Le « Faire Traîner » a perdu son maître
Tranquille comme Lazy. L’année 2003 est loin, mais le souvenir d’un retour en voiture pour prendre l’avion à Bordeaux perdure au-delà du flot continu des réminiscences festivalières. Tout le paysage était détaillé, les variations de culture et le rythme des saisons disséqués avec la précision d’un agronome. Lazy Lester au plus proche de la terre. Un regard pour vous jauger, une acuité d’analyse au-delà du commun, une capacité à conter le quotidien, à le grandir avec des petits riens… Un lien s’était immédiatement créé entre le festival Musiques de la Nouvelle-Orléans à Périgueux (MNOP) et le chanteur harmoniciste. Une soif à épancher, une envie d’ébriété, une ivresse généreuse et épanouie qui semblait sortir d’une chanson : « I’ m a lover not a fighter », ou la correspondance entre le texte et le Way of Life…
Un duo entre Lazy et Benoît Blue Boy, quelques années plus tard dans le cours du logis Saint Front. Au milieu du médiéval, une version de Real Combination for Love en traînant-décalé. Une éraillure en marque de fabrique, les yeux de l’assistance qui s’embuent… et ceux de Lazy qui restent rieurs, à l’affût du moindre signe.
Benoît et Lazy, la rencontre initiale datait justement de 2003. Elle s’était faite à MNOP. Les Tortilleurs officiaient en soutien permanent. Classie Ballou, le guitariste légendaire des faces du label Excello des années 50 amenait sa présence débonnaire et – last but not least – le clavier du Gallois Geraînt Watkins liait la sauce. Des nuits à écouter de tels musiciens. Pas beaucoup de répétitions, une musique d’ignorants – dixit Benoit – mais d’ignorants savants qui se reniflent pour mieux se jauger et tirer la quintessence musicale de l’instant.
Ces derniers temps, on avait souvent parlé de ce dimanche à la guinguette de Barnabé, où les jam succédaient aux bœufs pour mieux étirer le temps, le rendre à la fois dérisoire et indispensable. Un flambée en parenthèse qui restait gravée dans les mémoires des intervenants. Revoir pousser les photos de ce moment particulier à l’occasion de la mort du grand homme, ramenait à sa magie initiale. Par la suite, on se surprendra souvent à jauger la musique écoutée à l’aune de ce moment vécu et transcendé.
Rien d’un hasard si cette année Nico Duportal, Thibaut Chopin (membre des Tortilleurs en 2003) et Greg Izor ont célébré Lazy dans le même lieu. Pendant que Greg reprenait seul en rappel I Made Up my Mind, avec harmonica et verre à whisky, on imaginait les reflets des ombres de Lazy et de Classie dans la verrière de Barnabé. Lazy, debout, racontant une histoire énorme avec force jeu de mains. Devant lui, assis en père débonnaire, Classie à l’écoute, un large sourire fendant le visage. La présence des bienveillants flottait sur la guinguette. Faire traîner le fond du temps avec une chanson de gestes… Le blues de Lazy Lester et de ses enfants a le prix de sa gageure et de ses paradoxes. RIP Lazy.
Par Stéphane Colin
mnop.fr