• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…
Toronzo Cannon
Shut Up & Play !
Alligator Records ALCD 5020 – www.alligator.com
Le maintenant retraité chauffeur de bus de la compagnie chicagoane Chicago Transit Authority, Toronzo Cannon, est aussi un remarquable bluesman. Il chante et joue de la guitare fort bien. Il compose d’excellentes chansons. En outre, la patience le caractérise, ce qui est un gage de qualité. Il prend tout son temps pour produire ses disques. Celui-ci n’est que son cinquième depuis l’auto-produit « My Woman » en 2006. Après deux excellents CDs pour Delmark, « Leaving Mood » en 2011 et « John The Conquer Root » en 2013, l’authentique talent Toronzo Cannon signa un contrat avec Bruce Iglauer et Alligator Records. « Shut Up And Play ! » est le résultat de leur troisième collaboration, cinq ans après « The Preacher, The Politician Or The Pimp » (ALCD 4995). Toronzo Cannon s’inspire de Hound Dog Taylor, Muddy Waters, Elmore James, Albert King, Son Seals et Jimi Hendrix. Il délivre avec ce nouveau disque douze compositions originales marquées du sceau de son chant intense et de son jeu de guitare flamboyant au service de sa voix. Il est un brillant guitariste, mais pas démonstratif. Dès les premières mesures de Can’t Fix The World, commentaire acerbe sur l’hypocrisie de notre société, votre oreille accrochera et vous ne pourrez plus décrocher jusqu’à la conclusion Shut Up And Play ! Il faut du culot en 2024 pour créer une excellente chanson intitulée I Hate Love en ces temps où on nous bassine avec l’amour. Guilty, Message To My Daughter et Shut Up & Play sont des exemples de ce qui peut se faire de plus créatif dans le blues contemporain. Au milieu de cette orgie électrique effrenée de Blues, Soul, Gospel et Rock, My Woman Loves Me Too Much, un beau duo acoustique avec l’harmoniciste Matthew Skoller, calme les esprits. Citons les artisans de cette grande réussite : le bassiste Brian Quinn, le pianiste et organiste Cole DeGenova et les batteurs (selon les titres) Jason ‘Jroc’ Edwards et Phil ‘Dante’ Burgess Jr. Voici certainement l’un des meilleurs disques Alligator de ces dernières années. Il sera disponible à partir du 7 Juin en CD et vinyl jaune. – Gilbert Guyonnet
Roosevelt Booba Barnes & The Playboys
Raw Unpolluted Blues
New Shot Records NSR 27012024 – newshotrecords.com
La disparition en avril 1996 de Booba Barnes nous avait laissés orphelins. Quelques années plus tôt, il avait donné la gérance de son club basé à Greenville à son frère pour s’installer à Chicago. Il avait alors nourri l’espoir qu’après ses passages remarqués dans les films « Deep Blues » et « Mississippi Blues », ajoutés à son formidable album « The Heartbroken Man » paru sur le label de Jim O’Neal, que sa soudaine notoriété allait enfin lui permettre de se faire une place au soleil. Pour l’avoir vu un soir d’hiver 1992 dans un club de la Windy City, avec un certain Lurrie Bell qui jouait alors dans son groupe, on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que la Capitale du Blues l’avait définitivement adopté. Grâce au label italien New Shot Records créé par Renato Bottani et Marco Melzi, nous avons droit aujourd’hui à un formidable album qui nous permet de découvrir deux concerts de ce formidable musicien. Les cinq premiers titres – totalement inédits – datent du 14 septembre 1991, ils proviennent du Nave Blues Festival (Lombardie), tandis que les huit suivants furent captés en juillet de la même année lors du Mississippi Valley Blues Festival qui se déroula à Davenport (Iowa). Détail qui a une importance primordiale : nous n’avons pas à faire ici à une session « pirate » prise à la sauvette par un fan, mais aux enregistrements officiels des organisateurs. Le rendu sonore proposé est excellent. Précisons également que sur Internet on pouvait déjà trouver le concert de Davenport, mais avec une qualité sonore bien moindre. La musique dispensée par le natif de Longwood dans le Mississippi, admirablement épaulé dans sa tâche par le regretté Lil’ Dave Thompson à la guitare, est formidable. À l’écoute des compositions denses et hypnotiques comme Heartbroken Man, Ain’t Gonna Worry About Tomorrow, How Long This Thing Must Go On ou encore You Must Be Lovin’ Someone Else, on se rend compte que la musique âpre et belle du propriétaire du Playboy Club sur Nelson street était le reflet de sa vie aux multiples facettes, ayant toujours abordé cette dernière sans faire aucune concession. Cet album vous prend littéralement aux tripes, pour ne plus vous lâcher. La camarde est malheureusement passée bien trop tôt, Roosevelt « Booba » Barnes, avait encore tant de choses à nous faire partager. Saluons comme il se doit le travail admirable de ce nouveau label transalpin. Les fans de “Booba” savent déjà qu’il sera impossible de faire l’impasse sur ce disque magnifique. – Jean-Luc Vabres
Linda Lee Hopkins
Spirit & Soul
Enchanté LP003 / Believe
Native de Caroline du Nord, Linda Lee Hopkins est tombée dans la musique en assistant aux performances du groupe de gospel amateur de son père. Elle monte son propre groupe dans les années 80, après avoir chanté dans plusieurs autres dans les années 70. Elle participe ensuite à une comédie musicale à Atlantic City. Elle passera quelques années à Saint Martin avant de partir pour Paris en 1991. Dès lors, elle ne quittera plus la France. Ses qualité vocales feront le bonheur d’artistes en studio ou sur scène tels Nino Ferrer, Bernard Lavilliers, Gloria Gaynor, Percy Sledge, Ray Charles et d’autres. En 2002, elle pilotait « The Beat Goes On », tube house du DJ Bob Sinclar, elle dirigeait alors la méga chorale Gospel pour 100 voix. On la retrouve chantant sur Hallelujah !!! (J’ai tant besoin de toi), single phare du deuxième album de Benjamin Duterde (aka “Ben l’Oncle Soul”) en 2013. La collaboration ne s’arrêterait de fait pas là… Devant de telles qualités vocales et artistiques, Benjamin présentera Linda à son complice, le guitariste Christophe Lardeau, qui composera la musique de ce premier album, « Spirit & Soul », dont Linda a écrit tous les textes. C’est un enregistrement de douze titres absolument magiques, sans aucun temps faible, où le Gospel règne en maître. Si l’ambiance musicale de studio plutôt feutrée domine, un morceau comme Lord It’s True et le jeu de guitare très « mississippi » de Christophe Lardeau sort du lot, avec son rythme hypnotique et cette voix transcendée. Magnifique ! Des morceaux à consonance très soul sont aussi présents, dont Gave It All To You. Comment ne pas penser à Sam Cooke et aux Soul Stirrers à l’écoute de ce titre ? Ou encore à Mavis et aux Staples Singers en se délectant de One More Chance et de ce duo qui donne littéralement le frisson, entre Linda Lee Hopkins et la voix chaude de Benjamin Duterde ? Grâce à cette formidable équipe de musiciens et de choristes, un excellent travail de mixage et une écriture remarquable, ce disque porte d’emblée très haut Linda Lee Hopkins que nous aimerions voir dans cette configuration, sur scène, au plus tôt. – Marcel Bénédit
Reverend Scottie Williams, Sr
Beams of Heaven : Gospel Hymns & Songs
Featuring Elsa Harris and Richard Gibbs
The Sirens records – SR5033 – www.thesirensrecords.com
La vaste communauté des artistes de Chicago s’exprimant dans le répertoire sacré sait pertinemment le travail exemplaire effectué depuis de nombreuses années par Steven Dollins pour les mettre en valeur sur son label, The Sirens Records. Cette nouvelle production met aujourd’hui sous les feux de la rampe le Reverend Scottie Williams Sr, natif de Greenwood dans le Mississippi. Après des études théologiques à la New Orleans Baptist Theologiocal Seminary ainsi que dans d’autres établissements, il est ordonné en avril 1988 par le Dr. James A. Boyd au sein de la Zion Gate M.B. Church. Après avoir exercé divers ministères au sein de son État natal et en Alabama, il s’établit à Chicago en 2001. Il reste douze années à la Metropolitan M.B. Church avant de rejoindre, dans le quartier d’Austin, le Christ Tabernacle Missionary Baptist Church. Cette paroisse est fort connue grâce au travail du Reverend Milton Brunson qui dirigeait la Thompson Community Singers. La formation enregistra au fil des décennies pour diverses compagnies comme Vee Jay, Creed ou encore Rejoice. De nombreux artistes accompagnèrent le chœur, dont le regretté Jessy Dixon, qui proposa par la suite à la pianiste Elsa Harris de venir le rejoindre. À noter que ces deux formidables artistes ont enregistré pour The Sirens Records deux magnifiques albums (« In The Right Hands » – SR-5010 et « I Thank God » – SR-5026). C’est justement Elsa Harris qui conseilla à Steven Dollins de venir écouter le Reverend Williams dans son ministère. Elle savait qu’il avait un énorme potentiel et qu’à ce jour il n’avait jamais encore enregistré. Le boss de The Sirens Records, une fois sur place, se rendit compte des grandes possibilités du Reverend. Une session fut rapidement mise en place à l’automne 2023 ; elle rassembla en studio l’indispensable Elsa Harris au piano, mais aussi le talentueux Richard Gibbs à la basse et à l’orgue, Kenard Pulliam étant la batterie, tandis que Felicia Coleman-Evans et Armirris Collins firent les chœurs. L’album débute somptueusement avec le grand classique When The Gate Swing Open, mettant immédiatement en valeur les qualités ses vocales, Scottie Williams sait parfaitement mélanger dans son interprétation force et sensibilité, au point de nous émouvoir dès les premières secondes. Les onze titres proposés appartiennent aux grands classiques, ils ont été composés par les plus grands, à savoir Charles Albert Tindley pour le somptueux Beams Of Heaven, le Reverend L.C. Franklin pour Your Mother Loves Her Children ou encore Thomas Dorsey avec l’inamovible The Lord Will Make a Way Somehow. Si vous êtes des fidèles du label de la Windy City, ce nouvel album tiendra, comme les précédents, une place de choix au sein de votre discothèque. Saluons l’opiniâtreté de Steven Dollins qui, grâce à ce nouvel album, nous démontre une fois encore le talent, la vivacité et la vigueur de la scène sacrée de cette ville qui est nous est si chère. – Jean-Luc Vabres
Liz Wright
Shadow
Blue & Green Records
Ce que Liz Wright partage avec notre amie Candice Ivory, ce n’est rien d’autre que l’authenticité. Un album qui s’ouvre royalement avec la chanson qui donne son nom à l’album et hop ! Une collaboration avec l’excellente Angelique Kidjo, c’est Sparrow… Alors, refaisons un peu l’histoire de cette artiste. Liz Wright à l’âge de 22 ans s’est d’abord fait un nom au niveau national en tant que chanteuse lors d’une tournée hommage à Billie Holiday. À 23 ans, elle a signé avec Verve Records pour la sortie en 2003 de son premier album, « Salt », qui a culminé au sommet des charts de jazz contemporain de Billboard. Elle a ensuite enregistré pour Universal Music Group et sorti les albums « Dreaming Wide Awake » (2005), « The Orchard » (2008) et « Fellowship » (2010). Chez Concord, elle a sorti « Freedom & Surrender » (2016), avec le single Lean In (qui a figuré sur la playlist d’été 2016 du président Obama) et « Grace » (2017). Sur ce nouvel album, « Shadow », Liz Wright travaille avec l’ingénieur de renom Ryan Freeland (Bonnie Raitt). « Shadow » met en vedette les artistes acclamées Angelique Kidjo et Meshell Ndegeocello. Un album sur fond acoustique avec des artistes remarquables : Kenny Banks Sr. (orgue Hammond B3), Rashaan Carter (upright bass), Deantoni Parks (drums), Melissa Bach (cello), Katherine Hughes (violin), Jeff Yang (viola), Elizabeth Brathwaite (violin). Un album aussi aérien que profond, qui fait une belle place a des textes magnifiques servis talentueusement et avec justesse par cette grande interprète ; et je ne suis pas le seul a le penser, puisque The New York Times présente Liz Wright comme étant « un alto doux et sombre, possédant des qualités que vous pourriez associer à un bourbon vieilli en fût ou à du cuir doux comme du beurre ». La chanteuse et auteure-compositrice chante avec une réflexion majestueuse sur le tissu culturel de l’Amérique. Liz Wright est l’une des grandes chanteuses américaines modernes avec une carrière illustre de vingt ans, transcendant les clivages sociaux avec son offre d’amour et de profond sentiment d’humanité. Non contante d’être cette merveilleuse artiste qui vole de succès en succès, elle a lancé sa propre maison de disques indépendante, Blues & Greens Records, avec la sortie en juin 2022 de « Holding Space », un brillant album live (produit par Christian Ulbrich) capturant un concert à Berlin, en Allemagne, en 2018, ainsi qu’un court métrage compagnon, « Holding Space » (produit par Monica Haslip et Lynne Earls). Sa démarche novatrice de label est conçue avec un modèle commercial où les artistes sont positionnés pour construire des carrières saines. Après vingt ans de contrats avec de grands labels, Liz Wright possède désormais ses enregistrements maîtres pour la première fois de sa carrière. Blues & Greens Records crée un écosystème sain avec des pratiques commerciales durables et sonores en première ligne. C’est un album qui sera difficile à classer, profondément enraciné dans l’histoire de la musique noire américaine. Chacun y trouvera des inspirations sincères qu’il pourra comparer avec ses connaissances, bien sûr on est souvent proche du Blues sans complètement tomber dedans, mais aussi de la Folk music, du Jazz et que sais-je encore. Étant aussi producteur, j’attache une grande importance au traitement de la voix, ici un bel équilibre est trouvé entre la fragilité de la voix et les instruments. C’est le genre d’enregistrement qui se pense longuement, qui se peaufine, ou rien n’est laissé au hasard et, au final, cela fait un grand album studio d’une beauté et d’une classe absolue. Définitivement les instruments acoustiques restent la meilleure option pour de telles voix. Certainement succomberez-vous à I Concentrate on You, si souvent interprétée ; ici l’authenticité de l’interprétation révèle la magie de Liz. Liz Wright puise son inspiration dans son éducation du sud de la Géorgie où elle était la directrice musicale d’une petite église dont son père était le pasteur. Le chant d’appel et de réponse avec la congrégation de l’église fut sa première expérience musicale. Bientôt, elle traverserait le Great American Songbook sur son chemin pour devenir un trésor international apprécié. Avis aux amateurs de belles voix et de belles réalisations. Vous savez ce qui vous reste à faire… – Thierry De Clémensat
Jeff Rogers
Dream job
Autoproduit – www.jeffrogers.ca
Précédemment membre des Cooper Brothers et du Horojo Trio, cet auteur-compositeur-interprète canadien à la belle voix douce-amère chargée de soul, semble à chaque chanson nous ouvrir des portes sur des tranches de vie. Des expériences personnelles qui tendent vers l’universel (Dream Job, Saving This Bottle of Wine, Her kind of Trouble, …). On pense par moments à Bruce Springsteen ou Bob Seger, mais Jeff Rogers ne se limite pas à ces sources d’inspiration déjà très recommandables. Il a rassemblé autour de lui un groupe pour partir dans les studios de Muscle Shoals en quête du mythe qui doit bien encore subsister dans le décor. Il y a trouvé davantage ! Le savoir-faire du claviériste Clayton Ivey, ou encore une solide section de cuivres pour animer le rock’n’roll de Lock and Key, l’ont convaincu que la magie était encore là. De sa slide, Colin Linden est venu ajouter une touche deep south à Mind of Your Own d’inspiration néo-orléanaise. – Dominique Lagarde
Eric Bibb
Live At The Scala Theatre Stockholm
Stony Plain SPCD 1487 – www.stonyplainrecords.com
On connait tous très bien Eric Bibb grâce à ses nombreux enregistrements et on n’est jamais déçu par ses prestations. Tout est très bien fait, qualité de la voix, musique très cool, mais on ne s’ennuie jamais. Ce disque live enregistré à Stockholm est un pur moment de plaisir, bien qu’il n’y ait aucune surprise. Des classiques déjà interprétés par ailleurs comme Goin’down The Road Feelin’ bad, Things About Comin’my Way, le vieux 500 Miles et une reprise de Leadbelly (Bring Me A Little WaterSylvie) côtoient des compositions de qualité dans le même style comme les excellents Silver Spoon ou River Blues. Eric Bibb me fait penser à Josh White : même sophistication naturelle et apparente facilité. Tous ces titres servis par des accompagnements de qualité assurés par des musiciens suédois (guitare électrique, pedal steel, basse, drums, harmonica, violon, kora, cello, strings) nous permettent de passer 45 minutes très agréables. – Marin Poumérol
John Primer & Bob Corritore
Crawlin’ Kingsnake
SWMAF Records 27
L’harmoniciste Bob Corritore, installé depuis plusieurs décades à Phoenix, continue pour notre plus grande satisfaction sa cadence effrénée de somptueuses publications quasi trimestrielles. Ce nouvel album, enregistré entre l’année 2021 et 2023, est la quatrième collaboration entre le boss du club le Rhythm Room et le bluesman de Chicago John Primer. Autant l’annoncer d’emblée, nous avons droit à un formidable album réussi de bout en bout qui transpire le Blues tel qu’on aime l’entendre jouer, grâce à la formidable complicité des deux artistes. Soulignons également la formation affutée à leurs côtés qui donne le meilleur d’elle-même : coup de chapeau au toujours excellent guitariste Jimi “Prime Time” Smith, mais aussi à Anthony Geraci aux claviers, Wes Starr derrière ses fûts, tandis que le légendaire et inamovible bassiste Bob Stroger répond une fois de plus magnifiquement présent. Sur les douze titres proposés, nous en retrouvons trois de Muddy Waters, à savoir le somptueux Feel Like Going Home, mais aussi les irrésistibles classiques Rosalee Blues et Stuff You Gotta Watch. L’hommage à John Lee Hooker, avec la reprise de sa composition Crawlin’ Kingsnake, est ici formidablement réussi, tout comme la composition Gravel Road de Magic Slim interprétée avec force et conviction. John Primer apporte avec classe et talent une touche nettement funky au classique You’re The One de Jimmy Rogers, tandis que le succès composé par A.C. Reed, This Little Voice, reste toujours aussi enivrant. Hidding Place au tempo implacable à la Elmo, est une composition originale de l’ancien équipier de McKinley Morganfield, tandis que l’admirable Chains and Things appartient au répertoire de B.B. King. Tout amateur de Blues doit se procurer cette formidable session dans laquelle Bob Corritore et John Primer donnent le meilleur d’eux-mêmes. – Jean-Luc Vabres
Sue Foley
One Guitar Woman
Stony Plain Records SPCD1486 – www.stonyplainreecords.com
Sue Foley est une chanteuse guitariste canadienne. Née à Ottawa, elle a fait toute sa carrière à Austin, au Texas. Elle a publié son premier album en 1992, et voici « One Guitar Woman », son 18ème et son premier en solo acoustique, enregistré en juillet 2023 à Austin. Avec douze titres, elle rend hommage aux pionnières de la guitare. Le Blues est bien représenté, avec Memphis Minnie et Sister Rosetta Tharpe. Sue sort avec bonheur de l’oubli deux chanteuses guitaristes des années 30 : Geeshie Wiley et Elvie Thomas. Dans les registres folk et country, on retrouve des interprétations de titres d’Elisabeth Cotten et de Maybelle Carter. Plus insolite, la musique mexicaine, connue sous le nom de Tejano, est représentée par Lydia Mendosa ; Sue reprend le titre Mal Hombre de cette chanteuse et l’interprète en espagnol. Il ne fallait pas oublier la musique classique de la française Ida Presti avec Romance In A Minor de Paganini interprété en instrumental. Enfin, le disque se termine par La Malaguena, un rythme endiablé de flamenco de la chanteuse Charo. Avec ce nouveau disque, on découvre l’étendue culturelle et l’éclectisme musical de Sue Foley, avec un remarquable jeu de guitare. – Robert Moutet
Various Artists
True Blues Brother
The Legacy of Matt ‘Guitar’ Murphy
Nola Blues Records NBR/026 – www.nola-blue.com
Matt ‘Guitar’ Murphy laisser une trace immuable dans le domaine du Blues et de la guitare en particulier. Dès la fin des années 1940 et le début des années 1950, Matt Murphy tourne avec Howlin’ Wolf puis enregistre avec Junior Parker et Ike Turner. On le retrouve ensuite aux côtés de Memphis Slim. La tournée de l’American Folk Blues Festival de 1963 révèlera à de nombreux publics la finesse du jeu de ce guitariste discret et sympathique. Ses collaborations seront multiples : Chuck Berry, Etta James, Muddy Waters, Willie Dixon, entre autres. Durant une décennie (70/80’s), il accompagnera l’harmoniciste James Cotton. Mais ce qui fera surtout connaître Matt Murphy au plan international, c’est son son appartenance aux Blues Brothers de Dan Aykroyd et John Belushi, groupe au sein duquel il reste jusqu’au début des années 2000, et ses rôles dans les deux films devenus des classiques (« Blues Brothers » et « Blues Brothers 2000 »). Il enregistrera aussi quelques albums solo de belle facture. Il a été admis au Blues Hall of Fame en 2012. Matt Murphy nous a quittés le 15 juin 2018. Jean-Luc Vabres l’avait interviewé pour ABS Magazine lors du Chicago Blues Festival 2010, un moment pour nous inoubliable par la gentillesse et la modestie de cet artiste pourtant iconique (ABS magazine n°29 / février 2011). Le label Nola Blue sort, en ce mois de juin, « True Blues Brother : The Legacy of Matt ‘Guitar’ Murphy », un album en son hommage. C’est au drummer et producteur Bob Christina que l’on doit ce projet. Il avait enregistré trois titres avec Matt Murphy lors d’une session qui ne vit jamais le jour car interrompue par le décès de Matt. Il a donc décidé, a posteriori, de reprendre le flambeau et – à côté des trois faces avec Matt ‘Guitar’ Murphy (que l’on retrouve évidemment sur l’album) – de joindre d’autres morceaux auxquels se sont prêtés des amateurs, des amis et des musiciens qui ont joué avec Matt : Billy Boy Arnold, Joe Beard, Doyle Bramball II, Fran Christina & The Original Roomful of Blues, Steve Cropper, Ronnie Earl, Stax Gordon, Tom Hambridge, Jaimoe, Bill Kirchen, Chuck Leavell, Bob Margolin, James Montgomery, Tracy Nelson, Johnny Nicholas, Christine Ohlman, Lee Oskar, Jerry Portnoy, Duke Robillard, Kenny ‘Blues Boss’ Wayne, Toni Lynn Washington. 24 faces de pur bonheur blues qui honorent le grand Matt ‘Guitar’ Murphy ! – Marcel Bénédit
Deb Ryder
Live And Havin’ Fun
Vizztone Label Group – www.vizztone.com
Deb Ryder est une chanteuse auteur-compositrice de blues américaine. Née dans l’Illinois, elle a passé son enfance à Chicago et elle a commencé à chanter à l’âge de quatre ans avec son père Allen R. Swanson qui était crooner. Suite au divorce de ses parents, elle a suivi sa mère en Californie qui, avec son nouveau mari, a ouvert le célèbre club de rock et de blues, le Topanga Corral. Alors adolescente, Ryder a commencé à chanter avec les habitués du club qui étaient déjà des légendes, tels que Etta James, Big Joe Turner, Taj Mahal et Canned Heat. Rider a ensuite réussi une carrière professionnelle dans de nombreux domaines : publicités télévisées, films, comédies musicales. Mais elle a toujours gardé sa passion pour le Blues, tant pour la composition qu’en tant qu’interprète. Avec son mari, le bassiste Ric W. Ryder, elle sort en 2014 « Might Just Get Lucky », son premier disque sur son label Bejeb Records. En 2018, elle signe chez Vizztone Records pour « Enjoy The Ride » qui est son quatrième album. Voici donc son 6ème, enregistré en live dans la petite salle de concert The Mint à Los Angeles. Avec son orchestre habituel, les Bluesryders, elle a Albert Lee, Joe Sublett, Joey Delgado, Artur Menezes et Big Llou Johnson comme invités. Les quatorze morceaux de l’album sont de Deb Ryder et Ric W. Ryder. Avec sa grande capacité vocale, elle est une chanteuses de blues reconnue. Elle se distingue en tant qu’auteure-compositrice et, dès l’écoute de Fun Never Hurt No One (le premier morceau du concert), on ne peut qu’être séduit par le swing qu’elle donne à tout cela. – Robert Moutet
Lluís Coloma and Erwin Helfer
Two Pianos Too Cool
The Sirens Records SR-5032 – www.thesirensrecords.com
Les liens qui unissent Erwin Helfer et Steven Dollins, le patron de The Sirens Records, sont très forts. Le label, basé au nord de Chicago, à Highland Park, nous propose aujourd’hui une onzième session du pianiste. Ces dernières années furent plutôt difficiles pour le musicien, de sérieux ennuis de santé freinèrent son activité. Pour ce nouvel album, il est accompagné par le pianiste barcelonnais Lluís Coloma. Ce dernier rencontra pour la première fois l’illustre musicien grâce à l’entremise du regretté Barrelhouse Chuck. Les quatorze titres font la part belle aux compositions de l’ancien partenaire d’Estelle Yancey à l’image de Stella. On appréciera aussi, entre autres, l’admirable morceau intitulé Paris ou encore l’enlevé Sneaky Pete qui ravira les nombreux amateurs de boogie-woogie. Les grands classiques ne sont point oubliés puisque les deux amis revisitent avec bonheur des standards comma Jambalaya de Hank Williams, le fameux Swanee River Boogie de Pete Johnson, sans oublier Rock House appartenant à Ray Charles, ou encore l’immortel How Long créé par Leroy Carr. Lorsque les partitions sont jouées à quatre mains, le maître et l’élève ne faisant qu’un, les deux virtuoses, au sommet de leur art, nous apportent de grands moments de bonheur. – Jean-Luc Vabres
Leyla McCalla
Sun Without The Heat
ANTI records – www.anti.com
Cela fait des années que je recommande d’écouter Leyla McCalla, pour diverses raisons et en premier lieu son authenticité et la qualité grandissante de ses albums qui ont fait sa réputation, à juste titre. Le nouvel album de McCalla est son cinquième enregistrement en studio. « Sun Without The Heat » est ludique et plein de joie, tout en portant la douleur et la tension de la transformation. Tout au long des dix pistes de cet album, McCalla parvient à équilibrer la lourdeur et la légèreté avec des mélodies et des rythmes issus de diverses formes de musique afro-diasporique, notamment l’Afrobeat, les modalités éthiopiennes, le Tropicalismo brésilien et le Folk et le Blues américains. Pour Leyla McCalla, les textes sont aussi importants que les musiques, c’est ainsi que les écrits des penseurs et penseuses afro-futuristes féministes noires, dont Octavia Butler, Alexis Pauline Gumbs et Adrienne Maree Brown. Comme ces auteurs, McCalla considère l’écriture de chansons comme un moyen d’accroître la foi et l’espoir, d’encourager la pensée communautaire et de catalyser la transformation personnelle : « Écrire des chansons est une modalité pour raconter les histoires qui doivent être racontées. Parfois, ce sont des histoires douloureuses à raconter… », explique-t-elle. Car oui, il y a une forme d’engagement politique dans le parcours de cette artiste pour laquelle tout ce qui se soucie de la condition humaine est important. Née à New York de parents haïtiens immigrés et militants, Leyla McCalla puise son inspiration dans son passé et son présent ; sa musique vibre avec trois siècles d’histoire et d’influences venues du monde entier. Leyla brasse les cultures, en extrait l’essentiel, les refaçonne à son art, et d’ailleurs son art est autant vocal que musical ou littéraire, chaque album correspond donc à une nouvelle recherche, une nouvelle direction et une nouvelle vision. Ici on y trouve des traces de musiques folkloriques et urbaines, les cultures et les villes sculptent les gens, certains y échouent, d’autre comme Leyla y ont puisé leur source. « Sun Without The Heat » a été enregistré lors d’une intense session de neuf jours au Dockside Studies à La Nouvelle-Orléans. Produit par Maryam Qudus, McCalla était accompagnée de partenaires de longue date et de collaborateurs, Shawn Myers à la percussion et à la batterie, Pete Olynciw à la basse électrique et au piano et Nahum Zdybel à la guitare. Qudus est présente aux synthétiseurs, aux orgues et aux chœurs. « En général, je vais en studio avec les chansons et le cadre déjà en tête », explique McCalla. « Mais avec cet album, nous avons construit le cadre en temps réel. C’était un processus intimidant, mais cela m’a aussi permis de réaliser à quel point je suis soutenue par les musiciens avec lesquels je travaille. » De mon point de vue, ce nouvel album est celui qui lui ressemble le plus, arrivant à nous surprendre comme toujours. J’ai été particulièrement touché par les musiques. Il faut être une très grande artiste pour réussir à proposer de tels accompagnements, avec une telle classe et des arrangements d’une incroyable intelligence. Oubliez tout ce que vous connaissez déjà de Leyla McCalla, car cet album est bien plus qu’« indispensable », il est salutaire et tend à nous rendre meilleur… – Thierry De Clémensat
Canned Heat
Finyl Vinyl
Ruf Records RUF 1309 – www.rufrecords.de
Fondé en 1965 à Los Angeles, Canned Heat a participé au Monterey Pop Festival de 1967 et au festival de Woodstock en 1969. Ils sont devenus mondialement connus grâce notamment à trois morceaux : On The Road Again, Going Up The Country et Let’s Work Together et au talent de l’harmoniciste chanteur et guitariste du groupe, Alan Wilson, disparu en 1970 à seulement 27 ans. Au fil des ans, le personnel du groupe a beaucoup changé, avec un total de quarante-six musiciens différents. Mais il en reste du groupe originel, le batteur Adolfo “Fito” de la Parra, qui a donc participé aux quarante albums que le groupe a produits jusqu’en 2009. Après quinze ans de silence, voici donc « Finyl Vinyl », un enregistrement studio de onze titres. Pour cette session, Adolfo a recruté Jimmy Vivino à la guitare, Dale Spalding à l’harmonica et Richard “Rick” Reed à la basse. Ils ont invité le chanteur guitariste Dave Alvin qui interprète Blind Owl, un morceau hommage à Alan Wilson. Il y a aussi à la guitare Joe Bonamassa sur le morceau So Sad. Canned Heat continue à produire un blues-rock qui plait à de nombreux publics et qui fait le bonheur de Ruf Records. Mais la question que se posent tous les amateurs et tous les critiques : le disque « Finyl Vinyl » annonce t’il la fin du groupe ? Le titre de cet album et les morceaux One Last Boogie et When You’are 69 pourraient le laisser penser. Mais l’annonce d’une tournée en 2024 aux États-Unis et en Europe n’est pas annoncée comme une tournée d’adieu. – Robert Moutet
Brothers Brown
Nowhere left to go
Woodward Avenue Records – www.woodwardavenuerecords.com
Les Brothers Brown ne sont frères qu’à la scène. Brother Paul Brown est un claviériste de Los Angeles révélé chez les Waterboys. Originaire de Nashville, l’auteur compositeur, Paul Brown, guitare et chant, s’est fait connaître comme producteur d’artistes à succès tels Al Jarreau ou George Benson. Leur rencontre, associée à une section rythmique, se concrétise aujourd’hui avec cet album de treize titres originaux. Les Brothers Brown s’écartent un peu du blues et de la soul pour nous faire voyager en combi Wolkswagen aux couleurs chatoyantes dans celui d’une pop californienne teintée de psychédélisme et nostalgique de l’ère hippie. D’entrée, Wrong Side of town sonne comme un classique oublié du folk-rock. Pour la touche rhythm’n’blues, Bobby Rush est invité sur Nowhere Left To Go, un des titres les plus funky de l’album. D’autres lorgnent plus vers le heavy rock ou la ballade gospélisante. Le long instrumental – un peu complaisant – Fifteen Minutes, ne nous vole pas sur la marchandise puisqu’il dure 15’35. – Dominique Lagarde
Rick Estrin & The Nightcats
The Hits Keep Coming
Alligator Records ALCD 5019 – www.alligator.com
Ces Nightcats là offrent un formidable écrin au talent d’harmoniciste et de compositeur de Rick Estrin. Imaginez : Kid Andersen, producteur de cet album mixé à Greaseland, est à la guitare et à la basse, Derrick “D’mar” Martin aux drums, Lorenzo Farrell à l’orgue et à la basse. À côté du célèbre combo, on retrouve (entre autres) Jerry Jemmott à la basse sur six titres, The Sons of The Soul Revivers (James Walter et Dave Morgan) assurant les chœurs sur quatre, alors que Charlie Musselwhite, Marty Dodson, Bob Welsh, Bootsie Callinz prêtent amicalement leur voix sur Whatever Happened To Dobie Strange ? qui clôt admirablement le disque. Un album de douze titres sans temps mort, fait en majorité de compositions, qui associe – sur une solide base blues – humour et sensibilité. Si la voix de Rick n’est pas son point fort, elle est bien placée et défendue par un orchestre de rêve, comme sur le réjouissant The Circus Is Still In Town (The Monkey Song). Rick Estrin est quelqu’un de sympathique et modeste, drôle, désinvolte en apparence, mais écoutez bien cet album, ses phrases d’harmonica vont parfois tutoyer les sommets, du côté de Sonny Boy, Little Walter et consorts. L’expérience et le talent sont là. Bien implanté sur Alligator Records, Rick Estrin livre ici à mon humble avis l’un de ses tout meilleurs opus sur le label chicagoan de Bruce Iglauer. – Marcel Bénédit
JP Soars
Brick By Brick
Little Village LVF 1062 – www.littlevillagefoundation.com
John Paul Soars est un chanteur, guitariste, auteur-compositeur américain. Né en 1969 en Californie, il vit actuellement en Floride. Initié à la guitare par son père dès son plus jeune âge, il est d’abord séduit par le hard rock. Après avoir joué dans plusieurs formations, il forme Divine Empire, un groupe de métal avec lequel il va enregistrer quatre albums entre 1998 et 2005. Mais il reste en contact avec des musiciens de blues locaux et il tourne le dos à la scène heavy métal. Ses directions sont très éclectiques. Il va alors, en parallèle du blues, pratiquer le jazz manouche, la country et bien sûr le rock. En 2008, il sort son premier album avec Red Hots, son nouveau groupe. En 2009, il remporte l’International Blues Challenge de la Blues Fondation. Voici donc son spetième album que l’on peut classer dans le domaine du blues malgré le titre Jezebel au rythme nerveux d’un jazz manouche bien agréable et In The Moment, un instrumental assez déroutant. Tous les morceaux sont de JP, sauf That’s What Love Will Make You Do de Little Milton. Sa faculté de passer d’un style musical à l’autre est l’élément majeur de ses concerts. Alors, en espérant le voir bientôt sur les scènes européennes, écoutons ce remarquable album. – Robert Moutet
Katarina Pejak
Pearls On A String
Ruf Records RUF 1312 – www.rufrecords.de
Chanteuse, pianiste et compositrice d’origine serbe, Katarina Pejak joue et chante dans un registre mêlant blues, soul et jazz. Elle a quitté Belgrade, sa ville natale, pour aller étudier au Berklee College of Music de Boston (USA). Après trois albums parus en Serbie, « Perfume & Luck » (2010), « First Hand Stories » (2012) et « Old, New, Borrowed and Blues » (2016), elle signe sur le label allemand Ruf Records en 2018. En 2019, elle participe à la tournée Blues Caravan et se produit pour plus de soixante concerts à travers l’Europe. Son quatrième album, « Roads That Cross », produit par Mike Zito, a rencontré un franc succès tant auprès du public que de la presse. Les sessions d’enregistrement de « Pearls On A String » ont cette fois eu lieu en France où Katarina vit aujourd’hui. Avec Romain Guillot, son mari, coproducteur et ingénieur du son, elle est entourée d’un remarquable trio composé de Boris Rosenfeld (guitare et pedal steel), Sylvain Didou (basse) et Johan Barrer (drums). On notera aussi la participation de son amie, la guitariste californienne Laura Chavez, sur la chanson titre de l’album, et de Dana Colley, du groupe de rock alternatif Morphine, au saxophone sur le jazz Woman. Ce nouvel opus compte dix titres originaux de la main de Katarina Pejac et deux reprises : Money (Pink Floyd) et Honey Jar (The Wood Brothers). C’est un album très personnel, de la conception à la production, avec un vrai talent d’écriture et une grande sensibilité. Katarina en présentera des extraits en tournée avec le Blues Caravan 2024 aux côtés des nouveaux venus chez Ruf : Alastair Greene et Eric Johanson. – Marcel Bénédit
Rick Vito
Cadillac Man
Blue Heart Records BHR 062 – www.nola-blue.com
Originaire de Pennsylvanie, Richard Francis Vito est un chanteur guitariste grand spécialiste de la guitare slide. Il est surtout connu pour sa participation au Fleetwood Mac de 1987 à 1991. Il a aussi joué sur les albums de nombreuses vedettes de blues et de rock comme Bob Seger, Bonnie Raitt, Maria Muldaur ou John Mayall. Mais il a aussi beaucoup enregistré sous son nom et voici son onzième solo, avec douze titres originaux. Dans la chanson titre de l’album, Rick exprime sa passion pour son véhicule préféré, une Cadillac. Tous les morceaux sont de lui, sauf Just Another Day de Sam Cooke. Il reprend aussi It’s Two A.M., un morceau qu’il avait écrit pour Shemekia Copeland et qui lui avait valu, en 2001, un W.C. Handy Award. John Mayall a écrit : « Mark Vito est un maître de l’instrument, il reçoit enfin l’attention qu’il mérite ». Et à l’écoute des 46 minutes de ce CD, nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui. – Robert Moutet
Boogie Beasts
Neon Skies & Different Highs
Donor Productions / Inouie
Un concert des Boogie Beasts est une expérience artistique et physique ! Mes articulations à peine remises d’un récent accident en ont fait les frais lors d’un BLues Rules Festival à Crissier… Outre l’excellence et l’intensité de la prestation scénique, ce fut l’occasion de parler quelques instants avant concert avec cette bande de potes que sont Fabian Bennardo (harmonica), Jan Jaspers (guitare, chant), Patrick Louis (guitare, chant) et Gert Servaes (batterie). Un chouette moment (pour moi en tout cas) où nous évoquâmes notre ami Jean-Pierre Urbain et sa passion pour le blues du Mississippi qu’il fit tant partager. Leur dossier presse est – à juste titre – chargé de comparaisons flatteuses, parmi lesquelles celle qui évoque R.L. Burnside qui serait accompagné des jeunes Rolling Stones dans l’arrière-salle d’un juke joint… et sous-titre l’album : “Blues Éclectique”. C’est une des images qui résume le mieux la musique de ce groupe un rien déjanté. Du blues joué dans un garage, portes fermées, lorgnant sur le rock et même la pop… L’énergie contagieuse insufflée sur scène par ces artistes belges se retrouve dans cet excellent enregistrement de 18 titres (dont 4 « interludes ») sans aucun moment faible. Lorsqu’on se prend à fredonner « right time, right place » sur Love Chase, puis que l’on chavire littéralement dans le lancinant et superbe Sunday Morning Soul, des images reviennent en mémoire… Celles vécues certains soirs à Clarksdale dans le club de feu “Red” ; assurément, ces musiciens y auraient eu leur place. Cette manière de chanter ensemble les refrains accentue ce sentiment d’osmose, de communion et, pour l’auditeur, donne l’impression d’être invité et de prendre part à cette musique, qui pourtant leur est propre. Ces musiciens ont une véritable identité et un talent singulier qui génère vite l’addiction. Différent de leur précédent disque, « Blues From Jupiter » en 2022, hommage à leur racines blues, ce nouvel album – enregistrement studio très maîtrisé – a une couleur que personnellement j’adore, avec même parfois un côté pop assumé. Écoutez Down The Line ou Broken Glass (sur lequel le chant n’est pas sans évoquer un certain Jim Morrison), pour vous convaincre de leur différence. Le Blues reste néanmoins leur vecteur immuable. Le son d’harmonica de Fabian Bernardo est ici encore juste assez poisseux pour faire voyager à quelques milliers de kilomètres et la majorité des faces puise ses racines dans cette musique qui nous est si chère… Personnellement : j’adore ! – Marcel Bénédit
Chris BadNews Barnes
BadNews Travels Fast
Gulf Coast Records – www.gulfcoastrecords.net
Chris Barnes est un auteur-compositeur-interprète américain basé à Nashville. Il a débuté sa carrière musicale à l’âge de quatre ans comme batteur, instrument qu’il a pratiqué pendant des années, mais sans succès. En 1977, il s’instale à New York où il est DJ. Il devient célèbre à partir de 1989 comme homme de média dans des programmes TV, tenancier de clubs et enfin humoriste et bluesman. En 2015, il publie « Bad News », son premier album chez Vizztone, qui sera suivi de trois autres. Voici « BadNews Travels Fast », son tout nouveau disque, chez Gulf Coast Records, label texan dirigé par Mike Zito. Enregistré aux Soundstage Studios de Nashville, les onze titres sont co-signés et produits par le batteur Tom Hambridge qui est déjà le lauréat de plusieurs Grammy Awards. Avec son quintet cuivré, Chris a trois invités : Jimmy Hall à l’harmonica sur les quatre premiers morceaux, Walter Trout à la guitare sur True Blues et Sugaray Rayford au chant sur You Right Baby. Avec des chansons originales et un puissant orchestre, Chris Barnes nous propose un album de blues contemporain de très belle facture. Ses performances sur scène sont décrites comme exubérantes, alors espérons le voir bientôt en Europe. – Robert Moutet
Nick Gravenites
with Pete Sears
Rogue Blues
MC Records MC-0093 – www.mc-records.com
Nicholas George (dit “Nick”) Gravenites est un vétéran de la scène blues et folk-rock américaine, né en 1938 à Chicago et qui vit aujourd’hui en Californie. Guitariste, chanteur et auteur-compositeur, membre de The Electric Flag entre 1967 et 1969, groupe avec lequel il enregistre trois albums, il participe ensuite à Big Brother and The Holding Company avec lesquels il enregistre également. Il a joué avec Janis Joplin, Mike Bloomfield, enregistré en tout seize albums avant ce nouvel opus de 7 titres. Il a bien sûr côtoyé le gratin de la scène blues de la Windy City, d’où le touchant Blues Singers hommage à Muddy Waters. Six autres morceaux composent cet album, cinq de la patte de Gravenites et la reprise de Poor Boy de Chester Burnett. Piano, basse et accordéon sont tenus par Pete Sears, les drums par Wally Ingram et, selon les titres, on retrouve Charlie Musselwhite ou Lester Chambers à l’harmonica, Jimmy Vivino à la guitare ou à la mandoline, ou encore Willard Dixon (clarinette) et Keith Baltz (sousaphone) sur le splendide Balckberry Jam ; Barry Sless (pedal steel et guitare acoustique) et Roy Bumenfeld (drums) apparaissent sur la composition aux accents country, What Time It Is, qui conclut cet album dans lequel la voix de Nick Gravenites, bien qu’ayant subi l’épreuve du temps, reste belle et a quelque chose d’émouvant. – Marcel Bénédit
Various Artists
Nola Blue Records 2014-2024
Breakin’ News – 10 Years of Blues
Nola Blue Records NB025 – www.nola-blue.com
Nola Blue Records naquit en 2012 grâce à Sallie Bengston. Le baptême eut lieu deux ans plus tard avec la publication du premier CD, « Journey », du bassiste Benny Turner, frère de Freddie King. Journey est aussi la chanson choisie pour débuter cette compilation consacrée à dix années de production de disques de blues. Elle est chantée avec conviction par Benny Turner. On retrouve le bassiste en compagnie de l’harmoniciste Billy Branch, de Butch Mudbone à la slide guitare, avec une belle version du classique It Hurts Me Too chantée par Cash McCall. Celui-ci est aussi le chanteur de l’excellent One Who’s Got A Love, un des derniers titres qu’il enregistra avant sa mort en 2019. C’est avec grand plaisir que l’on écoute If Only We could du fantasque et original chanteur-guitariste Clarence Spady. Trudy Lynn est au mieux de sa forme quand elle chante sa propre composition Golden Girl Blues avec le renfort de la famille McKendree : Kevin, le père, aux claviers, et Yates, le fils, à la guitare. Le chanteur Frank Bey a dû attendre le début des années 2010s et son association avec le guitariste et chef d’orchestre Anthony Paule pour connaître la consécration avec quelques CDs particulièrement réussis. La chanson choisie All My Dues Are Paid était le titre éponyme du dernier disque de Frank Bey produit par Kid Andersen. John Németh est présent deux fois. Il chante, avec le Love Light Orchestra, l’excellent rhythm & blues After All. Il montre ses qualités d’harmoniciste avec le gospel traditionnel The Last Time où vous apprécierez la guitare d’Elvin Bishop. L’année dernière, Nola Blue Records publiait l’excellent CD du chanteur et harmoniciste Lil’ Jimmy Reed, « Back To Baton Rouge ». Il était accompagné du jeune et brillant pianiste Ben Levin. They Call Me Lil’ Jimmy a été retenu. Enfin, le voyage s’achève avec une chanson soul de grande qualité, Who Sang It First, chantée par Benny Turner. Une compilation bien faite qui donnera à tous les amateurs de blues contemporain l’envie de découvrir plus de musique de chacun des artistes ici présents. – Gilbert Guyonnet
Various Artists
Blind Raccoon and Nola Blue
Collection Volume 6
Blue Heart Records BHR059 – www.nola-blue.com
Sallie Bengston dirige Nola Blue Records et Blue Heart Records, Betsie Brown est la patronne de Blind Raccoon, une entreprise de marketing musical. Les deux femmes ont collaboré pour mettre au point une sixième compilation. Elles ont sélectionné quinze chansons de style très varié parmi le maintenant étoffé catalogue de blues et americana de ces firmes de disques. Certains titres ont déjà été publiés en CD, d’autres apparaîtront en CD dans un futur plus ou moins proche. Quelques musiciens connus figurent sur ce disque. Le pianiste Anthony Geraci délivre un juteux instrumental Tidal Wave ; il joue du piano et de l’orgue Hammond. Teresa James interprète I Do My Drinkin’ On The Weekend marqué par son excellent jeu de piano honky-tonk. Pas de mauvaises surprises avec les Texas Horns emmenés par le saxophoniste ténor Mark ‘Kaz’ Kazanoff : Never Buy My Soul est chanté par l’inconnue chanteuse Ange Kogutz et bénéficie du jeu de guitare d’Anson Funderburgh. Enfin le bassiste Benny Turner rend un bel hommage au légendaire leader néo-orléanais des Wild Magnolias, Big Chief Bo Dollis, avec Smoke My Peace Pipe (Smoke It Right) probablement enregistré avant Juin 2009, date de l’accident vasculaire-cérébral dont souffrit Marva Wright qui fait partie des choristes. Ce disque révèle un chanteur-guitariste anglais, Mississippi McDonald. Soutenu par l’harmoniciste Reverend Shawn Amos, il nous offre un hommage personnel au légendaire guitariste Pat Hare, Ballad Of Pat Hare. Chant profond aux inflexions gospel et jeu de guitare mississippien sont les marques de ce londonien. Les autres réussites de cette compilation sont : Pookie PoPo titre style New Orleans du pianiste new yorkais David Keyes ; le superbe Blues lent Struck Out Again du chanteur-harmoniciste de San Francisco Big George Harp ; Survival du chanteur-harmoniciste Douglas Avery très marqué par The Doors et accompagné par Franck L. Goldwasser ; enfin Don’t Miss Nothing ‘til It’s Gone du Reverend Freakchild dont les délires mystiques m’ont toujours empêché d’écouter intégralement ses disques. Le reste du CD est de qualité mais lorgne trop vers le rock ou l’americana pour pouvoir me séduire. Les bons moments sont nombreux néanmoins. – Gilbert Guyonnet
Stix Bones
Bob Beamon
Olimpik Soul
(EP)BE010 – www.boneentertainment.com
Le batteur Stix Bones et son escouade, le Bone Squad, accueillent dans ce EP de huit titres (et trente minutes) un invité surprise en la personne d’un percussionniste nommé Bob Beamon. Cherchez dans vos tablettes… Cet américain âgé de 77 ans est une légende de l’athlétisme mondial. Médaillé d’or du saut en longueur en 1968 à Mexico, il a conservé 23 années durant le record du monde de la discipline avec 8,90m. Plus c’est long, plus c’est bon. Aujourd’hui, c’est un saut dans le futur que tente le champion. Celui de créer une soul distinguée et paisible, mâtinée de hip hop et de jazz. Une version du Be Thankful For What You Got de William De Vaughn fait entendre la chanteuse Khadejia, et le texte de Price of freedom est porté par Abiedun Oyewole, membre des Last Poets. Le reste du EP est instrumental et porte une certaine flamme, l’année où il faut… – Dominique Lagarde
Tad Robinson
& The Delmark All-Stars
That’s How Strong My Love Is
Delmark Records 881-8 – delmark.com
Ce formidable artiste se rappelle à notre bon souvenir, grâce à cette nouvelle sortie digitale que vient de mettre en ligne le fameux label de Chicago. That’s How Strong My Love Is fut composée par Roosevelt Jamison et reprise notamment par O.V. Wright, Otis Redding, les Rolling Stones, mais aussi par Candi Staton, Little Milton ou encore Taj Mahal. Cette nouvelle version fut enregistrée au cours de la soirée qui fêtait, dans le club Space à Evanston, le 70e anniversaire de la compagnie fondée par Bob Koester. L’interprétation de Tad Robinson est toujours aussi émouvante lorsqu’il aborde un répertoire soul, son implication est alors totale et nous donne la chair de poule. À ses côtés ce soir-là, nous retrouvons Dave Specter et Mike Wheeler aux guitares, Roosevelt Purifoy à l’Hammond B3, Larry Williams à la basse, Cleo Cole à la batterie, mais aussi la participation de Sheryl Youngblood. Tad Robinson fit ses débuts pour Delmark en 1994, il enregistra alors plusieurs sessions toute réussies, avant de signer chez Severn Records. La bonne nouvelle est qu’un nouvel album sera publié par la prestigieuse compagnie pour ce mois de juillet ! Nous sommes déjà un bon nombre à piaffer d’impatience ! – Jean-Luc Vabres
Elliott Sharp’s Terraplane
featuring Eric Mingus
Twenty-Dollar Bill
Delmark Records 883-8 – delmark.com
À la croisée des chemins du Blues et du Jazz, le tout saupoudré d’une pointe d’Avant-Garde, la nouveauté digitale de la formation new-yorkaise fait mouche. Composé par Elliott Sharp, « Twenty-Dollar Bill » nous décrit un monde où l’argent règne en maître, mais souligne également le fait que sur la coupure des billets de 20 dollars se trouve le Président Andrew Jackson qui, en son temps, possédait des esclaves dans sa plantation du Tennessee… La suite de l’histoire se situe plus proche de nous, puisque le président Obama avait décidé d’apposer sur la coupure – à la place de Jackson – la militante qui lutta contre l’esclavagisme : Harriet Tubman. La décision fut repoussée par l’administration Trump, puis à nouveau relancée par celle de Joe Biden. La guitare d’Elliot Sharp, sombre et menaçante, met parfaitement en relief le superbe texte. Intense et profonde, voici une production qui ne peut laisser indifférent. – Jean-Luc Vabres
March Mallow
The Silence
Abrazik – Absilone MMTSCD1
Jusqu’à l’écoute de cet album, March Mallow m’était totalement inconnu. Désolé. J’étais passé à côté du premier album de ce groupe sarthois né de la rencontre en 2018 entre la chanteuse Astrid Veigne, le guitariste Eric Doboka et le pianiste Christian d’Asfeld. Ces trois là ont mis dans le pot commun leur amour immodéré pour le répertoire blues et jazz des années 1940-50. Puis le trio est devenu quartet avec l’arrivée du contrebassiste Thomas Plès pour l’enregistrement de « A Journey In Time » paru en 2020. Outre la qualité des compositions, le groupe a fait un gros travail sur le son. En studio, March Mallow utilise un micro stéréo à ruban, modèle apparu dans les années 1930, et le mixage se fait comme pour un orchestre de chambre, avec une disposition précise des musiciens dans la salle d’enregistrement. Mais ce qui séduit dès le premier titre de ce deuxième opus, « The Silence », c’est l’osmose incroyable entre un timbre de voix indécent de beauté, celui d’Astrid Veigne, et la qualité de l’accompagnement dans son ensemble. Outre les musiciens pré-cités, les arrivées du saxophoniste Cédric Thimon, du batteur Alexandre Berton et du trompettiste Jean-Pierre Derourad sont autant de valeurs ajoutées. Huit compositions originales à dominante jazz – mais pas que – sont ici proposées. Comment qualifier le swing de Bo Jungle autrement que de « thérapeutique » ? Que dire des réinterprétations de I Put A Spell On You (de Screaming Jay Hawkins) et de Mr Bojangles (de Jerry Jeff Walker) – pourtant tellement reprises – qu’elles ont ici un génie particulier ? On notera aussi deux titres en français, Les Couleurs et Simplement, d’une incroyable sensibilité. L’enregistrement live et sans retouche, sous la houlette de l’ingénieur du son Frédéric Mateu, crée une réelle proximité avec les musiciens et donne le sentiment d’être dans la pièce avec eux. Avec « The Silence », on est capturé pendant dix titres, sans temps mort, par la voix d’Astrid Veigne qui donne le frisson et par le talent inouï des musiciens qui créent une atmosphère personnelle et envoûtante. Un grand disque ! – Marcel Bénédit
Fred Chapellier
Live in Paris
Dixiefrog DFGCD8845 – www.dixiefrog.com
En une vingtaine d’années, Fred Chapellier a produit douze albums, dont cinq live. Voici un nouveau concert enregistré sur la scène du Jazz Club Etoile de l’Hotel Méridien à Paris. Seize titres des deux heures du spectacle sont donc sur ce double CD. En plus de sa formation habituelle, Fred a fait appel à une section de cuivres. Michel Gaucher, Pierre D’Angelo sont au saxophone et Eric Mula à la trompette. Ces trois musiciens sont bien connus pour avoir accompagné Eddy Mitchell, Jacques Dutronc et Johnny Hallyday. Pour que ce live soit naturel et détendu, Fred n’a pas dit à ses musiciens que le concert serait enregistré ! Donc pas de pression de « recording ». Avec un répertoire tiré de son album « Straight To The Point », Fred confirme ses principales influences, dont Roy Buchanan et Peter Green. Voici un magnifique double album de blues ou la soul et le rhythm & blues ne sont jamais très loin. – Robert Moutet
Awek
Celebrating 30 Years of Blues
Autoproduit
Le groupe toulousain Awek a été fondé en 1994 par Bernard Sellam, Olivier Trebel et Joël Ferron. Avec ce nom en occitan, que l’on peut traduire en français par « À Fond », il fête donc ses trente ans. Néanmoins, en 2022, le chanteur guitariste Bernard Sellam a quitté le groupe et se produit désormais avec une nouvelle formation, The Boyz From The Hood. Sur scène, il est remplacé par Fabrice Joussot. Pour fêter les trente ans de Awek qui a produit douze albums, voici donc une compilation de… douze morceaux. Pour chacun est indiqué l’année d’enregistrement et le nom de l’album. En bonus, un treizième morceau est extrait d’une exceptionnelle collaboration de Awek avec l’orchestre symphonique Victor Hugo de Franche-Comté. Ce disque qui résume bien la carrière de ce groupe qui reste l’une des meilleures formations de blues en France. – Robert Moutet
Eliasse
Zangoma
Soulbeats Music
C’est une longue histoire dont hérite Eliasse Ben Joma, celle des Comores, se mêlant de politique, de traditionnel et de nomadisme culturel. De l’origine mélano-polynésienne installée vers le VIe dans cet archipel pile poil sur la route des Indes, dans le canal du Mozambique à la pluralité culturelle – due justement à son emplacement – mille ans plus tard. La perse, l’Indonésie, l’Afrique de l’Est, quelques Portugais, Français… y plantent leurs tentes. Les langues se délient, les sons s’inventent une nouvelle vie, les instruments changent de mains et du coup de noms aussi. Bien sûr, la musique fait partie du patrimoine et si officiellement les Mambwahamwés jouent les gloires des sultans du golfe persique (qui resteront en place jusqu’à l’arrivée des Français fin du XIXe), ils développent, comme dans le blues, un langage parallèle fait d’ironie, de satire sociale, sorte d’exorcisme conditionnel. L’artiste Ibedi Boungala, lui, ira plus loin dans l’engagement contre l’ancien sultan de la Grande Comore au croisement des siècles, jusqu’à se faire chopper en 1916 par la colonie française qui le déporte à Madagascar. De ces artistes disparus va naître une nouvelle génération de « chroniqueurs » sociaux s’accompagnant souvent du oud. Puis petit bond dans les années 1950 avec l’arrivée de la radio et surtout mi 1960 où revient la communauté comorienne de Zanzibar, suite à leur expulsion après la création de la Tanzanie. Avec eux, le taarab se fait une place au soleil. Les gars du coin vont lui donner la couleur locale. Puis arrive Abou Chiabi qui, marqué par le folk/rock, lance le Folkomor Océan. Ça marche si bien qu’en 1976, Ali Soilih (président de son état) lui confie l’hymne national. Rien que ça ! Il devient célèbre. Mais que deux ans. Après la chute du président, l’hymne est interdit et About met les bouts… Il fera école ici, en France, et ses élèves seront Chebli, Maalesh, Bako… Bako justement, pour qui Eliasse fera quelques percussions dans ses premiers pas. La boucle est bouclée. Eliasse vient de sortir un troisième album particulièrement coloré, comme ses racines. Il ne chante pas l’engagement, mais pose un regard pertinent sur la société, son passé (Shana Na Mbere) son présent (Ndroso), son devenir (Salama). Acte conscient. Chantée en différentes langues qui ont parcouru les routes de l’Inde et pas seulement, les chansons d’Eliasse depuis « Marahaba » en 2008, « Amani Way » en 2019 et « Zangoma » aujourd’hui, nous portent doucement dans un Océan Indien inventif et innovant, sans jamais oublier ceux qui l’ont nourri dans les années 1970, lorsque les Iles de la Lune revendiquaient leur affranchissement. – Patrick Derrien
Various Artists
DJ Notoya presents Funk Tide
Tokyo Jazz Funk from Electric Bird 1978-87
Wewantsounds
Compilée par le DJ japonais Notoya, cette sélection de huit titres rassemble des enregistrements réalisés à Tokyo, New York ou L.A. entre 1978 et 1985 dans le style jazz fusion. Tous ont été publiés en leur temps sur étiquette Electric bird (auxiliaire de la marque japonaise King), dans un esprit voisin de ce qui se faisait alors sur les labels américains CTI/Kudu, du producteur Creed Taylor ou Blue Note, dans sa forme tardive. Le pianiste Bob James, le guitariste Earl Klugh en furent les fers de lance à l’international. La mixité des formations entre multi-instrumentistes américains et japonais est ici fréquente. Si les noms de David Matthews, Ronnie Foster et Bobby Lyle sonnent plus familiers, pour les amateurs qui ont prêté oreille à la scène jazz funk nippone de l’époque, les noms de Yasuaki Shimizu, Toshiyuki Honda et Mikio Masuda n’auront alors rien de secret. Cette musique, légère, élégante, groovy, plus complexe qu’il n’y paraît s’avère idéale pour les fins de journées ensoleillées au bord de la piscine. En contraste total avec les vagues punk/new wave et disco qui déferlent en parallèle. Éternel recommencement, tout cela réapparaîtra à la fin des années 1990 sous la forme de l’acid jazz. – Dominique Lagarde
Various Artists
Togo Soul 2
Hot Casa Records HC-79
Peut-on parler de Soul Music tel que nous l’entendons pour ce deuxième volume consacré aux musiques africaines issues des scènes togolaises ? Si les racines américaines sont devenues une évidence dans ce style qui naîtra toute fin des années soixante de l’autre côté de l’Atlantique et prendra véritablement son essor à la fin de cette même décennie, elles sont déjà beaucoup moins évidentes à saisir dans la musique Afro de ces mêmes années. Les influences jouent les va et viens, s’enroulent et virevoltent dans des enregistrements populaires toujours groovy, parfois à la limite de ce qu’on nommera le Funk. Populaire ne prenant surtout pas le sens péjoratif, comme on peut trop l’entendre par ici, mais bel et bien cette musique venue des traditions et des racines, qui s’est ouverte aux autres (tout en les influençant) pour devenir au bout du compte immédiatement identifiable. Je serais bien plus enclin à la définir comme emblématique d’un continent qui verra ses richesses d’interprétations variées selon les pays d’où elles proviennent. On connaît le travail extraordinaire que réalise depuis une vingtaine d’années ce label typiquement français dirigé par Julien Lebrun et Djamel Hammadi, ambianceurs de première. Avec toujours cette envie de faire revivre une scène oubliée et de rendre disponible ce qui ne l’était plus. Pochettes soignées, intérêts historiques et contextes sociaux, politiques et économiques en ligne de mire, les sorties de Hot Casa sont toujours très riches en témoignages, photos et qualité sonore. Voici donc le second volume de « Togo Soul » qui réédite des petites perles dansantes et frivoles éditées entre 1974 et 1989 principalement dans la capitale du Togo, Lomé. Il aura fallu presque dix ans à l’équipe pour réaliser ce second volume qui ne peut pâlir devant son grand-frère, tellement les choix rigoureux qui rendent leurs part belles aux musiques High-Life parfumées de Soul brute sont pertinents. Du soleil plein la platine et une envie irrésistible d’onduler aux rythmes de cette musique venue d’un continent qui, décidément, n’en fini pas de nous épater par la qualité des enregistrements, terriblement au fait de l’actualité d’une époque révolue. Encore merci pour cette merveille ! – Patrick Derrien
Various Artists
Congo Funk !
Sound Madness From The Shores Of The Mighty Congo River
Kinshasa/Brazaville 1969/1982
Analog Africa AALP 098
C’est souvent par un coup de cœur que débute l’histoire d’un label. Samy Ben Redjeb, tantôt maître plongeur tantôt steward parcourant le ciel de Dakar à Lagos en passant par Accra ou Addis Ababa, s’ouvre les oreilles à des sons dont peu de gens encore pouvaient prétendre d’y avoir accès. Les dancefloors recherchaient du sang neuf à boire jusqu’à la lie et des grooves à ressusciter. D’autres que lui le feront aussi (Hot Casa, Soundway, Awesome Tapes From Africa, Honest Jon’s, Luaka Bop, …) avec chacun son créneaux et tous avec le même enthousiasme. Analog Africa, qui déborde sur d’autres continents, débute en 2005 du côté de Francfort. Son truc à lui, c’est d’aller chercher à la source ces grooves principalement axés autour des années 70 et 80 de la même manière que le fait Julien Lebrun pour Hot Casa. Car les deux compères ne se reconnaissent pas dans les collectionneurs avides de fouiner dans des bacs à la recherche d’une perle rare. Eux, tels des archéologues musicaux, c’est le terrain qu’ils préfèrent à la rencontre de ceux encore vivants qui pourraient leur raconter les racines, les influences ou le pourquoi du comment d’une telle musique. Et le mot “Digger” reprend tout son sens. Depuis 2011, Analog Africa nous réjouit par ses découvertes qui apportent un vent frais sous les tropiques et « Congo Funk » ne déroge pas à la règle qui met en avant les grooves funky initiés sous l’impulsion d’un James Brown en 1974, dans un Zaïre qui n’aura de démocratie que le nom. La République Démocratique du Congo change en effet de nom sous l’autorité dictatoriale d’un Mobutu qui rebaptise le pays en Zaïre en 1971 jusqu’à son renversement en 1997. Par la suite, le pays retrouvera son premier nom mais pas la stabilité. Congo Funk est un peu l’envers du miroir d’une politique insidieuse et mégalomane qui, pour ne pas trop déplaire à « son » peuple, lui organise des « jeux » qui tendent à réduire les tensions internes. C’est comme çà que le mégalo Mobutu organise le fameux combat de Muhammad Ali contre George Foreman, profitant de cet événement, le dictateur mélomane érige un mini festival autour de l’événement dans lequel sont invités une multitude d’artistes qui n’avaient encore jamais foulé leurs racines et dont un certain James Brown se fera l’apôtre, influençant des centaines de jeunes avides de sortir du pétrin et de rêver en des jours meilleurs. Congo Funk présente donc quatorze titre issus d’une sélection rigoureuse d’environ deux milles chansons que deux voyages à Kinshasa et un à Brazzaville (villes situées l’une en face de l’autre seulement séparées par un fleuve) mettront en perspective sur cette compilation dont les grooves sont bien sûr basés sur une rumba qu’on ne présente plus, mais aussi ces musiques qui venaient d’un autre monde. L’album réunit les multi facettes des capitales congolaises en jetant un sérieux coup de projecteur sur des artistes/groupes aussi obscurs que Groupe Minzoto Ya Zaïre, Abeti Et Les Redoutables, comme ceux déjà vus dans d’autres compilations ou qui ont fait l’objet d’albums entiers, tels que L’Orchestre OK Jazz, Tabu Ley où encore Les Bantous De La Capitale. Des titres où les basses funky répondent aux appels des traditions, donnant l’impulsion à une décennie de musique qui n’est pas faite pour caresser l’oreille mais la surprendre, l’éblouir et, in fine, la séduire dans une expérience assez époustouflante. Laissez vous faire, le reste suivra ! Ah oui, pour ceux qui auraient raté quelques albums de ce superbe label, sachez que pour ses dix ans sur la scène musicale, Analog Africa à réédité tous ses albums à l’exception des éditions limitées qui offrent un sérieux panorama sur la culture musicale de la corne d’abondance qui va de l’Angola au Niger. Et si celui-là vous a séduit, je peux vous assurer que les autres le feront tout autant. – Patrick Derrien
Ray Charles
The Grand Master
His Inspiration, His Influence
Fremeaux & Associés FA 5873 (coffret de 7 CDs) – www.fremeaux.com
Waouh ! Exceptionnel ! Un véritable monument ! 171 titres dont 15 live jamais publiés ! Indispensable si vous voulez suivre et comprendre l’évolution de 1944 à 1962 de l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Les quatre premiers CDs sont consacrés à son inspiration, les trois autres à l’influence qu’il a pu avoir sur les autres musiciens de son époque. Il y a souvent trois ou quatre fois le même titre, dans des interprétations différentes, ce qui est très intéressant. Il ne faut pas oublier que le jeune Ray, aveugle à l’âge de 7 ans, a passé huit années dans une école pour aveugles et sourds (St Augustine en Floride) où il a appris à lire le Braille et à mémoriser de longs morceaux de musique classique. Il y avait même appris à jouer de la clarinette. À sa sortie, il savait qu’il voulait devenir musicien professionnel.
Les débuts font l’objet des CD 1 et 2. En 1949, il forme un trio et enregistre pour Down Beat et Swingtime. Il est alors sous l’influence des crooners comme Nat “King” Cole et Charles Brown qui rencontrent un énorme succès. Sa rencontre avec le pianiste et arrangeur Lloyd Glenn va l’orienter plus vers le Blues : reprises de How Long de Leroy Carr, Goin’ Down Slow de St Louis Jimmy… Puis il passe deux ans en tournée avec l’orchestre du bluesman Lowell Fulson. En 1953, il est à New Orleans et figure au piano dans l’énorme tube du fantastique Guitar Slim. Il reprendra d’une façon saisissante le magnifique Feelin’sad du même artiste dont la version originale et rare est ici bien mise en valeur (c’est la première fois que je l’entends et je ne m’en lasse pas !). En 1952, le patron des disques Atlantic, Amhet Ertegun, rachète le contrat de Ray et va le pousser dans une veine plus rhythm’n’blues. Passionné par le Gospel depuis son enfance, il comprend qu’en changeant quelques paroles, il peut adapter cette musique pour le plus grand nombre. C’est le triomphe de I Got A Woman, puis de morceaux ici présents empruntés aux Caravans, aux Ward Singers, au Golden Gate Quartet, aux Pilgrim Travelers. Le public traditionnel se sent un peu trahi, mais le succès populaire l’emporte. Ray sait s’entourer de musiciens exceptionnels, dont les saxophonistes Don Wilkerson (solo sur I Got A Woman entre autres chefs-d’œuvre), David Newman, Hank Crawford, le trompettiste Marcus Belgrave et les fameuses choristes les Raelettes (dont on aimerait bien entendre les enregistrements Tangerine).
Sur les CD 3 et 4, il rend hommage à ses jazzmen préférés : Charlie Parker (Now’s The Time), Milt Jackson (avec qui il enregistre un album), Louis Armstrong et Billie Holiday (dont nous pouvons écouter ici sa version de Georgia de mars 1941, à l’origine composée et gravée par Hoagy Carmichael en 1930). Louis Jordan est présent sur deux titres ; on peut dire qu’il a influencé tout le monde et qu’il est le vrai “Father of Rock’n’roll”. Percy Mayfield fut aussi une influence majeure. Il devint d’ailleurs son compositeur préféré (Hit The Road Jack), engagé à temps complet sur son label Tangerine.
Avec les CD 5, 6 et 7, nous abordons les influences qu’il eu pu avoir sur d’autres musiciens. Joel Dufour, auteur du texte du livret, nous dit avoir recensé un total de 1046 reprises de chansons de Ray. Ici sont rassemblées 6 versions de I Got A Woman, 5 de Halleluyah I Love Her So, qui vont de Count Basie à Eddie Cochran, de King Curtis à Elvis Presley… Pour son dernier tube Atlantic, What’d I Say, qui va lui donner une audience mondiale, on a ici cinq versions : l’originale en deux parties plus un live, celles de Clyde McPhatter, de Jerry Lee Lewis et de Sandy Nelson. Toutes sont variées et intéressantes sauf, peut-être à la rigueur, les quatre reprises par l’organiste Lou Bennett enregistrées à Paris en 1961.
On ne peut citer tout le monde (171 titres), mais on est souvent surpris et ravis de pénétrer dans l’univers de “Brother Ray”. Musique incontournable de par sa qualité, son originalité et son intemporalité. Un coffret qui devrait devenir indispensable à toute collection équilibrée de musique du XXe siècle. – Marin Poumérol
Harold Burrage
I Ain’t Mad At No One
The Almost Complete Recordings 1950-1962
Jasmine Records JASMCD3272 – www.jasmine-records.co.uk
Harold Burrage est une personnalité peu connue mais importante dans le développement du Blues, du Rhythm & Blues et de la Soul à Chicago. Cette regrettable ignorance est probablement due au fait qu’il mourut bien jeune en 1966, victime d’une crise cardiaque chez l’un de ses protégés, le chanteur Tyrone Davis. Il n’avait que 35 ans. Malgré la brièveté de sa carrière, cet auteur, compositeur, pianiste, chanteur et producteur originaire de Chicago, est considéré comme le pionnier du Chicago Soul. Otis Clay, Tyrone Davis le considéraient un peu comme une figure paternelle. Avec ce CD, vous découvrirez presque tout ce qu’il enregistra sous son nom entre 1950 et 1962. Il manque quelques alternates. Pour les enregistrements de 1963 à 1966, il faudra vous procurer les 45 tours M-Pac ou le LP japonais P-Vine LP9003. Harold Burrage n’a pas 20 ans quand Decca le fait enregistrer le 25 août 1950. Le bondissant Hi-Yo Silver rencontra un succès d’estime mérité. En 1952, Harold Burrage réussit à convaincre la firme de disques californienne Aladdin Records de l’engager. Il grava alors deux titres dans l’esprit d’Amos Milburn. Jasmine a sélectionné le meilleur des deux, Way Down Boogie. C’est aussi le moment où il est appelé sous les drapeaux par l’armée américaine. Deux années de service militaire dont quelques mois en Allemagne. Quand il revient à la vie civile, à Chicago, Harold Burrage rejoint la firme de disques de Leonard Allen, United/States. Feel So Fine et You’re Gonna Cry sont deux blues décontractés inspirés de Willie Mabon et Charles Brown. Harold Burrage s’y révèle un excellent chanteur. Au milieu des années 1950, la réputation d’Harold Burrage est bien établie dans les clubs du West Side de Chicago. Il n’est pas étonnant qu’il rejoignît, en 1956, la nouvelle firme de disques Cobra, créée par Eli Toscano avec le soutien de Willie Dixon en rupture de ban avec Chess. You Eat To Much et One More Dance sont bien moyens malgré la présence du guitariste Wayne Bennet. Le niveau monte lors de la séance suivante, probablement en 1956, en compagnie de Magic Sam (g), Johnnie Jones ou Henry Gray (piano), mais ce Hot Dog And A Bottle of Pop restera inédit jusque dans les années 1970. Le très rock’n’roll Messed Up et I Don’t Care Who Knows aux inflexions soul bénéficient de la guitare de Jody Williams. Celui-ci est encore présent quelques semaines plus tard, mais c’est le saxophoniste Harold Ashby qui se fait remarquer avec un excellent solo sur Stop, For The Red Light, la face B Satified est un blues assez banal. Fin 1957, début 1958, la musique d’Harold Burrage chez Cobra prend un tournant néo-orléanais. Little Richard, Larry Williams et Lloyd Price sont passés par là. Magnifique est She Knocks Me Out, peut-être ce qu’Harold Burrage a enregistré de mieux chez Cobra. Betty Jean qui doit beaucoup à Lucille de Little Richard n’est pas mal non plus. Le chant sur I Cry For You annonce l’orientation soul que va prendre l’artiste. En 1959, alors que la faillite de Cobra est imminente, Harold Burrage rejoint Vee-Jay. Crying For My Baby ressemble à du Jackie Wilson. Cette chanson connut un certain succès à Chicago. Great Day In The Morning est un peu trop gospel pop à mon goût, tout comme You K.O’d Me. De 1960 à 1962, Harold Burrage collabore avec le DJ Richard Stamz. Les deux 45 tours Paso (Paso 101 et 102) et le 45 tours Foxy 009, tous excellents, sont ici publiés. Mais on peut regretter que l’artiste n’exprime pas toutes ses qualités. C’est vraiment à partir de sa collaboration avec One-Derful et M-Pac, fin 1962, que tout le talent original d’Harold Burrage, aussi bien comme producteur, auteur, compositeur et interprète, va exploser. Hélas Jasmine ne divulgue que les deux premières faces publiées par M-Pac, les agréables Master Key et Faith And Understanding. Le meilleur d’Harold Burrage arrivera à partir de 1963, mais cela n’est pas sur ce CD. Toute la musique rassemblée sur ce CD est plus ou moins disponible sur diverses compilations Flyright, Ace, Westside et P-Vine. Il est bien que Jasmine ait rassemblé la quasi intégralité de l’œuvre remarquable d’Harold Burrage. Pourquoi pas un CD avec ses productions et collaborations ? – Gilbert Guyonnet
Various Artists
Rocks vol.1
Bear Family Records BCD 17734 – www.bear-family.com
La remarquable série « Rocks » débutée il y a quelques lustres par Bear Family compte aujourd’hui une soixantaine de volumes, reconnaissables à leur format digipack, leur couleur sépia et leur liseret bicolore vertical. Le contenu ? C’est marqué dessus. Mettre en avant 30 titres emblématiques du rock, d’artistes connus ou plus confidentiels, extraits du puits sans fond creusé de la fin des années quarante au début des années soixante. Nous sommes ici en présence d’un sampler de la série, abondamment illustré et annoté. Chaque titre donne lieu à une biographie et renvoie à l’album complet de l’artiste concerné. Se côtoient notamment Chuck Berry, Fats Domino, Little Richard, Bo Diddley, Louis Prima, Big Joe Turner, les Platters, et des chanteurs moins estampillés rock, Slim Harpo, Jimmy Reed, Champion Jack Dupree, Clarence Gatemouth Brown, mais pris en flagrant délit d’agitation. À redécouvrir, l’extraordinaire Get Tough de Jimmy McCracklin, le profond I’m Gonna Dig Myself a Hole d’Arthur Crudup, ou encore une des réussites majeures de cette période, le subtil boogie I Wanna Ramble de Junior Parker et l’humoristique Monkey Hips and Rice des Five Royales. Aucun artiste ici n’est étranger à un amateur déjà bien engagé, en revanche, c’est une excellente ouverture sur le Rock’n’roll et ses antécédents dans un superbe écrin esthétique et sonore. – Dominique Lagarde
Pat Hare
I’m Gonna Murder My Baby
In session 1952/1960
Jasmine Records JASMCD 3278 – www.jasmine-records.co.uk
Au même titre qu’un Jimmy Nolen, d’un Pete “Guitar” Lewis ou Matt “Guitar” Murphy, Pat Hare devrait être inscrit en lettres d’or au panthéon des artistes dont l’influence se fait encore ressentir dans le milieu du blues et de tous ses rythmes. Impactant fortement, de son jeu agressif, distordu et saturé comme un ampli de Little Walter, le British Blues d’une part et l’idée qu’on peut se faire aujourd’hui de la musique « heavy ». Son âpre et dur, un peu à l’image de l’homme fortement extraverti quand l’alcool le remplissait. * Le 20 décembre 1930, à Cherry Valey dans l’Arkansas, naquit Auburn Hare dans la maison de son grand-père, sur la plantation de Mme Fay Van. Ils y restent une dizaine d’années. En fait, jusqu’au décès du seul frangin à l’âge de six ans. La famille déménage dans une autre ferme du côté de Parkin (lieu de naissance des deux parents). À ce moment, celui qui se faisait déjà appelé “Pat” par sa grand-mère, avait trouvé une vieille guitare poussiéreuse sous un lit et tentait tant bien que mal de sortir quelques sons des deux trois cordes qui lui restaient. On peut alors se laisser aller à imaginer que le son grinçant de cette guitare désaccordée sera son influence majeure. Pour le jeu, il faudra juste attendre un peu que le p’tit gars fasse la rencontre de Joe Willie Wilkins et du plus fameux Chester “Howlin’ Wolf” Burnett. Et là encore, on peut se mettre à penser que les sons stridents qui sortent de sa guitare pouvaient-être directement inspirés de la voix d’un Wolf hurlant, comme une prolongation… Du coup, avec de tels connaissances comme voisins, les parents en toute confiance laissaient le gosse jouer durant les mi-temps de match de baseball. À la fin des années 40, Pat était régulièrement avec Howlin’ Wolf les week-ends quand ce dernier se produisait dans la région. Découvrant précocement la vie trépidante d’un musicien, se grisant sous les premiers effets de l’alcool (ils jouaient régulièrement au rez-de-chaussée d’un bordel), Pat Hare se frottait à la vie nocturne et à tous ses plaisirs. Mais s’il était sage le jour, quelques verres le rendaient assez agressif et, plusieurs fois, il eut des démêlés avec la police. Dans son article « Pat Hare, a blues guitarist », Kevin Hann rapporte qu’une fois, Pat Hare est monté sur une chaise pour frapper Howlin’ Wolf au visage sans que ce dernier riposte. Une autre fois, Wolf fut contraint de se planquer derrière un tas de bois pour éviter les balles d’un automatique. Et d’autres comme çà, à l’avenant du gars. Mais jamais Wolf ne le lâcha. Il l’engagea même à temps plein dès 1951, diffusant leur musique depuis la station KWEM de West Memphis (Pat se souvient également d’avoir joué derrière Wolf sur certains titres RPM enregistrés à KWEM ; vingt-cinq ans plus tard, il pouvait encore jouer The Sun Is Rising note pour note). Mais Willie Johnson affirme qu’aucun titre n’a été enregistré à la station et que Pat n’a jamais enregistré avec le groupe… Il jouera sur cette même radio avec Willie Nix, James Cotton et Joe Hill Louis. Le disc-jockey, Walter Bradford, son cousin, l’invitait parfois sur WDIA. C’est à ce moment là que Pat Hare et Walter Bradford enregistrent une poignée de titres pour Sun Records. En 1952, Pat quitte Wolf et commence à jouer avec le groupe de Junior Parker. Il reste avec Parker à Houston de juin 1952 à avril 1953. Sam Philips, le nez fin, devine le potentiel de Pat et le fait jouer sur les enregistrements de Lillian Mae Harrison. Née le 9 septembre 1907 à Columbia, dans le Tennessee, Lillie Mae Glover, elle s’enfuit de chez elle en 1920 alors qu’elle n’a que 13 ans pour rejoindre le Tom Simpson Traveling Medicine Show. Son père était prêcheur et elle voulait chanter le Blues. Elle a travaillé dans plusieurs spectacles itinérants avant d’atterrir à Memphis, Tennessee, à la fin des années 1920, et de devenir une habituée de la célèbre Beale Street où elle était surnommée « La Mère de Beale Street ». Elle a enregistré et s’est produite sous plusieurs noms différents, notamment Lillian Mae Glover, Mae Glover et Big Memphis Ma Rainey, nom sous lequel elle a enregistré quelques faces pour Sun Records en 1953. Elle est décédée en 1985 à l’hôpital du comté de Tishomingo à Iuka, dans le Mississippi, à l’âge de 77 ans. Il y eut aussi de nombreuses sessions pour Rosco Gordon et les Blues Flames de Junior Parker (allez prêter une oreille à Love My Baby » de 1953 de Junior Parker dont on dit que le solo serait l’acte de naissance de nombreux musiciens de rockabilly, aujourd’hui tellement « pompé » qu’on en a oublié les origines). De cette période à Memphis (1952/55, Pat sera le chouchou de Sam Phillips et, entre 1952 et 1955, il accompagnera en studio un certain nombre d’artistes de Phillips parmi lesquels Bradford, Parker, Walter Horton, Big Memphis, Ma Rainey, James Gayles, Kenneth Banks, Hot Shot Love, Rosco Gordon et d’autres. L’événement musical dont Pat parle avec le plus de fierté de ses jours à Memphis, cependant, est d’avoir joué avec Memphis Minnie à une occasion vers 1960, après que Minnie soit revenue en ville pour sa retraite : Minnie était l’un des « guitar heroes » de Pat (avec Joe Willie Wilkins et Lonnie Johnson) et il essayait de voir Minnie et Son Joe fréquemment lorsqu’il était à Memphis. Pat Hare a été l’un des premiers à utiliser des effets de distorsions dans son jeu, précurseur d’un style puissant dont les rockers modernes s’abreuvent jusqu’à plus soif. En 1954, sort Cotton Crop Blues de James Cotton, harmoniciste fortement enjoué de son état. On avait alors encore rarement entendu de sons plus distordus et rugueux, sorte d’imitation de l’ampli cassé de Willie Kizart (Rockett 88 de Jackie Brenston & Ike Turner). L’âpreté et la férocité du jeu de Pat Hare feront toute la force de ce titre impulsif. C’est peu après qu’il enregistre une version du titre de Doctor Clayton (enregistrée début 1941), I’m Gonna Murder My Baby (connue aussi sous les noms Cheatin’and Lyin’ ou Cheating And My Lying Blues, titre également enregistré en 1964 par Robert Nighthawk sous le titre Goin’ Down To Eli’s) prémonitoire, se perdant dans les méandres d’un label qui perd la tête avec un jeune blanc bec (dont le nom, Elvis, résonne encore) pour ré-apparaitre quelques décennies plus tard sur une compilation obscure éditée par Redita sous le nom « Various Artists – 706 blues » (Redita LP 111), puis sur l’album compilation Blue Flames (1990) de Rhino Records : « A Sun Blues Collection ». Le disque présente également des power chords qui restent « les plus fondamentaux dans le rock moderne » en tant que « structure de base pour la construction de riffs dans les groupes de heavy metal ». Selon Robert Palmer, la chanson est « aussi heavy metal que possible ». Dans l’année 1954, Pat s’installe à Houston et devient l’un des premiers à travailler pour le label Duke de Don Robey, enregistrant de nombreux disques avec ses vieux amis Rosco et Junior, ainsi qu’avec Bobby “Blue” Bland et Big Mama Thornton. Pat est ensuite appelé à Chicago par Muddy Waters (sur le conseil de James Cotton of course, qui a déjà été recruté dans son groupe) pour remplacer Jimmy Rodgers. Il enregistrera une cinquantaine de morceaux avec le boss de Chicago et, si pour la plupart il se cantonne à un jeu rythmique qui n’a rien à voir avec sa première période, les morceaux choisis par le label Jasmine sont très représentatifs du jeu fougueux d’un musicien que ses potes nommait le “Wild Boy”. Le premier morceau de Pat avec Muddy Waters chez Chess est Forty Days and Forty Nights au début de 1956 et il joue sur le classique Got My Mojo Working, ajoutant ses breaks de guitare spectaculaires aux performances de Muddy pendant près de cinq ans. Le groupe a joué au Newport Jazz Festival en 1960 et l’album live qui en a résulté a fait connaître Muddy dans le monde entier, mais Pat était crédité comme “Tat Harris” sur la pochette de l’album ! Il terminera sa « carrière » avec Mojo Buford en 1962 et 1963 avant le drame qui le clouera en taule jusqu’à sa mort survenue le 26 septembre 1980. Selon les notes de pochette de l’album, I’m Gonna Murder My Baby est « doublement morbide parce que c’est justement ce qu’il a fait ». En décembre 1963, Pat Hare abat sa petite amie et un policier venu enquêter. Pat Hare a passé les seize dernières années de sa vie en prison où il a formé un groupe appelé Sounds Incarcerated qui se produisait régulièrement en vase clos dans l’enceinte carcérale. Jasmine Records, à l’origine de ce premier volume entièrement consacré à Pat Hare, met en lumière l’importance de cet acteur de la scène blues et rock qui, en seulement quelques années, marquera par son jeu un nombre incalculable de jeunes pousses. Évidemment, cet album est précieux tant par la qualité des enregistrements choisis, mais aussi par les notes de pochettes (Roger Dopson) particulièrement bien documentées. Patrick Derrien
* Toutes les informations factuelles proviennent de l’essai de Phil Dubois, « The Jump-Blues Guitar Killers (40’s – 50’s) » qui, à ma connaissance n’a fait l’objet d’aucune publication, ainsi que de conversations privées avec Robert Eagle.
Roy Brown
Rocks !
Bear Family Records ROCK BCD-17749 – www.bear-family.com
Attention ! Si vous êtes en quête d’arrangements complexes ou de solistes époustouflants, ne vous attardez pas chez l’ami Roy Brown. Ces plats ne sont pas au menu. Cela ne signifie pas que ses productions soient peu dignes d’intérêt, bien au contraire. Il faut très simplement se dire qu’on a affaire à un artiste paradoxal qui a su influencer toute la musique populaire noire américaine. Peut-être davantage que Louis Jordan ou Little Richard, Roy a connu des moments de gloire tant au plan des Awards obtenus et conservés. Un nombre incalculable d’artistes ont gravé des covers de ses morceaux, même des chanteurs blancs (qui ont épicé avec plus ou moins de bonheur ses créations). De la Californie à New York, la musique africaine américaine connait un essor après la deuxième guerre mondiale, qui traduit les profondes mutations qui l’affectent. Cet essor est pour une part la conséquence de l’économie de guerre et de la seconde mutation qui a poussé vers les grandes métropoles une population aspirant à de nouveaux modes de vie. N’allez cependant pas croire que tout le monde appréciait ces grands bouleversements… Déjà, à la veille du retour des troupes noires, en 1918, le sénateur du Mississippi, James K. Vardaman exprimait ses craintes (et son racisme !). Il déclarait ainsi que le retour des vétérans noirs mènerait au désastre, car cette intégration dans l’armée serait non une vertu mais un malheur : « Impressionnez le nègre par le fait qu’il défend le drapeau, gonflez son âme non instruite d’airs militaires, apprenez lui que c’est son devoir de maintenir l’emblème de la nation qui flotte triomphalement dans les airs, ce n’est qu’un petit pas vers la conclusion que ses droits politiques doivent être respectés ». Les années 40 et 50 sont marquées par des émeutes raciales qui expriment le désir de justice d’une population exaspérée et désespérée. Cette frustration n’empêche pas de célébrer la danse. Offrez vous un moment de plaisir avec une vidéo roborative : Swing Dancing in a club in Harlem/Year 1940 1959. Mais revenons à notre CD. Les notes de pochette sont particulièrement remarquables et offrent des informations qui vous donneront peut-être envie de vous faufiler dans cet univers d’une réelle richesse. Naturellement, une fois encore, je rappellerai que les productions prolifiques, avec leurs arrangeurs, compositeurs, musiciens, étaient destinées à la danse. D’un côté des airs multiples en direction des grands ball rooms et des théâtres (comme le mythique Apollo) et, de l’autre, des clubs. Roy Brown y joue un rôle évident. L’ensemble de cet album, avant tout pour son dynamisme, est une gageure. comment rester insensible par exemple à Let The Four Winds Blow et à sa partie de batterie si simple et si efficace, ou à Train Time Blues, relecture d’un vieux thème « ferroviaire ». Ou encore Cadillac Baby et son piano bondissant… Si vous êtes l’heureux contribuable d’une piscine, ne manquez pas de lui adjoindre un ou deux LPs (ça sonnera « plus vrai » que des CD) afin de célébrer la fiesta du bon vieux rock !… Et avec, en main, un polar de Chester Himes pour parachever le climat… Cette musique peu paraître quelque peu répétitive, mais c’est la rançon du genre et de l’objectif : la danse… À vous d’écouter ces témoignages d’un temps révolu. – André Fanelli
Mavis Staples
Have A Little Faith
Alligator Records ALCD 2899 – www.alligator.com
En 1994, la dissolution inattendue des Staple Singers provoque un premier choc chez la chanteuse Mavis Staples. La mort, en décembre 2000, du patriarche de la famille Staples et leader incontesté des Staple Singers, Roebuck ‘Pops’ Staples, déboussole un peu plus sa fille Mavis. Celle-ci est une talentueuse chanteuse à la voix grave, puissante et rocailleuse. Que faire quand on est poussée à devenir une chanteuse solo ? Malgré ses nombreux contacts avec diverses firmes de disques, Mavis Staples est oubliée. Un jour, Jim Tullio, le producteur de ce disque, la contacte. Coup de foudre musical. Mavis enregistre alors une douzaine de chansons dans le studio de Jim Tulio. Bruce Iglauer est séduit par ce Gospel aux inflexions modernes et publie le CD « Have A Little Faith » sur son label Alligator, en 2004. Ce disque reçoit quatre W.C. Handy Awards ! Vingt ans après, dans le cadre du Disquaire Day, Alligator met à notre disposition cet enregistrement « remasterisé » sous la forme d’un double album en vinyl argenté tiré à 2500 exemplaires. Pour son premier disque solo, Mavis Staples a fort bien fait les choses grâce à l’aide avisée du producteur Jim Tullio. Step Into The Light aux arrangements acoustiques bénéficie du soutien exceptionnel des Dixie Hummingbirds. Pops Recipe est un bel hommage à son père. Celui-ci donne un coup de main à la guitare sur There’s A Devil On The Loose et I Wanna Thank You, enregistrés avant sa mort. Nous sommes dans le meilleur du Gospel avec In Times Like These et Jesse Dixon et son imposante (par le nombre de chanteurs et chanteuses) chorale, Chicago Community Choir. Have A Little Face et God Is Not Sleeping l’étendue des qualités vocales de Mavis Staples. A Dying Man’s Plea est une interprétation de la chanson de Blind Lemon Jefferson See That My Grave Is Kept Clean ; le violon mélancolique de John Rice est un vrai bonheur. Enfin le cercle se referme avec le classique des Staple Singers, Will The Circle Unbroken, que chantait toujours sur scène Pops Staples. Mavis se sort avec brio de cette gageure , accompagnée par la slide de Jim Weider. ‘Pops’ aurait été fier de cette interprétation de son morceau fétiche. Un beau disque à écouter et réécouter avec attention. – Gilbert Guyonnet
Magic Slim & John Primer
Slow Blues
Wolf Records CD120.107 – www.wolfrec.com
Le label Autrichien Wolf Records met à nouveau dans le mille en publiant ce double album qui rassemble Magic Slim et John Primer. Seize compositions bien rugueuses attendent les fans, l’ensemble se présentant sur un tempo qui prend tout son temps, afin de savamment distiller ses notes bleues. Deux titres, Just To Be With You et I’m A Bluesman sont ici présentés pour la première fois, l’ensemble des seize compositions proposées provenant de sessions enregistrées à Vienne et Chicago. Nous retrouvons, au fil des compositions, Billy Branch et Steve Bell à l’harmonica, suivis de l’ossature habituelle qui épaula au fil des décennies le maestro Magic Slim, à savoir le frangin Nick Holt à la basse, Jon Mac Donald aux six cordes ou encore Michael Scott, Nathan Applewhite ou Earl Howell à la batterie. À noter la présence sur un titre du formidable guitariste Jake Dawson, mais également, au fil des compositions, les présences aux claviers de Detroit Jr ou encore du toujours excellent mais malheureusement sous-estimé Stanley Banks (il est depuis des années dans la formation de Jo Pratt ou celle de Jojo Murray à Chicago ; il se produit dans le south side au Odyssey East toutes les fins de semaine). Dire que l’alchimie est parfaite entre Magic Slim et John Primer est d’une aveuglante évidence. Quel plaisir d’entendre rugir l’ancien pensionnaire du Florence’s sur les classiques Bad Avenue, Please Dont’ Dog Me ou encore So Easy To Love You. John Primer est à son tour impérial lorsque qu’il interprète la composition de John Littlejohn, She’s Too Much ou encore celle créée par St. Louis Jimmy intitulée Take The Bitter With The Sweet. Tout au long de ce superbe double album où le Blues de la Windy City nous offre ce qu’il a de meilleur, les deux formidables bluesmen nous embarquent une fois encore dans un formidable voyage musical. – Jean-Luc Vabres
Varetta Dillard
The Essential
Easy, Easy Baby
Jasmine Records JASMCD 3281 – www.jasmine-records.co.uk
Il est grand temps de rendre hommage à ces grandes dames du Rhythm’n’Blues dont beaucoup ont été bien oubliées. Bien sûr il y a les Ruth Brown, Lavern Baker, Linda Hopkins, Helen Humes dont tout le monde se souvient, mais à côté, tout aussi talentueuses, il y a des chanteuses comme Varetta Dillard, très bien mise en valeur dans ce double CD de 62 titres enregistrés pour Savoy entre 1951 et 1956 et puis pour RCA Groove et Cub et Brent jusqu’en 1962. Varetta était née à Harlem le 3 février 1933, mais était affligée d’une maladie des os qui lui fit subir seize opérations dans ses douze premières années, puis elle dut marcher avec des béquilles pour le reste de sa vie. Elle adorait chanter et gagna rapidement des concours de chant qui lui permirent de se produire à l’Apollo à l’âge de 16 ans. Remarquée par le patron des disques Savoy, elle signa sur ce label en 1951. Alan Freed l’invita pour son fameux concert « The Moondog Coronation Ball » en mars 1952. Ses 45 tours grimpèrent dans les charts : Easy Baby (numéro 8) puis Double Crossing Daddy avec H. Bomb Ferguson, et son plus gros succès, Mercy Mr Percy, puis son hommage à Johnny Ace, Johnny Has Gone. Elle gravait sur une face un titre très r’n’b et sur l’autre face une ballade : cette recette fonctionnait bien. Varetta était une chanteuse dynamique ayant une très belle voix et entourée des meilleurs musiciens. Chez RCA et Groove, le succès continua avec là aussi un hommage à un autre disparu : I Miss You Jimmy dédié à James Dean. Enfin, elle passa chez Triumph pour un excellent Scorched / Good Gravy Baby. Sa carrière musicale se termina en 1962. Ensuite, elle travailla pour soigner des enfants malgré son gros handicap physique. Elle disparut en 1993, atteinte d’un cancer. Ce CD est une petite merveille présentant le meilleur d’une artiste importante que tout amateur de R’n’B se doit de connaitre. Il faut quand même signaler qu’un double CD presque semblable avait paru en 2013 : « Mercy Mr Percy » (GVC 2036), mais avec trois titres en moins ! – Marin Poumérol
Candi Staton
Candi Staton
Kent CDKENM 519 – www.acerecords.co.uk
Troisième album produit par Rick Hall pour son label Fame après les prestigieux « I’m Just A Prisonner » et « Stand By Your Man ». On y retrouve l’ambiance inimitable des studios de Muscle Shoals où une influence country côtoie délicatement et de manière omniprésente une soul sensuelle. Les titres Darling You’re All That I Need, TheThings I Get For You en sont symptomatiques. Et c’est tout naturellement que cette influence sudiste ainsi que l’expérience personnelle de Candi Station vécue lors de son enfance contribueront à magnifier sa reprise In The Ghetto appréciée par Elvis Presley, qu’il contribua à populariser, au point qu’il lui adressa un message de compliments. Son édition connut un succès qui fut suivi par ceux de Do It In The Name Of Love et de Lovin’ You, Lovin’ Me. Sa puissance interprétation de You Don’t Love Me No More, co-écrit par Clarence Carter, son mari d’alors, donne l’impression d’une vérité qui semble vécue. Figure également une reprise de Wanted : Lover de Laura Lee dont le titre complet est Wanted : Lover, No Experience Necessary, hélas moins punchy, moins accrocheuse et moins suggestive que la version de sa créatrice. Si les succès évoqués précédemment ne furent que locaux et limités aux charts R’n’B, il faudra qu’elle prenne un virage plus populaire avec Young Hearts Run Free qui est devenue une référence disco planétaire. – Jean-Claude Morlot
Muddy Waters
Sings Big Bill / At Newport 1960
Expanded
Jasmine Records JASMCD3275 – www.jasmine-records.co.uk
Ce CD Jasmine rassemble « Muddy Waters Sings Big Bill » (Chess LP 1444) et « Muddy Waters at Newport 1960 » (Chess LP 1449). L’intitulé « Expanded » signifie qu’ont été ajoutés cinq titres de l’album « Otis Spann – Rarest Recordings » (JSP LP 1070) publié en 1984. À la fin des années 50, Muddy Waters commence à toucher un public majoritairement blanc, amateur de jazz et folk. C’est pourquoi Chess changea sa stratégie commerciale et fit enregistrer le Roi du Blues en vue de ce nouveau public prêt à acheter des albums 33 tours. Chess avait déjà publié le LP « The Best Of Muddy Waters », une compilation de douze titres sortis en 78 et 45 tours. Le label n’eut aucun mal à convaincre Muddy Waters de s’engouffrer dans ce créneau en lui proposant d’enregistrer un disque en hommage son mentor, Big Bill Broonzy, la vedette du Blues décédée pendant l’été 1958. Le style de Blues de ce disque est plus convenu et superficiel que ce qu’avait enregistré Muddy Waters jusqu’alors. Mais la musique est de grande qualité. Début 1960, Nesuhi Ertegun, le vice-président d’Atlantic Records, vit Muddy Waters au Smitty’s de Chicago. Il fut impressionné. Quelques semaines après cette rencontre, Muddy fut invité à se produire au Newport Jazz Festival. L’excellent concert du 3 juillet 1960 fut enregistré et filmé. L’album « At Newport 1960 » connut un très grand succès des deux côtés de l’Atlantique. Got My Mojo Working devint alors le morceau phare du répertoire des groupes anglais. Malgré un son médiocre, c’est un album historique qui plaça Muddy Waters au firmament du Blues. Jasmine Records a intitulé les cinq derniers titres de ce CD « Bonus Tracks (Live At Newport) ». Il s’agit d’une démonstration de piano blues due à Otis Spann enregistrée un peu après le show de Muddy et son orchestre. Otis Spann se met en valeur, soutenu par Muddy Waters et sa formation. Après un Catfish Blues chanté par Muddy Waters, Otis Spann interprète quatre instrumentaux : Boogie Woogie, Slow Blues, Jump Blues et St Louis Blues. La musique est brillante, mais pas le son. Qui n’a pas les albums originaux Chess ou leurs nombreuses rééditions à l’exception du rare LP JSP 1070 ? Les amateurs d’intégrale d’un artiste achèteront volontiers cet excellent CD. – Gilbert Guyonnet
Various Artists
Atlanta Hot Bed of 70’s soul
Kent Soul CDKEND 518 – www.acerecords.co.uk
Homme d’affaires plutôt louche selon la présentation du livret, Michael Thevis n’en a pas moins contribué à l’édification d’une scène soul de premier plan à Atlanta, dans les années 70, à travers GRC Records et ses labels associés, Hotlanta, Reddlite et Aware. Six volumes Kent Soul ont déjà documenté ce riche catalogue, et l’on entre ici dans le dur avec 24 nouveaux titres dont les trois quarts sont inédits. Qu’il s’agisse de ballades ou de morceaux up tempo, de belles réussites émergent à chaque sélection. À commencer par ceux de la chanteuse Lorraine Johnson, fraîche émoulue du gospel et qui passera ensuite par la case disco. Du gospel aussi vient la chanteuse Dorothy Norwood, entendue ici dans un énergique Time Is Winding Up. Le Joe Hinton ici entendu est à ne pas confondre avec son homonyme texan. Dee Ervin, King Hannibal (excellent), Dee Clark sont des noms qui émergent de l’anonymat. Ce dernier dans une interprétation d’un très lyrique et écologique My Peaceful Forest, déjà confié à Roy Hamilton et resté inédit. Certains artistes (Kenneth Wright, Shirlean Fant, Surprise Sisters), malgré leur qualité et des investigations, demeurent des énigmes. Le livret sera, comme le plus souvent chez Kent Soul, un régal pour les amateurs de généalogie musicale. – Dominique Lagarde
Jesse Stone
Charles Calhoun
Architect of Rhythm n’ Blues 1927 – 1961
Jasmine records JASMCD 3209 – www.jasmine-records.co.uk
Voila un personnage important dans l’histoire du r’n’b, mais finalement assez mal connu. Né en 1921 au Kansas sous le nom de Jesse Stone dans une famille de musiciens il chantait, jouait du violon et du piano et enregistra dès 1927 Starvation Blues, morceau très jazz, puis il dirigea divers orchestres dans lesquels il chantait et composait. Les 15 premiers titres du premier CD sont à classer jazz, mais dès 1954 on plonge dans le vrai R’n’B avec des musiciens comme Mickey Baker, Sam “The Man” Taylor, Bud Johnson (saxo ténor), Hal Singer, Panama Francis (drums). Le premier CD comprend trente titres sortis sous son nom et on se rapproche très vite du Rock’n’roll. Le deuxième CD nous propose trente compositions de Jesse Stone publiées sous le nom de Charles Calhoun et là c’est un festival de titres devenus des classiques, par les plus grands interprètes des années 1950 et 1960. Jugez-en : The Drifters (Money Honey, Bim Bam), Big Joe Turner (Shake, Rattle and Roll, Morning Noon and Night), The Clovers, Ruth Brown, Varetta Dillard, Chuck Willis, The Cues, Lavern Baker, Ray Charles, Jimmy Witherspoon, Elvis Presley, Dean Martin et bien d’autres qu’il serait trop long de citer. On peut dire que sa carrière fut bien remplie sur tous les plans. Ce double CD est très bien fait avec tous les renseignements discographiques voulus et il permet de mettre en valeur le rôle de ces compositeurs, arrangeurs et musiciens dont les noms ne sont toujours au premier plan mais qui sont les vrais architectes de la musique, comme le dit le titre du CD. – Marin Poumérol
Roy Milton
Rocks
Bear Family Records BCD 17712 – www.bearfamily.com
La firme de disques allemande Bear Family a lancé, il y a quelques années, une série de CDs intitulée « Rocks-Séries » constituée de compilations très bien faites d’artistes de Rhythm & Blues, Rock and Roll et Rockabilly. Elle s’enrichit de la musique de Roy Milton. Ce chanteur, batteur et auteur compositeur originaire de l’Oklahoma fit toute sa carrière à Los Angeles où il se fixa en 1935. De la fin de la seconde guerre mondiale à 1962, il produisit de nombreux succès. Influencé par Louis Jordan et aidé d’une solide petite formation, The Solid Senders, il fut un des pionniers du Rhythm & Blues anticipant la fin des grands orchestres et annonçant le rock and roll. En 1945, il est approché par Art Rupe qui vient de créer la firme de disques Juke Box. Milton’s Boogie ici présent fut le premier hit de Milton en 1946. Grâce à ses gains, Roy Milton fonda en 1946 Roy Milton Records qui devint, pendant l’été 1947, Miltone Records. On reconnaissait ce label aux belles caricatures signées Alexander qui illustraient les étiquettes des 78 tours. Little Boy Blue et When I Grow Too Old To Dream apparaissent sur ce CD. Cela n’empêcha pas, au même moment, Roy Milton de rejoindre Art Rupe qui avait porté sur les fonts baptismaux Specialty après une brouille avec ses partenaires chez Juke Box. Jusqu’au printemps 1955, Specialty publia d’innombrables disques de Roy Milton. Quinze chansons ont été sélectionnées pour cette compilation de 31 titres. Roy Milton était un bon chanteur et un batteur impeccable. Vous apprécierez le jeu excitant de la pianiste Camille Howard qui chante parfois (That’s The One For Me et It’s Later Than You Think). Elle resta avec les Solid Senders jusqu’en 1956. Autre présence féminine : la chanteuse et épouse de Roy Milton, Mickey Champion, qui interprète fort bien sa propre composition Bam-A-Lam et le bluesy I’m A Woman, les deux faces du 78 tours Dootone 378. Bear Family a ajouté quatre chansons du catalogue Dootone. Cette compilation est complétée par trois titres King datant de 1956 et 1957, deux Cenco de 1961 et un Thunderbird de 1962. Pour un meilleur plaisir d’écoute, l’ordre chronologique n’a pas été retenu, comme toujours dans cette « Rocks-Série ». La discographie est remarquable, tout comme l’iconographie. Bill Dahl a rédigé un livret très riche en informations. Ainsi apprendrez-vous beaucoup sur l’excellent saxophoniste ténor John Joseph ‘Jackie’ Kelso qui fut le chef d’orchestre de Milton. J’imagine que nombreux sont les amateurs de Rhythm & Blues qui possèdent ses faces. Que cela ne les empêche pas d’acheter cette petite merveille. – Gilbert Guyonnet
Neville Taylor
Rockaroo !
Complete Recordings 1858 – 1961
Jasmine Records JASMCD 1197 – www.jasmine-records.co.uk
Neville Taylor est un chanteur d’origine jamaïcaine qui fit carrière en Angleterre du milieu des années 1950 et dans les années 1960 sous divers noms et dans des styles assez passe-partout. Mais il est entré dans l’histoire des télés britanniques car il fut l’un premiers artistes noirs à s’y produire. Chanteur dynamique et plaisant, il reprenait les tubes du moment avec un certain talent. Jailhouse Rock d’Elvis Presley, Good Golly Miss Molly de Little Richard, Breathless de Jerry Lee, Come On Everybody de Cochran sont mélangés à toutes sortes de tubes de variétés plus ou moins indigestes. Un pot pourri représentatif d’une époque, mais on est loin du Blues et des musiques afro-américaines, cependant Neville Taylor était un pionnier qui introduisit une certaine musique sur les télés britanniques. – Marin Poumérol
Big Joe Turner
Roll’em / My Gal’s A Jocker
Jasmine Records JASMCD3293 – www.jasmine-records.co.uk
À la maison, mon père possédait plusieurs disques de Big Joe Tumer. J’eus ainsi très tôt un coup de cœur pour cet hurleur de blues à la belle voix de baryton. Les mélodies de Sweel Sileen, Honey Hush, TV Mama et Shake Rattle And Roll me trottent dans la tête depuis près de soixante ans. Ces chansons ne font pas partie de ces deux compilations, mais on les trouve sur diverses publications consacrées à Big Joe Turner dont le double CD que Jasmine publia en 2013, « Ten Years Of Hits 1951-1960 » (JASMCD3032/3). Jasmine explore avec ces deux CDs, vendus séparément, la première partie de la très longue carrière du plus grand des blues shouters. Mais les cinquante-six chansons ne constituent pas l’intégralité de la production du chanteur entre 138 et 1950. Joseph Vernon Jr, né à Kansas City, ne s’intéressa jamais à la vie scolaire. Il n’apprit jamais à lire. Mais il était doté d’unc mémoire phénoménale qui lui permit de mémoriser toutes les chansons qu’il écoutait. Après divers petits métiers peu lucratifs, il fut embauché comme barman dans un club de Kansas City. Il fut repéré dans un bar où il chantait de derrière le comptoir. Ainsi, le 23 décembre 1938, il eut le bonheur de chanter, accompagné par le pianiste Pete Johnson, lors du concert légendaire « From Spirituals To Swing » au Carnegie Hall. Lowdown Dog et It’s All Right Baby, enregistrées en public ce jour-là et longtemps inédites, ouvrent « Roll’Em ». Une semaine plus tard, en compagnic de son vieux complice Pete Johnson, il inaugura, avec Oin’ Away Blues et Roll Em Pete pour Vocalion, sa carrière discographique qui perdura jusqu’à sa mort en 1985. Que ce fut pour Vocalion, Varsity, Okeh, Decca, National, Stag, M-G-M, Rouge, Freedom et Imperial, firmes de disques dans lesquelles Jasmine a pioché, le résultat de son œuvre enregistrée oscille du bon à l’excellent. En outre, il bénéficia d’accompagnateurs d’exception : les pianistes Albert Ammons, Meade Lux Lewis, Bill Dogget, Art Tatum, Sammy Price, Freddie Slack, Fats Domino ; les trompettistes Oran Hot Lips’ Page, Art Farmer et Dave Bartholomew sont là eux aussi ; les saxophonistes Don Byas, Coleman Hawkins, Henry Buster’ Smith et Maxwell Davis ; les guitaristes Goree Carter et Ernest McLean. Je ne cite que les plus célèbres ! Avec un tel soutien, il aurait été difficile d’être médiocre au très talentueux Big Joc Turner. Les livrets sont informatifs, le son de qualité. L’écoute de ces deux excellents disques doit s’accompagner de la lecture de la bio-discographie concoctée par un fou de Big Joe Turner, Derek Coller Big Joe Turner. – Gilbert Guyonnet
Note : Feel So Fine (Harding Simpole Edition)
Nellie Lutcher
She’s Real Gone
Selected Singles 1947-1952
Jasmine Records JASMCD 3270 – www.jasmine-records.co.uk
Nellie Lutcher, née en 1912 dans une nombreuse famille de musiciens, est très attirée dès son jeune âge par le Jazz. Ses idoles sont Fats Waller et les pianistes de ragtime. À partir de 1947, elle enregistre et obtient un tube avec He’s A Real Gone Guy.Elle va graver de nombreux disques avec son trio composé de Ulysses Livingston à la guitare, Billy Hadnott à la basse et Lee Young à la batterie (le frère de Lester). D’autres musiciens se joindront au groupe par la suite. Elle chante d’une façon un peu coquine et ne manque pas de bagout ! Elle est une sorte de Louis Jordan au féminin avec les accents jazz un peu fous de Fats Waller. Ce disque est plutôt jazz , mais avec de nombreux boogies ; je ne sais pas si les amateurs de blues pur et dur y trouverons leur compte. À écouter avant d’acheter. Musique joyeuse et groovy, qui swingue allÈgrement et une chanteuse à découvrir. – Marin Poumérol
Donnie Elbert
What Can I Do
Jasmine Records JASMCD 1203 – www.jasmine-records.co.uk
Familier aux amateurs de soul des années 60/70, le nom de Donnie Elbert (1936-1989) s’est fait plus rare par la suite. La carrière de ce natif de La Nouvelle-Orléans couvre plusieurs décennies, partagée entre États-Unis, Jamaïque et Angleterre. Elle sera émaillée de succès majeurs comme Little Piece of Leather ou sa version de Where Did Our Love Go, mais, faute peut-être d’un répertoire original, ou à cause d’albums éparpillés sur des labels différents ou des séries bon marché, laissera un goût d’inachevé. Jasmine a rassemblé et documenté ici l’œuvre de jeunesse de cet interprète à la voix haut perchée, dont le style constamment en falsetto (qui le fit prendre pour une chanteuse par un chroniqueur) peut rapidement lasser. N’empêche, comme lancé pour concurrencer Frankie Lymon, Donnie Elbert s’en tire plutôt bien avec un hit – What Can I Do – dès son premier single en 1957 pour Deluxe. Parmi les 32 chansons retenues, Come On Sugar est un rock’n’roll bien envoyé avec solo de guitare, Help Me un solide blues rock. I Love You For Sentimental Reasons permet de l’entendre chanter d’une voix normale. En 1968, il signera un album hommage à Otis Redding à l’interprétation sensible et inspirée, qui mérite, à mon avis, d’être recherché. – Dominique Lagarde
Tommy McClennan
I’m A Guitar Killer
(1939/1942)
Wolf Records WBCD 001 – www.wolfrecords.com
Il y a des types comme ça qui passent comme des étoiles filantes sans demander leur reste. Sans bruit. Sans autres effets que ceux de l’alcool qui, par deux fois, enverront Tommy au tapis. Il était rude, ancré dans sa terre, « down home » comme on dit par ici. Tommy McClennan vient d’un endroit qui en a vu d’autres, des bluesmen… Ce qu’on appelle le Delta dans la musique « country » a certainement le palmarès des d’artistes aux voix particulières. De Big Bill à Wolf, de Patton à Son House, ces chants sont aussi virulents que plaintifs, aussi rugueux qu’une terre aride et poussiéreuse, moite comme la boue et sombre comme un marais embrumé. Ce début de siècle dernier laissait souvent la trace d’une parole enregistrée simplement accompagnée d’une guitare. Les formations, c’était le soir dans les bouges. Pas sur disque, pas encore. Big Bill Bronzy, dans sa bio (« Big Bill Blues : William Broonzy’s [1893-1958], Story as Told to Yannick Bruynoghe », August 21, 1992 by Da Capo Press) fait naître McClennan en 1908 à Yazoo City, mais le certificat de décès indique que son lieu de naissance est Durant (Holmes County) en 1905. Son nom de famille a été orthographié de différentes manières, comme McLindon et McClenan, mais c’est McClennan qui a été utilisé sur ses enregistrements. Booker Miller le connaissait sous le nom de “Sugar” à Greenwood. À Yazoo City, Herman Bennett Jr. se souvenait de lui sous le surnom de “Bottle Up” d’après l’une de ses chansons les plus populaires, Bottle It Up and Go. D’autres bluesmen pensaient qu’il était originaire du comté de Bolivar ou de Vance, dans le comté de Quitman. Il réapparaît en 1910 dans le comté de Carroll avec toute la famille. En 1920, la tribu vivait dans une plantation près de Sidon dans le comté de Leflore ; endroit où il sera recensé avec sa femme Ophelia dix ans plus tard. Jeune, on suppose qu’il dégotte une guitare quelque part et commence en autodidacte jusqu’à sa rencontre avec Booker Miller à la fin de son adolescence. Le « protégé » de Patton insuffle au jeune McClennan le jeu caractéristique d’un country blues sans fioritures. Il voyage avec lui dans la région vers la fin des années 1920 et commence aussi à écumer les bars après avoir trimé dans les plantations toute la semaine. En 1937, quand Miller a cessé de jouer, il cède sa guitare à Tommy McClennan qui, avec son pote Robert Petway et un tout aussi jeune pianiste du nom de Honeyboy Edwards, traînent leur misère dans la région de Greenwood. « Il jouait dans des soirées privées comme moi », a déclaré Edwards au chercheur Pete Welding dans une interview citée dans les notes de pochette de « Tommy McClennan : The Bluebird Recordings » – RCA 1997), « j’apprenais donc sous la direction de Tommy ». McClennan jouait également assez régulièrement à Itta Bena, dans le Mississippi, avec Robert Petway, celui qui sera son frère d’armes. C’est à peu près tout ce que l’on sait de McClennan jusqu’à cette période. Fin des années 1930, Big Bill Bronzy souffle à l’oreille de Lester Melrose que ce type, McClennan, devrait lui plaire et qu’il devrait, pour le bien de l’humanité et de son portefeuille, aller le trouver et l’éterniser sur microsillon. Ni une ni deux, voilà Melrose qui quitte Chicago pour traverser le pays en direction de cet obscur ivrogne qui chante le blues comme pas deux et tout çà sans écouter le conseil du grand noir plein de sagesse qui lui avait pourtant dit de ne pas se rendre directement à la ferme des Sligh où travaillait Tommy. Merlrose n’en a cure et se pointe direct sur la plantation et, jetant la confusion, il se retrouve à devoir fuir car les propriétaires pensaient qu’il était là pour piquer des ouvriers agricoles. On ne sait pas trop comment fit Melrose finalement, mais voilà Tommy McClennan à Chicago dans les studios du célèbre label Bluebird. Le 22 novembre 1939, seul avec sa guitare et son austérité, il réalise sa première séance. Dans le catalogue de Bluebird, Tommy fait un peu figure d’intru face à la presque douceur jusque-là enregistrée d’un Fats Waller, d’un Jr. Gillum ou d’un Tampa Red. Tommy ne veut rien changer à sa façon de jouer et de chanter le blues. Pas de concession. Tony Russell, dans « The Blues – From Robert Johnson to Robert Cray » (Schirmer Trade Books, August 1, 1998), décrit les disques de McClennan comme de la « musique rauque de juke-joint sans grande subtilité technique ». Mais le manque de subtilité n’a jamais été étranger au blues. À bien des égards, la musique débraillée et émouvante de McClennan préfigure les débuts passionnants du Chicago blues de l’après-guerre dont les guitares sont souvent mal accordées et les batteurs en équilibre sur la corde raide du rythme, mais dont l’excitation transpire à grandes eaux. C’est ce qu’on ressent à l’écoute de la quarantaine de titres enregistrés entre 1939 et 1942. Un son brut, une voix rauque et forte. un grogneur de blues de l’arrière pays d’où naquit le Blues (pour paraphraser William Ferris), fils de la dernière vague de locaux qui enregistreront pour les grands labels de Chicago. McClennan chez Bluebird, c’est une virée sans fioritures dans les bas fonds du Blues. De ces premières sessions produites par Melrose sont gravés le fameux Bottle It Up And Go (enregistré pour la première fois en 1932 par le Memphis Jug Band de Wild Shade et Charlie Buse et basé sur un air traditionnel). On lui prêtera d’autre noms suivant les artistes comme “Sonny Boy” Williamson en 1937 qui l’intitule Got The Bottle Up And Go, d’autres en feront leur Step It Up And Go (Blind Boy Fuller) ou bien encore Bundle Up And Go dans les mains de John Lee Hooker (sur « The Country Blues of John Lee Hooker » en 1959 sur Riverside). Morceau insolent au groove dansant, à la guitare accrocheuse et à l’énergie débordante dont les paroles sont un melting pot de plusieurs morceaux antérieurs. Elle apparaît en face B de Whiskey Headed Woman (qui n’est pas sur cette compilation) en 1939. Autre belle reprise empruntée à Bukka White, qui fera les belles nuits des jukes du Sud, est Shake ‘Em On Down (écartée elle aussi de cette compilation). On peut légitimement penser que durant cette courte période, Tommy McClennan tenait le monde du blues dans ses mains (Barlow William, « Looking Up At Down : The Emergence of Blues Culture », Temple University Press, Philadelphia, 1989). Sa popularité grandissant, Bluebird lui colle quatre autres séances aux trousses, le 10 mai et 12 décembre 1940, le 15 septembre 1941 et le 20 février 1942. Pourtant bien entouré, il n’a pas l’air de trop fréquenter les clubs pour la musique, mais s’adonne plutôt à l’ivresse. Terrible ! Sa dernière séance aura donc lieu le 20 février 1942 pour huit titres toujours aussi puissants et rugueux. À la fin de sa session, il rejoint son vieux compagnon Robert Petway (dans les mêmes studios et, ironie du sort, ce sera la dernière fois que les deux artistes enregistreront) poser sa voix sur Boogie Woogie Woman. Mais Bluebird a d’autres chats à fouetter que de miser sur un bluesman peu fiable (problèmes d’alcool) pour remplir son catalogue. Adieu McClennan. L’homme et ses désillusions traîne dans un Chicago sans pitié, s’enfonçant de plus en plus dans l’alcoolisme, se produisant de moins en moins et crevant comme un clochard dans le dénuement au début des années 1960. « Honeyboy Edwards se souviendra plus tard, dans sa biographie, avoir croisé McClennan à nouveau en 1962. Il était sans ressources, vivant dans une remorque de camion qu’il avait transformée en maison de fortune. Edwards tenta de ramener McClennan sur scène. Son jeu de guitare malhabile était désormais clairement absent, mais sa voix puissante demeurait. L’envie constante de McClennan de boire de l’alcool n’a pas diminué non plus, ce qui raviva la rumeur de son manque de fiabilité et mit un terme à cette deuxième chance de gloire. Edwards le ramèna à sa vie dans les bidonvilles …. » (Greg Johnson, 1999). Le label Wolf Records vient à point nous rafraîchir la mémoire en publiant 21 titres issus des diverses sessions chez Bluebird. Ce qui est dit plus haut est dit. McClennan est brut et ce n’est pas une tare, bien au contraire. Si une belle partie des titres sont de Tommy McClennan (Elsie Blues, Black Minnie, Down To Skin An Bones, …), une autre fait la part belle aux reprises et adaptations. Crow Cut Saw Blues semble avoir été enregistrée quelques mois auparavant par Tony Hollins (Hollins travaille d’abord comme coiffeur à Clarksdale, dans le Mississippi. Il fait ses premiers enregistrements pour OKeh Records à Chicago en 1941, dont Cross Cut Saw Blues, mais aussi Crawlin’ King Snake et Traveling Man Blues, deux chansons interprétées plus tard par John Lee Hooker ; dans le cas de la dernière chanson, Hooker la renommera When My Wife Quit Me). Cross Cut Saw Blues donnera certaines lettres de noblesse à Albert King en 1966 (Stax Records). Baby Don’t You Want To Go ? est notable aussi puisqu’elle est une version du Sweet Home Chicago de Robert Johnson qui l’avait adaptée de Kokomo Blues de Scrapper Blackwell (passée entre les mains de Kokomo Arnold aussi). Love With A Feeling a comme géniteur Tampa Red, New Sugar Mama est une adaptation du Sugar Mama Blues de Sonny Boy Williamson qui la grave en 1937 pour le même label, Bluebird (sous filiale de RCA). Il Lui pique aussi Bluebird Blues. Mais, entre nous, qui s’en plaindra ? Nous avons ici une excellente compilation qui fait la part belle aux titres puissants d’un homme qui, sans alcool, aurait très certainement eu une carrière différente, même si son jeu à la fin des années 1940 ne correspondait plus à la demande de musiciens qui s’engouffraient dans le tout électrique. – Patrick Derrien
Sources :
Mississippi Blues Commission
Charters, Samuel, The Country Blues, Da Capo, New York, 1975.
Harris, Sheldon, « Blues Who’s Who ». Arlington House : New Rochelle, NY, 1979.
Diverses notes de pochettes : Tommy McClennan, « Mississippi Blues » – RCA (1977) / Tommy McClennan, « Cotton Patch Blues 1939/1942» – Travelin’ Man Records (1984).
Phil Flowers
D.C. Rider
Washington R’n’B 1958-1962
Jasmine Records JASMCD 3271 – www.jasmine-records.co.uk
Washington n’est pas une ville réputée pour sa musique afro-américaine. Pourtant il y avait des artistes comme TNT Tribble, le trompettiste Frank Motley avec lesquels le jeune Phil Flowers fit ses débuts surtout comme imitateur de Ray Charles, Sam Cooke ou Dean Martin et bien d’autres. Phil était né en Caroline du Nord en 1934 puis s’était installé à Washington. C’était un chanteur « tout terrain » capable d’interpréter tous les genres. Ici on l’entend dans d’excellents rock’n’roll : You Stole My Heart, Rosa Lee, The Dances et en 1962 comme tout le monde dans Twistin’ Beat soutenu par l’orchestre de TNT Tribble. Il se frotte aussi à des choses plus « folkloriques », pas toujours de bon goût : Sadie from Haiti ou Bingo. Certains titres plus blues ou ballades sont assez réussis : Let Me Come On Home, Think It Over. L’ensemble des 25 titres ici réédités forme vraiment une vignette assez savoureuse des musiques de cette période, car Phil Flowers était un très bon chanteur. Il n’obtint jamais de tubes, mais fit une carrière qui dura 35 ans. Il devait disparaitre le 22 janvier 2001. – Marin Poumérol
Otis Grand
Live at Burnley Blues Festival
Collaborations & Rarities
JSP Records JSP2511 – www.jsprecords.com
Otis Grand, originaire du Liban, vécut aux États-Unis où il découvrit le Blues et apprit à jouer de la guitare. Il rencontra divers bluesmen californiens avant de s’installer en Angleterre. Là, il devint la grande figure de la scène blues anglaise contemporaine. Il jouissait d’une renommée internationale. Hélas il mourut le 8 juillet 2023 à l’âge de 73 ans. Ce double CD constitue ainsi un hommage à cet excellent guitariste de Blues qui ne chantait pas. Le premier CD contient l’intégralité du concert d’Otis Grand et son orchestre très cuivré, The Dance Kings, au Burnley Blues Festival de 1989. Quel concert ! Un festival de swing, jump blues, blues, rhythm & blues. Le répertoire arrangé de main de maître par Otis Grand va de Fats Domino à Gary ‘US’ Bonds en passant par B.B. King. Le chant est assuré par l’excellent Earl Green. Please Don’t Leave Me de Fats Domino ouvre le show en fanfare avec une section de cuivres éclatante. Le tempo ne diminue pas avec le délectable Later Than You Think. Le torride Blues lent Stabbed In The Back est marqué par un superbe dialogue entre la guitare d’Otis Grand et le piano joué par Jamie Rowan. On revient à La Nouvelle-Orléans avec un irrésistible Down In New Orleans. B.B. King aurait aimé la version de Woke Up This Morning. Je me suis levé de mon fauteuil pour esquisser quelques pas de danse à l’écoute de Jump For Joy et son piano barrelhouse. Les mânes d’Albert Collins et Freddie King planent sur les deux instrumentaux : Burnley City Limits et Otis Rocks. Sur ce dernier, les musiciens s’en donnent à cœur joie, en particulier les saxophonistes que nomme à la fin Earl Green (j’imagine) : « Nick Pentelow and John Wilmott on tenor saxes there ». John Wilmot, qui travaillait à l’époque avec Otis Grand, n’est pas cité dans la discographie du livret ! Le second CD est intitulé justement « Collaborations & Rarities ». Otis Grand a beaucoup travaillé avec des bluesmen afro-américains venus en Europe. Il produisit et enregistra avec eux des disques que la firme anglaise JSP diffusa. Les amoureux de guitares gouleyantes se délecteront des duos d’Otis Grand avec Joe Louis Walker, Phillip Walker et Guitar Shorty. Joe Houston et son saxophone ténor (Camilla’s Hop) et le chanteur inspiré par Big Joe Turner, Jimmy T99 Nelson enregistré à Bordeaux (Chains Of Love et I Want A Big Fat Mama) raviront les nostalgiques. Tout comme Rosco Gordon avec trois chansons prises sur le vif à Burnley en 1991. Les trois titres résultats de la collaboration de Robert Ward et Otis Grand sont inédits. Qu’ils sont beaux ! Les deux artistes préparaient un disque quand la mort emporta Robert Ward. Fear No Evil, Strictly Reserved For You et l’instrumental White Fox sont magnifiques. Ils sont marqués par le jeu et le son de guitare dû à un ampli Magnatone de Robert Ward. Enfin, cinq inédits non datés mais probablement de la dernière partie de la carrière d’Otis Grand, voient le jour. Otis Grand est au sommet de son jeu de guitare. Son long solo sur When You Got A Woman et ses reprises de Magic Sam, All Your Love et l’instrumental Looking Good, vous en convaincront. Le chanteur de cette séance d’enregistrement était Brother Roy Oakley. Ce double CD posthume est un superbe hommage à Otis Grand avec un bémol : aucune chanson n’est créditée. Indispensable ! – Gilbert Guyonnet
Various Artists
Destination Jail vol.2
Bear Family Records BCD 17709 – www.bear-family.com
Une nouvelle série chez Bear Family : Destination Series. Il y en aura un peu pour tout le monde ; Beach, Moon, Lust, Jurassic land, Health, Lonely street, Freeway, Forbidden planet et celle qui nous préoccupe aujourd’hui : Jail (la prison). C’est un sujet dont on a beaucoup parlé dans le blues car la population noire a bien connu ça ! C’est donc le thème de ce CD avec 24 titres y faisant référence. Dans le livret, chaque titre est présenté ; dommage qu’il n’y ait pas les paroles ! Des titres bien connus comme Good Morning Judge par Wynonie Harris ou l’excellent Jailbird de Smiley Lewis y côtoient le fameux Riot In Cell Block n°9 et le swingant 21 Days in Jail de Magic Sam. Quelques curiosités sont très intéressantes, comme la version de Chain Gang par Theola Kilgore ou le Jailhouse Rock revu par Frankie Lymon. J’aime bien aussi le Jailhouse Blues de l’Anglaise Ottilie Patterson avec son ami le tromboniste Chris Barber. On trouve également Fats Domino, Willie Nix, Joe Jones, The Prisonaires (évidemment), Josh White, Lonesome Sundown, Roosevelt Sykes, Billy Boy Arnold, la sublime Wynona Carr et T. Bone Walker. La prison n’est pas une plaisanterie et l’ensemble ne porte pas à la rigolade, mais ce CD reste un document réaliste avec de très bonnes musiques. – Marin Poumérol
Various Artists
Groove Machine
The Earl Young Drum Sessions
Kent Records CDTOP 1629 – www.acerecords.co.uk
Clubbers de tous les pays, votre dette envers le batteur Earl Young est immense. Il est considéré comme l’architecte du beat disco, forgé au sein du studio Sigma Sound de Philadelphie. Le livret du CD contient une longue et passionnante interview de l’intéressé – toujours en activité – par Ian Shirley. Il y dévoile les étapes de l’évolution de son style, jusqu’au rythme baptisé four on the floor. Né en prison, Earl Young est impressionné, à l’adolescence, par une prestation du batteur Louis Bellson (le double bass drum qui deviendra l’essence de son style) lors d’un concert de son épouse la chanteuse Pearl Bailey. De là naîtra une carrière bâtie pas à pas, en autodidacte, jusqu’aux triomphes récurrents du Philly Sound de Gamble, Huff et Tom Bell, associé au bassiste Ron Baker. Earl Young a joué de la batterie dans 70 enregistrements récompensés d’un disque d’or. Ce CD rassemble 24 titres publiés de 1965 à 1977. La qualité en est constante. Penguin at the Big Apple/Zing Went the Strings of my Heart des Trammps ouvre l’album, avec ceci de particulier qu’il présente aussi Earl Young comme co-chanteur du groupe. Just Can’t Get You of my Mind des Spinners, My Love is Free de Double Exposure, reflètent à la perfection la quintessence de son style qui propulse irrésistiblement et conjointement chanteurs et danseurs. Claude François s’est largement inspiré du TSOP des Three Degrees pour Magnolias et Alexandrie. L’anglaise Dusty Springfield est venue se ressourcer au Philly Sound et le méconnu Chatles Mann excelle dans une puissante version du Do It Again de Steely Dan. – Dominique Lagarde
Skip James
Devil Got My Woman
Grafton, Wisconsin, February 1931
Jasmine Records JASMCD3284 – www.jasmine-records.co.uk
Rien d’inédit sur ce CD qui édite une nouvelle fois l’intégrale des faces Paramount du grand Skip James. En février 1931, cet homme, convaincu à juste titre de son immense talent, grave vingt-six faces. Seules dix-huit ont été publiées, les autres ont disparu avec la faillite de Paramount quelques mois après les enregistrements. Skip James est l’auteur de toutes les chansons (« Je n’ai jamais joué que ma propre musique » dit-il dans « Blues and the Soul of Man – An Autobiography of Nehemiah ‘Skip’ James », édité par Grossman’s Guitar Workshop). Il est un chanteur singulier à la voix douce et aiguë, une voix de falsetto. Son jeu de guitare est subtil. Son phrasé au piano est complexe. Ses blues sont autobiographiques. La musique produite est inclassable et intemporelle. De l’atmosphère sombre des chefs-d’œuvre Cypress Grove Blues, Hard Time Killin’ Floor et surtout Devil Got My Woman se dégage une grande mélancolie. Il y a aussi de la musique plus gaie destinée aux danseurs des juke-joints : How Long ‘Buck et If You Haven’t Got Any Hay, Get On Down The Road interprétés au piano. Deux gospels, Be Ready When He Comes et Jesus Is A Mighty Good Leader complètent la palette de ce bluesman unique. N’oublions pas le célébrissime I’m So Glad que Cream popularisa en 1966. Réécoutez attentivement l’original et la partie de guitare de Clapton avec Cream. Le jeu de Skip James transmet plus d’émotion que celui de la vedette anglaise… Chose exceptionnelle : cette musique fut gravée lors d’une seule séance d’enregistrement. Certains titres furent même improvisés en studio à la demande de la production, tel 22-20 Blues (la vogue, à l’époque, était aux blues parlant d’armes à feu) et sa très complexe partie de piano. Dans les années 1990, le Kronos Quartet, orchestre de musique classique, en a fait une transcription pour quatre violons, mais n’a pas réussi à reproduire la complication rythmique du jeu de Skip James. La musique est somptueuse. Tous les mélomanes se doivent de l’avoir dans leur discothèque. J’envierais presque toutes les personnes qui vont découvrir pour la première fois une œuvre si belle, si étrange et parfois dérangeante. – Gilbert Guyonnet
Various Artists
Shotgun Boogie
Rhythm’n’blues Goes Country
Bear Family Records BCD 17701 – www.bear-family.com
Le répertoire des musiciens de R’n’B fut souvent pillé par les autres genres de musique, mais l’inverse est aussi vraie et c’est à ce voyage que nous convie Bear Family : un petit voyage à la campagne ! De grands musiciens de R’n’B et de Blues interprétant des compositions « country ». Les deux genres étaient bien proches finalement. Avec Wynonie Harris, pas de problème ; il savait tout faire : Good Morning Judge ou Bloodshot Eyes de Hank Penny sont très réussis. Le saxophoniste et chanteur Bull Moose Jackson s’approprie magnifiquement des compositions de Lonnie Glossom ou de Moon Mullican. Les Griffin Brothers avec la chanteuse Margie Day sont formidables comme toujours (il faut absolument écouter leurs deux CD, les indispensables Acrobat 209 et 218). Scat Man Crothers massacre à sa façon joyeuse Ghost Riders In The Sky. Sonny Knight n’est pas tout à fait au nveau dans sa version de Lovesick Blues ; on lui préférera Hank Williams. Par contre, pour le classique Sixteen Tons, les Platters, avec une magnifique voix de basse, sont au top, mais le même titre ne convient pas à notre B.B.King… Parmi les réussites flagrantes, citons Earl Hooker dans Steel Guitar Rag, Cecil Gant dans Shot Gun Boogie. L’ensemble forme un super CD de 29 titres variés permettant de mieux comprendre les interactions et influences qui ont marqué la musique de cette époque. – Marin Poumérol
Jack Hammer
On The Dance Floor With
Bear Family Records BCD 17711 – www.bear-family.com
Twist and Twist… Et vous verrez le monde entier twister ! Ces nobles paroles sont la raison d’être de cette production typée de Bear Family. Jack Hammer fut d’abord un songwriter reconnu sur New- York : Great Balls of Fire de Jerry Lee Lewis. Né en 1925 et de son vrai nom Earl Solomon Burroughs, cet ancien tap dancer se fit connaitre grâce à ses compositions comme Fujiama Mama pour Annisteen Allen ou Rock and Roll Call pour les Treniers. Il enregistre à partir de 1956 chez Decca au piano, puis en 1958 chez Roulette et en 1960 à Londres pour Top Rank, mais sans succès. En 1961, il est en Belgique et c’est la vague du twist qui bouleverse les valeurs. Étant un super danseur, il comprend qu’un boulevard s’ouvre à lui. Aux States, Chubby Checker fait un malheur avec le twist. Il sera le suivant. Les titres disent tout : Boogie Woogie Twist, Twistin’ king, Crazy Twist, Twist, Turn and Twirl, Twist Around The Clock... Ça balance, c’est rugueux et il est très demandé dans toute l’Europe. 32 titres sont publiés sur ce CD. C’est un peu répétitif, mais c’est le disque idéal pour une soirée rétro et, si n’avez pas peur, il y a une version plus que kitch de Be Bop a Lula chantée en allemand qui vaut son pesant de cacahuètes (fans de Gene Vincent s’abstenir !). Une musique reflet d’une époque. Très bon son, livret de 34 pages avec beaucoup de photos : une production fidèle à l’image de Bear Family. – Marin Poumérol
Deep Inside The Blues
Photographs and Interviews
par Margo Cooper
University Press of Mississippi
Margo Cooper a été victime d’un incurable virus baptisé BLUES au début des années 1990. Equipée d’un appareil photographique et d’un magnétophone, elle est partie à la rencontre de musiciens et musiciennes qui contribuèrent à la riche histoire de cette musique. En 1997, elle visita le Mississippi pour la première fois. Ce fut un véritable coup de foudre. Son empathie avec les femmes et les hommes rencontrés dans le tiers-monde des États-Unis lui a permis de récolter leurs intéressantes confessions et de pouvoir les photographier dans une relative intimité. Ce livre nous dévoile cela. William Ferris a rédigé une élogieuse introduction dans laquelle il décrit les colossaux efforts déployés par Margo Cooper pour gagner la confiance des artistes ici présentés. La préface de Margo Cooper introduit ce que nous découvrirons en nous plongeant dans ce livre : quatre chapitres successivement intitulés Chicago Called, The Delta, Beyond The Delta et Hill Country. Le livre débute par le bref mais dense chapitre consacré à Chicago et ceux qui ont inoculé le Blues à Margo Cooper : Willie ‘Big Eyes’ Smith, son fils Kenny ‘Beedy Eyes’ Smith, Calvin ‘Fuzz’ Jones et Luther ‘Guitar Junior’ Johnson. Bien que considérés comme musiciens de Chicago blues, ces messieurs ont de profondes racines dans le Sud et furent proches de Muddy Waters. Calvin ‘Fuzz’ Jones parle du racisme à Money, Mississippi, d’où il était originaire et où se déroula le sinistre assassinat d’Emmett Till. Luther Johnson s’épanche sur la vie sur une plantation. Quant à Calvin ‘Fuzz’ Jones, il nous parle des humiliations subies mais aussi des moments agréables passés en compagnie de Muddy Waters lord des tournées dans le Sud. Le chapitre intitulé The Delta constitue le cœur de l’ouvrage. Dix-huit artistes sont portraiturés. Certains brièvement en quelques lignes ou deux pages : John Horton Jr. qui enregistra un disque pour Fat Possum sous le pseudonyme de Johnny Farmer, son fils John Horton l’un des meilleurs chanteurs et guitaristes actuels du Delta mais complètement ignoré, David Lee Durham, Joe Cole qui raconte comment il fut traité comme un esclave à son retour dans le Mississippi, les artistes blancs Eden Brent et Bill Abel, le chanteur de Soul sudiste Mississippi Slim et enfin les patronnes de clubs ‘Ma Rene’ Williams, boss du Dew Drop Inn de Shelby et Mary Shepard, boss du Club Ebony d’Indianola. Les portraits des autres artistes présentés dans cet ouvrage sont plus étoffés. Le batteur Sam Carr, fils de du grand Robert Nighthawk, raconte sa première brève rencontre avec son père qui dura dix minutes quand il avait 7 ans. Puis, alors adolescent, Sam Carr manifesta le désir de devenir musicien. La réponse de son père fut terrible : « Tu ne seras jamais musicien ». Vous découvrirez que Robert ‘Bilbo’ Walker avait 19 frères et sœurs et que 16 d’entre eux moururent de maladies en bas âge. Et ce n’est pas tout ! James ‘Super Chikan’, neveu de Big Jack Johnson, se livre avec beaucoup d’intelligence et de finesse. En plus d’être un excellent musicien formé par son oncle, il est luthier. Il fabrique des guitares originales baptisées « chikantars ». La modestie du nonagénaire chanteur-harmoniciste ‘Cadillac’ John Nolden est fort sympathique ; il raconte (p.156), comment il faillit être lynché. T Model Ford est toujours aussi excentrique et drôle. Il est bon de découvrir en profondeur les peu célèbres Eddie Cusic, mentor de Little Milton, et Mickey Rogers. Celui-ci vécut quelque temps à Chicago où il voisinait avec Hubert Sumlin qui lui donna des cours de guitare et lui permit de jouer de la basse avec Howlin’ Wolf quand celui-ci avait besoin d’un bassiste. En outre, Mickey Rogers fut pendant de nombreuses années guitariste de la maintenant star internationale Bobby Rush. Beyond The Delta, titre du bref troisième chapitre, nous fait rencontrer Willie King, Jimmy ‘Duck’ Holmes, Big Boy Spires et L.C. Ulmer qui nous émeut avec la formidable narration de sa vie. Le livre se clôt avec le chapitre Hill Country. Otha Turner en est la figure centrale. Calvin Jackson, gendre de RL Burnside et père de Cedric Burnside, méritait amplement un long portrait. Cedric Burnside bénéficie de sept pages. Margo Cooper a retranscrit les interviews des diverses personnalités rencontrées avec leurs mots et leurs syntaxes pas toujours orthodoxes. Cela rend la lecture de ces portraits très vivantes. Les innombrables et magnifiques photographies de Margo Cooper illustrent avec brio les mots des divers artistes. Nous avons le sentiment, en regardant ces clichés, d’une grande intimité entre Margo Cooper et ses interlocuteurs. Voici un beau et important livre, indispensable dans toute bibliothèque d’amateur de Blues. – Gilbert Guyonnet
Amy Winehouse
Petit à petit – www.petitapetit.fr
En ce printemps 2024, l’heure est au souvenir de la chanteuse Amy Winehouse (1983-2011) dont la brève mais fulgurante carrière a ouvert un nouveau public à la Soul et au Jazz, au moment où l’on s’y attendait le moins. Je garderai toujours le souvenir d’avoir entendu pour la première fois Rehab sur un autoradio à l’automne 2006. Bluffé, j’ai pensé sincèrement qu’il s’agissait d’un titre oublié ou inédit de la Motown, ressurgi pour on ne sait quelle raison des archives. Un peu comme le Black Betty de Ram Jam, Come and Get your Love de Redbone revenus sur les ondes des décennies après leur parution. Un phénomène devenu plus courant grâce aux bandes son des séries. Non, Rehab était bien une nouveauté et demeure le titre emblématique du phénomène de Camden, en proie à ses addictions. En parallèle du biopic « Back to Black » sorti en avril dernier, ce Docu BD, réalisé par un collectif de quinze illustrateurs, en collaboration avec Elsa Gamblin pour la partie documentaire, et Tony Lourenço pour les scénarios, alterne planches et notices documentaires. Les secondes répondant par thèmes – photos noir et blanc à l’appui – aux premières, à intervalles réguliers. Elles approfondissent certains aspects de la vie mouvementée de l’interprète aux multiples tatouages, notamment la relation avec sa grand-mère adorée Cynthia, pilier de la famille. L’analyse y est préférée au sensationnel. La couverture est signée Benjamin Blasco-Martinez. Ceux qui auront vu le film noteront certaines différences avec l’ouvrage, en particulier le rôle joué par le père d’Amy, beaucoup plus appuyé à l’écran, tout comme celui des paparazzis et de l’amour de sa vie, Blake, l’homme au chapeau. Les besoins pour la toile sont, il est vrai, différents. Un ouvrage plaisant, qui s’attache à cerner – dans une collection déjà forte d’une vingtaine de volumes consacrés à des monstres sacrés (Otis Redding, Jimi Hendrix, etc…) – les destins chanceux ou contrariés de ces artistes. – Dominique Lagarde
Arhoolie Records Down Home Music
The Stories and Photographs of Chris Strachwitz
par Joel Selvin & Chris Strachwitz
Chronicle Books
L’immense travail du regretté Chris Strachwitz en faveur des musiques vernaculaires américaines fait de lui une importante personnalité du monde musical. Il fut un inlassable collectionneur de 78 tours et 45 tours de Blues, Gospel, Jazz, Zydeco, Tex Mex, Cajun et Country qu’il diffusa auprès d’un large public international grâce à diverses firmes de disques crées à partir de 1961 (Arhoolie et Blues Classics). En outre, il enregistra, produisit et publia des disques de Mance Lipscomb, Lightnin’ Hopkins, Big Joe Williams, Clifton Chenier, Juke Boy Bonner, Flaco Jimenez, etc… Sentant ses forces décliner et sa fin approcher, Chris Strachwitz vendit l’intégralité des catalogues de ses labels au Smithsonian Institute afin de préserver un impressionnant trésor. Au même moment, il se plongea dans ses archives photographiques. Il s’attela à mettre de l’ordre dans les nombreux clichés qu’il avait pris lui-même afin d’en publier quelques-uns. La mort de Chris Strachwitz n’interrompit pas ce projet. Joel Selvin, journaliste musical qui interviewa Chris Strachwitz dans les années 1960, termina le travail. Il s’est aussi chargé de rédiger l’histoire fascinante du grand homme. En 57 pages, il narre avec clarté le parcours d’un homme exceptionnel qui, encore étudiant, découvrit, grâce à la radio, le Jazz et les musiques qu’il promut avec passion. Les magnifiques photographies noir et blanc sélectionnées sont publiées dans un ordre chronologique. Les musiciens de jazz Billy et Dee Dee Pierce, saisis à La Nouvelle-Orléans en 1956, ouvrent l’album-photo. Le jazz traditionnel fut le premier amour de Chris Strachwitz. Puis défilent, entre autres, Mance Lipscomb, Lightnin’ Hopkins interviewé par Paul Oliver, Flaco Jimenez donnant un cours d’accordéon à Ry Cooder, Fred McDowell, Bongo Joe, Mercy Dee Walton, Big Joe Williams et sa nombreuse famille devant la cabane où ils vivaient, Lowell Fulson, Lydia Mendoza, Big Joe Turner Fats Domino, … Les photos de Clifton Chenier sont nombreuses. La dernière photo du livre date de 1999. Elle montre le couple vedette de la musique cajun : Ann et Marc Savoy. Chaque cliché est commenté par Chris Strachwitz : descriptions des artistes et situations rédigées avec humour et tendresse pour les photographiés. Je signale aux lecteurs une petite erreur de Joe Selvin, p.32. Celui-ci écrit que, lors de l’American Folk Blues Festival 1964, Chris Strachwitz souffrit d’un mal étrange qui le cloua au lit. Ce ne fut pas Strachwitz le malade, mais Lightnin’ Hopkins qui subit le contre-coup de sa peur de voyager en avion. Que cette remarque ne vous dissuade pas de vous procurer ce beau livre, digne hommage à un homme de l’ombre de l’industrie musicale. – Gilbert Guyonnet