passage remarqué chez J.S.P. Records dès 1997 (trois albums) il est passé chez Severn Records puis Reaction avec son « Scrappiest Band In The Motherland » dont l’excellent guitariste Brandon Hudspath. À l’harmonica dans huit faces et aux drums dans trois d’entre elles, McAllister a écrit et composé neuf des dix titres et la seule reprise – Since I Met Ypou Bare (d’Ivory Joe Hunter) – est une belle version intimiste, en slow, délicate, voire mélancolique de cette ode à l’amour, en contradiction avec le caractère martelé, saccadé et rentre dedans d’une bonne partie des autres faces. comme In A Flick Of A Bic en mode lancinant et hypnotique ou Beauty And Ugly Upside Down avec Hudspath très présent à la guitare et slide, comme Bring It On Backbreaker et Better Up ou encore Math Ain’t Workin’ tous soit en medium ou bien enlevés. Une mention aussi au haletant Vacation In My Mind (avec Hudspath au top) et à la belle ballade The Yin And The Yang avec une prestation brillante de Carson Wagner au Hammond B3, sans oublier We Can’t Be Friebds (If You Don’t Like Jimmy Reed), un bel hommage à son idole. – Robert Sacré


Larry Lampkin

Keep Doing What You Do

Kaint Wit Records – www.larrylampkin.com ou disponible ici : cdbaby.com

Le constat est flagrant : le Texas, terre d’illustres bluesmen depuis des lustres, recèle toujours des pépites. C’est à l’occasion d’un récent voyage à Austin au fameux Eastside Kings Festival que l’évidence s’est à nouveau manifestée à votre serviteur. Sous une pluie battante, dans la cour d’un garage aux senteurs tenaces d’huile et de graisse, accompagnant Ray Reed, une légende texane, Larry Lampkin a commencé à asséner des phrases excitantes à la guitare qui m’ont laissé ravi et songeur… Ce dernier est né et a grandi à Fort Worth, au Texas, où il réside actuellement. Il a écouté son oncle jouer de l’orgue et chanter à l’église. Sa grand-mère chantait le gospel. Ayant grandi à quelques pâtés de maison d’un club de blues appelé Blue Bird, il s’y rendait à bicyclette pour écouter ses groupes favoris. Vers quinze ans, Larry Lampkin a commencé à jouer dans un magasin de guitare local. Et puis l’écriture et le chant ont naturellement suivi avec les copains du quartier. Sa philosophie musicale interpelle : quelque part, le blues est guérisseur ! « Il apporte du réconfort à travers les hauts et les bas de l’existence. » Larry Lampkins est déterminé à créer une musique qui aidera son prochain d’une manière ou d’une autre. L’essence du blues n’est donc pas simplement musicale, mais spirituelle, renchérit-il. « C’est ma passion et ma quête. » Fan de Freddie King, Albert Collins, T-Bone Walker, B.B. King, Buddy Guy, Stevie Ray Vaughn, il fut aussi très proche du regretté U.P. Wilson. Guitariste leader de Vernon Garrett et de Andre Jr Boy Jones, son blues « sonne » résolument moderne. Son dernier album s’inscrit à la croisée des styles Rock et Soul Blues. Dix titres dans ce troisième opus comme autant de compositions personnelles. Les faits du quotidien sont le prétexte à une narration haletante comme sur l’impétueux My Woman and Her Cellphone. Ambiance rhythm’n’blues sur Your Babies Daddy plein de fougue. La voix profonde et éraillée prend aux tripes. How Much I Love You renvoie inévitablement à l’ambiance de Chi-town époque Chester Burnett avec un orgue Hammond bien en place, une section de cuivres rutilante et une guitare incandescente. Ballade à tempo mi-lent, aux réminiscences du Sud, Dancing to the Blues évoque (avec une belle voix de choriste en contrepoint), est un morceau conçu pour se déhancher. Good Old Texas As Life est une ode aux gloires passées avec une guitare qui prend feu pour atteindre des sommets. Magistral. James “Spoon” Witherspoon bassiste, le batteur James Duty et le claviériste Richard Corsey assurent une rythmique d’enfer sur ce morceau phare de l’album. Give Us One More Night est un exemple de la qualité de l’orchestration et du positionnement impeccable de la guitare. Keep Doing What You Do aurait très bien pu être interprétée en son temps par Freddie King ou Albert Collins. Larry Lampkin égrène les notes avec un sens du placement et un groove redoutables de précision. Puissance et intensité. La retombée crescendo montre le bout de son nez. Ballade avec Rainbow of Love et tempo mi-rapide sur Dissipa A Ting Love permettent in fine de reprendre ses esprits. Un troisième album qui s’écoute en boucle avec une qualité musicale et un talent rares. – Philippe Prétet


Gaye Adegbalola

The Griot

Vizztone Label Group HTM 2420 – www.vizztone.com

The griot : Oui ! Gaye Adegbalola remplit parfaitement ce rôle là, surtout dans ce disque de dix-sept chansons dont les thèmes sont clairement annoncés. La leçon d’Histoire où elle dit en évoquant les tristes événements racistes de Charlottesville sur un rythme à la Bo Diddley que rien n’a changé… L’hypocrisie, les mutilations faites aux femmes, la pauvreté, la pollution, la frustration, la vieillesse, les maladies, l’espoir, le sexe, l’amour, la vanité, la liberté, la trahison sont autant de thèmes pour autant de chansons. La musique est fort belle avec un groupe à dominante acoustique mais avec piano, guitares électrique et acoustique, banjo, diverses percussions, cuivres discrets soulignant efficacement les vocaux sensibles et habités de Gaye. On ne peut vraiment apprécier ce disque qu’en en comprenant les paroles. Le livret est là pour ça : tous les textes y sont reproduits dont l’excellente définition du griot : « Le chanteur, le chercheur, le professeur, le gardien de l’histoire, le commentateur politique, mais aussi l’entertainer et celui qui fait entrer le présent dans la légende ». À vous de découvrir tout cela. Gaye est un poète, une forte personnalité, un griot quelque peu pessimiste. Mais comment pourrait-il en être autrement dans le monde dans lequel nous vivons ? – Marin Poumérol


Willie Buck

Willie Buck Way

Delmark Records DE 857 – www.delmark.com

Les amateurs de Chicago blues connaissent bien ce chanteur qui fit ses débuts discographiques en 1975 sur le label IRC avec l’excellente composition Disco Blues. Elle remporte alors un joli succès local, ce qui le motive à persévérer dans cette voie. Il continue alors à fréquenter les studios d’enregistrements et produit d’excellents 45 tours et un album, pour de petites compagnies comme Arrow Records et Bar-Bare Records. Après les CD « Cell Phone Man » et la réédition de son seul et unique 33 tours « The Life I Love », Delmark Records nous présente une nouvelle session intitulée « Willie Buck Way ». Le natif de la petite bourgade de Houston dans le Mississippi nous propose douze compositions originales ainsi que deux reprises appartenant au répertoire de son mentor Muddy Waters avec Please Have Mercy et How Deep is the Ocean, tandis que Blues Before Sunrise est un hommage à Leroy Carr. À ses côtés, nous retrouvons une solide équipe qui n’a plus rien à prouver, à savoir Billy Flynn à la guitare, Thaddeus Krolicki à la rythmique, Scott Dirks et Mervyn Hinds à l’harmonica, Johnny Iguano et Big Spider Beck au piano, Bob Stroger à la basse et Jimmi Mayes derrière les fûts. Ici, pas de mauvaise surprise, nous avons à faire à une robuste session de Chicago blues qui ralliera de nombreux suffrages. Il va de soi que l’ombre tutélaire du grand McKinley Morganfield (qu’il rencontra plusieurs fois grâce à l’entremise de son beau-frère), plane avec bienveillance sur l’ensemble du CD. Désormais, patriarche et dépositaire de l’âge d’or du « Windy city blues », celui qui partagea sa vie entre le métier de mécanicien et celui de bluesman dans les tavernes du South Side aux côtés des frères Myers, continue au fil des décennies à nous régaler. Du grand art. – Jean-Luc Vabres


The Ebony Hillbillies

5 Miles From Town

Jazz Promo Services – EH Music MB121122 – www.jazzpromoservices.com

Apparemment, ce groupe original et hors du temps formé de sept musiciens, est actif depuis des années. Après des débuts aux coins de rues de Manhattan et des passages en télévision (ABC’s « Good Morning America » , NBC et BBC), il a pu se produire au Carnegie Hall et au Lincoln Center de New York et graver quatre albums avec un programme de musique de string bands pour le XXIe siècle, mélangeant pop, country, bluegrass, blues, gospel, folk et jazz ! Cette démarche, qui peut paraitre anachronique, est en fait d’une modernité étonnante grâce à l’enthousiasme communicatif des musiciens et chanteurs des deux sexes et à leur maîtrise du répertoire dans leur cinquième album de douze faces (en fait 11 faces et 3 courts extraits : Zyx , Hands Up Don’t Shoot relatif aux policiers blancs à la gâchette facile face à des hommes noirs, et I’m On My Way To Brooklyn qui se conclut par trois coups de feu !) et grâce aussi à des emprunts de succès populaires et modernes qu’ils s’approprient avec talent (Wang Dang Doodle, I Can’t Make You Love Me…). Par contre le Fork In The Road de Smokey Robinson n’est pas un bon choix et détonne avec le reste de l’album. Le leader de cette séance – Henrique Prince – chanteur et violoniste, est présent et brillant partout, mais particulièrement dans Five Miles From Town, le titre éponyme, avec banjo, basse et percus, et aussi dans Hog Eyed Man et Carroll County Blues. L’humour est aussi au rendez-vous avec I’d Rather Be A (Nigga) Than A Po’ White Man, un instrumental qui fait regretter l’absence de paroles, sans oublier Where He Leads Me (I Will Follow), un spiritual au charme désuet. La chanteuse Gloria Thomas Gassaway et ses bones donnent une classe folle à une belle version folk de Wang Dang Doodle ; elle chante aussi un court mais vibrant Oh What A Time et une belle version intimiste et tout en douceur du I Can’t Make You Love Me de Bonnie Raitt, et elle dégage une énergie folle dans Another Man Done Gone, morceau bien enlevé et boosté par le support vocal de tous ses partenaires et une débauche de percussions. – Robert Sacré


Geno Delafose & French Rockin’ Boogie

Le Cowboy Creole

Times Square Records TSQ-CD-9063

Fils de John Delafose, maître es zydeco, Geno, chanteur et accordéoniste, est né en 1972 à Eunice en Louisiane. Il fait partie de cette jeune génération qui a initié une expression musicale moderne que l’on nomme « nouveau zydeco ». Sa musique est fortement enracinée dans la musique créole traditionnelle avec des influences de la musique cajun, mais aussi country et western. Faut-il se remémorer que la culture locale entre Floride et Texas a toujours été traversée par les divers courants et sonorités des musiques creole et cajun d’origine française, espagnole ou anglaise ? Avec cet album évocateur, « Le Cowboy Creole » labellisé 100% Louisiana Creole Zydeco, il a été nommé en 2007 pour un Grammy Award dans la catégorie « Meilleur album de musique cajun ou zydeco ». Geno Delafose, à l’âge de huit ans, a rejoint le groupe de son père, les Eunice Playboys, en tant que joueur de frottoir et a continué à jouer avec le groupe jusqu’à la mort de John en 1994. Initialement adepte des fûts, de l’accordéon diatonique et du piano accordéon cher à Clifton Chenier, il est passé progressivement à ce « nouveau zydeco » et ces nouvelles sonorités que l’on joue à la maison entre amis. En 1994, il fait ses débuts avec l’album « French Rockin ‘Boogie » sur Rounder Records. Le nom de cet album est également devenu le nom de son groupe avec lequel il joue aujourd’hui. Il a sorti deux autres albums sur le label, avant de signer avec le label Times Square Records pour la sortie de « Everybody’s Dancin ‘ » en 2003. Il a également participé à la compilation « Creole Bred » publié en 2004 par Vanguard Records. Geno Delafose vit à Duralde, près d’Eunice, en Louisiane, où il exploite son ranch Double D, y élève des bovins et des chevaux. Il organise également chaque année des fêtes avec ses fans au ranch. Geno explique qu’il adore jouer de l’accordéon à une ou plusieurs rangées comme sur l’accordéon traditionnel français. Sa musique est donc un véritable mix dansant qui régale les amateurs du genre. Connu dans le monde entier, il communique sa passion sur scène avec un large sourire. Geno Delafose est devenu l’une des icônes Zydeco les plus appréciées. C’est encore le cas avec cet album. Ici, il diversifie sa musique de manière réfléchie, en mélangeant dancehall Cajun, swamp pop, rock classique et country dans un « packet zydeco » parfaitement emballé pour satisfaire son public. L’apport de Scott Ardoin est productif comme sur When Will I Be Loved puisque les vocaux en arrière-plan s’enrichissent comme par magie. Delafose alterne des vers en anglais et en français, une formule novatrice bienvenue pour un classique du rock’n’roll américain. Deux nouvelles chansons, Somebody Show Me et Tout l’Jour et Tou l’Soir se démarquent. Même s’il est probable qu’il attire de nouveaux fans avec plusieurs reprises non-louisianaises (Domino et There’s No Getting Over Me), son ancrage dans la musique de Louisiane est toujours son fort. Le meilleur exemple est représenté par les trois titres mettant en vedette la violoniste de Balfa Toujours – Courtney Granger – lesquels rappellent l’époque où Créoles et Cajuns partageaient librement des airs. L’interprétation captivante de Bee de la Manche de Canray Fontenot, qui raconte l’histoire d’un protagoniste un peu loufoque qui raffole des moutons, est un excellent exemple du folklore créole et montre à quel point Delafose est étroitement lié à ses racines. Cela dit, Geno Delafose est aussi capable avec talent de mettre sa patte sur des titres emblématiques, à l’instar de The Back Door (la Porte en arrière dans le texte) de Doris Leon Menard. Un album exquis et rafraîchissant qui incite à voyager. – Philippe Prétet


Tommy Castro & The Painkillers

Killin’ It Live

Alligator Records ALCD 4989 – www.alligator.com

Même si d’aucuns sont plus faibles que d’autres, je n’ai encore jamais été déçu par un album de Castro et ce n’est pas avec celui-ci que cela va commencer. C’est pourtant le quinzième en trente ans de carrière, mais on y trouve toujours la même intensité vibrante, le chant passionné et expressif de Castro avec son timbre de voix chaud et original et son jeu de guitare dévastateur, incisif et irrésistible. Il faut dire qu’il est bien entouré par ses trois acolytes habituels (en 2012 que Castro s’est séparé de sa section cuivres et est passé à la formule quartet), rodés par des années de jeu en commun : Randy McDonald (basse), Bowen Brown (batterie) et Mike Emerson (claviers) ; leur complicité est exemplaire, quasiment télépathique, chacun connaissant l’autre et ce qu’il va jouer, le tout en harmonie totale. Toutes les faces ont été enregistrées en live en 2018 mais à des endroits différents et, bien sûr, l’effervescence et la complicité active du public boostent les musiciens qui donnent le maximum, avec une bonne humeur et une jubilation communicatives. Quatre faces composées par Castro (seul ou en collaboration) ont été gravées à la Daryl’s House, Pawling, N.Y., dont le bien enlevé Make It Back To Memphis qui ouvre le bal en fanfare et Lose Lose, un slow blues intense avec des parties de guitare qui arrachent ou encore un Shakin’ The Hard Times Loose sur une trame haletante de rock ‘n roll et She Wanted To Give It To Me roboratif et triomphant. Deux autres compos de Castro ont été gravées à la Belly Up Tavern, Solana Beach, CA. : Can’t Keep A Good Man Down en slow et Calling San Francisco, plus rapide. Mike Emerson (claviers) est omniprésent et particulièrement en vedette dans Leaving Trunk enregistré au Biscuits & Blues, San Francisco, CA. et Castro se fait plaisir avec Any Time Soon, une belle ballade en slow gravée au Wildwood Amphitheatre, Lake Orion, Mi. Avec un Two Hearts bien balancé, on a, en tout, huit compos de Castro que complètent deux reprises bien choisies : Leaving Trunk de Sleepy John Estes en slow avec Emerson à nouveau en grande forme et Them Changes de Buddy Miles enregistré au Antone’s, Austin, Tx (comme Two Hearts). – Robert Sacré


Jimmi Mayes

My Whole Life’s A Shuffle

Mississippi Delta Records

Fin 2013, nous découvrions l’autobiographie du batteur Jimmi Mayes. Il se racontait dans un intéressant livre intitulé « Sideman To The Stars » (University Press of Mississippi). Nous y croisions Little Walter, Jimmy Reed, Pinetop Perkins, Willie “Big Eye” Smith, Robert Lockwood Jr., Marvin Gaye, Joe Dee and the Starliters dont Jimmi Mayes fut le chef d’orchestre, Martha Reeves… Sa rencontre et son amitié avec Jimi Hendrix y tient une part importante ; Mayes joue de la batterie sur quatre albums de ce dernier. En 2012, le label autrichien Wolf Records avait publié un très moyen CD, « All My Best ». Le disque ici considéré a été enregistré en 2018 au B.B. King Recording Studio. Jimmi Mayes y pratique fort bien le shuffle, sa spécialité, malgré ses ennuis physiques. Il a composé les dix titres de ce bref album. Il s’est entouré d’une équipe très solide : les guitaristes Kern Pratt et le très sous-estimé Mickey Rodgers, le bassiste et claviériste Jimmy Lee Jr. et Alphonso Sanders (harmonica et saxophone). Malheureusement, tout ceci n’en fait pas un grand disque. Il faut en effet tenir compte de la voix monotone de Jimmi Mayes qui ne chante jamais vraiment. La plupart des titres sont mi-parlés mi-chantés, ce qui ne facilite pas l’écoute. Il a de plus une forte tendance à énumérer la liste des légendes qu’il a fréquentées en guise de paroles. Que ce que je viens d’écrire ne vous dissuade pas d’acheter ce disque, au demeurant, agréable à écouter. Surtout quand on sait que Jimmi Mayes connaît de graves difficultés financières après une intervention chirurgicale à la colonne vertébrale qui l’a empêché de travailler. En novembre 2018, il a sollicité l’aide de la magnifique Music Maker Relief Foundation. Acheter ce CD est ainsi un acte généreux. – Gilbert Guyonnet


Galactic

Already Ready Already

Tchoup-zilla Records 65411 / Modulor/ Differ-Ant

Se reposer sur ses lauriers est apparemment une expression inconnue dans le langage Galactic. On achète le mythique club du Tipitina, on en réactive la programmation à grand coup de funk sauvage et, dans le même temps, on sort un disque dont le moins qu’on puisse dire est qu’il réactive le genre. On avait laissé le groupe néo-orléanais mené par le batteur Stanton Moore sur les rives du disque précédent – « Into The Deep » – en 2015 dans lequel des invités prestigieux (Mavis Staple, Macy Gray, J.J. Grey…) tiraient du jeu de l’ensemble une épingle toute personnele. Ici, l’heure est à un neuf brutal à même de tracer de nouveaux itinéraires au travers des ruelles de La Nouvelle-Orléans. La Chanteuse « Nu NuSoul » Charm Taylor pourra passer en mode India Arie/Lauren Hill, Princess Shaw nous ramener au Does it Really Mark a Différence chanté par Mavis Staple sur le disque précédent ou Boyfriend « rapper fort » à l’instar d’un Juvénile sur From the Corner to the Block (2008), le groupe réussit encore une fois à se démarquer des références antérieures pour mieux se régénérer au contact des nouveaux artistes. On saura gré aux Galactic d’avoir glissé ici et là quelques instrumentaux charnus et d’avoir permis à la grande chanteuse Erica Fall de graver son premier morceau studio, elle qui accompagne le groupe dans tous ces concerts depuis plusieurs années. Son Touch Get Cut prouve – s’il en est besoin – que cette ancienne choriste d’Allen Toussaint et de Dr John, particulièrement remarquée sur une tournée périgourdine avec les Roomates et le Jimmy Carpenter All Stars, possède un phrasé dynamique qui colle à toute les géométries proposées par le groupe. – Stéphane Colin


Big Joe & The Dynaflows

Rockhouse Party

Severn Records CD 0074 – www.severnrecords.com

Batteur/chanteur, Big Joe Maher signe ici son quatrième album pour Severn Records. Il accompagne régulièrement son ami Anson Funderburgh en tournée et Delbert McClinton sur disque. Il est au chant dans six morceaux et il est bien entouré avec Kevin McKendree au piano et orgue, le jeune fils de ce dernier Yates McKendree, seize ans, renversant de maturité à la guitare, Tom “Mokie” Brill à la basse et au chant dans cinq faces, Robert Frahm à la basse et Erin Coburn – une autre guitariste prodige de seize ans elle aussi – stupéfiante d’efficacité dans I’m A Country Boy, la seule face où elle intervient (qui est une des meilleures de l’album). Maher a composé quatre des treize faces dont I’m a Country Boy et l’excellent instrumental Overdrive en médium, et c’est le jeune Yates McKendree qui a composé Sleepy Joe, l’autre instrumental ; il y affiche sa maestria à la guitare et donne à son père Kevin l’occasion de déployer son savoir-faire à l’orgue. Les autres faces sont des reprises dont Go On Fool de Dave Bartholomew qui tangue et roule comme un char du Mardi Gras à NOLA et un Tennessee Woman (F. Robinson) bien enlevé, avec de mémorables parties de guitare et de piano. Une mention encore à Vibrate, sur un rythme rapide de rock ‘n roll et Two Years Of Torture (Percy Mayfield), un beau slow blues. – Robert Sacré


Lucious Spiller

Live – Volume 2

Autoproduction disponible ici : blue.spiller.booking@gmail.com

À l’occasion de la parution de son précédent album « Born to Sing the Blues » (cf ABS 59), je pensais déjà le plus grand bien de ce bluesman quinquagénaire qui vit et sévit à Clarksdale (MS) et bien au-delà. À noter, pour les inconditionnels, que Lucious Spiller compte désormais trois galettes à son actif. Il est question ici du volume 2 enregistré en public à quelques encablures de son domicile, au fameux club Ground Zero. Les neuf morceaux du présent album sont des reprises et standards façonnés « made in Delta ». Autrement dit, ce sont des titres revisités dans l’ambiance du Sud profond, avec un jeu dynamique et à ras de terre, un grain dense et, derrière, un ampli qui crache un son limite saturé. Qu’il s’agisse d’une combinaison subtile de blues urbain et rural, de ballades remplies d’émotions ou d’un échantillon de classiques du blues « spillerized », tout le disque transpire l’ambiance fascinante et moite des juke joints enfumés. Son combo est composé de Cade Moore (basse) et de Lee Williams (drums), tous deux en phase avec leur leader. Toutes les faces sont bonifiées par les riffs et les improvisations de guitare féroces et inflexibles, la voix puissante teintée de gospel de Lucious et son énergie sans limites. On le sent très marqué par ses influences, notamment à l’écoute naguère de son oncle, le légendaire Magic Sam, mais aussi par Albert King, Larry “Texas Flood” Davis, Bo Diddley… Le résultat est à la hauteur du défi que s’est lancé Lucious Spiller. Une superbe interprétation de Cummins Prison Farm – titre emblématique de Calvin Leavy – ouvre le bal. Une basse métronomique transcende Killing Floor avec un groove envoûtant, tandis que le très down home Catfish Blues séduira les plus réticents. La voix gospélisante et chaude ainsi que la guitare de Lucious Spiller prennent tout leur relief sur le rutilant As The Years Go Passing By d’Eric Burdon. Et puis, le loup hurlant se rappelle à notre souvenir en filigrane sur Smokestack Lightning. Bien entendu, l’enregistrement live fait aussi la part belle à des classiques « déjà-vus » tels que Mustang Sally ou Proud Mary qui sont toutefois subtilement revisités. Clin d’œil appuyé au mythique Otis Redding sur le magistral Sitting on the Dock of the Bay avec un riff appuyé et des inflexions vocales originales. Un vrai bonheur. Pour finir, Little Wing est une reprise planante de Jimi Hendrix (guitare basse mixée en post production) qui devrait vous transporter ailleurs durablement ! Le blues de Lucious Spiller ne me quitte pas… – Philippe Prétet


Kyla Brox

Pain & Glory

Pigskin Records PIGCD06 – www.kylabrox.com

La fille à papa est de retour. Elle est l’une des cinq enfants du bluesman anglais Victor Brox, révélé à la fin des années 60 au sein de Aynsley Dunbar Retaliation, et venu s’installer dans le sud-ouest de la France il y a quelques lustres. Kyla séduit depuis deux décennies maintenant par sa voix incandescente et sa maîtrise technique. Après des escapades vers des sonorités plus électro, elle livre ici un album plus représentatif du blues électrique. Cette enfance et cette jeunesse dans le sillage d’un père musicien sont ici parfaitement racontés dans le puissant Bluesman’s Child, peut-être le titre phare d’un album, marqué aussi par le folk et la soul. Danny Blomeley – qui partage sa vie – tient ici basse et guitare acoustique, son frère Sam Brox assure les choeurs sur un titre. Sous forme de digipack avec jaquette en relief renfermant un livret qui se déplie en poster, l’objet est de plus joliment présenté. – Dominique Lagarde


The Kentucky Headhunters

Live at the Ramblin’ Man Fair

Alligator AL ALCD 4988 – www.alligator.com

Voici le deuxième album de ce groupe pour Alligator Records (premier album en 2015  : «Meet Me In Bluesland» (AL4965) avec en guest le pianiste Johnnie Johnson, ex-Chuck Berry et titulaire de plusieurs albums de blues sous nom). Les frères Young (Richard, guitare rythmique et chant ; Fred, drums et chant), Doug Phelps (basse) et le flamboyant Greg Martin (guitare, slide) ont gravé dix faces extraverties et ludiques, en live At The Ramblin’ Man Fair en Angleterre lors d’une tournée U.K./Suède. C’est très festif, très jubilatoire, très rock et très excitant avec un public enthousiaste et c’est communicatif ! Que dire de plus en exergue ? Que les reprises sont au top, surtout Big Boss Man de Jimmy Reed et une version pleine d’émotion du Don’t Let Me Down des Beatles… Par contre, Have You Ever Loved A Woman (illustré par Freddy King et beaucoup d’autres), est un peu plus faiblard (sur le plan vocal, au début du morceau seulement, mais totalement correct sur le plan instrumental) mais il y a aussi de quoi passer du bon temps avec leurs propres compositions comme Shufflin’ Back To Memphis, un blues lent bouillonnant d’énergie contenue mais débordante et comme Wishing Well en médium avec un Greg Martin très inspiré. Une mention aussi à Walkin’ With The Wolf, une parodie des aventures du Petit Chaperon Rouge en forêt avec le loup. Et, en sus, il y a une cerise sur le gâteau : de la séance en studio sortie en 2015 (mais gravée en 2003 avec le pianiste Johnnie Johnson et le bassiste Anthony Kenney), il restait trois faces inédites et superbes ; elles ont été ajoutées à cet opus avec un Johnny Johnson en grande forme, pour notre plus grand plaisir : une fascinante version de Rock Me Baby, en slow, le très enlevé Rock’n Roller et une version vitaminée du Hi-Heel Sneakers (de Tommy Tucker). – Robert Sacré


Kevin Burt

Heartland & Soul

Little Village Foundation LVF 1025

Le chanteur, guitariste et harmoniciste de l’Iowa Kevin Burt tenta sa chance au 34ème International Blues Challenge de Memphis fin janvier 2018. Comme les centaines de candidats venus du monde entier, il était plein d’illusions. Pour la majorité des musiciens en compétition, les ailes de l’espérance se brisèrent. Ce qui ne fut pas le cas de Kevin Burt, qui fut le premier artiste de l’histoire du concours à remporter trois premiers prix (Best Harmonica Player, Best Guitarist et Best Solo/Duo Performer). Sa voix puissante, chaude, débordant de Soul n’a pas séduit que les jurés de l’IBC ; les oreilles du producteur et joueur de claviers, Jim Pugh, et celle du producteur et guitariste Kid Andersen ont repéré l’immense talent de l’inconnu Kevin Burt. Little Village Foundation et le studio Greaseland de Kid Andersen ont donc uni leurs efforts pour produire un disque de ce nouvel artiste très talentueux. Kevin Burt est venu enregistrer à San Jose, Californie, ses propres compositions, à l’exception d’une originale et fraîche relecture d’Eleanor Rigby des Beatles. Il se révèle un excellent auteur-compositeur. Du funky groove mid-tempo qui ouvre le disque (Day Day) à la conclusion (Wake Up Baby) où il montre ses talents d’harmoniciste, nous découvrons la palette des qualités de ce nouveau venu : Thank You aux arômes de Booker T. and the MG’s, grâce au jeu d’Hammond B3 de Jim Pugh ; I Don’t Want To See You No More, blues en mineur avec un excellent solo de guitare acoustique de Kevin Burt ; Never où brille l’élégance du jeu de guitare de Kid Andersen ; Smack Dab In The Middle introduit dans un style downhome delta blues (harmonica et guitare slide) et se poursuivant avec l’orchestre en un groove envoûtant. Outre les musiciens déjà cités, ont participé à cette absolue réussite : le percussionniste Jon Otis (fils de Johnny !), Derrick D’Mar Martin (un spectaculaire batteur sur scène) et le bassiste de légende Jerry Demmott (Ray Charles, B.B. King, Chuck Berry, Aretha Franklin, Gil Scott Heron, …). Pour apprécier la partie de basse, le téléchargement mp3 est absolument interdit. L’acquisition de ce magnifique CD me paraît indispensable. Une véritable révélation. et un artiste à suivre. – Gilbert Guyonnet


Dana Gillespie
Meets Al Cook

Take It Off Slowly

Wolf CD 120.984 – www.wolfrec.com

La chanteuse anglaise Dana Gillespie a sillonné avec succès toutes les Blues Highways. Elle a démarré sa carrière au début des années 60 et, 65 albums plus tard, elle est toujours dans une forme éblouissante, avec une pêche d’enfer. Elle souhaitait enregistrer un album de vieux blues à double sens (old dirty and risqué blues) et cette idée a séduit Wolf Records et son ami Al Cook (guitare, piano), avec lequel elle a travaillé dès les années 80. Cook a battu le rappel de fidèles co-équipiers (Charlie Loyd, piano ; Harry Hudson, drums et washboard ; Karin Daym, basse ; Wayne Martin guitare rythmique) et voici le résultat : une réussite éclatante, le tout enregistré à la Al Cook’s Blues Kitchen à Vienne (Autriche). Elle a composé cinq des douze faces et a emprunté les autres à Lil Johnson, Big Bill Broonzy, Mercy Dee Walton et autres spécialistes du genre. Le genre érotique convient bien à cette spécialiste du blues traditionnel. Avec sa voix profonde, gouailleuse et nasale, elle donne du corps à ses interprétations. Elle a une bonne diction, le ton est canaille et il n’y aucune difficulté à la suivre dans le texte mais, cerise sur le gâteau, tous les textes sont fournis dans les notes de pochette, ce qui permet de les lire et relire à l’aise pour en saisir les nuances ; en effet, rien ici de pornographique au premier degré, tout est en finesse, allusions et sous-entendus grivois comme Just Put Your Hot Dog in My Bun dans le bien enlevé Press My Button, Ring My Bell, et c’est un exemple parmi beaucoup d’autres… Les faces lentes et rapides alternent agréablement, on passe de He’s Just My Size à Take It Off Slowly en slow avec Cook à la slide, comme dans I Want My Hands On It… FCK Blues est aussi à placer dans les moments festifs avec son tempo de boogie en medium (à une lettre près, tout le monde comprend ce qu’est FCK!). – Robert Sacré


The Good, The Bad and The Blues

Third Street Cigar Records – www.thirdstreetcigarsrecords.com

Cette dynamique formation après une sélection remarquée lors de la 31e édition de l’International Blues Challenge, a su rapidement trouver son public et se retrouve désormais régulièrement engagé à Chicago dans l’établissement House of Blues situé au coeur du loop. À sa tête, nous retrouvons le guitariste Aayan Naim, ce dernier a grandit dans le south side de Chicago, ses voisins immédiats étaient Sam Lay et Otis Clay, autant dire qu’il était à bonne école. Guitariste au jeu incisif, il est naturellement à son aise dans le Blues traditionnel, mais lorsqu’il aborde le rivage de la Soul et qu’il rend hommage à Tyrone Davis sur les classiques Can I Change My Mind et Turn Back the Hands of Time, il passe pour notre plus grand plaisir à la vitesse supérieure. Sur cette production de très bonne facture, nous retrouvons B.J. Love aux clavier, Gordon Henry à la basse et Hollywood Mike Darby à la batterie ; n’oublions pas également la participation efficace aux cuivres des Toledo Horns. Sur les treize compositions proposées, six sont co-signées par le maestro Johnny Rawls qui fait même une apparition remarquée sur le morceau Ain’t Nothing Like the Blues où, aux côtés du leader du groupe, l’ancien directeur musical de l’orchestre d’O.V. Wright s’en donne visiblement à cœur joie. Pour un premier album, il est totalement réussi et abouti ; le label Third Street Cigar installé à Waterville dans l’Ohio a vu juste en signant ce groupe au talent indéniable. – Jean-Luc Vabres


Luke Winslow-King

Blue Mesa

Bloodshot Records BS 262 – www.bloodshotrecords.com

Dressons la table autour de Luke Winslow-King pour ce nouvel album enregistré en Italie. Comme il nous y a habitués lors de ces sorties précédentes, cet auteur-compositeur – interprète – guitariste de talent ne s’enferme dans aucun style convenu. Il navigue du rock extraverti – où son jeu et nerveux ciselé à la six cordes rappelle Mike Bloomfield ou Danny Kalb – au folk blues intimiste dans lequel sa voix s’apparente étrangement à Misissippi John Hurt. De ses voyages, rencontres et expériences musicales à travers les States, il ramène des images, des textes et des sons qui le classent très haut, au rang des interprètes de ce style que l’on définit comme Americana. – Dominique Lagarde


Lil’ Red & The Rooster

Soul Burnin’

Lil’ Red Records LLR03P

Voici le deuxième disque de la chanteuse américaine Jennifer “Lil’ Red” Milligan associée au guitariste français Pascal “The Rooster” Fouquet. Originaire de l’Ohio, Jennifer rencontre Pascal au caveau de la Huchette à Paris. Ce dernier a créé en 1998 les Hoodoomen qui est l’un des groupes phare du blues en France à l’époque, puis il sera le guitariste de divers groupes jusqu’ à sa rencontre avec Jennifer en 2010. Après la création de diverses formations, le duo devient, en 2013, Lil’ Red & The Rooster et enregistre l’année suivante son premier disque, « Out Of The Coop » qui recueille de très bonnes critiques. Ils se produisent alors sur de multiples scènes et remportent divers challenges internationaux. Pour ce deuxième disque, on retrouve Abdell B. Bop Bouyousfi à la basse, Denis Agenet à la batterie, et Jennifer et Pascal ont fait appel à Ricky Nye aux claviers, Dave Specter à la guitare et, pour les chœurs, Shaun Booker, Caroline Rau et Jeff Morrow. Ils ont composé les douze titres du CD qui a été enregistré à Chicago, au JoyRide Studio. Comme dans leur premier enregistrement, on est encore sous le charme de la voix de Lil’ Red et du talent de Pascal Fouquet à la guitare. D’ailleurs, pour apprécier pleinement ce guitariste, il faut écouter attentivement Coq A Doodlin’ et Big Boy Boogie qui sont les deux instrumentaux du disque. Voici donc pour ces deux artistes un superbe album qui devrait recueillir auprès des médias et du public le succès qu’il mérite. – Robert Moutet


Barbara Blue

Fish In Dirty H2O

Big Blue Records 11-BBR-018

Révélée au public européen en 2017 lors du Porretta Soul Festival, Barbara Blue (aka “The Queen of Beale Street”, Memphis), nous présente son neuvième album. Celle qui fut produite par Willie Mitchell s’est entourée d’une sorte de « who’s who » des musicien de la scène locale. Nous trouvons donc au sein d’une liste non exhaustive Lester Snell, Will McFarlane, Michael Toles, Lonnie McMillan ainsi que les choristes de Sweet Nectar (Maureen Smith, Lynette McCracklin), sans oublier la présence du batteur Bernard “Pretty” Purdie que l’on ne présente plus. Il devient alors paradoxal que ce CD ait une couleur « blues classique » s ‘éloignant du son légendaire de Memphis. Le titre d’ouverture, My Heart, est la véritable profession de foi d’une chanteuse à la voix âpre et rugueuse (à la manière d’Etta James) qui, à l’occasion de huit compositions (sur treize titres) laisse libre cours à son inspiration. Le morceau titre de l’album est emprunté à Koko Taylor et revisité avec l’apport du rappeur de Memphis Al Kapone (Three6Mafia). Les riffs acérés et incisifs du guitariste Scott Sharrad (ex Greg Allman Band) sur Accidental Theft rivalisent avec ceux de Michael Toles (sur Dr Jesus) et Will McFarlane (sur le funky Gravy Train). Cet album, qui démarre avec une véritable déclaration d’amour au Blues, se termine tout naturellement par un hommage à l’un de ses pionniers avec la reprise de Come On In My Kitchen de Robert Johnson. – Jean-Claude Morlot


Alex Haynes & The Fever

Howl

Appaloosa Records AP 213-2 – www.appaloosarecords.it

Attaquant dare dare sur un rythme à la Bo Diddley avec le bien nommé Nervous, ce disque du chanteur guitariste percussionniste et auteur-compositeur britannique Alex Haynes (enregistré à Londres et publié sur le label italien Appaloosa Records) est totalement inclassable, mais a ce « quelque chose » qui le fait entrer dans notre sélection des meilleurs albums du moment. Son de guitare bien crade dans le très rock I’m Your Man, slide pleurant littéralement dans le morceau titre qui n’est pas sans évoquer l’univers de Dr John, voix franchement en place et rythme hypnotique dans Bad Honey, ce ne sont que quelques exemples d’un album très original dont Alex Haynes signe l’ensemble des dix titres. Il se risque même, avec une certaine aisance dans Solid Sender, à un  slow qui pourrait paraître un tantinet suranné, mais qui passe très bien. Groupe bien en place autour du leader, un certain Andy J. Forest à l’harmonica (parfait sur le très swinguant For Time To Time), percussions en fil rouge. La musique d’Alex Haynes, véritable mix de British blues ancré dans les années 60, de R&B et de rock, fait rêver, bouger, voire les deux en même temps. – Marcel Bénédit


Tedeschi Trucks Band

Signs

Fantasy Records / Cincord usic Group (Universal)

Il y a dans ce Tedeschi Trucks Band un mélange de fraîcheur et de nostalgie, un sentiment d’innocence teinté d’allusions à un passé de référence qui ne manque pas d’interpeller l’auditeur. Bien loin d’un revivalisme de circonstance, déclinant une nostalgie désincarnée, le groupe se pose et se construit comme un ensemble vivant, habité, donnant sans cesse. Le présent enregistrement ne déroge pas à la règle. En joignant leurs forces, les deux leaders – mari et femme à la ville – détricotent des carrières antérieures personnelles pour mieux se rejoindre. Une synergie de chaque instant qui fait tout autant écouter la voix de Susan à l’aune de la slide de Dereck que l’inverse. Un balancement symbiotique possible par la grâce d’un orchestre à l’unisson qui paraît faire corps avec ses leaders. On pensera bien sûr aux Allman Brothers dont Dereck fut membre à part entière, reprenant là le flambeau de « guitare glissée » de Duane Allman, mais aussi à cette intense et brève collaboration entre Joe Cocker et Leon Russell qui donna, il y a près de 50 ans, l’enregistrement de légende Mad Dogs and Englishmen. Titre étendard de l’album, Hard Case en est le symbole le plus prégnant. Le son de la guitare de Trucks semble inimitable, reconnaissable des la première note. La voix de Susan n’a peut être jamais été aussi bien mise en valeur, ramenant à son disque solo de référence « Hope and Désire » (2005). Un album de grâce dans lequel le travail vocal de Mike Mattison et son influence sur de nombreuses compositions est à souligner. – Stéphane Colin


Franck L. Goldwasser

Bigger Than a Millionaire

No Deal Records SCD-1283 – www.francklgoldwasser.com

Nouvel album de Franck L. Goldwasser, plus connu de ce côté-ci de l’Atlantique sous le pseudo de “Paris Slim”. Cette galette a été enregistrée au Ralph’s Garage à Ventura (CA) en duo avec Ralph Carter (orgue, basse et percussions). Treize titres dont neuf originaux écrits de la plume de cet auteur-compositeur parisien né en 1960 et installé en Californie depuis plus de trente ans. L’album est dédicacé à son ami le regretté Troyce Key avec lequel il a sévit dans la Bay Area naguère. Ambiance électro-acoustique d’emblée avec One Room Country Shack, un titre de Mercy Dee Walton qui suinte les senteurs du Sud rural. Suit une version endiablée de Southern Country Boy avec en filigrane l’orgue aérien de Ralph Carter. Bobby and Lowell, Frankie Lee, Buddy Ace et Charles Hough tout comme My Biggest Thrill narrent les aventures (et le vécu) avec les artistes dont on devine la filiation et l’influence dans cet album hommage, lequel flirte souvent avec la nostalgie qui habite Paris Slim. L’album est intimiste, c’est ce qui fait tout son charme et son originalité. Think de Jimmy McCracklin invite à un parcours initiatique déroutant en guitare slide ; technique hors pair et voix rauque, exercice délicat du solo est fichtrement bien réussi. Le tout, dans la veine d’un Salamander Hop, instrumental bondissant qui évoque un certain John Lee Hooker. Harp-A-Sutra est le titre emblématique de cet album qui s’avère un subtil mix entre tradition du Blues rural et du blues moderne de la West Coast : harmonica minimaliste, basse métronomique et percussions en arrière-plan. Black Nights de Lowell Fulson est joué en acoustique ave un léger staccato. La profondeur et l’hypersensibilité de Paris Slim éclaboussent alors la scène musicale. Guitare saturée, sustain omniprésent et grain bien crade de l’ampli caractérisent une version down home à souhait de You Made A Wrong Choice. L’instrumental jazzy et léger Zaza’s Pyjamas avec un duo guitare et contre-basse clot l’album de la meilleure façon. On en redemande ! – Philippe Prétet


Ina Forsman

Been Meaning To Tell You

Ruf Records Ruf 1262 – www.ruf.com

Originaire d’Helsinki en Finlande, Ina Forsman s’est découvert une passion pour le chant en écoutant d’abord Christina Aguilera, puis Sam Cooke et Aretha Franklin. Dès l’âge de quinze ans, elle fait une tournée de deux ans avec Helge Tallqvist, un harmoniciste de Blues finlandais. En 2014, elle participe à l’European Blues Challenge et fait une tournée avec le musicien de Blues belge Guy Verlinde. En 2016, elle signe chez Ruf Records et fait la tournée mondiale de Blues Caravan avec deux autres chanteuses, dont l’avenir est prometteur, Layla Zoe et Tasha Taylor. Elle enregistre de suite son premier disque aux États-Unis avec neuf titres de sa composition, le dernier étant une reprise de Nina Simone. À 24 ans, elle nous propose « Been Meaning To Tell You », son deuxième CD enregistré – comme le premier – à Austin, Texas. Elle a écrit les paroles et co- écrit la musique des douze chansons. Elle bénéficie à nouveau des Texas Horn de Mark Kazanoff et de la remarquable guitariste Laura Chavez qui a passé des années sur la route avec Candye Kane. En découvrant ce deuxième disque, on reste à nouveau admiratif de la voix exceptionnelle d’Ina. Elle exprime ses émotions dans des accents soul et blues, mais aussi avec des détours par le Jazz. Comme d’ habitude, Thomas Ruf nous propose un superbe album et, après son écoute, beaucoup d’entre vous souhaiteront voir en live cette talentueuse et très jolie artiste. – Robert Moutet


Marco Marchi and The Mojo Workers

Stand Up

No label – No number – www.marcomarchi.ch

Marco Marchi et ses Mojo Workers viennent de Suisse, pays qui a même une « ambassade » à Clarksdale : le Bluesberry Cafe, Yazoo Av., en est le siège ! Cet orchestre électro-acoustique joue une musique pleine de joie et de vie qui mêle intelligemment le country blues (Love In Vain de Robert Johnson), le jazz des années 20 et 30 (Fats Waller), les fanfares de La Nouvelle-Orléans (utilisation d’un sousaphone), le rock (Country Joe McDonald et Honky Tonk Woman des Rolling Stones) et les excellentes compositions du leader Marco Marchi. Ce dernier chante fort bien. Il excelle guitare en mains aussi bien en fingerpicking qu’en slide. Il est soutenu par un remarquable harmoniciste, Marco Pandolfi. L’écoute de ce disque réussi nous donne envie d’aller écouter ce quartet en concert. – Gilbert Guyonnet


James Booker

At Onkel Pö’s Carnegie Hall, Hamburg 1976

Jazzline 77061

Autant vous le dire tout de suite, j’ai beaucoup aimé cet album. Quel pianiste ! Il avait le secret de ces morceaux en tempo lent, emplis d’une mélancolie désabusée, semblant exprimer un sentiment qui n’est pas vraiment la tristesse. La musique de ceux qui sont revenus de tout, sereins dans leur vie pourrie. Il y a alors chez lui quelque chose d’un Jimmy Yancey dans l’esprit plus que dans la lettre. Le jeu de James Booker est d’une rare plénitude, véritablement orchestral. Par moments c’est un vrai big band qu’il évoque. Et tout cela avec une souplesse et une légèreté qu’on ne retrouve pas si souvent. Sa technique – acquise dans ses jeunes années au travers d’une formation classique – lui ouvre bien des horizons. Il affectionne les introductions inattendues. Un peu comme Errol Garner dans le domaine du jazz. Ses intros sont souvent l’occasion de réveiller quelques échos du grand piano romantique. Un langage qu’on ne peut apprendre en autodidacte dans l’arrière salle d’un bordel néo-orléanais… Les thèmes les plus ressassés trouvent une nouvelle vie sous ses mains. Écoutez donc sa version de Ain’t Nobody’s Business. Bien qu’il soit vraiment étincelant, le jeu du pianiste n’écrase pas la voix du chanteur. Puisque j’évoque les vocaux de Booker, il faut admettre que sa voix n’est pas de celles qui séduisent d’emblée. Son côté parfois un peu nasillard peut rebuter certains, mais écoutez et réécoutez le, vous verrez que vous découvrirez un charme réel dans ses vocaux. James Booker est un authentique maître du swing. Il est comme un poisson dans l’eau aussi bien sur les rythmes chaloupés irrésistibles de La Nouvelle-Orléans que dans les ballades, comme le Please Send me Someone to Love du grand Percy Mayfield. Son All by Myself est un régal. Je ne veux pas oublier Keep On Gwine et son balancement irrésistible… Quelle tristesse de penser à la fin de parcours d’un artiste de cette trempe. Et comment ne pas songer aux superbes albums qu’il aurait pu nous donner. Il a joué avec et tous les grands de la scène néo-orléanaise, il a suscité leur admiration unanime. Tous, lorsqu’ils évoquent James Booker, parlent d’un envol brisé et de la perte d’un génie de la musique africaine-américaine. En conclusion, je ferai mien le jugement de David Kunian dans le magazine de La Nouvelle-Orléans Offbeat Magazine, en novembre 2013 : « He invented an entirely new way of playing blues and roots-based music on the piano, and it was mind-blowingly brilliant and beautiful. » Ne vous privez pas de 1 h 12 minutes de bonheur. L’enregistrement live vous permettra une sensation de proximité convenant parfaitement à l’art de James Booker. – André Fanelli


The Roberta Martin Singers

The Roberta Martin Singers 1947-1962

Frémeaux et Associés FA 5737 – www.fremeaux.com

Dans l’histoire du Black Gospel d’après la 2è Guerre Mondiale, Roberta Martin fait figure d’icone incontournable. Pianiste, chanteuse, compositrice, pédagogue (école de musique), leader, chef de chorale, femme d’affaires (dans les éditions musicales), elle excellait dans toutes ces fonctions et son legs musical est inégalé. Or, curieusement, aucun programme de réédition ne s’était occupé d’elle et de ses groupes à ce jour. Il a fallu attendre 2019 pour que cette lacune soit comblée, grâce à la déterminations sans faille de Jean Buzelin, à l’aide du grand spécialiste Robert Marovich (qui a contribué avec deux faces que personne n’avait jamais entendues) et à l’empathie de la compagnie Frémeaux et Associés. Un coffret de trois albums et un livret de 28 pages dense et bien documenté sont là pour répondre à une longue attente. Chaque album couvre une période bien déterminée. Pour le CD1, c’est 1947 à 1952, avec les quatre premiers enregistrements pour Fidelity et Religious Recording et quatre autres pour Martins Studio (dont deux fournis par R. Marovish), une compagnie éphémère fondée par Martin elle-même, le tout gravé à Chicago. Les seize autres faces ont été enregistrées à New York dans les studios Apollo. Bien sûr, la carrière de Roberta Martin avait commencé bien avant 1947. Née à Helena (Arkansas) en 1907, Roberta Evelyn Winston avait appris le piano dès l’âge de six ans. Elle avait continué à Chicago où ses parents s’étaient installés en 1919 après un court passage à Cairo (Illinois). Un de ses professeurs de la Northern University l’incita à embrasser une carrière de concertiste mais, à quinze ans, Roberta a déjà compris que c’était une voie périlleuse voire inaccessible pour une Africaine-Américaine, et sa rencontre avec Thomas A. Dorsey (le “Père” de la musique Gospel) fut décisive. Elle accepta la direction d’une chorale de jeunes à la Pilgrim Baptist Church en 1932 et y rencontra une partie de ses futurs chanteurs comme Eugene Smith (douze ans), Robert Anderson (quatorze ans), Willie Webb (quatorze ans), Norsalus McKissick (dix ans), etc. Les Roberta Martin Singers furent fondés en 1935 et leur succès alla en grandissant jusqu’aux premier enregistrements, puis ce fut la gloire. Entre temps, en 1939, Roberta Martin avait fondé sa propre maison d’édition musicale, le Roberta Martin Studio of Music et une première chanteuse, Bessie Folk, était venue rejoindre les chanteurs, suivie peu après par Delois Barrett, une soprano extraordinaire de dix-sept ans ; c’était le premier groupe mixte de l’histoire du Gospel. Pendant la période Apollo, d’autres chanteuses se joindront au groupe, comme Lucy Smith-Collier, Myrtle Scott et Myrtle Jackcon. C’est tout ce beau monde qui dynamise ce premier CD avec Roberta Martin elle-même (He Knows How Much You Can Bear, What A Friend We Have In Jesus), Delois Barrett (Yield Not To Temptation, Oh Say So), Eugene Smith (Satisifed, I’m Sealed, Oh Lord Stand By Me,…), N. McKissick (Precious Memories, The Old Ship Of Zion), Bessie Folk (Only A Look, Tell Jesus All), etc. En ce qui concerne le CD2 (1953-1958), les douze premières faces sont toujours de la période Apollo avec les mêmes exploits vocaux que ceux décrits ci-avant et les treize suivantes marquent les débuts de la période Savoy Records avec enregistrements à New York et l’arrivée de nouvelles chanteuses et des départs : Gloria Griffin apporte son talent au groupe (Nobody Knows avec Lucy Smith à l’orgue, Certainly Lord, God Specializes), tandis que Delois Barrett continue à enchanter ses auditeurs (Teach Me Lord avec Lucy Smith à l’orgue, Have You Found A Friend, Come Into My Heart, He’ll Make You Happy, Back To The Fold), de même que Roberta (I’m Gonna Praise His Name, Sinner Man Where You Gonna Run To ?, Ride On King Jesus), Eugene Smith (Walk In Jerusalem avec Lucy Smith à l’orgue, Marchuing To Zion, Shine Heavenly Light), McKissick (He’s Using Me en duo avec Eugene Smith, Since I Met Jesus), Lucy Smith à l’orgue (Every Now And Then), etc. Enfin le CD3 (1959-1962) puise lui aussi dans le catalogue Savoy avec les mêmes chanteurs/chanteuses et avec le même plaisir d’écoute, un plaisir sans cesse relancé de plage en plage. Un must ! – Robert Sacré


Gulf Coast Girls

Swamp Pop Revisited 1958-1962

Jasmine Records JASCD 1000 – www.jasminerecords.co.uk

Le critique musical anglais Bill Millar a baptisé “Swamp Pop” une musique très populaire en Louisiane et au Texas à la fin des années 50 et début 60. Cette musique est un mélange de Rhythm & Blues néo-orléanais, de Cajun et de Country & Western. L’influence de Fats Domino domine. La chanson emblématique de ce style est Sea Of Love, immense tube créé par Phil Phillips. Les nombreux petits labels indépendants du Sud ont alors essayé de décrocher un hit Swamp Pop. Ce CD nous permet de déguster trente chansons interprétées par des chanteuses plus ou moins célèbres. Irma Thomas, la “Soul Queen of New Orleans”, est présente avec trois titres Minit, fruits de sa collaboration avec Allen Toussaint ; Cry Me est une excellente chanson. Recommandée à Don Robey par le guitariste Johnny Copeland, Lavelle White “Miss Lavell” a enregistré pour Duke. Les cinq faces choisies sont très réussies. À bientôt 90 ans, Lavelle White se produit toujours à Austin, Texas. Katie Webster délivre les deux titres les plus blues du disque en duo avec Ashton Conroy (disque KRY 100) et une impeccable version de Sea Of Love, que Margo White and the Cupcakes interprète note pour note (Down By The Sea). Il était inévitable de trouver la toujours active Barbara Lynn. Second Fiddle Girl (Jamie 1233) est superbe. Il y a malheureusement peu de chances de la voir en Europe, terrorisée qu’elle est par l’idée de prendre l’avion ! Que la version de The Great Pretender par Carol Fran est belle ! Barbara George est une découverte de Jessie Hill. Jasmine a choisi en particulier l’excellent Love (Is Just A Chance You Take) gravé pour AFO (All For One, label créé par Harold Batiste). C’est Eddie Bo qui arrangea la ballade blues I’m Through Crying (Ron 336) interprétée par Martha Carter qui connut un succès à La Nouvelle-Orléans avec ce titre. Complètent ce voyage : la texane Big Martha avec le remarquable Rhythm & Blues You Don’t Love Me Like You Used To Do (Esprit 2100) et Berna -Dean, protégée du maintenant centenaire Dave Bartholomew avec qui elle enregistra aux studios de Cosimo Matassa. Ainsi, ce disque nous offre-t-il une belle promenade historique dans le Sud profond. – Gilbert Guyonnet


The Staple Singers

The First Family of Gospel 1953-1961

Jasmine Records JASCD 3119 – www.jasminerecords.co.uk

La famille Staples débuta sa fantastique carrière en septembre 1953 sur le label United de Chicago. On trouve ici leur premier 78 tours Won’t You Sit Down (United 165) . Ils gravèrent d’autres titres qui ne furent pas publiés à ce moment là avant de signer chez VJ fin 1955, et c’est là qu’ils se firent une renommée justifiée. Ce CD réédite leurs 12 premiers singles faces A et B pour VJ et c’est une page importante de la grande musique afro-américaine. Roebuck Staple, sa guitare et sa voix imprégnées de blues du Delta, ses filles Mavis, Cleotha et Yvonne, son fils Pervis forment un groupe unique, d’une force incomparable. Leurs Faces VJ sont toutes de très haut niveau : Uncloudy DayLet me RideThis May Be The Last Time, So Soon, Too Close : autant de classiques ! Ils signèrent par la suite chez Riverside puis Epic avec le même succès, mais ce n’est qu’en passant chez Stax en 1968 qu’ils allaient atteindre une renommée mondiale. Leurs faces VJ ont très bien vieilli et méritent de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Elles ont souvent été rééditées, mais si vous ne les avez pas, cet achat est prioritaire : la voix de Mavis était aussi émouvante qu’elle l’est aujourd’hui ! – Marin Poumérol


Various Artists

Holy Smoke
Don’t Let Love Fool You

Koko Mojo KM-CD 12 – www.koko-mojo.com

La remarquable série en cours (cf ABS 60 et 61), concoctée par Little Victor (a.k.a. DJ “Mojo” Man), présente ici de véritables pépites à la frontière des styles Blues, Rhythm’n’blues, Boogie, Doo-wop et Rockabilly. Qu’ils soient connus ou obscurs, enregistrés chez des labels locaux ou chez les majors, les morceaux qui figurent dans cette collection font immédiatement mouche. Parmi d’autres titres de valeur égale, citons Want To Jump With You de Baby Clifford King (Apache 1788), boogie endiablé qui entame de la meilleure manière cet opus. Tony Allan interprète une version dansante qui décoiffe de Holy Smoke Baby (Aladin 3403). Le label Excello n’est pas en reste avec un titre bondissant Don’t You Want A Man Like Me de Jay Nelson. Rufus Gordon est toujours à son aise sur Long Tall Sally (Gateway 1167). Nat The Cool Cat est une bonne surprise aux accents R’n’B sur Coe By Here (Talos T-5000). Juke Boy Barner (aka Juke Boy Bonner) the « one man band » est irrésistible sur le légendaire Rock With Me Baby (Irma 45-111) enregistré en 1957 à Oakland en compagnie du brillantissime guitariste Lafayette Thomas notamment. You Know I Love You interprété par… son auteur Elmar Parker (Music Clef 306) va vous faire pousser les meubles du salon et inviter les voisin(e)s ! Leo Price & Band met le feu sur Hey Now Baby (Hull 45-H-739). Sonny Boy Williams imprime une cadence roots d’enfer avec un sax bluffant sur Alice Mae Blues (Duplex 9005). Avec un swing qui incite au déhanchement, Lenny Johnson régale sur une version épatante de Walk Ginny Walk (Bethlehem 3000). Enchaine sur le même tempo en solo de guitare étincelant Eddie More avec Touch of Your Love (Revival 634). Modest “Show Stopper” Clifton, pétri de talent, brûle les planches sur Pretty Little Baby (Squalor) au piano aérien et à la basse métronomique et interprète un titre « made in West Coast » à tempo rapide. Bref, voici une sélection façonnée par un véritable connaisseur qui devrait faire sortir votre platine de sa torpeur hivernale. – Philippe Prétet


Various Artists

Please Be My
Voo Doo Lou

Koko Mojo KM-CD 13 – www.koko-mojo.com

On ne change pas un concept qui marche : mettre en lumière (grâce à un travail colossal d’archives et de remastering) des musiciens obscurs et/ou peu distribués à leurs grands débuts, et ce, pour le plus grand bonheur des amateurs du genre. La trame est désormais bien connue : vingt-huit titres pour chaque album égrénant les courants musicaux qui traversent les États-Unis des années 50-70. Chacun(e) pourra donc piocher à sa guise dans les bacs et s’attarder sur les styles et rythmes de son choix. En guise de hors-d’œuvre, le blues down-home du Sud au son rugueux imprègne cette version torride et à ras de terre de It’s Hot interprétée par le duo Gene et Billy (Spark 120) tandis que Chuck Higgins est parfait sur Blacksmith Blues (JBJ 1040). Lonesome Sundown interprète une version de Gonna Stick To You Baby aux accents swamp blues matinés de phrases rock’n’roll (Excello 2163). Le brillant Willie Egans régale sur Rock And Roll Fever (Dash 55001). H. Bomb Ferguson, à la voix rocailleuse, entraine dans son sillage un band soudé sur No Sackie Sack (Big Bang 103). Suit une excellente version de I Hate, But I Like Popcorn (Four Winds F-1008) par Big Bill Schaeffer. Big Moose – en l’occurrence “Big Moose” Walker – signe avec Puppy Howl Blues (The Blues 301) enregistré en 1967 un titre hors sol avec une guitare en fusion. Un album qui s’inscrit dans le droit fil de la série en cours. – Philippe Prétet


Various Artists

Wild Life
And All About Love

Koko Mojo KM-CD 14 – www.koko-mojo.com

À la lueur des deux précédents albums remarquables chroniqués dans ce numéro 64 citons dans cet opus, parmi d’autres, Chuck Cole qui sonne brillamment R’n’B avec My Bonny (Big Star). Rudy Green est au diapason sur le sulfureux Wild Life (Ember 1012). Le Louisianais Jesse Allen est stratosphérique sur Love My Baby (Duplex 9003). Jimmie Newsome impressionne par la qualité de l’orchestration et de l’interprétation sur I’m Afraid I Love You (MGM K55005). Redd Foxx devrait vous transporter ailleurs sur Real Pretty Mama (Dootone 416). Baby Baby Baby de Pete Willis (R.F.H. 001) s’écoute en boucle. Et puis Vernon Anders interprète de main de maître une version enlevée de All Messed Up (Money 221) que les inconditionnels reconnaîtront aux premières mesures. Harold Burrage, qui a baigné au début des années 50 dans l’ambiance R’n’B naissante, est ici intemporel dans une version de She Knocks Me Out (Cobra 5022). Procurez-vous d’urgence (si ce n’est déjà fait) ses titres emblématiques enregistrés chez Cobra. My King Of Love de Screamin’ Jay Hawkins (Providence 411) est tout simplement magique. Andre Williams avec Don’t Touch (Fortune 839X) donne le frisson ; séquence émotion garantie. Le mythique Louis Armstrong est, comme à l’accoutumée, en osmose avec son band grandissime sur Talking About You Young (Tulane 104). Big Charles Green avec You Excite Me Baby (Hitt 180) donne un aperçu de son talent, en fervent adepte d’un rockabilly rutilant. Dans la foulée, Doc Starkes accroche les cœurs avec Love Me Like Crazy (Linda 109). Et puis, Hear Me Now (King 5403) interprété par Billy Lamont est indémodable. Cet album est à inscrire dans le marbre. – Philippe Prétet


Julia Lee

The Very Best Of
My Man Stands out and Other Innuendos

Jasmine Records JASCD 3108 – www.jasminerecords.co.uk

Les Français ont toujours eu le défaut de fabriquer leur propre Amérique plutôt que de s’en tenir à celle qui existe sans eux. En matière de littérature, le public français sacre quelquefois des auteurs qu’il estampille « grands écrivains américains » alors que leur notoriété aux USA est des plus minces. Il en va de même en ce qui concerne la musique. Ainsi, toute une floppée de chanteuses n’a pas été repérée par les radars hexagonaux alors qu’elles ont connu un grand succès et, parfois, engrangé hits sur hits. Trop Rhythm and Blues pour les amateurs de jazz, trop jazzy pour les amoureux du Blues… Julia Lee fait partie de ces artistes bien mal connues chez nous en dépit de carrières enviables. Des boîtes miteuses de Kansas City aux fastes de La Maison Blanche, Julia a vécu un parcours digne de notre attention. Elle a plusieurs fois et durant de nombreuses semaines occupé la première place au hit-parade. Nul doute que son décès inattendu – à moins de 60 ans en 1958 – l’a privée d’une « seconde carrière » dans les festivals naissants. Elle a bénéficié d’accompagnateurs de qualité parfois du calibre de Benny Carter ou Vic Dickinson qui ont contribué à la qualité de ses productions. La sélection ici opérée par Jasmine est parfaite : on y retrouve toutes les chansons qui ont jalonné le chemin de Julia Lee et, bien sûr, les super hits tels que King Size Papa, Snatch and Grab It et autres. Il faut noter que Julia Lee a développé un répertoire où les paroles des chansons étaient très importantes ; elles abondent en double sens, en double entendre, typique de la demande du public noir. Quelquefois, on était plutôt dans l’explicite… I Didn’t Like It the First Time est un savoureux exemple de cette facette du talent de Julia. Un morceau digne de Butterbeans and Suzy ou de Bo Carter ! Elle disait elle-même que son répertoire était constitué « des chansons que sa mère ne lui avait pas apprises ». Fort heureusement, de nombreux sites internet permettront à ceux qui sont peu familiers de l’anglais de découvrir les paroles égrillardes qui enchantaient le public des grandes métropoles au lendemain de la guerre. J’ai personnellement aimé Snatch and Grab It et My Sin pour leur parfum « Kansas City Jazz », mais il y a bien d’autres pépites. N’oublions pas que Julia était aussi une excellente pianiste rompue à toutes les astuces du bogie. Comme d’habitude, Jasmine nous fournit un livret précis. Je sens que ce CD va tourner en boucle chez nombre d’entre nous… – André Fanelli


Bullmoose Jackson
and His Buffalo Bearcats

Greatest Hits 1945-1955

Records JASCD 3110 – www.jasminerecords.co.uk

Benjamin Clarence Jackson, né en 1919 à Cleveland et surnommé “Bull Moose” à cause de son physique ingrat et de sa ressemblance à un personnage de bande dessinée, fit partie de l’orchestre de Lucky Millinder dès 1943. Saxophoniste émérite, il se mit au chant et obtint rapidement de gros succès dans les charts grace à sa voix mélodieuse et son punch irréductible. Émule du grand Louis Jordan dont il adopte l’humour dévastateur et le swing irrésistible, il est aussi à l’aise dans les jump tunes que dans les ballades bien ficelées : I Love You Yes I Do devient numéro un des R’n’B charts en 1947, se vendra à plus d’un million d’exemplaires et sera repris plus tard par James Brown. Ses titres un peu coquins comme I Want a Bowlegged Woman ou Big Fat Mamas are Back in Style Again sont immortels. Il est entouré de quelques-uns des meilleurs musiciens de son époque : Panama Francis (drums), Sonny Thompson (piano), Frank Wess, Sam Taylor (sax). Un disque fort réjouissant et très bien conçu en donnant un aperçu de toutes les facettes de cet excellent musicien. – Marin Poumérol


Ottilie Patterson

The First Lady of British Blues

Jasmine Records JASCD 2657 – www.jasminerecords.co.uk

C’est un fait, la célébrité internationale des grands groupes anglais a éclipsé pour l’auditeur français nombre d’artistes de valeur qui les ont précédés. Ainsi Lonnie Donnegan, extrêmement populaire dans la deuxième moitié des années 50, Tommy Steele, Johnny Kidd ou Cliff Richards n’ont pas conquis une grande place sur le marché français. Les amateurs de Blues connaissent en revanche les défricheurs qui ont ouvert la voie aux Stones sans oublier, bien entendu, les Beatles. Le jazz traditionnel disposait d’un public important et suffisamment curieux pour avoir apprécié les premières manifestations du blues authentiques comme la tournée de Muddy Waters en 1958. Parallèlement au Chicago blues, d’autres formes de Blues étaient portées par des groupes de jazz traditionnel mettant en vedette des chanteuses qui empruntaient leur répertoire principalement à des artistes plus classiques comme Bessie Smith par exemple. Ottilie Patterson, qui a connu une formation de pianiste classique, fait partie de ce creuset. Elle a tout juste vingt ans quand elle intègre son premier groupe. Sa carrière sera longue et son public assez fidèle. Ottilie n’enthousiasmera guère ceux qui réduisent le Blues à ce qu’il est aujourd’hui. Pour les autres, plus ouverts et plus aventureux, la découverte d’Ottilie ouvrira une fenêtre sur un monde disparu mais qui possède toujours une fragrance musicale non encore évaporée dans une évanescence irrémédiable. L’album est équilibré et s’écoute facilement. La sélection reste assez égale. De façon tout à fait subjective je retiendrai quelques morceaux peut-être un peu blues : Bad Spell Blues est une honnête contribution au langage des chanteuses des années 20 et 30 ; le chant y alterne exclamations rauques et accent churchy. L’orchestration, hélas, n’apporte pas grand chose, cuivres acides et horripilante partie de banjo. Georgia Grind est un antique classique gravé en 1926 par Louis Armstrong et repris par Ottilie. Les paroles n’ont rien d’équivoque et sont même et seraient plutôt très explicites : « I can shake it East, can shake it West, But way down South I can shake it best ”… En reécoutant Lilian Hardin dans la version de Louis, on se prend à admettre qu’Ottilie Patterson chanterait plutôt mieux. Elle bénéficie d’accompagnateurs en forme et sachant communiquer leur plaisir de jouer. When Things Go Wrong me plait bien ; on y trouve un feeling qui demeure fidèle au blues fragile et attachant de Tampa Red qu’on imagine volontiers slidant doucement dans l’ombre du studio, arborant son sourire énigmatique de vieux sage un peu vicelard. Mean Mistreater, pour les échanges entre Ottilie et son trompettiste en grande forme. Trombone Cholly : il faut être gonflée pour s’attaquer au chef-d’œuvre de Bessie et du merveilleux Charlie Green. Et ce n’est pas si mal ! Chris Barber est un sacré trombone. Only the Blues : là, pas de problème,e feeling y est. Un feeling que certains trouveront peu noir… Qu’importe, Ottilie Patterson se met toute entière dans ce blues, installant un climat mélancolique prenant ; le jeu dépouillé d’Alexis Korner n’est pas pour rien dans cette réussite. Me and My Chauffeur où elle rend hommage – en modifiant un peu les paroles – à ce morceau immortalisé par Memphis Minnie. À vous de picorer sur la toile de quoi vous forger une opinion. – André Fanelli


Ivory Joe Hunter

Since I Met You Baby and All The Hits 1945-1958

Jasmine Records JASCD 3107 – www.jasminerecords.co.uk

Grande figure du R’n’B des années 40 et 50, Joe Hunter est tombé dans un oubli relatif qu’il ne méritait pas. C’est avant tout un crooner à la voix chaude et sensuelle, mais ses ballades possèdent un charme particulier : impossible de ne pas garder dans la tête et ne pas fredonner la mélodie de Since I Met You Baby, son plus grand succès de 1956. Mais en écoutant ce disque on se rend compte que beaucoup d’autres titres ont le même charme : I Almost Lost My Mind ou  I Need You So. Sa version de Blues At Sunrise avec Charles Brown au piano est une petite merveille. Il grava de nombreux titres pour King, puis pour MGM à partir de 1949 et Atlantic à partir de 1954 jusqu’en 1958 ; ensuite, on le retrouve sur une multitude de labels : Dot, Smash, Capitol, VJ, Veep jusqu’en 1970 où sa participation au Monterey Jazz Festival dans la revue de Johnny Otis relance sa carrière. Il meurt en 1975. Ce CD est conseillé à tous, bien que sa période Atlantic y soit trop peu représentée. Pour combler cette lacune, il existe un CD Ace 747 constitué de 28 faces Atlantic qui en serait le parfait complément. – Marin Poumérol


Big Jay McNeely

King of the Honkers: Selected Singles (1948-1952)
Sélection de singles 1948-1952

Jasmine Records JASCD 311 – www.jasminerecords.co.uk

La musique de McNeely n’est pas de celle qu’on écoute religieusement ou que l’on dissèque avec minutie. Ne cherchez pas des développements harmoniques audacieux ou un travail subtil sur le son… Non. Tel n’est pas le propos de Big Jay qui aimait certainement les choses simples, l’approche directe et le plaisir de faire danser les foules juvéniles les soirs de remises de diplômes dans d’improbables collèges. Il faut croire que cela lui a réussi puisqu’il nous a quitté alors qu’il avait plus de 90 ans ! Big Jay remplissait les salles… Il devait y avoir une ambiance torride. Recherchez la pochette de son LP « The Go Go Man », tout y est : le soliste allongé sur le dos, brandissant son saxo dans une érection dyonisiaque, entouré de jeunes spectateurs surexcités, blancs, avides de ce rock and roll propre à dynamiter la quiétude des familles bien-pensantes. J’aime assez les honkers, mais ceux que j’apprécie sont, aussi, des solistes plus accomplis, aptes à jouer des musiques plus élaborées ou à exceller sur le blues lent. Peut-être n’avons nous connu qu’une facette de la musique de Big Jay. Peut-être avait-il une seconde personnalité, celle d’un saxophoniste de jazz, expert en standards. Dans une de ses dernières interviews – dans Blue Blast si ma mémoire est bonne, peut-être la dernière d’ailleurs – il abordait un projet de réalisation d’un album jazz qui, à ma connaissance, n’a jamais vu le jour.  Il nous reste donc les braises d’une furieuse fournaise, éphémère bien sûr. Pour le plaisir, deux anecdotes. Son gimmick musical entrainant le public à sa suite autour du block où il jouait ne marchait pas toujours… On raconte qu’un soir, à San Diego, en 1953, on attendit en vain son retour dans le club : il avait été intercepté par la police pour… tapage nocturne ! Autre histoire, celle d’une rencontre improbable entre le pape du free jazz et notre héros. Ornette Coleman se souvient d’une rencontre au Texas : « Je vis ce colosse, super fringué dans un zoot suit classieux et il jouait et rejouait une seule note, inlassablement, avec l’un des plus puissants sons de saxophone que j’aie jamais entendu. » Je ne citerai aucun titre en particulier car, en fait, il y a une similitude assez nette d’un morceau à l’autre. En fait, si vous poussez les tables et sortez le bourbon (et le Coca Cola bien évidemment…), il ne vous restera plus qu’à commencer à danser. Alors le titre de tel ou tel morceau… Pour accros seulement. Ceux qui veulent creuser le sujet peuvent essayer de trouver sa biographie : « Nervous, Man Nervous » par Jim DAWSON (Éditions Big Nickel 1, 1994). – André Fanelli


Various Artists

Soul Of A Nation – Volume 2
Jazz Is A Teacher… Funk Is The Teacher

Soul Jazz Records SJR CD 423 – www.souljazzrecords.co.uk

Quels ponts jetés entre le jazz dit d’avant-garde, la soul et le funk, en ce début des années 70 ? La question est à nouveau posée à travers cette compilation, dont le corollaire est une exposition qui parcourt le monde à l’heure actuelle sur les mouvements de pensée qui agitaient la communauté noire-américiane en ce temps-là. L’Art Ensemble of Chicago et son Thème de Yoyo donne une belle définition de cette croisée des chemins. Plus avant, on retrouve avec un certain plaisir Baby Huey qui synthétise en trois minutes les incertitudes et les espoirs de l’époque, des droits civiques au Black Power. Funkadelic, Tribe, Gil Scott Heron, Don Cherry sont des invités obligés de cette de fusion entre la revendication et l’action, entre la théorie et le mouvement. En cette période où l’on célèbre aussi les quarante ans du rap, cette anthologie pertinente a toute sa place. – Dominique Lagarde


Various Artists

Venezuela 70 – Volume 2
Cosmic Vision Of A Latin American earh

Soul Jazz Records SJR CD 419 – www.souljazzrecords.co.uk

C’était le temps où le Vénézuela croulait sous le « yankee dollar ». 1973 : la guerre du Kippour, les embargos et les hausses vertigineuses du prix du baril, imposés par les pays arabes, conduisent la première puissance mondiale à s’approvisionner en pétrole vénézuélien. Sous l’effet de cette nouvelle manne, clubs, salles de spectacles, maisons de disques vont se multiplier, à Caracas en premier lieu. Généralement reconnu comme l’une des places fortes de la Salsa, le pays voit alors émerger un melting pot musical où se croisent, funk, soul, disco, électronique, latin jazz, cumbia, etc. Dans ce deuxième volume de faces obscures, on surfe – à mon goût – du meilleur (Orchestra Julian, aux sonorités psychédéliques dignes de Norman Whitfield), au pire (Fernando Yvosky), via plusieurs plages où dominent des partis de piano salsa plutôt fastidieuses. Personnage récurrent de ce deuxième volume, Vytas Brenner, un allemand expatrié, qui amène des touches plus rock. Une parution très soignée et documentée dans un boîtier slipcase. À réserver aux amateurs d’exotisme et d’expérimental. – Dominique Lagarde


Manu Lanvin

Grand Casino

Verycords Label

Depuis son premier disque – « Venir au Monde » –  paru en 2000, Manu Lanvin a multiplié les concerts, les récompenses et les rendez-vous prestigieux. Parmi ceux-ci, on peut citer une invitation de Quincy Jones pour un concert à New York, les nombreuses premières parties qu’il a assurées pour Johnny Hallyday, et le Prix Cognac Blues Passion en 2015. Depuis 2007, il est accompagné par The Devil Blues, un trio qui peut accuellir, suivant les morceaux, harmonica, orgue ou guitare slide. Pour « Grand Casino », son neuvième album, il a repris des grands classiques du Blues comme Rock Me Baby de B.B. King ou Spoonful de Willie Dixon, mais aussi Satisfaction des Stones, mais avec sa griffe très personnelle et, je dois avouer, assez magique. Il a invité des artistes prestigieux à se joindre aux The Devil Blues : Beverly Jo Scott, Taj Mahal et Popa Chubby. Pour le dernier morceau du disque, qui est le seul chanté en français, Je suis le Diable, il est en duo avec Paul Personne. “Le diable” est en effet le surnom qu’il s’est donné depuis les attentats du Bataclan en 2015, avec un tatouage dans le dos que l’on voit sur la photo de la pochette de son disque « Blues, Booze and Rock’n’ Roll » paru en 2016. « Grand Casino » devrait confirmer la place de Manu Lanvin comme l’un des leaders incontestés du rock et du blues français. Il a déjà signé une centaine de concerts pour cette année, allez le voir sur scène. – Robert Moutet


Simon « Shuffle » Boyer

Drummer’s Rhapsody

auto production – simonshuffle@orange.fr

Loin d’un quatuor de musique de chambre…, cette « rhapsodie » là s’apparenterait plus à un esprit de fanfare (dans le meilleur sens du terme) ou à la fantaisie créatrice de quatre potes qui laissent parler les instruments, les influences, les inspirations au gré d’un week-end prolongé mais néanmoins singulièrement préparé (CD enregistré en quatre jours). Simon « Shuffle » Boyer, l’instigateur de cet excellent album, est connu des amateurs de Blues certes pour son talent aux drums et ses multiples collaborations avec les meilleurs, mais aussi pour son implication sans faille dans la programmation du Volcanic Blues Festival du Mont-Dore. Autour du batteur et percussionniste, les talents de Stan Noubard-Pacha (guitare), Fabien Saussaye (Hammond B3, piano, Wurlitzer, Fender Rhodes) et Christophe Garreau (basse) s’expriment bien au-delà de la « simple » revisite, par la création de onze des quatorze titres instrumentaux proposés ici. De la rythmique néo-orléaniaise de Southern Trip au funky soul et bien nommé Staxology en passant par le blues que pleure littéralement la guitare de Stan Noubard-Pacha dans Dark But Sunny, tout ici n’est qu’osmose et connivence, à l’image de l’enlevé Drum Boogie dans lequel les instruments se parlent. Inclassable dans tel ou tel registre et surtout à ne pas classer, au risque de passer à côté de ces pépites qui, d’un morceau à l’autre, transportent en genres et en lieux ; ce disque fait des clins d’œil à Hampton, Freddy King ou Pr Longhair avec une classe inouïe. – Marcel Bénédit


The Marshals

Les Bruyères Session

Freemount Records FMR 10

Après « Les Courriers Session » sorti en 2016, voici donc le cinquième disque du trio moulinois The Marshals. Pour ce nouvel épisode du combo français de blues électrique, on retrouve Laurent Siguret à l’harmonica, Thomas Duchézeau à la batterie, Julien Robalo à la guitare et au chant et aux maracas et congas, ils ont fait appel à Fabien Larvaron. Leur musique brute et rugueuse a toujours un lien direct avec le Blues rural du Sud des États-Unis. Toutes les chansons sont de Julien Robalo sauf la dernière, Run Through The Jungle, qui est l’œuvre de John Fogerty qui fut l’un des fondateurs, dans les années 1970, du célèbre groupe de rock Creedence Clearwater Revival. C’est à Bourbon L’Archambault qu’a eu lieu l’enregistrement, au lieu dit “Les Bruyères” qui donne son titre au disque. À son écoute, on quitte facilement le cœur de la France pour se retrouver au bord du Mississipi, et pourquoi pas à un célèbre carrefour… Avec The Marshals, ce voyage est facile à faire. – Robert Moutet


Pin’s Downhome Blues

Where The Chilly Wind Don’t Blow

Autoproduction – CD disponible ici : pascal.pinede@club-internet.fr

C’est, dit-il, pour rendre hommage à la musique des collines du Nord du Mississippi qu’il affectionne tant (euphémisme) que le guitariste Pascal “Pin’s” Pinede a enregistré son premier EP « Where The Chilly Wind Don’t Blow » en 2016. Comme un certain nombre de lecteurs assidus de la revue ABS Mag, Pin’s a découvert le Hill Country Blues grâce à la compilation Arhoolie « Blow My Blues Away » des enregistrements de George Mitchell. Il est vrai qu’il y a de quoi goûter à l’émotion musicale qui submerge à l’écoute notamment des faces du duo Fred McDowell/ Johnny Woods et du regretté R.L. Burnside où encore de l’envoûtant Cotton-Patch Blues de Junior Kimbrough intimiste, hypnotique et lancinant. Pin’s a naturellement goûté durant l’été 2017 à l’atmosphère chaude et moite de Como (MS) pour s’imprégner de cette ambiance si particulière au contact des petits-enfants de ses idoles : Cedric Burnside, David et Robert Kimbrough… De ces rencontres chaleureuses est née une amitié indéfectible et une collaboration musicale passionnante. Auparavant, Pin’s a donc enregistré cinq faces live à la maison avec son ami Lilian Mondillon à la batterie. D’emblée, avec Jumper On The Line de R.L. Burnside, on plonge dans l’atmosphère profonde et l’intensité que forge ce courant musical. Avec une technique affirmée, une voix posée et une maîtrise fascinante de la ligne mélodique, Pin’s s’est non seulement approprié la lettre mais surtout l’esprit du Blues des collines du Nord. Il est comme habité. Au détour de Sittin’ On Top, on découvre avec bonheur, derrière le tambour, le fifre de Sharde Thomas, petite-fille du regretté Othar Turner. En écho au fifre, la guitare de Pin’s se mêle et s’entremêle. Magistrale et bluffante symbiose. Peaches, un blues traditionnel, est du même tonneau. Le morceau phare de l’album est à n’en pas douter Cotton Patch Groove qui sonne comme une ode à All Night Long de Junior Kimbrough ; dans un ambiance intemporelle, on se prend alors à fantasmer sur l’idée folle d’être juste en face du musicien aujourd’hui disparu et de vivre à ses côtés un moment unique et magique. Frisson garanti. Le remix de Sittin’ On Top est planant avec, en filigrane, le fifre tout en nuance. Pin’s a commis un premier album en tous points réussi qui lui ressemble et qui va à l’essentiel : l’émotion musicale à vivre et à partager. Vivement son nouvel opus qui s’annonce plein de surprises ! – Philippe Prétet


Various Artists

John Lee Hooker
Birthday Tribute 1917-2017

DVD Ti and Bo

Pour célébrer le centenaire de la naissance de John Lee Hooker, Anne-Marie et Jacques Garcia ont organisé un concert hommage. Propriétaires et gérants de La Maison du Blues à Châtres sur Cher, ils ont cherché une salle à proximité de ce village, et leur choix s’est porté sur le centre culturel La Pyramide à Romorantin-Lanthenay qui est officiellement la capitale de la Sologne et se trouve à moins de 20km de Châtres sur Cher. Le concert a été filmé par la société Turning Image and Blues Organisation, basée à Saint- Etienne et plus connue sous le nom de « TI and BO ». Le but final étant bien sûr la réalisation d’ un DVD qui se concrétisera après la précommande de 100 exemplaires. Pour ce concert, Black Jack Blues Association de Jacques et Anne-Marie Garcia a réussi à avoir le neveu de John Lee Hooker, le chanteur Archie Lee Hooker. Et pour l’accompagner, ils ont réuni huit bluesmen : Cisco Herzhaft (voix et guitare), Pascal Delmas (batterie), Stan Noubard Pacha (guitare), Vincent Bucher (voix et harmonica), Pascal “Pin’s” Pinède (voix et guitare), Fred Jouglas (contrebasse et basse), Emmanuel “Manu Slide” Poliautre (voix et guitare) et enfin l’Anglais Steve “Big Man” Clayton (voix et claviers). Le concert a eu lieu le 27 octobre 2017 devant 600 personnes, la salle affichant complet. Il a duré près de trois heures, en deux parties. L’essentiel du concert se trouve donc sur le DVD qui dure 110 mn avec 20 morceaux qui sont, bien sûr, tous des compositions de John Lee Hooker. Le premier titre, Crying All Night, est interprété en solo par Pascal Pinède puis, pour les suivants, Vincent Bucher, Manu Poliautre et Cisco Herzhaft sont en vedette. Il faut noter l’impressionnant solo de piano de Steve Clayton dans Sugar Mama. Alors que les huit musiciens sont enfin sur scène et interprètent 714 Blues, Archie Lee Hooker arrive et attaque de suite Boogie Woman. Excellent chanteur et bon showman, il va interpréter cinq morceaux où va se mettre en valeur, avec d’impressionnants solos, le guitariste Stan Noubard-Pacha que l’on avait peu vu durant le début du concert. Ensuite, pour Mama Poppa Boogie, on retrouve Pascal Pinède seul sur scène, ce qui doit correspondre au début de la deuxième partie du concert. En effet, chaque musicien sera mis en valeur dans les trois morceaux suivants, avant le retour de Archie Lee Hooker avec le morceau Whiskey & Wimmen. La fin du concert paraît être programmée avec l’inévitable Boom Boom, mais il y a, comme prévisible, un rappel du public. C’est Boogie Woman qui est longuement repris, avec des musiciens déchainés, surtout avec un surprenant Cisco Herzhaft ! En conclusion, ce DVD nous offre un excellent et agréable concert avec une palette de musiciens que l’on a peu de chance de revoir ensemble sur une scène. C’est ce qui fait aussi toute son originalité. Il faut noter aussi la qualité des images qui sont l’œuvre de trois cadreurs qui disposaient de sept caméras. Ce DVD est à commander à lamaisondublues@gmail.com. Notez enfin que l’on peut se procurer « Chilling », le CD de Harchie Lee Hooker et que l’on peut aussi dès à présent prévoir d’assister à un concert de Bobby Rush, le 6 avril à La Pyramide de Romorantin-Lanthenay dans le cadre de l’inauguration officielle de la Maison du Blues et de son musée. – Robert Moutet


Bitten By The Blues
The Alligator Records Story

Bruce Iglauer & Patrick A. Roberts

The University of Chicago Press, 2018, ISBN-13:978-0-226-12990-7; 337 pages – The Alligator Records catalog www.alligator.com

Quand on pense Alligator Records et/ou Bruce Iglauer, on pense “success story” avec plus de 300 albums au catalogue, et c’est loin d’être fini ! Et comme Iglauer a commencé il y a des années à commenter les sorties de ses albums avec tenants et aboutissants dans divers magazines – une pratique qui est toujours en cours (Living Blues, Back To The Roots, etc…) – sans oublier les articles/interviews parus un peu partout (dans ABS Magazine entre autres : ABS Magazine n°51 septembre 2016), on croit à peu près tout connaître de la saga Alligator. Mais c’est une illusion, comme le démontre ce livre passionnant bourré de détails inédits sur les séances d’enregistrement, les coulisses des studios, des concerts et des tournées, sur les rivalités entre musiciens, sur la jungle où se battent les compagnies indépendantes entre elles et avec les majors, sur le stress au quotidien… Couvrant près de 50 ans de l’histoire du blues, c’est un bouquin qui se lit comme un thriller, un “page turner” qui, dès qu’on a lu les premières pages, ne se lâche plus jusqu’à la dernière. On est scotché par un style vivant, accrocheur (influence non négligeable sans doute de P. Roberts) qui alterne suspense, humour, cris du cœur et autodérision (Iglauer connait ses défauts, son perfectionnisme, ses a prioris et parti-pris, son autoritanisme, son intransigence parfois compulsive et sa difficulté à reconnaitre ses erreurs de jugement…, mais ici il déballe tout et fait son mea culpa, souhaitant parfois avoir pris d’autres décisions). On découvre les débuts d’un étudiant de la Lawrence University (Appleton, Wisconsin) qui, lors de son dernier semestre, se mêle d’organiser des concerts de Blues (Howling Wolf puis Luther Allison, tous deux fin 1969…) puis les hauts et les bas de son « stage » chez Bob Koester et Delmark Records (un Bob Koester qui l’a traité à la dure mais qui reste son mentor respecté voire idolâtré), ses virées dans les bars à blues du Southside et du Westside de Chicago, l’aventure du magazine Living Blues avec Jim O’Neal et consorts, sa découverte de Hound Dog Taylor et sa décision de produire son premier album puis les autres avec d’autres bluesmen sous-enregistrés, les risques de couler sa jeune et fragile compagnie en cas de mauvais choix d’artistes, d’usines de pressage, de distributeurs, de studios et d’ingénieurs du son, de promotion (radios, mags), etc… Les pièges étaient nombreux et Iglauer les a tous habilement (et chanceusement) contournés, non sans mal, au prix d’un travail de titan, de milliers de kilomètres parcourus dans toute l’Amérique, puis dans le choix de partenaires européens (Sonet Records,…). De page en page on suit l’arrivée de Son Seals et le drame de la tournée en Suède (1978) où tous les musiciens et Iglauer lui-même n’échappent que de peu à la mort dans un accident de train (presque englouti dans un fjord après déraillement). Carey Bell et Walter Horton… Le coup de poker – réussi – de la série « Living Chicago Blues ». Luther Allison, Fenton Robinson, Albert Collins, Shemekia Copeland, J.J.Grey & Mofro, Tommy Castro et tant et tant d’autres jusqu’aux surdoués qui sont les garants d’un futur très prometteur pour Alligator Records et pour la survie du blues comme Toronzo Cannon, Jarekus Singleton, Selwyn Birchwood, Lindsay Beaver et d’autres encore à découvrir dans un futur proche… Faites-vous plaisir, offrez-vous ce livre ou faites le vous offrir. Il y a même possibilité de commander des exemplaires autographiés via www.alligator.com. – Robert Sacré