Génération montante du Chicago blues
• Chicago reste un vivier exceptionnel du blues avec des vétérans encore en activité comme Buddy Guy, Bob Stroger, Jimmy Burns, Billy Boy Arnold, rejoints par Toronzo Cannon, John Primer, Lurrie Bell, Deitra Farr, Pierre Lacocque et Mississippi Heat, Carl Weathersby, Dave Weld, Mud Morganfield, Nick et Kate Moss, Dave Specter, Billy Flynn et d’autres. Néanmoins, ces dernières années, est apparue une nouvelle génération d’artistes de grande valeur, dont Loretta Weathersby, Breezy Rodio, Demetria Taylor, Johnny Iguana, Ivy Ford, les Cash Box Kings, Corey Denison, ou encore The Dig 3 dont Gerry Hundt est un des membres ! Ce dernier a déjà un beau palmarès à son actif, il a fait partie d’un nombre conséquent de groupes avec lesquels il a fait son apprentissage de beaucoup d’instruments avant de passer chez Nick Moss à la mandoline, piano et guitare dès 2003 puis de s’associer avec Corey Dennison depuis 2013 et, plus récemment, il est actif en one-man band (foot drum, basse, harmonica, guitare, mandoline) et membre du groupe The Dig 3. On a voulu en savoir plus sur sa carrière, ses débuts et ses projets par le biais de cet entretien.
Les influences
Je m’appelle Gerald Hundt et je suis né le 29 mai 1977 à Appleton, Wisconsin. Il semblerait que ma grand-mère maternelle jouait de la guitare et de la clarinette quand elle était jeune. Mes enfants font de la musique, piano, clarinette, cor d’harmonie… Quand j’étais gosse, la première cassette que j’ai complètement usée était Thrtiller de Michaël Jackson et j’écoutais beaucoup la radio et tous ce que mes amis à l’école aimaient, même Guns’N Roses et plus particulièrement The Cure. Tout cela a changé le jour où j’ai en tendu The Wind Cries Mary à une fête d‘école quand j’avais 12 ans. Le lendemain, je suis allé acheter le CD, « Smash Hits » du Jimi Hendrix Experience. J’ai commencé à collectionner tous leurs albums et fait un tas de recherches sur Jimi. Son influence m’a conduit à écouter un programme sur la radio WNIJ intitulé Saturday Night Blues avec Dan Klefstad. Lors d’un concours par téléphone sur ce programme, j’ai gagné un ticket pour assister à un concert de John Hammond dans mon patelin, Rockford, Illinois. Ce fut mon premier concert de blues et Hammond m’a beaucoup impressionné par la passion qu’il mettait dans sa prestation. C’était un one-man-band, il chantait, il jouait de la guitare, il soufflait dans son harmonica et tapait du pied avec autorité et abandon ! Plus tard, je suis allé voir Albert Collins et Junior Wells à un festival et aussi Lonnie Brooks et les Fabulous Thunderbirds. Alors, en 1995, j’ai commencé à fréquenter le Chicago Blues Festival avec mon copain Justin McLaughlin et on a vu Brownie McGhee, Sugar Blue et un de mes musiciens favoris, Johnny B. Moore. L’année suivante, j’ai pu aller voir et écouter Robert Jr. Lockwood, Henry Townsend, Homesick James, Detroit Junior et Otis Rush. J’étais désormais à fond dans le blues !
Du rôle d’auditeur à celui de musicien multi-instrumentiste
J’ai commencé à jouer de l’harmonica vers 16 ans quand je me suis blessé à l’entraînement et n’ai plus pu jouer au football pendant toute une saison. Chez mon disquaire local, j’ai acheté deux CD avec des harmonicistes : « Alone And Acoustic » de Buddy Guy et Junior Wells et une compilation de 45 tours de Howlin’ Wolf. J’ai aussi trouvé une copie de l’album Genuine Houserockin’ Music vol.1 sur Alligator Records et je suis devenu complètement accro à la musique de Fenton Robinson.
Je me suis mis à jouer de l’harmonica en écoutant ces albums et j’ai retrouvé des techniques et des idées familières que j’avais entendues auparavant dans un contexte différent, chez Jimi Hendrix et, de ce fait, cela me venait naturellement et j’ai fait des progrès rapides. J’ai commencé à participer à des jam sessions, en particulier au Silver Moon, un bar du Delaware dont le patron était Glenn Davis qui avait joué avec Homesick James et Pat Soul à Chicago.
Je suis devenu de plus en plus intéressé par la guitare et j’ai assimilé tout ce que j’ai pu et, aujourd’hui encore, j’entends le chant et le jeu de Glenn dans ma propre musique. Glenn est toujours en activité dans le Sud-Wisconsin et le Nord-Illinois. Dans ce bar, il y avait des jam sessions tous les jeudis et dimanches et j’y allais aussi souvent que je pouvais. Quand je suis allé au College dans le Vermont, j’ai eu la chance de rencontrer Paul Asbell ; né à Chicago, il avait joué entre autres avec Sam Lay et Earl Hooker. Il avait décroché un Grammy pour un album de jazz avec son groupe Kilimanjaro et nous avons travaillé ensemble sur la guitare en général, la théorie, la technique et l’entrainement de l’oreille. Ses leçons imprègnent encore très fort mon jeu aujourd’hui, bien que je ne puisse lire ni déchiffrer la musique aussi bien que je le devrais. J’ai commencé à jouer de la basse à l’été 1999 quand je vivais dans le Colorado et un groupe d’amis, The Clam Daddys, cherchait un bassiste – ainsi qu’un van d’ailleurs ! – pour faire une courte tournée en Idaho. Deux des membres du groupe, Moses Walker et Tommy Knox, géraient un vaste répertoire allant de Fats Waller à Johnny Lang et chaque gig avec eux était une fête d’improvisation collective mêlant les genres. J’ai appris à jouer du ragtime et à apprécier des paroliers tels que Tom Waits et Martin Mull. Puis je suis passé à la mandoline. Tony ‘The Drummer’ Hager jouait souvent avec les Clam Daddys et il savait rafistoler des instruments abîmés et bon marché. Je lui ai acheté une vieille mandoline Kay et l’ai prise avec moi pour tourner avec Nick Moss. J’étais inspiré par Johnny Young et Yank Rachell et j’ai rapidement progressé. Je n’en jouais que depuis un an quand on a enregistré « Since Way Back ». Il y a tant et tant de guitaristes et d’harmonicistes dans le blues et j’ai pensé qu’un album de mandoline me permettrait d’être plus remarqué et cela a bien fonctionné avec une aide appréciable de Kate Moss sur le plan design et publicité. J’ai engrangé pas mal de nominations BMA dans la catégorie maintenant abandonnée hélas : « Instrumentalist – Other » (comme chacun sait, Gatemouth Brown y était chaque année lauréat dans la catégorie violon). Au cours de mes tournées avec Nick Moss, j’ai aussi pris des leçons de piano et d’orgue occasionnelles avec Piano Willie et Barrelhouse Chuck, mais je ne me considère pas du tout comme pianiste ni organiste, même si j’ai quand même enregistré des morceaux à l’orgue, au moins un instrumental, Bubbleguts avec Kilborn Alley et quelques faces avec Martin Lang sur ses deux derniers albums, « Bad Man » et « Mr. Blues, Mr. Blues ».
La rencontre et la collaboration avec Nick Moss
Mon premier concert de blues s’est passé à l’occasion de mon vingt-et-unième anniversaire au Two-Wheel Inn à Rockford, Illinois, avec le Chain Link Blues Band. J’en avais rencontré le batteur, Dennis “Link” Leary lors d’une jam et il m’a appelé cette après-midi là pour remplacer un membre empêché du band. Link et moi on est resté d’excellents amis et nous partageons une passion pour le blues mais aussi pour le disc golf. Mon premier concert à Chicago eut lieu peu après et ce fut avec Nick Moss au Buddy Guy’s Legends. Quant à mon premier concert en tant que membre full-time du band Nick Moss & The Flip Tops, il s’est tenu au Blues City Café de Memphis pendant les BMA de 2004. Ce fut mémorable, parce que Pinetop Perkins et Willie “Big Eyes” Smith nous ont rejoints sur scène et, en plus, j’y ai rencontré Jeff Turmes dont j’ai toujours admiré le travail qu’il a fait avec James Harman.
Pour revenir à Nick Moss, je l’ai rencontré pour la première fois à Denver, en automne 2003, quand il y a produit l’album d’un ami commun, “Easy Bill” Towber et j’ai eu l’occasion de jouer de l’harmonica sur quelques faces et même des drums sur une autre. Le mois suivant, le band est revenu dans le coin et cherchait un concert, alors je leur ai cédé ma place dans la jam du dimanche au Lakewood Grill. Le hasard a fait que c’était la dernière tournée que Kate faisait avec le groupe et j’ai signalé à Nick que j’étais aussi bassiste. On est parti de là et j’ai tourné avec eux en janvier 2004 dans le Wisconsin et le Minnesota. Puis, Nick s’est trouvé un autre bassiste, mais il m’a demandé de rester comme cinquième membre du groupe pour jouer de l’harmonica et comme second guitariste. Quand les prix du carburant ont flambé, le band est redevenu un quartet et j’ai partagé le boulot de bassiste avec Bob Welsh. Cet automne-là, on a bâti le home studio de Nick et on y a enregistré « Sadie Mae », c’était début 2005. On a encore enregistré quelques albums pour son label Blue Bella Records, les siens, dont « Play It ‘til Tomorrowet Priviliged », ainsi que ceux de Kilborn Alley et Bill Lumpkin, et aussi mon album mandoline. Il y eut aussi deux albums live enregistrés au Chan’s, dans le Rhode Island. Mon contrat avec Nick s’est terminé en 2008 après des tournées dans quarante-huit états US et douze pays européens. On a joué partout, que ce soit dans des festivals ou dans des bars et salles de concerts. J’ai appris énormément de Nick et de ceux qui l’entouraient et je lui suis reconnaissant des opportunités qu’il m’a offertes.
L’association à Corey Dennison
J’ai rencontré Corey pour la première fois à London en Ontario. Lui était en tournée avec Carl Weathersby et moi avec Nick. Il y avait un festival et on y a joué la même nuit, Billy Branch était aussi à l’affiche. Plus tard, quand je me suis installé dans le Nord-Ouest de l’Indiana, j’ai revu Corey à une jam dirigée par Kenny Kinsey au Leroy’s Hot Stuff. Il venait de débuter une série de concerts avec son propre trio et il avait décroché un passage au Buddy Guy’s Legends en janvier 2013. La chance a voulu que je sois engagé pour un set acoustique au même endroit juste avant Corey ! Je lui proposé de l’accompagner à la guitare et le concert a remporté un succès complet et c’est ainsi qu’est né le Corey Dennison Band. Nous avons effectué notre première tournée sous ce nom au mois de mars, vendant mes CD pour payer les frais de carburant ! J’ai très vite compris que le band devait avoir son propre album à vendre aux concerts, c’est ainsi que j’ai enregistré, édité et mastérisé « Live In Chicago », notre premier album gravé lors d’une séance au Legends en octobre 2013.
On a régulièrement joué dans des clubs de la région et dans des festivals et, en 2015, on a pu réaliser notre premier album pour Delmark Records avec des morceaux composés et écrits par Corey et par moi, en un seul jour, dans une ambiance live : on s’était même habillés comme si on allait jouer devant un public ! Cet album a été super bien reçu par le public et les critiques, il a décroché une nomination aux BMA et conduit à de nombreux engagements tant aux US qu’à l’étranger. En janvier 2016, on nous a offert de reprendre les prestations hebdomadaires de Carl Weathersby au Kingston Mines, chaque lundi et chaque mercredi, et on a gardé ce boulot jusqu’à la pandémie de Covid, en mars 2020. On assurait une moyenne de cinq à six concerts chaque semaine et on a fait quelques tournées mémorables en Europe, magistralement organisées par Franky Bruneel (NDLR : Back To The Roots Magazine et tour operator). On était parfaitement rodés et tout le band fonctionnait quasi par télépathie, avec un répertoire qui allait de Robert Johnson à Slayer mais, bien sûr, on privilégiait nos propres compositions. Parmi mes meilleurs souvenirs, il y a notre participation au Chicago Blues Festival en 2018 puis, la même année, au Moulion Blues Festival en Hollande. J’ai énormément appris sur la façon de jouer la soul et le funk et j’ai beaucoup aimé mon rôle de manager et planificateur du groupe.
Les autres collaborations et voyages US
J’ai joué avec un tas d’autres groupes et musiciens. Le premier nom qui me vienne à l’esprit est celui de John-Alex Mason qui a joué un rôle très important dès le début de ma carrière de musicien. Je l’avais rencontré lors de mes études supérieures (NDLR : College) et il m’a encouragé à aller m’installer dans le Colorado en 2001 et faire, avec lui, un duo acoustique. On a enregistré un excellent album – « Mason & Hundt » – et fait quelques tournées. Plus tard, on a eu un groupe appelé Hipshake et on a joué en première partie d’un show de Jimmie Vaughan à Colorado Springs. Un autre groupe important pour moi a été les Cash Box Kings qui font des albums pour Alligator Records maintenant. J’ai joué avec eux à Chicago pendant toute une période et cela m’a permis de me lier avec Joel Paterson, Oscar Wilson, Kenny Smith et leur leader, Joe Nosek qui a une prédilection pour le Chicago blues traditionnel, mais qui sait aussi sortir de ce style ; c’est ainsi qu’il m’a demandé de jouer de la guitare fuzz sur sa version de Run Run Run, un morceau du Velvet Underground qui figure sur leur album « Blacktoppin ». J’ai aussi mon propre trio avec lequel je joue régulièrement, c’est un ensemble à géométrie variable qui comprend Kenny Kinsey et/ou Ralph Kinsey, parfois Rick King ou Aaron Whitter, sans oublier Andrew Diehl avec lequel j’anime aussi un groupe country, Bob’s Country Bunker. Ces derniers temps, j’ai beaucoup travaillé avec Andrew Duncanson du Kilborn Alley Band, c’est « le quatrième membre de mon trio » et il est aussi au centre de The Dig Three. J’ai adoré collaborer avec le pianiste Barrelhouse Chuck, un gars marrant qui avait toujours une bonne blague à raconter ou des anecdotes concernant les maîtres du Blues qu’il avait rencontrés ou avec lesquels il avait travaillé et étudié.
Par ailleurs, j’ai aussi produit des shows, de temps en temps. Au Beer Geeks dans l’Indiana, par exemple, j’ai produit un show du style Muddy versus Wolf avec Willie Buck, Taildragger et Johnny Burgin. J’ai aussi amené Jim Liban et Joel Patterson à cet endroit. En 2020 et 2021, j’ai eu l’occasion de remplacer Steve Bell au sein du band de John Primer, à l’harmonica et à la guitare. C’était excitant pour moi d’accompagner un tel musicien qui a travaillé avec le Muddy Waters Blues Band et Magic Slim & The Teardrops, deux artistes qui m’inspirent énormément, et chaque concert a été inoubliable.
L’aventure du One Man Band et avec The Dig 3
La première fois que je me suis installé en Indiana, en 2007, je ne connaissais pas de musiciens locaux, mais j’avais dégoté un engagement hebdomadaire dans un café. John-Alex Mason avait commencé à se produire en one-man-band et cela m’a donné l’idée d’en faire autant, d’essayer en tout cas, avec bass drum et hi-hat. Cela m’a beaucoup plu et j’ai ajouté un autre hi-hat et un snare drum à mon attirail. Randy Nelson, un musicien local, m’a trouvé un gig à The Coachlite Inn chaque mardi et j’ai encore franchi une étape en amplifiant l’harmonica et en ajoutant un combo organ. J’y aienregistré un bel album live, en duo avec Barrelhouse Chuck, il est sur ma page Bandcamp et il y a sur YouTube une très chouette vidéo de la nuit où Nick Moss a amené Lurrie Bell là-bas et où on a joué tous ensemble. Devoir trimballer tout ce matériel de concert en concert m’a un peu découragé mais, heureusement, je me suis trouvé un Farmer Foot Drum, c’est un set complet de batterie en une seule pièce qui demande tout au plus cinq minutes à installer. Cet instrument à renouvelé mon intérêt dans la formule one-man-band de manière significative et j’ai enregistré l’album « Gerry Hundt’s Legendary One-Man-Band » en 2015 qui a recueilli les faveurs de la critique. Un magazine l’a même couronné Meilleur « Album Acoustique de 2015 », c’est dire !
J’ai encore beaucoup évolué depuis lors et je considère que ma participation actuelle au groupe The Dig Three m’a donné l’occasion de produire la meilleure musique à laquelle j’ai pu contribuer, à ce jour. En fait, Andrew Duncanson (chant, compositions), Ronnie Shellist (harmonica) et moi on se connaît depuis des années. Avec Ronnie, cela fait plus de vingt ans, mais notre premier concert ensemble – sous le nom de The Dig 3 – s’est tenu en août 2020. C’est pendant la pandémie de Covid que nous avons pensé que ce serait super de former un trio et de se produire en public. Cela a tellement bien fonctionné que nous avons enregistré un album live en studio, en un seul jour, en octobre 2020. La face bonus avec Rodrigo Mantovani à la basse électrique et à la contrebasse a été gravée en février 2021 et il se fait qu’Andrew avait encore une réserve de trois compositions que nous aurions aimé graver aussi, mais Ronnie n’était pas libre et on a du y renoncer… Mais c’est partie remise. En tout cas, je suis très fier de l’album et je suis content d’apprendre que les amateurs sont très nombreux à l’apprécier aussi.
Les projets pour l’avenir
J’espère simplement continuer à jouer et à enregistrer de la bonne musique. J’apprécie vraiment et au plus haut point de jouer en solo mes prestations one-man-band et de faire partie de plusieurs orchestres par ci par là comme avec Nick Moss, les Cash Box Kings, Corey Dennison et mon propre trio. Andrew Duncanson continue à écrire des morceaux incroyables et donc je suis certain que The Dig 3 aura très bientôt assez de matière à partager avec tous nos nouveaux fans. Je tiens à rappeler que notre album a été produit via une campagne GoFundMe et que nous n’aurions jamais pu concrétiser ce projet sans les donateurs. Ce sont les musiciens qui font la musique, mais ce sont les fans qui nous permettent d’aller de l’avant et nous sommes très reconnaissants de leur support.
Par Robert Sacré