Édito #78

À l’heure où Alligator Records à Chicago fête ses 50 ans d’existence et où une biographie va paraître en ce mois de juin 2022 (« Goodnight Boogie : A Tale of Guns, Wolves and the Bues of Hound Dog Taylor », par Matt Rogers – Ed. BMG Books), Theodore Roosevelt Taylor aka Hound Dog Taylor (1915-1975), apparaît non seulement comme une figure emblématique du label de Bruce Iglauer, mais aussi comme un musicien qui, au-delà de son jeu de slide, était un véritable « personnage » et l’image à lui seul de tout un pan de la musique afro-américaine. Un type joyeux, aimant avant tout donner du plaisir aux autres, « un homme simple » comme le qualifie André Fanelli dans l’article qui vous est proposé dans ce numéro. Ne vous attendez pas à un article « formaté » autour de la carrière de Hound Dog Taylor. Non. André porte un regard, avec pudeur, sur quelques moments que son épouse et lui ont passés avec “le Dog” dans le Chicago du début des années 70’s. Que ce soit chez Hound Dog ou en club, la bonhommie et la gentillesse de cet homme – malgré un passé rude – transpirent au fil des lignes. Je n’ai pu m’empêcher, en écoutant André me raconter ses anecdotes, de repenser à cette séquence émouvante du film « The Soul of a Man » de Wim Wenders entre ces deux amateurs suédois et J.B. Lenoir… J’imagine qu’André et Nicole Fanelli ont vécu de tels moments avec Hound Dog. Les photos d’André et Nicole Fanelli sont ici présentes, dont certaines jusqu’alors inédites à la publication. Peu nombreuses sont les vidéos de Hound Dog Taylor. Nous avons choisi d’associer à l’article l’enregistrement live en plateau de 1967 de Shake Your Money Maker avec les Houserockers et Little Walter à l’harmonica. On y voit un Hound Dog Taylor très « policé ». Mais le vrai visage de Hound Dog sur scène – celui qu’André et Nicole Fanelli ont connu – est certainement mieux perçu dans l’enregistrement de 1973 réalisé au Ann Arbor Festival, avec cette interprétation de Wild About You Baby ; le genre de vidéo qui, malgré sa qualité moyenne, ne peut que faire regretter de ne pas avoir été dans le public ce jour là…

Chicago toujours, avec un entretien entre Lola Reynaerts et Guy King. Ce guitariste, chanteur et auteur-compositeur d’origine israëlienne, a posé ses valises à Chicago et joué dans l’orchestre du regretté Willie Kent qu’il a accompagné jusqu’à sa disparition. Il est aujourd’hui un artiste aguerri avec un style très personnel et un jeu de guitare remarquable. C’est aussi un homme très agréable et abordable qui revient avec humilité sur sa carrière et sur ses projets.

Autre moment fort – à double titre – dans ce numéro 78 d’ABS Magazine : le travail de Patrick Derrien sur Cleo Page (1928-1979). Patrick, amateur passionné, ancien disquaire à Toulouse et créateur du nouveau label ADS Records, produit – en collaboration avec EALZ (En Avant La Zizique) – un remarquable album sur cet artiste peu connu. Telle une quête du Saint Graal, c’est en compagnie de notre ami commun Gene Tomko qu’il a, durant des années, creusé toutes les pistes pour faire la lumière sur cet artiste né à Natchitoches qui migra à Los Angeles mais qui – en dehors d’un LP publié par JSP Records et un CD chez P-Vine – demeure un grand « oublié » des compilateurs. Ce disque et cet article le réhabilitent clairement. Le travail est remarquable, tant dans le choix des morceaux que dans le design dû à la « patte » unique de Mortimer. C’est un document rare, magnifique, et évidemment un achat indispensable pour qui s’intéresse à cette musique : ici. Cet article est aussi – pour notre plus grande joie (et j’en suis sûr la vôtre, chers lecteurs) – le cadeau que nous offre Patrick pour ses débuts dans l’équipe de rédaction d’ABS Magazine ; plusieurs autres articles sont à venir. Merci et bienvenue.

Enfin, « avec tambours, mais sans trompette…», nous poursuivons durant cette année 2022 la réédition online d’articles écrits par notre ami disparu, Jean-Pierre Urbain. Dans ce travail édité dans le numéro 22 d’ABS Magazine en mai 2009, il revenait – en collaboration avec le très érudit Étienne Bours – sur la tradition du fife and drum, son histoire et ses principaux représentants, dont Othar Turner dans le sillage duquel sa petite-fille, Sharde Thomas, continue à évoluer. Sharde sera d’ailleurs, avec le Rising Star Fife and Drum Band, à l’affiche du Eastside Kings Festival d’Austin en septembre prochain. Bonne (re)lecture.

L’actualité morose à de nombreux égards nous incite plus que jamais à profiter des belles nouveautés et rééditions discographiques présentées dans ce numéro. Rappelons-nous aussi que nous sortons de périodes de confinement difficiles. Raison de plus pour profiter sans compter de tous les festivals d’été (cf. affiches ci-contre). Ils sont là pour nous ramener à l’essentiel !

Marcel Bénédit