Chroniques #75

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Cedric Burnside

I Be Trying

Single Lock Records – https://www.singlelock.com

S’il fallait encore le présenter, Cedric Burnside sillonne les routes et les planches des juke joints avec “Big Daddy” (R.L. Burnside) depuis l’âge de 13 ans. L’un des batteurs les plus convoités, il sort de l’ombre de son grand-père pour créer ses propres projets, accompagné de Steve Lightnin’ Malcolm ou encore du fougueux guitariste Trenton Ayers dans le Cedric Burnside Project. Grâce à ses deux albums pour Single Lock Records, on le découvre à la guitare, accompagné à la batterie sur « Benton County Relic » par Brian Jay et par Reed Watson sur ce nouvel album. Après quelques écoutes… Je m’envole ! Direction le Delta du Mississippi, de ses clubs où l’on danse jusqu’au petit matin, où le son brut des guitares endiablées résonne… Une patte et un phrasé de guitare de plus en plus aboutis, avec « I Be Trying », Cedric Burnside nous fait voyager pendant 47 minutes à travers le Hill Country blues qu’il réinvente et réarrange avec brio : le son du Mississippi chargé d’authenticité et d’émotion. Les accidents de la vie qu’il a traversée ont été une source d’inspiration tout au long de cet album avec d’emblée ce titre, The World Can Be So Cold, qui nous plonge dans son univers intime et où sa voix ne fait qu’une avec sa guitare. S’ensuit Step In, accompagné de Luther Dickinson à la slide, un duo savoureux et électrique. « We’re ready Boo ? » : c’est ainsi qu’il commence I Be Trying, titre éponyme accompagné par sa fille Portrika ; il s’adresse au producteur de l’album Lawrence “Boo” Mitchell, célèbre propriétaire du Royal Studio à Memphis, avec lequel il passe trois jours pour l’enregistrement de cet opus. Sur le titre You Really Love Me, qui fait écho à son premier album solo « Benton County Relic », Cedric nous régale de sa voix de tête impressionnante. Avec une nomination aux NEA National Héritage Fellowship en juin dernier, la plus haute distinction d’Amérique dans les domaines folk et arts traditionnels, il prouve une fois encore que les racines du Mississippi Hill Country blues sont toujours bien actuelles et qu’il en est le gardien. Le temps s’arrête, les poils se dressent à l’écoute de sa reprise Bird Without À Feather de R.L. Burnside. Pretty Flowers (accompagné par Zac Cockrell à la basse), Get Down et quelques sip de Moonshine plus tard, les pieds ne cesseront pendant un long moment encore de battre le rythme ! – Lola Reynaerts


Brenda Taylor & Her Chicago Blues Band

Buggy Ride

Wolf Records CD 120.841 – www.wolfrec.com

Nous sommes désormais habitués à découvrir dans le catalogue d’Hannes Folterbauer des artistes de Chicago dont le premier disque aurait pu émaner d’un label local de la Windy City, mais que l’autrichien a rendu possible. Souvent, les artistes ont carte blanche, l’enregistrement est réalisé à Chicago (ici au Joy Ride studio en septembre 2018), la maquette finale étant peaufinée en Autriche. De fait, je ne sais pas si le choix des titres est une décision collégiale ou le fait des seuls musiciens ; ouvrir en 2021 un premier album par Sweet Home Chicago peut interroger ou être considéré comme un hommage absolu à cette ville emblématique du Blues. Je pencherai pour cette hypothèse. Brenda Taylor est l’aînée des sept enfants de feu Eddie “Big-Town Playboy” Taylor disparu en 1985 et de Vera Taylor, qui les a ensuite élevés seule ; elle-même chanteuse, elle se produisait quand elle pouvait et a même tenu la scène du Chicago Blues Festival en 1999 et sorti un disque sur Wolf, avant de décéder en novembre la même année. Eddie Taylor Jr, le fils le plus connu d’Eddie Taylor, excellent guitariste et chanteur – que nous avons vu de nombreuses fois sur les scènes de Chicago ou d’Europe –, est décédé en mars 2019. Dans cet album de douze titres, Brenda a choisi de chanter – outre le titre d’ouverture de Robert Johnson –, des compositions de JB Lenoir, Otis Rush, Willie Dixon, Bonnie Lee, Jimmy Reed. Bref, un hommage appuyé au blues de la Windy City. Mais ce disque est aussi un hommage familial émouvant avec I Found Out autrefois chanté par sa maman Vera ou I Feel So Bad de son papa Eddie Taylor. Brenda, quant à elle, est l’auteur de quatre titres, dont le final – You Don’t Treat Me Right – reprend les bases du Help Me de Sonny Boy Williamson avec beaucoup de groove. C’est du 100% Chicago blues joué par un orchestre de rêve, à savoir Eddie Taylor Jr et Illinois Slim aux guitares, Harmonica Hinds excellent de bout en bout à l’harmonica, Freddie Dixon à la basse et Tim Taylor aux drums. – Marcel Bénédit


Christone “Kingfish” Ingram

662

Alligator Records ALCD5005 – www.alligator.com

À 22 ans, le jeune prodige de Clarksdale a remis le couvert avec un deuxième album très personnel pour Alligator et un titre général qui marque son attachement indéfectible à sa ville de naissance (I come from a river town…) puisque 662 est l’indicatif téléphonique de Clarksdale et de six comtés du Nord-Mississippi. Ce titre éponyme, survolté, a déjà circulé sur Internet et a donné l’eau à la bouche à tous ceux qui l’ont écouté, impatients de découvrir la suite. On n’est pas déçu. Il faut dire que Bruce Iglauer et “Kingfish” ont mis le paquet avec Tom Hambridge, le batteur aux nombreux awards qui est le producteur de la séance et c’est avec lui que Kingfish a compsé 12 des 14 titres pendant le confinement dû au Covid, puis l’album fut enregistré en cinq jours à Nashville en décembre dernier. “Kingfish” a encore gagné en maturité et en confiance, son chant est magistral et son jeu de guitare est impérial tant dans les ballades comme les mélancoliques Another Life Goes By et You’re Already Gone (… I Got A Bad Feeling…) ou un That’s All It Takes soul avec une superbe mélodie, que dans les morceaux autobiographiques, nombreux, comme l’épatant Something In The Dirt (… I was born in Clarksdale, there’s a drugstore on the corner…) – avec Marty Sammon très inspiré au piano – un très envoûtant She Calls Me Kingfish, un funky Too Young To Remember (…. but I’m old enough to know…. je connais mes racines…) ou encore My Bad au rythme soutenu (… dans le feu de l’action tu dis parfois des choses que tu penses pas….). Les faces de blues pur et dur sont toutes dignes d’intérêt, qu’elles soient nerveuses et bien scandées comme That’s What You Do (for the blues…), rentre-dedans ou slow comme le superbe Your Time Is Gonna Come (…You got a cold heart baby….) avec des passages de guitare sublimes. Un grand moment aussi avec Not Gonna Lie martelé avec force où il renouvelle sa promesse faite à son mentor Buddy Guy de porter la torche du blues haut et sans faille à l’avenir (… I got To Keep It Goin’…), etc. En bonus, on retrouve le vibrant Rock & Roll, un morceau composé par “Kingfish” et un bel hommage à Princess Lattrell Pride Ingram, sa mère récemment décédée et cet hommage, comme clip, a abondamment circulé sur internet. – Robert Sacré


Raphael Wressnig & Igor Prado

Groove & Good Times

Pepper Cake Records CD PEC 2137-2 ou Vinyl LP PEC 2137-1

L’organiste autrichien Raphael Wressnig – l’un des meilleurs interprètes de blues, funk, soul et jazz avec un orgue Hammond –, et le remarquable guitariste brésilien Igor Prado ont renouvelé leur collaboration pour donner naissance à ce « Groove & Good Times », une suite au CD « The Soul Connection » publié en 2016. La complicité entre les deux musiciens et le batteur Yuri Prado est manifeste. Ils sont fervents d’un répertoire des musiques afro-américaines qu’ils interprètent et exécutent de manière instrumentale. Seule You Bring Love de Johnny Guitar Watson est ici chantée en duo par Jenni Rocha et Igor Prado. Leurs relectures de chansons des Isley Brothers, Bill Withers, James Brown, Bobby Bland, Junior Wells et Buddy Guy (Snatch It Back And Hold It) et Bob Marley sont expressives, dansantes, tendues, inventives, généreuses. Les originaux ne sont jamais trahis. Cette orgie musicale d’orgue Hammond B3 et de guitare exhale la joie grâce et a un groove irrésistible. – Gilbert Guyonnet


Rodd Bland
& The Members Only Band

Live On Beale Street
Tribute To Bobby “Blue” Bland

Nola Blue Records NB 016 – www.rbandthemob.com

Batteur et « fils de », Rodd Band n’a pas hésité une seconde quand on lui a suggéré d’organiser un concert en hommage à son père Bobby “Blue” Bland dans le cadre de l’International Blues Challenge à Memphis en 2017. Ce concert a connu un succès considérable et est devenu une tradition annuelle avec trois éditions supplémentaires (2018, 2019, 2020) et… un EP de 6 titres pour Nola Blue Records, un apéritif/appetizer selon les mots de Rodd Bland ; un “opening act” qui sera suivi d’au moins un album complet, voire plus, sans parler des concerts en vue. Ce batteur est littéralement né dans le blues avec un père connu et apprécié dans le monde entier et avec son parrain B.B. King, par ailleurs meilleur ami de son père et tous les musiciens et chanteurs/-euses gravitant autour de cette famille hors normes. Rodd a très tôt senti l’appel du blues et du R&B, pas pour chanter, mais pour tenir les baguettes et chatouiller les tambours, dès son plus jeune âge, avec les conseils éclairés des batteurs « maison » : John Stark, Tony Coleman et Harold Portier. Il a même accompagné son père en concert dès l’âge de 12 ans (en support du batteur en titre), puis de plein droit en 1996 pour remplacer George Weaver. Et il n’a cessé de développer ses talents avec son père d’abord (il est de « Live On Beale Street », Malaco Records en 1998) et avec d’autres artistes comme Ian Siegal (2011), Reverend Shawn Amos (2018), Otis Clay , etc. Pour cet EP enregistré live en mai 2019 au B.B. King’s Blues Club, il a rassemblé des musiciens et chanteurs qui, tous, ont accompagné Bobby “Blue” Bland à un moment ou un autre de leurs carrières : Jackie Clark (bs), Harold Smith (gt), Chris Stephenson (keys, vo), Mark Franklin (tp), Scott Thompson (tp), Kirk Smothers (sax) et deux autres chanteurs : Jerome Chism et Ashton Riker. Le résultat est percutant et fera date. Les 6 titres ont été choisis avec soin ; Up And Down World (1) swingue à tout va avec la section cuivres impériale et un Stephenson très convaincant au chant et qui récidive dans le tragique Sittin On A Poor Man’s Throne ; Saint James Infirmary (2) est à la base un grand titre de jazz vocal qui devient ici, avec Members Only, un superbe blues teinté de gospel avec le chanteur A. Riker très inspiré et porté par le thème dramatique de la perte d’un être aimé. Les trois autres titres sont chantés par J. Chism à la voix de crooner rappelant celle de Bobby Bland lui-même (3), voix qui colle parfaitement au soul blues I wouldn’t Treat A Dog (The Way You Treated Me), comme à When The Weather Breaks (avec de beaux passages de guitare de Harold Smith) et aussi à Get Your Money Where You Spend Your Time. Un seul regret, tout cela ne prend guère plus de 25 minutes mais c’est un EP… attendons la suite. – Robert Sacré

Notes :
(1) Enregistré par Bobby Bland en 1973 pour « His California Album ».
(2) Enregistré par Bobby Bland en 1961 et repris en 1998 dans « Live On Beale Street ».
(3) Sans les raclements de gorge que Bland affectionnait.


Gerald McClendon

Let’s Have A Party

Delta Roots Records 1004 – www.deltaroots.com

On ne change pas une équipe qui gagne ! Après son album formidablement réussi intitulé « Cant’ Nobody Stop Me Now » paru l’an dernier, le batteur-producteur Twist Turner récidive en faisant entrer à nouveau en studio celui que l’on appelle désormais “The Soul Keeper”. Cette fois encore il y a du beau monde rassemblé autour du chanteur, puisqu’au fil des douze compositions originales proposées, nous retrouvons aux guitares Rico McFarland, Melvin Taylor et Rusty Zynn, tandis que Jim Pugh, Sumito Ariyo Ariyoshi se partagent les claviers et que l’inamovible Harlan Terson mais aussi David Forte et l’ancien compagnon de route de nombreuse pointures Johnny B. Gayden sont à la guitare basse, les cuivres étant dignement représentés par Skinny Williams et John Brumbach. Ceux qui raffolent du mélange velouté blues et soul seront ici copieusement servis en découvrant de superbes compositions comme If It Ain’t The Blues, Pretty Girl, Ghetto Child ou encore I Just Can’t Help Myself. Mentions particulières pour les titres Keep On Keepin’On, Throw This Dog A Bone ou encore You Got To Be Strong qui sont de véritables petites merveilles où l’implication et le feeling à fleur de peau de Gerald McClendon font mouche à tous les coups. Saluons comme il se doit l’excellent travail de production de Twist Turner ; celui qui durant des décennies a joué avec toutes les pointures du Chicago blues, sait une fois encore se montrer ultra efficace quand il s’agit d’aborder des rivages nettement plus soul, c’est un sans-faute. Au cours de l’interview qu’il nous avait accordée (ABS#73), Gérald nous déclarait qu’il piaffait d’impatience de retrouver le chemin de la scène pour interpréter tous ces nouveaux titres ; il semble que la scène de la Windy City semble timidement réouvrir, souhaitons que ce très grand chanteur puisse retrouver rapidement tous les engagements qui étaient les siens avant cette terrible pandémie. Si vous possédez déjà le CD précédent, il vous sera alors bien difficile de faire l’impasse sur celui-ci tant ses qualités sont grandes.

 – Jean-Luc Vabres


Toni Holiday

Tony Holiday’s Porch Sessions vol. 2

Blue Heart Records BHR017 – www.tonyholidaymusic.com

Tony Holiday est un ex-guitariste installé à Memphis, devenu harmoniciste par choix. C’est la deuxième fois qu’il organise de telles « porch sessions », c’est-à-dire des séances d’enregistrement avec matériel portable, sur le porche des maisons de ses amis musiciens, loin des studios d’enregistrement, de leur décorum, de leurs artifices et de leurs contraintes. En l’occurrence, cela l’a conduit en sept endroits différents entre Memphis (Te), San José (CA) et Clarksdale (Ms) et il a retrouvé des musiciens déjà présents sur le volume 1 de ces Porch Sessions (« Porch Sessions vol.1 »  – 2019 avec James Harman, John Primer, Kid Ramos, Charlie Musselwhite, John Nemeth, Mitch Kashmar, Bob Corritore.), notamment son mentor James Harman, décédé entretemps, et qui chante Going To Court 2 avec Toni Holiday (hca), Kid Ramos et Landon Stone (gts). Les autres invités font partie du gratin, comme Victor Wainwright (p,vo) qui ouvre la séance avec She’s Tuff, un emprunt à Jerry McCain, accompagné entre autres par Holiday ; on trouve aussi Bobby Rush au chant dans Recipe For Love avec Vasti Jackson (gt) ainsi que dans Get Outta Here (Dog Named Bo) chanté a capella ! Johnny Burgin conte avec humour l’histoire d’une Bad Bad Girl (avec entre autres Kid Andersen à la basse), Willie Buck chante – un peu mollement – le Honey Bee de Muddy Waters accompagné par Kim Wilson (hca) et Rusty Zinn (gt), tandis que Richard Pryor se révèle expert en Brazilian Brothel avec Jon Atkinson (slide gt) ! Il y a aussi de bonnes surprises comme la chanteuse Rae Gordon dans Find Me When The Sun Goes Down avec Ben Rice (gt,vo), aussi très inspiré à la slide dans son That’s How I learned avec Dennis Gruenling (hca), ou encore Jon Lawton (vo, gt) avec Go et Tierinii Naftaly – la chanteuse de Southern Avenue – avec Peace Will Come. Par contre, je crains que Cake Walk, le duo d’harmonicas non accompagné de Mark Hummel et Dennis Gruenling ne laisse pas de souvenir impérissable et Watermelon Slim est un peu décevant avec une version édulcorée du Smokestack Lightnin’ de Howling Wolf, de même que Lurrie Bell dans une millionièmme version de Everyday I Have The Blues dans laquelle il fait piètre figure, mais tout cela reste bien sûr une appréciation toute personnelle. – Robert Sacré


Chris Gill

Between Midnight And Louise

Autoproduit

Chris Gill est un chanteur guitariste de blues établi à Jackson, Mississipi. Auteur-compositeur, il anime les scènes du Sud depuis plus de vingt ans. Il a commencé à jouer de la batterie dans les clubs locaux dès l’âge de 13 ans. Avec l’écriture de chansons, il s’est perfectionné à la guitare et s’est impliqué dans le chant. En 2003, il produit « Tell Me How », son premier CD avec 14 compositions originales. Il est alors nominé comme auteur de l’enregistrement country de l’année. En 2009, il produit son second CD, « This Is Christmas », avec un mélange de chansons traditionnelles et une touche moderne. En 2014, « Gone » est un disque plus intime avec un mélange de rock et de country contemporaine. Voici « Between Midnight And Louise », un enregistrement en solo, guitare acoustique et chant, pour 10 compositions originales et deux reprises de Virgil Brawley. Avec ses textes, il rend hommage à son grand-père et à la table de cuisine de sa grand-mère. Il évoque aussi les insectes d’été de la région du Delta dans Fleas And Ticks. En plus des références familiales, Chris s’inspire aussi des bluesmen qu’il a toujours admirés depuis son enfance comme Honeyboy Edwards ou Hubert Sumlin. Certaines influences de guitare se rapprochent aussi de Taj Mahal ou Mississipi John Hurt. Il évoque aussi le présent dans Back To Paradise, avec l’espoir de la fin de l’inquiétante pandémie. Enfin, Chris reprend deux chansons de son ami de toujours Virgil Brawley, guitariste et parolier de blues lui aussi, qui est décédé en 2018. Voilà un disque entièrement en solo acoustique avec un jeu de guitare et une voix remarquables. – Robert Moutet


Altered Five Blues Band

Holler If You Hear Me

Blind Pig Records BPCD 5173 – www.blindpigrecords.com

Sixième album en studio, enregistré à Nashville en février 2021, pour ce groupe de Milwaukee, un quintet avec Jeff Taylor (chanteur charismatique et puissant), Jeff Schroedl (guitariste virtuose et créatif) et des partenaires au top, Mark Solveson (bs), Raymond Tevich (keys) et Alan Arber (dms). Cerise sur le gâteau, la séance est produite par le multi-« awardisé » Tom Hambridge qu’on ne présente plus et, en invités, il y a l’harmoniciste Jason Ricci sur cinq des treize faces ! Schroedl a composé seul ou en collaboration toute faces de l’opus et il fait des étincelles sur les treize titres sans exception. Globalement, l’album est excellent, avec le chant martelé, martial et imposant de Jeff Taylor, la maestria inventive du guitariste J. Schroedl et l’entregent sans failles de R. Tevich aux claviers. Par ailleurs, J. Ricci fait autorité là où il intervient avec son harmonica, que ce soit dans un slow blues comme Holding On With One Hand (… Am I loosing You ?...) ou des faces musclées comme le titre éponyme et If You Go Away, sans oublier le bien enlevé Big Shout Out, un grand cri d’admiration envers ceux qui ont créé le Blues, avec une longue liste de noms. On citera encore Full Moon, Half Crazy – haletant et rageur –, Fifteen Minutes Of Blame – un régal pour amateurs de guitare blues –, etc. Cet album est encore un bon candidat aux Awards de 2021. – Robert Sacré


GA-20

Does Hound Dog Taylor
Try It… You Might Like It

Colemine Records (en partenariat avec Alligator Records)

GA-20 « Does Hound Dog Taylor », quoi de plus naturel lorsqu’on a déjà entendu leurs précédents morceaux. Matthew Stubbs (guitariste), Pat Faherty (guitariste & chanteur) et Tim Carman (batteur) composent ce groupe formé en 2018 à Boston. Ils un amour commun, le Blues et le Rock’N’Roll des années 50/60 qui transpire dans chacun de leur album. Ga-20, c’est un son brut, amplifié sur du vintage qui ronronne dans nos oreilles. C’est aussi une collaboration entre deux labels pour ce nouvel album Try It… You Might Like It sur Colemine Records à Oxford, OH, couvrant un large éventail de groupes soul, funk, afro, reggae et Alligator Records à Chicago, IL, qui a été fondé il y a 50 ans par Bruce Iglauer spécifiquement pour l’enregistrement du premier album de Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Il était évident pour Iglauer d’apporter son appui au nouvel album de GA-20 qui capture l’essence de Hound Dog Taylor. Lorsque j’entends cet album, je me réconcilie avec mon âge, le fait de na pas avoir vu sur scène tous ces artistes qui me fascinent, car le Blues se renouvelle sans cesse, il se modernise, mais les racines sont toujours là. Ces musiciens perpétuent avec intelligence et créativité cet héritage. Dans cet esprit de respect du travail de Hound Dog Taylor, ils enregistrent ce nouvel opus en deux jours, dans une seule pièce, en trois prises maximum pour chaque chanson. Comme en 1971 sur l’album « Hound Dog Taylor & The HouseRockers », GA-20 débute le sien par l’incontournable She Is Gone qui donne immédiatement le ton . Je ne peux m’empêcher d’augmenter le volume sur Let’s Get Funky où les battements de mon cœur s’emballent sur le rythme pêchu de la batterie. It’s Alright, Give Me Back My Wig, It Hurts Me Too et un exquis Sadie… ne font qu’accentuer la cadence ! Ça fait un bien fou ! – Lola Reynaerts


Johnny Tucker with Kid Ramos & Allstars

75 And Alive

Blue Heart Records & High John Records BHR 016

Né à Fresno, Californie, en 1945, Johnny Tucker s’est fait une réputation de plus en plus étoffée comme chanteur à partir de 1997, mais avant cela il a eu une longue carrière de batteur, surtout à partir de son installation à Los Angeles en 1964, attirant l’attention de Philip Walker qui cherchait un musicien capable de chanter pour l’accompagner sur scène et en tournée, leur association a duré plusieurs décades (1). Puis Tucker a rencontré Bob Auerbach, le boss du label HighJohn qui est devenu son manager et, en 2002, est paru un premier album recueillant un joli succès d’estime (« Why You Lookin’ At Me ? »). Mais il a fallu attendre 2018 pour découvrir le deuxième, « Seven Days Blues », lequel a fait sensation, (re)mettant enfin sous le feu des projecteurs un vétéran du blues doté d’une voix puissante, d’une gouaille unique et d’une personnalité hors pair, exubérante et ironique. En 2020, Tucker fêtait ses 75 ans et Auerbach estima que le temps d’un nouvel album était venu. En fait, il le préparait depuis des mois – avec Kid Ramos comme producteur et guitariste et des invités comme Bob Corritore (hca), Carl Sonny Leyland (p),… – et il fut enregistré à la date anniversaire, le 17 octobre 2020, pour sortir en août 2021. Album à ne pas rater car il est, d’ores et déjà, un des meilleurs parus et à paraître en 2021 ! Vous êtes prévenus, c’est un festival de performances où Tucker est transcendant de bout en bout (2), de What’s The Matter sur rythme de rumba avec Kid Ramos impérial à Gotta Do It One More Time boosté par Ron Dziubla au saxophone. Kid Ramos fait partout une démonstration édifiante de ce que doivent être les parties de guitare dans le Blues comme dans Have A Good Time Tonight (Play Your Soul Johnny) ou Treat Me Good à la Magic Sam, des instrumentaux/impros sur Snoplow d’Albert Collins et Hookline de Earl Hooker ; il y a de la slide inspirée dans Dance I Like I should. Bob Corritore, comme à son habitude, est à la fois excellent (If You Ever Love Me et Can’t You See qui est parmi les deux meilleures faces de l’album), et aussi Dance Like I should ; on aurait peut-être du (ou pu) lui laisser plus d’espace. Le pianiste C.S. Leyland est lui aussi au top (What’s On My Mind, If You Ever Love Me),tout comme les autres partenaires John Bazz (bs) et Jason Lozano (dms). Une belle réussite à ne pas manquer. – Robert Sacré

Notes :
(1) Des tournées en Amérique et dans le monde entier. Tucker est entre autres sur l’album « The Bottom Of The Top » de Walker.
(2) Son écriture lui est propre : rien n’est encore rédigé à l’entrée en studio, il a plein d’idées en tête et c’est en écoutant l’ultime répétition/échauffement des musiciens que tout prend place et qu’il écrit ce qu’il va chanter. Et si c’est un peu stressant pour producteur et accompagnateurs, ça marche super bien, à l’évidence !


Clarence Spady

Surrender

Nola Blue Records NB1014 – www.nola-blue.com

1996 : « Nature of the Beast ». 2008 : « Just Between Us ». 2021 : « Surrender », troisième disque en vingt-cinq ans de Clarence Spady, chanteur à la voix suave, guitariste fort intéressant et auteur-compositeur solide. Cet artiste rare et talentueux est basé en Pennsylvanie ; il se produit surtout à New York. Son éloignement des grands centres du blues explique peut-être en partie sa peu importante production discographique. Mais quelque démon l’a aussi certainement handicapé dans sa carrière. Le retour de Clarence Spady est constitué de six chansons enregistrées en studio récemment et de trois inédites qui proviennent d’un concert daté de 1999, au River Street Jazz Café de Wilkes-Barre, Pennsylvanie. If My Life Was A Book, qui débute le CD, aurait pu être enregistrée chez Stax à Memphis. Good Conversation, une composition du guitariste Adam Schutz qui joue le solo, lorgne vers un élégant funky smooth jazz ; un moment remarquable. Puis Clarence Spady rend un bel hommage à son regretté ami Lucky Peterson : l’orgue de Scott Brown et la guitare cinglante de Spady dominent When My Blood Runs Cold. K-Man, un blues traditionnel et joyeux, est entièrement dédié à son fils Khalique décédé à l’âge de vingt-cinq ans. Dieu est très présent sur le sombre Surrender, une confession « gospelisante ». La version acoustique de Down Home Blues, le tube de Z.Z. Hill en 1982, est simplement agréable à écouter. Puis arrivent les trois chansons en public. Le très personnel Addiction Game et sa remarquable partie de guitare est peut-être une clé pour expliquer le démon auquel j’ai fait allusion plus haut ; en l’occurrence la drogue. Le long instrumental (10:32) Jones Falls Expressway laisse le temps et l’espace à l’organiste Mark Hamza et au saxophoniste ténor Tom Hamilton d’intervenir avec d’excellents soli, la guitare de Clarence Spady y est expressive et véhémente. Le « soulful » Pick Me Up fait retomber la tension, même si le thème en est une relation tumultueuse, et conclut ce disque en beauté. Ce CD, confession inspirée par Dieu, permettra-t-il à Clarence Spady de se rédimer ? La sérénité retrouvée devrait permettre à celui-ci de poursuivre une carrière sans nuages. Souhaitons-lui de n’attendre pas quinze autres années pour enregistrer un prochain disque. En attendant, dégustez sans modération ce remarquable disque, accompagné d’un explicatif livret rédigé par Bill Dahl. – Gilbert Guyonnet


Sean Chambers

That’s What I’m Talkin About

Quarto Valley Records QVR 0143

Sean Chambers est un auteur compositeur chanteur et guitariste de blues rock originaire de Floride. Dès 1990, il dirige son propre groupe qui rend hommage à Stevie Ray Vaughan. En 1998, son premier album est toujours sous l’influence de Vaughan. La même année, il soutient Hubert Sumlin lors d’un festival à Memphis, et il sera pendant quatre ans son guitariste et chef d’orchestre. Aujourd’hui, voici son huitième album qui est un « Tribute To Hubert Sumlin » qui nous a quitté en 2011. Comme Sumlin a été pendant plusieurs années le guitariste de Howlin’ Wolf, Sean reprend trois titres de celui-ci. Hubert’s Song est le seul morceau composé par Sean Chambers. L’un des meilleurs titres est Hidden Charms, enregistré aussi par le Wolf. La majorité des morceaux ont été joués par Chambers quand il se produisait avec Sumlin à la fin des années 1990. Ce disque est une grande réussite et fera certainement date dans la carrière de Chambers. – Robert Moutet


Tiffany Pollack & Co.

Bayou Liberty

Nola Blue Records NBJ015 – www.tiffanypollackandco.com

Après une enfance et une adolescence très perturbées (familles d’accueil, mère encore adolescente…) (1), Tiffany Ann Pollack a fini par retrouver sa vraie famille et, installée à New Orleans, elle a pu s’épanouir dans une carrière de chanteuse-guitariste avec l’aval d’une légende locale, le batteur Russell Batiste, enchaînant en parallèle les petits boulots (2). Son registre vocal est étendu et sa voix est tantôt canaille et gouailleuse, tantôt douce et enjôleuse, tantôt menaçante ou vindicative, c’est un personnage hors normes. En 2019, elle grava « Blues In My Blood », son premier album pour Nola Blue avec son cousin Eric Johanson ; cet album remporta un franc succès, ce qui a conduit à ce deuxième opus dans lequel elle est accompagnée par Brandon Brunious (gt), Stoo Odom (bs), Christopher Johnson (sax), Ian Petillo (dms) et John Nemeth (hca dans le premier titre et producteur de la séance). On démarre avec un beau blues lent de Ma Rainey au titre provocateur, Spit On Your Grave, chanté avec hargne sur un ton pisse-vinaigre et un rythme de marche funèbre avec le soutien efficace de Nemeth (hca), Brunious (slide) et Johnson (sax). Suit Colors, un titre autobiographique qui pose la question « Can you ever go home again ? » en relation avec son enfance. Pollack, sa gouaille et son ukulele, sont aux commandes d’un grandiose Crawfish And Beer qui déploie ses fastes sur fond de voix nasale avec ironie mordante et rythme trépidant. On reste dans ce même rythme déjanté avec Devil And The Darkness, un blues haletant. Une mention au pétulant I’m Gonna Make You Love Me avec ukulele et saxophone en folie sur rythme très NOLA, de même que Do It Yourself sur un rythme de rumba. – Robert Sacré

Notes :
(1) A Slidell, au nord de New Orleans, sur le Bayou Bonfouca et une maison sur Bayou Liberty Road, d’où le titre de l’album !
(2) La cosmétologie puis les pompes funèbres et autres boulots…


Rob Stone, Elena Kato, Hiroshi Eguchi

Trio In Tokio

Blue Heart Records

Ce CD acoustique très récent s’ouvre sur un morceau jazzy. Et, en quelque sorte, annonce la couleur. C’est du blues léger, agréable, tourné vers le plaisir de l’auditeur. Le tempo tout en souplesse s’allie à la contrebasse qui se promène gentiment et à un piano résolument « californien ». Ceux qui aiment les grands polars de Chandler et autres Carter trouveront dans cette musique venue de l’entre-deux guerres un complément musical parfait aux histoires qui ont la West Coast pour cadre. Il faut noter cependant que les trois musiciens ont pratiqué bien d’autres styles. Particulièrement le blues chicagoan. Le leader, Rob Stone, est un chanteur harmoniciste qui déroule une musique évidente, sereine. Au passage, notons que sa diction très maîtrisée comblera certainement ceux qui souffrent de ne pouvoir traduire leurs chanteurs préférés. Je préfère cette façon de chanter à celles qui s’échinent à caricaturer les grands vocalistes noirs. Le bassiste fait son boulot avec efficacité. La pianiste, issue du monde des concertistes, a de très bons moments. Les plages se suivent avec un égal bonheur évoquant, entre autres, Ray Charles, Louis Jordan Amos Milburn ou Johnny Ace. Les musiciens forment un groupe fortement structuré et, étant d’égale force, contribuent à nous offrir une musique équilibrée qui supporte sans conteste des auditions répétées. De façon très subjective je citerai quelques bons moments : la reprise du Got to Get Me out of My Mind de Salomon Burke avec un piano omnipresent. Quelle belle introduction… Blow Fish Blow, compo de Stone, une sorte de démo de son talent instrumental qui devrait combler les amateurs d’harmonica. J’ai aussi apprécié la version de Come Back Baby et celle de There is Something in Your Mind. Toutes deux conservent le feeling original en ajoutant ce qu’il faut de personnalité. J’ai aussi une bien belle version du Good Night Irene de Leadbelly, avec sa partie de piano « recueillie », nimbée d’un détachement mélancolique. Pourtant d’ordinaire, je n’aime guère ce morceau. Mais là… Ce CD vous accompagnera longtemps et tout porte à croire qu’il se révèlera idéal aussi bien pour les soirées autour de la piscine que pour celles au coin du feu. J’ai pu constater que lorsqu’on le fait écouter à des copains guitaristes ou souffleurs, tous s’accordent à dire que ce disque donne une irrésistible envie de sortir les instruments pour rejoindre le trio. Un CD sympathique qui pourra surprendre et, peut-être, séduire, ceux qui ne conçoivent le blues que comme une musique qui fait trembler les vitres et exploser les tympans. Bonne écoute ! – André Fanelli


Mud Morganfield

Praise Him

Delmark Records 8869 – www.delmark.com

Voici une sortie exclusivement digitale d’un titre de Mud Morganfield qui préfigure la sortie d’un prochain CD. Pour cette session dans le studio Joyride enregistrée en juin dernier, le fils ainé de Muddy Waters est entouré aux guitares par Mike Wheeler et Rick Kreher, de Luca Chiellini à la basse et Cameron Lewis à la batterie. Le titre propos, laisse de côté le blues traditionnel pour nous inviter à découvrir un bluesman qui est aussi à son aise lorsqu’il aborde les rivages du gospel moderne. Cette nouvelle composition réussie est disponible au téléchargement sur le site du label Delmark, elle nous laisse entrevoir un formidable album à venir.

 – Jean-Luc Vabres


Adam Schultz

Soulful Distancing

Blue Heart Records BRHI013 – www.blueheartrecords.com

À 18 ans, Adam Schultz est un jeune guitariste de New York influencé tant par le funk et la soul que par le blues et encore plus par le jazz, comme il le démontre dans cet opus. Il est coaché par Clarence Spady, un vieux routier des Blues Highways, et il a du potentiel. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter, entre autres, sa version du 44 Blues de Roosevelt Sykes – et Howling Wolf – basée sur celle d’Eric Clapton, ici en conclusion de l’album, avec Spady au chant et Robert O’Connell à l’orgue. Mais ses qualités de guitariste sautent aux oreilles dans toutes les autres faces aussi comme dans ses propres compositions par exemple : Cure For The Blues, Toxic Medicine, Good Conversation ou Harlem Tonight, toutes chantées par Michael Angelo. À noter de belles performances à la guitare dans une version très jazzy du A Real Mother For You de Johnny Watson ainsi que dans le Early In The Morning de Louis Jordan (avec une petite chorale inutile) ou encore le Cut You Loose de Mel London et Who (Who Told You) de Bernard Roth. Il y a ici de nombreux invités dont Michael Angelo et la chanteuse Ekat Pereyra à l’œuvre avec brio dans Have Some Faith. Citons en conclusion Can I Change My Mind, une belle ballade chantée par Clarence Spady avec R. 0’Connell à l’orgue et Tom Hamilton au saxophone. – Robert Sacré


Curtis Fondren
feat. Desmond Pringle and Felicia Coleman-Evans

With Thee I Wed (The Wedding Song)

Curtis Fondren est un musicien (percussions et batterie) respecté à Chicago. Au fil des années, il a travaillé aux côtés de Lester Bowie, Dionne Warwick, Fontella Bass et du côté de la scène gospel avec le regretté Reverend Jessy Dixon, James Cleveland, le pasteur Donald Gay, Elsa Harris et beaucoup d’autres. Il y a quelques mois, nous avions chroniqué son album intitulé « You Are My Everything » ; cette fois-ci il s’agit de la sortie digitale d’un titre qui a été écrit au départ pour une cérémonie de mariage. La composition aux fortes sonorités soul mettent magnifiquement en avant les superbes voix de Desmond Pringle et Felicia Coleman-Evans qui, dans un superbe écrin musical, nous démontrent tous leurs talents. Rendons hommage à Curtis Fondren pour la qualité de cette session qui fera fondre nombre de tourtereaux. – Jean-Luc Vabres


Donna Herula

Bang At The Door

Autoprod/ Distrib. CD Baby – www.donnaherula.com

Chanteuse, guitariste et compositrice, Donna Herula est un membre actif de la scène blues à Chicago. C’est une spécialiste du fingerpicking et de la guitare slide, spécialités qu’elle enseigne à la Old Town School of Folk Music, et son registre est étendu : Delta et country blues, early Chicago blues, folk, roots et Americana. Elle est une habituée du Buddy Guy’s Legends et autres clubs, comme des festivals de blues. Pour ce troisième album, elle et son mari Tony Nardiello (vo, gt), sont allés à Chapel Hill en Caroline du Nord pour travailler avec le producteur/guitariste Jon Shain et des partenaires comme Doug Hammer (p), Dana Thalheimer (dms), Tony Pons (tp), Bill Newton (hca) et des guests comme Annie Harris (violon) sur Got What I Deserve (… les aléas de la maternité !) et Daryl Davis (p). Herula a composé 11 des 14 morceaux et parmi les covers elle chante en duo avec Nardiello dans un nostalgique Jackson (Lucinda Williams). Il y a aussi une superbe version de Fixin’ To Die (Bukka White) en mode surexcité et guitare slide et, dans le même registre, Soul Of A Man (Blind Willie Johnson). L’album démarre avec Bang At The Door (un ex-petit ami vient l’importuner, tard dans la nuit), sur un rythme de rumba suivi de Pass The Biscuits, un hommage au D. Jay Sonny Payne (King Biscuit Time, Helena, Arkansas) en mode New Orleans. Sur le joyeux Can’t Wait To See My Baby – une ode aux amoureux transis –, Donna Herula et Tony Nardiello chantent et jouent en duo tandis que dans Promise Me, très mélancolique, Donna, à la guitare acoustique, évoque la tristesse d’une femme dont l’amant est en prison. Elle en rajoute une couche avec Not Lookin’ Back qui rapporte une rupture avec un partenaire qui se drogue. Retour au swing débridé dans I Got No Way Home qui déménage avec entrain. À noter aussi Black Ice, un instrumental enlevé avec Herula dans un étourdissant solo à la slide et Something’s Wrong With My Baby (la galère quand on aime un homme en pleine dépression) où elle fait des merveilles avec sa 1935 National Steel Triolian. Un régal de bout en bout pour tous les amateurs de guitare, de slide et de picking. Pour nous combler totalement, les textes des morceaux sont repris dans les notes de pochette. – Robert Sacré


Big Daddy Wilson

Hard Time Blues

Continental Blue Heaven CD 2041

Big Daddy Wilson, originaire de Caroline du Nord, s’est fait connaître surtout en Europe grâce à une série d’albums bien reçus par la critique au cours des dix dernières années. Ce nouvel album est, dit-il : « une réflexion sur l’époque que nous vivons et toutes les anxiétés que la vie nous apporte : Corona, pauvreté, injustices diverses ». Wilson a voulu apporter une touche plus moderne à son style. C’est un excellent chanteur à la voix souple et bien contrôlée. CD enregistré à Londres et à Stockholm avec d’excellents moyens techniques et une sophistication qui ne colle pas trop avec les thèmes plutôt roots des morceaux : Hard Times Blues, Poor Black Children, New Norn : c’est très bien fait, mais on n’y croit pas vraiment ; le problème vient peut-être du producteur, arrangeur et homme à tout faire Glen Scott qui joue aussi bien de la guitare, basse, drums, melodica, percussions, wurlitzer et s’occupe aussi du « programming », ce qui fait beaucoup. C’est peut-être le blues du nouveau siècle et c’est très agréable à écouter, mais un peu plat à mon goût. À chacun de se faire une idée. Écoutez-le. – Marin Poumérol


Debbie Bond

Blues Without Borders

Blues Root Productions BRP2021 – www.debbiebond.com

Debbie Bond est une chanteuse/guitariste et compositrice américaine qui s’est impliquée depuis longtemps dans son Alabama Blues Project pour promouvoir et maintenir en vie l’héritage « blues » de son État et elle a travaillé avec Willie King, mais aussi Johnny Shines, Shar Baby, Eddie Kirkland, ce qui a fortement influencé son propre style guitaristique. C’est une activiste qui, avec son mari (anglais) Rick “Radiator” Asherson aux claviers et harmonica, colporte et partage son message aux quatre coins du monde. Avec ce cinquième album, on a le fruit d’un projet de début 2020 perturbé par la pandémie Covid ; il a nécessité le recours à Internet avec cinq studios en ligne et dix invtés (US et UK), ce qui a bien fonctionné. Le résultat est là, probant. Bravo à la technologie moderne ! L’album démarre en fanfare avec un puissant High Rider Blues avec un trio de guitares, drums et harmonica puis donne la parole à Léa Gilmore associée dès le départ au concept du projet et qui chante en duo avec Bond le bien nommé titre éponyme Blues Without Border, une prière pour la paix et la guérison que Gilmore a co-composée. Puis, Bond se lamente sur un amour raté dans Blue Rain, un blues où son jeu de Telecaster est bien en évidence, comme dans Let Me Be, tandis qu’elle donne quelques explications sur le surnom de son homme dans Radiator, une face soul avec saxophones en liesse (Ray Carless et Brad Guin). Quant à Shades of Blue, une ballade sur les aléas de l’amour, Bond lui donne une petit cachet country de bon aloi. On notera encore Let Freedom Ring, un hommage appuyé à Martin Luther King (… He Had A Dreamfree at last) et Road Song, en conclusion de l’opus, qui traite avec entrain de la vie du couple Bond-Asherson toujours par monts et par vaux dans le monde entier. – Robert Sacré


Various Artists

Party For Joey
A Swwet Relief Tribute To Joey Spampinato

True North Records 270573  – www.sweetrelef.org

Dans les années soixante/soixante-dix, le chanteur, auteur-compositeur et bassiste, Joey Spampinato fut membre du groupe rock, soul, blues NRBQ. Une formation au registre énergique et varié surtout réputée aux États-Unis – dans un contexte musical, il est vrai très concurrentiel – même si quelques uns de ses disques sont sortis en France à l’époque, dont un album avec le guitariste Carl Perkins, le créateur de Blue Suede Shoes. Aujourd’hui, Joey Spampinato lutte contre un cancer. Son héritage musical continue d’inspirer de nombreux artistes, venus apporter leur soutien pour ce disque dont le produit des ventes est destiné à financer son traitement. Il y a du beau monde pour reprendre des chansons de Joey : Ben Harper, Keith Richards, Charlie Musselwhite, Don Was, Bonnie Raitt, Los Lobos, Steve Forbert, Chris Spedding, Peter Case, pour ne citer que ceux qui me sont les plus familiers. Et Joey, lui-même et les anciens de NRBQ. C’est forcément un peu nostalgique, souvenir d’une époque où le rock’n’roll était encore jeune (et moi avec). Mais comme les chansons de Joey, qui portent toujours en elles une part d’optimisme, saluons cette nouvelle initiative, de Sweet Relief, Fonds de soutien aux musiciens malades, en espérant qu’il puisse collecter les subsides nécessaires. – Dominique Lagarde


Cocodrile Gombo

Cocodrile Gombo

CG01/1 – crocodilegombo@gmail.com

Violon et accordéon démarrent en trombe ce Bosco Stomp d’ouverture que le sousaphone rejoint et le reste suit, naturellement… Chanter en français dans un registre pas forcément évident pour la langue de Molière (en dehors du cajun pur jus) est le parti pris de ce groupe haut en couleurs. Dans l’Hexagone, Cocodrile Gombo pourrait être aux musiques de Louisiane, zydeco, cajun et NOLA funk, ce que Benoît Blue Boy est au Swamp blues ! Facile finalement de garder son identité linguistique quand la musique est si bonne et qu’on a tant de choses à dire. Puis les autres cuivres arrivent, tels un brass band : Jo Crapaud et son ambiance vaudou funk – soutenue de manière remarquable par le sousaphone de Florianne Hanrot – enfonce un peu plus le clou ; composé et interprété par Fred Pezet, ce morceau (l’un de mes préférés) est à l’image du reste des dix faces de cet excellent album, tonique, plein de trouvailles. Le Tour du Pays de Jimmy Peters et son second line irrésistible est aussi un morceau de choix. On Va Continuer (avec le violon virevoltant de Guillaume Pelloie), Danse des Mardi Gras, Les Grands BoisMadeleine (façon marching band), … autant de titres entre zydeco, cajun et même soul dans lesquels maîtrise instrumentale et originalité de l’écriture et des interprétations nous immergent totalement dans les bayous louisianais. On pourrait aisément penser qu’il s’agit d’un groupe local tant l’esprit du lieu et de ses musiques a été saisi. Cet album est jubilatoire, il fait pour bouger, danser, se lâcher. Bravo ! « Le vent peut toujours souffler, laissez laissez les bons temps rouler, … buvons à la Louisiane ! ». J’ai sincèrement hâte de découvrir ce groupe sur scène. – Marcel Bénédit


Guitar Brothers

Guitar Boogie

Autoproduit

François Fournet, Christophe Davot et Nicolas Peslier sont trois guitaristes qui se connaissent depuis près de trente ans. Ils ont parcouru les routes du jazz et du blues en France, en Europe et même au-delà. On a aussi pu les voir individuellement avec Les Gigolos, Louis Prima, Pink Turtle, Rhoda Scott et bien d’autres. Mais, curieusement, ils ne s’étaient jamais retrouvés tous trois ensemble sur la même scène. En 2018, Jean-Paul Amouroux, organisateur du festival de boogie woogie de Laroquebrou, les invite dans le Cantal. Les trois amis croisent leurs guitares avec enthousiasme, bien aidés par la rythmique habituelle du festival composée de Gilles Chevaucherie à la basse et Simon Boyer à la batterie. Le public de ce concert, habitué aux prestations de boogie au piano, leur fait un triomphe. Alors, ils décident de poursuivre l’aventure en reproduisant leur concert fait sur scène sur un disque enregistré en mars 2020 et qui est disponible aujourd’hui. Pour être fidèles à leur show, ils ont fait appel à Gilles à la basse et Simon à la batterie. François Fournet est au chant et a composé trois des onze morceaux. Les reprises sont très variées. Elles vont du Blues avc Jimmy Reed, Freddie King et T. Bone Walker au Jazz avec Johnny Hodges et Tiny Grimes. Il ne nous reste plus qu’ à espérer que ces trois amis reviennent régulièrement sur scène. En attendant, apprécions ce superbe disque. – Robert Moutet


Camlamity Mo

Dézinguée

Mole Stomp Records C-EP-01/A

Un vent de fraîcheur m’emporte lorsque j’écoute ce nouvel album de Camlamity Mo, « Dézinguée ». Sur la scène folk on ne la présente plus, jeune chanteuse et banjoïste clawhammer française, elle est aussi historienne des musiques folks étatsuniennes. En version One Woman Band pour cet album, elle s’empare de son banjo, parfois de son kazoo pour nous ramener à l’essentiel, cette musique tout droit venue des Appalaches qu’elle s’approprie avec fougue et brio. « Dézinguée » est une collaboration entre Camlamity Mo et Vincent Gregorio, rencontrés lors du festival la Ferme Électrique en 2019, ils se sont découvert un amour commun pour les sons qui sortent de l’ordinaire. Un album huit pistes, enregistré en prises directes et qui me surprend tout au long de l’écoute par ses différentes reprises qu’elle interprète de manière très personnelle, telles que Mother Of Heart du groupe punk Gun Club de Los Angeles, The Viper du célèbre violoniste américain Stuff Smith ou encore Wave Of Mutilation du groupe rock alternatif The Pixies, ainsi que par sa voix claire et brillante qui illumine cet album. – Lola Reynaerts


Little Mouse & The Hungry Cats

Voodoo Works

Autoproduit

Voilà trois ans que ce groupe auvergnat se produit dans les festivals en Françe, mais aussi en Suisse et en Belgique. Claire Ramos Muñoz est la petite souris au chant accompagnée de six musiciens, deux chroristes et deux invités, le puissant Marco Pandolfi à l’harmonica et Alexandre Peronny au violoncelle. À la guitare et au chant, Jean-Christophe Sutter a composé sept titres sur les dix morceaux du disque. “Little Mouse” est l’auteur de Try, qui termine l’album sur des notes Jazz et Hip Hop. Il y a une reprise de Joe Louis Walker et une de Dani Wilde. L’enregistrement et le mixage du disque se sont faits à Improve Tone Studio situé à Lezoux, à 30 km de Clermont-Ferrand. Et c’est dans les studios Alnico à Austin au Texas qu’il a été mastérisé. Le premier morceau, House Of Blues, fait référence aux lieux qui font vivre le Blues, comme le musée de notre ami Jacques Garcia à Châtres sur Cher. La pétillante chanteuse nous offre ensuite des morceaux très rythmés sur des sujets contemporains comme Voodoo Works sur les addictions aux écrans, morceau qui donne son titre à l’album. Avec Mister Stupid, elle évoque aussi des personnes que l’on croise souvent. Le groupe revendique à juste titre pour son disque groove, énergie et bonne humeur. L’influence blues est très nette, mais il y a aussi un mélange de différents styles musicaux. Au final, toutes ces musiques sont bien nées près du Mississipi et voici, à mon avi,s un album qui ne laissera pas indifférent tout amateur de musique rythmée, avec le désir de revoir ce groupe sur scène au plus vite. – Robert Moutet


Reverend Robert Ballinger

The King’s Highway

Bear Family BCD 17575 (2 CD) – www.bear-family.com

Dans le numéro 49 d’ABS Magazine (février 2016), nous appelions de nos vœux à la réédition en CD des deux albums Peacock « Little Black Train » (PLP 110) et « Swing Down Chariot » (PLP 119) : ce qui aurait été une véritable aubaine. Voilà, c’est fait ! Grâce à Bear Family Records. Finalement les souhaits d’ABS mag se réalisent assez souvent : CD de Johnny Fuller, de Buddy Lucas, de James Willie Wayne… Les titres United de décembre 1952 sont bien là, ainsi que sur le CD Delmark 702 consacré en partie à Robert Anderson et aux Little Lucy Smith Singers ainsi que les 5 titres déjà réédités sur le CD Document 5464 sont (origine Chess et Artistic 1955-58) ; ensuite, on retrouve tous les titres Peacock de 1962 et 1963 qui furent édités sur les fameux albums dont on parlait au début et que bien peu d’amateurs possèdent aujourd’hui et qui constituent la grosse majorité des titres de cette réédition (24 titres sur un total de 35). Ce CD nous offre donc bien l’intégrale de Robert Ballinger. Il ne manque qu’une chose : la photo du Révérend qui semble ne pas exister d’après les spécialistes les plus pointus, mais je suis persuadé qu’elle surgira un jour du néant comme les photos de Robert Johnson, car les années 60 ne sont pas si loin finalement et cet artiste s’est beaucoup produit dans la région de Detroit et à Chicago et il doit bien en rester des traces. Les notes très complètes de Bill Dahl complètent admirablement ce recueil. Né en 1921 à Cincinnati, Ohio, où il fréquente la fameuse Church of God in Christ, il part pour Detroit puis s’installe à Chicago. Robert Ballinger décéda le 13 octobre 1965 de causes inconnues. Un service funéraire eut lieu le 20 octobre à la Little Abraham Bible Way Church au 3231 Woodburn Avenue à Cincinnati. Son fils unique, Robert Ballinger Jr, disparut à 51 ans le 17 août 2013. Bill Dahl a dit de lui : « Aucun évangéliste sanctifié n’était plus puissant ou persuasif que lui. Donnez-lui la moitié d’une chance et il sera capable de vous sauver, vous aussi ! » Cette musique est du plus haut niveau. Je ne pourrai la comparer en intensité qu’à Blind Willie Johnson ou Sister Rosetta Tharpe, peut-être à Archie Brownlee à l’apogée des Blind Boys of Mississippi. C’est une débauche d’énergie, aussi bien vocalement qu’au piano. Sans doute est-il excellemment soutenu par la contrebasse de Willie Dixon et la batterie d’Odie Payne, plus un superbe quartette vocal (inconnu ! bien que nommé Gospel Chimes sur certaines discographies) sur certains titres. Des reprises comme Two Wings du Reverend Utah Smith – pourtant fortement typées – atteignent là une grandeur universelle ; même chose pour This Train préfigurant le My Babe de Willie Dixon ou John Saw The Number qu’il s’approprie sans coup férir. Tout ceci est « top of the game » si on peut considérer cette forme supérieure d’art comme un jeu ! Bob Koester – le patron des disques Delmark qui nous a récemment quittés – disait de lui : « Je le considère comme le Fats Waller du piano gospel ». Écoutez ces deux CD en plusieurs fois. La charge émotionnelle qui s’en dégage est trop forte pour une seule écoute continue. Pour moi, sans aucun doute, il s’agit d’un des 10 meilleurs CD de gospel de tous les temps. Écoutez le souvent, c’est bon pour le moral et encore merci à Bear Family. – Marin Poumérol


Robert Nighthawk

Sweet Black Angel and More Chicago Blues

Jasmine Records JASMCD 3164 – www.jasmine-records.co.uk

Par un heureux hasard, la firme de disques anglaise Jasmine, spécialisée dans les rééditions de Blues et Rhythm & Blues, met à la disposition des amateurs une compilation consacrée à Robert Nighthawk, au moment où votre magazine préféré vous révèle tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce magnifique bluesman. Jasmine a rassemblé les enregistrements Aristocrat, Chess, United and States entre 1948 et 1951. Tous les chefs d’œuvre sont là : Anna Lee Blues, Black Angel Blues, Crying Won’t Help You, Take It Easy Baby et l’une des plus belles chansons jamais enregistrées, The Moon Is Rising. Les titres sont disposés par ordre chronologique. Une habitude chez Jasmine. Une discographie complète le livret informatif rédigé par Bob Fisher. Ont été exclues de cette compilation les versions alternatives de Maggie Campbell, Seventy-Four et une prise incomplète de The Moon Is Rising, toutes les trois disponibles sur le CD « Robert Nighthawk – Bricks In My Pillow » (Delmark DD 711). La musique de Robert Nighthawk se consomme à la manière d’une drogue avec dépendance et accoutumance. La cure de désintoxication : le silence. Que nous sommes loin, avec ce CD, de ce blues en formica, de ces grands airs au ketchup et de ces innombrables productions survitaminées qui pullulent en streaming et dans les bacs des derniers disquaires. Autant de musique dont il ne sera pas gardé mémoire, j’espère. Par contre, la musique de Robert Nighthawk produit de l’émotion. Elle charme nos oreilles. Elle est embellie par un jeu de guitare slide qui a influencé plus d’un musicien. Un disque indispensable. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Stop The War
Vietnam Through The Eyes Of Black America 1965-1974

Kent Soul CDKEND 474 – www.acerecords.co.uk

Troisième volume consacré par Kent Soul à la guerre du Vietnam, vue par les artistes soul et blues de l’époque. 23 morceaux, qu’il s’agisse, pour les thèmes, de titres engagés contre le conflit, de suppliques pour le retour au pays des soldats engagés, ou de lettres échangées par un G.I. avec sa bien aimée, ses parents ou ses amis. Un retour parfois malheureusement posthume (R.B. Greaves : Home To Stay), synonyme aussi de deuxième mort lorsqu’un combattant noir se voit refuser une sépulture dans un cimetière blanc (Dr William Truly Jr : The Two Wars of Old black Joe). Beaucoup de titres rares, du gospel et freedom songs (Sensational Saints, Staple Singers dans le John Brown de Bob Dylan), un explosif Going On Strike des Emotions, et un poignant I Want To Come Home for Christmas, signé Marvin Gaye. En plus de l’intérêt historique et documentaire, une sélection musicale de premier ordre. – Dominique Lagarde


Various Artists

The Gospel Truth
The Complete Singles Collection

Craft Rec./Stax CR 00332 (34 faces, 2 CD)

Comme toutes les compagnies de disques s’adressant en priorité aux communautés noires d’Amérique, plus encore après la seconde guerre mondiale qu’avant et en particulier dans les années 70, après les quelques résultats obtenus suite aux marches organisées par le Révérend Martin Luther King dans les années 60 pour exiger le respect des droits civiques des Noirs, Stax Records à Memphis, Tennessee, avait un compagnie-sœur du nom de The Gospel Truth,(1) enregistrant et proposant du black gospel aux amateurs avec des artistes et groupes propres mais aussi des groupes qui passaient allègrement de la soul au gospel militant ou non (2) comme les Staples Singers par exemple (3). C’était du Gospel urbain moderne, différent du gospel rural d’avant 1960, une musique plus orchestrée mettant à l’honneur une combinaison de piano et orgue, guitares, basse, drums, cuivres et synthétiseurs ; la production était très soignée et la publicité intensive et sans failles, ce qui explique le succès de cette compagnie, outre la qualité de ses artistes. Et l’influence du blues de Beale Street restait présente soit ouvertement soit de façon latente. Il a fallu attendre (trop) longtemps pour voir apparaître enfin une réédition copieuse de ces enregistrements, modernes et encore très proche de la soul sur le plan des orchestrations et des prouesses vocales, mais voilà, ça y est, avec un ensemble de deux CD reprenant tous les singles du catalogue The Gospel Truth (4). Le groupe vedette de cette compagnie active, comme Stax, de 1972 jusqu’à la faillite en 1975, était le Rance Allen Group, un groupe familial de Detroit, Michigan, dont le leader, Rance, chanteur et guitariste, possédait un registre vocal très étendu allant du grave à l’aigu et utilisait un panaché de gospel, de blues, de rock, de soul, de R&B et de Rock ‘n Roll du plus bel effet, résumé en « Gospel Rock » ; ses idoles étant Johnny Taylor, les Staple Singers, Isaac Hayes et consorts. Ce style Gospel Rock connut un succès prodigieux dans les communautés africaines-américaines. Ce groupe est présent ici avec dix faces remarquables, réparties sur les deux albums, dont une très belle version dépoussiérée et bien scandée de Up Above My Head I hear Music In The Air (popularisé par Sister Rosetta Tharpe), le joyeux et festif There’s Gonna Be A A Showdown, un I Know A Man Who en Rock ‘n Soul où Rance Allen déploie une voix prenante du genre qu’on n’oublie pas, comme dans un We’re The Salt Of The Earth exaltant et entraînant. Il y a aussi un paquet de chorales qui connaissaient un très grande succès en cette période comme le Terry Lynne Community Choir, deux faces avec la belle voix prenante de Terry Lynne dans Consider Me, le Reverend W. Bernard Avant Jr. & The St. James Gospel Choir qui dégage un rythme d’enfer (Oops ! Sorry !) dans Don’t Let The Green Grass Fool You, une fine allusion à l’« herbe » (marijuana) dont il réprouve l’usage incité par le diable, comme l’indique bien le sous-titre Don’t Let The Devil Fool You. Une mention aussi pour les deux faces du Reverend Maceo Woods de Chicago et son Christian Tabernacle Concert Choir (The Magnificent Sanctuary Band) dont Marching For The Man, qui commence comme une marche triomphante et martiale pour se poursuivre dans une ambiance festive avec une syncopation excitante. Il y a aussi 21st Century avec un Who’s Supposed To Be Raising Who funky et le bon conseil exprimé dans If The Shoe Fits, Wear It ! N’oublions pas Blue Aquarius, un orchestre psychédélique œuvrant pour un guru Indien de 15 ans ! Ni le People’s Choir Of Operation Push (5) et son gospel triomphant (I’m A Child Of The King). Enfin, il y a des solistes remarquables, spécialistes de tours-de-force vocaux, généralement dans le style Gospel Rock, comme le couple Charles May et Annette May Thomas qui pratique une soul tantôt triomphante et jubilatoire (Keep My Baby Warm), tantôt haletante et fébrile avec une touche de blues (Satisfied) ; c’est aussi le cas de Jessie Jo Armstead avec quatre faces de Gospel Rock dont le remarquable I Got The Vibes, l’intense Stumblin’ Blocks, Steppin’ Stones et un Give A Little Loving où elle laisse éclater sa joie et son bonheur sur un rythme effréné. Idem pour Jacqui Verdell qui propose deux de ses propres compos dont le survolté We’re Gonna Have A Good Time. C’est le cas aussi de Jimmy Jones avec une belle voix de basse qui donne un bon conseil, Do It Yourself (une composition du saxophoniste Gene Barge) style rock comme sa version très personnelle de If I Had A Hammer. On terminera avec Louise McCord, une grande dame du Gospel qui n’a pas la notoriété qu’elle mérite pour son large registre vocal et la qualité de ses interprétations (Reflections et There’s No Need To Cry). – Robert Sacré

Notes :
(1) Pour le Gospel, le label The Gospel Truth avait été précédé par Chalice Records qui eut une vie très brève.
(2) C’est normal puisque le Black Gospel est à la source même de la musique soul : mêmes arrangements, même technique de chant (un ou plusieurs solistes pour le « call » et des acolytes pour le « response »), même fougue, la grande différence résidant en gros dans les textes et le remplacement de “Jesus” par “Baby” et, en partie, dans l’instrumentation avec recours aux guitares, basse, piano + orgue et, souvent, aux synthétiseurs et aux cuivres…
(3) Groupe de gospel traditionnel de Chicago devenu, chez Stax, le chantre d’une musique à message avec des Protest Songs très populaires (Respect Yourself, Why ?, Am I Treated So Bad, Freedom Highway, We Shall Overcome, Use What You Got, John Brown, etc.
(5) Inutile de préciser que le catalogue The Gospel Truth est riche en albums complets non seulement de tous ces groupes et solistes, mais aussi d’autres artistes non présents ici. Ils sont sans doute difficiles à trouver de nos jours, sauf sur des sites de seconde-main type Ebay et consorts…
(6) En 1965, le Sénateur Jesse Jackson (ami et disciple de Martin Luther King) fut à l’origine, avec d’autres, de l’opération Breadbasket à Chicago. Il s’agissait essentiellement d’inciter les entreprises locales à engager des Africains-Américains et accessoirement de distribuer du pain aux pauvres des ghettos. En 1971, Jesse Jackson quitta Breadbasket et fonda l’Operation Push (People United to Serve Humanity) qui poursuivait les mêmes buts à partir de son Q.G. dans Hyde Park. Le déclin démarra dans les années 80 quand Jesse Jackson se lança dans sa campagne présidentielle qui connut un échec cuisant.


Various Artists

Juke Joint Jump
Throw A Little Boogie

Jasmine Records JASMCD31723 – www.jasmine-records.co.uk

Je vous parlais dans le précédent numéro du premier volume d’une série produite par le label britannique Jasmine Records, compilation de 30 faces de vieux rhythm’n’blues et black rock, idéales pour danser, captées entre 1944 et 1960 : « Juke Joint Jump, Whole Lotta Drinkin’ On The Block » (JASMCD3172). Depuis sa réception, je ne vous cache pas que ce CD tourne en boucle chez moi. Voici dans la foulée le deuxième volume, « Juke Joint Jump, Throw A Little Boogie » (JASMCD3173), qui est du même tonneau en terme de qualité. Les titres, couvrant une période allant de 1946 à 1960, sont à dominante boogie et blues. L’harmonica et la voix de Papa Lightfoot sont à l’honneur avec ses faces Imperial Wine, Women, Whiskey et Jump The Boogie. La compilation est émaillée de « morceaux choisis » interprétés par Jimmy Rogers, Arthur Gunter, Sam Myers, Baby Boy Warren, ou Jerry McCain, dans le même registre. Écouter Lookin’ For My Baby de 1946 par Little Milton ne peut empêcher de taper du pied. Les faces d’artistes moins fréquents dans ce genre de compilation – voire peu connus – ont vraiment capté mon attention, telles Model T Boogie de James Tisdom (1948), Lonesome Highway par Lonesome Mickle (1952) avec un son on ne peut plus brut, Throw A Little Boogie par Manny Nichols (1954) guitare et chant, totalement jubilatoire, ou encore les inédits I’m Him par Schoolboy Cleve, down home à souhait, et Harpin’ On It par Coy ‘Hot Shot’ Love. Des artistes et des années très différents pour tous ces titres, mais une véritable cohérence dans les sons et les faces choisies une fois encore. Les notes de Bob Fisher et les éléments discographiques de Les Francourt et Bob McGrath ajoutent au plaisir de ce recueil. – Marcel Bénédit


Son House

Library Of Congress Sessions 1941-1942

Jasmine Records JASMDC 3199 – www.jasmine-records.co.uk

Le parcours de Son House est bien documenté car, à partir de son retour en scène, il a accordé de nombreuses interviews et gravé suffisamment de disques pour que puissions avoir une idée claire de son talent. Je vous invite à rejoindre rapidement votre clavier pour partir à la rencontre de ce personnage singulier qui, si vous lui en donnez le temps et l’envie, vous ouvrira les portes d’une contrée aussi mythique et disparue que l’Atlantide : le pays du Blues, le Delta. Pour beaucoup, Son House est un personnage lié au revival de la fin des 50’s et du début des 60’s. C’est en partie vrai mais sa redécouverte en 1964 ne lui offrit pas pleinement l’opportunité d’une nouvelle carrière. Sa musique difficile, était loin de celle d’artistes aisément acceptés par un public friand de bluesmen « faciles » comme Terry et McGhee ou Mississipi John Hurt. Notons au passage que l’idée d’un revival du Country blues n’est, en définitive, pas appropriée lorsqu’on veut comprendre l’évolution de cet ensemble de styles musicaux. Une vraie résurrection du Blues rural aurait commencé par le retour de l’intérêt du public noir. Or ce ne fut jamais le cas. Regardez, par exemple, les vidéos des festivals de Newport des années 60. Le public est presque exclusivement blanc… et jeune. Bien souvent, le label Jasmine œuvre dans la remise en valeur d’artistes peu connus. Quelquefois méconnus à juste titre mais, en revanche, d’autres fois, méritant d’être en pleine lumière. À bien des égards nous avons affaire, avec ce CD, à un personnage central de l’histoire du Blues et même, du fait de l’influence de Son House sur de nombreux maîtres du blues, de l’histoire de la musique populaire occidentale. Si l’on écoute des artistes blancs de cette période, des gens comme Darby et Tarlton par exemple, on ressent le désir de perfection du musicien. Contrôle du son, ligne mélodique chantante. Le « joli » n’est pas systématiquement écarté. La musique de Son House est toute autre. Toute AUTRE. La musique de Son et de ses différents sidemen est unique. Le rythme est fortement marqué. La voix peut-être violente avec un falsetto incantatoire qui évoque le Wolf, autre disciple, les accords sont frappés entre des riffs obsédants, un boogie swinguant déroule ses phrases. Le slide bourdonne comme un frelon, déchire comme une lame. Même lorsque Son délaisse les 12 mesures, il donne à cet autre répertoire une couleur et un tonus rythmique d’une autre nature. Il faut tout écouter. Écouter à nouveau lorsqu’on est un « primo-auditeur ». Je laisse à ceux qui découvrent ces sessions une « surprise ferroviaire » qui les plongera auX tréfonds du blues. Je signale aussi la partie de mandoline de Fiddlin’ Joe Martin. Une démonstration d’anthologie qui fait oublier le son aigrelet souvent présent dans les diverses musiques « country ». Quand Son House s’éloigne du blues, il rappelle un peu les valses de Leadbelly. Au terme d’une première audition, je sais bien que certains seront sceptiques quant à la possibilité de rendre un public à ces témoignages d’un passé qui, de jour en jour, nous fuit à la vitesse d’un corps spatial. Je me sens loin du temps où un petit groupe de fans lycéens de terminale se retrouvaient unis dans leur passion brouillonne et bien approximative, pour écouter, ensemble des disques de blues avec une ferveur digne de missionnaires en partance. Quelle fierté de ne pas emboiter le pas à ceux qui se complaisaient dans les succès de la pop ou du nouveau rock, ignorant les racines. Et, bien sûr, très peu attirés par ces curieux chanteurs, guitaristes et autres harmonicistes, bouseux sans âge, trop « primitifs » pour le monde du jazz, trop « vieux » pour que le public des festivals ait envie de s’identifier à eux. Prophètes et prosélytes se disputaient sur la valeur de leurs idoles. Ces combats esthétiques se sont évanouis. Peut-être, après tout, que tous ne sont pas « prédisposés » à accueillir, accepter et chérir cet art brut. Il est difficile d’espérer et de parier sur le surgissement d’une sorte de grâce, un satori musical. Pourtant… Pourtant nous sommes encore quelques-uns à retrouver la magie de cette musique profondément humaine. Et à vous convier à ouvrir vos oreilles et surtout votre cœur à cet art profond, sorte de flamenco noir, bien plus qu’une simple curiosité folklorique, une vraie poésie populaire. Le CD qui nous occupe aujourd’hui nous présente des plages anciennes (1930) et des morceaux remontant au tout début des années 40. Son House abandonna définitivement la musique en 1974. Dès lors et durant presque 15 ans, le cancer imposa son silence et seuls demeurèrent quelques témoignages sonores de l’emprise de ce chaman qui nous quitta définitivement en 1988. Si l’envie d’une méditation « bluesesque » vous touche tout à coup, pourquoi ne pas taper sur votre clavier son house grave et contempler la tombe en écoutant au casque… En écoutant, pourquoi pas, le véhément, le majestueux Walking Blues ? – André Fanelli


Various Artists

Greg Belson’s Divine Funk
Rare American Gospel Funk and Soul

Cultures Of soul Records COS 032 CD – www.culturesofsoul.com

La chasse aux disques rares de Gospel est ouverte depuis un bout de temps maintenant. Après avoir été un temps négligé (par souci de laïcité ?), le genre est fortement prisé – dans sa version funk et soul, du moins – des DJ’s et collectionneurs. Des rééditions se succèdent. Après un volume consacré au disco sanctifié, et construit dans un même esprit, l’animateur radio britannique Greg Belson et le label Cultures of Soul, récidivent ici avec douze titres des années soixante-dix, venant de 45 tours ou d’albums souvent confidentiels. Parmi eux peut-être, des disques essentiellement vendus lors des concerts ou offices religieux. Le chemin vers le Seigneur n’étant pas – a-t-on coutume de dire – une route facile, l’atmosphère musicale est souvent âpre, rugueuse, avec des rocs en travers de la voie. Rock, limite psyché, le son l’est aussi parfois et c’est plutôt surprenant. Dans les notes du livret, Greg Belson nous guide à travers l’histoire de chacun de ces groupes, solistes ou preachers. Un CD pas facile d’accès, mais gratifiant au fil des écoutes. – Dominique Lagarde


Eddie C. Campbell

Baddest Cat On The Block
Classic 1985
Studio Album Newly Remixed
 Plus Bonus Live Tracks From The Tamines Blues Festival

JSP Records 3021 – www.jsprecords.com

En 1984, le guitariste né à Duncan dans le Mississippi quitte Chicago pour retrouver une vie plus apaisée sur le sol européen. Sa première escale fut anglaise avant de résider de nombreuses années en Allemagne. Eddie C. Campbell était membre en 1979 de la tournée de l’American Blues Legends et naturellement, dès son installation à Londres effective, il prit contact avec John Stedman (le boss du label JSP) qui le fit entrer en studio. Trente-six ans plus tard, la compagnie britannique nous propose un nouveau mixage numérique de cette session, mais aussi en guise de bonus, quatre titres en provenance du festival de Tamines datant de 1992. Par rapport à l’édition originale de l’album, sont rajoutés Look What You Done et Cant’Sit Down, ce dernier était également proposé sur le LP éponyme paru en 1985 (JSP 1097) qui rassemblait aussi des compositions de Lowell Fulson, Jimmy Dawkins et du professeur Eddie Lusk. Si à l’époque, lors de sa sortie, le disque fut quelque peu boudé par les amateurs, cette nouvelle mouture pourrait faire changer d’avis les nombreux fans du bluesman. Grâce au nouveau travail du son en provenance des masters, la guitare de l’interprète de That’s When I Know sonne et claque merveilleusement, la voix est parfaitement mise en valeur, ainsi que les accompagnants que sont Hammy Howell au piano et John Dummer à la batterie. Le répertoire est sans surprise mails ultra efficace, Hey Baby, Nineteen Years Old, Cha Cha In Blues ou encore Cheeper To Keep Her, sont naturellement de la partie. Petit bémol par contre sur les quatre morceaux en provenance du festival de Tamines, à savoir All Your Love, If You Don’t Slow Down, King Of The Jungle et You Worry Me, qui me paraissent en-deçà de ce que l’excellent musicien avait l’habitude de proposer lors de ses concerts, l’ensemble restant toutefois d’un bon niveau. Voici une réédition qui comblera les nombreux fans du West Side sound et qui nous remémore tous les nombreux moments de bonheur que nous a musicalement prodigué durant toutes ces années cet admirable musicien qu’était Eddie C Campbell. – Jean-Luc Vabres


Various Artists

Alligator Records – 50 Years Of Genuine Houserockin’ Music

Alligator ALCD 5000 et ALLP5000 – www.alligator.com

Pour commémorer les 50 ans d’existence d’Alligator Records, Bruce Iglauer et son équipe ont mis les petits plats dans les grands. Deux formules au choix : ou bien deux long-playings avec 24 faces, ou un box de trois compact discs avec 58 faces. Les deux formules baladent les amateurs dans tout le catalogue du label, soit dans quelque chose comme 350 albums, et tout laisse à penser que Bruce Iglauer et ses collaborateurs ont pris beaucoup de plaisir à faire cette compilation, même si choisir vire vite à la frustration. Outre des notes de pochette détaillées, on a droit à deux albums photos : 1. les musiciens Alligator et 2. Bruce Iglauer avec des artistes Alligator. Il y a aussi de courtes biographies de ces artistes et une « Histoire d’Alligator Records » en résumé qui renvoie au livre « Bitten By The Blues, The Alligator Records Story » par Bruce Iglauer & Patrick A.Roberts (The University of Chicago Press, 2018). Ajoutons que le package de 2 LP est proposé à un prix doux : moins de $25,00 et celui de 3 CD à moins de $27,00. Quant à la musique, il serait fastidieux de détailler toutes les faces, leur choix est judicieux, elles ont toutes été re-masterisées, leurs qualités intrinsèques sont irréprochables et on peut dire que c’est la crème de la crème et un excellent panorama des enregistrements des musiciens qui ont fait le renom et le succès du label qui sont ici présents, des plus connus comme Hound Dog Taylor, Albert Collins, Lonnie Brooks, Carey Bell, Billy Boy Arnold , Son Seals, Shemekia Copeland, Marcia Ball, Janiva Magness, etc, aux derniers arrivés comme Christone “Kingfish” Ingram, Nick Moss & Dennis Gruenling et Chris Cain. Il y a aussi des absences remarquées comme celle de Lindsay Beaver, Moreland & Arbuckle, Jarekus Singleton, Anders Osborne…, mais le « boss » vous dirait sans doute qu’on ne pouvait quand même pas inclure tout le monde. Que personne ne s’embarrasse des doublons éventuels, on a là une document exceptionnel qui se doit de figurer dans toute collection sérieuse. – Robert Sacré


Casey Bill Weldon

Hawaïan Guitar Wizard
We Gonna Move (To The Outskirts Of The Town)
[his best 24 songs]

Wolf Records BC014 – www.wolfrec.com

La série Wolf Blues Classics de la firme autrichienne de disques Wolf Records s’étoffe : un quatorzième volume nous arrive. Klaus Killian et Hannes Folterbauer ont sélectionné vingt-quatre chansons du sorcier de la guitare hawaïenne, Casey Bill Weldon. Un choix cornélien ; l’œuvre entière enregistrée par ce musicien est pléthorique et de grande qualité : soixante-quinze titres sous son nom et une cinquantaine en accompagnateur d’autres artistes entre 1935 et 1938, année où il disparut de la circulation. Le vrai nom de Casey Bill Weldon était probablement Nathan Hammond, né le 2 février 1901 à Chanute, Kansas, au sud-ouest de Kansas City. Pourquoi, avant 1935 – année de ses premiers enregistrements –, adopta-t-t-il le nom de William Weldon ? Nul ne le sait. Mais ce changement d’identité provoqua un malentendu : on le confondit avec le chanteur et guitariste Will Weldon, membre du Memphis Jug Band et petit ami, et peut-être même brièvement époux, de Memphis Minnie vers 1926. Un article de Jim O’Neal, dans le numéro 238 de Living Blues daté de décembre 2013, rétablit la vérité. Très brillant joueur de bottleneck, l’un des meilleurs praticiens jamais entendus de cette technique Casey Bill Weldon mettait sa sonorité cristalline de guitare, probablement posée à plat sur les genoux, au service de tout style de musique : blues, ballades sentimentales, variété jazzy à l’irrésistible swing qui annonce le Rhythm & Blues et le Western Swing. Nous avons les diverses facettes du talent et de l’habileté diabolique de ce musicien sur ce disque. Il était aussi un auteur-compositeur et parolier doué. Qui n’a pas entendu Somebody Changed The Lock On My Door ou We Gonna Move (To The Outskirts Of The Town) dans une des multiples interprétations disponibles dues à une vaste postérité ? Howlin’ Dog Blues, WPA Blues, Streamline Woman, Somebody’s Got To Go sont aussi superbes que les deux morceaux précédents avec le soutien parfait du grand pianiste Black Bob. Oh Red, avec le quartet du clarinettiste Arnett Nelson et la présence de Big Bill Broonzy, est du Rhythm & Blues ; Can’t You Remember et The Big Boat du Western Swing. Remarquez que Wolf Records a édité les deux versions d’un même classique : Somebody Changed The Lock on My Door du 31 octobre 1935 pour Bluebird et Somebody Changed The Lock On That Door du 12 février 1936 pour Vocalion. Le livret commet l’erreur d’indiquer la même date d’enregistrement pour ces deux versions très proches. Les possesseurs de l’intégrale en trois volumes, chez Document, ignoreront ce CD. Celui-ci présente huit doublons avec le CD épuisé « The Hawaïan Guitar Wizard 1935-1938 » (EPM 158292), onze avec le double CD « Slide Guitar Swing 1927-1938 » (Frémeaux & Asssociés FA268) et un avec « Bottleneck Guitar Trendsetters of the 1930s » (Yazoo CD et LP 1049), que Casey Bill Weldon partage avec Kokomo Arnold. Cela ne doit pas vous rebuter de ce magnifique disque qui nous dévoile un horizon enchanteur. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

You Gave Me A Reason To Live
Southern And Deep Soul From Louisiana

Kent Soul CDKEND 501 – www.acerecords.co.uk

Du sud-ouest de la Louisiane remontent encore suffisamment de 45 tours obscurs pour peupler cette compilation Kent Soul : 22 titres au total, pour l’essentiel des ballades délivrées sur un fond d’orgue aigrelet dans leur naïveté charmante. Les disques d’origine ont été publiés sur des marques locales comme Anla, Hub-City, et la plus connue Goldband. Aux manettes, des producteurs tels que Eddie Shuler, Carol Rachou, J.D. Miller. La production est plutôt sommaire : sans doute enregistrées avec de faibles moyens, les chansons laissent quelquefois un goût d’inachevé. Heureusement, les voix sont au rendez-vous et lorsque chant, composition et accompagnement se hissent au même niveau, cela donne de bonnes choses (Lee Bernard : Don’t Drive Me Deeper ; King Carl : Blues For Men ; Camille « lil » Bob, Johnny Truitt, Big Daddy Green, Terrie & Joy La Roy, Bobby Charles). Pour les inconditionnels du genre. – Dominique Lagarde


Popa Chubby

The First Cuts

 

 

Fred Chapelier

Plays Peter Green

 

 

Watermelon slim

Golden Boy

Dixiefrog Vintage Series – www.dixiefrog.com

Dixiefrog frappe un grand coup en rééditant plusieurs albums phares que le label a publiés par le passé, mais cette fois en format vinyle et en édition limitée. C’est une idée intéressante, d’autant plus qu’une grande majorité du catalogue Dixiefrog n’a jamais connu les « honneurs » du format LP ! Les trois premiers albums sont agrémentés d’un habillage uniforme d’une référence à l’autre, ce qui donnera un esprit encore plus « collector » à la série. Les réjouissances commencent avec « First Cuts », le premier album paru sur le label en 1996 de Popa Chubby, l’excellent live de 2018 « Plays Peter Green » de Fred Chapellier (agrémenté de trois inédits) et un autre grand disque, « Golden Boy », de Watermelon Slim, paru en 2017. Bref, un début en fanfare pour une série de rééditions qui promet d’être riche. Ces disques sont déjà en pré-vente – uniquement sur le site internet de Dixiefrog – et seront livrables en octobre. – Marcel Bénédit


Bobby Rush

I Ain’t Studdin’ Ya
My American Blues Story

Hachette Books

Bobby Rush, le “King of the Chitlin Circuit”, dont la longévive carrière lui a permis d’enregistrer d’innombrables disques, de voyager partout sur la planète, de faire du cinéma, se sentait certainement encore sanglé d’une trop étroite courroie, que, par son âge avancé, il a convenu de se délier avec la rédaction de Mémoires, en collaboration avec l’historien de la musique et compositeur Herb Powell. Emmett Ellis Jr. est né en Louisiane à une date qu’il ne veut pas révéler ; « J’ai commencé à mentir sur mon âge quand j’avais douze ans ». Son père était pasteur et métayer, sa mère avait la peau si claire qu’elle était considérée comme une femme blanche. Dans la famille Ellis, la religion n’était pas pesante. Personne ne s’opposa à l’irrépressible désir du petit garçon de devenir un artiste ; celui-ci apprit à jouer de l’harmonica et de la guitare. Cet apprentissage se poursuivit une fois la famille installée dans l’Arkansas. En traînant ses guêtres dans les clubs noirs des environs de Pine Bluff, Arkansas, grâce à une moustache tracée au-dessus de ses lèvres, il reçut les conseils de Boyd Gilmore et Elmore James. Encore adolescent, il intégra brièvement la troupe du Rabbit Foot Minstrels Show. Au début des années 1950’s, il partit à Chicago, où, voisin de Little Walter, il bénéficia de leçons du géant de l’harmonica. Il décrit le racisme, la ségrégation pratiquée à Chicago et dans les villes alentour, sans oublier la brutale injustice du système Jim Crow sudiste. En 1964, Someday /Let Me Love You (Jerry-O 104) sera son premier disque. Mais pour vivre, il ouvrit, en 1969, la Bobby’s Barbeque House dont la fin fut presque tragique. Les anecdotes concernant de nombreux musiciens foisonnent tout au long du récit très rythmé grâce à la brièveté des chapitres. En 1983, Bobby Rush (Bobbyrush étant l’idée initiale de l’artiste) retourna dans le Sud, à Jackson, Mississippi. C’est là qu’il perfectionna son soul-blues-funk et sa revue aves des danseuses aux formes callipyges qui eurent le malheur de déplaire à une partie du public européen à l’automne 1994… Fort avisé, Bobby Rush, qui avait délaissé l’harmonica au début des seventies quand la firme de disques Stax décida de ne plus enregistrer cet instrument démodé, se réappropria un répertoire downhome blues à destination des publics caucasiens et européens. À cet effet, il ressortit ses harmonicas du placard. Lui qui n’avait qu’un public noir touchait enfin les Blancs. Il a ainsi un pied dans les deux marchés fort différents, ce qu’il commente ainsi : « crossing over, but not crossing out ». Depuis le début du XXIe siècle, après plus de cinquante ans de carrière, Bobby Rush est une vedette internationale, souvent récompensée – à juste titre – et récipiendaire de doctorat universitaire. Les spectateurs des concerts de Bobby Rush connaissent son goût pour les mots et les histoires salaces. La profusion créatrice verbale de cet artiste au caractère enjoué trouve, dans ce récit attachant de sa vie, une forme étincelante et rayonnante. – Gilbert Guyonnet