Tutu Jones

Tutu Jones, Austin Vintage Guitar Shop, Austin, Texas, 14 septembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Musicien de caractère

« Vous souhaitez rencontrer Tutu Jones ? Il n’y a pas de souci. Je vous préviens, il est franc et direct… Je vais voir ce que je peux faire… », déclare Eddie Stout, le patron du Eastside Kings Festival à Austin, Texas. Rendez-vous est finalement pris en septembre 2019 à l’Austin Vintage Guitar Shop (magasin appartenant au guitariste Steve Fulton) où les musiciens qui vont jouer quelques heures plus tard dans les différents endroits de la ville pour le festival, se retrouvent pour une session impromptue et décontractée. La veille, le Texan se produisait dans le célèbre club Antone’s où sa prestation fut époustouflante. Quand on lui parle de ses compositions, il répond : « Elles viennent du Blues bien sûr, mais il ne faut pas oublier la Soul et le Rhythm & Blues. C’est à l’image d’un arbre avec plusieurs branches, l’ensemble représente au final ma musique ». Interview avec un superbe musicien qui – à l’image de beaucoup d’autres originaires de cette partie des États-Unis – se fait malheureusement bien trop rare de notre côté de l’Atlantique.

La batterie avant la guitare

Je suis né en 1966 à Dallas. Je dois mon intérêt pour la musique à mes parents principalement. Mon père, Johnny B. Jones, était guitariste. Ma mère, de son côté, chantait divinement bien ; à la maison je me rappelle qu’elle mettait souvent sur la platine les disques de Little Milton. Tous les deux fréquentaient l’église baptiste mais, chez nous, nous écoutions toutes les musiques, qu’elles soient sacrées ou non. Mes influences sont nombreuses, à commencer bien sûr par celle de mon père, puis ensuite le blues avec Albert King et Freddie King ou encore Albert Collins, mais j’écoutais aussi d’autres grands guitaristes à l’image de George Benson, Wes Montgomery ou encore Kenny Burrell (NDLR : il suffit d’écouter le titre Outstanding, sur son album JSP, pour s’en convaincre).

Tutu Jones jouant en club à Allentown, Pennsylvanie, août 1999. Photo © Gene Tomko

J’ai débuté tout jeune à la batterie au début des années 70 aux côtés de deux membres de ma famille, c’est à dire mes oncles maternels L.C. Clark et W.C. Clark. J’ai même intégré durant une courte période le groupe paternel. En prenant de l’assurance, j’ai commencé à jouer avec des formations de Dallas comme celle de Charles Johnson ou encore avec Bobby Jenkett and the Zodiacs puis, en 1979, j’ai intégré l’orchestre de R.L. Griffin. J’ai démarré très tôt la batterie. La guitare m’intéressait également, mais je souhaitais en maîtriser sa technique avant de passer à autre chose. Focalisé sur mon premier choix, il n’y avait que lorsque j’étais chez moi que je jouais de la guitare, je désirais que mon jeu soit impeccable avant de changer définitivement d’instrument au début des années 80.

De plein pied dans le monde professionnel, j’ai joué dans les formations de pointures comme Z.Z. Hill, Little Milton, Geater Davis, Little Joe Blue, ou encore Ted Taylor. J’ai fait la première partie des concerts de Denise LaSalle, Stevie Ray Vaughn et Clarence Carter. Ensuite, je suis revenu au sein de la formation de R.L. Griffin qu’il avait baptisée “The Dallas City Superstars”. J’ai accompagné également – au sein d’un autre groupe – des artistes comme Ernie Johnson et Al “TNT” Braggs. Finalement, en 1989, j’ai décidé de me donner un nouvel élan et me lancer dans une carrière solo.

Tutu Jones et son band, Eastside Kings Festival, Austin, Texas, 14 septembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

JSP Records m’a donné ma chance

Mon premier CD fut édité par le label anglais JSP records (« I’m For Real » – JSP252) grâce à l’aide précieuse de Don O qui est un animateur de radio à Dallas sur la station KNON. En fait, ce dernier était venu me voir plusieurs fois dans club de Dallas le Schooners. « Tutu, as-tu déjà enregistré quelque chose ? Parce que ce que tu proposes sur scène, c’est vraiment bien », m’a t-il dit. Les derniers enregistrements que j’avais faits en studio, c’était avec le fameux Al “TNT” Braggs, mais je faisais alors juste partie du groupe qui l’accompagnait. « Je connais quelqu’un qui dirige un label en Angleterre, il serait peut-être intéressé par produire un album. Si tu as quelques titres démos, ce serait bien à mon avis de lui faire parvenir… » Quelques semaines plus tard, John Stedman m’appela à la maison : « Serais-tu intéressé par enregistrer un album pour mon label JSP ? Si c’est le cas, je te fais un contrat et je te laisse le soin de superviser la session sur place. » Finalement, en 1994, est paru l’album « I’m For Real » qui reçut – si je me souviens bien – un bon accueil. D’ailleurs, j’enchaînai plusieurs dates en Europe grâce à la publication du CD. Ce premier opus chez John Stedman me mit pour ainsi dire « le pied à l’étrier » et me permit de signer ensuite chez Rounder Records pour sa marque dédiée au Blues, Bullseye Blues. En 1996 et 1998, deux albums intitulés « Blues Texas Soul » et « Staying Power » me firent connaître dans tous les États-Unis où je fis de nombreuses tournées à partir de 1997. Ensuite, en 2005, j’ai enregistré pour le label d’Austin, Doc Blues Records, une session en public (« Tutu Jones Live » – DB6809) puis, finalement, j’ai créé en 2009 mon propre label – Soul Tone Records – à l’occasion de la sortie de mon album intitulé « Inside Out ». Je travaille sur un nouveau disque toujours sur mon label et d’autres artistes pourraient également rejoindre le label.

De gauche à droite : Tutu Jones, Smilin’ Bobby, Carl Weathersby, Austin Vintage Guitar Shop, Austin, Texas, 14 septembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Au fil de la route…

Z.Z. Hill était quelqu’un de bien ; lorsque l’on part en tournée avec des artistes qui ont sont en tête des ventes de disques, on peut parfois s’attendre à quelques difficultés sur le plan relationnel, pas avec lui, c’était quelqu’un de simple et de naturel. Z.Z. savait d’où il venait, son énorme succès ne l’avait pas changé, c’était très simple de travailler à ses côtés.

J’ai croisé depuis que je suis tout gamin de très nombreux musiciens qui venaient voir mon père à la maison. Bobby Bland m’a marqué ; j’ai fait la première partie de son show. J’ai aussi joué dans sa formation aux côtés de Wayne Bennett. Ce dernier, d’ailleurs, me montra quelques trucs à la guitare, j’adorais son style et le voir jouer c’était quelque chose d’unique, on pouvait toujours lui demander des conseils sur la guitare, il répondait toujours présent, un grand Monsieur.

Tutu Jones et son band, club Antone’s, Austin, Texas, 13 septembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Je connais très bien Buddy Guy et bien sûr j’ai bien connu B.B. King. À ce propos, mon père, Johnny B. Jones, a composé la musique de l’une des chansons du maestro qui s’intitule Get Out Of My Back Woman (B.B. King – Live & Well  – Bluesway Records 6031-1969)  et c’est Fats Washington qui en a écrit les paroles. Mais pour de multiples raisons, mon père n’est pas crédité sur cette composition de B.B., mais je peux néanmoins vous affirmer que c’est bien lui qui en a écrit la musique ! Papa a souvent travaillé également pour Freddie King. Je connaissais très bien ce dernier ainsi que ses filles. J’ai fréquenté aussi Johnnie Taylor ainsi que ses enfants.

Je ne suis jamais allé en studio avec R.L. Griffin. J’ai par contre joué très fréquemment dans son club – le Blues Palace – aux débuts des années 2000. Incontournable à Dallas, j’ai participé à une session produite par Al « TNT » Braggs sur le label True Blue Records, le chanteur s’appelait Big Ray Anderson, (What Goes Around Comes Around / Love Must Have A Home – TBR-0001). Il n’a malheureusement pas reçu le succès attendu.

Tutu Jones, club Antone’s Austin, Texas, 13 septembre 2019. Photo © Marcel Bénédit

Après une soirée mémorable dans le club Antone’s, Tutu Jones était fin prêt pour le Eastside Kings Festival. Musicien pétri de talent et entouré d’une excellente et homogène formation, il délivra quelques heures plus tard une musique belle, forte et dense. Comme nous l’avons écrit dans notre précédent numéro à propos de Gregg A. Smith, il est impensable qu’un artiste de sa stature ne soit pas à l’affiche des divers festivals ou événements musicaux français. Nous sommes désolés de répéter si souvent cette même litanie, mais le peu d’empressement – pour ne pas dire le désintérêt flagrant – des tourneurs et autres organisateurs dont l’agenda tourne quasiment autour des mêmes noms, est littéralement consternant.


Propos recueillis par Jean-Luc Vabres et Gilbert Guyonnet
Remerciements à Tutu Jones, à Eddie Stout et à John Stedman

Discographie
• 1994 – « I’m For Real » – JSP Records (JSP252)
• 1995 – « Texas Blues Party, The Texas Tornado Live At Schooner’s Dallas, U.P. Wilson Special Guest : Tutu Jones – Vol. 1 » – Wolf Records 120.630
• 1996 – « Blue Texas Soul » – Bullseye Blues (BB 9571)
• 1998 – « Staying Power » – Bullseye Blues (BB 9611)
• 2005 – « Live » – Doc Blues Records (DB 6809)
• 2009 – « Inside Out » – Soul Tone Records