Chroniques #72

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Sonny Green

Found ! One Soul Singer

Little Village Foundation Records LVF 1037
www.littlevillagefoundation.org

Sonny who ? Mr Sonny Green, Ladies and Gentlemen ! Mon coup de cœur de cette fin d’année 2020 si morose va directement – sans l’ombre d’un doute – vers ce magnifique album intitulé « Found ! One Soul Singer ». Rendons de suite hommage au label de Jim Pugh, Little Village Foundation, d’avoir fait entrer en studio – sous la houlette des producteurs Noel Hayes et Kid Andersen –, ce magnifique chanteur qui, à 79 printemps, signe enfin son premier album. Sonny Green a vu le jour en 1941 à Monroe en Louisiane, chante comme la plupart de ses amis à l’église avant de rejoindre adolescent son premier groupe, son camarade de classe alors est un certain Mighty Sam McClain. Début des années 60, il s’installe au Texas avant de se fixer définitivement à Los Angeles en 1969. Il grave alors une poignée de titres somptueux pour des petits labels comme Hill, Fuller, Mesa ou encore MHR. La production n’a pas lésiné sur les moyens en studio puisque nous retrouvons, aux côtés du chanteur, Jim Pugh à l’orgue Hammond B3, Chris Burns au piano, Endre Tarczy s’occupe de la basse et Ronnie Smith ou “D’Mar” Martin sont tour à tour derrière les fûts. La rutilante section de cuivres est composée de Mike Rinta au trombone, Mike Lewis à la trompette et Aaron Lingtonau au saxophone ; sont également conviés les saxophonistes Terry Hanck et le toujours excellent “Sax Gordon” Beadle. Les onze faces proposées alternent de formidables reprises comme If Walls Could Talk de Little Milton, Back For A Tatste Of Your Love de Syl Johnson ou I’m So Tired appartenant au répertoire de Bobby Bland, avec des titres originaux composés par Rick Estrin comme I Beg You Pardon et I Got There avec, également, la complicité de Kid Andersen. Au final, voici une formidable session qui ne laissera personne indifférent et qui donne enfin un coup de projecteur plus que mérité sur un artiste de premier plan. Souhaitons également que ses premières faces soient mises à nouveau en lumière, des morceaux comme It’s A Game, I’m Just Your Man ou encore Don’t Make A Good Boy Go Bad, sont exceptionnels. Une fois encore, saluons avec enthousiasme la Little Village Foundation pour la qualité de ses productions et le choix des artistes. Bravo Sonny Green !
 – Jean-Luc Vabres


Johnny Nicholas

Mistaken Identity

Valcour Records VAL-CD-0047
www.valcourrecords.com

À 72 ans et cinq décennies de carrière, Johnny Nicholas demeure un artiste peu connu du grand public mais chéri d’un noyau de fidèles. Son éclectisme – on l’a entendu par le passé aux côtés de Walter Horton, Johnny Shines, Snooky Pryor ; aussi bien qu’au sein du groupe Asleep at the Wheel et des Fabulous Thunderbirds – parcourt encore ce nouvel opus, après l’excellent « Fresh Air » de 2016.  Chanteur, guitariste, harmoniciste, pianiste, entouré ici d’une section rythmique et de chœurs, Johnny Nicholas est capable d’écrire des titres qui sonnent d’emblée comme des classiques du Rock’n’roll et du Rhythm’n’blues (She Stole My Mojo, Wanna Be Your Baby, Tight Pants). Il est encore très attachant sur les ballades et les chansons folk. Il s’y transforme alors en conteur d’histoires du vieux sud (Guadalupe’s Prayer, River Runs Deep) où le paradis et l’enfer peuvent se croiser sans obstacle au bout de la ligne droite d’une Highway 190. Très ancrée dans les racines texanes et louisianaises, sa musique s’offre encore une virée dylanienne avec She Didn’t Think Of Me That Way. Apaisant et revigorant à la fois. – Dominique Lagarde


Bobby Rush

Rawer Than Raw

Deep Rush Records 51181CD

À bientôt 84 ans (il est né le 10 novembre 1936 en Louisiane, selon Gene Tomko (« Encyclopedia of Louisiana Musicians » – LSU Press). Après de multiples récompenses – dont un Grammy en 2017 pour « Porcupine Meat » –, Bobby Rush poursuit inlassablement sa carrière musicale, contre vents et marées, en publiant un nouveau disque : « Rawer Than Raw ». L’idée de cet album entièrement acoustique lui est venue pendant les longues semaines où il fut malade de la COVID-19. Bobby Rush n’a pas enregistré pendant sa maladie, mais a sélectionné des chansons déjà prêtes où il est seul avec sa voix, sa guitare, son harmonica dans un râtelier fixé autour du cou et son pied frappant une planche pour marteler le tempo. Il avait fait une première incursion dans le Blues acoustique en 2007 avec « Raw » (Deep Rush Rcords DRD 1003). Ici, Bobby Rush tient à rendre hommage à quelques bluesmen du Mississippi qu’il eut la chance de rencontrer. Il mêle habilement ses propres compositions à ses interprétations de classiques. Parmi les originaux, notons le titre d’ouverture Down In Mississippi, plus qu’inspiré par Mojo Boogie de JB Lenoir (seuls quelques mots ont été changés) et l’humoristique Garbage Man dans lequel Bobby Rush s’accompagne de son seul harmonica et de son “foot stomping”. Sometimes I Wonder est une aimable réflexion sur le vieillissement. Bobby Rush a rencontré brièvement Skip James en 1969, peu avant sa mort. Sa voix est fort appropriée au Hard Time Killin’ Floor Blues du géant de Bentonia, ou qu’il intitule Hard Times, titre particulièrement appropriée en ces temps de virus. Il a toujours avoué une grande admiration pour Howlin’ Wolf, le musicien mais aussi l’individu déterminé à faire ce qu’il voulait, quelle que soit l’opinion des autres. Les deux hommes se rencontrèrent pour la première fois en 1951 dans l’Arkansas. Bobby Rush interprète brillamment Smokestack Lightning et Shake It For Me (composition de Willie Dixon pour Howlin’ Wolf). Bobby Rush croisa le chemin de Rice Miller “Sonny Boy Williamson n°2” en 1947, quand celui-ci se produisait avec Elmore James. Son jeu d’harmonica pour la relecture de Don’t Start Me Talkin’ est remarquable et bien dans l’esprit du géant du Blues : un grand moment du disque ! Le CD se clôt avec Dust My Broom ; Bobby Rush rend ainsi hommage à Robert Johnson et Elmore James. Ce dernier et Bobby Rush se rencontrèrent en 1947 dans un juke joint de l’Arkansas où un bien trop jeune Bobby Rush entra avec une fausse moustache pour dissimuler son âge. Les deux hommes se retrouvèrent et jouèrent ensemble à Chicago. Bobby Rush interprète intelligemment Dust My Broom sans slide, reconnaissant qu’il ne pourra égaler Elmore James. N’oublions pas Honey Bee, Sail On, popularisé par Muddy Waters, autre héros de Bobby Rush, qui subit un traitement proche de Leadbelly. Bobby Rush n’a jamais produit un mauvais disque. Vous l’avez donc compris : celui-ci est indispensable. – Gilbert Guyonnet


Elvin Bishop & Charley Musselwhite

100 Years Of Blues

Alligator Records ALCD 5004
www.alligator.com

Voici deux musiciens d’exception dont les chemins se croisent depuis les années 60, dont les affinités sont évidentes et qui n’avaient pas encore enregistré tout un album ensemble. C’est maintenant chose faite avec la complicité de Bruce Iglauer pour Alligator Records et de Kid Andersen à la production (et à la basse acoustique dans quatre faces, par ailleurs). Pas de batterie, juste un ajout de poids en la personne de Bob Welsh tantôt à la deuxième guitare sur sept faces, tantôt au piano dans cinq faces et, à chaque fois, avec une efficacité redoutable. On a ici un festival de vocaux, d’harmonica et de guitare (et de piano !) du top niveau ! Le tout baigne dans une décontraction remarquable (ce qui n’exclut pas la rigueur), dans un humour décapant aux dépens de Trump dans un bien enlevé What The hell ? (He’s the President but wants to be the king…), dans un nerveux Old School, une critique de la vie moderne et des réseaux sociaux («call me on the phone… don’t send me no e-mail, send me a female… »), etc. Charlie Musselwhite et Elvin Bishop à eux deux totalisent cent années de blues, c’est le titre de l’album et c’est le thème de la face de clôture 100 Years of The Blues où l’un et l’autre évoquent une carrière bien remplie. Les bons moments abondent, que ce soit dans les quatre autres compos de Bishop (What The Hell et Old School déjà évoquées, Birds Of A Feather, une intro parlée et South Side Slide, un superbe instrumental à la slide ; c’est aussi le cas dans les quatre autres compos de Musselwhite comme Good times, un slow blues où il chante et joue aussi de la slide avec Welsh au piano, on est au même niveau dans un bien scandé Blues Why Do You Worry Me et un Blues For Yesterday en slow, comme sur If I Should Have Bad Luck. Le talent des deux compères se dévoile aussi dans les trois covers, le West Helena Blues de Roosevelt Sykes avec Welsh au piano, le Midnight Hour Blues de Leroy Carr en slow (mais au fait, pourquoi ne pas avoir fait appel à Welsh au piano ?) et un Help Me (de Sonny Boy Williamson 2) transcendé par la ferveur de Musselwhite pour son mentor. Un album V.S.O.P. 5 étoiles. – Robert Sacré


Ben Levin

Carryout Or Delivery

Vizztone Label Group VT-BL-003
www.vizztone.com

N’y allons pas par quatre chemins : ce disque est plus qu’une surprise, c’est une claque ! Moi qui ne suis en général pas fan de ceux qu’on nous présente comme de jeunes prodiges, je suis bien obligé de me rendre à l’évidence : ce garçon est déjà grand, très grand. Ben Levin est un tout jeune pianiste d’une maturité incroyable et un excellent chanteur qui ne force jamais sa voix. À seulement 21 ans, toujours étudiant, il a déjà un album chez Vizztone (« Before Me »)… Les éloges pourraient s’arrêter là, mais il y a beaucoup à dire encore, car même la qualité du répertoire est à souligner. Cet album comprend huit compositions (dont une écrite à quatre mains avec son frère Aaron, guitariste de la session) ; du chaloupé You Know d’ouverture à l’excellent Papercut sur lequel plane l’ombre de Fats Domino, en passant par Nola Night – intrumental au rythme new orleans qui fait se lever et bouger –, l’écriture et l’interprétation sont d’une intelligence folle. Le choix des quatre morceaux revisités montre aussi toute la portée du talent de cet artiste : My Back Scratcher est interprétée de telle manière qu’on ne pouvait rendre meilleur hommage à Frank Frost, Hadacol Bounce de Bill Nettles est plus proche de la version originale que de celle de Pr Longhair, l’instrumental The Buzzard de Harrold Burrage est à couper le souffle, et quand le disque se termine sur Time Brings About A Change de Floyd Dixon jouée et chantée à la façon Charles Brown, on se dit que Ben Levin a déjà parcouru un sacré chemin… Accompagné par son frère Aaron, remarquable à la guitare, et soutenu par une section rythmique d’une justesse incroyable avec Chris Douglas à la basse et Oscar Bernal à la batterie, Ben Levin au piano et à l’orgue livre ici un album de très grande classe. J’ai adoré. – Marcel Bénédit


Eddie Kold Band

Chicago Alley Blues

L&R Records 582927/Bellaphon

Originaire de Cologne (Allemagne), Eddie Kold, en enregistrant cet album en octobre 2019 à Chicago, renoue avec l’habitude prise pour son premier album « Chicago Blues Heaven » (chroniqué dans nos pages). Son fidèle acolyte afro-américain Larry Doc Watkins (né le 19 juillet 1953 et accessoirement – pour la petite histoire – neveu de Jimmy Johnson) assure la plupart des vocaux sur des titres originaux qu’il a composés dans la plus pure tradition du style de la Windy City, tandis que Too Hot – issu de la plume d’Eddie Kold – lorgne du côte du british blues sixties. La présente livraison a pour particularité la présence de nombreux invités dont Bernard Allison qui, en digne fils de son père Luther, manie la guitare avec dextérité (Blues Man enregistré à Cologne en 2019 lors d’une tournée). L’harmoniciste Omar Coleman et le guitariste Tom Holland s’illustrent sur deux reprises : Before You Accuse Me et Howlin’ For My Baby à l’accompagnement survitaminé, à la manière de Chuck Berry. À signaler également la présence de Charlie Love sur Gimme Back My Money. – Jean-Claude Morlot


The Nighthawks

Tryin’ To Get To You

EllerSoul Records ER 20202

The Nightawks est un groupe fondé en 1972, donc il y a presque un demi siècle, dans l’État de Washington DC. Parmi les faits notables de leur longue carrière, citons les premières parties de concerts de Muddy Waters, James Cotton et Carl Perkins, des enregistrements avec John Hammond, Pinetop Perkins, Hubert Sumlin et bien d’autres. Jimmy Thackery fut l’un des fondateurs du groupe avant de partir en 1986 pour créer le groupe the Assassins avec lequel il restera jusqu’en 1991. Aujourd’hui, il ne reste au sein des Nighthawks qu’un seul des membres fondateurs, Mark Wenner à l’harmonica et au chant. Les autres membres du groupe actuel sont Dan Hovey (guitares et chant), Paul Pisciotta (basse et chant) et Mark Stutso (batterie et chant). « Tryin’ To Get To You » est le 31ème album du groupe. Dans les treize titres qui le composent, il y a quatre chansons originales et neuf reprises. Parmi celles ci, Come Love de Jimmy Reed, I Known Your Wig Is Gone de T-Bone Walker et Tell Me What I Did Wrong de James Brown. En hommage à Elvis Presley, la chanson titre de l’album reprend un morceau que le King avait enregistré en 1955. La musique est difficile à classer, le Blues en est évidemment la ligne conductrice, et le niveau est très bon. Autre particularité, chacun des membres du groupe est un excellent chanteur et, dans beaucoup de morceaux, ils chantent ensemble. Enregistré au Severn Sound Studio à Annapolis, capitale du Maryland, ce disque permet de passer un très bon moment. – Robert Moutet


Johnny Rawls

Where Have All The Soulmen Gone

Third Street Cigar Records
www.johnnyrawlsblues.com

Pour le plaisir de ses nombreux fans, l’ancien directeur musical d’O.V. Wright ne chôme pas au niveau des séances d’enregistrements… Il termine 2020 en beauté avec cette nouvelle production. Il nous propose une session éditée par le label Third Street Cigar Records installé à Waterville dans l’Ohio, avec qui il avait déjà collaboré sur deux précédents albums. Le chantre du style soul-blues nous offre ici dix admirables compositions originales, enregistrées en février 2020 au Danemark au cours d’une tournée sur le Vieux Continent, puis dans les studios Big Foot aux états-Unis quelques mois plus tard afin d’y rajouter des cuivres. Comme pour l’album paru il y a quelques mois chez Crosscut Records intitulé « Live In Europe », Johnny Rawls est à nouveau admirablement épaulé par les talentueux frères Özdemir – Kenan à la guitare, Erkan à la basse et Levent derrière les fûts, l’efficace Alberto Marsico aux claviers et par les cuivres : Travis Geiman au trombone et Mike Williams au saxophone alto. Les morceaux du maestro naviguent avec aisance et subtilité dans un registre velouté qu’il manie à la perfection ; il suffit d’écouter Cant’ Leave It Alone, Love, Love, Love ou encore Where Have The Soulmen Gone, pour s’en convaincre. Voici une nouvelle fois une solide réalisation de la part d’un artiste qui, depuis des décennies, mène sa barque d’une manière exemplaire.

 – Jean-Luc Vabres


Kim Wilson

Take Me Back ! The Bigtone Sessions

M.C. Records MC-0087

Après dix-sept ans de séparation, le chanteur et harmoniciste Kim Wilson rentre au bercail, chez M.C. Records. Cette firme de disques avait publié deux albums de l’artiste unanimement salués, « Smokin’ Joint » et « Lookin’ For Trouble ». Kim Wilson est né à Detroit, mais a grandi en Californie où il fut touché par un virus appelé Blues. Il choisit l’harmonica, instrument très populaire en Californie, grâce au maître George Smith qui préféra la douceur californienne aux frimas chicagoans. En 1974, il gagna Austin, Texas, où, avec la complicité de Jimmie Vaughn (frère de Steve Ray), il forma les Fabulous Thunderbirds, orchestre de blues-rock à succès. En 1993, il se lança dans une carrière personnelle avec un répertoire authentiquement blues. Ses qualités d’instrumentiste lui ont ouvert d’autres voies que le Blues : il a collaboré avec Peter Frampton, Mark Knopfler, Paul Simon et Eric Clapton. Ce nouveau disque a été enregistré « live in the studio » en mono au Big Tone Studios de Big John Atkinson, qui, en outre, joue de la guitare sur quatorze des seize plages. La particularité de ce studio est son équipement ancien : amplificateurs à lampes, microphones, magnétophones à bandes ; l’enregistrement est directement en mono sans overdubs ni aide informatique, le but étant de retrouver le son des firmes classiques Chess, Cobra, Vee-Jay Blue Note, … La pochette n’indique aucune date pour les divers titres qui ont certainement été enregistrés en plusieurs séances au cours de ces dernières années. Par exemple, Play Me et I’m Sorry datent de courant 2016 ou un peu plus tôt, puisque l’excellent pianiste de ces chansons, Barrelhouse Chuck, mourut le 12 décembre 2016. Éviter le piège des relectures de scies musicales (remplissez la liste vous-mêmes) est un critère et un gage de réussite de ce genre de blues très classique. C’est le cas ici avec un programme constitué d’un habile mélange de sept originaux de Kim Wilson et de neuf reprises bien choisies. Parmi celles-ci, quatre compositions de Jimmy Rogers (James A. Lane) que Kim Wilson présente comme son « rogue Uncle » (oncle voyou) à qui le CD est dédié. Selon les séances d’enregistrement, concourent à la grande qualité de ce disque (en plus des musiciens déjà cités) : les guitaristes Billy Flynn, Danny Michelet Kid Andersen, le pianiste Robert Welsh, les bassistes Kedar Roy, Troy Sandow et Greg Roberts, les batteurs Marty Dodson, Malachi Johnson, June Core Ronnie Smith et Al West Johnny Viau et ses cuivres. Rien de nouveau sous le soleil de Kim Wilson, mais toujours ce plaisir communicatif de délivrer, sans effort et avec un naturel confondant, un blues authentique. – Gilbert Guyonnet


Bette Smith

The Good, The Bad and The Bette

Ruf Records RUF 1284
www.rufrecords.de

Remarquée en 2017 avec l’album « Jetlagger » chez Big Legal Mess, Bette Smith est de retour chez Ruf, cette fois, pour un deuxième CD. Les producteurs Matt Patton et Bronson Tew ont choisi de donner au mélange rock-soul-funk déjà corsé de la chanteuse de Brooklyn, une pincée de piment supplémentaire. Huit guitaristes ont pour l’occasion été convoqués, sans compter cuivres, orgue et violon. Après le funky Fistful of Dollars en entrée, le groupe sonne à plusieurs reprises à l’unisson comme dans un disque de glam rock seventies (I’m a Sinner, I Felt It Too, Human). Sans vacarme pour autant. Une mise à l’épreuve de la puissance vocale de la dame ? « Le désir de mettre l’accent sur le côté rock, jusque dans les ballades, inspiré de Tina Turner, Betty Davis, Betty Wright », répond le chef d’orchestre. Ajoutons un soupçon de Rod Stewart. Au fil des chansons, Bette Smith a souhaité faire le récit des émotions et des traumatismes qui ont marqué son passage de l’enfance à l’âge adulte. Comme il faut ouvrir les fenêtres pendant une épidémie, le disque réserve aussi des passages plus aérés : les ballades Don’t Skip Out On Me, Song For a Friend, Whistle Stop, Signs and Wonders. L’intention est toujours généreuse (Everybody Needs Love, de Eddie Hinton). – Dominique Lagarde


Johnny Iguana

Johnny Iguana’s Chicago Spectacular : Chicago Blues Piano

Delmark Records DE 864
www.delmark.com 

Johnny Iguana est un pianiste très présent dans les clubs de Chicago et dans les festivals. Il est très apprécié comme partenaire du Gotha des bluesmen de la Windy City et il a enfin eu l’occasion de publier un premier album sous son nom, avec douze faces reprises aux meilleures sources (Sonny Boy Williamson, Otis Spann, Elmore James, Big Bill Broonzy, Roosevelt Sykes ,Willie Dixon…). Pour cela, il s’est entouré de partenaires renommés – qui sont aussi ses amis de longue date – comme John Primer (qui chante un chaloupé 44 Blues avec Bob Margolin à la guitare) ; Primer se trouve aussi dans un trépidant Down In The Bottom au chant et à la guitare. On retrouve Billy Boy Arnold au chant et harmonica dans un bien enlevé You’re An Old Lady (avec Billy Flynn à la guitare et Kenny Smith aux drums), et aussi au chant dans l’ironique Hot Dog Mama en slow (avec Billy Flynn à la guitare). Le festival continue avec Matthew Skoller (chant et harmonica) et Billy Flynn (guitare) dans un goûteux Stop Breaking Down. Lil’ Ed Williams est présent aussi au chant et guitare dans Burning Fire et dans un déjanté Shake Your Moneymaker. Et, bien sûr, tout au long, Johnny Iguana est magistral au piano, inspiré et boosté par des partenaires prestigieux, ce compris dans des instrumentaux comme Big Easy Women et Motorhome. À noter un inattendu Lady Day and John Coltrane, sur un texte de Gil Scott-Heron, dédié à Billie Holiday et à Coltrane, avec Phillip-Michael Scales (chant et guitare). Un seul petit reproche, cet album enregistré en janvier 2019 au Shirk Studio de Chicago ne dépasse pas 39 minutes. Avec la somme de talents en présence, on aurait pu espérer quelques faces en plus…. C’est comme cela, court mais mémorable. Enjoy. – Robert Sacré


Ron Thompson

From The Patio, Live At Poor House Bistro Vol.1

Little Village Foundation Records-LVF1036
www.littlevillagefoundation.org

Figure importante du Blues de la baie de San Francisco, le guitariste Ron Thompson nous a quittés en février dernier. Tout au long de sa carrière, il a côtoyé et accompagné tous les grandes gloires de la Côte Ouest comme Big Mama Thornton, John Lee Hooker, Jimmy McCracklin, Pee Wee Crayton et tant d’autres. Le label Little Village Foundation créé par Jim Pugh nous propose une session enregistrée au cours de l’été 2014 dans le club de San Jose baptisé le Poor House Bistro. Le musicien natif d’Oakland était visiblement heureux d’enregistrer cette session en public. Elle est réussie de bout en bout, sans aucun moment faible. Dans le groupe qui l’accompagne, nous retrouvons Kid Andersen à la guitare – qui endosse également la casquette de producteur –, Sid Morris est au piano, Jim Pugh à l’orgue, Dave Chavez et Gary Rosen à la basse et Scotty Griffin à la batterie, sans oublier – en invité sur le morceau de Little Walter, One More Chance With You –, l’harmoniciste Gary Smith. Onze titres nous sont proposés, tous aussi puissants les uns que les autres. Quand l’ancien équipier de Percy Mayfield dégaine avec une classe folle le classique de Lightnin’ Hopkins Bring Me My Shotgun, nous ne pouvons qu’applaudir à tout rompre. Il en est de même pour les autres titres, le guitariste virtuose revisite avec bonheur et délicatesse des classiques comme Sinner’s Prayer de Lowell Fulson, I Done Got Over It de Guitar Slim et Meet Me In The Bottom de Willie Dixon. Des excellents morceaux originaux sont aussi présents, à l’image de Mardi Gras Boogie ou When You Walk That Walk. Visiblement, les passages de Ron Thompson ont marqué Jay Meduri, le boss du Poor House Bistro ; dans les notes du CD, nous apprenons que tous les mercredis sont désormais appelés “The Ron Thompson Day” et dans le juke-box de l’établissement, seule la musique du génial musicien y est autorisée !
 – Jean-Luc Vabres


Shemekia Copeland

Uncivil War

Alligator Records AL 5001
www.alligator.com

Digne héritière du bluesman texan Johnny Copeland, on ne présente plus Shemekia Copeland qui commença sa carrière de chanteuse avec « Turn The Heat Up », un premier album pour Alligator Records en 1998, elle avait 18 ans ! Vingt-deux ans plus tard, elle jouit d’une notoriété planétaire, amplement justifiée de par son talent, ses qualités vocales et son engagement sur les problèmes de société en Amérique, la division sociale, le racisme, la prolifération des armes, les incivilités, l’injustice… Elle nous revient avec un huitième album produit par le guitariste Will Kimbrough et enregistré à Nashville avec des invités top niveau. Le titre éponyme de cet album, Uncivil War, stigmatise la profonde division de la société américaine contemporaine, en opposition avec sa raison d’être : United States of America ! United vraiment ? Elle appelle de tous ses vœux à un changement radical et en guest il y a Jerry Douglas, dobro, Sam Bush mandoline, Steve Conn, Hammond B3, etc… Et en plus on donne le blues à Dieu qui ne comprend pas ce qui sépare républicains et démocrates ni les croyants des diverses religions, comme elle le dit avec humour dans Give God The Blues… En fait, elle continue à élargir son inspiration du Blues vers le R&B à l’ancienne, le Rock ‘n roll, les ballades soul, le Gospel, les roots, l’Americana, etc… Elle s’approprie tout cela et en fait une part importante de son répertoire. Dans Clotilda’s On Fire, elle commente l’histoire du tout dernier vaisseau amenant des esclaves africains en Amérique ; il est arrivé dans la baie de Mobile, Alabama, en 1859 et son capitaine l’a brulé et coulé pour effacer les preuves, l’épave a été retrouvée en 2019 ! Ce morceau est transcendé par des parties de guitare flamboyantes de Jason Isbell. Shemekia rend aussi hommage à son copain disparu Dr. John avec un second line Dirty Saint. Elle s’attaque aux gens aveuglés par leur soif inextinguible d’argent dans le tonitruant Money Makes You Ugly (avec Christone “Kingfish” Ingram, lead guitar). Elle fait un clin d’œil aux Staples Singers avec un Walk Until I Ride, en deux parties, d’abord slow puis rapide ; c’est un gospel inspiré par la lutte pour les Droits Civiques avec une petite chorale et Jerry Douglas (lap steel guitare). Elle s’indigne sur la prolifération des armes dans son pays avec un martial Apple Pie And A .45 et rompt une lance en faveur de la communauté LGPT dans un bien rythmé She Don’t Wear Pink (avec Duane Eddy et Webb Wilder, guitares). Peu d’artistes s’engagent sur autant de sujets brûlants de nos jours, mais Shemekia Copeland garde aussi un peu d’espace pour des thèmes moins polémiques comme les chansons d’amour : No Heart At All ou Love Song empruntée à son père et traitée avec délicatesse (avec W. Kimbrough, guitare) ou encore In The Dark en slow (avec un Steve Cropper transcendant à la guitare), sans oublier le Under My Thumb repris aux Rolling Stones. Un album qui fera date et un candidat sérieux aux prochains Blues Awards ! – Robert Sacré


John Nemeth

Stronger Than Strong

Nola Blue records NB-013
www.nola-blue.com

Après les succès critiques (et un peu commerciaux heureusement) de « Memphis Grease » en 2014 et « Feelin’freaky » en 2017, John Nemeth en arrive à son dixième album. Sa voix haute et pleine d’urgence, son harmonica, nous replongent d’entrée sur Come and Take It, dans l’atmosphère des enregistrements Sun ou Chess. Entouré de Danny Banks à la batterie, Matthew Wilson à la basse, John Hay à la guitare, il déroule douze chansons le plus souvent fièvreuses et affutées. Une reprise du Sometimes de Don Robey pour Bobby Bland apporte une touche plus funky, avec le jeu en réverbération du guitariste, et l’adaptation du tendre Guess Who de Jesse Belvin casse les codes jusque-là établis. Autre slow, le plaintif Bars révèle la face sentimentale du personnage. Il y a du rock steady dans I Can See Your Love Light Shine et du fun dans She’s My Punisher et Sweep the Shack, en fin de partie. Un album énergique, concis et sans fioriture, qui confirme – si besoin était – l’habileté de John Nemeth à fusionner rock’roll, blues et rhythm’n’blues pour en donner sa propre alchimie. – Dominique Lagarde


Jörg Danielsen 

Guess Who’s Got The Blues

Wolf Records Wolf 1230.986
www.wolfrec.com

Deuxième album pour ce trio Argentin, Straight Outta Buenos Aires (titre de l’album n°1) mais installé, à première vue et pour longtemps, à Vienne en Autriche. Danielsen et ses partenaires pratiquent un blues nerveux et vitaminé (Twice As Blue, I Don’t Care, Part Time Love…). Le leader a composé neuf des douze titres, il est un guitariste compétent (confère la série « Whiskey » : Pour Me Some Whiskey en slow et Whisky Drinking Woman en slide ou, en uptempo, I Don’t Care ainsi que le belle ballade When Will You Be Mine en slide, mais qui dérape un peu à la fin), mais son chant est un peu limite et un point faible d’un album qui reste néanmoins écoutable de bout en bout d’une oreille bienveillante, surtout quand on pense à la somme de travail, de conviction et de passion mise à composer puis à interpréter. Ajoutons que sur le plan instrumental, les covers sont impeccables, comme Part Time Love (Clay Hammond) déjà cité, Same Old Blues (Don Nix) en slow et Bad Boy (Morris Holt) uptempo. – Robert Sacré


Wily Bo Walker & Danny Flam

Ain’t No Man A Good Man

Mescal Canyon Records MCREX061

Wily Bo Walker est un chanteur, auteur et compositeur, originaire de Glasgow en Écosse. Sa musique est généralement dans les domaines du Blues et du Rock, mais certaines de ses compositions peuvent être classées dans les registres du gospel, de la soul et surtout du jazz. Il est beaucoup apprécié pour ses concerts pleins d’énergie ; il se produit souvent en solo acoustique, mais aussi en quartet ou avec un big band. C’est le cas pour ce nouveau disque où il retrouve son complice, le trompétiste Danny Flam. Tous les deux ont eu de nombreuses nominations aux Grammy Awards. Dans la dizaine de titres de l’album, on retrouve des reprises mais aussi de nouvelles compositions originales. Le Blues et le Jazz se succèdent habilement avec des cuivres qui nous plongent dans les sonorités de La Nouvelle-Orléans. Les deux compères ont fait appel pour l’enregistrement de ce disque à un nombre impressionnant de musiciens. Ainsi, au fil des morceaux, se succèdent cinq guitaristes, huit cuivres, quatre batteurs, quatre bassistes et trois pianistes. Ils ont même eu, au chant, les Brown Sisters du Chicago Gospel Choir ! Et comme la voix très particulière de Wily rappelle parfois celle de Louis Armstrong, ce disque nous permet de faire un agréable voyage de l’Écosse à la Louisiane. – Robert Moutet


Andy Watts

Supergroove

Vizztone Label Group VT-BOOGA02
www.vizztone.com

Le blues d’Israël ? Pourquoi pas ! L’album est dédié à la ville de Tel Aviv pour son dynamisme. En tout cas, Watts y est le roi de ce style musical et il y a gagné le titre d’“Ambassadeur du Blues” dans ce pays avec son band de neuf musiciens, Andy Watts & Blues On Fire dont une série de chanteurs, dont Roy Young . Cet album est co-produit par Kenny Neal (Booga Music), ce qui est une référence et il y a des guests comme Joe Louis Walker au chant dans Burning Deep, un slow blues de bonne facture ; il y a aussi Eliza Neals au chant dans Blues Of The Month Club en medium. Pour le reste, Watts est un guitariste des plus compétents (un torride Pack It Up avec A. Young au chant, comme dans Don’t Take My Blues Away en slow et encore le nerveux Don’t You Let Me Down). Une mention spéciale au superbe Living Hand To Mouth bien enlevé, toujours avec Young au chant et Coastin Hank à l’harmonica ainsi qu’à Supernatural, l’instrumental de clôture, en hommage à Peter Green. – Robert Sacré


Sugar Ray and the Bluetones
Featuring Little Charlie

Too Far From The Bar

Severn Records Severn CD 0077
www.severnrecords.com

Les chemins du chanteur et harmoniciste Sugar Ray Norcia et du regretté Little Charlie Baty (mort subitement le 6 mars 2020), s’étaient croisés plusieurs fois depuis quarante ans. Mais ce n’est que très récemment que les deux hommes accordèrent leurs violons pour travailler ensemble et réaliser un disque. Se sont joints aux séances d’enregistrement le pianiste Anthony Geraci, le batteur Neil Gouvin et Michael Mudcat Ward et sa basse acoustique sous la houlette de Duke Robillard qui intervient aussi, guitare en mains, sur quatre plages. En plus de ce disque, Sugar Ray et Little Charlie avaient prévu de tourner ensemble. Le décès inattendu du guitariste a malheureusement brisé ce projet de concerts, juste avant le virus, qui aurait eu les mêmes effets délétères. « Too Far From The Bar » est le huitième album des Bluetones pour Severn Records. Il contient quelques-uns des derniers enregistrements de Little Charly Baty, guitariste qui déploie sa riche palette de sons : blues, jazz, swing. Une version particulièrement swinguante de Don’t Give It No More de Lowman Pauling des 5 Royales ouvre le disque en fanfare. Le jeu d’harmonica de Sugar Ray est superbe sur le downhome blues Bluebird Blues de John Lee Sonny Boy Williamson. Le titre du disque, Too Far From The Bar, est un irrésistible jump blues au tempo très rapide. L’harmonica de Sugar Ray Norcia se fait plus doux sur la ballade soul aux inflexions néo-orléanaises dont il est l’auteur, Too Little Too Late. L’enregistrement, certainement live dans le studio, a très bien capté le groove de l’instrumental Reel Burner dont une prise alternative clôt le disque. Can’t Hold Out Much Longer de Little Walter et My Next Door Neighbor de Jerry McCain sont de grands moments du disque. Geraci tutoie Otis Spann dans l’interprétation d’une composition du géant du piano, What Will Become Of Me ; il vole presque la vedette à son leader, pourtant émouvant, au chant. Les deux compositions du bassiste Michael Mudcat Ward, What I Put Through et The Night I Pulled On You, et celle d’Anthony Geraci, From The Horses Mouth, apportent une sympathique touche jazzy. Enfin, le standard I Gotta Right To Sing The Blues – enregistré par d’innombrables chanteurs de Louis Armstrong à Billie Holiday – est en mode coroner. Tout au long de ce disque, le chant et le jeu d’harmonica de Sugar Ray Norcia se déploient grâce à l’excellence de Little Charlie Baty et à l’infaillible section rythmique. – Gilbert Guyonnet


Gregg Martinez

Mac Daddy Mojeaux

Nola Blue Records NB011
www.nola-blue.com

Martinez est un musicien renommé en Louisiane et états voisins en tant que chef de band, chanteur et trompettiste. Il puise son inspiration dans le R&B de New Orleans et dans la Soul music, comme le montre son excellente version du I Believe To My Soul de Ray Charles ou Don’t Pull Your Love en duo avec Charlene Howard. Il livre ici son douzième album qui met l’accent sur des ballades en tempo lent ou médium comme Same Old Blues de Don Nix, Just Stay Gone et autres Moonlight And Magnolias. Je ne parlerai pas des quelques faces avec chœurs qui m’irritent… En fait, malgré la présence du bassiste Lee Allen Zeno, outre I Believe To My Soul, le morceau à sortir du lot est Eva Belle, un blues enlevé qui doit sans doute beaucoup aux guests, Sonny Landreth (guitare), Anthony Dopsee (accordéon) et Rockie Dopsee Jr (rubboard). En conclusion, Martinez livre une version slow, très émotionnelle, du Marie de Randy Newman. – Robert Sacré


Eric Johanson

Below Sea Level

Nola Blue Records NB-12
www.nola-blue.com

Ce chanteur et guitariste louisianais, « rodé » aux côtés de Cyrille Neville et Terence Simien, fait équipe avec les frères Dickinson, Luther à la production et Cody à la batterie, pour ce troisième album. Son registre est celui d’un blues rock électrique et funky, façon power-trio, propulsé par Terence Grayson, également bassiste de Victor Wainwright. Au long de douze originaux, la musique s’appuie fréquemment sur de puissants riffs de guitare, en tempo rapide (Down to the Bottom, Have Mercy, Nowhere to Go) ou lent (Changes the Universe, Open Hearted Woman, Dose of Forget). Love Is Rebellion puise davantage dans le folk, et Riverbend Blues dans le blues acoustique. Les textes sont souvent introspectifs et sombres. Hammer on the Stone est le passage « hendrixien » de l’album, et River of Oblivion se développe sur une ligne de basse complexe. Eric Johanson ne transmet pas d’influences du style traditionnellement connu de La Nouvelle-Orléans, mais son heavy blues retiendra l’attention des amateurs du genre. – Dominique Lagarde


Patrick Jansson Band

IV

Sneaky Foot Records SFRCD004

Qautrième album du band du Suédois Partick Jansson dont les trois premiers efforts furent très largement et justement acclamés par la presse, succès confirmé auprès du public lors des nombreuses tournées européennes déjà réalisées. Il s’agit là d’un blues flirtant avec le rock, mais jamais « bruyant », tout en finesse. Si on sent les inflences d’artistes comme Jeff Healey ou Gary Moore, Albert King ou Buddy Guy ne sont jamais très loin. Ainsi, avec l’excellent Lars Eriksson aux claviers, soutenu par Thomas Andersson à la basse et Martin Forsstedt à la batterie, Patrick Jansson délivre dans cet opus neuf titres dans lesquels la guitare est présente intelligemment et sans fulgurance inutile, la voix posée et pleine de nuance (Love Will Find A Way), les compositions très intéressantes. Un bel album. – Marcel Bénédit


Crooked Eyed Tommy

Hot Coffee And Pain

Blue Heart Records BHR003 (Nola-Blue)
www.nola-blue.com

Les duos de guitaristes se font rares de nos jours, surtout quand ils sont frères ; c’est le cas ici avec Tommy et Paddy Marsh qui ont formé leur groupe en 2010 et ont été demi-finalistes de l’International Blues Challenge à Memphis en 2014 et 2019 puis finalistes en 2020. Tous deux excellents guitaristes, ils sont présents dans chaque face et excellents chanteurs (ils alternent de morceau en morceau). Ils signent six des onze faces. Parmi les covers, on note une version très vitaminée et électrique du Death Letter Blues de Son House, avec de bonnes interventions de Jimmy Calire au Hammond B3 et Tommy au chant, comme dans un méritoire Hot Coffee And Pain, une belle tranche de Memphis soul en medium avec Craig Williams (saxophone). Paddy est aux commandes d’un beau slow blues, Sitting In The Driveway, avec C. Wiliams en soutien efficace. Le reste est dans la même veine avec les autres reprises : l’excellent Angel Of Mercy, bien enlevé et musclé avec les cuivres (inspiré par le Mr. Charlie de Grateful Dead) et le Congo Square de Sonny Landreth, un hommage enlevé à La Nouvelle-Orléans. On notera aussi l’instrumental The Big House qui fait référence à la résidence des Frères Allman, aujourd’hui le musée officiel du groupe, sans oublier la belle ballade bluesy et en slow Baby Where You Been avec Teresa James au piano et en duo vocal avec Tommy, sans oublier un très introspectif et menaçant The Time It Takes To Live en slow. Un album qui mérite toute votre considération. – Robert Sacré


Benoît Blue Boy et les Tortilleurs

Résolument Bleu

Tempo Records TMP2002 / Socadisc

Depuis son premier album dans les années 70 – que ce soit dans les registres du Swamp blues intimiste qu’il a tellement bien intégré au fil du temps, des voyages en Louisiane et des rencontres, ou que ce soit dans un cocktail sublime de musiques avec la crème des musiciens du Golfe du Mexique, les West Side Horns et le regretté Randy Garibay dans un album majeur (« Benoît Blue Boy en Amérique ») –, pas une once de terrain semble avoir été cédée par Benoît Blue Boy au fil du temps à ses convictions, ses passions, ses envies, son plaisir de jouer et de partager. La (les) musique(s) qu’il aime avant tout et des textes en français ! Aucune sirène ni aucune mode n’aura eu raison de cette honneteté intellectuelle et artistique qu’on retrouvait encore dans « À boire et à manger à St Germain des Prés », magnifique album dans lequel Benoît rendait hommage à Mac-Kac, Moustache et tous pionniers du Rock’n’roll français. Dans ce disque, il était accompagné par les Gaziers du Rythme de Nico Duportal (Alexis Bertein, basse et Pascal Mucci, batterie) que l’on retrouve dans ce nouvel album « Résolument Bleu » (le 17éme de Benoît) – associés à Stan Noubard Pacha (guitare), pour former Les Tortilleurs. Nico Duportal est aussi – outre la guitare et le chant – à la réalisation du présent enregistrement. Douze titres blues de la meilleure veine, avec cette poésie de l’instantané, cette verve et ces histoires qu’on croirait imaginées en même temps que se fait la prise de son, qui parlent des trucs de tous les jours, comme l’ont toujours faits les bluesmen et les griots. L’harmonica – quant à lui – n’a à mon sens peut-être jamais été aussi proche des meilleures faces produites par JD Miller. Des musiques à danser souvent, servies par des musiciens de très haut vol et des amis qu’on oublie pas (les frères “Jazz”, Denis Leblond, Matt Bo Weavil aux chœurs), qui font partie intégrante de l’histoire… Un régal de bout en bout. Un grand merci à BBB et à ses amis pour m’avoir permis de m’évader pendant le confinement sans attestation. – Marcel Bénédit


Philippe Ménard

Exile On Mémène St.

MPB 1213

Voici la douzième production du bluesman nantais Philippe Ménard qui nous offre un double album disponible en CD et en vinyle. Et il est toujours en « one man band » avec sa voix, sa guitare, son harmonica, sa batterie, son piano et quelques surprises comme des cloches tibétaines ! Sur le double vinyle, il y a 21 compositions, et 4 titres bonus en plus sur le CD. Et pour séparer ces derniers, il y a 4 « haïkus » , de courts morceaux instrumentaux. Comme pour son précédent album, « Walking On The Front Line », tous les textes en anglais sont dans un livret. Le titre de l’album et un clin d’œil aux Rolling Stones et leur célèbre morceau de 1972 Exile On Main St. Côté textes, Philippe invente des histoires d’amour, il évoque la condition humaine avec ses problèmes et ses désespoirs et il s’inspire souvent de l’actualité. Ainsi, il ne pouvait pas rater Trump qu’il traite de « cowboy » dans Fake News, et évoquer la Covid 19 dans An Eye For An Eye. Le confinement lui a donné du temps pour travailler à ses nouvelles compositions car il a malheureusement subi l’annulation de ses concerts. Il a aussi retrouvé dans des vieux cartons des enregistrements jamais publiés qu’il avait faits sur cassettes ! Ainsi, il a repris Our Fear Is Gone Away, un morceau écrit il y a plus de vingt ans. Et comme, pour cet album, il avait initialement sélectionné 60 morceaux, il est possible – nous dit-il avec humour – qu’il sorte un nouveau disque sous un mois… – Robert Moutet


Various Artists

A Capella Black Gospel 1940-1969
Look How The World Has Made A Change

Narro Way PN-1605/1606/1607
www.gospelfriend.se

Trois CD, 84 faces, près de 4 heures d’écoute. Rien que du bonheur ! What A Time ! Historiquement, tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, les instruments de musique ne furent pas les bienvenus dans les églises noires, que ce soit dans l’Église Baptiste noire (rassemblant les plus pauvres d’entre eux, les esclaves puis les ouvriers/chômeurs, …) ou dans l’Église Méthodiste noire (ouverte aux classes moyennes noires plus favorisées). Les spirituals apparus dès 1800 se chantaient a capella, de même les negro spirituals d’après 1865 (musique religieuse harmonisée par des chorales universitaires noires à l’intention d’auditoires blancs afin de récolter des fonds pour construire des bâtiments scolaires, collèges et universités dans le Deep South, accompagnés parfois à l’harmonium ou au piano) ainsi que les jubilee songs pratiqués, dès 1865, dans les églises populaires noires où reignaient les quartettes masculins, les chorales, les prêcheurs charismatiques, les solistes, jusque dans les deux premières décennies du XXe siècle, voire après. La grande révolution arriva à la fin du XIXe siècle (1895) avec l’apparition de sectes pentecôtistes et sanctifiées dissidentes qui prônèrent l’utilisation des instruments de musique (guitares, basse, drums, piano, voire orchestres de jazz au complet avec cuivres…) lors des services religieux, mais les quartettes et groupes a capella gardèrent une grande popularité jusque dans les années 60, en parallèle avec une popularité aussi généralisée pour les groupes s’accompagnant d’instruments, y compris les Evangélistes itinérants (chant et guitares, etc). ll y avait de la place pour tous dans le cœur et dans la faveur des populations noires US. Le chant a capella est un exercice difficile et périlleux, il demande des heures de préparation et de répétitions, l’harmonisation des voix est loin d’être une sinécure, il faut être super doué pour éviter cacophonie et dérapages vocaux, un coach est indispensable et l’Histoire a retenu le nom de pas mal d’entre eux comme Jimmy Ricks (ex-Birmingham Jubilee Singers et coach + voix de basse des Golden Eagles) ou Charles Bridges, ici avec les Famous Blue Jay Singers of Alabama, ou encore Rebert Harris (Soul Stirrers) et beaucoup d’autres… Noter que les femmes étaient sous-représentées dans ce domaine, elles faisaient partie de chorales avec rarement le rôle de leader ou de soliste réservé aux hommes (ici, McNeil Choir, Luvenia Nash Singers, …) à l’exception du Camp Meeting Choir avec Sister Bernice Dotson en soliste (1946, Diamond Rec.). Par contre, recourant aux mêmes coaches que les hommes, elles étaient mieux représentées dans les quartettes comme Georgia Peach en leader des Reliable Jubilee Singers et présente ici dans les excellents I Don’t Know Why (1946, Apollo Rec.) et Give Me Strength Lord and I’ll Carry On (1946, Candy Rec.) ; à noter aussi les Keys of Heaven avec deux chanteuses solistes hors normes qui se donnent la réponse, avec passion, dans Movin’ In et Something Within Me (1949, Regal Rec .) et encore les Elite Jewels, un all-female group de six chanteuses sous la direction de Etta Mae Hurd… Pour le reste, la sélection de groupes, chorales et solistes faite par Per Notini dans ce considérable travail est exemplaire, c’est un festival d’excellents moments à passer avec les meilleurs représentants de ce style musical. Chacune des 84 faces mériterait des commentaires, mais c’est impossible à faire dans ce cadre. Ajoutons aussi que les notes très fouillées et instructives sont de Ray Templeton. Ces 84 faces ne sont pas agencées par ordre chronologique mais par ordre alphabétique, le CD 1 rassemble des faces du Camp Meeting Choir jusqu’à celles des Heavenly Kings, là où le CD 2 fait place aux faces des Jubileers jusqu’à celles des Seven Stars Juniors, tandis que le CD 3 couvre le Silver Leaf Quartet of Florida jusqu’aux Wings Over Jordan Choir. Et c’est une excellente idée, cela permet d’alterner des faces plus anciennes (1940) avec des faces plus récentes (1969). Cerise sur le gâteau, nombre de faces n’ont jamais été rééditées auparavant… À consommer sans modération. – Robert Sacré


Various Artists

Barrelhousin’ Around Chicago
The Legendary George Paulus 1970s Blues Recordings

JSP Records JSP2501
www.jsprecords.com

Ce double CD est une compilation de diverses plages extraites des productions de George Paulus. Celui-ci, mort il y six ans, était un fou de Blues, un très célèbre collectionneur et producteur de disques ; les firmes Barrelhouse Records, St George Records, Negro Rhythm, Kingfish, Delta Swing, Floating Bridge et African Folk Society, aussi éphémères fussent-elles, étaient ses créatures. Il s’est intéressé aux seconds couteaux du Chicago blues, ces musiciens amateurs ou semi-professionnels qui jouaient le dimanche dans Maxwell Street, aux coins des rues et dans les obscurs et miteux clubs, bars et bouges des Southside et Westside de la Windy City. George Paulus enregistra des musiciens intéressants desquels il n’exigeait aucune nouvelle composition mais qu’ils jouassent comme dans leur cadre naturel. Cela a engendré une musique âpre, fruste, dure mais excitante. Le premier CD débute par trois bonnes plages de Joe Carter accompagné de l’harmoniciste Big John Wrencher, des guitaristes Eddie Taylor et Walter ‘Big Red’ Smith et du batteur Johnny Junious. Ces chansons faisaient partie de l’album « Original Chicago Blues » (LP JSP 1038) ainsi que les deux de Kansas City Red avec Eddie Taylor. Le titre de Big John Wrencher et le tout premier enregistrement de Billy Branch en 1975 avaient vu le jour sur le LP « Harpin’ On It » (JSP 1063). Les albums Barrelhouse BH-08 et BH-09 nous avaient livré les faces réussies de l’homme-orchestre Blind Joe Hill et de l’harmoniciste Easy Baby. Sept des titres de ce premier CD avaient été enregistrés par Steve Wisner qui les céda à George Paulus ; celui-ci avait prévu de les publier en collaboration avec John Stedman et JSP sur un disque intitulé « Electric Chicago Blues » (JSP 1039) qui ne vit jamais le jour. Aussi allez-vous découvrir d’excellentes plages inédites non répertoriées dans « The Blues Discography 1971-2000 » (Robert Ford et Bob McGrath- Eyeball Production). Elles sont dues aux harmonicistes Sam Johnson (était-ce le père de Syl, Jimmy et Mac ?) et Earl Payton, au chanteur James Henderson, au guitariste Jimmy Miller, un postier de Chicago qui fit partie de l’orchestre d’Hip Linkchain, et à Mac Thompson, peut-être le plus célèbre de tous, chanteur, bassiste et frère de Syl et Jimmy Johnson. De même origine sont les titres de Frank Jr. et Walter ‘Big Red’ Smith qui avaient l’honneur du CD « Blues Chicago Style – Take A walk With Me, the 50’s Sound Revival » (Pulse PBX CD 403/4). Le second disque n’offre rien d’inédit. Nous retrouvons l’album complet du bon pianiste Lyin’ Joe Holley, « So Cold In The USA » (JSP 1040). Cette musique fut enregistrée dans le Provident Barber’s Shop où trônait un piano. Cette boutique était située dans un très dangereux quartier de Chicago où le musicien souvent très alcoolisé se produisait tous les samedis. Les deux chansons interprétées à la fin des années 60 par John Lee Granderson, parues sur « The Blues Guitar Album Vol.2 » (JSP 1055) et « Downhome Blues » (JSP 1068) sont excellentes. Enfin, John Stedman a choisi trois des meilleurs titres de Blind Will Dukes (LP JSP 1079 et CD JSP 7795). Ce chanteur-guitariste, âgé d’un peu plus d’une soixantaine d’années en 1975 quand il fut enregistré, aurait appris directement auprès de Robert Johnson ; mais il est loin d’être exceptionnel. Ma chronique aurait dû s’arrêter là. Mais a surgi, à propos de ce disque, sur internet, une polémique dont je me dois de vous informer. Le fils et la veuve de George Paulus (ses ayant-droits), accusent John Stedman de ne les avoir pas consultés pour l’utilisation des enregistrements et de l’image de leur père et époux que l’on voit sur la pochette. Ils envisagent d’intenter des poursuites judiciaires contre John Stedman et JSP Records. Ce double CD serait un pirate ? La musique ici divulguée est excellente et très chaleureusement recommandée. Mais la morale vous guidera peut-être dans votre choix de vous procurer ce disque, en attendant que la justice ait tranché ! – Gilbert Guyonnet


Pee Wee Crayton

1947- 1957 His Golden Decade
Texas Hop and Selected Singles AS & BS

Jasmine Records JASMCD CD 2139
www.jasmine-records.co.uk

On a tendance à expédier Pee Wee dans la rubrique Blues de la Côte Ouest, guitariste, simple disciple de T. Bone Walker. Tout cela me paraît un peu injuste. D’abord, souvenons-nous que Pee Wee Crayton fut bien plus qu’un simple suiveur technique de T. Bone. Il a été un de ses plus proches amis. Comment ne pas penser à leur première rencontre, à un moment ou Pee Wee tentait désespérément de tirer quelque chose de la guitare improbable qu’il avait achetée un soir de déprime… Pee Wee, qui était un fan de Charlie Christian, venait de s’avouer vaincu par la technique et l’invention de ce créateur exceptionnel. Vivant alors à Berkeley, il avait appris que T. Bone, son autre idole, résidait à Oakland, la grande ville noire de la Baie et qu’il jouait dans un club local. Avec un culot monstre, il s’y rendit et aperçut le Maître, seul au comptoir, sirotant son verre. « Are you Mr Walker ? » « Yes, I am. » En cette banale soirée de 1944, une belle histoire était née *. La sélection qui nous est proposée couvre les débuts de la carrière de Crayton. On y entend par exemple ce qui fut son plus grand succès – Blues After Hours – gravé en 1948 et ayant connu un classement flatteur de Bilboard, Numéro 1. Devenu un vrai standard du blues, mis depuis à de nombreuses sauces, ce morceau bénéficie d’une rythmique efficace, notamment d’un bon batteur, Candy Johnson, également saxophoniste et que certains ont pu voir avec Milt Buckner lors d’une tournée française. Autre interprétation très réussie, Texas Hop, véritable archétype du Jump Blues. La musique de Crayton relève de l’évidence. Souvent fondée sur un tempo médium qui installe l’auditeur dans un confort très agréable. C’est le type de musique dont on dit qu’on ne pense jamais à l’écouter mais qui, quand on pose un disque sur la platine, pourrait s’étirer sur des heures. On est alors conquis par un blues qui, même relevant de situations malheureuses, parvient à instaurer un climat de sérénité que l’on retrouve souvent chez des artistes. Les morceaux qui sont proposés sont d’un très bon niveau. Je voudrais vous faire partager mon plaisir sur quelques faces emblématiques. Côté swing, un instrumental, Cool Evening, avec son balancement élastique et son jeu faussement simple. Et qu’il est plaisant d’écouter un guitariste qui n’a pas confié sa sonorité à un enchevêtrement de pédales. Et le feeling dans tout ça ?… maugréent ceux qui n’ont pas digéré le côté crooner de l’artiste. Tendez donc l’oreille vers The Telephone is Ringing où la guitare s’émancipe de la tutelle de T. Bone et préfigure un certain expressionnisme. Autre superbe blues lent, I Love You So, où la guitare donne à nouveau une véritable leçon de blues. J’écoutais récemment avec un copain Boogie Woogie Upstairs qui, comme son nom l’indique, est un boogie très révélateur du goût de l’époque ; mon copain était accablé par le caractère trop sommaire pour lui de cet instrumental… Qu’il est triste d’être imperméable au swing quand ce dernier s’affiche sans fausse pudeur, entièrement axé sur le plaisir des danseurs. On oublie aujourd’hui ces éléments fondamentaux de l’Âge d’Or : les danseurs et surtout les danses elles-mêmes, pas et figures apprises par un public avide d’oublier les stormy monay et de briller dans les dance hall du samedi. La sélection s’achève sur un I Don’t Care qui évoque la Californie de l’après-guerre et les nombreux polars qui se déroulent dans les clubs chics de L.A. : coroner certes, mais musclé tout de même avec une guitare acérée qui écarte tout danger de mièvrerie. J’espère que vous aurez à cœur d’apprécier ces deux CD et, pourquoi pas, qu’il vous donneront envie de découvrir les disques gravés par Pee Wee dans sa seconde carrière. – André Fanelli

Note * : je vous conseille de lire (hélàs en anglais) la biographie de T. Bone Walker par Helen Oakley Dance. Il y a des anecdotes succulentes qui nous éclairent sur une constante de la sociologie des musiciens noirs de cette époque ; la transmission directe, le soutien paternel et fraternel tout à la fois, loin de toute rivalité, donnait une richesse particulièrement fertile au terreau musical. Pour ceux que l’anglais rebute, ils peuvent se référer à un bon papier paru sous la plume de G. Blampain dans un numéro de Blues Again trouvable sur le Net.


Various Artists

The Gospel According to Malaco
Celebrating 75 years of Gospel Music, by Robert Marovich

Malaco Records

C’est d’abord un magnifique objet : livre de 130 pages du format d’un LP avec de nombreuses et superbes photos retraçant l’histoire gospel du label Malaco de Jackson (Mississippi). On connaît l’importance de ce label dans les domaines blues, soul ou rhythm’n’blues avec des artistes incontournables comme Johnny Taylor, Z.Z. Hill, Little Milton, Denise Lasalle, Latimore, Bobby Bland, Artie White et bien d’autres, mais on a tendance à sous-estimer leur formidable catalogue gospel. Malaco, fondé en 1968, enregistra depuis ses débuts les talents gospels locaux comme les Jackson Southernaires, les Gospel Keynotes, puis ce fut la vogue des imposantes chorales qui fit le succès du label : Mississippi Mass Choir, New Jerusalem Baptist Church, Florida Mass Choir, Walter Hawkins, Rev. Milton Biggham en particulier ; mais la liste est longue. En même temps, Malaco racheta les catalogues d’autres grands labels de gospel dont Apollo, Savoy, Atlanta International, Onyx Records, Gospearl Records et Muscle Shoals Sound et c’est dans cet immense réservoir qu’ont pu être compilés les 8 CD (oui, vous avez bien lu !) inclus dans le livre et qui retracent cette épopée. On peut ainsi démarrer en 1947 avec Mahalia Jackson, les Dixie Hummingbirds, les Ward Singers, Marion Williams, les Blind Boys of Alabama, les Caravans, James Cleveland, Sister Rosetta, Inez Andrews, pour arriver à notre époque sans baisse de régime. Au total, 100 faces dont il serait vain de faire une sélection, car toutes sont des chefs-d’œuvre et vous y ferez de nombreuses découvertes. Une édition de base pour tous les amateurs de Gospel. Rarement un coffret de réédition ne m’avait fait un tel effet . Vendu à un prix très correct. Absolument indispensable ! – Marin Poumérol


Kenny Carter

Showdown
The Complete 1966 RCA Recordings

Kent Soul CDKEND 491
www.acerecords.co.uk

Auteur d’une poignée de 45 tours entre 1961 et 1972, le chanteur Kenny Carter – de son vrai nom Kenneth Head – n’a sans doute pas connu la reconnaissance qu’il méritait. Quatre-vingt ans après sa naissance, trente ans après sa mort, Kent Soul – après avoir déjà publié des titres isolés sur ses compilations – se penche sur l’intégrale de ses enregistrements pour RCA. À la signature du contrat, fin 1965, la grande compagnie veut faire de Kenny Carter un artiste d’album dans un registre « uptown soul ». De décembre 1965 à avril 1966, six sessions se succèdent, donnant un total de 22 morceaux. Arrangements et direction artistique sont confiés à Garry Sherman, apprécié pour ses collaborations avec Bert Berns et Jerry Ragovoy. Trois 45 tours sont d’abord publiés. L’élégant et sinueux Showdown fait figure de morceau de bravoure, mais le succès reste modeste. Dans ce CD où le producteur Larry Banks signe une grande partie des chansons, prennent place également beaucoup de reprises de standards de Broadway, jusqu’au Smile de Charlie Chaplin. Mention à la version majestueuse de I’ll Know. Des trois titres rapides, What’s That On Your Finger et Round In Circles furent laissés de côté à l’époque, seul le puissant I’ve Gotta Get Myself Together ayant les honneurs d’une face de 45 tours. Kenny Carter évolue dans un style lyrique et richement orchestré, très proche de celui du grand chanteur Roy Hamilton, lui aussi sous contrat avec RCA à l’époque. Le majestueux album qu’il y enregistre ne réalise pas les ventes espérées. Selon le compilateur Ady Croasdell, cet échec pousse RCA à annuler la publication de l’album de Kenny Carter, peut-être « déconnecté » des courants de la Soul de l’époque. – Dominique Lagarde


The Neville Brothers
Aaron and Art

That New Orleans Rock and Roll Beat 1955/ 1962

Jasmine Records JASMCD 1095
www.jasmine-records.co.uk

Quand on discute avec Ian, le fils de Art Neville, luimême quitariste des Neville Brothers et du Dumpstaphunk, resurgissent de façon récurente des propos élogieux sur les premiers enregistrements de son père qu’il considère comme une sorte de Saint Graal, voire de fond baptismal du rab néo-orléanais. On se sera souvent plus attardé sur les faces postérieures des Meters puis des Neville Brothers, quitte à reléguer ces faces originelles dans un coin de discothèque. Retrouver les morceaux originaux des deux frères accolés les uns aux autres selon une progression chronologique – Art puis Aaron – est en l’occurrence un processus passionnnant permettant de mettre en exergue toute la puissance artistique de ces deux figures de la musique néo-orléanaise. Passer du Mardi Gras Mambo des Hawkets, hit permanent du carnaval louisianais, au Waiting At The Station qui marque déjà toute la spécificité vocale d’Aaron, a quelque chose de rafraîchissant. À l’écoute de ces faces de jeunesse, on se prend à regretter le fait qu’aucun duo vocal entre les deux frères n’ait été enregistré à cette époque. On se consolera en soulignant ici toute la patte familiale commune qu’on retrouvera bien sûr dans le processus créatif des Neville Brothers, mais aussi dans ce merveilleux enregistrement d’Aaron, Orchid in the Storm (1985), où les voix des deux frères se mélangent à merveille sur le medley This Is My Story/We Belong Together. Le Doo Wop à son paroxysme ! – Stéphane Colin


Elder Charles E. Beck

Your Man Of Faith

Gospel Friend PN-1515
www.gospelfriend.se

Membre influent des églises Pentecôtistes et Sanctifiées, Elder Beck a mené une vie trépidante, riche et variée, c’est ce qui ressort des notes de pochette très fouillées que l’on doit à Opal Louis Nations, un grand spécialiste du Black Gospel. Il est né en mai 1902 à Mobile, Alabama, ses parents étaient originaires d’Afrique de l’Ouest et il prétendait en avoir hérité des dons de guérisseur (healer) avec des résultats attestés par des témoins et/ou bénéficiaires. Touche-à-tout, il acquit successivement la maîtrise d’une foule d’instruments (23 parait-il !) à commencer par le piano, puis trompette, saxophone, Hammond B3, basse, drums, bongos… et il passait fréquemment d’un instrument à un autre au cours du même morceau et lors de séances « live » dans son église, la Way Of The Cross C.O.G.I.C. à Buffalo, NY. Au piano, son modèle fut Arizona Dranes, la pianiste aveugle de Dallas, Texas, qui introduisit les rythmes du ragtime dans son jeu ; Beck s’en est inspiré comme on peut l’entendre dans plusieurs faces dont un If I Have To Run uptempo (gravé en solo, piano-chant, à New York en mai 1937 pour Decca). Avant cela, son premier job, il l’eut comme pianiste avec Elder Curry, pasteur de la Church of God in Christ à Jackson, MS, à la fin des années 20 avec des enregistrements pour la firme Okeh. Beck s’installa d’abord à Memphis puis, en 1937, à New York, sous l’aile de Sweet Daddy Grace, un adepte des marching bands de New Orleans et recourant dans ses services à la United House of Prayer à Harlem. C’est ainsi que Beck put commencer une carrière discographique en 1937 avec une version très personnelle du Precious Lord de Thomas Dorsey pour Decca Records puis deux faces encore en 1939. Peu d’activité à noter pendant la seconde guerre mondiale (studios fermés, arrêt de productions de disques, le plastique étant réservé aux besoins stratégiques) sauf son implication dans les mouvements pour les droits civiques des Noirs avec le Sénateur (noir) Adam Clayton Powell, ainsi que la mainmise sur des programmes radio réguliers sur WKBW (Buffalo) et WHAT (Philadelphie). Mais Beck revint en studio en 1946, cette fois pour Eagle Records, avec une face emblématique, Blow Gabriel ; c’est jazzy et bien enlevé et Beck y joue de la trompette en virtuose. On retiendra aussi un trépidant Delilah. En 1948, Beck passa chez Gotham Records à Philadelphie et y grava une douzaine de faces dont le speedé There’s a Dead Cat on the Line où il parle, ironise, chante, prêche et joue de la basse acoustique ainsi qu’un Didn’t it Rain endiablé (oops !) avec sa femme Bertha au piano et un superbe You Got to Move uptempo. En 1950, Beck passa chez King Records. Il y produisit un délirant Shouting with Elder Beck, un What Do You Think About Jesus mémorable avec piano, chorale et trompette. Tout cela parait assez sérieux, alors qu’en fait Beck était un humoriste plaisantin maniant l’humour avec dextérité avec sa voix gouailleuse et son ironie mordante, comme dans les désopilants You Better Watch Your Close Friends ou mieux encore dans une histoire de rédemption, Winehead Willie Put That Bottle Down. Il était aussi un anticonformiste féroce préconisant l’importance prépondérante du rythme dans les chants d’église (trop souvent mornes et trop sages à son goût), ce que lui réalisait en incluant du swing et du jazz dans ses interprétations comme When ou Blow Gabriel, I got a Home in that Rock, … frisant parfois la variété (If I Can Just Make It In, …) avec un sommet en juillet 1956 : un Rock and Roll Sermon d’anthologie où il prêche de façon hystérique pour le Rock’n’roll avec, en toile de fond, une guitare électrique d’enfer (sorry !) ; ce morceau allait en choquer plus d’un dans les hiérarchies baptistes et méthodistes et la controverse de s’emballer dans toutes les congrégations, mais Beck n’en eut cure, sa célébrité en sortit intacte et, peu après, il enregistra tout un album avec des guests pour Folkways Records, dans son église. Il est mort en septembre 1966 à Buffalo, NY. – Robert Sacré


Tampa Red

I’ll Find My Way
Hot Chicago Blues 1947-1953

Jasmine Records JASMCD 3159
www.jasmine-records.co.uk

Très nombreuses sont les compilations consacrées au chanteur-guitariste Tampa Red, pseudonyme de Hudson Woodbridge, dont les innombrables enregistrements ont débuté en mai 1929 pour Paramount et se sont terminés en 1962 pour Prestige Bluesville. Cette pléthorique production laisse une importante marge de manœuvre aux divers compilateurs. Par contre, la période fin années 1940’s et début 1950’s a été négligée. Elle a été enterrée dans les « Complete in chronological order » de Document Records. J’ai ainsi découvert, à ma grande surprise, que ce disque n’est que le troisième qui nous présente une compilation de l’œuvre gravée après-guerre par Tampa Red. En 1983, Krazy Kat publiait l’album « Tampa Red 1944-1952 featuring Johnny Jones » (KK7411). En 2015, Ace livrait au public un double CD indispensable, « Dynamite ! The Unsung King of the Blues » (Ace CDTOP21440) avec neuf plages sur cinquante d’avant 1945. Les compilateurs Neil Slaven et Bob Fisher ont choisi des titres enregistrés dans la dernière partie importante de la carrière de Tampa Red. En 1953, son épouse décède. Tampa Red plonge alors dans une spirale dépressive dont il ne sortira jamais ; il n’est plus que l’ombre de lui-même quand il enregistre pour Prestige Bluesville en 1960 et 1962. De nombreuses chansons plombées par le kazoo souvent pénible dont abusait Tampa Red, ont été ici écartées. La sélection est fort bien faite puisque l’ordre chronologique choisi n’engendre aucune monotonie et ne nuit jamais à l’écoute de la superbe musique embellie par le piano de Johnny Jones, successeur de Big Maceo Merryweather. Le répertoire, issu du label RCA-Victor, est riche et varié : Love Her With A Feeling, Sweet Little Angel, It’s Brand New Boogie, She’s Dynamite, When Things Go Wrong With You, … Les sommets sont atteints avec les séances du 1er septembre 1953 et du 1er décembre 1953 où les jeux d’harmonica de Sonny Boy Williamson II (Rice Miller) et Walter Horton insufflent une dimension supérieure à la musique de Tampa Red. Ce sera le chant du cygne d’un des plus grands maîtres de la guitare slide et personnalité du Chicago blues. Quelques mois plus tôt, le 23 janvier 1953, Tampa Red avait fait quelques infidélités à RCA-Victor en enregistrant quatre plages de qualité, présentes sur ce CD, pour l’obscur label Sabre, en dissimulant son identité derrière le nom de Jimmy Eager, délaissant la guitare à Lefty Bates. Pas un seul mauvais titre sur cette compilation. Chaque blues est exceptionnel. Malgré douze doublons, le CD Jasmine est un excellent complément du double CD Ace. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Dirty Work Going On
Kent & Modern Records
Blues into the 60 Vol.1

Ace Records ACE CDCHD 1571
www.acerecords.co.uk

 

If I Have To Wreck L.A.
Kent & Modern Records
Blues into the 60 Vol.2

Ace Records ACE CDCHD 1577
www.acerecords.co.uk

Celui qui a le plaisir mais aussi la charge de chroniquer ces deux compilations doit avoir certes une bonne oreille, mais aussi une très bonne vision. Il y a quelque cruauté à utiliser des caractères aussi minuscules quand il s’agit de mettre en valeur un texte de qualité. Et la qualité est là, puisqu’il s’agit d’une excellente production de Dick Shurman. Peu importe, lisez ce texte. Pour ma part, je n’ai que peu à ajouter, si ce n’est à dire tout le plaisir que j’ai eu en écoutant tous ces musiciens bien peu connus des amateurs d’aujourd’hui. Vous le savez, je suis le premier à m’étonner, quelque fois, de certaines rééditions tant l’audition nous laisse songeurs. Non qu’elles concernent des musiciens franchement insuffisants, mais parce qu’elles semblent par exemple dépourvues de ce feeling qui est le socle de toute réussite en matière de blues. Ces publications sont plutôt destinées à des collectionneurs boulimiques qui finissent par être entourés de Lps, 45 rpm, CD, tapes et j’en passe, et qui ne disposeront pas du temps nécessaire pour tout écouter. En tout cas, de leur vivant… Tel n’est pas le cas des anthologies qui retiennent notre attention aujourd’hui. Pour notre plus grand bonheur. Certes, tous les artistes qui nous sont présentés n’ont pas connu la gloire, même pas les places éphémères dans les charts, ces baromètres du succès et des finances qui vont avec. Mais tous sont porteurs du message du Blues. Je dois avouer avoir pris un vif plaisir en découvrant des bluesmen que je connaissais pas, ou si peu. Au travers de ces CD, c’est tout un pan de l’histoire du blues qui défile. Formes encore marquées par le temps et nouvelles manières cohabitent ainsi. Deux labels majeurs sont concernés : Modern, compagnie créée par le frères Bihari, puis Kent créée en 1958, sont mises en valeur et démontrent le flair de leurs propriétaires. Leur apport (pas désintéressés) à la musique africaine-américaine est très important. Le niveau de la sélection est de belle tenue. Parmi les artistes que j’ai aimés, je veux souligner des réussites comme les prestations de Larry Davis, la fougue de Big Jay McNeely, le feeling intense de Little Joe Blue… Mais c’est à vous de faire votre choix. Avec justement l’embarras du choix… Pardonnez-moi un brin de nostalgie, mais je pense à ces années de jeunesse où celui qui aurait eu le privilège de posséder de telles merveilles aurait immédiatement convoqué les « initiés » pour les écouter ensemble, discuter, s’enflammer… Cette musique dans son mystère et sa virginité nous aurait fait vibrer des semaines. C’est tout le mal que je vous souhaite. – André Fanelli


Tarheel Slim

The Tarheel Slim Story
Wild Cat Tamer 1950-1962

Jasmine Records JASMCD 3183
www.jasmine-records.co.uk

De son vrai nom Alden Bunn, né en Caroline du Nord en 1924 et décédé en 1977, Tarheel Slim connut une assez longue carrière pleine de rebondissements. En 1946, il rejoint les Selah Jubilee Singers avec lesquels il enregistre pour Continental et Decca, puis il crée son propre groupe – les Jubilators – qui, en 1950, arrive à enregistrer pour quatre compagnies le même jour (5 octobre pour Regal, Savoy, Apollo et Jubilee). Ces groupes changent de nom suivant les occasions : Four Barons puis The Larks, The Wheels et enfin The Lovers ; difficile de s’y retrouver ! En 1957, il rencontre sa future femme (Anna Sanford) et fonde un duo sous le nom de Tarheel Slim et Little Ann qui enregistre pour Fire puis Aladdin avec un certain succès, surtout avec deux titres légendaires souvent réédités dans maintes anthologies : Wild Cat Tamer et Number 9 Train qui sont de petits bijoux de rock enflammés où la guitare de Wild Jimmy Spruill fait merveille. Cet album, dans lequel différents styles se côtoient agréablement, est un fidèle reflet de la carrière de cet artiste de qualité. Redécouvert en 1975 par Peter Lowery, il grava un excellent album acoustique – « No Time At All » – pour Trix Records, qui mériterait une réédition. – Marin Poumérol


Various Artists

These Arms Of Mine
The Birth Of Southern Soul

Jasmine Records JASMCD 867
www.jasmine-records.co.uk

En proposant cette double compilation de 60 morceaux, Jasmine Records se donne pour mission de nous entraîner en plongée dans les racines de ce qui est désigné comme la Southern soul, c’est-à-dire « très marquée par le Gospel, délivrant une émotion à fleur de peau et connue surtout de la communauté noire-américaine », selon les termes de Peter Guralnick, repris dans le livret. Tout cela avant que la bulle de la Soul sudiste n’éclate à la face du monde, au milieu des années soixante. A Fool For You de Ray Charles, de 1955, est pris pour point de départ de ce courant et l’éventail des chansons retenues ici va jusqu’à 1962. Ne vous y trompez pas, si une quinzaine de titres fait partie des classiques familiers et obligés des rééditions du genre, il y a du grain à moudre avec une quarantaine de pépites plus obscures. Au casting : des (déjà) vétérans, pionniers malgré eux de la Soul naissante (Ruth Brown, Brook Benton, Roy Brown, Little Willie John, Ivory Joe Hunter), des talents en devenir (les magnifiques Womack Brothers, Johnnie Taylor). Sam and Dave interprètent No More Pain, un plagiat laïc de Jesus Be A Face Around Me des Soul Stirrers ; un gospel écrit par Sam Cooke, dont l’influence rayonne d’ailleurs sur une bonne partie de cette sélection. Joe Tex intimiste, humble et chaleureux révèle son talent unique (I’ll Let Her Get Away). Reste à vous régaler encore des nombreux inconnus qui composent ce programme, pour ce qu’il est, sans nostalgie. Un double CD qui aura du mal à quitter vos oreilles. – Dominique Lagarde


Various Artists

Blues Images Presents…
23 Classic Blues Songs From The 1920’s-1950’s, volume 18 

Blues Images B.I.M.-118
www.BluesImages.com

Pour la dix-huitième année d’affilée, John Tefteller réédite son exploit. Une fois de plus, il propose un superbe calendrier 2021 (il est temps d’y penser, les amis), en format 30 cm/30 cm avec des photos rares et des infos importantes de page en page, un vrai collector, comme les dix-sept précédents, et il est accompagné d’un CD de 23 faces, 12 des années 20 et 30, et 11 gravées par Sam Phillips dans ses mythiques studios SUN de Memphis en 1950 ; ces dernières sont au crédit du pianiste aveugle Lost John Hunter qui fut le premier musicien africain-américain à enregistrer pour Sun Records, avant Howlin Wolf, Joe Hill Louis et consorts. La première séance (pas de date précise, début 1950) produisit 11 faces destinées à la compagnie 4 Star Records (Pasadena, CA) qui ne furent pas publiées ; elles viennent de refaire surface grâce à John Tefteller et elles ont été re-mastérisées. Une deuxième séance fut organisée en mai 1950 – toujours dans les studios Sun – et 4 faces parurent sur 4 Stars Records (et J. Tefteller va continuer à éplucher les archives 4 Stars pour essayer de trouver d’autres faces inédites). L’histoire de Hunter est fascinante et elle est racontée dans les pages d’introduction du calendrier : Hunter s’appelait en réalité Lindell Woodson, né aveugle en 1910, il était le pianiste et l’organiste de la Church Of God In Christ à Memphis et, pour enregistrer de la « devil’s music », il fut amené à choisir un pseudonyme afin de ne pas se mettre à dos les membres de son église ! Il est accompagné par un groupe de copains, les Blind Bats, avec le guitariste Herman Green… (suite dans l’intro du calendrier). Ajoutons quand même que Hunter est un pianiste énergique et virtuose qui se donne à fond dans des boogies comme Lost John’s Pinetop’s Boogie ou Boogie For My Baby (en solo, sans le band) comme ailleurs ; il est en outre doté d’une voix graveleuse et enfumée du plus bel effet partout et en particulier dans Miss Thelma Mae ou You Gotta Heart Of Stone et Mind Your Own Business. Pour ce qui concerne les faces des années ’20 et ’30, comme d’habitude elles proviennent des meilleures copies connues et toutes ont été remastérisées avec soin, pas de grattements ou bruits annexes, un son parfaitement clair pour apprécier comme il se doit Peg Leg Howell dans Too Tight Blues (Atlanta 1927), Walter Roland dans Cold Blooded Murder (1935,New York), Sonny Boy Williamson 1 ( Good Morning School Girl, Aurora, IL 1937) ou Blind Lemon Jefferson dans un morceau de circonstance, en pandémie de Covid 19, Pneumonia Blues (1929, Richmond, IN ; la pub du disque fait la couverture du CD et du calendrier). N’oublions pas Bertha Henderson avec Blind Blake (1928), Buddy Moss (1935), Meade Lux Lewis (1927), Huddie Ledbetter (1935), Ramblin Thomas (1928), Blind Boy Fuller (1935), Rev. D.C. Rice & Congregation (1928) et, cerise sur le gâteau, Victoria Spivey dans un test pressing inédit, Witchcraft Blues (Chicago 1937) gravé pour Halloween mais resté inédit. Album incontournable… Un must ! – Robert Sacré


Billy ‘Boy’ Arnold

Come Back Baby, I Wish You Would

Jasmine Records JASMCD 3165
www.jasmine-records.co.uk

William Arnold a fêté ses 85 ans le 16 septembre dernier. Il est un pur produit de Chicago où il naquit, contrairement à la majorité des musiciens de Blues de sa génération qui arrivaient du Sud. Il est un disciple de John Lee Sonny Boy Williamson qui lui divulgua, par sa parole et ses enseignements, quelques secrets du jeu d’harmonica. Cette formation fut assez brève puisque Sonny Boy Williamson fut assassiné le 1er juin 1948. Vers 1951, l’adolescent William Arnold traîne ses guêtres tous les dimanches dans Maxwell Street. Il façonne son style et rencontre un guitariste un peu plus âgé que lui, Bo Diddley. Le pianiste Blind John Davis le remarque et l’aide à graver son premier disque pour la minuscule firme de disques Cool, en 1953. Nous avons, sur ce CD, les deux faces de ce 78 tours que seuls les possesseurs du 78 tours ou du CD pirate « Windy City Dandies. Beat-Me-Down Rhythm & Blues Vol.1 » (Vee-Jay Records (!) 102) connaissent*. Ce disque apparut sous le nom de ‘Billy Boy’ Arnold qui accepta à contre-cœur ce surnom choisi et imposé par le label. Le 2 mars 1955, Billy Boy Arnold et Bo Diddley sont confiés par les frères Chess aux bon soins de Willie Dixon avec le soutien instrumental du pianiste Otis Spann. Seules les plages enregistrées par Bo Diddley en leader et Arnold en accompagnateur furent publiées sur Checker. Parmi elles, le tube Bo Diddley/ I’m A Man (Checker 814). Les deux chansons chantées par Billy Boy Arnold restèrent dans les oubliettes jusqu’à ce que Red Lighnin’ les redécouvrît. Jasmine publie l’intégrale de cette séance exceptionnelle. Les deux chansons de Billy Boy Arnold ne virent pas le jour à l’époque parce que Leonard Chess n’appréciait pas particulièrement les harmonicistes. Son opinion changea quand Little Walter rencontra le succès avec Juke… Il voulut alors enregistrer Billy Boy Arnold. Mais celui-ci avait déjà migré chez le concurrent Vee-Jay qui produisit, entre mai 1955 et septembre 1957, quelques chansons devenues justement des classiques du Chicago blues : I Wish You Would qui fut un tube pour les Yardbirds avec Eric Clapton, Don’t Stay Out All Night que les Rolling Stones interprétaient à leurs débuts, I Ain’t Got You, Rockin’it is. Billy Boy Arnold était accompagné par le pianiste Henry Gray, les guitaristes Jody Williams ou Syl Johnson selon les sessions. Ces plages sont indispensables. Régalez-vous à l’écoute de l’œuvre majeure des années 1950’s de Billy Boy Arnold, dont on attend avec impatience la publication de ses passionnants souvenirs au printemps 2021. – Gilbert Guyonnet

Note * : Hello Stranger du 78 tours Cool 103 avait aussi été publié en 1975 sur l’album Red Lightnin’ RL 0012, « Blow The Back Off It ».


Goree Carter

His Guitar, His Hepcats & His Rockin’ Rhythm Orchestra
Let’s Rock Awhile 1949-1951

Jasmine Records JASMCD 3151
www.jasmine-records.co.uk

Sacré T. Bone ! Sa progéniture musicale rassemble une foule dense de guitaristes qui, sans lui, n’existeraient sans doute pas. Goree Carter s’inscrit dans ce vaste mouvement. Carter est donc membre à part entière partie de cette cohorte. Le CD nous fait connaître la quasi-totalité de sa production. Il a à peine 18 ans quand il pénètre dans un studio pour la première fois. Il possède déjà des qualités qu’on ne peut négliger. Trois années durant il enregistre régulièrement. Il faut dire que sa musique correspond à ce moment-là aux attentes de la clientèle noire en quête d’une musique se partageant entre morceaux dansants et dynamiques et ballades sentimentales. Hoy Hoy est ainsi idéal pour mettre l’ambiance. C’est un des morceaux que je préfère. Il ne faut pas s’offusquer du fait que nombre de morceaux rappellent fortement des succès et même des tubes indéracinables. L’idée de « droits d’auteur » ne va pas de soi. Les troubadours, les violoneux des campagnes ou même les compositeurs n’ont eu jusqu’au XVIIIe siècle aucune précaution de copyright ! Nous devons, je crois, à Beaumarchais l’idée d’une propriété culturelle telle que nous la concevons. Tout ça pour vous dire que vous n’aurez guère de difficulté à identifier les emprunts. J’ai eu l’occasion de discuter avec des old timers comme Robert Pete Williams, Johnny Shines, Carl Martin, Mayo Williams et autres. Avant de fréquenter le monde professionnel des producteurs blancs, ils n’avaient guère de soucis de propriété de leurs œuvres. Ils étaient payés (chichement et pas toujours) sur place, en cash et ne cherchaient pas à en savoir davantage. Revenons à la musique. Dans les tempo lents, Carter « perd parfois le contrôle ». C’est alors une torpeur insidieuse qui s’installe, la voix se fait trainante, le drummer se mue en forgeron mélancolique. Bref, la lenteur du slow blues a ses limites… Everybody’s Love Crazy est un bon exemple de ce danger. Mais ce serait une erreur de s’en tenir à ces quelques défauts car la majorité des enregistrements sont réussis voire très réussis. Meilleur guitariste que chanteur, Goree Carter nous offre de longs passages où sa guitare, au son clair (parfois avec des riffs et accords plus crunchy) nous entraine sur un tempo idéal jubilatoire. Une marche élastique. Une respiration apaisée. Certains sont passionnés par la résolution d’énigmes, aux uns le Masque de Fer ou Louis XVII, aux autres la naissance du Rock And Roll… Goree Carter paraît bien placé pour être sacré – un peu trop tard pour qu’il en tire gloire et dollars – créateur du style de Chuck Berry et seul père spolié du Rock And Roll. En effet, Rock Awhile, par exemple, ne peut manquer de présenter quelques similitudes. À vous de juger. Pour ma part je pense que la source commune reste T. Bone. À Montreux, en 1972 je crois, j’ai pu constater de visu backstage le respect de Chuck vis-à-vis du grand inspirateur et la fierté de se produire sur la même scène… Je ne peux que conseiller l’acquisition de ce témoignage séduisant d’un temps révolu, mais dont les charmes ne demandent qu’à être ramenés au jour par quelques archéologues qu’il convient de révérer. Si vous en avez l’occasion regardez « Devil in a Blue Dress » ; un polar qui évoque cet âge d’or sur la West Coast. 1948… Justement, les débuts de Goree. Un dernier mot, par honnêteté, il y a quand même une incongruité de taille : Serenade. Je n’en dirai pas plus. – André Fanelli


Jimmy Witherspoon

Move Me Baby 1947-1955

Jasmine Records JASMCD 3177
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Jimmy Witherspoon (1923-1997) possédait l’une des voix les plus marquantes de la musique afro-américaine : puissante, sonore, expressive, immédiatement reconnaissable et à l’aise dans tous les styles. Il commença à enregistrer en 1945 avec le pianiste Jay McShann dont il remplaça le chanteur Walter Brown. On le retrouve ici avec McShann sur les 4 premiers titres datant de 1947. Les 6 titres suivant ont été gravés en public pour Modern avec une grosse ambiance et un son impeccable. On passe ensuite chez King / Federal pour onze titres (1952 – 1954) parmi lesquels on trouve les premières compositions de Leiber / Stoller et de superbes musiciens : Jake Porter, Bumps Myers, Maxwell Davis, Big Jim Wynn, Tiny Webb et bien d’autres. On termine avec 3 faces enregistrées pour Checker à Chicago avec Willie Dixon et Fred Below dont les fabuleux It Ain’t No Secret et When The Light Go Out. En tout, 28 titres de très haut niveau par un artiste d’exception. Que voulez vous de plus ? – Marin Poumérol


Various Artists

New Breed R&B
Saturday Night Special

Kent Soul CDKEND 492
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Vingt-quatre titres « twistant » dont huit inédits et une nouvelle virée dans le tonneau des Danaïdes des années 60. Elle s’ouvre sur l’excellent Every Saturday Night d’Aaron Collins et ses sœurs, les Teen Queens, et ne faiblit guère au fil des plages. On pourra toujours faire valoir que les neuf dixièmes des chanteuses et chanteurs choisis, sont des seconds couteaux, imitateurs des vedettes du moment, mais les productions en elles-mêmes ne souffrent guère d’autres reproches. C’est le cas avec Jarvis Jackson et Sterling Magee plus « james browniens » que nature. Sterling Magee ressurgira quelques décennies plus tard comme moitié du duo new-yorkais, Satan and Adam. Johnny Guitar Watson pille Wade In The Water pour en faire son Wait A Minute Baby. Your Yah Yah Is Gone des Tren Teens est un compromis entre Yaya de Lee Dorsey et Slippin’and Slidin’ de Little Richard, Family Man, un démarquage du Mother in Law d’Ernie K Doe. Redécouverte grâce à un autre CD Kent, Margaret Lewis brille dans un registre à la Ruth Brown, suivie de Flora D, une excellente chanteuse, sur un titre signé Harold Burrage, avec Freddy Robinson à la guitare. Le titre le plus ancien – You Can Be My Honey de Pee Wee Foster (1958) – est encore ancré dans le rock’n’roll à la Little Richard avec solo de guitare en bonus. Johnny Talbot et Tony Clarke donnent eux plutôt dans ce que l’on appelle pas encore la northern soul. Un superbe livret, très documenté et un ensemble qui ne peut que plaire aux danseurs frustrés, « depuis que les bals sont fermés ». – Dominique Lagarde


Savannah Churchill

The Lost soul
Tell Me Your Blues & I’ll Tell You Mine 1942-1960

Jasmine Records JASMCD 3138
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Avec Savannah Churchill, nous retrouvons la scène musicale des années 40. Une scène très active qui offrait du rêve mais aussi, la chance (et le talent) aidant, de réelles opportunités. L’environnement social et économique était plus favorable que jamais. À cette époque, la ségrégation battait son plein dans le domaine de la musique. La population noire avait sa presse, ses radios, et bien sûr ses vedettes musicales menant leur carrière sans toucher le public blanc sauf au travers de plagiats et autres cross over. Et il était assez normal de voir des artistes de grand talent et connaissant le succès dans leur communauté, demeurer éloigné du public blanc. Ce dernier ne connaissant cette musique que dans les cabarets. Un average white man ne se serait pas rendu dans un théâtre pour y voir une revue. Savannah n’avait pas choisi le show busines mais, prématurément veuve, elle devait prendre en charge ses deux enfants. Elle aimait chanter, elle se tourna donc vers les dancings et les clubs. Notamment pour la clientèle blanche huppée qui appréciait ce jazz bluesy ( à moins que ce soit ce blues jazzy…) qui s’agrémentait souvent de paroles lestes et de double entendre.  Mais l’objectif était, bien sûr, d’enregistrer un disque, d’obtenir un succès permettant, une vie meilleure. Après un essai financièrement décevant pour son producteur, elle ne tarda cependant pas à revenir dans les studios. Elle avait pris de l’assurance et éveillé l’intérêt d’artistes connus. Benny Carter lui-même l’engagera et elle sera, un temps, la chanteuse de son orchestre et enregistra avec lui un de ses plus grands succès Hurry Hurry. Elle aura les honneurs de l’Apollo où on la retrouve entre 1944 et 1951 au côté de Lucky Millinder, Red Allen, ou même Dizzy. Comme on le voit, Savannah se situe essentiellement dans le monde musical du jazz, un peu comme Dinah Washington mais, bien sûr, sans avoir l’envergure de l’Evil Girl… Elle eut l’occasion de jouer aux côtés d’artistes qui ont compté, comme Max Roach ou Jay Jay Johnson. La consultation des programmes de l’Apollo montre malgré tout qu’elle n’a été la vedette qu’une fois. Chanteuse non dénuée de talent et de métier, elle connaîtra une fort honorable carrière, figurant même en couverture de Jet, un magazine du groupe Ebony, très lu dans la communauté noire américaine. À noter qu’elle tourna dans deux films, « Miracle in Harlem » de Jack Kemp (1948) et « Souls of Sin » de Powell Lindsay (1949) où elle joue le rôle de la belle séductrice Regina… Mais cela demeura sans lendemain. Ce n’est pas pour plastronner que je cite ces deux films, c’est pour attirer votre attention, pour vous donner envie de découvrir deux histoires se déroulant avec un casting noir au cœur de la communauté africaine-américaine, ce terreau d’où est née la musique que nous aimons. En outre, son décès survenu à seulement 54 ans l’a privée de la possibilité de s’ouvrir à de nouveaux publics. Ces deux CD sont amplement suffisants pour rendre justice à Savannah. Selon les témoignages, il semble qu’elle ait été plus à son aise en direct qu’en studio. Cela a été le problème de nombre de grands de la musique africaine-américaine. Tous les aspects du talent de la chanteuse sont proposés et nous permettent notamment de comprendre pourquoi elle fut gratifiée du surnom Sex-sationnal. En effet, elle semble particulièrement attachée aux ballades sentimentales voire sexy où son timbre de voix, grave et velouté fait merveille. Sans parler d’un vibrato maîtrisé, très musical. Elle ne parvient pas toujours à éviter de s’engluer dans le miel et il faut parfois subir des chœurs éthérés sur fond de rythme asthmatique. Mais rassurez-vous, il y a tout de même quelques titres intéressants. Comme I’m so Lonesome I could Cry, ballade très réussie où l’on peut apprécier le meilleur de son chant. Two Faced Man ou Savannah Sing The Blues sont là pour attester du talent de la chanteuse lorsqu’il s’agit de chanter le Blues. Plus globalement, pour ma part, je ne suis pas suffisamment fan pour me précipiter sur ce type de musique. Mais, par exemple, sa version de Summertime vaut amplement le détour et peut-être même l’acquisition de ce double-album. En réécoutant ces deux disques, je m’aperçois que j’ai peut-être été un peu sévère. Après tout, pourquoi ne pas dégotter un bon vieux polar de Carter Brown et relire les aventures de Mavis Seidlitz ou d’Al Wheeler, un verre de bourbon en main, laissant à Savannah le soin de fournir l’ambiance musicale ? En ces temps difficiles, ce ne serait pas si mal. – André Fanelli


Various Artists

The Sound of the R’N’B
Hits Cookin’ with the Miracles

Ace Records Ace CD TOP 1578
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Cette compilation de hits de Tamla Motown de 1959 à 1964 a pour fil directeur les compositions de William “Smokey” Robinson avec 4 titres des Miracles et des morceaux assez connus des vedettes du label de Detroit. On y retrouve bien sûr l’inévitable Mary Wells (5 titres) et les jolies dames du label : Marvelettes, Martha and the Vandellas et les Supremes. Marvin Gaye apporte sa grande classe sur 3 titres dont Can I get a Witness et Pride and Joy. Barrett Strong est présent avec son grand classique Money et les Contours avec Shake Sherry. Leur super tube – Do You Love Me – est aussi présent, mais interprété par les Miracles qui n’ont pas leur punch ni leur fraicheur. Un CD pour tous les nostalgiques de la firme de Detroit et des groupes vocaux féminins de cette époque. – Marin Poumérol


Annisteen Allen

Fujiyama Mama
The Solo Singles 1945-1955

Jasmine Records JASMCD 3153
www.jasmine-records.co.uk

Il faut avoir le goût de l’exhaustivité pour publier de telles rééditions. Cette musique se laisse écouter gentiment et de loin en loin les sidemen viennent pimenter ce qui ne serait certes pas de la soupe mais tout de même un consommé un peu fade. Qui pourra dénombrer les chanteuses et crooners de l’après-guerre et des fifties ? Que dire d’Annisteen Allen que, je l’avoue, je ne connaissais pas ? Dans l’ensemble, nous avons à faire à une professionnelle tout à fait à sa place dans les courants musicaux qui l’environnent. Comme beaucoup de chanteuses, c’est dans les clubs qu’elle se produit. C’est souvent dans les clubs que se produisent des rencontres déterminantes. Ainsi, Anisteen fut remarquée par Duke Ellington et Louis Jordan. À la suite de ce contact, elle fut recommandée à Lucky Millinder et ce fut le départ d’une assez belle carrière. Le livret, très bien fait comme c’est souvent le cas chez Jasmine, vous instruira en détail de la biographie et des sessions d’Annisteen. Je me consacrerai donc à la musique qui nous est présentée. Une fois encore nous sommes à la frontière très poreuse qui sépare le jazz d’un rhythm and blues naissant. La première face nous ouvre l’appétit. I’ve Got Big Bulgin’ Eyes installe un tempo d’acier bien servi par un guitariste métronome. Elle n’est que la chanteuse de l’orchestre. Pas la vedette dont le nom attire le client. Elle n’est pas constamment au premier plan. Annisteen a eu la chance de bénéficier de l’accompagnement de jazzmen de talent. Nul doute qu’elle a pu se former et améliorer sans cesse son talent. Bull Moose Jackson, Panama Francis, Jimmy Cobb et bien d’autres ont veillé ses années d’apprentissage. À partir de 1953, elle va enregistrer au côté de Mickey Baker. Je préfère cette partie de son répertoire. L’ensemble de ce CD est plutôt sympathique. Il vous ravira si vous êtes en quête d’ambiance optimiste et joyeuse. Mais si vous tenez à rester au diapason d’une actualité morose écoutez donc Nothing Can Replace You Baby, beau blues qui nous rappelle de ne pas négliger la face bluesy d’Annisteen Allen. Fujiyama Mama avait tout pour devenir un classique du rock. La version de Wanda Jackson, plus connue, me semble moins plaisante que celle d’Annisteen. Si vous aimez le ténor, vous serez comblés car ces titres ne manquent pas de beaux solos de saxo bien dans l’air du temps. – André Fanelli


Lee Andrews and The Hearts

Try The Impossible

Jasmine Records JASMCD 1056
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Voici 28 titres de doo wop de 1954 à 1962 interprétés par un groupe de Philadelphie qui connut un certain succès emmené par le chanteur Lee Andrews. Leurs disques parurent chez Rainbow, puis Gotham et Chess et enfin United Artists puis Gowan en 1962. Il s’agit d’un groupe au son bien travaillé avec des chanteurs de qualité, mais manquant un peu de personnalité. Ils gravèrent un répertoire de ballades influencées par les Moonglows, les Orioles ou les Drifters, mais aussi par des crooners comme Sinatra ou Bing Crosby. Ils eurent quelques tubes « secondaires » avec Teardrrops en 1957 et Long Lonely Night, Try The Impossible en 1958 et se séparèrent en 1962. Lee Andrews continua une carrière de chanteur et de soulman au long années 70. Pour collectionneurs et fans de groupes vocaux cool et détendus. – Marin Poumérol


Et le diable a surgi
La vraie vie de Robert Johnson

par Bruce Conforth & Gayle Dean Wardlow

Éditions Le Castor Astral

Gayle Dean Wardlow et Bruce Conforth travaillent inlassablement sur Robert Johnson depuis plus de cinquante ans. Grâce à leurs recherches, ils ont découvert divers documents officiels : contrats et certificats de mariage et de décès de l’artiste. Ils ont fouillé les divers recensements pour essayer de situer quelques-uns de ses lieux de résidence. En outre, ils ont lu toute la littérature écrite et publiée. Ils ont visionné des DVD. Ils ont rencontré celles et ceux qui ont approché Robert Johnson (musiciens et familiers). La rédaction a quatre mains de cette biographie avait donné naissance à un manuscrit original de 140000 mots ; celui-ci fut refusé par six maisons d’éditions. Pour que Chicago Review Press acceptât de l’éditer, les auteurs durent réduire leur travail à 80000 mots, amputant l’œuvre de nombreuses informations et de propos sur le contexte historique et culturel. La négociation fut plus ardue quand il fallut trouver le titre. L’éditeur exigeait un titre faisant allusion au diable pour des motifs commerciaux : « Me and the Devil », ce que voulait à tout prix éviter les auteurs, qui, en désespoir de cause, acceptèrent : « Up Jumped the Devil », « Et le diable a surgi, la vraie vie de Robert Johnson », dont les éditions Le Castor Astral nous proposent une traduction française, avec en couverture un beau dessin de Mezzo. Tout ce que vous avez voulu savoir sur Robert Johnson est rassemblé dans ce livre. La légende qui n’a cessé d’enfler depuis les premiers écrits de John Henry Hammond II, en 1937, est mise à mal. Fi donc du pacte avec le diable au croisement des routes 49 et 61, du musicien itinérant illettré, de Son House se moquant du jeune homme et le renvoyant à ses chères études, etc. La découverte essentielle est que Robert Johnson a vécu à Memphis une partie de son enfance chez son beau-père Charles C. Dodds. Celui-ci devint Charles Spencer en fuyant Hazelhurst pour échapper au lynchage, la rumeur disant qu’en plus d’une dette il aurait partagé la même maîtresse qu’un Blanc, Joseph Marchetti. À Memphis, Robert Johnson fréquenta l’école Carnes Avenue Colored School. Il y apprit la lecture, l’écriture, l’arithmétique, la géographie et la musique. Formation atypique pour un enfant noir. À la maison, son beau-frère – Charles Melvin Leroy – lui enseigna les rudiments de la guitare et du piano. Lui-même apprit à jouer de l’harmonica. Pour parfaire son éducation musicale, il vit et écouta les nombreux musiciens qui jouaient dans Beale Street : Frank Stokes, Furry Lewis, Will Shade, Gus Cannon, … C’est en 1919-1920 que sa mère Julia vint récupérer son fils et le reconduisit dans le Mississippi. Il semble être devenu musicien professionnel vers l’âge de 16 ans, ce qui infirme les moqueries inventées par Son House lors de leur rencontre en 1930. Il se réfugiait très souvent chez les Spencer, à Memphis, où il trouvait, semble-t-il, de l’affection. Ses proches avaient remarqué qu’il avait toujours avec lui un crayon et un carnet sur lequel il aurait écrit les paroles de ses chansons. Ceci explique peut-être la rigueur de ses enregistrements : les deux prises connues d’une même chanson sont identiques. Cette pratique était inconnue des autres bluesmen qui modifiaient les paroles à chaque interprétation au gré de leur inspiration. Beaucoup d’autres informations révélées dans cet ouvrage surprendront certainement les lecteurs : séjours à Chicago, au Canada, à New York avec l’espoir que les roues des locomotives des trains empruntés l’arracheraient de son continent de misère, ou animation d’un mariage italien, à Newark, New Jersey, où Robert Johnson joua essentiellement des tarentelles. Nous découvrons les vraies causes de sa mort et apprenons même le nom de son assassin que Gayle Dean Wardlow a rencontré. Je ne révèlerai rien ! Il vous faut donc lire cet important livre qu’il sera bien difficile d’égaler. Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow ont sondé les profondeurs de l’artiste, ses amours, ses tourments, le mécanisme de ses intérêts. La légende devient ainsi humaine, trop humaine peut-être, pour les romantiques qui estiment que : « quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende » (« L’homme qui tua Liberty Valance », film de John Ford). – Gilbert Guyonnet


The 10’ French Jazz Design Records 1952-1962
Tribute To Pierre Merlin

par Pascal Ferrer

Éditions Amalia

Le bordelais Pascal Ferrer est un toujours jeune sexagénaire, grand amateur et collectionneur de disques de Blues, depuis les années 70. Au fil des ans, sa recherche s’est étendue au Jazz. En connaisseur, son œil a été attiré par l’élégance, l’inventivité ou l’humour, du graphisme des pochettes de disques américains conçues dans les années 50 par les dessinateurs David Stone Martin, Paul Bacon, Jim Flora et d’un jeune Andy Warhol. Existait-il en France un équivalent artistique dans cette décennie 1952-1962, au début de laquelle le disque microsillon est encore un produit rare, voir coûteux ? La réponse est contenue dans ce bel ouvrage de 170 pages, aux dimensions d’un 33 tours, qui se veut l’inventaire le plus complet possible des couvertures de 25 cm de jazz parus dans l’Hexagone, qu’il s’agisse d’artistes français ou étrangers de passage, enregistrés en exclusivité lors de tournées. Ce format 25 cm présentait l’aspect d’un petit tableau, permettant à la photo, au dessin ou à la peinture d’acquérir déjà un certain relief. La qualité de reproduction des pochettes est irréprochable ; le classement, dans l’ordre alphabétique des labels de disques. Les anciennes étiquettes Ducretet-Thomson, Pacific, Vega, Versailles, renaissent, aux côtés d’autres plus connues : Barclay, Columbia, Pathé, Vogue. Parlez-en avec Pascal, le bonheur est total quand la pochette est belle et que la musique est bonne ! Cerise sur le gâteau, la découverte dans l’illustrateur et touche-à-tout bordelais, Pierre Merlin (1918-2000), d’un alter ego des maîtres américains. Un chapitre lui est entièrement consacré, avec reproduction de ses œuvres en fin d’ouvrage. À son actif, entre autres, de nombreuses créations pour envelopper les galettes de Bechet, Luter, Mezzrow, Bud Powell ou Gillespie. Les cinquante premières pages sont consacrées à une histoire illustrée du Jazz en France au sortir de la seconde guerre mondiale. Cette édition bilingue français-anglais est tirée à 300 exemplaires, disponible auprès de l’auteur pferrrer@hotmail.com (il y a bien trois « r »). – Dominique Lagarde


Going Down South
Mississippi Blues, 1990-2020

par Éric Doidy

Le Mot Et le Reste

Le Delta du Mississippi est une bande de terre coincée entre le fleuve Mississippi et la Yazoo River, une tête d’épingle sur une mappemonde, une contrée minuscule par la taille, mais gigantesque par l’influence sur les musiques populaires de la planète. C’est là qu’un tout jeune Eric Doidy décida de traîner ses guêtres, en 1997, après avoir eu un coup de cœur pour la bande originale du documentaire de Robert Mugge, « Deep Blues », et la cassette « Clarksdale, Mississippi : Cohahoma The Blues » (1991 Rooster Blues Records R92627-DBM). Il y rencontra de nombreux artistes, parmi lesquels : RL Burnside, T-Model Ford, Big Jack Johnson, Junior Kimbrough, … Il eut même la chance de découvrir l’antre de ce dernier, son maintenant légendaire juke joint, à Chulahoma, centre de l’activité musicale du nord du Mississippi de l’époque. Ses entrevues avec des bluesmen se sont poursuivies depuis : John Lee Hooker chez lui en Californie et nombreux musiciens en tournée dans nos contrées européennes. L’idée d’un livre le caresse depuis quelques temps déjà. Eric Doidy part à la recherche d’un temps que beaucoup imaginent perdu. Il entend célébrer le Delta du Mississippi, ses musiques et ses musiciens au bagage musical mémorable et où, pour paraphraser Valery Larbaud, tout ce qui est bon en musique est en fin de compte hymnes et danses. Il parvient à révéler un peu du mystère des acteurs de ces musiques, sans les priver de leur part d’inconnu qui libère nos rêveries. Inlassable curieux, Eric Doidy aime comprendre, aime admirer, aime montrer ce qu’il aime, sans être dupe. Il cherche à comprendre l’histoire des lieux et de ses habitants, les conditions sociales terribles du Delta, la région la plus pauvre des États-Unis, où le racisme toujours présent, les inégalités sociales, l’absence de politique publique se sont combinés pour engendrer une situation pourrie d’où naquit le Blues, au début du XXe siècle. L’auteur ne reprend pas à son compte l’affirmation péremptoire que « le Mississippi est la terre où le Blues vit le jour ». Il utilise prudemment le conditionnel, sachant qu’au même moment le Blues apparaissait au Texas et sur la Côte Est. Il rappelle fort justement combien est difficile la vie des afro-américains dans le misérable Delta. Son livre n’est pas une vision romantique d’un Delta fantasmé. Revenons à la musique afro-américaine qu’Eric Doidy étudie et célèbre sous toutes ses formes. L’essentiel du travail érudit de l’auteur est consacré au blues authentique. Mais il aborde aussi la Soul blues sudiste, musique préférée des Afro-américains du Sud, bien loin du goût des auditeurs européens et caucasiens. Il aurait pu citer Denise LaSalle qui affirme que Shemekia Copeland ne s’est produite que devant des publics blancs (« Always The Queen, The Denise LaSalle Story », p.200, University of Illinois Press-2020). On peut déplorer que la description des lieux et paysages soit un peu trop succincte. Cela laisse ainsi le rêve transformer et magnifier le territoire. Mais ce défaut mineur est corrigé par quelques photographies de Philippe Prétet qui a lui aussi une grande affection pour ce misérable coin du monde où planent d’augustes mânes qui n’ont pas à rougir de leurs héritiers : Charley Patton, Robert Johnson, Fred McDowell, John Lee Hooker, B.B. King, … À ces deux derniers est attribuée une place de choix : un chapitre complet pour chacun d’eux. L’empathie d’Eric Doidy pour les héros de ce livre est grande. Ce qui lui évite de sombrer dans la condescendance et le misérabilisme qui peuvent confiner au mépris, trop souvent la marque d’une certaine presse, Libération en particulier, quand elle aborde ce délicat sujet (cf. p.172). Sa dénonciation de la politique de la firme Fat Possum, à la fin des années 1990, est judicieuse et argumentée. Mon expérience le confirme ; quand je rencontrai RL Burnside, en juillet 1997 à Carcassonne, il m’affirma, avec un sourire sarcastique et sous le regard complice de Kenny Brown, « n’être pas satisfait » de la pochette et de la musique de son CD « A Ass Pocket of Whiskey » (Matador OLE 214-2). Cet excellent compendium, illustré de belles photographies de Philippe Prétet, du blues mississippien de ces trente dernières années, se lit comme un roman ou se dévore comme un livre d’Histoire. Il doit figurer dans toute bonne bibliothèque d’amateurs de Blues. – Gilbert Guyonnet