Chroniques #83

• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Bloodest Saxophone
featuring Crystal Thomas

Good Morning

Mr. Daddy-O Records – https://soul-twist.com/

Après un remarquable passage en novembre dernier au Lucerne Blues Festival, les musiciens de la formation japonaise – emmenée de main de maître par le saxophoniste Shintaro “Young Corn” Koda –, font à nouveau des étincelles aux côtés de leur partenaire et amie Crystal Thomas. Cette nouvelle production a été enregistrée en septembre 2022 à Austin. Une fois encore, l’association de la chanteuse louisianaise et du groupe nippon est formidable. À l’écoute des quinze titres proposés, leur évidente complicité enchantera leurs nombreux fans. Les compositions originales signées par Shintaro et Crystal sont superbes, à l’image de la somptueuse ballade bluesy Good Morning, tout comme l’hommage émouvant à leurs grand-pères sur Thank You (Thank You Granddad). L’enlevé Oh Baby, mais aussi l’énergique Country Girl, nous prouvent une fois encore que la chanteuse originaire de la bourgade de Mainsfield est une très grande artiste, mais également une compositrice hors-pair. Au niveau des reprises, l’excellence est au rendez-vous avec notamment un Johnnie Taylor Medley (Just A Happy Song, I Love To Make Love When It’s Raining, Hello Sundown), hommage réussi l’ancien boss de Crystal Thomas. Coup de chapeau également pour les arrangements mis en place par le groupe sur les trois titres de l’interprète emblématique de Who’s Making Love. Deux succès planétaires sont également à l’affiche, I’m Not In Love du groupe 10cc et Undercover Of The Night des Rolling Stones. Le groupe cuivré y déroule ici tout son art, tandis qu’en parallèle la chanteuse allie talent et sensibilité. N’omettons pas les excellentes versions de Sit Down Baby appartenant à Otis Rush ou encore celle de I Don’t Need You No More de Maxine Brown ; le titre Dinah fut interprété par de la grande Ethel Waters, sa relecture en est ici admirable. Le formidable guitariste Shuji Sato, Aoki Keita au saxophone baryton, Masanori Hattori à la basse et Kiminori Ohzawa derrière les fûts méritent tout notre respect. La rencontre des Bloodest Saxophone et de Chrystal Thomas est une formidable aventure musicale qui a débuté entre la Louisiane et le Texas (Eddie Stout, le boss de Dialtone Records et du Eastside Kings Festival à Austin, est chaudement remercié dans les notes du livret) et a perduré avec succès du côté de l’Empire du Soleil Levant. Cette nouvelle session associée au talent indéniable de cette chanteuse hors du commun, est admirablement produite par Shintaro « Young Corn » Koda. C’est une véritable pépite dont on pourra difficilement se passer. Le CD est disponible à l’achat sur les grands sites marchands nippons spécialisés en musique, l’envoi vers l’Europe étant très rapide. Un grand album ! – Jean-Luc Vabres


Mighty Mo Rodgers

Memphis Callin’
Soul Music & The American Dream

Drinking Gourd Records (No number)

Maurice Rodgers, qui a fêté ses 81 ans le 24 juillet dernier, découvrit le Blues et le Jazz grâce à son père qui possédait un club à East Chicago, Indiana. Puis la Soul et le Rhythm & Blues le touchèrent. La musique devint sa première passion. Il interrompit assez vite ses études universitaires à Chicago, Illinois, et gagna Los Angeles, Californie, où il travailla avec T. Bone Walker, Bobby “Blue” Bland, Jimmy Reed et Albert Collins. En 1973, il produisit l’album de Sonny Terry et Brownie McGhee, « Sonny and Brownie » (A & M Records SP-4379). Il choisit les musiciens et trois des chansons étaient de sa plume. L’amère expérience et la déception vis-à-vis de l’industrie musicale le poussèrent à retourner à l’Université où il obtint un diplôme en philosophie, fit une thèse et enseigna. Mais jamais le désir de devenir musicien ne l’abandonna. Il composa pour Motown et Chappell Publishing. Un soir de la fin des années 1970’s, à Hollywood, l’organiste Booker T Jones l’entendit interpréter Heart Be Still. Une belle version de cette chanson de Mighty Mo Rodgers seul au piano, datant de la fin des seventies, figure sur ce CD. Impressionné, le célèbre organiste des M.G.’s lui dit : « Tu as besoin d’un contrat avec une maison de disques ». À cet effet, une séance d’enregistrement fut organisée. Outre Booker T Jones, Steve Cropper, Donald ‘Duck’ Dunn et Willie Hall prêtèrent main forte à Mighty Mo Rodgers. En plus de Heart Be Still, trois superbes titres de cette session apparaissent : Indiana (Calls My Name) avec un Steve Cropper impérial à la guitare, le mystique Woman Of The Rain et l’hommage à la Californie qui lui fit découvrir la liberté et l’amour, San Francisco (You’re a Holiday). Le son de cette session n’est pas extraordinaire. Y-a-t-il d’autres titres ? Hélas, cette très réussie maquette ne convainquit pas les labels de disques… Mighty Mo Rodgers attendit encore une vingtaine d’années pour réaliser son rêve et débuter son « Odyssey Blues », grâce à « Blues Is My Wailin’ Wall » et les critiques dithyrambiques méritées de la presse spécialisée. Depuis, ce grand connaisseur de l’histoire et la culture afro-américaines n’a cessé de diffuser son message avec l’aide de sa belle voix, de son piano, de sa musique et des paroles de ses chansons. Comme l’indique le titre du CD, nous faisons escale à Memphis. Memphis Callin’ ouvre ce disque et est la chanson qui débute les concerts actuels de ce grand artiste. « My Blues Odyssey took me to Memphis / Where soul music begin / If Beale Street could talk / I would say, ‘Soul music will never end. » Mighty Mo Rodgers profite de ce « séjour » à Memphis pour rendre un hommage à Martin Luther King assassiné au Lorraine Motel avec The March. Il déplore la disparition du circuit des salles de spectacles qui permit aux artistes afro-américains de se produire dans le Sud, l’Est et le Midwest des États-Unis avec The Chitlin Circuit ; notez la présence de l’excellent harmoniciste Darryl Dunmore. Le biblique livre de Job est la source de Bad, Bad Luck. La belle histoire d’amour Love, Love, Love est aussi une méditation sur ce qu’est « avoir le blues ». Quelle émotion se dégage à l’écoute de If Reincarnation Is True ! Sing For Your Supper nous raconte comment la musique a libéré Mighty Mo Rodgers. Ont participé à la réalisation de ce bien beau disque : le remarquable guitariste Luca Giordano, le bassiste Walter Monini, l’organiste Abramo Ritti, le batteur Alessandro Svampa, le saxophoniste Sax Gordon et le trompettiste Alessandro Di Bonaventura. Une nouvelle fois, Mighty Mo Rodgers frappe fort avec cette auto-production et nous livre un superbe nouveau chapitre de son « Odyssey Blues » digne d’Homère. – Gilbert Guyonnet


Nat Myers

Yellow Peril

Easy Eye Sound – htpps://storeeasyeyesound.com

Dire qu’il a failli jouer de la trompette !!!! Parfois, on passe à côté de petites choses improbables qui font le sel de la vie. Nat Myers, est nomade par ses parents qui, après lui avoir donné naissance dans le Kansas, le trimballent dans le Tennessee puis le Kentucky avant de lui offrir cette fameuse trompette qui finira fracassée contre un mur… Préférant passer ses journées avec ses potes à écouter du hard-core sur une planche à roulette plutôt que d’user ses fonds de culottes sur un banc de classe, le garçon turbulent se fait offrir une guitare de gaucher pour – pensait sa mère – s’éloigner d’une racaille rurale. « J’ai continué à traîner avec eux, mais désormais j’avais une guitare », dira t’il. Comme tout ado, le sang bout dans ses veines et sous ses pieds, la terre bouge. Le hardcore matiné de hip hop est sa salade à lui dans laquelle il met quelques strophes de poètes pas toujours maudits mais bel et bien disparus. Les siècles passent, les écrits restent, ceux d’Homère et son Odyssée de l’errance et de Shakespeare notamment seront ses premières influences. Puis la collection de vieux disques de blues de son père dans laquelle il pioche, se disant à juste titre que ces brigands du début XXe siècle avaient écrit les thèmes qui lui sont chers et restaient les témoins essentiels d’une culture rurale qui finira par disparaître en temps et en heure. « Je me suis rendu compte que les véritables épopées américaines étaient racontées par ces musiciens itinérants des années 30 et 40, avant même l’enregistrement. C’est à ce moment-là que j’ai plongé dans le Blues, afin de pouvoir écrire ma propre épopée ». Et il s’accroche le bougre, trouve les notes en autodidacte et apprend à jouer comme ces vieux musiciens qui tournent en rond sur une platine, imprimant dans sa tête des racines qu’il ne connaissait pas mais qu’il remet soigneusement au goût du jour. « L’itinérance est quelque chose qui m’appartient. J’ai beaucoup voyagé, mais dernièrement, cela a commencé à s’infiltrer dans mon écriture et ma musique. La vie semble plus simple sur la route. Vous essayez simplement d’arriver au prochain endroit en un seul morceau ». Alors, à force de patience et d’obstination, le jeune Nat développe un jeu de guitare beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît même si, au départ, son ambition n’était pas de devenir musicien. Sa véritable passion, ce qui lui tient les tripes, est la poésie classique qu’apprennent tous les gosses, mais qui ne sera retenue que par quelques-uns. La poésie a aiguisé son intérêt pour la musique, en particulier pour le Blues que son père aimait tant. Damn, le rural jusqu’au bout des ongles. Puis c’est New York, hobo des temps modernes, l’urbanisé s’assoit sur les bancs de la New School de New York pour y parfaire sa connaissances des vieux poètes et mettre ses histoires en musique. Mais ça ne paye pas des masses ! Alors le revoilà dans ses errances à poser sa guitare au coin d’une rue, dans une station de métro pour gagner quelques dollars, jouant quelques reprises et beaucoup plus de compositions originales pour les banlieusards et les touristes. « Le premier jour, j’ai gagné 20 dollars. Ce n’était pas génial, mais c’était une aubaine. Je gagnais mes premiers sous en tant que poète. C’est à ce moment-là que j’ai compris que ce que les poètes devaient faire en ce moment, c’était se produire ». Puis la pandémie cloue tout le monde chez soi. Pas le choix, le revoilà dans son Kentucky à écrire des chansons qu’il partage sur les réseaux sociaux. Et sa musique se répand, doucement mais sûrement dans ce petit monde musical, l’incitant à publier un premier EP numérique de six titres des ses sessions au tour Presto Field Recording en 2020 et une autre collection de sept titres un an plus tard, « Hobo Wine & Remedy Blues », seulement avec sa voix et son pied qui frappe la mesure. Comme tout le monde en cette période, Dan Auerbach mate les écrans et le repère. Il l’invite à taper le bœuf avec des potes (l’auteur-compositeur Pat McLaughlin et le grand Alvin Youngblood Hart) et, au final, lui glisse un contrat sous le coude. Ainsi naît « Yellow Peril » qui sera réalisé dans l’appart d’Auerbach sur une installation de fortune pour – comme ils disent – « reproduire le son de l’époque ». L’époque dont on parle est celle de ces brigands de bluesmen qui évoluaient entre les deux guerres, avec parfois des débordements dans l’espace temps. Nat Myers fait se tenir la main dans une petite farandole à Leadbelly et Blind Lemon Jefferson, à Big Bill Bronzy et Blind Boy Fuller, sans oublier quelques autres trublions de la cause comme John Hurt. C’est un folk blues que joue notre homme et il réussit à le faire de façon formidable. C’est frais et savoureux. Myers et Auerbach ont enregistré une douzaine de chansons en trois jours dans une ambiance jubilatoire et énergique, à l’image de la musique. « Nous étions tous en train de hurler et de nous amuser comme des fous. Nous avons fait plusieurs prises sur Yellow Peril et les doigts de Dan ont commencé à saigner. Son pouce était couvert d’ampoules, mais il s’en fichait. On a continué à jouer de plus en plus fort ». Il était essentiel que cette chanson en particulier soit parfaite, pour retranscrire le rythme frénétique des paroles que Myers a écrites pendant la pandémie, juste avant que le mouvement « Stop Asian Hate » ne prenne son essor. « Je savais qu’ils allaient nous accuser, nous les Jaunes, d’être responsables du virus. Je l’avais déjà senti. Les Américains d’origine asiatique sont le groupe démographique qui connaît la croissance la plus rapide dans ce pays, mais nous sommes aussi les plus pauvres en termes d’écart de richesse en Amérique ». Ainsi, dans ses paroles on rencontre des trains (emblématique ustensile du Hobo), de l’asphalte brûlant, des réactions face au danger et des errances bien évidemment. Des textes qui reflètent l’état d’esprit du jeune musicien engagé, pleines de ces contradictions qui sont des questionnements, des nuances et disent aussi toute sa soif de découvertes. Musicalement, l’album lui aussi est subtile, presque fugace, aux rythmes plus complexes qu’il n’y paraît à la première écoute. Il puise dans une variété de styles pour créer sa propre aventure de vie dans l’Amérique post-pandémique. Et les ritournelles se suivent et s’accrochent insidieusement dans notre esprit comme si on avait toujours vécu avec, on sifflote 75-71 comme si elle était parmis nous depuis si longtemps qu’on en aurait oublié ses origines, même état pour Trixin’ dont le battement du pied ne peux m’empêcher de penser à Hooker et ses capsules de bières collées aux semelles (là s’arrête la comparaison). Et l’album est comme ça jusqu’au bout, comme un vieux compagnon imprégné d’histoires et de vieilles galettes « gramophonnées » mais qui sonne résolument actuel. – Patrick Derien


Lady J Huston

Groove Me Baby

Earwig Music/UniSun Productions CD EWR4980 – www.earwigmusic.com

Joyce “Lady J” Huston (chant, trompette, composition, direction musicale, arrangements et production : excusez du peu !) est un personnage hors du commun. C’est une enfant de la balle, elle fut amenée au chant et à la danse par sa mère, Loyce Pickens-Hudson, une chanteuse renommée à Saint Louis dans les domaines du Jazz, du Gospel et du Blues. Lady J fit ses débuts de chanteuse et de danseuse dans les shows de sa mère, puis, encore adolescente, avec le pianiste Johnnie Johnson (ex-Chuck Berry). Elle fit ensuite partie du band d’Albert King pendant des années comme trompettiste, puis leader de la section cuivres, avant de devenir son directeur musical et seule femme du band (1). Par la suite, elle s’installa à Las Vegas, forma son propre band, donnant des concerts sans relâche pendant vingt-cinq ans, multipliant Awards et récompenses comme le titre de “Las Vegas Queen of the Blues”. Depuis 2018, Lady J est revenue à Saint Louis et y a déployé une activité débordante en concerts et tournées. Pourtant, c’est son premier album (2) et elle a mobilisé plus de trente musiciens en plus du Jazz Edge Orchestra de Saint Louis pour mettre en valeur son chant, son jeu de trompette et de bugle (flugelhorn). Elle a composé seule ou en collaboration neuf des douze faces. C’est du Rhythm & Blues triomphant, à savoir la fusion exacerbée des cuivres du jazz avec un blues bien trempé qui prend aux tripes comme dans Your Call ; ça swingue à tout va et ça casse la baraque. C’est le cas aussi dans Hide-Away (2) enflammé et slow au début, avant de s’emballer avec violence et de finir apaisé ! Quant au titre éponyme, c’est du soul blues en slow, jubilatoire et exprimé avec conviction. À noter encore Messin’ ‘Round On Da Bayou, du New Orleans funk inspiré par son drummer, Jimmy Prima, neveu de Louis Prima. Lady J reprend aussi deux morceaux de sa mère : une version moderne de son 500 Pounds of Good Gizzay plus que coquin et I Want A Man Like That de Chick Finney (1963). Dans le même domaine ‘olé- olé’, on trouve Mean Stud Lover’s Blues (3), un bawdy blues comme les chanteuses de blues classique des années 20 et 30 aimaient déjà les chanter pour exprimer leurs appétits sexuels. Méritent aussi l’attention : Corona You Made Me Sick, un slow blues ironique se référant à la pandémie Covid, At Last en live, un hommage ému à Etta James et Born Under A Bad Sign, un hommage enflammé à son ex-boss, avec les excellents Jason Cooper (gt) et Ben Shafer (sax ténor). – Robert Sacré

Notes :
(1) On peut la voir à l’oeuvre avec Albert King dans le show télévisé du band intitulé Maintenance Shop Blues, PBS Special , 1981 (www.youtube.com/watch?v=4E8LUadBIpO) et dans des clips plus récents sur YouTube : Groove Me Baby (https://www.youtube.com/watch?v=G3IyErl0TxE), Corona You Make Me Sick (https://www.youtube.com/watch?v=j1E7aWoezt0)…
(2) Au moins une face est déjà parue en single en 2019 : Hide-Away (une composition personnelle, rien à voir avec le hit de Freddy King).
(3) En deux versions, dont une instrumentale (avec chœurs en background).


Durand Jones

Wait Til I Get Over

Dead Oceans DOC280

Avec ce concept album inspiré de son enfance et de sa jeunesse, Durand Jones tourne une nouvelle page de son encore jeune carrière, au bout de quatre albums avec son groupe, The Indications. Dans cet effort solo ambitieux, l’histoire a pour cadre la Louisiane, mais le décor pourrait être n’importe où pourvu qu’on aime. Un coin de clairière, un alignement de maison, une zone industrielle dans le lointain, un arpent de rivage, tous ces endroits d’apparence insignifiants qui marquent à jamais votre imaginaire tissent le fil conducteur. Le ton est donné dès Gerri Marie sur fond de piano et de cordes, rebondit dans l’énergique Lord Have Mercy. La ballade Sadie rappelle le Oh ! Darling des Beatles. I Want You, sur un rythme de marche, précède l’incantatoire Wait Til I Get Over avec ses chœurs gospel. Les souvenirs personnels y rejoignent ceux de la lutte du peuple noir américain il y a tout juste soixante ans. Avec parfois les accents d’un Stevie Wonder. Durand Jones trouve dans le rap, le trip hop, les effets sonores, des ressources rythmiques nouvelles. Il y a des intermèdes parlés, The Place You’d Most Want To Live, See It Through, une ballade qui explose That Feeling, de la joie et du recueillement (See It Through, Someday We’ll All Be Free), jusqu’à la confession finale de Letter To My Seventeen Year Old Self. Un disque dont une des vertus et de ne pas livrer tout son sel dès la première écoute. – Dominique Lagarde


Mitch Woods

Friends Along The Way

Double CD Deluxe Edition Club 88 Records 8823

Mitch Woods, né à Brooklyn, NY, a reçu une formation musicale de pianiste classique jusqu’au jour où il découvrit le Boogie Woogie. Il en devint amoureux et se produisit dans divers clubs près de la State University of New York, à Buffalo, où il était étudiant. Depuis son installation en 1971 à San Francisco, Californie, il n’a cessé d’étancher sa soif de musique afro-américaine jouée au piano. Il est actuellement un des meilleurs pianistes en activité. Ses prestations scéniques emballent les publics. Ceux qui l’ont vu à Porretta le savent. En outre, il a tissé des liens d’amitié avec de nombreux artistes importants de la scène blues. Il avait rassemblé seize chansons produites en collaboration avec ses amis en duo ou trio. Il avait ainsi publié en 2017 le CD « Friends Along The Way ». La firme de disques et films Entertainment One abandonna toute promotion et distribution du disque quand elle décida de ne se consacrer qu’au cinéma. Mitch Woods eut l’intelligence de garder l’intégralité des droits sur ses enregistrements. Ainsi a-t-il décidé d’en éditer une version « Deluxe » : un double CD qui reproduit l’excellent album original de 2017, auquel il a ajouté cinq chansons inédites. Qui sont ces célèbres amis que Mitch Woods accompagne avec beaucoup de talent ? Les titres les plus anciens, Never Get Out Of These Alive de et avec John Lee Hooker et l’endiablé instrumental de Mitch Woods Chicago Express avec James Cotton, avaient déjà été publiés sur le CD « Keeper Of The Flame » en 1996, avant le CD de 2017. Ils sont excellents. Trois chansons permettent d’apprécier Mitch Woods en trio avec le guitariste Taj Mahal et Van Morrison, enregistrées à La Nouvelle-Orléans. Van Morrison assure le chant sur Take The Hammer de Lead Belly et Midnight Hour Blues de Leroy Carr où il joue de l’harmonica. Van Morrison et Taj Mahal se partagent la partie vocale de C.C. Rider de Ma Rainey. A The Blues, un talking blues interprété par Cyril Neville et publié sur la compilation « Cyril Neville – The Essential 1994-2007 », Mitch Woods a ajouté de Cyril Neville, Blues For New Orleans. Ce sont peut-être mes titres préférés de ce double CD. De très grande qualité est l’hommage au Professor Longhair en compagnie de la pianiste et chanteuse Marcia Ball : duo vocal et deux pianos réjouissants. La chanteuse et guitariste Ruthie Foster interprète sa propre composition, Singing The Blues, sur laquelle le piano de Mitch Woods sonne très jazzy. John Hammond a choisi Mother-In-Law Blues et il est excellent avec sa guitare National. L’inédit Southbound Blues est aussi réussi, Mitch Woods y est parfait. Maria Muldaur est très inspirée par le piano de Mitch Woods ; celui-ci a sorti de ses archives l’inédit néo-orléanais Mojo Mambo. Joe Louis Walker, en pleine forme, rejoint Mitch Woods pour de belles interprétations de Nasty Boogie de Champion Jack Dupree et l’inédit Worried Life Blues ; les deux artistes chantent sur ces deux titres. Le blues louisianais est représenté par Kenny Neal (chant, guitare et harmonica) avec Blues Mobile et l’inédit Don’t Dip In My Bizness. Mitch Woods est impressionnant quand il accompagne le chant et l’harmonica de Charlie Musselwhite. Blues Gave Me A Ride donne des frissons. Tout comme Cryin’ For My Baby quand Charlie Musselwhite rend parfaitement la monnaie de sa pièce pendant le chant et le jeu de piano de Mitch Woods. Le dernier ami qui participe à cette production est le chanteur et guitariste Elvin Bishop, en compagnie du batteur Larry Vann. Il chante avec Mitch Woods Keep a Dollar In Your Pocket ; sa guitare slide agressive soutient parfaitement le chant rauque et le jeu de piano de Mitch Woods pendant l’irrésistible interprétation de Saturday Night Boogie Woogie Man de Jimmy Liggins. Ce disque est un hymne à l’amitié et à la musique excitante et chaleureuse. Mitch Woods déploie les diverses facettes de son grand talent. Ce double CD sera le bienvenu dans votre discothèque. – Gilbert Guyonnet

PS : j’ai rédigé cette chronique en Bourgogne, chez mon vieux père (93 ans) qui a eu la chance de rencontrer Big Bill Broonzy et Blind John Davis à Lyon en 1952. Il l’a tellement aimé que je lui laissé mon exemplaire !


Lil’ Jimmy Reed & Ben Levin

Back to Baton Rouge

Nola Blue Records NBR/023

Leon Atkins, a.k.a. Lil’ Jimmy Reed, est né à Hardwood, près de Baton Rouge, Louisiane, en 1938. Il reste un des derniers représentants du swamp blues louisiannais. Les dix faces – ou presque – de cet album rendent hommage à sa région natale avec cinq compositions originales (Atkins – Ben Levin) et cinq reprises, avec le concours du jeune pianiste surdoué de Cincinnati, Ben Levin (23 ans !) qui est littéralement en symbiose avec son aîné et dont le père, Aron Levin, est à la guitare. Avec eux, on trouve Walter Cash Jr. à la basse et deux drummers, Ricky Nye et Miss Shorty Starr (The Empress of the Blues). Cet opus est excellent et un bon candidat aux Awards. Le titre éponyme consacre le retour aux sources d’Atkins qui, à 85 ans, a gardé sa belle voix de bluesman et sait y faire avec sa guitare ; c’est un slow blues intense et émouvant, très swamp blues, tout comme l’autobiographique They Call Me Lil’ Jimmy, revendiquant son identité. Influencé par Jimmy Reed dans sa jeunesse, il a eu l’occasion de le remplacer au pied levé dans un club, y gagnant au passage son nom de scène ; il lui rend hommage avec le bien vitaminé Down In Virginia en ouverture de l’opus et récidive avec un excellent I’m The Man Down There, inquiétant à souhait, ou l’obsédant A String To Your Heart. Autres reprises, le In The Wee Wee Hours de Jimmy Liggins, façon torride, et le Mailbox Blues de Slim Harpo en version slow et heurtée, une belle conclusion à cette séance. À noter encore Wish You Wouldn’t, un slow blues intimiste et délicat composé par Aron et Ben Levin et les compositions d’Atkins comme Engine Light, un blues lent intense et  Cincinnati’s The Best Place To Be, fervent hommage, festif et enjoué, à la ville de la famille Levin qui l’a bien accueilli. Si vous êtes nostalgiques du swanp blues que Jay Miller enregistrait à Crowley dans les années 50 et 60, avec une touche moderne apportée par Ben Levin et ses complices, cet album est pour vous ! Et pour les autres aussi, évidemment. – Robert Sacré


Gaye Adegbalola

Satisfied
An anthology

Vizztone Label Group CD 2620 – www.vizztone.com

Sacrée Gaye ! Toujours aussi inspirée et dynamique. Elle avait fait un malheur lors du Cognac Blues Passions il y a quelques années avec son groupe Saffire, The Uppity Blues Women, puis, après une belle série d’albums chez Alligator Records (1984 – 2009), elle a volé de ses propres ailles avec divers musiciens et ce CD nous offre une sélection tirée de cette nouvelle phase de sa carrière. C’est vivant, plaisant, inclassable, avec toujours un humour au premier ou au second degré hérité de toutes ces anciennes chanteuses de blues qu’elle vénère. Sur une photo dans le livret, elle serre sur elle un album de Ma Rainey dont elle reprend ici deux titres, mais elle n’a pas peur de s’attaquer au Dirty Dozen ou à cette mode de la nourriture à base de légumes, The Broccoli Song et de terminer de belle façon avec l’hymne des afro-américains, Lift Every Voice And Sing. Sur les vingt titres, quinze sont de sa plume. Ils créent un climat positif et on écoute cet excellent CD avec une grande joie et un sourire constant. Il aurait été utile d’avoir les paroles de tous ces morceaux pour les apprécier encore plus. – Marin Poumérol


The Nick Moss Band
with Dennis Gruenling

Get Your Back Into It

Alligator Records ALCD 5013 – www.alligator.com

On ne présente plus Nick Moss (chant et guitare), un des membres les respectés de la communauté blues de Chicago. Il s’est fait connaître successivement comme bassiste de Jimmy Dawkins puis comme guitariste de Willie “Big Eyes” Smith au sein du Legendary Blues Band avant de faire partie du band de Jimmy Rogers pendant des années, y perfectionnant son jeu de guitare et apprenant les arcanes du show business, comment manager un groupe et négocier des contrats. Finalement, c’est en 1997 qu’il a formé son premier groupe et sorti son premier album en 1998 sur Blue Bella, son propre label. Beaucoup d’autres albums ont suivi sur tout un panel de compagnies et c’est en 2016 qu’il a formé équipe avec Dennis Gruenling, un harmoniciste renommé et un ami depuis plus de vingt ans. Le duo a rejoint la famille Alligator et on tient ici leur troisième opus pour ce label, avec Rodrigo Mantovani (basse, percus et production), Taylor Streiff (piano, claviers), et Pierce Downer (drums). Il y a des invités : Sax Gordon Beadle (saxophones) et Brother John Kettke à l’orgue sur l’instrumental enlevé Out Of The Woods, en mode jazz, bourré de swing, dans lequel Sax Gordon bien présent quasi partout, est particulièrement actif et mis en valeur. Nick Moss a composé douze des quatorze faces et Gruenling les deux autres, le rentre-dedans Man On The Move qu’il chante avec détermination, tout comme Your Bark Is Worse Than Your Bite, extraverti et pétillant d’humour. Tout au long de cet enregistrement, Moss et Gruenling rivalisent de savoir-faire et de talent, tous deux sur la même longueur d’onde et en parfaite harmonie. C’est du blues électrique traditionnel à l’ancienne faisant revivre, avec panache, une époque révolue et cela démarre avec  The Bait Is In The Snare joyeux et festif suivi d’Aurelie, un slow blues obsédant et tout en nuances. Le titre éponyme (… implique toi… !) est en medium avec, outre guitare, slide et harmonica exaltés, de belles parties de piano (T. Streiff) ; Living In Heartache en slow est une lamentation sur les affres de l’amour ; Lonely Fool et Loosing Ground sont dans la même veine. On notera encore It Shocks Me Outironique et humoristique, ainsi que Bone’s Cantina, un instrumental guilleret et dansant aux accents latinos (avec quelques mesures de La Cucaracha), clin d’œil à leur ami Anthony Ramirez ; et surtout The Solution, un hommage émouvant à Jimmy Johnson décédé l’an dernier à l’âge de 93 ans. L’opus se termine en beauté avec Scratch ‘n’ Sniff, un instrumental proto rock and roll débridé qui donne des formis dans les pieds. – Robert Sacré


Lady Adrena

Recipe For The Blues

Sweet Success Records – www.LadyAdrenaMusic.com

Adrienne Palmer est une chanteuse originaire de Jackson, à l’aise dans tous les styles, notamment la Southern soul, mais qui a choisi de s’orienter vers un répertoire nettement plus blues. Si elle fait ses classes au sein du groupe paroissial, elle quitte le répertoire sacré pour aborder celui de Koko Taylor et d’Aretha Franklin. On la retrouve choriste derrière William Bell, Peggy Scott-Adams ou encore l’excellent Vick Allen. Renforcée par les soutiens efficaces à la production de Bo “Big Bo” Richardson, Mr Sipp et Dexter Allen, elle nous propose aujourd’hui un mini album de six compositions dont cinq originales qui flirtent toutes avec l’excellence grâce à une implication vocale sans faille. Le titre d’ouverture, Blues Chose Me, aux échos autobiographiques, plante définitivement le décor de celle qui débuta pourtant au sein de la County Line Baptist Church. Nous avons à faire à une artiste impliquée et talentueuse qui dévoile tout son talent sur Good Girl Gone Bad, Borrow My Pans ou encore l’irrésistible No Ring No Thang. « Travailler avec Dexter Allen en studio a été une expérience enrichissante. Il m’a appris à aller au plus profond de moi et à chanter avec mes tripes », déclare Lady Adrena. Visiblement, cette session réussie en annonce d’autres dans la même veine. Après une seconde place méritée lors du Vicksburg International Blues Challenge, voici une chanteuse qui mérite amplement de faire une belle carrière. – Jean-Luc Vabres


Raphael Wressnig
& Igor Prado

Live
More Groove, More Good Times

Pepper Cake Records/ ZYX-Musqic CD PEC 2141-1, Vinyl LP PEC 2141-2 – www.zyxmusic.com

Un trio austro-brésilien de choc avec Raphael Wressnig, un des meilleurs spécialistes actuels de l’orgue Hammond B3 – digne émule et héritier des Jimmy Smith, Jimmy McGriff et autres géants du genre – et les Frères Prado, Igor un guitariste du top niveau, jazzman accompli et star du R&B et Yuri à la batterie, efficace et parfaitement en phase avec ses partenaires. Cela donne un album live excitant et punchy, avec six faces instrumentales et deux chantées, l’une par Wressnig lui-même, Born to Roam, évoquant la vie trépidante des “Traveling Men”, les musiciens toujours sur la route, avec une prestation brillante d’Igor Prado que l’on retrouve lui aussi au chant dans Drive It Home, un blues exalté au parfum New Orleans marqué. Les faces instrumentales sont elles aussi sous le sceau de la vitalité, d’un dynamisme entraînant et d’une créativité exubérante comme Kissing My Love, du jazz funky jouissif, Crossfire, du R&B festif, sous pression, haletant et fonceur comme No More Okey Dokey au swing dévastateur. Faceslap Swing n°5 est jazzy, genre « rouler à tombeau ouvert ». Puisvient le calme après la tempête avec Ain’t No Love (In the Heart of the City), une ballade inspirée et évocatrice en slow, déjà sur un album précédent mais ici en version live. Brillant tout au long, cet album est sans la moindre faille. – Robert Sacré


Duke Robillard

Six Strings of Steel

MC Records 0092

L’ancien créateur de Roomful of Blues, puis guitariste des Fabulous Thunderbirds, est bien l’un des meilleurs guitaristes actuels. Il enregistre beaucoup mais ne déçoit jamais. Avec son groupe habituel comprenant Marty Ballou à la basse, Mark Texeira aux drums, Bruce Bears aux claviers, Doug James au sax et Chris Cote au chant, il nous fait un festival de vrai rock’n’roll comme on en entend rarement. Reprises de Shame, Shame, Shame de Smiley Lewis, de Love Struck de Chuck Willis, de I’m Gonna Be A Wheel de Fats Domino, de Take Your Fine Frame de Ike Turner et du fameux Rumble de Link Wray, sans oublier Watching The River Flow de Bob Dylan et une composition de Lowell Fulson. Mais tous ces morceaux sont repris avec imagination et originalité : ça balance, ça swingue, et ce sont bien en effet six cordes d’acier qui dominent tout ça ! On ne s’ennuie pas une seule seconde. Indispensable ! – Marin Poumérol


Monster Mike Welch

Nothing But Time

Gulf Coast Records GCRX-9046 – www.gulfcoastrecords.net

Né en 1979 à Boston, Welch (vo, gt) a une belle carrière de trente ans au compteur et un douzaine d’albums à son actif. Celui-ci a été produit et enregistré par Kid Andersen dans ses Greaseland Studios de San José, Californie, et il intervient, ici et là, à la basse et/ou aux claviers. Welsh a composé dix des quatorze faces et il y a du beau monde à l’accompagnement comme Jerry Jemmott (basse), Bob Welsh (piano), (notre ami Français) Fabrice Bessouat (drums) et une section de cuivres au top avec Eric Spaulding ou Mike Peloquin (sax ténor), Jack Sanford ou Dr. Aaron Lington (sax baryton, John Halbied (tp) et Mike Rinta (tb), ainsi que Rick Estrin (hca) en guest dans une seule face. Tout est blues pur jus, même I Me Mine de George Harrison qui commence en ballade bluesy et devient vite du blues mordant et assumé. C’est pareil pour le reste, deux reprises de Robert Johnson, de If I Had Repossession Over Judgement Day en version enlevée et fervente à la slide et avec Rick Estrin (hca) à Kind Hearted Woman qui clôture l’opus en beauté avec Welch en solo, guitare et chant falsetto ; c’est empreint d’émotion et de délicatesse. Il y a aussi, en slow, Ten Years Ago de Buddy Guy, lancinant et obsédant. Et puis il y a les compositions de Welch lui-même, des slow blues comme Walking To You Baby, intense et rentre-dedans, In Case You Care, bien scandé et même I’ve Got Nothinbg But Time, une ballade bluesy avec deux choristes (Mesdames Welch et Andersen !) et puis il y a des morceaux uptempo comme Offswitch Blues, mordant et agressif, Lost Every Battle haletant et trépidant, Jump For Joy, du jump blues V.S.O.P. et aussi Hard To Get Along With, en médium, une confession caustique. Tout est bon, pas de déchets. Tout au long de cet album, il faut saluer le travail impeccable de la section de cuivres, de Kid Andersen à l’orgue, de Bob Welsh au piano et de la section rythmique (basse, drums). Un parcours sans faute et un album recommandé sans réserve. – Robert Sacré


Scott Ellison

Zero-2-Sixty

Liberation Hall

Auteur, compositeur, interprète et guitariste, Scott Ellison est né en 1954 à Tulsa, Oklahoma. Il a commencé à jouer de la country et, en 1981, il est venu au blues avec Clarence “Gatemouth” Brown. Il a ensuite déménagé à Los Angeles et formé son propre groupe dans les années 1990. Il a alors fait les premières parties des concerts de Joe Cocker, Buddy Guy, B.B. King et des Fabulous Thunderbirds et il a sorti ses premiers disques solo. Pour son troisième album, « Steamin », il revint à Tulsa et employa des musiciens locaux. Il a aussi écrit des chansons pour des programmes télévisés et des films comme Santa Barbara et Buffy The Vampire Slayer. « Zero-2-Sixty » est son treizième album ; il le présente comme une suite de son précédent, « There’s Something About The Night », paru en 2022. Les douze titres ont été enregistrés au Natural Digital Studio de Tulsa avec le groupe de ses tournées et quelques invités de la ville. Ellison a co-écrit tous les morceaux avec Michael Price dont quatre avec Michael et Chris Campbell. Avec sa puissante voix soul et ses solos de guitare électrique, de guitare slide et de basse, il nous offre un ensemble de blues et de rythmes de Chicago, du Texas et bien sûr d’Oklahoma. – Robert Moutet


Joanna Connor

Best Of Me

Gulf Coast Records GCRX-9044

Janna Connor est née en 1962 à Brooklyn et a grandi en Pennsylvanie. Elle a pris des cours de guitare et s’est prise de passion pour le blues. Dès lors, en 1984, elle est allée s’installer à Chicago et, un mois après son arrivée, elle attira l’attention de Johnny Littlejohn qui la prit dans son band, puis elle fut engagée par Dion Payton et son 43rd Street Blues Band qui était en résidence au Checkerboard et au Kingston Mines. Ensuite, elle fit un long passage chez A.C. Reed avant de fonder son propre orchestre et sa carrière discographique démarra en 1989 pour Blind Pig Records, avant de tourner abondamment aux États-Unis, au Japon, en Amérique du Sud et en Europe. En 2002, elle passa chez M.C. Records puis chez Ruf Records. Elle avait gagné en notoriété et, en 2019, ses performances en vidéo ayant généré un buzz considérable, elle fut contactée par le metteur en scène de cinéma Adrian Lynne (1) et par le guitariste Joe Bonamassa, lequel lui proposa d’enregistrer un album studio sur son label KTBA Records (2). Il sortit en 2021 sous le titre « 4801 South Indiana Avenue », n°13 dans sa discographie bien garnie ! En 2023, la voici chez Gulf Coast Records de Mike Zito pour un nouvel opus où elle propose un mélange de jazz, de ballades, de funk et de pop, sans oublier une poignée de blues (trop rares) et démontre sa virtuosité sur sa Gibson Les Paul Standard. Elle a composé les onze titres, seule ou en collaboration avec son bassiste Shaun Gotti Calloway. Ils sont accompagnés par Jason J. Roc Edwards (dms), Dan Souvigny (rh. gt, keys), Curtis Moore Jr. (organ) et par une section de cuivres avec Fernando Castillo (tp, cor), Carlos Sosa (saxophones, flûte), Raul Vallejo (tb) et il y a aussi Eric Demmer (solo de sax) et Josh Smith (gt) en guests sur House Rules (composé par S. Calloway seul), une face funky et festive sur fond de cuivres en furie et de guitare distordue. On a alors une série de ballades mélancoliques, en slow, comme le titre éponyme et sa suite, I Lost You, des ballades pop comme All I Want Is You, Shadow Loser (avec Mike Zito, gt), Greatest Of These et même une ballade jazzy en médium, bien scandée sur un thème masochiste, Pain And Pleasure (avec Josh Smith, gt). On pourra aussi savourer Highway Child, enlevé et pétillant, avec un Joe Bonamassa transcendant à la guitare, le funky Two Of A Kind, énergique, où les cuivres se taillent la part du lion, ou encore Mercury Blues, du blues vitaminé et détonant, ainsi que Shine On qui clôture la séance tambour battant avec Jason Ricci à l’harmonica. – Robert Sacré

Notes :
(1) Lynne lui a offert un rôle dans le film “Deep Water” avec Ben Affleck, sorti en mars 2022.
(2) KTBA = Keep The Blues Alive


Larry Taylor and the Taylor Family
with the Soul Blues Healers

Generations of Blues : West Side Legacy

Nola Blue Records NBR 024

Les amateurs de Chicago blues vont se régaler grâce à la famille Taylor qui s’est rassemblée pour rendre un hommage à leur illustre père, Eddie, décédé le 25 décembre 1985. Trente années plus tard, à partir de 2015, Larry son beau-fils a commencé à réunir la fratrie en studio. Brenda et Demetria sont bien sûr aux chants et admirables sur Bad Girl et I Found Out, le regretté Eddie Jr à la guitare et Tim à la frappe lourde et précise, aux fûts. Au fil des morceaux, d’autres pointures sont également conviées, les habiles et formidables guitaristes Joe B et “Ice” Mike Thomas, mais aussi les regrettés “Killer” Ray Allison et le bassiste Michael “Sleepy” Riley, sans oublier le toujours aussi incisif à l’harmonica Matthew Skoller, aux côtés des talentueux B.J. Emery et Ronnie G pour les cuivres. Le répertoire proposé passe en revue les indestructibles compositions paternelles à l’image de Take Your Hand Down, I Feel So Bad ou encore l’indétrônable Big Town Playboy, superbement interprété par feu Eddie Taylor Jr. Larry nous propose également des compositions originales réussies à l’image de I Paid My Dues et Penitentiary Blues, mais il sait aussi rajouter une dose de Funky Soul sur les remarquables Jump Down America Queen et She Treats Me Just the Same. Le rap est également présent avec Dullah Liljet2x (le fils de Larry Taylor), qui rend sur la composition intitulée No Shine un hommage à sa mère décédée. La dynastie Taylor, avec talent et persévérance, continue de porter haut l’étendard du Blues tel que nous l’aimons. Cette production familiale se situant volontairement à l’opposé de celles qui nous offrent un souvent indigeste mélange rock-blues, rassemblera assurément les nombreux et indéfectibles amateurs du célèbre clan. – Jean-Luc Vabres


Coco Montoya

Writing On The Wall

Alligator Records ALCH 54014 – www.alligator.com

Henry “CoCo” Montoya est un membre éminent de grande famille des bluesmen. Il est né en 1951 à Santa Monica, CA et il a trente ans de carrière au compteur. Il a démarré aux drums, mais était déjà intéressé par la guitare. Il fut remarqué vers 1975 par Albert Collins qui le prit sous son aile et l’aida à développer ses talents de guitariste. Quelques années plus tard, c’est John Mayall qui lui demanda de rejoindre ses Blues Breakers avec lesquels il passa dix ans, apparaissant sur sept albums de Mayall. En 1995, il grava trois albums sous son nom pour Blind Pig Records puis, en 2000, trois albums pour Alligator Records suivi de deux pour Ruf Records et, depuis 2017, trois albums encore pour Alligator, ce qui fait au total onze albums sous sa signature. Pour ce nouvel opus, il a choisi ses fidèles accompagnateurs de tournée : Jeff Paris (claviers, compos, production), Nathan Brown (basse), Rena Beavers (drums) et son producteur de prédilection, Tony Braunagel (+ drums). Concrètement, cela donne un album où Montoya justifie sa réputation de soul singer (avec une voix exsudant la passion) et de guitariste exceptionnel, « incendiaire » comme disent certains. Montoya a composé ou co-composé cinq des treize faces gravées au studio de Jeff Paris. À noter une version vitaminée et rentre-dedans de You Got Me (Where You Want Me) de Don Robey interprétée en son temps par Bobby “Blue” Bland avec, ici, l’apport appréciable de Ronnie Baker Brooks (guitare, chant) ; à retrouver encore dans Baby You’re A Drag, punchy et passionné, qui commence en talking blues. Notable encore, A Chip And A Chair en slow, avec en guest Lee Roy Purnell (slide guitar), ou l’onirique What Did I Say, planant, une ode à l’introspection. On notera aussi l’intense et menaçant Late Last Night en medium, de même que le dynamique et exultant Be Good To Yourself (un conseil judicieux) et surtout une belle version du Stop de Lonnie Mack, un slow blues poignant et tragique. Un musicien à revoir en concert au plus tôt. – Robert Sacré


J.W. Jones

Everything Now

SBR 006 – www.jw-jones.com

J.W. Jones n’est pas un bluesman au sens strict du terme. C’est avant tout un excellent songwriter et guitariste dont les qualités d’écriture prennent toute leur dimension dans ce nouvel album de dix chansons originales. Quelques perles sont blotties au cœur du disque comme Papa’s In The Pen, hommage humoristique et funky à son père, ou la poignante ballade When You Left, appuyée par les Texas Horns, en mémoire de sa mère. Sa voix malicieuse et sensible porte encore My Luck ou It’s Not Raining In L.A. au rang de ces belles réussites. La guitare de Jimmie Vaughan donne un punch supplémentaire au shuffle Take Your Time. Un disque de pop-rock-soul dont les amateurs du genre auraient tort de se passer. – Dominique Lagarde


Eric Johanson

The Deep And The Dirty

Ruf Records Ruf 1305 – www.rufrecords.de

Eric Johanson (vo, guitare, compositions) est né en 1985 à Alexandria en Louisiane. Il a fait ses classes à New Orleans et sur Beale Street à Memphis. Il a beaucoup voyagé et même vécu quatre ans en Nouvelle Zélande avant de regagner la Louisiane, riche d’expériences qui ont nourri son imagination et ses compositions. Il a été découvert par Tab Benoit qui lui a fait graver son premier album en 2017 sur son label (Whiskey Bayou Records). Il a ensuite repris la route et entamé une série de tournées mondiales avec Cyril Neville, J.J. Grey & Mofro, les Neville Brothers, Mike Zito et d’autres et, en 2019, il a enregistré un deuxième album en duo avec sa cousine Tiffany Pollack pour Nola Blue Records à New Orleans, suivi d’un troisième avec Luther et Cody Dickinson pour le même label. Son quatrième album sort chez Ruf Records. Son répertoire est plus éclectique, hard rock, Americana, New Orleans funk, country, southern rock, soul, sur fond de blues traditionnel ouvert aux autres styles modernes. Il est à la tête d’un trio talentueux avec Terence Higgins (drums) et Eric Vogel (basse) et c’est Jesse Dayton qui a produit l’album, joué du tambourin (avec Patrick Herzfeld) et co-composé sept des douze titres avec Johanson qui est l’auteur, seul, des cinq autres. Les thèmes favoris explorent les contradictions et les subtilités de la vie moderne avec un message récurrent : « … profitons de l’instant présent, c’est tout ce que nous aurons… », comme dans Don’t Hold Back, du hard rock avec guitare en folie ou Familiar Sound, Borrowed Time (avec slide) et She Is The Song, bluesy, tous trois et en slow. Le reste se décline en faces rocks fougueuses et emportées comme The Deep And The Dirty, Beyond The Sky, Galaxy Girl, Gets Me High ou Stepping Stone. Deux faces se détachent nettement pour moi : Undertow, du R&B fonceur et rentre-dedans avec des passages de guitare épiques et revigorants et Just Like New, du down home Delta blues en slow où Johanson a troqué sa guitare électrique pour une National Resonator métallique. On pourrait y ajouter Elysian Fields, un bel hommage à cette célèbre avenue de NOLA, allant du Sud au Nord, du Mississippi au lac Pontchartrain avec six bandes de circulation et nommée ainsi en hommage aux Champs-Elysées à Paris. Du beau travail. – Robert Sacré


Franck L. Goldwasser

Who Needs This Mess !!??

Crosscut Records CCR 11114 – www.crosscut.de

En 1981, le jeune et talentueux guitariste Franck L. Goldwasser, parrainé par Sonny Rhodes, décida de s’installer à Oakland, Californie, quelque membre de sa famille y résidant. Il adopta le pseudonyme de “Paris Slim” abandonné depuis longtemps. Sa réputation grandit assez vite. Il joua alors avec Lowell Fulson, Jimmy McCracklin, Percy Mayfield, Pee Wee Crayton, Big Mama Thornton, Smokey Wilson, J.J. Malone, Troyce Key, Omar Shariff (Dave Alexander), Johnny Heartsman, etc. Tout ce qui se faisait de mieux en Californie à l’époque. Il collabora longtemps avec la formation les Mannish Boys. Franck Goldwasser revient chez Crosscut Records, le label allemand pour lequel il avait enregistré « Bluju » (Crosscut Records CCD 11077) en 2003, avec un nouveau CD : « Who Need This Mess !!?? ». L’artiste, excellent chanteur et l’un des meilleurs guitaristes de blues actuels, a rassemblé quinze titres d’origines diverses enregistrés entre 2009 et 2021. De la séance de 2009, vous découvrirez le très étrange ‘talking blues’ aux sonorités parfois discordantes Monkey Junk (« un morceau punk ! », me dit mon épouse) ; Dumb And Dangerous, très inspiré par le classique Rollin’ And Tumblin’ sur lequel Franck Goldwasser joue du dobro, et le Hill Country Blues Sweet Cream où il ajoute sa touche d’harmoniciste. Shobby Doggy Boogy, enregistré en 2010, permet à Franck Goldwasser de rendre un hommage à son mentor Sonny Rhodes ; il joue de la lap steel guitar avec le renfort de Kirk Fletcher (guitare et basse) et Chris Millar (batterie). Bleedin’ Heart d’Elmore James est la seule reprise du disque. Ce fut certainement un moment fort du Waterfront Blues Festival de Portland, Oregon, le 3 juillet 2014, d’où provient cette chanson. Jim Pugh, au piano et à l’orgue Hammond B3 et le batteur Tony Coleman, sont impeccables. Le reste de ce remarquable CD a été enregistré entre 2019 et 2021. Sur tous ces titres, Franck Goldwasser déploie tous ses talents de chanteur et guitariste. Il est un excellent joueur de slide, illustré par Skwurley. Le country blues n’a pas de secret pour lui : il interprète, seul à la guitare acoustique et à l’harmonica, un excellent What Am I To Do. Son vieux complice, l’harmoniciste R.J. Mischo, collabore à la réussite de Skwurley, Disküm Baab Uleh Shunet Had A Dream Last NightIf I could Holler est un beau duo avec l’harmoniciste Vincent Bucher. Le clou du CD est Who Needs This Mess !!??. Plus de six minutes de blues électrique intense pour lequel Franck Goldwasser bénéficie du soutien de l’harmoniciste Charlie Musselwhite, du guitariste Kirk Fletcher et du chanteur Sugar Ray Ryaford. Un magnifique livret de vingt pages, illustré des dessins de Franck Goldwasser et un de sa fille Elsa, accompagne ce CD. Les paroles des chansons et les indispensables renseignements discographiques sont très appréciables. Avec une telle réussite, vous savez ce qu’il vous reste à faire. – Gilbert Guyonnet


Grant Haua

Mana Blues

Dixiefrog DFGCD8841 – dixiefrog.com

Haua est Néo-Zélandais d’origine Maori, il est adepte d’un rock assaisonné au R&B et il est aussi un farouche amateur de rugby, ce que révèle la photo de pochette : en cette année de coupe du monde de rugby il a adopté le fameux « Haka » de ses compatriotes, les All Blacks, avant chaque match. Précédemment, il s’était révélé un guitariste acoustique talentueux. Ici, il est passé à la guitare électrique et il y est tout aussi doué. Il parle de la guerre dans deux titres épiques et véhéments (1) : Pukehinahina (avec Mathieu Jourdain, drums et Laurent Lacrouts, guitare électrique, tous deux du groupe The Inspector Cluzo) qui commence par une longue intro en langue Maori, comme les refrains, quant aux couplets – en Anglais –, ils retracent, avec rage et véhémence, The Battle of the Gate où des Maoris ont défait et tué un paquet de soldats anglais ; ce chant est un hommage à ses ancêtres (tipuna). Dans la même veine, il y a aussi Embers, une complainte lyrique et triste inspirée par les atrocités et massacres de la Shoah et aussi par les morts du Débarquement en Normandie (dont certains de ses ancêtres), voire ce qui se passe maintenant en Ukraine (1). Il chante aussi l’amour avec des titres comme Jealousy et To Be Loved, des ballades dansantes dotées de belles mélodies. Son inspiration concerne aussi des grands noms de la musique à respecter comme Billie Holiday, sur un rhythme d’enfer, ou Blind Willie Johnson dont il reprend My Time of Dying dans une version rock véhémente qui décoiffe. Il chante aussi les douleurs de l’âme et/ou du corps dans Aches, bien scandé et entraînant ou le chaloupé Blame It On Monday ainsi que la recherche des choses simples dans Good Stuff. Impressionnant et très recommandé. – Robert Sacré


Bob Corritore & Friends

High Rise Blues

SWMAF 25

La cadence de sortie des productions de Bob Corritore a de quoi nous laisser bouche bée ! Voici à nouveau une pépite en provenance des archives de l’harmoniciste qui nous propose rien de moins que quatorze titres inédits ! Enregistrées sur trente années (1992-2022) à Chicago, Phoenix mais aussi en Californie, un plateau d’artistes exceptionnels nous attend au fil des sessions. Bo Diddley, Jimmy Rogers, Koko Taylor, Magic Slim, Sam Lay, Pinetop Perkins, Chico Chism, Luther Tucker, John Brim, Eddy Clearwater, John Primer, Willie “Big Eyes” Smith, Lil’ Ed, Bob Riedy, Manuel Arrington et enfin Eddie Taylor Jr font partie des réjouissances. Toutes les compositions proposées, à l’image de Buddy Buddy Friend de Magic Slim, Last Time de Jimmy Rogers ou encore le fameux Hard Pill To Swallow de John Brim sont superbes, elles nous offrent la possibilité de découvrir sur tous les tempos possibles des artistes qui nous ont malheureusement quittés, mais qui nous laissent toutefois de précieuses pépites. Au niveau des accompagnateurs, nous avons à faire entre autres à Billy Flynn, Chris James, Patrick Rynn, Calvin “Fuzz” Jones, Bob Margolin ou encore Illinois Slim, bref, que du beau monde. Bob Corritore est bien sûr présent, mais son jeu toujours admirable est là uniquement pour mettre en valeur ses amis et invités. Vous l’avez compris, cette divine galette va combler bon nombre de personnes. Il ne nous reste plus qu’à attendre sereinement les futures parutions du patron du club le Rhythm Room, nous lui faisons totalement confiance. – Jean-Luc Vabres


Paul Boddy
& The Slidewinder Blues Band

Nosy Neighbors

Slide Records – www.slidewinderbluesband.com

Avec Glenn “The Wizard” Hale (orgue, piano), Chuck Hearne (basse) et Dave Hollingsworth (drums), Paul Boddy (lead vo, guitare) – originaire de Doylestown en Pennsylvanie – est un spécialiste de la slide guitar et il s’emploie à le démontrer, ici, tout au long des douze faces qu’il a composées, augmentées de 2 reprises, l’une d’Elmore James (Hurts Me Too, dans une version guillerette, un peu éloignée des standards habituels) et l’autre de Léon Russell (Delta Lady), du blues rock aux accents country. Pour le reste, il y a alternance de morceaux nerveux et enlevés comme Baby Let’s Try Again, Milk and Cookies et Right Way Up et slow comme Hanky Panky Blues, tous au goût de revenez-y. On se laissera aller au rythme de rumba du titre éponyme et on aura la fièvre avec Blues Is Company, forcené et obsédant, ou avec le rocking blues de Jam It In. Bells & Whistles a des accents psychéliques et Trash Can Head fait entendre de belles parties de piano, sans oublier Trouble Finds Me Everyday qui ouvre la session avec beaucoup de peps et d’entrain, piano et slide en goguette. Une bonne surprise. – Robert Sacré


Johnny King & Friends

Call It Confusion

No label, no number

Parmi les CD à chroniquer envoyés par notre rédacteur en chef, se trouvait celui d’un dénommé Johnny King. Méfiance immédiate à la vision de la pochette : un guitariste caucasien auto-proclamé “King” ? Très vite, mes préjugés vont tomber et la curiosité s’emparer de moi à la lecture de la liste des nombreux collaborateurs et invités. Parmi eux : Bobby Rush, Tony Coleman, George Porter Jr, Buddy Miles, la section de cuivres de J.J. Grey and Mofro et le Dirty Dozen Brass Band. Une fois le CD dans le lecteur, on reste accroché jusqu’à la fin. Johnny King est le pseudonyme de Clifton Forge, originaire de Virginie. Adolescent, il débuta en tant que batteur du Red Hot Lincoln, l’orchestre de son oncle. Il apprit aussi à jouer de la guitare, de la basse, de la mandoline, du piano, de l’orgue et de la trompette. Il compose, produit et chante fort bien d’une voix cassée. Il est à l’aise dans le rock, le bluegrass, le gospel, la soul, le funk, le New Orleans jazz, le reggae (il partagé la scène avec Toots and the Maytals) et le blues, la musique de cette autoproduction ici chroniquée. Le côté chaotique du titre éponyme du CD, « Call It Confusion », probablement dû à la présence de trois batteurs (Tony Coleman, Buddy Miles et Dr. Mark McKnight) ne gêne en rien. Un excellent Bobby Rush à l’harmonica contribue à cet hommage à B.B. King et Bobby “Blue” Bland. Un très bon début. Station Lyric Fountain est un blues lent qui qui finit en style latino « à la Santana » avec les cuivres J.J. Grey & Mofro. Savannah Red est la touche New Orleans du disque et un hommage appuyé à Dr John. Bobby Rush et son harmonica enjolivent le très « gospelisant » Oh My Captain. Celui-ci est encore très présent sur l’instrumental That’s It, sa complicité avec le remarquable jeu de guitare de Johnny King et le batteur Tony Coleman fait mouche. J’aime beaucoup Recognition Blues, très inspiré par “Blue” Bland (une preuve de bon goût) et God’s Own Blues, deux compositions de Johnny King. Celui-ci, accompagné de Bobby Rush (chant et harmonica) et Tony Coleman, délivre un prêche avec Political Blues. Une funk jam au groove irrésistible est Freedom, Freedom en compagnie du Dirty Dozen Brass Band et deux batteurs : Tony Coleman et Buddy Miles. Nous retrouvons les mêmes, avec le bassiste George Porter Jr, sur Itchin’ At The Root. Le chanteur est Buddy Miles. Cette partie vocale avait été enregistrée il y a bien longtemps. La magie de la technologie contemporaine a permis de restaurer la voix, Johnny King y apportant sa touche musicale. Seul à la guitare acoustique jouée en slide et au piano, Johnny King nous délivre Walkin’ Water Blues, une autre facette de son talent. Enfin, le sommet du CD est le dernier titre et seule reprise : le vétéran Bobby Rush interprétant au chant et à l’harmonica le chef-d’œuvre de Slim Harpo, King Bee. Voici un album auquel vous pouvez tendre l’oreille en toute confiance. – Gilbert Guyonnet


Arlen Roth
& Jerry Jemmett

Super Soul Sessuion

Blue Heart Records BHR/049

Cet album revisite treize grands moments de la musique soul sous la direction de Arlen Roth (vo, gt) et Jerry Jemmott (vo, basse), mais la nostagie étant ce qu’elle est, le plaisir d’écoute de ces evergreens reste très grand, à mon avis. Roth a un curriculum vitae brillant et remarquable (1). Surnommé “The Master of the Telecaster”, il a accompagné une multitude d’artistes dans les domaines de la pop, du rock, du folk, mais peu dans le blues ni la soul. Jemmott, quant à lui, est le “Groovemaster”, bassiste d’Aretha Franklin, B.B. King, King Curtis et beaucoup d’autres dans les anées 70. Les voici associés pour cette séance musicale joyeuse et festive où chaque titre est un hommage à son/ses compositeur(s) et/ou son interprète. Les accompagnateurs ont été triés sur le volet, comme Joe Louis Walker (gt et chant sur deux faces), l’extraordinaire chanteur d’origine africaine Mukamuri sur quatre faces (2), Bruce Katz (piano, orgue), Chris Parker (drums, percus), Alex Salzman (claviers), Tom Gage (guitare rythmique) et les Huptown Horns, une section de cuivres percutante avec Crispin Cioe (saxes alto et baryton), Arno Hecht (saxe ténor), Bob Funk (tb), Larry Etkin (tp) et Tony Gorruso (tp). Le chanteur Mukamuri est une révélation et un choix judicieux ; il annonce la couleur avec sa superbe version de I’m Just A Mortal Man (Jerry Lawson/The Persuasions), il persévère avec talent dans un bien musclé et fiévreux (Your Love Keeps Lifitng Me) Higher and Higher (The Funk Brothers, Detroit) avec des touches africaines du plus bel effet, puis dans Drift Away, un hit Decca de 1973 et encore dans Good Time Charlie’s Got The Blues aux accents country malgré le titre. Quant à Joe Louis Walker, il donne une touche latino à The Thrill Is Gone avec Bruce Katz (orgue) en grande forme, puis il se déchaîne sur un Shake qui décoiffe avec C. Parker qui instaure un rythme d’enfer avec ses drums et percus. Il y a cinq faces instrumentales dont Chain Of Fools (Don Covay, Aretha Franklin), The Weight et sa mélodie evergreen et, en clôture, America The Beautiful en slow (Ray Charles, 1972). Une mention à Memphis Soul Stew chaloupé et chanté par J. Jemmott qui donne la recette du Stax sound et c’est un hommage à King Curtis, avec des cuivres déchaînés. Album non essentiel mais très mélodieux et très soul. – Robert Sacré

Notes :
(1) Roth est journaliste, éducateur et auteur d’un grand nombre de méthodes de guitare très recherchées, en livres (« Hot Guitar », …) et vidéos (« Hot Licks », avec 180 vidéos).
(2) Shalom Mukamuri est originaire du Zimbabwe mais réside à Doylestown, PA.


Big D & Captain Keys

Tales Of Friendship

Naked NP078 / Doinor Prod – www.donor.company/naked

Ce duo chant-piano est une spin-off des Bluesbones avec Nico De Cock (chant) et Edwin Risbourg (piano, chant). Ils ont eu l’occasion de jouer ensemble dans un cadre décontracté et cela a beaucoup plu à leurs auditeurs, d’où ce souhait d’en faire un album. La majorité des quinze faces sont sur tempo lent et dégagent nostalgie, mélancolie voire tristesse comme Have A Little Faith In Me (de John Hiatt), Demon BluesWhiskey And YouBroken Tears et Ol’ 55 ou le dramatique Betrayal et les poétiques New Coat Of Paint et Picture In A Frame. L’ambiance est intimiste tout du long et tout ceux qui aiment l’ambiance feutrée d’un bar/cabaret ou d’une petite salle pleine d’amateurs y trouvera son compte. Le duo est à plusieurs reprises dans une ambiance jazz marquée avec Saint James Infirmary, voire Every Day I Have The Blues et ailleurs dans un contexte soul avec des reprises d’Otis Redding (Sittin’ On The Dock Of The Bay) ou de Sam Cooke (Bring It On Home To Me). J’ai particulièrement apprécié une version personnelle, originale et musclée du Crossroads de Robert Johnson et une excellente version du Nobody  Knows You When Youy’re Down and Out d’Ida Cox, ainsi que Seasaw Blues, une composition originale des deux compères qui clôture la session avec enthousiasme et énergie. – Robert Sacré


Shawn Pittman

Hard Road

Must Have Music MHCD115

Shawn Pittman est un chanteur guitariste, auteur compositeur américain, né en 1974 à Talihina, petite ville d’Oklahoma. Sa jeunesse a été une aventure musicale qui a débuté à l’âge de 8 ans par des cours de piano. Il a ensuite joué de la batterie et, à 14 ans, il est passé à la guitare en écoutant Lightnin’ Hopkins et Muddy Waters. À 17 ans, il a déménagé à Dallas, Texas, où il a eu la chance de rencontrer Sam Myers. Avec Sam, Pittman a fait une série de concerts et il a aussi joué avec James Cotton, Matt “Guitar” Murphy, Huber Sumlin et fait la première partie d’un concert de B.B. King. Fin 1990, il a enregistré son premier album. En 2020, « Make It Right » fut son treizième disque, suivi l’année suivante d’un enregistrement en solo. Voici « Hard Road », sa quinzième production, avec ses nouveaux compagnons, Jason Crips à la basse et à la seconde guitare et Mike King à la batterie et au chant. Les onze morceaux de ce disque ont été enregistrés en direct au Wire Studio à Austin et ont tous été écrits par Pittman. Le Texas blues a relativement été absent des nouvelles sorties ces dernières années, si on excepte Mike Morgan ; voici donc un retour au blues rock texan sous ses multiples facettes : de l’entrainant Pocket Dial qui ouvre le disque au blues lent That’ The Thing. Dans la lignée d’un certain Jimmie Vaughan, nous ne pouvons que recommander cet album d’un artiste original et de grand talent. – Robert Moutet


Soulful Femme

Attitude

Skydogstudios SKYDG-4849-2 – www.soulfulfemme.com

Les deux font la paire. Stevee Wellons au chant et Cheryl Rinovato à la guitare forment un duo dynamique et pétulant avec Michael Bram (drums), Matt Raymond (basse), Dave Gross (orgue Hammond et percussions) ainsi que Doug Woolverton (tp) et Mark Earley (sax ténor) dans l’entraînant Dysfunction Funk au titre explicite. Wellons et Rinovato avaient déjà travaillé dans le show business avant de se rencontrer et de s’associer ; leur répertoire est un mélange subtil de soul (en accord avec leur nom de groupe), de R&B, de funk voire de reggae. C’est un premier album, il est produit par Albert Castiglia qui est à la guitare dans deux des onze faces et il y a des invités comme Tommy Castro au chant, rejoint par Castiglia et sa guitare dans Talkin’ Loud And Sayin’ Nothing, un hommage appuyé à James Brown. Il y a aussi Kevin Burt au chant, en duo avec Stevee dans un slow blues, le Insane Asylum de Willie Dixon, « a badass tune», dit Stevee elle-même. Elle y rend hommage à sa mère pour ses conseils (« … aime toi et sois fière de qui tu es… »), comme dans Attitude, le titre éponyme, qui démarre l’album en beauté, martelé avec conviction, suivi de Not Like You sur un rythme de boogie endiablé. Notons encore Crazy qui décrit un passage très sombre de la vie de la chanteuse mais qui n’est plus qu’un mauvais souvenir et l’opus se termine avec l’optimiste et joyeux Time to Walk. – Robert Sacré


Greg Sover

His-Story

No number – www.gregsover.com

Comme Obélix avec la potion magique, Greg Sover est tombé dans Jimi Hendrix quand il était petit. Parmi trois bassistes présents sur cet album, Billy Cox, partenaire original d’Hendrix (avec Buddy Miles) au sein du Band of Gypsies. Sur les dix titres de cet album, deux sont des reprises du légendaire guitariste, Manic Depression et Remember. Song 28 sonne comme un démarquage de Voodoo Chile. Le reste est à l’avenant, puissant (Dark House, Freedom part 2, Living on the Edge) ou plus retenu (Stuck in the Rain), flirtant avec le rock FM (One Way Train, Tonight). Dans l’ensemble peu imaginatif. Temptation est le blues du lot. Chanteur, Greg Sover, s’apparente davantage au hard-rock qu’à la soul, ce qui peut faire le bonheur de quelqu’un. Alors pourquoi ne pas remettre prudemment le CD dans sa jaquette ? – Dominique Lagarde


Nigel Mack

Back In Style

Blues Attack Records 2023

Mack (chant, gt, slide, hca) est d’origne canadienne et il est installé à Chicago. Voici son quatrième album, c’est blues, blues, blues et encore blues, presque de bout en bout et donc recommandé ! Mack en a composé – seul ou en collaboration – les douze titres et il est entouré de musiciens expérimentés, trop nombreux pour être cités, sinon ponctuellement. La Highway 69 n’est pas spécialement une autoroute fréquentée par des bluesmen comme la 61, puisqu’elle va du Minnesota à Port Arthur au Texas en passant par l’Iowa, le Missouri, le Kansas et l’Oklahoma (1), pourtant, ce morceau de Mack est un excellent downhome blues, bien enlevé et mordant, sur le modèle de Dust My Broom. Pour Blues Enough For You, un blues volubile et enjoué, Mack a pris sa National Steel Guitar 1929. Plusieurs slow blues retiennent aussi l’attention comme Redemption, un instrumental avec slide, ou encore Travelin’ Heavy et Damn You Mr. Bluesman avec de belles envolées d’harmonica et une prestation remarquée de Daryl Coutts (Hammond B3),. On notera aussi Graveyard Gate avec Lise Gilly (saxophone) et Victor Garcia (tp) ; Lise Gilly que l’on retrouve avec plaisir dans Shangri-La Girl, une fiesta latina trépidante et joyeuse, avec Neal O’Hara assurant de belles parties de piano. Quant à Jalapeno Peppers, c’est une autre fiesta latina, en slow, sans Gilly, mais toujours avec O’Hara. Plaisir d’écoute garanti. – Robert Sacré

Note :
(1) Il y a aussi une Highway 69 au Canada dans l’Ontario !


Captain Jack Watson

I Am The Blues

Watson Records

Pour les lecteurs d’ABS Mag, le bon capitaine n’est pas un inconnu ! Il faisait déjà en 2019 la couverture de notre numéro de printemps, suite à notre rencontre à Austin quelques mois plus tôt. Le chanteur texan nous propose sa nouvelle production qui est solidement arrimée au blues, avec cependant quelques échos et sonorités bienfaisantes de Southern soul. Burnett Watson – avec ce mini-album – nous délivre cinq titres originaux et une reprise qui rend admirablement hommage à Z.Z. Hill, à savoir Down Home Blues. De robustes compositions comme Bridge Over Flooding Waters et The Only Thing I Ever Done Right, solidement ancrées dans les douze mesures, devraient satisfaire le plus grand nombre. Set Me Up est remarquablement interprétée sur un mode mineur du meilleur effet, tandis que I’m Captain Jack est une composition où l’ombre bienveillante de Bobby “Blue” Bland est présente. L’opiniâtre Burnett Watson, originaire de la petite ville de Gonzales située entre San Antonio et Houston, continue contre vents et marées le cap qu’il s’est fixé. Cet excellent chanteur semble avoir trouvé son rythme de croisière avec ce nouvel opus qui mérite notre attention. Bonne nouvelle, il sera en octobre prochain l’un des invités du King Biscuit Festival à Helena, Arkansas. – Jean-Luc Vabres


Grainne Duffy

Dirt Woman Blues

Blue Heart Records BHR/042 – www.blueheartrecords.com

Grainne Duffy (chant, guitare) est originaire de Monaghan en Irlande et elle en a fait du chemin pour aller réaliser ses rêves de blues en Californie du Sud… Depuis ses débuts en 2007, elle en est déjà à son cinquième album avec son mari Paul Sherry (gt) et des musiciens comme Marc Ford des Black Crows (chant, gt), Elijah Ford, le fils de Marc (basse, piano, Moog) et J.J. Johnson (drums, percus), sans oublier des invités comme Sam Goldsmith (piano et percus), John Ginty et Peter Levin aux claviers chacun dans un titre. Le couple a composé la musique des neuf titres de l’album et Grainne Duffy a écrit tous les textes, avec beaucoup de sensibilité et d’éclectisme. On découvre un mélange harmonieux de rock et de soul blues avec des touches de musique celtique (1). On démarre en beauté avec Well Well Well, un beau duel de guitares avec passages de slide où Duffy détaille, avec passion, ses projets de vie. Quant au titre éponyme, c’est un slow blues lancinant, le chant déborde d’émotion et il est souligné par des guitares fiévreuses. Le thème impérissable des relations amoureuses est bien sûr présent ici, entre autre avec Sweet Liberation, marqué par un riff de southern rock des plus plaisants au début puis qui finit sur un rythme boogie, et aussi avec le bien cadencé What’s It’s Going To Be ou encore avec les ballades slow Running Back To You et Hold On To You, romantiques à souhait. Duffy n’a pas oublié son Irlande natale, elle la chante dans un bien rythmé Rise Above, hommage à son homonyme Grainne, la fille de Cormac Mac Airt dans le Fenian Cycle de la mythologie Irlandaise, ainsi que dans Killycrum qui clôture l’album, elle est passée à la guitare acoustique et c’est un hommage émouvant à sa maison natale dans le Comté de Monaghan. Duffy s’affirme encore avec force et détermination dans Yes I Am, virevoiltant, déjanté et habité par la passion et elle y fait furieusement penser à son compatriote Rory Gallagher auquel on la compare déjà. – Robert Sacré

Note :
(1) Il devient assez courant de retrouver les paroles des morceaux dans les notes de pochette des albums, et c’est une pratique à encourager, mais ici il faudra s’en passer, c’est regrettable car on aimerait relire à loisir ces textes poétiques.


Gov’t Mule

Peace… Like A River

Fantasy/Concord

Douzième album de ce groupe devenu au fil de trente années – sous la conduite du chanteur et guitariste Warren Haynes – une locomotive du rock américain. Locomotive est sans doute un terme mal choisi, car c’est plutôt au fil immuable d’une rivière que nous emporte cet album fort de douze compositions originales.  Si Gov’t Mule est souvent associé au heavy rock sudiste, aux jam bands, friands d’improvisation, dans cet opus, la navigation se rapproche davantage de la soul, du funk, du blues, voire du psychédélisme et du folk pour éviter le tangage. À la source, il y a quand même du grabuge (Shake Your Way Out) lorsque la guitare de Billy Gibbons déboule en cascade. Après le calme Made My Peace, le disque semble prendre son rythme de croisière sur le bondissant Peace I Need. La belle ballade bercée de violons, Your Only Friend, précède quelques rapides : Dreaming Out Loud, Head Full Of Thunder, avant le passage humoristique et inquiétant de The River Only Flows One Way ; exemple de pilotage à vue pour ramper entre les bancs alligators. L’entame d’After The Storm sonne très Doors. Encore quelques remous avant le delta : le funk cuivré de Long Time Coming, puis un Gone Too Long recueilli. Le disque existe aussi en version Deluxe avec son lot de bonus. All aboard ! – Dominique Lagarde


Mike Guldin & Rollin’ & Tumblin’

The Franklin Sessions

Blue Heart Records BHR/046 – www.blueheartrecords.com

Depuis le Bucks County en Pennsylvanie, Guldin (vo, gt) est dans le show business depuis des années et son groupe actuel est actif sur le circuit depuis plus de vingt ans. On a ici leur cinquième album dont huit faces sur onze ont été composées par Guldin. Il a été enregistré à The Rock House de Franklin dans le Tennessee, chez Kevin McKendrie (p, orgue) avec Bill Sharrow (basse, gt, tamborin), Tim Hooper (piano, orgue), Billy Wear (drums) et des guests comme Kevin McKendrie et son fils Yates (gt, lap steel, drums), James Pennebaker (gt), David Santos (basse), Mikey Junior (hca), The McCrary Sisters (vo) et The Philadelphia Funk Authority Horns (Dale Gerheart – tb, Kyke Hummel – sax baryton, Neil Wetzel – sax ténor et Andrew Kowal – tp). La voix rocailleuse de Guldin et son jeu de guitare conviennent très bien à son répertoire blues comme on en a la preuve d’entrée de jeu avec The Franklin Shuffle, rondement mené avec les McKendree père et fils et James Pennebaker, c’est fonceur et déterminé, tout comme Gettin’ Over You Is Workin’ Over Me. Même chose avec les trois reprises, le Killin Floor de Howling Wolf avec Hooper, McKendree et Guldin lui-même, tous en super forme, le Blow Wind Blow de Muddy Waters bien enlevé avec les McKendree père et fils et Divin’ Duck Blues de Sleepy John Estes, rapide et frénétique avec Mikey Junior (hca). Il y a d’autres faces sortant de l’ordinaire comme The Right Thing (du gospel country en slow qui nous emmène à l’église avec les Soeurs McCrary : Ann, Regina et Alfreda), Yates McKendree à la lap steel guitar, Hooper (p) et Kevin McKendree (orgue). On citera encore Sometimes You Gotta Roll The Dice enjoué et au parfum New Orleans prononcé, mais tout le reste est agréable à écouter et cet album, excellent, a un goût de revenez-y. – Robert Sacré


Doug Deming & The Jewel Tones

Groovin’ At Groove Now !
Live in Basel, Switzerland

Endless Blues Records DDGAGN062023

Deming (vo, gt) est né à Detroit en 1970 et y a débuté sa carrière dans les années 90 avec Alberta Adams et d’autres musiciens locaux puis dans tout le Midwest avant de s’installer, en 2009, à Tampa en Floride. On a ici son cinquième album enregistré live à l’Atlantis Basel pour la série de concerts Groove Now à Bâle en Suisse, face à un public chaleureux. Deming a composé huit des onze faces et il est entouré de Andrew Gohman (basse) et Zack Pommerlau (drums et hca). Pour l’occasion, il a été rejoint par des guests : Sax Gordon Beadle et Terry Hanck (saxophones) et Bill Heid (claviers). Doug Deming a été inspiré par des bluesmen comme T. Bone Walker, Luther Tucker et par des jazzmen, en particulier Charlie Christian dont l’influence est manifeste tout au long mais plus encore dans le premier morceau, East Side Hop, un instrumental uptempo lancinant, en deux parties où guitare, piano et saxophones rivalisent de créativité. Même ambiance survoltée dans les faces chantées avec beaucoup de détermination par Deming comme Bloodshot Eyes de Wynonie Harris, jazzy, triomphant et fervent, ou No Sense à l’humour décapant avec Bill Heid (p) au top, ou encore Put It Down, humoristique lui aussi avec de belles combinaisons de saxes, guitare et orgue. Idem avec Every Night When I Get Home en slow. Il y a aussi des faces très blues comme les autres reprises, I’m Ready (Fats Domino), une partie déjantée à fond la caisse à NOLA, ou Oh Baby (Willie Dixon / Little Walter), entraînant et vitaminé avec Pommerlau excellent à l’harmonica et encore An Eye For An Eye, un slow blues hypnotique composé par Deming, mais « à-la-Muddy-Waters ». À noter aussi Only Time Will Tell, un excellent blues fonceur et mordant avec Bill Heid très inspiré à l’orgue, comme Pommerlau à l’harmonica. Recommandé. – Robert Sacré


Tracy Nelson

Life Don’t Miss Nobody

BMG 538870092

Tracy Nelson est une remarquable et discrète artiste. Son disque précédent date de 2011. Elle débuta en 1965 avec l’album « Deep At The Roots » (Prestige-PR 7393), accompagnée par Charlie Musselwhite. Originaire du Wisconsin, elle partit à San Francisco, CA, à la fin des sixties. Chanteuse du groupe rock Mother Earth, elle partagea l’affiche avec toutes les stars de la scène psychédélique californienne. Elle s’est fixée à Nashville depuis de nombreuses années. Elle joue du piano, de la guitare, chante le blues, le gospel, le rhythm & blues, le jazz et la country avec le même grand talent. Elle compose très peu. Un bon goût certain la guide dans le choix des chansons de son répertoire qu’elle arrange avec originalité. Ce nouveau disque en est une preuve. Le traditionnel Strange Things Happening Every Day, popularisé par Sister Rosetta Tharpe, ouvre le CD. Poussée par le brillant jeu du pianiste Kevin McKendree, la voix de Tracy Nelson impressionne. Vous connaissez probablement les belles interprétations de la chanson de Doc Pomus, There Is Always One More Time, par B.B. King ou Johnny Adams ? Tracy Nelson, avec l’aide de l’harmoniciste Mickey Raphael, lui donne de belles inflexions gospel. Le talentueux Jontavious Willis joue de la guitare à résonnateur sur le très réussi Your Funeral And My Trail de Rice Miller ‘Sonny Boy Williamson’. Tracy Nelson chante sans problème Ma Rainey, Yonder Come The Blues, avec le clarinettiste Doug Mosher. Elle a rappelé Irma Thomas et Marcia Ball. Les trois chanteuses avaient collaboré pour le CD « Sing It » (Rounder CD 2152) en 1998. Elle a choisi à cet effet une chanson d’Allen Toussaint, I Did My Part. Quel plaisir d’écouter son duo avec son homonyme, le grand Willie Nelson, et Honky Tonkin’ d’Hank Williams. Impressionnant est Charlie Musselwhite sur It Don’t Make Sense de Willie Dixon. La célèbre interprétation de Les McCan (piano et chant) et Eddie Harris (saxophone ténor) de la protest song de Gene McDaniels, Compared To What, donnée au Montreux Jazz Festival 1969, est largement égalée par celle de Tracy Nelson avec le soutien du saxophoniste Terry Hanck. Tous les musiciens et chanteuses (Irma Thomas et Marcia Ball) s’amusent beaucoup pendant la caribéenne version de Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry. Tracy Nelson est surtout une interprète. Elle a pourtant composé deux excellents titres : Life Don’t Miss Nobody avec le percussionniste Mike Dysinger, Tracy jouant du piano Wurlitzer, et, avec Marcia Ball, le gospel Where Do You Go (When You Can’t Go Home). Deux émouvantes interprétations du traditionnel Hard Times complètent ce t album. Tracy Nelson y joue de la guitare à douze cordes : une version orchestrée avec, entre autres, Jim Pugh à l’orgue Hammond B3 et l’accordéoniste Steve Conn, et une seconde où elle est seule avec sa voix et sa guitare. Parfaite conclusion d’un brillant disque. Souhaitons qu’il ne faille pas attendre une dizaine d’années pour écouter une nouvelle production de Tracy Nelson. – Gilbert Guyonnet


Mike Bourne Band
with Johnny Burgin

Cruisin’ Kansas City

Blue Heart Records BHR/029 – www.blueheartrecords.com

James Michael Bourne (chant, gt, compos) a grandi à Kansas City (Missouri) et il est dans le circuit depuis 1998, inspiré par T. Bone Walker, Louis Jordan et d’autres. Après de longs séjours à Chicago, jouant avec de grands bluesmen comme Otis Rush, Sam Lay, Barrelhouse Chuck et beaucoup d’autres, il est revenu à Kansas City, une ville qui occupe une place importante dans le jazz (Count Basie, Jay McShann…) et dans le blues avec des blues shouters comme Big Joe Turner, Walter Brown, etc. Pour rendre hommage à sa ville et à son riche palmarès musical, il a formé son band, le “Kansas City Boogie”, avec ses amis Patrick Recob (basse), Adam Hagerman (dms) et Sam Treinen (sax) et il a accueilli des invités comme Johnny Burgin (gt), Dave Creighton (orgue), John Paul Drum (hca dans trois faces) et, pour une seule face, Johnny Iguana (piano), Big D Ericson (hca), Rob Lorenz (dms), Greg Hopkins (tp), Mike Grinns (basse) et Mickey Munoz (dms). Bourne a écrit les textes des onze titres chantés, il a effectué les arrangements des treize faces et on découvre, tout du long, un guitariste inspiré et créatif alternant avec un Johnny Burgin qui fait sa part de travail dans onze faces avec l’entrain et le talent qui le caractérisent. À l’écoute, on découvre avec plaisir du jump blues vitaminé lorgnant parfois du côté du rock’n’roll voire d’un style honky tonk de bon aloi. On commence dans l’euphorie avec Cruisin’ Kansas City, un instrumental au rythme soutenu qui déménage ferme, suivi de l’humoristique Lose Your Rings Keep Your Fingers, bien enlevé avec de belles parties de saxophone (S. Treiner) et d’orgue (D. Craighton). Tout le reste est à l’avenant, générant un plaisir d’écoute ininterrompu avec, en points d’orgue, Humpty Dumpty, un jump blues en médium avec saxo et guitare à l’honneur, Hollow Man, du Chicago blues sur rythme rapide avec J.P. Drum (hca) présent aussi dans Golden Rule (un slow blues avec guitare slide), Missouri Boy (du honky tonk blues autobiographique, festif et triomphant avec de belles parties de guitare), ou encore Running Song sur tempo enlevé, du rock and roll qui casse la baraque avec des passages d’harmonica (Drum) et d’orgue (Craighton) mémorables. Tout cela swingue ferme. D’aucuns auront, comme moi, un faible pour The One, une ballade sentimentale avec une belle mélodie rétro qui remplirait aisément une piste de danse pour un frotte-frotte amoureux, comme dans les années 50. Enjoy ! – Robert Sacré


Jimmie Bratcher

Far Enough

Ain’t Skeert Tunes / CD Baby

Bratcher (vo, gt, compos) c’est aussi “The Eletric Rev”, un Révérend qui opère à partir de Kansas City, MO. Depuis 2001, il a produit douze albums, un livre de recettes de cuisine et deux DVD live ! Storyteller apprécié, il fait régulièrement la tournée de clubs, d’églises et de prisons pour prêcher et délivrer ses messages d’espoir et de rédemption sur fond de blues rock et de ballades country. Il est entouré de Eric Stark (claviers, lap steel, strings, compos), Craig Kew (basse), Aaron Mayfield (orgue), Brandon Draper (drums), Bob Harvey et Steve Molloy (tp), Mark Cohick et Brett Jackson (saxes) et de guests. Bratcher et Stark ont co-composé les onze faces et co-produit ce treizième album qui est accompagné d’un livre de 117 pages intitulé « Far Enough Stories & Songs ». Religion, profession de foi et recherche de rédemption sont au centre de la plupart des morceaux avec des ballades en slow comme My Name is Sinner et Save Me From Myself, des lamentations dramatiques, ou The Road That Leads Home autobiographique et mélancolique avec Micah Burdick à la guitare acoustique, ainsi que Chains ou When He Dreams (The Cow Boy Song), la complainte d’un aveugle qui a gardé la foi et utilise son imagination avec, invités, M. Burdick (guitare acoustique) et Judah Earl (strings). À noter Don’t Count Me Out, du R&B funky fonceur et déterminé avec cuivres, Hammond B3 et sax baryton et Why Is It We Don’t Dance Anymore, bien rythmé et regrettant le bon vieux temps où l’on dansait et encore Don’t Bring That Evil Around Here, comminatoire et revendicateur avec Bratcher à la slide. – Robert Sacré


Mick Kolassa

Wooden Music

Endless Blues Records MK072023

Mick Kolassa est un chanteur, guitariste, compositeur et producteur américain. Il est né en 1952 dans le Michigan, mais il a vécu plus de trente ans dans le Mississipi, d’où son surnom “Mississipi Mick”. Aujourd’hui, il est installé à Memphis. Il n’est pas très connu en Europe, malgré ses implications dans le domaine du blues. Il est membre du conseil d’administration de la Blues Fondation. En 2014, il publie son premier disque alors qu’il a plus de 60 ans et en 2018 il crée son propre label, Endless Blues. Il publie aujourd’hui « Wooden Music », son quatorzième album. Alors que dans ses précédentes productions il a parcouru tous les styles de blues, du Delta à Chicago, en solo ou en formation électrique, les onze morceaux de ce nouveau disque sont en acoustique. Pour Kolassa, le but de cet album est de démontrer que des musiciens n’utilisant que des instruments acoustiques peuvent rivaliser avec n’importe quel groupe électrique. Le résultat est sans appel, il est difficile de se rendre compte que tous les morceaux sont acoustiques. Voici donc un excellent et original disque de blues qui est l’œuvre d’un américain hors du commun ; en effet, Kolassa s’implique aussi dans la vie publique en étant un virulent anti-Trump et en organisant des concerts en faveur des Ukrainiens. – Robert Moutet


Dudley Taft

Guitar Kingdom

Autoproduction

Taft (vo, gt) a appris la guitare puis s’est perfectionné à la fameuse Berklee School of Music. Il a passé du temps avec des groupes de hard rock et des grunge bands de Seattle et fait de nombreuses tournées. Il vit à Cincinnati dans une maison ayant appartenu à Peter Frampton et dotée d’un studio d’enregistrement dans lequel il a déjà produit et enregistré huit albums avant celui-ci. Il est entouré de Kasey Williams (basse), Alex Dungan et Nick Owisanka (drums), Andy Smith (claviers), sa fille Ashley Charmae (chant) et des invités, John Kessler (basse) et Walfredo Reyes Jr. (percus). Il a composé dix des onze titres repris ici, tous célébrant sa passion pour son instrument de prédilection dans un style qui témoigne de ses influences, du blues au blues rock, avec des touches de métal et de country. Démonstration dans sa confession Black & Blues (« … I broke all the rules… ») ou dans le titre éponyme martelé et péremptoire (« … la guitare c’est mon mode de vie… / it makes me feel alive… ») et encore dans l’autobiographique Old School Rocking (« … I love that old school rocking… »), chaque fois avec des envolées de guitare passionnées et exubérantes. Déçu par la vie, il avoue sans fard son goût pour les paradis artificiels dans (I Wanna) Get Stoned et ses préoccupations métaphysiques pour l’au-delà dans The Great Beyond, tandis que Favorite Things, frénétique et survolté, donne la liste de ses passions, les guitares, les voitures, etc, mais quand même aussi sa compagne ! On a aussi Darkest Night, une ballade contemplative et un peu hors contexte et la conclusion de cette séance est une reprise de Tinsley Ellis, A Quitter Never Wins, en slow mais avec punch. Tous les textes sont repris dans les notes de pochette sauf Favorite Things, un oubli ? Dudley a été nominé “Best Guitarist” en 2017 par les European Blues Awards. – Robert Sacré


Jeff Pitchell

Playing with my Friends

Deguello Records DG2174 /Distr. Orchard – www.jeffpritchellofficial.com

Originaire de Nouvelle-Angleterre, Jeff Pitchell (chant, guitare) a gagné ses premiers lauriers musicaux dans le Connecticut. C’est son neuvième album et il est excellent. Il a composé ou co-composé neuf des treize titres, tous dédiés au blues, au R&B et au blues-rock teinté de soul et son ambition était de mettre en avant ses collaborations avec des amis musiciens de grand renom. Cela démarre tambour battant avec quatre compositions personnelles, Eye for an Eye, un excellent blues fonceur et musclé (déjà repris par John Mayall en 2009) avec Jeff Levine (claviers), suivi de Prisoner of Love, du même tonneau, avec Jay Geils à la slide, puis de Your Magic Eye, une belle ballade soul en slow et So Into You, un super slow blues avec Reese Wynans aux claviers et Charles Neville au saxophone (Neville que l’on retrouve dans le titre éponyme, une composition de Robert Cray-Dennis Walker) fougueux, gai et jouissif, en plein accord avec le titre, où le chant est assuré par Claudette King, une des filles de B.B. King. Pitchell est au top au chant et à la guitare du début à la fin, même dans des ballades soul en slow comme le très mélodieux Not Guilty de Lucky Peterson en version épicée au parfum latino et même dans Fat Cigars où il use et abuse des distorsions et effets wah-wah, ou encore dans un Blinded by Desire hanté et halluciné. Il y a d’autres perles dans cet album comme Out in the Cold, une ballade soul au rythme de rumba avec Tyrone Vaughan (fils de Jimmy et donc neveu de Stevie Ray) tant au chant qu’à la guitare en duo avec Pitchell, l’excellent All Night Long, du boogie-woogie enlevé et déjanté avec Duane Betts à la guitare et Unsung Hero, un slow blues VSOP avec Rick Derringer tant au chant qu’à la guitare en duo avec Pitchell. Une mention encore à I Like the Rut, une ballade revigorante avec Christine Ohlman au chant, en invitée et une bonne version slow du I Would’nt Treat a Dog de Bobby “Blue” Bland pour conclure l’album. – Robert Sacré


Various Artists

Tell Everybody !
21st Century Juke Joint Blues From Easy Eye Sound

Easy Eye Sound Recors 2023 – store.easyeyesound.com

Ça fait longtemps que tu existes, peut-être depuis plus longtemps qu’on se l’imagine. Après tout, ça fait à peine plus d’une centaine d’années que nous en avons les témoignages gravés et si on commence à se pencher sur l’oralité, la source première de toute culture, de toute communication, alors tu dois être là depuis le début. Le blues, puisqu’on parle de lui, est une matière séculaire telle que nous le connaissons, faisant preuve de foisonnantes richesses d’interprétations, d’au moins autant qu’il existe de diversités culturelles et personnelles. De tout ce temps, il a su se dépêtrer des boues de l’actualité, rebondir sur des faits divers, jouer de l’onomatopée et du sens caché, se sublimer, rire de lui-même et des autres et se consacrer à l’amour. « Tell Everybody ! 21st Century Juke Joint Blues From Easy Eye Sound » sort cent ans après le premier enregistrement de Bessie Smith chez Columbia, idem pour Lucille Bogan à New York, alors que Ma Rainey enregistre Walkin’ Blues pour Paramount… Une coïncidence pour faire découvrir au monde entier que l’âme de cette musique est toujours bien vivante ? Peut-être que non, mais je me plais à le croire. Tout çà pour dire que depuis qu’il a créé son label en 2017, Dan Auerbach a produit et édité quelques dizaines de disques dans un style proche de l’esprit du rock garage mais dénudé comme aux premiers temps des Black Keys, âpre et grinçant. Ses choix, il les assume pleinement et en remet une couche avec cette compilation faite de « restes maison » cuisinés à différentes périodes. On se retrouve dans une humeur de juke joint du Mississippi en pleine chaleur, le vieux assis sur un banc, guitare rabibochée en mains et harmo dans la poche, s’amusant de l’impatience des gens venus se défouler… R.L. Boyce entame le joujou du jour avec Coal Black Mattie (Burnside, 1969) dans lequel la guitare slide du vétéran s’amuse du marécage ambiant et déride l’auditoire ; c’est rauque comme ambiance, presque de la soul primitive, du blues brut. Finley à sa gauche sur le banc suit le même chemin avec, en plus, une saveur particulière de gospel d’entre-les-deux-guerres qui donne un punch terrible. Et vont en suivant leur petit registre un Jimmy “Duck” Holmes minimaliste à souhait, Gabe Carter avec deux titres blues dont les tensions country et urbaine de Chicago suintent à tous les étages, le métisse Nat Myers (coup de cœur !), poète blues en errance entre son Amérique natale et sa Corée « Racinienne » qui nous balance un Willow Witchin acoustique dont les origines seraient à chercher du côté de Blind Willie McTell, les Black Keys avec un inédit et d’autres bien vivants… Et cette voix venue du passé qui hante encore mes souvenirs, le seul de la liste qui n’est plus avec nous, “Bud” Welch, avec cette façon lancinante et hypnotique de vous prendre par le cœur aux premiers accords. Son chant gospel blues dans Don’t Let The Devil Ride du révérend Oris Mays est unique et transcende totalement n’importe quel overdub. C’est une compilation comme j’aime, diverse et multiple dans un même genre, parfois grinçante et moite, mais toujours les pieds  bien ancrés au sol. Elle nous offre d’écouter cette évolution contemporaine que le blues a toujours su engendrer, quel que soit son temps. – Patrick Derrien


Will James

Sundancer

No label, no number

Will James est un chanteur-guitariste, auteur-compositeur originaire de sud de l’Angleterre qui a eu l’occasion d’aller enregistrer un album aux Steakhouse Studios de Los Angeles avec John Gilutin (orgue, claviers), Randy Jacobs (guitare rythmique), Nathan Brown (basse), Sergio Gonzales (drums), Dan McConkey (saxophone) et Tim Quicke (tp). Les dix titres sont placés sous le signe du swing et du jazz. Le disque est également très ancré dans le blues et la soul avec, souvent, des accents funky et des interventions décisives de Gilutin à l’orgue et de McConkey au saxophone comme Shadowman ou Still Blue, une ballade jazzy en slow. On notera aussi Grindstone (du talking jazz funky avec James en forme à la guitare), l’excellent 6 Up bien enlevé avec guitare et orgue inspirés, et Pack It Up dans la même veine. Home mérite aussi une mention pour sa connotation blues ainsi que Q Blues qui swingue à tout va. À suivre. – Robert Sacré


Danny Liston

Everybody

Blue House Records – www.dannyliston.com

Originaire de Dogtown, le quartier irlandais de Saint Louis (Missouri), Danny Liston (chant, guitare) a été membre du groupe Mama’s Pride, choisi pour faire partie de la famille Atlantic Records et graver trois albums avant de collaborer un temps avec le Gregg Allman Band. S’ensuivit une traversée de désert consécutive aux dérives et addictions de Liston. Le voici requinqué et remis en selle avec Davy Smith (basse), Steve Potts (drums), Will McFarlane (guitare), Mark Narmore et Rick Steff (claviers), Alan Branstetter (tp), Brad Guin et Buddy Leach (saxophones) et quelques invités pour un nouvel album produit par Jim Gaines. Liston a composé les dix titres inspirés par ses déboires, ses expériences personnelles et sa guérison. Toutes les paroles sont à consulter dans les notes de pochette. Cela donne des ballades soul, en slow ou médium, comme Everybody (Needs Somebody), un message d’espoir et de délivrance, Real Man (une leçon d’humilité aux accents gospel), Old Friends (une ode à l’amitié entre potes), Right As Rain, Love Everybody (ou comment vivre en paix et en harmonie avec le monde) ou encore Scandal (les mensonges qui vont de pair avec un ménage à trois). À noter encore Didn’t Find My Blues (in Mississippi), un slow blues qui part à la découverte de la source magique du pouvoir de la musique, et deux faces dédiées à ses anciennes addictions, Goodbye Jack Daniels (R&B bien enlevé pour marteler sa détermination) et l’émouvant Made To Rock’n Roll qui rapporte, avec de belles parties de guitare, les états d’âme de l’une d’entre elles, inemployée trop longtemps et dédiée au Rock’n’ Roll. L’opus se conclut avec A Change Has Come relatant, en slow, sa rédemption et aussi sa liberté et sa paix enfin retrouvées. – Robert Sacré


Guilty Delight

Relax

Autoproduit

Originaire d’Arras, dans les Hauts de France, le groupe Guilty Delight (Plaisirs Coupables en français) s’est formé fin 2019. Aprés leur premier album « Lose Control », la pandémie a mis leur activité en sommeil pendant deux ans. Voici donc leur deuxième disque avec une musique écrite par le guitariste Rémi Voisin et des textes de la chanteuse Aurélie “Orel” Michelon. Pour compléter le groupe, Angel Legagneur est à la batterie, Luc Brame à la contrebasse, les claviers sont partagés entre Flo Vincenot et Meddhy Ziouche, Cecile Cuvelier et Virginie Humbert étant aux chœurs. À noter que, pour cet enregistrement, Christophe Delille est à la basse, mais qu’il vient de quitter le groupe. Leur musique peut passer facilement du blues au reggae avec des petits accents de soul et de jazz. Ils ont été programmés au dernier Cognac Blues Passions, et c’est un groupe à voir sur scène afin d’apprécier la voix puissante et chaleureuse d’Orel. – Robert Moutet


Jeff Toto Blues

30 ans de scène

Autoproduit

 

Jeff Toto Blues & Jim Roberts

Dobrothersblues

Autoproduit

Voici les deux derniers disques du chanteur guitariste auvergnat Jeff Toto Blues, alias Jean-François Thomas.

« 30 ans de scène » est une reprise des plus importants titres de Jeff en version acoustique. C’est son quatorzième disque et probablement le dernier car il nous annonce que l’heure de sa retraite professionnelle va bientôt sonner. En attendant, Jeff a durant la période Covid travaillé les quatorze titres de cet album avec ses musiciens. Les enregistrements ont été fait à Millau et dans son studio de Blannat, dans la Haute Loire. Et le résultat est parfait avec près de 70 minutes de blues en français. En attendant sa retraite, Jeff continue ses conférences dans les collèges et les lycées et il a eu une série de concerts cet été seul ou avec son ami Jim Roberts. Pour sa retraite, il espère découvrir la Louisiane et le Texas et publier en DVD l’un de ses concerts, de chouettes projets à venir pour ce très sympathique et talentueux musicien.

« Dobrothersblues » a été enregistré en 2022 en France et aux USA. Pour les dix morceaux qui composent l’album, Jeff retrouve son ami Jim Roberts au chant et à la guitare slide. Pour certains titres, Jeff a bénéficié d’un batteur et d’un clavier. Plusieurs morceaux font exception dans ce disque car Jeff les chante en anglais. Le morceau Merci ma Belle mélange français et langue de Shakespeare. La prise de son est parfaite et la voix de Jeff très agréable. Un beau disque de Blues. – Robert Moutet


Djeli Moussa Condé

Africa Mama

Accords Croisés (2023)

« Tout bébé, j’entendais ces sons, ces voix qui ne s’arrêtaient pas. Tous les jours, matin, midi, soir, quand maman cuisinait, elle ne faisait que chanter, mon papa de même. Il n ‘ y avait que le son à la maison. C’est cela qui m’a permis de vite apprendre la Kora ». La Guinée Conakry est un pays d’Afrique de l’Ouest qui sera, en 1958, le premier à s’affranchir de la dépendance Française (qui, revancharde, emportera tout ce qu’il est possible de prendre, jusqu’à brûler les stock de médicaments !).
Avec ses vingt-quatre langues nationales, entourée de la Guinée Bissau, du Sénégal, du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Libéria et de la Sierra Léone avec en prime un port sur l’Atlantique, comment ne pas être « plurielle » ? Sa diversité et le brassage des populations environnantes expliquent la richesse de la culture Guinéenne, mais pas seulement. Si la première république (1958-1984) utilise cette richesse pour développer une politique culturelle permettant d’affirmer l’identité d’une nation, la seconde période balayera toutes formes de structures étatiques pour laisser place à une indépendance culturelle et une liberté d’expression, stimulant la création. C’est dans ce contexte résumé que Djeli Moussa Condé voit le jour un 23 mars 1963, à Conakry. Issu d’une famille de griots, il apprend très tôt le conte et les 21 cordes de la Kora, instrument emblématique de l’Afrique de l’Ouest. Son « maitre », Lamine Sissoko (originaire de Casamance dans le sud Sénégal), lui enseigne et l’instrument et la culture musicale de son pays. Remportant quelques prix dans son pays, le voilà à l’aventure sur les routes d’Afrique de l’Ouest qui le mènent en Gambie, au Mali, au Sénégal, et il rejoint Abidjan (Côte d’Ivoire) pour y faire la rencontre de Souleymane Koly qui le prendra sous son aile et et le fera auteur-compositeur de sa troupe de théâtre musical, l’Ensemble Kotéba, de 1989 à 1993. Ce piédestal lui permettra d’attraper le monde en tournée et de participer au premier opéra Mandingue en 1993. Là, sa curiosité le fait venir à Paris où il décide de s’installer. On connaît tous les difficultés pour un Africain de faire sa place et, grâce à Bernadette Lafont (entre autres), il finira par obtenir son titre de séjour. À partir de maintenant, l’esprit plus libre, il commence à collaborer avec Manu Dibango, Amy Koïta, Alpha Blondy, Salif Keita… Il pose sa Kora sur leurs albums et participe aux tournées, qu’elles soient de soutien aux causes humanitaires où pas. Puis, en 2010, sa rencontre avec Vincent Lassale (dit Vesko), compositeur et percussionniste, lui permettra deux ans plus tard de sortir son premier album, « Djeli », enregistré dans le quartier de Ménilmontant. Ce qui lui vaut aujourd’hui d’être nommé “le griot de Ménilmontant”. Trois ans plus tard et pas mal de concerts, apparaît dans les bacs son second album, « Womana ». Ces deux albums avaient tendance à fusionner plusieurs sources musicales et tendaient vers une approche électrique. Avec « Africa Mama », Djeli Moussa Condé retourne aux sources de l’acoustique, celles qui l’ont nourrie dans son enfance, et s’entoure d’une nouvelle équipe qui tourne autour de Gérald Bonnegrace (percussionniste et compositeur du groupe Arat Kilo) et quelques autres bienvenus, ainsi que d’une nouvelle équipe de production (Accords Croisés). Le résultat est doux comme le thé noir sucré et bouillant que l’on boit là-bas, multiple par les influences qui continuent d’inspirer Djeli Moussa Condé et, je crois, surtout très moderne par ce choix de sortir des stéréotypes d’un instrument ancestral et immémorial où presque. Il y a dans cet album, au détour de l’attention que l’on veut bien lui donner, des effluves de la musique Mandingue, quelques échos blues de cette région, de plus lointaines sonorités caribéennes mélangées subtilement avec tout ce qu’il aura pu glaner sur les routes, sans oublier ses propres racines. Tout cela donne un résultat musical enjoué et reposant dans lequel notre griot urbain chante des textes engagés sur la paix et l’espoir. Et ça ne peut que nous faire du bien. Une réussite. – Patrick Derrien


Charlie Watts

Anthology

BMG  BMGCAT816DCD

Charlie Watts, le mythique batteur des Stones, est mort à Londres le 24 août 2021, à l’âge de 80 ans. Il fit ses débuts en 1961 dans un groupe amateur, Blues Incorporated, dont les leaders Alexis Korner et Cyril Davies offraient à de nombreux musiciens de passage – dont Mick Jagger au chant, Ginger Baker à la batterie ou Jack Bruce à la contrebasse – d’intégrer épisodiquement le band. Charlie Watts laissera définitivement sa place à Ginger Baker pour devenir batteur professionnel des Rolling Stones en 1963, remplaçant Mick Avory, un de leurs batteurs occasionnels, lequel intègrera les Kinks. Watts dénote avec les autres membres du groupe par son calme, sa vie « rangée », tranquille. Autre particularité, alors que les compères Mick Jagger et Keith Richard ont une passion sans borne pour le Blues, Charlie est très attiré par le Jazz, son premier amour. Aussi, en parallèle de sa carrière avec le groupe de rock britannique ou d’enregistrements blues marquants tels que l’album « London Session » de Howling Wolf en 1971, Charlie Watts enregistrera des disques de jazz sous son propre nom. Sa manière de tenir la baguette de la main droite, son style si particulier, sa technique peu démonstrative, pouvaient certes apparaître « décalés » par rapport à l’image qu’on se fait d’un batteur de rock, mais ce fut certainement l’une des clés du groove inégalé de ce groupe iconique avec lequel il fera toute sa carrière. Le double CD proposé par BMG est un petit bijou. 16 titres dans le CD1, 11 dans le CD2, dont trois inédits, sont au programme. C’est du jazz, avec orchestre et cuivres, et un véritable hommage à de grandes figures du genre. Au programme Bennie Goodman (dont le tonitruant Stompin’ At The Savoy qui ouvre le CD1), Duke Ellington, Charlie Parker, Gershwin, … mais aussi des figures du jazz au répertoire moins revisité et trois compositions de Charlie Watts, dont le très syncopé Roy Haynes, morceaux hommage d’ouverture du CD2 dans lequel son talent de jazz drummer est plus que palpable. On aurait aimé que le livret – par ailleurs superbe avec de belles photos noir et blanc – fasse part des crédits musiciens et des détails des sessions ; il contient en revanche un texte remarquable de Paul Sexton issu d’interviews multiples durant 25 ans, justement intitulé « A Study in modeste elegance : Charlie Watt’s Life in Jazz ». « Élégance » est certainement l’un des termes les plus appropriés concernant ce formidable musicien qu’était Charlie Watts. – Marcel Bénédit


Various Artists

Girls
Vocal Girl Groups
Jazz, Pop, Doo-wop, Soul 1931-1062

Frémeaux & Associés FA 5847 (Box 3 CDs) – www.fremeaux.com

Les groupes vocaux féminins, souvent familiaux (sœurs, cousines) sont apparus à la fin des années 20 et ont suscité un engouement impressionnant et persistant pendant des décennies avec leurs harmonies vocales dans tous les domaines, du jazz au doo-wop, de la pop à la country en passant par la soul. Dans une Amérique toujours hantée par ses démons du racisme et des discriminations, il n’est pas étonnant que ce soient d’abord des chanteuses blanches qui aient lancé ce phénomène, ce qui n’enlève rien à leur talent bien sûr. Aussi est-il fort agréable de retrouver dans cette compilation des groupes de chanteuses célèbres, souvent soutenues par des orchestres de jazz talentueux comme les Frères Dorsey, Buddy Freeman, etc. Ainsi on retrouve les Boswell Sisters dans quelques-uns de leurs succès (Mood Indigo en 1933, Alexander’s Ragtime Band en 1934, etc.), les Andrews Sisters (Bei Mir Bist Du Schoen en 1937, Tuxedo Junction en 1940, Boogie Woogie Bugle Boy en 1941, etc.) et des groupes que je connaissais moins – voire pas du tout – et qui valent le détour, comme les De Marco Sisters (Bouillibaise en1953), les Dinning Sisters (Aunt Hagar’s Children Blues en 1945), les Fontane Sisters (Castle Rock en 1951) et autres King Sisters (In The Mood en 1939), à retrouver sur le CD1 (26 faces) et au début du CD 2 (28 faces). À noter sur CD 1 un duo africain-américain, les Dandridge Sisters (Vivian et Dorothy) avec Minnie the Moocher is Dead (1940) en se souvenant que Dorothy Dandridge fit une belle carrière plus tard dans la chanson et au cinéma (Carmen Jones, Porgy and Bess). C’est à partir du milieu des années 50 que des groupes de jeunes filles noires vont rejoindre la vague du rock’n’roll et du doo-wop avec, en précurseures, les Hearts en 1955 avec Lonely Hearts, suivies d’une foule d’émules comme les Paris Sisters et des groupes venant directement du black gospel et du R&B comme les Enchanters/ Deltones, les Queens de Shirley Gunter, les Cookies (adoptées par Ray Charles qui les rebaptisera les Raelets), les 3 Tones of Joy (avec le Johnny Otis Show), les Quin-Tones, les Chantels, les Bobettes, les Miller Sisters ou les Staple Singers de Pops, Yvonne et Mavis Staples, etc. : présents sur CDs 2. À la fin des années 50, les artistes noirs ont voulu franchir la frontière raciale et accéder au circuit blanc au prix d’une édulcoration des rythmes, mélodies et texte, et ce sont d’autres groupes qui vont occuper le devant de la scène comme les Shirelles, les Blossoms, les Crystals, les Darling Sisters (rebaptisées Ronettes par leur producteur Phil Spector), les Chiffons avec Judy Craig, les Marvelettes, Martha Reeves (& The Vandellas), les Supremes de Florence Ballard puis Diana Ross, les Charmaines, les Tonettes, les Ikettes (de Ike Turner), les Orioles, Patti Labelle et les Bluebelles et les Starlets qui sont à l’honneur dans le CD 3 (28 faces). Elles sont toutes là et c’est à une re-découverte fascinante qu’est confronté l’heureux possesseur de ce coffret remarquablement documenté qui fait revivre toute une époque et rappelle (ou crée) beaucoup de bons souvenirs. – Robert Sacré


Ray Agee

An introduction to the Blues Of Ray Agee
Another Fool Sings The Blues

Jasmine Records  JASMCD3258 – www.jasmine-records.co.uk

Ray Agee fait malheureusement partie des obscurs et sans-grade de la musique afro-américaine, plus précisément du blues californien, mais dont la cote (à juste titre) fut toujours et reste élevée auprès des nombreux amateurs de sa musique et des collectionneurs. Natif d’Alabama, il enregistra plus d’une centaine de faces, fonda son propre label (Krafton Records). Il persista contre vents et marées à enregistrer, au fil des décennies, des 45 tours pour une kyrielle de petites compagnies (y compris début 70 dans le studio de Ike Turner à Inglewood où il grave le somptueux It’s Hard To Forget pour Romark Records). Révéré par les musiciens mais inconnu du grand public, il passe ses dernières années à « survivre » financièrement. Il rend son dernier souffle à Los Angeles en 1989, non sans avoir publié un 45 tours de Gospel (The Lord I Gonna Shake This Old World) sur sa nouvelle et éphémère compagnie, baptisée Born Again. Après son album qu’il avait auto-publié en 1972 (« Somebody Messed Up », KRS-1101), les compilateurs s’intéressent enfin à son œuvre avec la présence du superbe Tin Pan Alley sur la compilation « Texas Guitar – From Dallas To L.A. » (Atlantic Records). Sur ce morceau, il est épaulé par le remarquable guitariste Johnny Heartsman. Il faut attendre dix années supplémentaires pour que le LP intitulé « Tin Pan Alley » des Hollandais de Diving Duck Records rassemble quelques-unes des meilleures compositions du chanteur. En 1984-1985, Mr R&B Records édite deux albums qui couvrent un large spectre de ses enregistrements puis, en 1994, le label pirate Famous Groove édite trois CD qui regroupent entre autres des morceaux jamais réédités. Plus proches de nous, nous retrouvons également quelques titres chez Ace Records notamment sur les compilations « New Breed Workin’, Hard To Explain : More Shattered Dreams » et « The Ebb Story » (liste non exhaustive). Cette nouvelle compilation regroupe 24 titres enregistrés entre 1951 et 1960 ; le natif de Dixon Mills en Alabama enregistre alors aux côtés du pianiste J.D. Nicholson pour le compte du label Elko, puis avec la formation de Maxwell Davis quelques mois plus tard pour Aladdin Records, avant d’enchainer les séances pour des compagnies tel que Spark Records, Veltone, Cash ou encore Mar-Jan et Shirley. Les titres sont bien sûr magnifiques, la voix grave de l’un des pionniers du Blues de la Côte Ouest prend aux tripes sur des compositions comme Deep Trouble, Another Fool (Sings The Blues), Till Death Do Us Part, sans omettre True Lips, Pray For Me et tant d’autres merveilles. Souhaitons ardemment qu’un deuxième volume voit le jour chez le compilateur britannique, car les sessions avec l’orchestre de Zeke Strong pour le compte de Celeste Records sont remarquables, tout comme ses productions pour les compagnies Brandin, Krafton (son label), Prowlin’, Watts Ways ou Fatback Records. Ray Agee fut adulé par les musiciens, il existe un formidable document sonore d’une des émissions de radio de Johnny Otis sur KPFA en 1970 où l’on retrouve le bluesman californien aux côtés de Frank Zappa et Shuggie Otis, tous les trois interprétant sa fameuse composition Leave Me Alone. Cette reconnaissance du métier ne l’aida en rien dans sa carrière. Ses dernières années furent économiquement plus que difficiles, mais il n’a jamais abandonné. Plongez-vous sans réserve dans son œuvre intense ; sa longue et magnifique discographie témoigne de son opiniâtreté à produire de superbes chansons malgré les multiples revers qui ont jalonné sa vie. Admirable. – Jean-Luc Vabres


Billy “The Kid” Emerson

My Blues Are Red Hot

Jasmine Records JASMCD2023 – www.jasmine-records.co.uk

Il y a des types comme ça, à qui le succès n’est pas destiné. C’est à travers les autres qu’ils se réalisent, même si, au départ, leurs intentions étaient tout autres. William Robert Emerson fait partie de cette catégorie d’artistes qui passera sa longue vie à donner des titres de noblesses à la volée pour quantité d’autres et dont la reconnaissance ne lui reviendra que très tard. Aujourd’hui reconnu comme figure essentielle du Blues et du Rockabilly par une communauté de plus en plus réduite, Emerson nous quittait ce 25 avril 2023, laissant tout un pan de la musique noire bien orpheline. Tarpon Springs, en Floride, se trouve au bord du golfe du Mexique et a cela de particulier qu’elle détient la plus importante proportion d’habitants d’origine Grecque venue de l’archipel du Dodécanèse dans la mer Egée, pêcher l’éponge dans la baie de Tampa. William Robert Emerson y est né en 1925 et apprend – j’allais dire comme tout ce petit monde – ses premières notes de piano sur les bancs de l’église. Au milieu des années 1940, comme tous les ados du monde, il ne pourra s’empêcher de remarquer les jolies gambettes des pom pom girls du lycée et retiendra cette exclamation vieille comme le monde : « notre équipe est chaude ! ». Ce cri déclamé restera dans sa tête des années avant que ne paraisse chez Sun en juin 1955, un Red Hot frénétique et très inspiré, prenant sa source musicale dans les honky tonk. Pianiste autodidacte, il commence à fréquenter les rades de sa ville et déborde un peu du côté de Tampa Bay jusqu’à ce club de St Petersburg où le boss suggère que le groupe s’habille en cowboys hors-la-loi. Billy deviendra “The Kid”, of course ! En 1943, il s’engage dans la marine, s’en libère à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et fréquente assez brièvement l’université A & M de Floride grâce à une bourse, accompagne au piano quelques bonnes fréquentations comme Ivory Mitchell, Billy Battle et autre Alfonso Brown avant de tout lâcher pour rejoindre l’armée de l’air en 1952. Stationné à Greenville dans le Mississippi, il y rencontre Ike Turner alors en tournée avec son groupe, les Kings of Rhythm. Turner est aussi un chasseur de tête pour différents labels, mais décide qu’Emerson serait bien dans son groupe. À la fin de ses engagements militaires, “The Kid” rejoint Ike (où lui et ses Kings jouent sous le nom des Delta Cats) qui, en toute logique, le présente à Sam Philips (Sun Records) qui voit tout le potentiel dans ce jeune homme au style particulier et terriblement moderne. Et si If Lovin’ Is Believing couplé à No Teasing Around (ce dernier titre étant une très belle ballade dans laquelle on retiendra plus le jeu pertinent de Ike que le chant d’Emerson) avec Turner à la guitare reste un petit succès d’estime, Sam Philips a déjà d’autres projets pour ce gars de Floride. Entre 1954 et 1956, Emerson enregistre une poignée de singles, mais ne dépasse le local que par l’intermédiaire d’autres artistes comme Billy Lee Riley qui reprend Red Hot (le revivaliste Robert Gordon en fera une version aussi et les Beatles qui débutent l’incorporeront dans leurs premiers sets), ou encore Elvis avec When It Rains, It Really Pours. Mais tous ces succès seront au détriment des artistes noirs qui resteront dans l’ombre des blancs qui alignent reconnaissances et gloires en interprétant des titres écrits par d’autres. De guerre lasse, Billy Emerson quitte le Sud en 1956 et rejoint Chicago où tout est possible et signe chez Vee-Jay records, le label de banlieue fondé en 1953 par Vivian Carter et James Bracken, qui restera jusqu’à l’arrivée de la Motown, fin des années 1950, la plus grosse boite dirigée par des Noirs Américains. Là, il enregistre aussi une poignée de singles dont Every Woman I Know (Crazy ’bout automobiles) qui sera repris bien plus tard par Sam the Sham & the Pharaohs et, plus loin encore, par Ry Cooder. Mais à l’horizon toujours pas de reconnaissance, alors notre homme rejoint une autre grande écurie du blues et du rhythm’n blues : Chess, la bien nommée… Pour Chess, Emerson n’enregistre que trois singles mais reste efficace et actif en tant que musicien de session et auteur-compositeur (Willie Mabon, Buddy Guy, Junior Wells, Sonny Boy Williamson, Howlin’ Wolf entre autres lui doivent quelques titres bien sentis). Et malgré d’autres enregistrements sur des petits labels comme USA Records, MAD, M-Pac, rien n’y fait. Décidément, Emerson reste un gars de l’ombre. En 1966, Billy “The Kid” Emerson engage un procès envers Sam Philips le truand qui refuse de lui verser ses droits pour Red Hot. Il gagne et prend 2500 dollars qui lui serviront à monter sa propre boîte, Tarpon Records, avec laquelle il sort ses propres morceaux mais aussi ceux d’une future grande dame, Denise LaSalle. Matt “Guitar” Murphy aussi, d’ailleurs soit dit en passant. Les années 70 seront discrètes malgré un comeback fin de la décennie avec un single pour Rooster et quelques concerts européens. Mais tout ça reste éphémère et Emerson choisit de se tourner vers la religion, devenant pasteur d’une église dans l’Illinois en 1986 après une expérience plutôt flippante durant laquelle il se fait opérer du côlon et est laissé pour mort. Il reste trois jours à la morgue jusqu’à ce qu’on le découvre respirant à peine et qu’on le soigne ! Suite à cette « expérience », il se tourne vers la chrétienté et ne chantera plus que des gospels, ceux qui, dès l’enfance, lui donnèrent ce goût pour la musique. La boucle est bouclée ! Jasmine, comme d’autres labels avant (et je pense au travail de Bear Family en 2009) consacre ce volume à ces premières années durant lesquelles Billy Emerson compose d’excellents titres racés et tranchants pour Sun, Vee-Jay, Chess et Mad, toujours bien accompagné par Ike ou Phineas Newborn avec lequel il montera un groupe dans cette jeunesse qui n’aura pas tenu toutes ses promesses. – Patrick Derrien


Various Artists

Deep Sea Divas
Crying The Blues 1945-1954

Jasmine Records JASMCD3264 – www.jasmine-records.co.uk

Voici une sélection de chanteuses dites de r’n’b, blues ou jazz qui ne devinrent pas des vedettes, sauf peut-être Helen Humes avec son fameux Beba ba le ba booghie, mais elle a fait bien mieux au cours de sa longue carrière. Certaines sont assez impressionnantes comme Gloria Shannon avec son Station Blues ou Pearl Traylor dans The Pawnshop Man grâce aussi à la trompette de Teddy Buckner. Effie Smith fit aussi une longue carrière en tant que chanteuse dans les orchestres de Lionel Hampton et de Benny Carter, mais ici elle n’est pas bien mise en valeur dans Rack ‘em Back. Olive Brown était une très bonne chanteuse. Numa Lee Davis semble intéressante, mais le son de ses deux morceaux n’est pas fameux, comme sur d’autres titres. Les autres dames présentes ici sont des seconds couteaux : Rose Nelson, Baby Rosetta, Geneva Vallier ou Sheba Griffin n’ont pas laissés beaucoup de traces dans le monde de la musique. Un disque pour collectionneur avec des hauts et des bas. – Marin Poumérol


Preston Love

Reflections In Rhythm & Blues

Jasmine Records JASMCD3245 – www.jasmine-records.co.uk

La carrière de ce chanteur et saxophoniste né à Omaha, Nebraska, en 1921, atteint son zénith (relatif tout de même) dans la première moitié des années 50, après plusieurs saisons au sein des orchestres de Count Basie, Lucky Millinder, ou aux côtés de Ray Charles. Ami de longue date de Johnny Otis, il décroche en 1951 l’occasion d’enregistrer sous son propre nom pour le label Fédéral. Sa petite formation comptera quelques vedettes de passage comme le pianiste Hampton Hawes, les guitaristes Gene Philips et Pete Lewis, le chanteur Frankie Ervin et des interprètes plus réguliers tels une autre pianiste, Devonia Williams, ou le chanteur Charles Maxwell. Le répertoire oscille entre blues, jazz, ballades, rock’n’roll (Jumpin’ for Charles, Feel So Good, Suicide Blues (pas triste du tout, de prime abord), exotisme (Voodoo). Les ventes ne suivent pas, au désespoir du patron Syd Nathan. L’incertitude plane quant à la réelle présence de Preston Love sur deux titres : Ooh-La Cha-Cha et I’m Not A Tree. Du moins son orchestre est-il crédité. Quant aux quatre derniers morceaux – dont l’excellent Country Boogie – il en est absent, en dépit de la décision de son producteur Johnny Otis de le créditer. Johnny et son fils Shuggie seront toujours là en 1969 pour un excellent album instrumental de retour, « Omaha Bar B Q ». Une réédition très intéressante. – Dominique Lagarde


Mel Walker

Turn The Lamps Down Low 1950-1953

Jasmine Records JASMCD3249 – www.jasmine-records.co.uk

Le chanteur Mel Walker fut le vocaliste vedette (avec Little Esther) de l’orchestre de Johnny Otis de 1950 à 1953. C’était avant tout un crooner et un bon nombre des morceaux réédités ici sont des ballades sentimentales un peu mièvres, mais il y a aussi des morceaux au rythme enlevé qui sont excellents avec Pete “guitar” Lewis et Johnny Otis (au xylophone) : Strange Woman, Turn The Lights Down Low ou Walk My Blues Away sont de petites perles. De très bonnes chanteuses lui donnent la réplique : Ada Wilson ou Melba Liston et son orchestre et puis il y a la superbe séance de 1953 pour Mercury avec les compositions de Leroy Kirkland (voir à ce sujet le très bon CD de cet artiste : JASMCD 3211). Dans l’ensemble, sur les 27 titres de cette compilation, seulement une douzaine sont un peu légers, mais on se rattrape largement avec le reste qui donne un très bon disque de r’n’b classique grande époque. Mel walker fut arrété pour des problèmes de drogue en 1954 et sa carrière n’alla pas plus loin… Dommage ! – Marin Poumérol


Ann Cole

Got My Mo-Jo Working 1954-1962

Jasmine Records JASMCD3762 – www.jasmine-records.co.uk

Elle nous regarde. Un regard songeur. Une sorte de mélancolie que ne parviennent à dissiper ni le talent du photographe ni celui des maquilleuses. On perçoit un fond de musique. Un tempo familier, une ambiance feutrée ou presque, un piano et une guitare qui mêlent leurs phrases toujours ancrées dans la tradition et dispensent comme une fragrance qui nous enveloppe. La voix d’Ann Cole délivrée de répertoires convenus peut s’abandonner en retrouvant l’ambiance propre à donner le meilleur d’elle-même, mais, bien sûr, sans rien renier des racines. Des racines qu’on retrouve toujours à ras de terre chaque fois qu’on laisse des artistes africains-américains s’exprimer. On entend souvent des amateurs souligner l’importance de la musique sacrée dans l’apparition et le développement du Blues et du Jazz ou de leurs dérivés. Lorsqu’on se penche sur la famille Cole, on risque guère d’être contredit par les faits. C’est dans le groupe familial – largement dévolu au spiritual – qu’elle fait ses premières armes. C’est sur la route, au cours d’incessantes tournées, qu’Anne fait son apprentissage. The Colemanaires, c’est le nom de cleur petite troupe, usent sagement de la voix d’Ann qui est un peu la star d’un clan familial. C’est là qu’elle va découvrir le monde des studios et des artistes, celui des pygmalions de sous-préfectures qui savent si bien distiller de folles espérances, en échange de quelques privautés ? C’est que tout n’était pas si simple dans le métier. Un exemple particulièrement explicite vous est conté en lisant les notes de pochette. Vous y apprendrez ce qui arriva à Ann Cole et à Muddy Waters ! Avant de nous quitter, ré-écoutons ensemble deux exemples qui nous semblent à conserver pour le plaisir : I’ve Got A Little Boy est une petite pépite merveilleuse : une rythmique efficace et agressive au service d’Ann Cole, des textes sensuels, le tout mis en place avec le soutien sans faille du ténor et du guitariste ; et mettons aussi en bonne place la version très agréable de Got My MoJo Working qui soutient celles de bien des chanteuses. Grandes chanteuses et musiciens exceptionnels, rockers ou princes de la Soul, nombreux sont celles et ceux à qui un rendez-vous fut fixé par le Destin. Un de ces rendez-vous prématurés qu’on ne peut annuler. Devant Ann s’ouvrait une seconde carrière, son âge et son talent pouvaient garantir une nouvelle vie. Malheureusement c’est bien une nouvelle vie qui changeait tout. Mais celle-ci, c’était l’accident, le handicap et tout ce qui s’ensuit. Ann Cole avait l’essentiel : une voix. C’est le moment d’en profiter. Ann Cole mérite bien une heure d’attention. Vous serez, croyez-moi- bien récompensés. – André Fanelli


Al Smith

In Session 1952-1958
Fooling Around Slowly

Jasmine Records JASMCD3234 – www.jasmine-records.co.uk

Jasmine consacre un nouveau volume de son intéressante série « in session » à une personnalité importante et peu connue du grand public de la scène de Chicago. Al Smith, originaire du Mississippi, où sa mère aurait possédé un juke joint ou une barrelhouse, posa ses valises à Chicago en 1943 après un passage dans l’US Navy. Il jouait de la basse, devint un chef d’orchestre célèbre qui travailla avec de nombreux artistes. Il composait aussi bien sûr. Il fut le manager de la fin de carrière de Jimmy Reed. Grâce à celui-là, celui-ci signa avec une firme de disques importante, ABC Bluesway. Il devint producteur pour ce label (consultez l’excellente discographie de ce label compilée par Stefan Wirz, https://www.wirz.de). Il créa sa propre maison de disques Blues on Blues ; une vingtaine d’albums à la clé : Jimmy Reed, Detroit Jr, Willie Mabon, Homesick James, Earl Hooker, Big Joe Williams, … Quand il mourut, en février 1974, ses archives disparurent. Pas de downhome blues sur ce disque, mais du solide Rhythm & Blues instrumental ou chanté par Big Bertha Anderson, Bobby Prince (pseudonyme de Charles Gonzales), Dave ‘Dizzie’ Dixon, Little Junior Parker, Larry Birdsong. Al Smith a travaillé avec de nombreux groupes vocaux en vogue dont The El-Dorados, The Dells et The Lyrics qui devinrent The Falcons (rien à voir avec le groupe homonyme de Detroit qui eut dans ses rangs Eddie Floyd, Wilson Pickett, Mack Rice et Robert Ward). La crème de la scène musicale de Chicago est présente : le saxophoniste ténor James ‘Red’ Holloway, le pianiste Horace Palm et le guitariste Lefty Bates. Toutes ces faces virent le jour en 78 et 45 tours sur Chance, Vee Jay, Duke (Little Junior Parker), Falcon et Abner. Quelques titres ont plutôt mal vieilli tels Smokes Get In Your Eyes, Fooling Around Slowly et Distant Love. D’autres vous laisseront indifférents : Slow Mood, I want To Hold You, Annie’s Answer, One, Two, Cha Cha, Left Field, Road House. La majorité des autres titres est toujours agréable à écouter. Tout dépend de vos goûts pour ce type de musique, mais une écoute s’impose avant achat. – Gilbert Guyonnet


Dolores Ware
Chubby Newsome
Honey Brown
Betty James

Four Great Lost and Forgotten R’n’B singers of the 1950s

Jasmine Records JASMCD3254 – www.jasmine-records.co.uk

Quatre grandes chanteuses oubliées des années 50. Oubliées ? Certainement pas : grâce à des disques comme celui-ci, nous pouvons les écouter. Dolores Ware, enregistrée chez Mercury et produite par l’excellent Leroy Kirkland, nous propose dix titres de premier choix dont If I’m Wrong et Can’t Eat, Can’t Sleep. Honey Brown est impressionnante dans son Rockin’ and Jumping, accompagnée par Choker Campbell. Betty James est sans doute la plus rock de ces dames ; ses quatre titres gravés pour Chess en 1961-1962 sont superbes : I’m a Little Mixed Up a influencé plus d’un artiste et Henry Lee est du même tonneau. Chubby Newsome chanta dans l’orchestre de Paul Gayten à New Orleans, mais ses deux titres proviennent d’une séance plus tardive, en 1957, avec le groupe de David Clowney. Non, ces grandes Dames ne seront pas oubliées. – Marin Poumérol


Chuck Jackson

Any Day Now
The Early Years 1957-1962

Jasmine Records JASMCD1170 – www.jasmine-records.co.uk

Les premiers enregistrements de Chuck Jackson, période 1957-1960, sont pour le moins difficiles à décrypter, même pour des discographes chevronnés. Le compilateur s’en explique (et s’en excuse !) dans le livret. Treize chansons publiées sous l’identité de Kripp Johnson et Chuck Jackson, ou de Charles Jackson, remises en ordre ici après avoir été éparpillées il y a fort longtemps sur des compilations bon marché. Des rocks, des ballades marquées du sceau de groupes doo-wop comme les Dell-Vikings ou les Versatiles. Le succès est modéré, mais la voix de ténor acrobatique de Chuck Jackson ne laisse pas indifférent Jackie Wilson qui intègre le chanteur dans sa revue en 1960. À compter de ce moment et de la signature avec le label Wand, les portes de la gloire s’ouvrent. Un premier hit arrive en 1961, I Don’t Want To Cry, co-signé avec Luther Dixon, et des répliques superbes lorsque la plume de Burt Bacharach vient se poser : I Wake Up Crying, Anyday Now. Pour les plus rétifs à cette soul clinquante, il y a toujours le novateur I Keep Forgettin’, l’émouvant The Prophet, le tendre Make The Night a Little Longer. Une approche de la soul très urbaine, sophistiquée, qui trouva son public mais fut supplantée dans le cœur du public par l’émergence de Motown et de Stax. La deuxième moitié des années soixante fut moins généreuse en succès pour Chuck Jackson qui a discrètement quitté ce monde en février dernier, à l’âge de 85 ans. – Dominique Lagarde


Tiny Bradshaw

The Jumpin’ Beat For The Hip Kids 1949-1955

Jasmine Records JASMCCD3252 – www.jasmine-records.co.uk

Pour juger de la nature et de l’importance d’artistes tels que Tiny Bradshaw, il est nécessaire de s’interroger sur le rôle qui était dévolu à leur public et notamment à la proximité de la danse (on pourrait d’ailleurs parler de « danses » tant était étonnante la diversité des pas…). Il est ainsi difficile pour des jeunes gens d’aujourd’hui d’imaginer le rôle primordial dévolu à la danse. Dans notre pays, les « festivals » de jazz relèvent souvent du domaine de la musique contemporaine et rarement des formes plus anciennes.  Au début des fifties, la demande de distractions est en augmentation fulgurante. L’amateur devient consommateur. En matière de musique, c’est le règne des 45 tours en quête de places de choix dans ses listes de performances. Être bien placé, c’est se procurer des revenus voire décrocher un hit… Ou plusieurs… Les amateurs, et en amont les professionnels de toutes catégories, étaient friands d’airs nouveaux, de nouvelles danses. Non pas pour recourir à des improvisations personnelles, mais pour participer à de véritables chorégraphies propices aux affrontements. Le Jazz, c’était le jazz accessible, populaire. Cette musique pouvait être complexe, mais elle demeurait au cœur d’une culture, bien vivante. Au fond, on pourrait trouver certaines correspondances entre les « as de l’accordéon » qui enchantaient les petits bal musettes et les « honkers » saxophonistes faisant trembler les plafonds bas des bistros à musique. L’époque était au changement dans la continuité et la production avait du mal à suivre la demande. Cette demande n’était pas celle d’un public avide de découvrir de nouveaux horizons. La grande masse de la population noire s’est immédiatement détachée des styles trop «  modernes » réservant son intérêt pour le respect de la tradition. Pour s’en convaincre, on peut se référer à l’expérience d’un grand connaisseur de la vie musicale de Harlem, propriétaire et animateur du légendaire Appolo ; ce dernier a pu constater et mesurer le « désamour » entre le public noir et les nouveaux venus de la scène du jazz. Certains jazzmen, Gillespie par exemple, échappaient pourtant à ce divorce. Revenons à Tiny… Toute sa vie il a été au cœur du bouillonnement musical agitant les USA, de Los Angeles à Harlem, sans citer les multiples étapes qui ont jalonné son parcours. Le terme parcours pourrait résumer sa vie entière. Parcours géographique certes, mais aussi parcours musical du premier jazz au rock … Comme toujours – et je vous demande de pardonner une certaine monotonie – la production est assez uniforme et seul le talent individuel peut permettre de briser le carcan. Ne nous trompons pas : cette monotonie n’a pas écarté de grandes réussites. N’oublions pas que ce fut un talentueux multi-instrumentiste et qu’il a égalé les Hampton et autres Buddy Johnson. Que dire de cette immersion dans le swing, sinon que Tiny Bradshaw est reconnu par tous comme l’un des pères fondateurs du Rock and Roll. Sa musique placée au confluent d’influences complémentaires conservera toujours une certaine fraîcheur et The Train Keep-A-Rollin’ restera pour toujours un hymne dévastateur dont les premiers accents ont fait jaillir de leurs sièges les timides les plus endurcis. En conclusion, procurez-vous ces enregistrements sans retard. Ils remplaceront avantageusement les anti-dépresseurs de tout acabit. Tiny Bradshaw nous a privé d’un vrai talent. Comment ne pas se demander ce qu’il aurait pu faire… 51 ans c’était tôt pour nous fausser compagnie… – André Fanelli


Gladys Knight and The Pips

Every Beat Of My Heart

Jasmine Records JASMCD1180 – www.jasmine-records.co.uk

Il est annoncé sur la pochette : 28 tracks from 1958 to 1962, c’est à dire bien avant le succès international de cette formation. Gladys débuta très tôt, puisqu’on peut la voir sur une photo prise au cours d’un concours de chant en 1952, alors qu’elle n’avait que 8 ans. Elle se fit vite remarquer et fonda un groupe avec son frère Bubba Knight Jr et ses cousins William Guest et Edward Patten qui devinrent les Pips grâce à leur manager, un autre cousin, James “Pip” Woods. Le succès fut rapide dès 1961 avec Every Beat Of My Heart chez VJ, puis Letter Full Of Tears, une composition de Don Covay dont ils reprirent aussi l’excellent Come See About Me. Il s’agit de doo-wop bien de son époque, avec quelques bons titres comme Room In Your Heart ou Stop Running Around, mais la majorité de ces faces ont assez mal vieilli, avec leur roucoulades de violons, bien que Gladys Knight soit une superbe chanteuse. Un disque pour fans de doo-wop ou nostalgiques d’une époque. – Marin Poumérol