• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…
The Harlem Gospel Travelers
Look Up !
Colemine Records / Modulor – www.coleminerecords.com
Après leur excellent disque « He’s On Time» paru en 2019, les Harlem Gospel Travelers sont de retour avec ce premier album de la formation en tant que trio. Cette nouvelle production est toujours produite par Eli “Paperboy” Reed qui est à l’origine de la création du groupe via le programme éducatif qu’il avait initié dans le quartier de Harlem. Thomas Gatling, George Marage et Dennis Bailey nous proposent onze compositions originales et formidables qui marient avec talent et brio la tradition du répertoire sacré et la modernité de ces nouveaux et jeunes prêcheurs. Des morceaux comme Hold On (Joy Is Coming), God’s in Control, I’m Grateful ou encore Let Me Tell You sont de véritables pépites dans lesquelles les arrangements vocaux époustouflants sont mariés à de sobres et efficaces riffs de guitares funky du meilleur effet. Les thèmes abordés sont résolument modernes, dans un temps post pandémique, la résilience est souvent à l’honneur au fil des compositions. L’album sortira ce 16 septembre 2022 ; à noter qu’une version collector sera également disponible avec un vinyle (45 et 33 tours) en couleur vraiment superbe. La musique proposée prend littéralement aux tripes, elle ne vous lâchera pas une seule seconde et ne cessera pas de tourner sur votre platine. Saluons comme il se doit – avec bien sûr tous les honneurs –, ce jeune groupe dynamique qui n’a pas fini de faire parler de lui. Ces Harlem Gospel Travelers ont un talent fou, bravo ! – Jean-Luc Vabres
Shemekia Copeland
Done Come Too Far
Alligator Records ALCD5010 – www.alligator.com
Shemekia Copeland est née en 1979 à Harlem. Enfant de la balle et enfant prodige, elle se produit à 8 ans avec sa vedette de père, Johnny Copeland, au Cotton Club de New York. Elle enregistre son premier album pour Alligator à 19 ans (« Turn The Heat Up ») et d’emblée c’est le succès. D’album en album et d’année en année, elle affirme son talent, sa forte personnalité, sa maîtrise vocale ; il y a de l’autorité et du dynamisme dans sa voix. Entre 1998 et 2005, elle remporte huit Blues Music Awards et d’autres prix, des nominations aux Grammy Awards. En 2022, elle signe ici son huitième album sous label Alligator, avec son duo habituel de producteurs, John Hahn et Will Kimbrough (+ guitare) qui sont aussi les compositeurs d’une bonne partie de son répertoire (ici 9 des 12 titres). Depuis « America’s Child » (2018) et « Uncivil War » (2020), Shemekia Copeland est de plus en plus concernée par l’état catastrophique du monde actuel, le racisme, la haine, la xénophobie, la violence sous toutes ses formes, les conflits et le manque de conscience sociale. Cela donne des textes forts, engagés et courageux au service desquels elle prête sa voix unique et son talent. Dans ce nouvel opus, avec une belle série d’invités, elle continue cette croisade et essaie, dit-elle, de remettre le terme « united » dans United States. Elle aborde frontalement la maltraitance des enfants victimes de violences sexuelles dans un The Dolls Are Sleeping débordant d’émotion, ou les enfants victimes de la prolifération insensée des armes à feu dans son pays, évoquant la tragédie d’Uvalde (Texas) dans Pink Turns To Red (avec Kenny Brown à la guitare) ; elle aborde aussi la violence policière endémique en Amérique dans The Talk, un dialogue entre une mère et son fils (… « I don’t want to loose you some day »….) avec Charles Hodges Jr au Hammond B3 ; autre thème, l’histoire et les relations entre races dans Gullah Geechee avec Cedric Watson (african gourd-banjo) et des percussions, dans Too Far To Be Gone (avec Sonny Landreth à la slide guitar) et dans le titre éponyme qui nous emmène dans les collines du Nord du Misssissippi avec Cedric Burnside (guitare, chant) et Kenny Brown (guitare) : « If you think we’re stopping, you got it wrong »… Il y a aussi des moments plus détendus comme la ballade Why Why Why avec Johnny Sansone (claviers) ou Dumb It Down avec Charles Hodges Jr. (Hammond B3), Pat Sansone (guitare, wurlitzer), Joe Cabral (sax). Il y a même place pour des passages festifs comme une virée en Louisiane, Fried Catfish And Bibles, un two-step bien enlevé qui exsude humour et joie communicative avec la complicité de André Michot (accordéon, ‘tit fer), Cedric Watson (violon), Washboard Chaz (wbd) . Humour encore dans un bien enlevé Fell In Love With A Honky, à consomance « country » avec Aaron Lee Tasjan (guitare) et Fats Kaplin (violon, pedal-steel guitar). On n’oubliera pas l’hommage de Shemekia à son père en reprenant une version bien scandée de son Nobody But You pour conclure la séance, avec Will Kimbrough qui, outre son rôle de producteur et compositeur, est à la guitare, ici comme dans tous les autres morceaux. A milestone ! – Robert Sacré
Dylan Triplett
Who Is He ?
VizzTone Label Group VTNNF-01 – www.vizztone.com
Voici le premier enregistrement d’un jeune homme de 21 ans qui est né et a grandi à Saint Louis, Missouri, importante ville pour la musique afro-américaine. Un père et un oncle musiciens de jazz ont poussé le garçon vers la musique. Ainsi commença-t-il à se produire dans les clubs de Saint Louis, à l’âge 9 ans, sous le pseudonyme Little Dylan. L’enfant prodige a grandi, sa voix a mué et couvre quatre octaves et demi. Little Dylan est maintenant devenu Dylan Triplett. Le voici projeté dans le monde de l’industrie du disque avec ce cd de dix chansons blues, soul et jazz, enregistré au Blue Lotus Studio de Saint Louis sous la houlette du bassiste Larry Fulcher (Phantom Blues Band) qui joue sur tous les titres. L’unique autre musicien présent de bout en bout est l’excellent batteur de jazz de Saint Louis Montez Coleman. Les oreilles avisées reconnaîtront la guitare cinglante du jeune prodige Christone “Kingfish” Ingram sur le shuffle d’ouverture Barnyard Blues, composé par Larry Fulcher. On retrouve Kingfish tout aussi tranchant derrière la puissante voix de Dylan Triplett avec le Chicago blues de Lonnie Brooks, Feels Good Doin’ Bad… Le chanteur module fort bien sa voix pour interpréter la soul de Bill Withers : Who Is He (And What Is He To You ?) ; on remarquera les excellentes interventions du Dr. Wayne Goines, directeur des Jazz Studies de la Kansas State University (il est aussi le co-producteur) et du saxophoniste Kyle Turner aussi responsable des arrangements des cuivres du disque. Dylan Triplett donne une excellente version d’un blues lent composé par Larry Fulcher, Brand New Day – Same Old Blues avec la guitare slide de Tru Born. Dance Of Love, autre composition de Larry Fulcher, est digne du répertoire de la Motown et des Temptations, Dylan Triplett s’y montre très à l’aise. Celui-ci apporte deux compositions de facture très classique : un blues uptempo, Junkyard Dog et une ballade style B.B. King, I’ll Be There Waiting où son chant tutoie celui de Sam Cooke. Ces deux chansons, ainsi que She Felt Too Good de Jimmy McCracklin, bénéficient du bien beau travail du regretté organiste Mike Finnigan. Le jeune homme élève encore son niveau de chant et égale Marvin Gaye grâce à son interprétation de That’s The Way Love Is. Le disque se conclut avec une composition de Miles Davis, lui aussi originaire de Saint Louis, All Blues, pour laquelle Oscar Brown Jr. avait écrit des paroles, Dylan Triplett « scate » tel Al Jarreau. Ne passez pas à côté du premier disque d’un talentueux chanteur polyvalent promis, je l’espère, à une belle carrière. – Gilbert Guyonnet
Demetria Taylor
Doin’ What I’m Supposed To Do
Delmark Records DE 875 – www.delmarkrecords.com
La belle et grande maison Delmark a mis les petits plats dans les grands pour le deuxième album de la fille de l’illustre Eddie Taylor. Aux côtés de la chanteuse, se trouvent d’excellents musiciens, à savoir aux guitares Billy Flynn, Mike Wheeler et le toujours impeccable Carlos Showers, mais aussi Larry Williams à la basse, Brian James aux claviers ou encore Melvin Carlisle derrière ses fûts. Le blues est naturellement présent avec l’hommage aux compositions à son prestigieux père sur des morceaux comme Highway 83 et Welfare Blues, mais nous découvrons aussi des compositions originales nettement plus soul que l’on doit à Mike Wheeler, à l’image de Done, des superbes Baby Good, Nursing My Kitty Kat ou encore Bad Girl Day. Deitra Farr – que l’on ne désespère pas voir un jour proche sortir de sa retraite musicale – est divinement présente aux côtés de son amie en interprétant à l’unisson la composition Blues Early This Morning que l’on doit à la mère de Demetria, la regrettée Vera Taylor. Celle qui a reçu cette année le Koko Taylor « Queen Of The Blues » Award au cours de la cérémonie de la fondation Jus’ Blues, sait pertinemment où sont ses racines, sa reprise du fameux titre de Magic Sam, You Belong To Me, est ici totalement justifiée grâce également à l’implication sans faille de la formation qui l’entoure avec intelligence dans le studio Riverside. Comme le dit pertinemment notre nouvelle diva : « Maintenant c’est mon heure ! ». À l’évidence, le label phare du Chicago blues lui a donné toutes les chances de réaliser sa prophétie grâce à cette impeccable production. – Jean-Luc Vabres
Ben Harper
Bloodline Maintenance
Chrysalis BRC 80
Après deux collaborations plébiscitées avec Charlie Musselwhite, un album en duo avec sa mère et le tour du monde musical de « Winter Is For Lovers » en 2020, Ben Harper se recentre sur les fléaux qui gangrènent nos sociétés contemporaines : les changements climatiques, le racisme, l’enfance perdue et sans avenir. Il n’est plus question d’inquiétude ici, mais de nécessité de passer à l’action pour sauver ce qui peut l’être, avant de nous retrouver submergés. L’émouvant Below Sea Level, entièrement a cappella, plante le décor. Pour surmonter tous ces fléaux, il nous faudra plus que de l’amour, comme l’avance l’émouvant More Than love. Un hymne libérateur. Onze titres courts, pleinement ancrés dans le blues et la soul, à l’accompagnement souvent minimaliste, qui procurent par endroits un sentiment d’inachevé, mais traduisent, en contrepartie, l’urgence d’agir pour sauver notre lignée. – Dominique Lagarde
Johnny Sansone
Into Your Blues
Short Stack Records SS1013 – www.johnnysansone.com
Né en 1956 dans le New Jersey, “Jumpin” Johnny Sansone – dont le père fut saxophoniste dans l’orchestre de Dave Brubeck dans les années 40 – est actif sur les scènes du blues et R&B depuis 1980, gravant son premier album en 1987 pour Kingsnake Records. Onze autres ont suivi au fil du temps et il sort ici son treizième opus, le sixième pour Short Stack, retardé par la pandémie de Covid. Il est chanteur, compositeur, producteur, bandleader et il joue de l’harmonica, de la guitare et de l’accordéon. Installé à New Orleans depuis 1990, il s’est entouré ici de musiciens locaux comme Jason Ricci (hca), Little Freddy King (gt), Tiffany Pollock (vo), Michael Sinkus (congas, bongos, tambourin) ; il y a une section de cuivres (sax, tp), Tom Worrell (p), Chris Spies (Hammond B3) et basse, drums bien sûr. On retrouve aussi le Texan Mike Morgan (gt) et le Chicagoan Johnny Burgin (gt). Ils forment une fine équipe pour mettre en valeur les 11 compositions de Sansone, dont une en collaboration avec “Wacko Wade” : Willie’s Juke Joint ; c’est un talking blues en slow avec Little Freddy King (vo, gt). On peut aussi apprécier des ballades comme Desperation, une face pleine d’émotion et Southern Dream, un instrumental bluesy et mélancolique (un rêve non réalisé ?). Les autres faces sont généralement bien enlevées sur tempo rapide comme le punchy Blowin’ Fire où c’est Jason Ricci qui est au chant et harmonica, ou le très New Orleans Single Room, trépidant et syncopé avec M. Sinkus (congas, tambourin). On retiendra les faces bien scandées comme Pay For This Song, People Like You And Me nerveux et jubilatoire et Something Good Going On avec son rythme obsédant et T. Pollock au chant en duo avec Sansone. En fait, tous les morceaux s’écoutent avec plaisir, c’est vrai aussi pour The Getaway et New Crossroads, haletants, style « à bout de souffle », sans oublier le titre éponyme, un blues « rentre-dedans » et bien inspiré. – Robert Sacré
Little Freddie King
Blues Medicine
Made Wright Records MWR77
“Wacko” Wade, le drummer et ami de “Dr Bones” aka Little Freddie King (LFK), produit ce nouveau cd du célèbre bluesman sur son propre label, sis à La Nouvelle-Orléans, of course. Dans les notes de pochettes, il rappelle toutes les catastrophes auxquelles LFK a échappé : trois fusillades, des aggressions au couteau, un accident de vélo qui faillit lui être fatal, un ulcère gastrique, une électrocution, l’ouragan Katrina en 2005 et la pandémie de Covid récemment… Mais, contre vents et marrées, à 82 ans passés, LFK est toujours là, solide, pour prodiguer à son prochain son blues aux vertus thérapeutiques, que ce soit à travers cet album ou sur scène (il est à l’affiche du Crescent City Blues & BBQ Festival à NOLA en octobre prochain). Ce nouvel album confirme qu’il est toujours « au taquet » à la guitare ; quant à sa voix, elle est grave et belle, parfaitement préservée. Le combo de base qui l’accompagne est constitué de “Wacko” Wade Wright (drums), Robert J. Snow Sr (basse) et Robert Louis Di Tullio Jr (harmonica). Trois invités sont présents : le neveu Vasti Jackson à la slide inspirée sur le très down home Fatherless, Ricky Stelma à l’orgue, marquant d’un sceau à la Ray Charles l’énergique instrumental de clôture Two Wheel Cadillac, et Dominick Grillo au sax ténor. Dix nouveaux titres composent cet album plaisant. J’ai été très ému par la dédicace à notre ami Scott M. Bock, disparu il y a un peu plus d’un an déjà… – Marcel Bénédit
Mighty Mike Schermer
Just Gettin’ Good
Little Village Foundation Records LVF 1048
littlevillagefoundation.com
J’adore cette phrase de Mighty Mike Schermer, chanteur guitariste et compositeur de 55 ans qui, pour résumer son parcours, dit : « I ain’t getting old, it’s just getting good ». C’est son huitième album et le premier sur ce label. Produit avec Kid Andersen dans ses studios de Greaseland, il a réuni autour de lui une brochette d’excellents musiciens aux C.V. impressionnants : Steve Ehrmann (basse), Paul Revelli ou D’ Marr (drums), Tony Stead ou Austin Delone (claviers), Terry Hank (saxophone), Kimmy Pickens (vocaux) et une apparition du légendaire bassiste Jerry Jemmott, ancien de l’orchestre de King Curtis (entre autres). Beaucoup d’ambiance. On ne s’ennuie pas une seule seconde. C’est du r’n’b teinté de country ou de rock’n’roll, très bien interprété, avec des compositions personnelles de haut niveau. Bravo à tous et oui, « you are gettin’ Good », c’est bien vrai ! – Marin Poumérol
Delbert McClinton
Outdated Emotion
Hot Shot Records/ Thirty Fingers HSR003 – www.delbert.com
Veritable icône de la musique US, Delbert McClinton est né à Lubbock, Texas, en novembre 1940. Il est auteur, compositeur, interprète et multi-instrumentiste (gt, p, hca) et, dans une carrière de plus de soixante ans, il signe ici son vingt-septième album studio ! Amazing ! Il s’est fait plaisir en choisissant douze reprises en hommage à ses mentors auxquelles il a ajouté quatre compositions personnelles (dont trois en collaboration). En fait, en rage, il s’est rongé les ongles tout au long de la pandémie Covid, bien au chaud quand même, dans le Rock House Studio de Kevin McKendree à Nashville, et c’est là qu’il a décidé de revenir à ses bases, à la musique qui l’a – de tout temps – inspiré. Cela donne un album haut en couleurs avec des classiques du r&b style New Orleans chantés par Delbert : Stagger Lee (Lloyd Price) avec les McKendree (Yates : bass, dms ; Kevin : p), Jim Hoke (saxes), un Long Tall Sally (Little Richard) déchainé avec les trois mêmes, etc. Jambalaya (Hank Williams) en duo vocal avec sa fille Delaney, une face country avec violon et steel guitar… Il y a d’autres faces en mode country comme Settin’ The Woods On Fireavec, entre autres, Delaney McClinton (vo), Stuart Duncan (violon). Move It On Over (Hank Williams) avec S. Duncan (violon), Chris Scruggs (steel gt). Puis il y a les blues de Jimmy Reed : The Sun Is Shining avec une belle partie d’harmonica due à Delbert avec les McKendree et Ain’t That Lovin’ You ?Enfin, il y a les compositions de Delbert comme Two Step Too, un catalogue désopilant des styles musicaux qu’il apprécie (rock’n roll, blues, boogaloo, etc, et aussi… les two-steps !) sur mode jubilatoire et enlevé. Et on n’oublie pas les trois faces composées en collaboration comme Connecticut Blues (avec les McKendree), un beau slow blues, Sweet Talkin’ Man (avec S.Vaughan), un superbe blues dans lequel Kevin McKendree fait tout sauf le chant (dms, basse, gt, piano) et enfin Money Honey (avec G. Nicholson), une face country avec S. Duncan (violon), C. Scruggs (steel gt). Pour contribuer au plaisir, tous les textes sont en notes de pochette. C’est dynamique, roboratif et percutant de bout en bout. Chapeau Delbert ! – Robert Sacré
Blue Moon Marquee
Stream, Holler & Howl
Autoproduction
Bienvenue dans le cabinet de curiosités de Blue Moon Marquee. Ce tandem canadien séduit par l’ambiance rétro et théâtrale de sa musique. Jasmine Colette (contrebasse/chant) et A.W. Cardinal (guitare/chant) se partagent la mission de vous faire entrer dans leur univers. D’une voix rocailleuse, lui, se réserve plutôt les boogies et les blues. Elle, fait étalage de sa sensibilité sur les ballades. Les deux voix alternent sans se croiser, sur des compositions simples et bien tournées. Le duo est visiblement tombé sous le charme de l’immense guitariste et chanteur Lonnie Johnson, dont il reprend Another Night To Cry, et les paroles de Long Black Train. Le guitariste Duke Robillard, invité et co-producteur, apporte sa contribution. – Dominique Lagarde
Anthony Geraci
Blues Called My Name
Blue Heart Records BHR 028 – www.blueheartrecords.com
Né dans le Connecticut en 1954, Anthony Geraci est un virtuose du piano et de l’orgue. Il chante et compose également. Il est actif dans le show business depuis les années 70. Il est gradué du très célébre Berkley College of Music qu’il a fréquenté dans les années 60. Il a joué et enregistré avec les plus grands noms du Blues comme Muddy Waters, B.B. King, Otis Rush, Jimmy Rogers et des dizaines d’autres. Puis il a formé son propre band, le Boston Blues All Stars, et enregistré un premier album sous son nom en 1974. « Blues Called My Name » est le huitième à son palmarès. Il a composé les dix faces de cet opus qui comprend cinq instrumentaux et cinq faces chantées. Il ne chante lui-même ici que sur un seul titre, I Go Ooh, un blues intense et déjanté, gai et enjoué où il parle de son idéal féminin (… je les aime avec des cuisses fortes, des cheveux d’ange, des yeux bleus de bébé, des lèvres à te faire pleurer…) avec le sax en folie de John Vanderpool. Tout au long de l’album, le jeu de piano et/ou d’orgue d’Anthony Geraci est extraordinaire, varié, dévastateur, imagé et créatif. Il est aussi bien entouré avec Sugar Ray Norcia qui chante sur trois faces mémorables comme That Old Pine Box (un cercueil), une ode bien scandée à la mortalité, puis sur le titre éponyme, un slow blues bien senti et mélancolique sur l’amour perdu avec un Monster Mike Welch (gt) excellent et encore sur I Ain’t Going To Askau rythme enlevé et soutenu avec de bons passages de guitare (Barrett Anderson). C’est Erika Van Pelt qui chante, fort bien, Corner Of Heartache And Pain, un slow blues âpre et lancinant. À retenir des faces instrumentales excellentes :About Last Nightsur des rythmes latinos avec un excellent Charlier O’Neal (gt), Boston Stomp, jazzy puis carrément boogie woogie sur un tempo bien marqué, Into The Night, un slow blues avec un Walter Trout (gt) qui fait preuve d’une créativité hors norme, sans oublier Wading In The Vermillion, un crochet par la Louisiane et une ballade décontractée chez les Cajuns avec le violon de Ann Harris. Pour conclure, Geraci brille dans Song For Planet Earth, un solo de piano en slow où il brise une lance pour la planète Terre, sur un mode désabusé, en demi-teinte. Un grand plaisir d’écoute de bout en bout. – Robert Sacré
Silent Partners
Changing Times
Little Village Foundation Records LVF 1051
littlevillagefoundation.com
Les Silent Partners se rappellent à notre bon souvenir ! À l’origine, le batteur Tony Coleman et le bassiste Russel Jackson se sont rencontrés lorsque les deux musiciens étaient sous les drapeaux. Démobilisés, ils mirent le cap sur Kansas City avant que se fixer à Chicago où ils furent engagés par Otis Clay et accompagnèrent même ce dernier au Japon en 1977, ce qui donna le somptueux double album de notre idole intitulé « Live ! Otis Clay » publié en son temps par le label nippon Victor. Début des années 90, ils s’installent à Austin et sont alors rejoints par le guitariste Mel Brown ; ce beau monde file rapidement en studio et enregistre dans la foulée une session pour le label Antone’s intitulée « If it’s All Night, It’s All Right ». Plus proche de nous, Jim Pugh prit contact avec Tony Coleman et Russel Jackson pour savoir s’ils étaient intéressés par graver un nouvel album ; le timing était idéal car ils venaient de relancer la formation grâce à la venue du guitariste et chanteur Jonathan Ellison, ce dernier ayant travaillé de nombreuses années notamment aux côtés de Denise LaSalle ou encore avec Latimore. Sur les 10 faces proposées qui alternent compositions originales et reprises, il est évident que les trois artistes s’entendent à la perfection en alternant blues et funky soul du meilleur effet, à l’image de Teasing Woman, Proving Ground ou encore l’excellent Road To Love. Cette bonne session enregistrée et mixée par l’infatigable Kid Andersen, flirte avec l’excellence, le trio déroulant avec une facilité déconcertante toute sa classe et son savoir accumulés au fil de leurs prestigieuses collaborations. Le retour des Silents Partners sous les feux de la rampe ravira le plus grand nombre, saluons également à nouveau l’exemplaire travail du label Little Village Foundation pour cette nouvelle production chaudement recommandée. – Jean-Luc Vabres
Kat Riggins
Progeny
Gulf Coast Records – www.gulfcoastrecords.net
Kat(riva) Riggins est née à Miami en Floride en février 1980. Ses parents étaient de grands amateurs de musiques de tous les styles et elle a grandi aux sons du gospel et du blues, de la soul et du rock et même de la musique country. Il n’est pas étonnant dès lors que son style soit un mélange de blues influencé par ces divers styles. Elle parcourt le monde avec une mission précise : promouvoir le blues et le rendre plus fort que jamais par le biais de son Blues Revival Movement. « Progeny » est son cinquième album (le second pour Gulf Coast après « Cry Out » paru en 2020) ; ce titre est générique et ne correspond à aucune face. C’est un synopsis de tout l’album qui traite – selon les termes de Riggins elle-même – de la famille, de l’amour, de la peine, de la passion, de la colère, de la force, de la paix, de la joie et… de Dieu ! Mike Zito a produit la séance avec Bud Snyder et, bien sûr, il joue de la guitare, entouré d’une section rythmique solide (entre autres Lewis Stephens aux claviers) et d’invités. Kat Riggins, au chant, a composé les onze titres (dont un interlude gospel court a capella – 1’30 – Walk With Me Lord) et a voulu rendre hommage à sa mère et à son père, ainsi qu’à ses ancêtres comme on le découvre entre autre avec Warriorset In My Blood, chantés avec conviction, voire colère, deux blues enlevés, autobiographiques et aussi avec Mama, un slow blues chargé d’émotion. My Cityaussi est autobiographique, mais sur un mode gai et festif ; c’est un cri d’amour exalté de Riggins pour sa ville natale, Miami, avec le rappeur Busta Free et le guitariste Albert Castiglia, tous les deux très inspirés et créatifs. Une invitée de marque encore avec Melody Angel (gt) pour un slow blues féministe et militant, une ode à la femme : Woahman (= woman). Bilan largement positif. – Robert Sacré
Crawfish Wallet / Cellos Project
Ti Flamboyant
Crawfish Wallet
Le soir de la première du nouveau disque lors de MNOP 2022, on retrouve les Crawfish à Mensignac. On repense au parcours d’Amandine, la chanteuse, à ce premier groupe Nu Soul tout aussi passionnant ; Polylogue From Syla avant les Crawfish. Un apprentissage à rebours. Nu Soul avant Nola Street Jazz. Erikah Baduh en prémice à Billie Holiday et Lizzie Miles… Rajouter trois violoncelles au quatuor originel, la gageure est belle. Mensignac brille de mille feux. Le son caribéen de Ti Flamboyant renvoit à la belle ballade de Tom Waits, I Wish I Was in New Orleans. Strange Fruit de Lady Day paraît tout aussi prenant que lorsque c’est Betty Lavette ou Muddy Gurdy qui l’interprètent. On réécoutera souvent ce disque superlatif. Inconsciemment, on y rajoutera le sunset de Mensignac et ses bougainvillées de fond de scène. La plaine y sera tout aussi apaisée que l’instant suspendu. Le trombone de Gaetan, la contrebasse de Fred, le banjo de Jean-Michel et les trois violoncelles faisant sonner le songbook de Duke comme un big band, prolongeront la grâce. Juillet reviendra, assurément ! – Stéphane Colin
Chris Henderson
That’s The Way Of The World
Autoproduction
Cette autoproduction nous permet de retrouver le jeune chanteur de Chicago Chris Henderson qui nous dévoile tout son talent grâce à ses sept compositions originales. Chris Henderson a été à bonne école, puisqu’il a fait ses débuts dans le west side sur l’estrade mobile du restaurant Wallace’s Catfish Corner aux côtés d’artistes comme Joe B, le regretté Wes Side Wes ou encore Joanne Graham, en reprenant les classiques du répertoire de Bobby Bland. Les titres proposés ici alternent blues traditionnels et morceaux nettement plus soul qui témoignent à l’évidence du savoir-faire du compositeur trentenaire qui a toutes les cartes en main pour réussir. À suivre absolument. – Jean-Luc Vabres
Travelin’ Blues Kings
Bending The Rules
Naked NP063 – www.donor.company/naked
À l’origine, Travelin’ Blues Kings était un groupe belgo-hollandais qui avait abondamment voyagé à travers toute l’Europe, d’où son nom. Mais, fin 2020, la pandémie de Covid avait rendu cette cohabitation impossible et le nouveau groupe est 100% belge. Il se révèle bourré d’adrénaline dans cet album avec JB Biesmans au chant, saxophone et harmonica, Jimmy Hondelé à la guitare, Patrick Cuyvers au piano et Hammond B3, Winne Penninckx à la basse et Marc Gijbels aux drums. Notre planète va mal, ils s’en indignent dans un Too Many People bien enlevé qui tacle la surpopulation et aussi dans un Gotta Get Away au ton menaçant style « sauve qui peut » ! Leurs soucis transparaissent aussi dans le syncopé Stiffer Drink (… « sers moi un verre, mais du fort ! »). Le reste est dans la même veine avec un Live Your Life nerveux et festif, Hold Your Horses enlevé et ironique (« rastreins », valet ! en bon Liégeois), Never Never Landen slow avec cordes (Dries de Hass en guest), un beau What Needed Doin’ Doneen slow blues. À noter aussi If Only… en slow avec Biesmans (hca) et Hontelé dans une belle séquence de guitare, tranchante et péremptoire. Le titre éponyme est un instrumental musclé et jazzy qui met en évidence – comme la plupart des autres titres – les parties en phase, de chant et sax (Biesmans), guitare (Hontelé) et orgue (Cuyvers). De la belle ouvrage bien ficelée. – Robert Sacré
Bob Margolin and Bob Corritore
with special guest Jimmy Vivino
So Far
VizzTone Label Group VTSRR-06 – www.vizztone.com
Bob Margolin fut le guitariste de Muddy Waters de 1973 à 1980. L’encore adolescent lycéen Bob Corritore – joueur d’harmonica de Chicago – croisa une première fois la route de Bob Margolin dans son lycée, lors d’un concert du géant Muddy Waters. Depuis ce jour de 1974, les deux musiciens ont tracé leurs voies dans le monde du Blues. Jouant souvent ensemble, ils sont devenus amis, mais ils n’avaient jamais enregistré ensemble. Inévitablement, leurs chemins devaient se croiser dans un studio d’enregistrement. C’est chose faite avec ce disque entièrement acoustique que nous livrent Bob Margolin et Bob Corritore, celui-ci avec ses harmonicas sans aucune amplification, celui-là avec sa guitare acoustique de 1935. Ce cd est un hommage aux grands duos guitare-harmonica : Sleepy John Estes et Hammie Nixon, Sonny Terry et Brownie McGhee, John Cephas et Phil Wiggins… Le répertoire : sept chansons composées par Bob Margolin, un instrumental dû à Bob Corritore et cinq reprises, parmi lesquelles Red Hot Kisses de Lilian McMurry, créée par Rice Miller “Sonny Boy Williamson” et It Makes No Difference de The Band, ici chantée comme Rick Danko par l’invité Jimmy Vivino. Bob Margolin est aussi remarquable avec une guitare acoustique qu’avec une guitare électrique en mains. Son complice Bob Corritore maîtrise parfaitement les divers styles d’harmonica. Une manifeste connivence lie les deux artistes très inspirés pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Une des compositions de Margolin, Outrage and Image, magnifique interprétation librement adaptée de Terraplane Blues de Robert Johnson, lui a été inspirée par sa rencontre avec Annye C. Anderson, la fille du beau-père de Robert Johnson, Charles Dodds Spencer (lire l’indispensable témoignage de cette femme : « Mon frère Robert Johnson – Dans l’intimité de la légende du Blues », éditions Rivage Rouge, 2021). Cette femme qui, enfant, connut Robert Johnson, se présenta en 1978 à un concert de Muddy Waters à qui elle présenta des photographies du géant. Ce soir-là, bouleversé, Muddy Waters interpréta Terraplane Blues pour elle et cela resta gravé dans la mémoire de Bob Margolin. Le chant de ce dernier est, hélas, parfois pénible, telles les outrances maniéristes audibles sur You Left Me With A Broken Heart de Memphis Minnie ou I Wanna Go Home de Muddy Waters. Malgré ce bémol, ce disque me paraît important. À mettre aux côtés du cd Alligator de Charlie Musselwhite et Elvin Bishop publié il y a deux ans. – Gilbert Guyonnet
Bob Corritore & Friends
You Shocked Me
Blues Comix
Swmaf Records SWMAF 21 / VizzTone – www.bobcorritore.com
Bob Corritore n’a pas attendu Facebook pour se faire des amis ! Depuis plusieurs décennies maintenant, il reçoit ses potes musiciens dans son club à Phoenix, Arizona, dans ses émissions de radio, joue et enregistre avec eux. Pourquoi une telle affection de tous ces musiciens sans exception pour ce passionné de la note bleue ? Je crois que la réponse tient en un mot : « respect ». Outre ses talents d’harmoniciste et de producteur, il sait se mettre à la disposition des autres, les écouter et leur offrir le meilleur à chaque fois. Je regarde ma discothèque en écrivant ces quelques lignes et je me rends compte que je ne pourrais me séparer d’aucun des disques que Bob m’a envoyés depuis vingt ans. Chaque musicien enregistré bénéficie à chaque fois du meilleur en terme de son et d’accompagnement. Pour lui, qu’il s’agisse d’une légende du blues comme Robert Lockwood Jr ou du peu connu Chico Chism, chacun mérite la même attention. Vous l’aurez compris, au-delà du « professionnel », j’estime énormément le bonhomme. Tout cela n’empêche pas de se marrer, surtout quand le répertoire s’y prête. De ce point de vue, cet album est un pur bonheur. Délectez-vous de Squeeze My Baby, You Shoked Me et Sunny Day Friends (dans lesquels brille Diunna Greeleaf), Don’t Need Your Permission (avec la voix incomparable de Francine Reed), ou Blues For Hippies ! Difficile de faire un choix tant les 16 faces de ce cd sont de qualité. L’ensemble a été enregistré dans le Tempest Recording Studio en Arizona entre 2018 et 2022. Outre les musiciens présents, parmi lesquels Shy Perry, Fred Kaplan, Kid Ramos, John Primer, Bob “Steady Rolin’” Margolin, Ben Levin, Johnny Main (pour n’en nommer que quelques-uns), on retrouve des amis de longue date au chant : les deux chanteuses précédemment citées (Diunna Greenleaf et Francine Reed), Alabama Mike, Johnny Rawls, Bill “Howl-N-Madd” Perry, Sugaray Rayford, Jimi “Primetime” Smith, Oscar Wilson, Bob Stroger et Willie Buck. Quant à Bob Corritore, en Maître de Cérémonie, il est à l’harmonica sur l’ensemble des faces. La pochette de cet excellent cd, façon comix, a le look aussi soigné que celui de son producteur et les artistes ont, eux aussi, la banane ! Jusque-là, rien d’anormal. – Marcel Bénédit
Janiva Magness
Hard To Kill
Fathead Records FH1007 – www.janivamagness.com
Une diva, en blond cendré/platine maintenant ! Ça lui va pas mal du tout ! C’est son 16è album studio, sur son propre label, après trois ans d’absence (pandémie Covid oblige), avec 11 compos originales et la reprise de The Last Time de John Hiatt en version haletante, péremptoire et assumée, un grand moment.. Les fidèles sont là pour l’accompagner : Zach Zunis et Dave Darling (guitares), Jim Alfredson (Hammond B3, piano), etc. Cerise sur le gâteau, tous les textes sont en notes de pochette et chacun conduit à ample réflexion voire une méditation, de par sa pertinence et de son actualité. Le talent ! Un début en fanfare avecun Strong As Steel, rentre-dedans à souhait, qui lui va comme un gant ; le diable ne veut pas d’elle, elle est trop dure à tuer ! Le reste est à l’avenant, en slow avec Fireman (… éteindre les feux, drogues, etc.) et Comes Around (avec John Nemeth) ou You And Me (… « on peut si on veut »… « let’s do it »…), en médium avec Don’t You Forget About Me enjoué, bien senti et sans rancune (… « c’est fini mais on reste amis »…). Il y a bien d’autres points forts comme Oh Lord avec une bonne partie de slide guitar (John Schroeder) et un poignant Oh Pearl, un appel émouvant à sa fille Pearl abandonnée et toujours étrangère, qui prend aux tripes. Une mention encore à Standing On The Moon saccadé et nerveux. Don’t miss it. – Robert Sacré
Joey J. Saye
World Of Trouble
Autoproduction – www.jjsayemusic.com/home
Originaire d’Aurora, ville qui se situe à une quarantaine de miles de Chicago, ce jeune musicien – qui a fait son éducation musicale en explorant la discothèque familiale – est un jeune loup sur qui il va falloir compter. Avec cette autoproduction comportant 5 titres, il nous dévoile l’étendue de ses capacités à la guitare acoustique mariée à une implication vocale sans faille. Actif sur la scène de la Windy City, il a déjà partagé les feux de la rampe aux côtés de Mary Lane, Billy Flynn, Bob Stroger ou encore Willie Buck. Si vous souhaitez faire plus amples connaissance, les titres de son album vous sont proposés sur son site internet, vous ne serez pas déçus. – Jean-Luc Vabres
Breezy Rodio
Underground Blues
Windchill Records BLO 15
Après deux albums bien reçus chez Delmark (chroniques dans ABS), voici la nouvelle production de cet immigré d’origine italienne établi à Chicago où on le voit beaucoup sur scène avec les meilleurs. C’est un chanteur à la voix profonde et expressive et un guitariste avec un très beau son, souple, jamais agressif. Ce nouvel album est produit par Anson Funderburgh – présent sur deux titres – avec 14 compositions de Rodio, musique qu’Anson qualifie de « Chicago west side modern blues ». Quelques très bons musiciens participent à ce disque, comme Johnny Bradley (basse), Lorenzo Francocci (drums ), Josh Fulero (harmonica ) et surtout l’excellent pianiste Daniel Tabion que l’on entend beaucoup et toujours à son avantage. Quelques instrumentaux, beaucoup de diversité dans les ambiances, d’humour et d’intelligence dans les paroles : une véritable découverte pour ceux qui n’ont pas eu accès à ses disques Delmark et un nom dont on devrait entendre parler en Europe très rapidement. – Marin Poumérol
StratCat Willie & The Strays
On A Hot Tin Roof
Eight Days A Week – www.stratcatwillie.com
Deuxième album au crédit de ce groupe conduit par Willie Hayes (chant et guitare) avec Neal Massa (keyboards), des cuivres sur quatre morceaux (Rich Graiko, tp et Josh Cohen, sax), deux équipes basse/drums et un duo vocal (dans cinq des douze faces, toutes composées par Hayes). Fortement impactés par la pandémie de Covid et l’arrêt des concerts et tournées, les Strays ont accumulé angoisse et frustration ; ils ont réagi en peaufinant ces nouveaux morceaux dont certains dégagent quand même une ambiance douce-amère et une nostalgique comme In The Endavec Massa très en forme, Guiltysur un ton grave et sentencieux, ou encore Cryin, un slow blues triste et pessimiste. Mais, comme les concerts ont repris, les faces « feel good » ont repris le dessus, telles Have A Blues Party (un jump blues festif et joyeux), de même que le titre éponyme (un swing blues enlevé avec comme une urgence), Let’s Dance (enjoué et entraînant),Way Too Fast(nerveux et fonceur), My One True Love(bien enlevé) et Mezcal (un instrumental joyeusement syncopé) (1). À noter aussi deux beaux slow blues : Redneck Womanavec un ton faussement menaçant et Together, jubilatoire. Pour conclure la séance, Runnin’ With The Straysest autobiographique, syncopé et festif… Globalement, c’est frais et très convivial. – Robert Sacré
Note : (1) une joie allant de pair avec l’ingestion de cette eau de vie mexicaine faite avec un mélange d’une trentaine de variétés d’agaves cuites au four (« le secret est dans le ver »: un ver mangeur d’agave est incorporé dans chaque bouteille mise dans le commerce).
Matt Lomeo
When You Call
Autoproduction – www.mattlomeo.com
Matt Lomeo est un chanteur à la voix légèrement nasillarde et malicieuse. Harmoniciste, auteur-compositeur, il débarque, sans complexe, sur la scène, entouré d’une section rythmique, d’orgue, d’une pincée de cuivres, avec cet album entièrement de sa plume, témoin d’un bagage musical varié. Memphis soul (One More 1&1, When You Call), blues (Take The Boulevard, Van Nuys Blues, Got Me A Woman), rhythm’n’blues vintage (Why Do I Cry, Took My Bar And Left Me), country (27), humour et cha cha cha (Unsentimental You) font le sel de l’album, dominé sans doute par le rock Accepting Applications et la ballade intimiste, Outside Of A Song. Un disque abordable et décomplexé d’un artiste que vous découvrirez peut-être au hasard d’un voyage à Los Angeles, si vous passez par un pub nommé Ireland’s 32. La chanteuse Teresa James, qui lui donne la réplique sur plusieurs titres et Terry Wilson, qui a produit l’album, seront certainement de la partie. – Dominique Lagarde
The Groove Krewe
w. Nick Daniels III
Run To Daylight, Great New Orleans R&B
Sound Business Services – www.soundbusinessservicesLLc.com
Big Party in Nawlins…. Tous en piste, alors on danse, comme recommandé dans Have A Party, c’est funky et festif de bout en bout avec Nick Daniels III (chant, basse), né à NOLA et membre, au fil du temps, de tous les grands groupes locaux, des Neville Brothers aux Wild Magnolias’ Indians, à Dumstaphunk et à bien d’autres… Et d’artistes comme Allen Toussaint, Zachary Richard et Etta James. Le voici maintenant en vedette avec son propre groupe sous la houlette des producteurs Rex Pearce et Dale Murray qui ont composé (seuls ou en collaboration) les 10 faces de l’album. Aux côtés de Daniels, on trouve Nelson Blanchard (vo, percussions, claviers), Jason Parfait et Ian Smith (cuivres), Jonathon ‘Boogie’ Long (gt), Rex Pearce (gt) et Eddie Bayers (drums). Tout ce beau monde s’agite en tous sens mais en rythme, avec une exubérance et une joie communicatives, bref on sait où on est, That’s New Orleans (… « the Mississippi rolls »…) comme le chante Daniels III. Ça groove de partout, à commencer par In The Groove Zone, Run To Daylight et ailleurs ; à noter que le thème de l’amour est abordé, avec entrain toujours, dans Where Love Lies (… « No no, not guiltry ! »…) et I’m Gonna Prove My Love. Avec Raising Cane On The Bayou, on quitte New Orleans pour le Sud de la Louisiane, mais c’est toujours avec la même fougue et dans la même ambiance de fête. What a party ! – Robert Sacré
Derrick Procell
Hello Mojo
Catfood Records 032 – www.catfoodrecords.com
Belle production du guitariste Zac Harmon sur le label Catfood de Bob Trenchard, lui-même à la basse avec son superbe orchestre The Rays. Dix titres, la plupart composés par le tandem Derrick Procell / Bob Trenchard et une reprise d’un vieux titre des Kinks qui retrouve une nouvelle jeunesse : Who’ll Be The Next In Line ». Procell possède une solide voix de baryton, à la fois soulful et naturelle. Quatre cuivres soutiennent la formation de base pour une musique séduisante entre blues, rock et r’n’b, qui tourne bien tout en étant diversifiée et efficace pour la danse. Décidément, il y a de nombreux artistes de valeur qu’on connaît mal, mais qui réalisent de très bons disques. Derrick Procell est assurément l’un d’entre eux. – Marin Poumérol
Hurricane Ruth
Live at 3rd & Lindsley
HR Records – www.hurricaneruth.com
Originaire de Saint Louis, Missouri, “Hurricane” Ruth LaMaster est une chanteuse à la voix puissante et bien timbrée, une force de la nature qui s’extériorise à fond sur scène. C’est le cas ici, en live au 3rd & Lindsley à Nashville, Tennessee et, comme d’habitude, la production due au batteur Tom Hambridge (une star des Awards) est impeccable, tout comme son jeu de batterie. Il a collaboré à la composition de onze des quatorze faces avec Ruth, et le band est à la hauteur avec Scott Holt et Nick Nguyen (guitares), Calvin Johnson (basse), Lewis Stephens (claviers). Cette séance en club est aussi torride que permis avec des sommets comme les deux faces dans lesquelles Jimmy Hall est invité (hca et vo), avec une excellente version de As The Years Go Passing By (morceau immortalisé par Albert King mais composé par le Texan Peppermint Harris), un grand moment de ce concert live, en duo vocal avec Ruth. Il y a aussi un coquin Make Love To Me déjanté et festif avec Hall (gt). Mais tout le reste du concert est à haute valeur ajoutée et exsude énergie et dynamisme, comme avec le puissant Roll Little Sister qui ouvre le bal et l’autobiographique et rentre-dedans Hard Rockin’ Woman. Idem pour What You Never Had, énergique et emporté, ou les fiévreux I’ve Got To Use My Imagination, Like Wildfire ou encore un punchy Barrelhouse Joe’s. On appréciera aussi Faith In Me, un slow blues prenant, ou encore Dirty Blues en ébullition, martelé avec une force de conviction peu commune. Ceux qui aiment le calme après la tempête aimeront Cryn Like A Rainy Day (de Greenberg, Barnhill), une ballade soul mélancolique et Dance Dance Norma Jean, l’hommage à Marylin Monroe. Très convaincant ! – Robert Sacré
Black Cat Biscuit
The Way It Is
Naked NP065 – www.donor.company/naked
Je dédaigne les concours musicaux organisés dans le monde du Blues ou de tout autre type de musique d’ailleurs. Pour Debussy, « les concours c’est pour les chevaux », et le pianiste Radu Lupu voyait dans les concours la pire des obscénités musicales. Aussi quand, pour promouvoir leur nouveau disque, le quintet belge Black Cat Biscuit se targuait de sa victoire au Belgium Blues Challenge 2018 et de sa quatrième place à l’European Blues Challenge de 2019, j’avoue que c’est à reculons que je glissais le cd dans mon lecteur. Mes préjugés ont été balayés dès les premières mesures de The Way It Is, la chanson-titre d’ouverture du disque. Bart ‘Yasser’ Arnauts (chant et guitare rythmique), Mark ‘Mr. Mighty’ Sepanski (harmonica), Raff Claes (guitare lead), Patrick ‘P Daddy’ Indestege (basse électrique et contre-basse) et Jeff ‘Junior’ Gijbels (batterie), ont enregistré à l’ancienne une douzaine de compositions originales en analogique et en une seule prise. Le résultat est un bien intéressant voyage de Chicago aux bayous louisianais, du Delta du Mississippi au swing et au jump californien, en passant par le Texas. Aucune affectation chez cet orchestre qui transmet son message grâce à de bonnes chansons personnelles, interprétées pour le plaisir des auditeurs : Say Hello To Godot, What You Say, Madame Zola (une diseuse de bonne aventure), What Goes Around Comes Around, avec des trouvailles plaisantes sur le plan du rythme et des sonorités que je vous incite à découvrir. Vous pouvez déguster sans modération ce Black Cat Biscuit qui conjurera vos bleus à l’âme. – Gilbert Guyonnet
Mick Kolassa
I’m Just Getting Started !
Endless Blues Records
Mick Kolassa est né en 1952 dans le Michigan, mais il vit à Memphis depuis plus de trente ans. Passionné de blues, il est un ancien membre du conseil d’administration de la Blues Fondation. Cette organisation, basée à Memphis, tente de préserver comme chacun le sait l’Histoire du Blues par de multiples évènements comme les Blues Music Awards. Mick a déjà enregistré dix albums et il n’a pas hésité à reverser les bénéfices de certains à la Blues Fondation. Voici le 11ème CD de Mick, produit par son fidèle guitariste Jeff Jensen. Mick est au chant, à la guitare et aux percussions, avec Dexter Allen à la basse, Rick Steff aux claviers et John Blackmon à la batterie. Et, pour quelques morceaux, il a le soutien de cuivres et de choeurs. Sur les 12 morceaux, Mick en a composé 8 et, parmi les 4 reprises, il y a un excellent Leavin’ Trunk de Sleepy John Estes. L’ écoute de ce disque nous permet de faire un voyage du Mississipi à Chicago, mais aussi vers le blues de T-Bone Walker. On peut aussi trouver quelques influences du blues moderne et du rock. Voici un très bon disque de blues excellemment produit. – Robert Moutet
Markey Blue
Ric Latina Project
Jumpin’ the Broom
Soul O Sound SOSRCD104 – www.markeybluericklatina.com
Voici un projet accrocheur proposé par un duo talentueux, Jeannette Markey Blue (chant) et Ric Latina (guitare), sous label Soul O Sound, avec des partenaires très compétents : Randy Coleman (basse), Shannon Wickline (claviers), Dave Northrup (batterie), Chris West (cuivres, flûte) et des invités. Ric Latina a composé les dix titres parmi lesquels on ne retrouve pas de Jumpin’ The Broom, c’est un indice pour signaler qu’après avoir été longtemps partenaires sur scène, Jeannette et Ric ont choisi de « sauter par-dessus le balai » et sont devenus mari et femme. C’est leur quatrième album et il baigne dans une atmosphère cool et détendue avec des blues en medium comme Hangin’On ou When It’s Blueet Little Bettyet, en slow, l’inquiétant Lowdown Voodoo Woman (avec flûte) et surtout le beau Where Are You qui conclut l’album avec panache. Il y a d’autres faces dignes d’intérêt comme Bad For Real, un blues en medium avec une belle combinaison de chant et de guitare, You Got The Blues, ou encore l’enfiévré Be With Me. Ajoutons que Right Kind Of Woman est une ballade bluesy avec, en invitée, Dana Robbins au saxophone et que Cryin’ Out Loud, en slow, voit Mark T Jordan aux claviers. Un groupe à suivre absolument. – Robert Sacré
Southern Avenue
Be The Love You Want
Renew Record / BMG
Southern Avenue, groupe de Memphis, en est à son troisième cd après « Southern Avenue » en 2016 chez Stax et « Keep On » en 2018, nommé pour un Grammy Award pour « Best Contemporary Blues Album ». Très belle production de Steve Berlin, musique soul un peu planante avec les vocaux de grande qualité de la chanteuse Tierinii Jackson qui s’impose comme une valeur à suivre. Douze morceaux composés par les membres du groupe (plus Cody Dickinson). Le guitariste Ori Naftaly impose lui aussi sa personnalité. Le groupe est complété par Tikyra Jackson aux drums et au chant, Jeremy Powell aux claviers et Evan Sarver à la basse, plus quelques invités au saxophone et trompette ou percussions. La musique est vivante et fascinante, avec certains morceaux presque a capella, plus percussions bienvenues. Un véritable plaisir, une musique cool et apaisante. Cette avenue sudiste mérite d’être explorée. – Marin Poumérol
Al Basile
B’s Testimony
Sweetspot Records – www.albasile.com
Al Basile, originaire de Haverhill (MS), est auteur-compositeur, producteur, chanteur et trompettiste. Après une longue carrière avec Roomful of Blues puis avec Duke Robillard, il a gravé un premier album sous son nom en 1998 pourr Sweetspot, son propre label. Celui-ci est le quinzième ! Il est accompagné par ses complices habituels dont Bruce Bears (claviers) et Doug James (sax ténor). Des invités sont présents, dont Kid Andersen (gt) qui se livre à de brillants solos tout du long (If All It Took Was Wishing, It’s Your Pain, Through Thick And Thin, etc.) et aussi Shy Perry en duo vocal sur One Day At A Time, une ballade bluesy sur l’amour qui s’effiloche dans le couple malgré les efforts de chacun. D’autres faces expriment le même mal-être, ce sont des constats d’échecs ou demi-échecs amoureux comme Don’t Kid Yourself Baby en slow, I Got A Right To Be Lonesome, plus enlevé et pétillant, un bijou d’autodérision sur la rupture finale, cou encore I’m Bad That Way. Tout commence pourtant bien avec un très optimiste Lucky Man et Up Close And Personal Best qui est dans la même veine, sans oublier un superbe I Oughta Be Your Monkey inspiré par Tampa Red ! Le bien scandé et jubilatoire When The Girl Say Yes est pile dans l’actualité (« si elle dit non, c’est non, si elle dit peut-être… »). L’abum se termine en beauté avec He Said She Said, un très beau blues en medium. Whoopee ! Tous les textes sont repris en notes de pochette. – Robert Sacré
Bennett Matteo Band
Shake The Roots
Gulf Coast Records GCRX9O38 – www.bennettmateoband.com
Pour faire tomber les fruits, la plupart d’entre nous secouent les branches. Le Bennett Mateo Band, lui, préfère secouer les racines. Les faire vibrer pour apporter une touche très rock au blues et à la soul des origines. Au risque de tellement les retourner que l’on peine parfois à en percevoir l’écho. Cela donne un album tout à l’énergie, dans lequel explose la voix de la chanteuse Jade Bennett, Gino Matteo se réservant les parties de guitare et la direction de la section rythmique. Le puissant Shiny Creatures émerge du lot, comme Paid and Broke, ou l’enchaînement heavy blues/ballade Oh Lord/Table For Two. Le torride Warm Inside repose déjà sur davantage de clichés, mais l’album dégage une belle santé. – Dominique Lagarde
Tré & The Blue Knights
Back To The Future
Wolf Records CD 120.842 – www.wolfrec.com
Nous avons pris l’habitude de croiser Tré à Chicago, au bras de sa compagne Earnestine, ou dans les festivals européens. À chaque fois, c’est un plaisir, car le fils de L.V. Banks est éminemment sympathique, doué à la guitare et au chant et, de surcroit, il est un remarquable showman. Lorsqu’il vient en Europe, il est régulièrement accompagné par Fred Brousse (guitare, harmonica) et ses amis depuis une première tounée en décembre 2006, date à laquelle les faces qui composent cet album ont été captées en studio à Lyon. La musique de Tré est principalement ancrée dans le blues urbain de Chicago, mais il sait aussi revisiter la musique des aînés et le groupe (qui comprend aussi Luc Blackstone à la basse et Cedric San Juan aux drums) l’aide de ce point de vue à faire un sans faute. S’il est historiquement difficile de critiquer le choix du répertoire choisi pour ce cd qui privilégie des standards joués et rejoués (Everyday I Have The Blues en ouverture suivi de The Thrill Is Gone, Killing Floor, Dust My Broom, Sweet Home Chicago et autre I’ll Play The Blues For You…) car remarquablement interprété et parce qu’il s’agissait à l’époque de la toute première rencontre entre ces musiciens, je serai par contre interrogatif eu égard à la décision d’Hannes Folterbauer – le patron de Wolf Records – de sortir un tel album en 2022 avec le titre « Back To The Future » qui pourrait laisser augurer de quelque chose de nouveau, y compris à partir de classiques… Je pense qu’il n’a pas voulu laisser ces faces à l’abandon, alors même que d’autres, issues de cette période, avaient déjà paru. De ce fait, seuls quatre morceaux sur treize sont des compositions originales : deux down home en duo guitare, voix et harmonica avec Fred Brousse – Church Bells et Shot My Baby – franchement réussis, idem pour l’énergique Heartache qui conclut l’album, je suis en revanche moins fan de 2 My Lady et de ses chœurs. Malgré ces réserves, ce disque mérite notre intérêt car, outre les rares compositions, ce groupe sait s’approprier le répertoire de la meilleure des manières. Ceux qui connaissent mal la musique de Tré pourront aussi se tourner vers le bel album « Delivered For Glory » avec dix compositions qu’il avait enregistrées pour le label de John Stedman en 1996 (JSP CD 265) ou encore vers le cd gravé pour Wolf avec The Blue Knights, « Blues Knock’n Baby » (Wolf CD 120.88), qui rendent plus justice à la créativité de cet artiste attachant. – Marcel Bénédit
The Blue Chevy’s
The Night Calls
Naked NP061 – www.donor.company/naked
Ce groupe s’est formé en 1989 pour exprimer son amour du rock and roll vintage et du néo-rockabilly, ce qui conduira à l’enregistrement d’un single et à des concerts en clubs au début des années 90. Ensuite, les Blue’ Chevy’s vont enrichir leur répertoire avec du r&b sauce Texas et du jump blues années 80 et 90 et l’harmonica va prendre une grande importance avec Kris Bries. En 2003, le guitariste Filip Casteels (de l’ensemble El Fish) produit leur premier album qui remporte un beau succès et permet au groupe d’être invité dans de nombreux festivals et de continuer à évoluer, avec des changements de personnels… et d’inspiration. Mais,en 2015, le groupe enregistre un nouvel EP et renoue avec le succès. Un album de compilations parait en 2019 pour le 30è anniversaire du band, ce qui conduit encore à plus de notoriété, de concerts et de festivals, en particulier en Belgique et en France et les Blue Chevys reviennent en studio Naked avec un répertoire plus riche et plus varié pour ce nouvel album avec Kris Bries (chant, harmonica), Frederic Martello (gt), Philippe Martello (drums), Jean-Luc Cremens (basse), Sven Smekens (gt), Koen Desloover (sax) et Kim Vanderweyer (tp, bugle, tb). Comme invités : Jan Ursi (claviers, p) et Dirk Lekenne ( lap steel gt). On démarre avec le titre éponyme, en médium, scandé et nerveux avec Bries (vo, hca) en roue libre et, selon le même scénario, Willow Tree, un slow blues avec harmonica, chant guitare et sax au taquet. Thin Line est du même tonneau, bien enlevé, avec aussi Ursi (p) en grande forme. L’ombre des Rolling Stones plane sur l’ensemble et en particulier sur Never Gone. – Robert Sacré
Phantom Blues Band
Blues For Breakfast
Little Village Foundation Records LVF 1047
littlevillagefoundation.com
L’excellent orchestre qui a accompagné à maintes reprises Taj Mahal est de retour ! Après des albums parus notamment sur les labels Vizztone ou Delta Roots, les voici désormais chez Little Village Foundation, la compagnie californienne qui a le vent en poupe. Le groupe se compose de Tony Braunagel aux fûts, guitare basse Larry Fulcher, guitare et chant Johnny Lee Schell, au saxophone Joe Sublett et à la trompette Les Lovitt. Il faut bien sûr évoquer la disparition de Mike Finnegan en 2021, très durement ressentie par les membres de la formation et à qui cet album est naturellement dédié. Le curriculum vitae du groupe est tout simplement époustouflant. Au fil de leurs collaborations, ils ont joué aux côtés de Bonnie Raitt, Etta James, Joe Cocker, Robert Cray, Eric Burdon ou encore Bob Marley. Ne faisant pas les choses à moitié, pour cette nouvelle session, ils ont décidé d’inviter en studio Bonnie Raitt et Curtis Salgado, rien que ça ! Sur les 12 compostions, le blues trouve naturellement une place prépondérante, avec également la soul et le r’n’b, mais aussi le reggae avec la surprenante et délicieuse reprise du grand classique de Curtis Mayfield, Move On Up. Doté d’une classe folle, le Phantom Blues Band propose ici une luxueuse session, un véritable travail d’orfèvre de la part de la crème des musiciens. – Jean-Luc Vabres
Mike Morgan & The Crawl
The Lights Went Out In Dallas
Must Have Music MHCD 111
Mike Morgan est un chanteur guitariste texan né en 1959. Pratiquant la guitare dès son plus jeune âge, il est d’abord influencé par Otis Redding et Wilson Pickett, avant de découvrir Stevie Ray Vaughan. Il apprend alors à jouer sérieusement et se produit sur les scènes locales dès 1986 avec son groupe, The Crawl. Dans ce groupe, il y a jusqu’en 1989 Darrell Nulisch, ancien chanteur du band d’Anson Funderburgh. Mike le remplace alors par Lee McBee, un vétéran du blues, originaire de Kansas City. Avec une voix soul, ce dernier est aussi un excellent harmoniciste. En 1990, « Raw & Ready » est le premier album de Mike Morgan & The Crawl, qui leur permet de nombreuses tournées nationales puis internationales. En 2007, sort « Stronger Every Day », le 13ème album de Mike qui sera suivi de 15 ans de silence discographique. À part quelques concerts locaux, il se consacre alors à son nouveau métier, directeur des ventes d’un concessionnaire de motos dans les environs de Dallas ! Mais, en mai 2022, il signe son retour avec « The Lights Went Out In Dallas », enregistrement de 13 morceaux avec son groupe légendaire, The Crawl. Produit par Anson Funderburgh, ce disque rassemble une belle brochette de musiciens, en plus de Drew Allain à la basse et Kevin Schermerhorn à la batterie. Dix morceaux sont des compositions de Mike et les trois reprises sont Ding Dong Daddy de Jerry McCain, A Woman de J.D. Miller et Goin’ Down To Eli’s de Joe Clayton. Après une si longue absence, Mike Morgan reste un des meilleurs ambassadeurs du blues texan, cet excellent album en témoigne. – Robert Moutet
The Dig 3
The Dig 3
Autoproduction
Voici une fort belle rencontre qui va faire plaisir à tous ceux qui aiment une musique nettement plus « down home », à l’opposé d’albums électrifiés certes intéressants mais qui peuvent à la longue devenir peu passionnants et répétitifs. Le trio est composé d’Andrew Duncanson à la guitare et au chant (il est membre of Kilborn Alley Blues Band), Ronnie Shellist à l’harmonica et du multi instrumentiste Gerry Hundt que l’on a vu souvent aux cotés de Corey Dennison. La formation nous offre 14 titres qui font la part belle à une musique qui mélange habilement le blues rural mais aussi celui des cités tel qu’on le jouait en bas des immeubles de la Windy City il y a bien des années, sans omettre également une évidente affiliation à la folk music. Nous avons ici une belle production indépendante qui, grâce aux talentueux trois amis, distille une dose d’excellentes compositions. Une belle découverte. – Jean-Luc Vabres
Jim Dan Dee
Real Blues
Autoproduction
Jim Dan Dee est un groupe de blues-rock originaire de Toronto au Canada. Après un premier album publié en 2018, le quartet revient avec un enregistrement de 10 titres composés par Jim Dan Dee et une reprise de The Things That I Used To Do de Eddie “Guitar Slim” Jones. De son vrai nom Jim Stefanuk, Dan Dee est le leader à la guitare et au chant, Dwayne Lau est à la basse, Jason Sewerynek au saxophone, et Shawn Royal à la batterie. Ce quartet fournit une musique puissante et parfois explosive, ce qui permet de la classer dans la lignée de George Thorogood, Canned Heat ou Rory Gallagher. La guitare slide est mise en avant sur la majorité des morceaux, bien épaulée par les solos pleins de swing du saxophone. C’est un excellent album de blues-rock. On regrettera seulement la courte durée de 37 minutes de ce CD, mais c’est une bonne raison pour le passer en boucle. – Robert Moutet
Various Artists
Lockdown Sessions Volume II
Crosscut Records CCD 11113 – www.crosscut.de
Il y a deux ans, votre serviteur chroniquait dans le #77 de cette revue, un excellent double cd « Lockdown Sessions Vol.1 », que publiait la firme de disques allemande, Crosscut Records. L’idée en était venue à l’harmoniciste anglais installé en Allemagne depuis les années 1990s, Roger C. Wade. Ce dernier avait supervisé la réalisation des disques produits pour conjurer les néfastes conséquences du Covid et du confinement sur les musiciens de blues. Malheureusement, l’épidémie virale s’est prolongée de nombreux mois. Salles de spectacle et clubs fermés ont privé les musiciens de scène et de public, leur principale source de revenus. Heureusement, le premier volume s’est bien vendu en Europe. Aussi, Roger C. Wade et Crosscut Records ont-ils été incités à renouveler l’expérience et à publier un second double cd dont chaque centime gagné reviendra aux artistes qui ont participé à ce généreux projet. Une nouvelle fois, l’élite de la scène blues allemande a collaboré à cette entreprise. Elle en est un solide pilier : le maître d’œuvre, Roger C. Wade, Kai Strauss (chant et guitare), Tommy Schneller (chant et saxophone), le multi-instrumentiste Michael van Merwyck, Andreas Arlt (guitare) et Maddy Arlt (chant et guitare) de B.B. & The Blues Shacks. À ses côtés, de nombreux musiciens de blues de diverses contrées ont répondu présents. Le retour du chanteur-harmoniciste d’origine indienne Aki Kumar, installé en Californie, est gagnant ; il participa au premier volume. Le célèbre harmoniciste Bob Corritore accompagne la sensuelle chanteuse Bonita, Sud-Africaine de naissance vivant en Allemagne. Vous découvrirez l’excellent guitariste de Majorque Balta Bordoy qui enregistra avec Sax Gordon et le pianiste Lluis Coloma. La France est représentée par le plus californien de ses musiciens, Franck L. Goldwasser, toujours remarquable. Le vétéran de la scène blues italienne, le chanteur et harmoniciste Egidio Juke Ingala, développe un jeu personnel influencé par Little Walter, George Smith et le jump blues californien. Le bassiste finlandais Jaska Prepula et le joueur d’orgue Hammond allemand Nico Dreier sont le moteur de nombreux titres. Que les artistes non cités me pardonnent ! Ce panel de musiciens produit une musique composite qui allie country blues, swinging blues de la Côte Ouest, Chicago blues, Mississippi blues et rhythm & blues. Chaque chanson est interprétée avec beaucoup de cœur. On sent que les musiciens ont donné beaucoup d’eux-mêmes malgré ou à cause des conditions d’enregistrement. À l’écoute des vingt-six chansons de ce double cd, aucun moment d’ennui, celui qui vous impose de changer de titre avec la télécommande du lecteur de cd. Ce second volume est aussi bon que son prédécesseur. – Gilbert Guyonnet
Phil Guy
Classic Chicago Studio Session 1982
featuring Buddy Guy & Maurice John Vaughn
Phil Guy & Jimmy Dawkins Live 1985
plus Phil Guy unissued radio broadcast
JSP Records JSP2508 – www.jsprecords.com
Quand Buddy Guy passa le perron de la porte pour rencontrer son destin à Chicago en 1957, un sourire en coin et le ton sévère, il savait que son interdit serait transgressé. Phil, celui qui restera toute sa vie son petit frère, ne mettra pas longtemps avant de décrocher cette vieille guimbarde accrochée à un des rares clous sur le mur pour en apprendre les mesures qu’il rendra plus funky que Buddy. Suivant les traces du frangin, Phil fréquente les bars dès l’adolescence pour écouter Lightnin’ Slim faire hurler sa guitare ou le soufflant de Schoolboy Cleve. Baton Rouge était alors une scène à ciel ouvert et le Rockhouse ou le Club Sixteen n’étaient pas en reste. Buddy enregistrait déjà avec Phil Norman à la station de radio de la ville pour le jeune label Ace Records et était le guitariste attitré de Raful Neal, harmoniciste dans les Clouds et qui n’aura de succès de l’estime quasiment que de ses contemporains du quartier. Au départ de Buddy vers les quartiers froids et venteux de Chicago, Phil prend la relève auprès de Raful pendant une bonne dizaine d’années et fait ses armes. Quand on a un grand frère comme Buddy Guy, c’est difficile de faire sa place, mais c’est plus facile d’intégrer une scène. Buddy avait défriché le terrain et, quand Phil s’est pointé en 1969, c’est naturellement que les liens du sang parlèrent. Buddy le prend sous tutelle et décolle presque immédiatement en tournée en Afrique, puis le controversé et extravagant Festival Express Tour dans le sud du Canada à bord d’un train où hyppies et leur psychédélisme refaisaient le monde. Phil se laisse pousser les cheveux. En même temps, on le retrouve sur les albums du frangin, puis avec Byther Smith sur le label de Miss Bee pour quelques poignées de titres dont celui de Phil sera comme la quête d’un graal pour les collectionneurs qui n’en verront jamais la trace (les bandes ont cramé dans un incendie). Puis c’est la rencontre avec John Stedman et JSP Records en 1982 pour un premier opus, « The Red Hot Blues of Phil Guy », suivi de près par « Bad Lucky Boy », un titre à peine dévié du Born Under A Bad Sign de Booket T Jones & William Bell. Deux albums à rechercher pour tous les amateurs d’un style où la soul et les rhytmmes funky s’accoquinent parfaitement avec ce blues qui finissait d’avoir excité les 70’s. Puis les temps morts où Phil ressemble trop à son frère, la production devient trop lourde, les reprises sont faibles et puis je m’arrête là, même si parfois on peut retrouver une certaine étincelle dans ces albums sur Red Lightnin’ ou Splash, rien ne vaudra l’effervescence des débuts. Ce cd, présente Phil Guy en pleine possession de ses moyens. Enregistré au Soto Sound Studio de Jerry Soto dans l’Illinois, les grattes des frangins réunis sont terribles de dynamisme sexy, dur et funky. Breaking Out On Top, l’instrumental qui entame la session, est plus proche d’un hard bop que d’un blues, le sax de Maurice John Vaughn est extra, J.W. Williams à la basse et Ray Allison aux fûts mènent le groove et seule la guitare de Phil nous ramène à notre place. Puis le blues reprend sa place avec un Texas Flood de grande tenue, comme seule Chicago pouvait les engendrer et où la voix profonde de Phil Guy fait merveille : du velours dans un écrin de papier de verre. Blues With A Feeling, morceau écrit et enregistré par Rabon Tarrant et Jack McVea & His All Stars en 1947, devenu un standard dans les mains de Little Walter, prend ici une dimension très personnelle. Le disque est à l’avenant tout du long, que ce soit avec Bad Luck Boy, Garbage Man Blues ou Cold Feeling (morceau souvent crédité Phil Guy et Eddie Lusk, mais bel et bien écrit par Jesse Mae Robinson) où la lancinance du keyboards du sus-cité E. Lusk en réponse à M.J. Vaughn lui donne des réminescences soul/gospel. Une superbe session, vraiment. S’accouple à ce disque un live de Phil Guy et Jimmy Dawkins pris sur le vif d’une scène de Londres, le 100 Club en 1985 où Phil, après s’être exprimé sur quatre titres, accompagne Jimmy Dawkins dans une session fulgurante dans laquelle je ne jette rien. Tout le jeu de Dawkins que je trouvais sur ces albums, de « Fats Finders » en 1969 à « Tribute to Orange » en 1971 sont la quintessence qu’on pouvait entendre sur ces enregistrements, avec peut-être en plus la vitalité d’un « Jimmy and Hip : Live » en 1981. On terminera cette écoute par trois inédits de Phil Guy pris à la BBC de Londres dans le show Mary Costello vers 1990/91. Un album chaudement recommandable, of course ! – Patrick Derrien
Huey Piano Smith
In Session 1951 -1962
Jasmine Records JASMCD 3260 – www.jasmine-records.co.uk
Dans sa très belle série « In Session » consacrée à des musiciens souvent restés au second plan (Jody Williams, Wayne Bennett, Matt Murphy, Big Walter Horton), Jasmine retrace la carrière d’un des grands pianistes et animateur du r’n’b made in NOLA (1). Huey Smith est célèbre comme leader de son groupe, les Clowns, qui eurent une série de tubes dont Rocking Pneumonia and The Boogie Flu, High Blood Pressure, Don’t You Just Know It, titres souvent réédités et qui sont devenus des classiques. Ici, on reprend la carrière de Huey depuis ses premiers enregistrements comme pianiste derrière Guitar Slim en 1951, puis Earl King et Smiley Lewis, Junior Cook et Jesse Allen, avant d’intégrer dans son groupe les vocalistes Curley Moore, Gerry Hall et le fantastique Bobby Marchan qui nous font penser au meilleur des Coasters. On le trouve également sur pas mal de disques Specialty de Little Richard ou Lloyd Price. Le meilleur de sa production est sur Ace Records (le label de Johnny Vincent), puis il passe chez Imperial et travaille avec Dave Bartholomew avant de revenir chez Ace. Ces 30 titres composent un excellent cd d’un pionnier du son New Orleans. – Marin Poumérol
Notes :
(1) Jasmine Records avait précédemment publié un premier cd lui étant consacré : « Huey “Piano” Smith, Don’t You Just Know It, The Very Best Of 1956-1962 » – JASMCD3059).
(2) Jasmine Records a publié un cd consacré à Bobby Marchan : « Bobby Marchan, This Is The Life, New Orleans Rock & Soul, 1954-1962 » – JASMCD3212.
Otis Spann
with Robert Jr.Lockwood
Otis Spann Is The Blues
Candid CCD30012 (réédition 2022) – www.candidrecords.com
Ce recueil n’offre qu’une partie des faces enregistrées par Spann (vo, p) et Lockwood (vo, gt) à New York en ce 23 août 1960 (Candid CM8001). D’autres faces ont été publiées sur labels Piccadilly, Barnaby, Mosaïc (1) et Black Magic. C’est le premier album de Spann sous son nom. Un pianiste respecté pour sa longue association avec le Muddy Waters Band et une prestation remarquée au Festival de Newport la même année. D’emblée, il a voulu souligner le fait que les sessions ont eu lieu aux Fine Studios, sis au Great Northern Hotel ; avec Great Northern Stomp, un instrumental en solo qui déménage autant que Otis In The Dark, un autre solo instrumental où Spann a demandé l’extinction des lumières en studio pour créer une ambiance plus propice à sa création. Les duos Spann-Lockwood sont très efficaces, que ce soit dans les illustrations de la vie des musiciens de blues comme les autobiographiques (I Ccame Up the) Hard Way ou (I’m Just A) Country Boy, ou encore Worried Life Blues, le classique de Big Maceo repris par Spann et Lockwood qui s’identifient au thème et le reprennent à leur compte. Dans d’autres morceaux, c’est Lockwood qui chante, accompagné par sa guitare et par Spann, avec ses grands classiques à la Robert Johnson (2) : Take A Little Walk With Me (une invitation qui ne souffre aucun refus), I Got Rambling On My Mind (une ode à la non-permanence des choses) et Little Boy Blue (une berceuse transformée en blues) et c’est lui aussi qui chante My Daily Wish, le portait d’une femme méprisante. – Robert Sacré
Notes :
(1) la session complète est disponible sur Mosaïc-Box set MR 139 (3 cds ou 5 lps).
(2) Robert Lockwood Jr. était, rappelons-le, le beau-fils de Johnson et son élève.
Various Artists
Crescent City Bounce
New Orleans Rhythm & Blues 1950-1958
Jasmine Records JASMCD 3194 – www.jasmine-records.co.uk
Généreuse compilation de 29 titres consacrée à trois pianistes de La Nouvelle-Orléans : Archibald, de son vrai nom, John Leon Gross (1916-1973), Salvador Doucette avec le chanteur Johnny “Little Sonny” Jones (1931-1989), et James Booker (1939-1983), présenté ici sous le pseudonyme de Little Booker. Concurrent potentiel de Fats Domino – sur lequel il aurait exercé une certaine influence au début des années cinquante – Archibald a connu le succès avec sa version de Stack-O-Lee, sans être en mesure de renouveler l’exploit. Son style enlevé révèle une rythmique que l’on retrouvera sans tarder dans le rock steady jamaïcain. Il est soutenu dans la plupart de ces faces Imperial par l’orchestre Dave Bartholomew. Des jalons incontournables du New Orleans rhythm’n’blues. Aux côtés de Sonny Jones, officie le pianiste Salvador Doucette, au style différent, plus ancré dans le blues traditionnel, mais dont la dextérité inventive fera école. Un « musician’s musician ». Little Booker, âgé de 14 ans et demi lors de sa première session Imperial, a fait mieux depuis, même si la cacophonie organisée de Doing the Ham Bone peut amuser. Le duo Arthur and Booker le fait entendre associé à Art Neville. En 1958, Open The Door, avec la voix overdubée de Joe Tex, est un rock furieux à la Little Richard et Teenage Rock un instrumental du tonnerre joué à l’orgue. Sous son véritable patronyme, James Booker et son style éclectique ont fait l’objet d’une reconnaissance tardive. Un culte toujours entretenu près de quarante ans après sa disparition prématurée. – Dominique Lagarde
Arbee Stidham
Feeling Blue &D Low 1947-1957
Jasmine Records JASMCD 3242 – www.jasmine-records.co.uk
J’ai entendu pour la première fois Arbee Stidham quand j’étais lycéen. En 1961 ou 1962. J’avais acheté le lp en faisant confiance à la pochette et au bagout du vendeur, un vieux vendeur, légende parmi les meilleurs. Je n’avais pas été convaincu et je pensais laisser dormir ce lp sur une étagère. C’était surtout Stidham qui ne m’avait pas séduit. Je ne me souciais pas qu’il eut les honneurs du N°1 de Billboard. À cette époque, le jeune fan de jazz que j’étais ne s’intéressait guère aux scores « commerciaux » des musiciens. Moi, je trouvais ses vocaux plutôt emphatiques, mais j’ignorais alors que ce style de chant était répandu, y compris dans des environnements ruraux. Voyez la voix de Johnny Shines. Malgré tout, je continue à trouver des accents caprins à certains musiciens. Mais peut-être ai-je tort ? C’est donc avec des oreilles virginales que j’ai mis le lp sur ma platine. D’emblée je vous dirais que mon morceau préféré est Feelin’ Blue and Low. Un vrai climat bluesy. Oublions la plainte pathétique du chant. C’est du beau blues. Avec une belle partie de saxo et de piano. Au passage, une interrogation : la pochette annonce que l’ensemble des titres du CD sont des compositions originales d’Arbee. Cependant, j’ai trouvé, par exemple, une parenté entre Somebody to Tell my Trouble To avec Sneakin‘ Around popularisé par B.B. ou Little Milton. Qu’en est-il exactement ? Il faut dire que tous ces requins de studio et autres piliers de sessions avaient l’art de s’approprier des thèmes. Mais cela n’est pas important. Une petite recherche à faire pour les érudits… Tout au long des années 1947 à 1957, période sélectionnée par Jasmine, on retrouve une régularité qui s’inscrit dans la recherche de hits au travers des attentes du public. Ce CD démarre avec une certaine couleur jazzy, notamment avec la présence de l’orchestre de Lucky Millinder et de ses solistes et s’achève avec une session où l’on trouve… Earl Hooker. Après une seconde écoute, je voudrais insister sur un point très positif. Les amateurs de saxo seront comblés. Nous avons du ténor à profusion. Pour terminer, un exemple d’interprétation bénéficiant d’un vibrato discret, en tout cas plus discret que d’ordinaire : Mr Commisioner. Pour ma part, je pense que c’est mieux. Au-delà de la musique elle-même, un autre aspect de ces rééditions est de mettre en lumière l’importance des contacts et des échanges musicaux. Arbee Stidham a cotoyé une pléïade de musiciens : membres de big bands renommés comme ceux de Lucky Millinder, Fletcher et Horace Henderson ou sideman de Bessie Smith, jouant avec des grands noms du jazz moderne, parfois inattendus comme Mundel Lowe, tous ont joué avec lui. Lui-même a rencontré des pères fondateurs tels que Blind Lemon… Sans parler de ses confrères de Chicago, des pointures : Big Bill ou Tampa Red… Il faudrait aligner des noms prestigieux, des gabarits : Earl Hooker, Wayne Bennet, etc. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, ces productions étaient faites pour la danse et non pour une écoute passive. Il faut donc garder cela à l’esprit pour raisonner en toute justice. Un disque qui documente une période peu connue des jeunes amateurs et qui mérite une saine curiosité. – André Fanelli
Lefty Dizz
& Johnny “Big Moose” Walker
Bad Avenue
JSP Records JSP2509 – www.jsprecords.com
Le label anglais va une nouvelle fois faire plaisir aux fans de Chicago blues avec la sortie de ce double album rempli de raretés, dédié à ces deux illustres musiciens. Le premier cd nous offre une bonne prestation de Lefty Dizz au festival de Burnley en 1991 aux côtés d’Harmonica Hinds, Johnny Robinson (gt), Ike Anderson (basse) et Jeff Taylor (drums). Sur les onze titres présentés, il faut noter que You Don’t Love Me No More, Too Late, et Sadie avait déjà été publiés sur le JSP247 intitulé « Chicago Blues At Burnley Blues Festival 1991 ». L’ancien équipier de Junior Wells fait vraiment des étincelles sur de magnifiques reprises, à l’image de Two Trains Running, Baby Please Don’t Go ou encore Mama Talk To Your Daughter. Le deuxième cd est passionnant puisqu’il nous fait découvrir quatre bons titres de Big Moose (dont deux déjà édités sur l’album précédemment cité), toujours à Burnley, pour enchainer avec des titres dont certains sont inédits lorsque le pianiste enregistrait (à NYC et /ou New Orleans, rien n’est sûr) sous le pseudonyme de Bushy Head pour le compte de Bobby Robinson, et qui sont véritablement admirables. Le compilateur nous propose également le 45t du pianiste enregistré pour Al Benson aux côtés de Freddie Roulette, à savoir Rambling Woman et Puppy Howl Blues, mais aussi les faces du label Age où, sur les morceaux Bright Sounds suivi de Off The Hook, nous retrouvons Earl Hooker à la guitare. Concernant les faces de Lefty Dizz faites pour Carl Jones, elles sont aussi présentes, le guitariste baptisé Lefty Diaz étant alors aux côtés de son frère, le batteur Woody Williams. Nous retrouvons également de bons titres inédits enregistrés à Londres en 1990, mais aussi une interview faite sur une radio londonienne cette même année. Voici un double album qui recèle de véritables pépites. À noter que les notes du livret sont signées Tony Burke et qu’à part une erreur sur l’État de naissance de Lefty (à savoir Osceola Arkansas et non Mississippi), elles sont très instructives et agrémentés de belles photos. Recommandé. – Jean-Luc Vabres
Various Artists
Early Deep Soul Divas 1954-1962
Jasmine Records JASMCD 1151 – www.jasmine-records.co.uk
Voici une belle brochette de charmantes dames aux voix acérées. Toutes ont un point commun : elles ont débuté et fait leurs griffes dans le monde du gospel, puis se sont lancées dans la soul ou le r’n’b avec plus ou moins de succès. Il y a là 29 titres et tout est bon et souvent superbe. Citons les meilleures et les nombreux coup de cœur : Lavern Baker, bien sûr dans I Can’t Hold Out Any Longer, l’étonnante version de Lonely Avenue par Pearl Woods, Ann Cole dont il faudrait un album entier parce que c’est quand même elle qui a créé l’original de Got My Mojo Working, l’excellente Jewel Brown dans Lookin’ Back, Ruth Brown, Mavis Staples et toute sa famille, Linda Hopkins, Etta James, Betty Lavette, Judy Clay, Mary Ann Fisher, Maxine Brown, Mary Wells, Barbara Lynn et la très belle voix de Brenda Holloway. Vous saurez tout sur ces dames en lisant le texte très documenté du livret signé Opal Louis Nations. Ce CD est à rapprocher du coffret de 3 cd « Ain’t Gonna Hush – The Queens of Rhythm’n’blues » paru en 2015 chez Fantastic Voyage. – Marin Poumérol
Howlin’ Wolf & His Wolf Gang
Feat. Howlin’ Wolf at 1815 Club 1975
and the best songs of Eddie Shaw, Detroit Jr. and Hubert Sumlin
Wolf Records CD 120.203 – www.wolfrecords.com
Ce cd compile des titres de Howlin’ Wolf, Eddie Shaw, Detroit Jr. et Hubert Sumlin. Les cinq chansons de Howlin’ Wolf & His Wolf Gang ont été enregistrées en public les 25, 26 et 27 juillet 1975 au 1815 Club de Chicago. Ce fut l’un des derniers concerts du Loup, fatigué et malade, qui devait mourir en janvier 1976. Nous avons ici quatre des sept titres du lp Wolf 120.000, publié en 1988, et un inédit, Don’t Decieve Me, une composition de Chuck Willis. Le 1815 Club fut un haut lieu du blues de Chicago. Il était connu sous le nom Eddie’s Place ou Eddie Shaw’s Place. C’était le saxophoniste leader du Wolf Gang, Eddie Shaw, qui gérait ce lieu. À partir de 1975, les week-ends étaient réservés à Howlin’ Wolf. En semaine, s’y produisaient Jimmy Dawkins, Csey Jones et l’imitateur de Howlin’ Wolf, James “Taildragger” Jones. Hannes Folterbauer, le patron de la firme de disques autrichienne Wolf Records, eut la chance d’assister aux concerts de juillet 1975. Il était équipé d’un magnétophone à cassettes muni d’un excellent microphone. Il eut l’autorisation d’enregistrer. Quelques années plus tard, Lily Burnett, la veuve de Howlin’ Wolf, donna son accord pour une publication. Ce n’est donc pas un disque pirate. Le son n’est pas exceptionnel, mais on entend bien la voix du chanteur. Le son de l’orchestre (Hubert Sumlin – guitare, Eddie Shaw – saxophone, Bob Henderson – basse, Detroit Jr. – piano et Kansas City Red – batterie) est un peu lointain. Mais cela ne gêne pas trop l’écoute, à moins que vous ne soyez fanatique de haute-fidélité. L’on aurait aimé en entendre plus. Trois autres artistes, fidèles du maître, complètent ce long disque (80 minutes !). Eddie Shaw et son saxophone et harmonica ont droit à cinq chansons provenant de quatre séances en studio à Chicago. Vaan Shaw, fils d’Eddie et guitariste virtuose, est présent partout. Puis, selon les sessions, on entend John Primer, Johnnie B. Moore, Detroit Jr., Willie Kent et le batteur Tim Taylor. Le répertoire est fait de trois compositions d’Eddie Shaw et deux de Willie Dixon popularisées par Howlin’ Wolf : Little Red Rooster et Built For Comfort. Cette excellente musique était déjà apparue sur trois cds d’Eddie Shaw : « The Blues Is Good News – Chicago Blues Session Vol.20 » (Wolf CD 120.866), « Home Alone – Chicago Blues Session Vol.33 » (Wolf CD 120.879) et « Too Many Highways – Chicago Blues Session Vol.46 » (Wolf CD 120.892). En outre, la discographie ne correspond pas tout à fait à celle de Robert Ford et Bob McGrath. Est-ce une erreur ou une correction ? Wolf Records a sélectionné trois chansons écrites et interprétées par l’incontournable Hubert Sumlin, dont deux très réussies en acoustique avec John Primer : No Place To Go, totalement différente de la chanson homonyme de Howlin’ Wolf, et I’ve Been Gone. Elles avaient déjà paru sur le cd « Hubert Sumlin and Billy Branch – Chicago Blues Session Vol.22 » (Wolf CD 120.868). Enfin, dernier artiste présenté sur ce cd, le pianiste et chanteur Detroit Jr. (Emery Williams Jr.). Il donne une bonne interprétation de son classique Call My Joben public, à Vienne en Autriche, en octobre 1978, avec Homesick James et Ted Harvey, disponible sur le lp Wolf 120.287, « Chicago Blues Live ». J’aime aussi ces deux autres compositions dont Race Track, enregistrées en 1994, avec les guitaristes Vance Kelly et Johnnie B. Moore et publiées dans « Chicago Blues Legends – Chicago Blues Session Vol.17 » (Wolf CD 120.863). Donc un seul inédit sur ce disque, dû à Howlin’ Wolf. Les amateurs des « œuvres complètes » de l’immense bluesman se rueront. Les anciens vérifieront leur discothèque. Quant aux plus jeunes, ils peuvent acquérir en toute confiance ce cd d’excellente qualité musicale, avec son livret rédigé par Jim O’Neal et ses rares photographies. – Gilbert Guyonnet
Forest City Joe
Special Delivery Man
The Harmonica Blues Of Forest City Joe
Jasmine Records JASMCD3217 – www.jasmine-records.co.uk
L’air de rien, Forest City Joe fait partie du minimalisme blues. Celui là qui se jouait dans un temps où l’accompagnement oral ne devait exister que par les chœurs. Tout démarre un 10 juillet 1926 à Hugues, un bled situé pile entre Little Rock et Memphis. Né proche de Forrest City, Joe Bennie Pugh de son vrai nom choisira d’en faire son pseudonyme en virant un « r » de trop. Il grandit comme tant d’autres au milieu du coton, même si la vie ne l’est pas… Sa mère (Mary Walker) l’initie aux rudiments musicaux en lui donnant des leçons de piano et de guitare pendant que son père (Moses Pugh) bosse dans les champs. L’harmonica, c’est plus tard, sous perfusion de John Lee Curtis Williamson, Sonny Boy Williamson premier du nom. Il en fera son idole, son mentor par procuration (jusque dans sa façon de chanter) car, en attendant, c’est ses disques qu’il écoute. Dans les jukes du coin dans les années quarante, on le remarque vite dans sa manière de jouer un country blues qui se teinte de boogie. Big Joe William ne se trompe pas trop en l’engageant comme compagnon de route quand il le rencontre, à la fin de cette même décennie à St Louis, une étape presque obligatoire avant de poser son soufflant buccal à Chicago en ayant le fol espoir d’y rencontrer Sonny Boy. Il le fera et prendra même quelques leçons avec lui avant que John Lee Curtis se fasse dessouder en 1948, l’année où Forest City Joe rentrera dans les studios pour graver ses premiers titres sur Aristocrat, juste avant que les frères Chess (alors boss dans une boite de nuit) n’en fasse l’acquisition. Et c’est peut-être là que le destin de Forest City Joe aurait du prendre un tournant significatif. Il avait été prévu que Muddy Waters soit de cette première session du 2 décembre 1948 mais, pour diverses raisons, il sera remplacé par un guitariste de jazz, J.C. Coles (retrouvé trois ans plus tard à Memphis gravant une séance pour Sam Phillips dans laquelle il joue comme un John Lee Hooker) qui, soyons honnête, n’apportera pas grand chose à cette session, si ce n’est de laisser toute la place à Forest. Il est évident que si Muddy Waters avait fait cette session, d’autres enregistrements auraient vu le jour, ne serait-ce que dans le but de récupérer tout ce que Muddy aurait enregistré, et je parle au conditionnel bien sûr ; mais ces travaux auraient certainement eu plus d’impact et d’échos. Mais seuls Memory of Sonny Boy et A Woman on Every Street seront gravés. Quant à Memory of Sonny Boy, il fait partie des premiers titres enregistrés qui rendent hommage à un bluesman. Scrapper Blackwell avait fait de même quand Leroy Carr était parti rejoindre les grandes prairies en 1935. Je trouve ces deux morceaux extraordinaires en ce qui concerne le jeu de Forest qui imite l’harmonica de son père spirituel dans un call-and-response avec des acrobaties fantastiques qui accompagne un chant très expressif. Mais Chicago ne lui plaît pas et il retourne vers chez lui où il apparaît parfois avec Howlin’ Wolf et Sonny Boy « Rice Miller » Williamson, le deuxième du nom, dans des émissions de radio dans la région de West Memphis. Mais c’est quand même à Chicago que tout se joue, alors il y retourne en 1949 et donne quelques concerts occasionnels avec le band d’Otis Spann au Tick Tock Lounge et autres bouges du coin pendant presque cinq ans. Mais sa terre lui manque et retour au pays milieu dans les années cinquante où il abandonne presque entièrement la musique, sauf quand Willie Cobbs lui demande de jouer avec lui certains week-ends à partir de 1955. Dans ses pérégrinations ethnologiques en 1959, Alan Lomax et Shirley Collins le repèrent un certain soir de septembre 1959, devant le juke de Charlie Houlin. John Cowley, dans « Alan Lomax : Blues Songbook » (Rounder 1866), écrit ceci à propos de Charley Houlin : « Joueur de tout, marchand de whisky et parfois trafiquant d’alcool, Houlin a émigré à Hughes depuis l’est du Texas. Il est devenu U.S. Marshall, démontrant sa réputation de tireur d’élite et s’est installé à la tête d’un magasin de whisky et d’un bar à alcool où jouaient de nombreux musiciens de blues (comme B.B. King). » C’est Houlin qui a orienté Lomax vers les deux groupes de juke-band de la colonie qui divertissaient ses clients noirs : les groupes dirigés par Forrest City Joe et Boy Blue. Alan indique que le batteur et le guitariste pour une partie de cette session sont respectivement Thomas Martin et Sonny Boy Rogers, mais il n’est pas certain qu’ils jouent sur toutes les pistes. Ces séances sont apparues par bribes sur diverses compilations (« The Blues Roll on 1960 »/Atlantic, « Roots Of The Blues » toujours chez Atlantic, par exemple). Toutes ses sessions, avant d’être intégrées sur ce cd, étaient mises à disposition par la Fondation Lomax (Cultural Equity). Ce cd présente la session Chess, y compris les morceaux non publiés à l’époque.Tous les titres de Joe des deux lp d’Atlantic sont inclus, ainsi que You Gotta Cut That Out que Lomax trouvait trop moderne pour les deux lp. S’y ajoutent les deux titres de Boy Blue publiés par Atlantic qui ont été enregistrés lors de la même session, ainsi que deux titres de Little Son Joe enregistrés pour J.O.B. mais non publiés à l’époque. Tout aurait pu être différent si le destin ne lui avait pas joué un mauvais tour lors de cette première session Chess, mais le sort en aura décidé autrement et c’est sur une route qui le ramenait d’une soirée qu’il décédera dans un accident le 3 avril 1960, alors que des sessions d’enregistrements pour Vanguard ou Columbia étaient prévues. – Patrick Derrien
Blind Willie McTell
The Syncopated Country Blues Of
Jasmine Records JASMCD3221 – www.jasmine-records.co.uk
Blind Willie McTell (mai 1898 – août 1959), le “troubadour céleste”, reste l’un des géants incontournables du Blues. Que ce soit comme guitariste virtuose à la 12 cordes ou à la slide, au chant habité ou aux compositions indémodables reprises par les plus grands, il est toujours vers les sommets. Ce cd de 26 titres enregistrés en 1949 le présente sous son meilleur jour, avec un excellent son. Les 8 premiers morceaux proviennent du fantastique album Atlantic 7224 (quel dommage que les 7 autres titres de cet album ne soient pas présents ici), les 18 autres constituent la réédition d’un album Biograph gravé à la même époque avec son complice Curley Weaver à la seconde guitare. Tout est excellent : blues, gospels, pièces inspirées du ragtime ou des airs populaires du moment, McTell est partout à l’aise. Ce cd est une pure merveille, au même titre que ses faces de 1927-33 à ne pas rater ! Comme l’a très bien chanté Bob Dylan : « Nobody sings the blues like Blind Willie Mc Tell ». – Marin Poumérol
Various Artists
Female Gospel Groups, 1940-1962
Frémeaux et Associés FA 58243 (coffret 3 CDs, livret illustré, 20 pages)
www.fremeaux.com
De la fin des années 30 jusque dans les années 70, le black gospel traditionnel a connu son Âge d’Or et un engouement énorme et généralisé dans les communautés africaines américaines, alors qu’il était ignoré ou presque partout ailleurs (1). Mais le gospel, comme toutes les musiques populaires, a évolué et, de nos jours, c’est un gospel dit « contemporain » (très proche de la soul music, de la pop et du rap) qui a les faveurs du public noir US, pendant que l’Europe et le reste du monde découvrent enfin les trésors du gospel traditionnel grâce à des compagnies comme Ace Records en Angleterre, Gospel Friend en Suède, Frémeaux et Associés en France et une poignée d’autres, qui rééditent la crème de la crème de ce style musical exceptionnel (2) et ses bonnes nouvelles (… « Good News, la vie est courte et dure, voire abominable, mais ensuite, pour les Justes, ce sera le bonheur et la joie pour l’éternité »…). (3) C’est dans cette période que les femmes, solistes ou membres de groupes (mixtes ou entièrement féminins) avec piano et orgue, ont pris le plus d’ascendant dans ce monde musical, souvent plus populaires que les solistes et les quartets masculins a capella, une juste revanche sur le machisme des périodes précédentes. La preuve avec cette nouvelle compilation recommandée sans réserves : Le cd1 couvre la période 1940-1953 avec les grandes pionnières à Chicago comme Sallie Martin et sa fille Cora (associées à Thomas A. Dorsey, le Père du Gospel), Roberta Martin (pianiste, associée à Kenneth Morris), Albertina Walker et les Caravans, les Gay Sisters ; à Philadelphie avec Gertrude Ward, sa fille Claraet leurs Singers (Marion Williams, Frances Steadman, Kitty Parham) et avec les Davis Sisters ; à Memphis avec les Brewster Singers ; à Birmingham (Alabama) avec Dorothy Love Coates et les Gospel Harmonettes, etc, etc. Ces groupes et d’autres (4) vont déchaîner les passions et remplir les églises et lieux où ils se produisent. Ils vont abondamment enregistrer et c’est un bonheur total de réécouter leurs disques. Pour la plupart, leurs succès se perpétueront dans les périodes suivantes comme on peut le voir (l’écouter !) dans le cd2 (années 50) et le cd3 (1958-1962). Les notes de pochette de Jean Buzelin sont informatives et complètes, il a judicieusement choisi les meilleurs titres qui représentent bien le génie et la qualité des interprètes, leur fougue et leur talent, leur swing implacable et leur engagement total, sans complexes. On n’en citera aucun en particulier, tous sont à écouter… religieusement ! Une réussite totale. – Robert Sacré
Notes :
(1) Sauf , et encore, Mahalia Jackson et quelques solistes qui ont fait des tournées en Europe dans les sixties.
(2) À noter que Malaco Records à Jackson, Mississippi, dont le catalogue de gospel contemporain estfort riche,a acheté toutes les archives des mythiques Savoy Records et s’est engagé lui aussi dans la réédition des grands intérprètes de gospel traditionnel ayant enregistré pour ce label.
(3) Le Gospel est la « good news » music, là où le Blues est la « bad news » music.
(4) Southern Harps ; Southern Revivalists of New Orleans ; Angelic Gospel Singers ; Elite Jewels ; Jackson Gospel Singers ; Wings Over Dixie ; Rosette Gospel Singers ; Simmons Akers Trio ; Lucy Smith Singers ; Argo Gospel Singers ; Della Rees & Meditation Singers ; Southern Echoes of Chicago ; Stars of Faith ; Jewel Gospel Singers ; Bessie Griffin & Gospel Pearls ; Drexall Singers ; Imperial Gospel Singers ; Ingram Gospel Singer ; Inez Andrews & Andrewettes ; Sally Jenkins Singer…
Jackie Brenston
and His Delta Cats
The Blues Got Me Again
Jasmine Records JASMCD 3232 – www.jasmine-records.co.uk
« Dieu que la vie est cruelle, au musicien des ruelles… », dit la chanson. Elle l’est aussi à ceux nantis d’un gros succès dès leur premier disque… Et recalés ensuite… Le chanteur et saxophoniste Jackie Brenston (1930-1979) s’est trouvé dans ce cas. Parti sur les chapeaux de roue en 1951 grâce à Rocket 88, avec Ike Turner, considéré comme la pierre angulaire de l’évolution du rhythm’n’blues vers le rock (couplé à l’excellent blues Come Back Where You Belong). Malgré la présence des frères Calvin et Phineas Newborn, et plusieurs tentatives pour capitaliser sur la formule (Independant Woman, My Real Gone Rocket, You Won’t Be Coming Back), la deuxième tournée n’est pas venue. Restent de la courte mais prolifique période Chess, de bons morceaux comme un Tuckered Out à la Wynonie Harris, ou Lovin’ Time Blues. Passons à 1956. Jackie Brenston se retrouve sur le label Federal pour quatre excellents titres dans lesquels il force sa voix, pour sonner Little Richard, avec toujours Ike Turner aux manettes. Des faces du début des années soixante sur Sue et Mel-Lon (avec Earl Hooker) complètent l’ensemble. – Dominique Lagarde
Lloyd Price
Under His Spell Again
Singles Collection 1960-1962
Jasmine Records JASMCD 1147 – www.jasmine-records.co.uk
Voici le quatrième CD tiré des enregistrements ABC-Paramount de Lloyd Price décédé en 2021, à 88 ans, après une longue carrière qui débuta en 1952 avec Lawdy Miss Clawdy chez Specialty. Ses disques Specialty sont pour nous amateurs de r’n’b ce qu’il a fait de mieux. Sur les faces présentées ici, Lloyd reste un superbe chanteur, mais on vise le grand public, et les arrangements, cœurs très datés pop, violons envahissants, génèrent un certain ennui malgré des compositions sympathiques : Questions, I Made You Cry, Twistin’ The Blues. Pour ceux qui apprécient le style pop variété des années 60. – Marin Poumérol
Syl Johnson meets Smokey Smothers
Chicago Blues, the 60s New Breed
Jasmine Records JASMCD3198 – www.jasmine-records.co.uk
Cette compilation met en parallèle deux artistes. Sur le plan musical, Syl Johnson et Otis Smokey Smothers, tous deux originaires du Mississippi, possédaient un jeu de guitare et un chant très différents. Ce qui les rassemble sur ce cd, c’est un producteur, le pianiste Sonny Thompson, une firme de disques, Federal, et la contemporanéité de leurs enregistrements, fin 1950’s et début 1960’s. Syl Johnson, né Sylvester Thompson, était d’une famille où la musique était importante. Ses deux frères, Jimmy Johnson et Mac Thompson, ont laissé une très forte empreinte dans le Chicago blues. Pas surprenant quand votre copain d’enfance du Mississippi est Matt Murphy, devenu une légende, et votre voisin et complice d’adolescence à Chicago est Sam Maghett, lui aussi devenu une légende sous le pseudonyme de Magic Sam. Syl Johnson va pénétrer le monde de la scène musicale sous les auspices d’un musicien dilettante, Shakey Jake, oncle de Magic Sam. Il est repéré par Calvin Carter, boss de Vee-Jay, qui lui proposa d’enregistrer un disque. Voici leur dialogue rapporté par Syl Johnson : « Quoi ! comme guitariste ? ». « Non, pas du tout, mais en tant que chanteur ». Je lui rétorquai : « Mais je ne sais pas chanter ». « Oh si ! Tu peux chanter. On veut faire un disque avec toi. Reviens avec deux chansons et nous t’enregistrerons. » Cela ne se fit pas. Mais quelque temps plus tard, Ralph Bass, découvreur de talents pour la firme de disques King et sa filiale Federal, s’intéressa à lui. Il convainquit Syd Nathan d’accepter une démo. À cet effet, le non encore baptisé Syl Johnson enregistra deux chansons aux studios Universal de Chicago, accompagné par le guitariste Lefty Bates et son orchestre : deux compositions personnelles, Teardrops et They Who Love eurent l’heur de plaire à Syd Nathan et furent très vite pressées en 45tours, en 1959 (Federal 12358). Ce début d’une longue et fructueuse carrière ouvre ce cd. La voix est magnifique, mais l’orchestration et les chœurs peu excitants, tout comme la flûte de They Who Love. Le disque ne fut pas un grand succès. Mais Syl Johnson fut envoyé à Cincinnati, dans les studios King, pour poursuivre l’aventure. Le résultat, 45tours Federal 12374, fut un peu supérieur. On peut oublier la variété pop I’ve Got Love, mais le blues lent de la face B influencé par la New Orleans, Lonely Man, est remarquable avec son piano et ses cuivres obsédants. Le 45tours suivant, Federal 12435, est peut-être son meilleur disque de cette période. Syl Johnson y joue enfin de la guitare et son solo est remarquable sur I’ve Got To Find My Baby (rien à voir avec la chanson homonyme de Little Walter) ; la face B, She’s So Fine – I Just Gotta Make Her Mine, est très marquée par le tube de Freddie King, San-Ho-Zay. Pour les deux derniers singles chez Federal, apparaît le trop méconnu guitariste Bobby King. Les fortes inflexions gospel de I Wanna Know sont très séduisantes. Avec son ultime single pour Federal, le chanteur donne une version correcte de Please Please Please, le tube de James Brown, et une belle ballade très soul qui indique la future voie que prendra Syl Johnson, dont Jasmine publie l’intégrale Federal. Celle-ci était disponible sur le formidable coffret « Complete Mythology » (Numero Group 032). Beaucoup plus traditionnel était Otis Smokey Smothers. Il intégra quelque temps l’orchestre de Howlin’ Wolf avec qui il participa à trois séances d’enregistrement. Il dirigea le Muddy Waters Junior Band qui avait la charge de remplacer Muddy Waters quand celui-ci jouait hors de Chicago. Sonny Thompson le fit signer chez Federal pendant l’été 1960. En août 1960, Smokey Smothers va enregistrer vingt-et-une chansons dont onze en compagnie de Freddie King en tant que lead guitariste. Il revint dans ces mêmes locaux, sans Freddie King, mais avec l’harmoniciste Little Boyd pour quatre autres chansons en février 1962. L’ensemble de ces productions est dans un style proche de celui de Jimmy Reed. En 1960 et 1961, Federal publia cinq 45tours de la très longue première séance d’enregistrement. La face A du premier (Federal 12385) est un beau blues lent en mineur composé par Smokey Smothers, Cryin’ Tears. Superbe est la face B du second single, I’ve Been Drinking Muddy Waters (Federal 12395) et la partie de guitare de Freddie King. Le bref solo en finger-picking de Freddie King sur la face A, I Ain’t Gonna Be No Monkey Man No More, n’est pas mal non plus. Impossible de ne pas aimer Smokey’s Love Sick Blues, Come Rock Little Girl ou I Can’t Judge Nobody. En 1962, King publia un album 33tours avec douze chansons dont les dix des cinq premiers singles ici présentés. Ce disque, « Smokey Smothers Sings Backporch Blues » (King LP 779), est l’un des plus rares et donc des plus chers sur le marché des collectionneurs. Prévoir plusieurs milliers d’euros si vous en trouvez un en excellent état. Contentez-vous de la version vinyl anglaise de 1982, « Smokey Smothers – The Complete Sessions 1960-1962 » (Krazy Kat KK7406) et ses seize titres ; ou l’intégrale, avec les prises alternatives, au titre homonyme de l’album King, publiée sur ACE CD 858 en 2002. N’oublions pas les deux derniers titres de cette compilation, avec le 45tours Federal 12466, de la séance de février 1962. L’harmoniciste Little Boyd y est excellent. Vous serez surpris par le réussi Twist With Me Annie, interprétation du Work With Me Annie, le classique de Hank Ballard, sans aucune once du médiocre twist à la Chubby Checker. Cet excellent disque ressuscite en moi une nostalgie joyeuse, ces années éperdues quand je me plongeais avidement à la découverte des musiques afro-américaines, loin de l’assaut de nouveautés, mensonge d’un monde où se perpétue le règne la médiocrité. – Gilbert Guyonnet
Richard Berry
“ Louie Louie ” and West Coast R&B 1953-1960
Jasmine Records JASMCD 3205 – www.jasmine-records.co.uk
Richard Berry est l’auteur de Louie Louie. Non, pas le comédien. Un chanteur américain. Ce sésame se transmettait parmi les amateurs de rock pour distinguer les homonymes, bien avant que la version originale ne soit rééditée et plus facilement disponible à partir des années quatre-vingt. La carrière de Richard Berry (1935-1997), interprète de la côte ouest des États-Unis, à la voix profonde et malicieuse, est largement représentée ici. Un cheminement stylistique à travers les années cinquante, du doo-wop au rock’n’roll. Chanteur du groupe The Flairs avant de s’engager dans une carrière solo, Richard Berry a enregistré pour les marques Flair, RPM, Empire et Flip. Si Louie Louie et ses centaines de reprises lui ont assuré, on l’espère, de substantiels droits d’auteur, une fois la gloire passée, d’autres pièces de choix se détachent. Ainsi Yama Yama Pretty Mama ou l’autre classique, Have Love With Travel. Richard Berry est aussi le soliste inspiré, appelé en renfort sur Riot In Cell Block n°9 des Robins, ou celui qui donne la réplique à Etta James dans Roll With Me Henry, ajoutés ici en fin de disque. – Dominique Lagarde
Chuck Higgins
Come On and Blow Your Horn
Jasmine Records JASMCD 3236 – www.jasmine-records.co.uk
Chuck Higgins fut l’un de ces saxophonistes « hurleurs », comme ses copains Big Jay McNeely, Joe Houston ou Sil Austin, qui furent très à la mode entre 1945 et 1962. Ils se roulaient par terre en jouant et leur but était d’exciter l’auditoire jusqu’à la trance. Higgins eut son heure de gloire avec ses disques sur le label Combo de Jake Porter et son succès local Pachuko Hop à destination des Chicanos de East Los Angeles. À cette époque, il avait aussi dans son orchestre un certain Johnny “Guitar” Watson. Après Combo, il navigua sur de nombreux labels comme Aladdin, Specialty, Caddy, Dootone, Loma, Kicks, Lucky et c’est là que nous le retrouvons pour les 30 titres de ce CD. Pas de surprise : ça chauffe un maximum, c’est fait pour la danse et il y a aussi d’excellents musiciens comme Jimmy Nolen à la guitare (future vedette de l’orchestre de James Brown), Daddy Cleanhead, le frère de Chuck au chant, Ray Johnson à la basse. Tout ce petit monde s’en donne à cœur joie, c’est pas toujours très subtil, mais c’est efficace. On n’oublie pas le public chicanos avec des titres très évocateurs : Dye Ho Mambo, Greasy Pig, ou Wetback Hop. Tout ceci a sans doute un peu vieilli, mais reste excitant. – Marin Poumérol
Lightnin’ Hopkins
In New York
Candid CCD30102 (réédition 2022) – www.candidrecords.com
Voilà une réédition très attendue (1). En octobre 1960, Hopkins vint seul à New York pour un séjour plus long que lors de sa visite précédente, quelques années auparavant (pour enregistrer Folkways…), mais sans s’attarder dans la Grosse Pomme. C’était la première fois qu’il s’engageait dans un cycle de concerts dans des night clubs de l’Est. Il n’aimauit pas se produire devant des publics blancs, une renommée internationale ne l’intéressait pas. Il préférait jouer devant les publics noirs de Houston, sa ville natale, et au Texas. Il pensait que ses blues racontant ses expériences de vie et sa dureté, son intimité, ses rapports avec les femmes et les gens en général, la ségrégation, les peines et les tragédies, ses préoccupations journalières (nourriture, santé…) ne pouvaient pas intéresser un public blanc. À New York, en 1960, après deux expériences foireuses dans des hôtels miteux, il fut hébergé pas Martha Ledbetter, veuve de Huddie Leadbelly, et là, il se sentit à l’aise pour aborder l’épreuve de ces concerts. Le premier se tint en octobre au Carnegie Hall en compagnie de Pete Seeger, Joan Baez, Bill McAdoo et d’autres. Hopkins remporta un franc succès avec un répertoire de chants humoristiques et folk, évitant ses blues trop personnels, dramatiques et tristes. Il prit ensuite de l’assurance au Village Gate où il « osa » ses blues « tranches de vie » et, quand il entra en studio chez Candid pour graver ces 8 faces, il était relax et naturel, comme à Houston. Très en verve et totalement décomplexé, il rappela aux producteurs qu’il avait commencé sa carrière à l’orgue (1) puis au piano avant de passer à la guitare et il souhaita montrer qu’il se défendait bien au piano, cela a donné un trépidant Lightnin’ s Piano Boogie instrumental avec changement de tempo (slow puis rapide et slow) et un surprenant Take It Easy où il chante et passe allégrement du pianio à la guitare et inversément, sans a-coups et avec dextérité ; dans la même veine, on a Your Own Fault Baby To Treat Me The Way You Do, un slow blues au piano, introverti et décontracté tout à la fois. Le reste est aussi du pur Texas blues rural comme Hopkins en avait le secret, de Mighty Crazy, mi-parlé mi-chanté, où il dialogue avec sa guitare sur un rythme de boogie, à I’ve Had My Fun If I Don’t Get Well No More, slow et mélancolique, en passant par de très personnels Trouble Blues et Wonder Why avec intros parlées et changements de rythme, pour conclure avec Mr. Charlie où Hopkins démontre ses talents de storyteller ; c’est en deux parties : un talking blues de près de 4 minutes suivi d’une partie chant-guitare en slow (plus de 3 minutes). – Robert Sacré
Note : (1) l’album Candid de 1960 ( CS/CM8010) comportait une face supplémentaire (Black Cat), pourquoi cet « oubli » ? Cinq autres faces de cette séance parurent sous label Mosaïc.
Lil Son Jackson
Freedom Train
The Texas Blues of Lil Son Jackson 1949-1955
Jasmine Records JASMCD3222 – www.jasmine-records.co.uk
Melvin Jackson était un garagiste, musicien de blues occasionnel et dilettante. De retour d’Europe (Pays de Galles, France et Allemagne) où l’armée américaine l’expédia en 1944, il décida de s’intéresser sérieusement à la musique. À Dallas, Texas, vers 1948, il grava dans une boutique une chanson intitulée Roberta pour un coût de 25 cents. Ses amis l’incitèrent à envoyer ce disque à Bill Quinn, patron de la Gold Star Recording Company à Houston, Texas, qui créa la série « 600 » pour les artistes afro-américains de Blues. Le premier d’entre eux, publié avec succès, fut le brillant Sam Lightnin’ Hopkins. À sa grande surprise, Melvin Jackson reçut très vite un télégramme de Bill Quinn l’invitant à venir enregistrer à Houston. Baptisé ‘Little Son’ Jackson par Bill Quinn, il connut un vrai succès avec son premier disque, en 1948, Freedom Train Blues (Gold Star 638) qui grimpa, selon Cashbox, dans le Top 10 des Race Records à Dallas. Jackson, qui n’avait jamais envisagé qu’il pourrait vivre de sa musique, rangea ses outils de mécanicien dans leur boîte et devint musicien professionnel. Les cinq excellents 78tours Gold Star sont sur ce cd : du blues texan de très haut niveau. Ne figure pas le Modern 840 que Bill Quinn céda aux frères Bihari. La réputation de Little Son Jackson devint telle que la firme de disques californienne Imperial s’intéressa à cet artiste texan. Elle lui fit signer un contrat. De 1950 à 1955, ‘Lil’ Son’ Jackson, ainsi nommé par son nouveau label, enregistra cinquante-cinq chansons. Un si copieux catalogue indique d’excellentes ventes et la popularité de l’artiste. Jasmine en a sélectionné une vingtaine (si vous souhaitez posséder l’intégrale Imperial, elle est rassemblée sur le double cd Capitol Blues Collection – CDP7243 8 31744 2 3). Les critères de ce choix me sont inconnus. Mais la musique est superbe, que Lil’ Son Jackson soit seul ou en compagnie d’une petite formation. Quelques exemples : Spending Money Blues ; Tough Luck Blues dont les paroles, « You know I can’t go down this big road by myself », sont d’une étrange ressemblance avec Tommy Johnson et d’autres musiciens du Delta du Mississippi ; Two Timin’ Woman et son refrain « You just as well to be fishin’ for catfish in the deep blue sea » ; New Year’s Resolution avec sa promesse de changer de mode de vie ; Thrill Me Baby, titre sur lequel Lil’ Son Jackson joue en slide, inspiré par la version de Dust My Broom d’Elmore James. C’est le 78tours Imperial 5113 qui lui acquit une gloire universelle, même s’il n’en bénéficia pas financièrement. Rockin’ and Rollin’, inspiré de Big Bill Broonzy et surtout de Rock Me Mama d’Arthur ‘Big Boy’ Crudup en 1944, avec quelque similitude dans les paroles mais une structure musicale différente, allait être la source de la maintenant scie musicale Rock Me Baby. Aucun crédit officiel ne lui a jamais été attribué. Grâce à Rock Me, succès de Muddy Waters en 1956, et surtout le tube de B.B. King en 1964, Rock Me Baby, cette chanson est devenue un standard rabâché du blues qu’il est parfois pénible d’écouter en concert, tel Sweet Home Chicago. En 1955, un très grave accident de voiture que Lil’ Son Jackson interpréta comme un signe céleste, stoppa sa carrière de musicien professionnel. Il redevint mécanicien. Jusqu’à ce que Chris Strachwitz le fasse sortir de sa réserve en 1960 pour un excellent album. Mais c’est une autre histoire. Encore une production Jasmine de grande qualité musicale. – Gilbert Guyonnet
Tiny Grimes
Rocking The House
Jukebox Singles As & Bs, 19471-953
Jasmine Records JASMCD3192 – www.jasmine-records.co.uk
L’Amérique, c’est loin… Et c’était plus loin encore au lendemain de la guerre. Au gré des disponibilités de l’information et des disques, chaque pays européen a installé ses propres évaluations qui, bien souvent, se fondaient sur des mythes ou sur des erreurs de perspectives. Des pans entiers étaient ignorés, faute de difficultés d’approvisionnement. Disques si rares ! Exclusion des catalogues et j’en passe. Grimes pourrait figurer dans ce catalogue des oublis regrettables. Il faut dire que notre pays, grand amateur d’étiquettes, tiroirs et autres boites d’archives, a toujours eu une certaine défiance pour les artistes qui modifiaient leur style au fil de leurs parcours. En outre, les têtes pensantes de la critique de jazz professaient un souverain mépris envers ceux qui ne dédaignaient pas les plaisirs du rhythm and blues par exemple. Pourquoi perdre son temps à retrouver les premières amours de John Coltrane avec Johnny Hodges ou son admiration pour Earl Bostic ? Ceux qui jouaient pour la danse étaient-ils des servants d’un modernité en charge d’éradiquer les sbires de Belzébuth ? C’est ainsi. Les grands musiciens de jazz qui, très jeunes, pratiquaient un jazz florissant dans les innombrables établissements qui accueillaient l’apothéose quotidienne du swing, jouaient aussi dans des tournées et autres sessions de r&b. En ce qui le concerne, Grimes connut aussi une carrière qui ne reculait pas devant l’humour. Ainsi dénomma-t-il l’un de ses groupes « the rocking highlanders », dont les membres étaient vêtus d’une superbe tenue écossaise, kilt compris, comme en témoigne la photo de dos de la notice du cd.. Et, bien sûr, il avait concocté pour son répertoire un Loch Lomond astucieux autant que swinguant. Tiny Grimes, comme Eddie Condon ou Marty Grosz, jouaient de la guitare ténor. Un instrument à 4 cordes peu utilisé après l’époque des chicagoans. Dans un style très différent, on peut noter l’un des maîtres du jug band, Gus Cannon, surtout connu comme banjoïste des temps héroïques. Ayant eu le bonheur de voir Tiny en concert, je conserve le souvenir d’un musicien au jeu dépouillé, refusant toute affectation, négligeant les traits brillants ou les harmonies rebutantes. Mais quel guitariste et j’ajouterai quel bluesman ! S’il ne répugnait pas à user de la ballade ou des standards familiers, c’est dans le blues et le r&b qu’il excellait. C’est du moins mon opinion. Tiny Grimes eut le privilège de jouer en trio au sein de la formation de cet étonnant génie du clavier que fut Art Tatum. En matière de référence et de légitimité, on ne saurait faire mieux. On pourrait imaginer que ce trio d’exception (n’oublions pas le grand Slam Stewart) était tourné vers des thèmes issus des comédies musicales. Mais le blues le plus pur trouvait aussi sa place. Ce cd offre une sélection de qualité. Le premier morceau, Blue Harlem, nous installe dans le climat que Tiny affectionne. L’anthologie nous offre, entre autres merveilles, un album réalisé par Tiny, « Some Groovy Four », gravé en 1974 : une belle vitrine pour découvrir le feeling de Grimes et l’évidence de son phrasé servi par un son superbe et des phrases et des accords en trémolos parfaitement placés. Attention… Si vous êtes irrités par les crooners, vous trouverez indigestes des productions telles que la version larmoyante de See See Rider. Rassurez vous : sans crier gare, l’orchestre nous réveille avec un hurlement aussi efficace que surprenant ! La Toile nous propose de nombreux témoignages video, des soundies généralement. N’hésitez pas à partir à leur recherche. Vous allez certainement être happés par cette musique emplie de joie mais qui ne dédaigne pas le feeling, voire une certaine mélancolie. J’ai aimé ce disque. Plus à chaque écoute. Si vous êtes guitariste, voilà bien un maître qui mérite le détour. John Fisher, auteur de la notice de présentation de ce cd insiste, en conclusion, sur le fait que le répertoire de Grimes est prolifique et qu’il ne faut pas négliger d’aller plus avant. Bonne chasse ! – André Fanelli
Various Artists
Smoking Reefers and Kicking The Gong
Jasmine Records JASMCD 1137 – www.jasmine-records.co.uk
26 titres gravés entre 1929 et 1961 au sujet de la drogue sous tous ses noms et aspects : Reefer, Weed, Pot, Dope, Stuff, Lotus blossom, Whiff, Wacky dust et de ceux qui l’utilisent : Viper, Junkers, Chimney Sweepers. On en parlait beaucoup à cette époque et le sujet a inspiré les plus grands, puisqu’on trouve ici des artistes comme le violoniste Stuff Smith, le grand Cab Calloway et son orchestre du Cotton club, Ella Fitzgerald avec Chick Webb, Julia Lee, Barney Bigard, Bessie Smith, Fats Waller, Clarence Williams, Ernest Rodgers et, dans le monde du blues, Champion Jack Dupree, Leadbelly, Jazz Gillum, l’excellente Victoria Spivey avec Lonnie Johnson, la fameuse Lucille Bogan célèbre pour ses blues classés X, mais qui n’en était pas moins une formidable blues woman dans ce Pot Hound Blues, soutenue par Tampa Red et Cow Cow Davenport. En fait, beaucoup de jazz et beaucoup d’humour dans ce CD, qui est un remarquable document sur des pratiques qui n’ont sûrement guère changé à travers les décades. – Marin Poumérol
Sébastien Troendlé
Rag’n Boogie
Frémeaux & Associés DVD FA 4035 – www.fremeaux.com
Comme de très nombreux enfants, le petit garçon Sébastien Troendlé apprit à jouer du piano classique. Mais, un jour, le diable qui rôde partout, introduisit chez lui le goût du ragtime et du boogie woogie et le désir de l’interpréter. Sébastien Troendlé intégra la section Jazz du Conservatoire de l’Académie de Bâle où il lui fut très souvent reproché d’incorporer trop de ragtime, de boogie woogie et de blues dans sa musique. Grâce à son talent, il reçut son diplôme de fin d’étude. Depuis, il s’est forgé une réputation dans la variété française, le reggae, le jazz et, bien sûr, dans ses musiques de prédilection, le ragtime et le boogie woogie. Une main gauche souple et solide, une droite bluesy qui développe la mélodie avec inventivité, une remarquable technique et un swing impeccable caractérisent son jeu de piano. En outre, il allie le talent d’artiste à celui de pédagogue. Aussi a-t-il créé deux spectacles originaux pour promouvoir les musiques qu’il aime, au lieu de se contenter d’interpréter banalement d’antiques titres de ragtime et boogie woogie qui auraient peu de chances d’attirer un public nombreux. Un premier spectacle, écrit et mis en scène par Anne Marcel, a été conçu pour les enfants de 6 à 12 ans. Sébastien Troendlé, seul à son piano, narre comment Lilo, onze ans et demi, apprend à jouer les musiques afro-américaines qu’il aime. Jelly Roll apparaît chaque soir au piano, lui en raconte l’histoire et le conseille. L’acteur et musiciens fait naître des personnages traités avec tendresse. Avec beaucoup d’intelligence, il parle du racisme, de la ségrégation, en bref des heures sombres de l’Amérique. Les jeunes spectateurs rient, crient, applaudissent. Ils se régalent. Sébastien Troendlé a concocté, avec l’aide d’Ismaïl Sawfan, rédacteur du texte et metteur en scène, un second spectacle musical qui traite de l’histoire du ragtime et du boogie woogie, à destination d’un public plus vaste. Sans pédantise ni prétention, il parvient à séduire, convaincre, instruire et enthousiasmer et le profane et le plus averti des amateurs, celui qui connait tous les noms et toutes les dates. Pendant sa prestation, des photographies et des extraits de films muets sont projetés sur un grand écran pour étoffer la démonstration. On s’imagine alors dans une salle de cinéma au temps du muet, quand cette musique syncopée était jouée en direct pour accompagner les images. En plus de ses propres compositions, Sébastien Troendlé interprète avec panache, entre autres, Leroy Carr, Albert Ammons, Pete Johnson, Scott Joplin, Jelly Roll Morton, Mary Lou Williams, … Vous serez conquis, si ce n’est déjà le cas, par le ragtime et le boogie woogie après avoir regardé ces deux intelligents spectacles qui donnent du sang aux ombres. – Gilbert Guyonnet
Wasn’t That A Mighty Day
African American Blues and Gospel Songs on Disaster
by Luigi Monge
Foreword by David Evans
American Made Music Series – University Press of Mississippi
La difficulté d’écrire un article sur un livre qui traite des catastrophes et autres phénomènes naturels qui ont illustré tant de chansons de blues et de gospel, est qu’il s’agirait d’un livre dans le livre, car le sujet est aussi vaste que les plaines inondées en 1927. Luigi Monge est un enseignant et traducteur indépendant basé à Gênes, en Italie. Il a publié plus d’une centaine d’articles dans divers périodiques tels que Black Music Research Journal, Journal of Texas Music History, Popular Music, a écrit des articles pour University Press of Mississippi et University of Illinois Press et a contribué à
l’Encyclopedia of the Blues et à l’Encyclopedia of American Gospel Music. Après deux livres écrits dans sa langue maternelle (« Robert Johnson, I Got the Blues » en 2008 et « Howlin’ Wolf, I’m the Wolf » en 2010, tous deux publiés par Arcana, il revient à l’anglais pour un livre traitant des catastrophes naturelles dans le gospel et le blues où l’auteur choisit de se concentrer, sur un espace temporel qui commence en 1879 (date de la première catastrophe qu’un artiste afro-américain a immortalisée dans une chanson), jusqu’en 1955. L’auteur explique ce choix : « Il y a eu quelques chansons afro-américaines intéressantes sur des catastrophes survenues en 1952 et 1955, mais ce n’est pas la véritable raison du choix de cette date. L’année 1955 a été choisie parce que c’est à ce moment-là que les artistes afro-américains ont commencé à adopter une approche différente pour écrire des chansons sur les catastrophes. Cependant, cette date butoir ne peut être pleinement comprise qu’en lisant le livre, notamment le chapitre sur le charançon du boll. » L’intérêt de l’ouvrage réside dans le choix des titres explorés et la manière dont ils sont traités. L’approche du
livre est globale et systématique, car elle ne comprend pas seulement une étude des chansons, mais aussi des sources imprimées. Certaines des chansons analysées sont des enregistrements de terrain inédits de la Library of Congress qui n’avaient jamais fait l’objet d’études aussi approfondies auparavant. Leurs interprètes (Lulu Morris, Hagar Brown, Sidney “Sugar” Smith, Viola Jenkins et plusieurs autres) sont des artistes de la discographie standard du blues qui méritent d’être mieux connus. Au sommaire du livre, on trouve des chapitres sur les désastres causés par les ouragans (celui de 1893 sur les îles de la Côte Atlantique, celui de 1926 à Miami…), les tornades et les cyclones (celui de 1927 à St Louis, la tornade de 1936 à Tupelo…) et, bien sûr, la grande inondation de 1927, mais aussi celles de Pennsylvanie en 1936 et d’autres états. Sécheresses, incendies, pandémies et infestations font l’objet d’un chapitre détaillé. L’avant-propos du livre a été écrit par David Evans qui connaît très bien le sujet pour l’avoir étudié dans plusieurs articles dont je recommande
la lecture à tous ceux que cela intéresse*. – Patrick Derrien
Note : * David Evans : « High Water Everywhere : Blues and Gospel Commentary on the 1927 Mississippi River Flood », « Nobody Knows Where the Blues Come From : Lyrics and History », Robert Springer, ed. (Jackson : University of Mississippi Press, 2005).