Fats Domino

Fats Domino, photo promotionnelle (collection Gilles Pétard).

Des faces Imperial aux covers : l’Éternité a son tarif…

• “Gros Domino” s’en est allé. Un flot de souvenirs musicaux submerge l’ouïe, nous laissant abandonné et pantois. Un parent proche dont on cherche en vain la bienveillante ombre tutélaire. Un mélange de tristesse immédiate et d’allégresse antérieure. La nostalgie n’est certes plus ce qu’elle était, mais les traces d’anciens festins continuent à stimuler les papilles.

On pense à la pochette du « Tribute to Fats Domino, Goin’ Home » (1),  sur lequel on devine la silhouette d’Antoine au fond d’un couloir à contre-jour, un peu brinquebalante dans le flou du halos lumineux. Un afflux musical multifocal où la voix débonnaire et paresseuse paraît se démultiplier au gré des hits intemporels qu’elle a générés. Au fil du temps, les versions originales se mélangent aux covers d’autres artistes dans un gumbo prestigieux où le moindre pas, le plus petit déhanchement, renvoie à un plaisir tout autant suranné qu’intemporel. Un Imperial à deux étages… Le méchant Rockab d’Hello Josephine par Sleepy La Beef (2) prolonge la grâce originelle au même titre qu’un I’m Walking (3) perpétué par le grand orchestre de Count Basie. Des reprises certes décalées, mais où flotte un parfum commun de Domino. Mises bout à bout, les deux Blue Monday de Dr John (4) et de Randy Newman (1) rappellent l’innocence originelle de Fats, alors que le décalage temporel entre la version de I’m Gonna Be a Wheel Someday de Bobby Mitchell (5) et celle d’Herbie Hancock avec  la rythmique des Meters, Geoges Porter et Zigaboo Modeliste (1), n’entérine en rien une quelconque rupture stylistique. Il y a certes un monde entre le Blueberry Hill de Fats (6) et la toute récente version du guitariste Jim Oblon (7) soutenu dans l’exercice par l’orgue de Larry Goldings et la batterie de Jim Keltner, mais le côté bon enfant du chanteur pianiste est à même de poindre à l’instant opportun pour mieux souligner la qualité des musiciens sus-nommés. Et même quand le morceau incriminé n’est pas à proprement parler une création initiale de Fats – Blueberry Hill est une scie des années 40 enregistré en son temps par Louis Armstrong (8) – son empreinte est telle que les reprises ultérieures semblent oblgées de lui faire déférence.

Fats Domino, photo promotionnelle (collection Gilles Pétard).

Bob Dylan aura beau faire un numero très réussi de crooner suranné dans Sentimental Journey (9), on garde plutôt en mémoire les rudes coups de ventre dans le piano qui ponctuaient traditionnellement les fins de concerts d’Antoine Dominique… Let the Four Wind Blow peut faire montre d’une virtuosité habitée – cf. la guitare de Snooks Eaglin (10) – ou prendre quelques courants d’Air Jamaica (cf. Bonerama (11) ou Toots and The Maytals (1)) ; le phrasé des paroles, le rythme de la chanson, sont toujours dicté par le boss. Il n’y a qu’à voir comment certains créateurs de chansons gravées dans le répertoire intemporel de Fats peuvent étre marqués par son style et son rythme quand ils se les réapproprient. La démo minimaliste du Domino Twist par Jimmy Donley (12) est tout aussi émouvante et respectueuse que Walking To New Orleans chanté par Bobby Charles (13) (duo vocal avec Fats peu avant le point d ‘orgue). Une « réappropriation dans l’esprit » qu’on retrouve dans le Valley of Tears de Robert Plant et du  Soweto Gospel Choir (1) ou avec Art Neville sur Please Don’t Leave Me (1).

Hey La Bas ? Une question existentielle reglée une bonne fois par Fats en forme de boogie (6). L’intemporalité a trouvé son rythme et le Fat Man son paradis.


Références

(1) Various Artists, « A tribute to Fats : Goin’Home » – Vanguard /Tipitina’s foundation (2007)
(2) Sleepy La Beef, « Greatest Hits » – Nat Team Media SL (2012)
(3) Count Basie, « Pick the Winners » – Verve (1965)
(4) Dr John, « Going Back To New Orleans » – Warner (1992). À noter aussi une très belle version de Walking to New Orleans par le “Good Doctor” avec le disque du New Orleans Social Club « Sing Me Back Home » paru en 2006.
(5) Bobby Mitchell and The Toppers – Mr R&B (1997) /45 t original Imperial (1957)
(6) « Fats Domino 1949-1962 : The Indispensable » – Frémeaux & Associés (2017) : gros travail de compilation et de livret de Bruno BLum !
(7) Jim Oblon, « Sunset » – Jim Oblon (2014)
(8) Louis Armstrong, « Louis Armstrong, The Decca Singles 1949-58 » – Verve (2016)
(9) Bob Dylan, « Triplicate » – Columbia (2017)
(10) Snooks Eaglin, « Snooks Eaglin with his New Orleans Friends » – Sonet (1978)
(11) Bonerama, « Shake It Baby » – Bonerama (2013)
(12) Jimmy Donley, « I Really Got The Blues » – (2011)
(13) Bobby Charles, « Last Train To Memphis » – Rice’N Gravy (2009)


Par Stéphane Colin

The Indispensable Fats Domino 1949-1962

Frémeaux & Associés FA5692  – www.fremeaux.com

Coffret 6 albums ; livret 36 pages

Antoine “Fats” Domino nous a quittés le mardi 24 octobre 2017. Sa famille était originaire de La Vacherie, sur un coin de la célébrissime Plantation Laura, à quelques miles de New Orleans où il est né en février 1928 dans le Lower 9th Ward et où il a toujours habité même après que l’ouragan Katrina ait dévasté sa maison en août 2005. Réfugié sur son toit, il avait dû être évacué avec sa femme par hélicoptère, mais il avait fait reconstruire sa maison au même endroit. Il fut un Pionnier du R&B style New Orleans et sa carrière a été prestigieuse en star mondiale du Rock‘n’Roll. Toutefois, il faut reconnaitre que le succès planétaire de faces comme Blueberry Hill, Blue Monday et I’m Walkin’ To New Orleans – entre autres (et reprises dans ce coffret) – a mis de l’ombre sur les blues et boogies qu’il avait enregistrés pour Imperial Records dès 1949. C’est à cette carence que remédie le premier album de cette série avec The Fat Man et Hide Away Blues de 1949, Little Bee, Boogie Woogie BabyHey La Bas Boogie, Careless Love de 1950, etc. Les autres albums du coffret qui couvrent toute la période Imperial jusqu’en 1962 recèlent encore des faces marquées du sceau du blues et du boogie woogie comme Fats Domino Blues, Bad Luck And Trouble, Trouble Blues, Barrelhouse, Little School Girl… Mais aussi, outre celles déjà citées, des faces emblématiques sur lesquelles tout le monde a dansé et que nous avons tous fredonnées avec ravissement comme Mardi Gras in New Orleans, Second Line Jump, All By Myself, Ain’t That A Shame, My Blue Heaven, When The Saints Go Marcin’ In, Walking My Girl Josephine, Let The 4 Winds Blow, Jambalaya (On The Bayou) et tant d’autres. Tous ces titres sont ici et d’autres parfois à découvrir ou redécouvrir parmi les 120 qui composent ce formidable recueil.


Par Robert Sacré

 

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