Archie “Hubbie” Turner

Archie “Hubbie” Turner, Hotel Helvetia, Porretta, 25 juillet 2023. Photo © Dave Thomas

« Cet homme est une légende ! »

• C’est ainsi que le MC Rick Hutton présenta Archie Turner au public du Porretta Soul Festival. Affirmation non usurpée ni flagorneuse, car avec ses claviers, au fil des décennies, il a contribué à la création du « son Hi » désormais légendaire. Discret bien qu’omniprésent, d’une efficacité redoutable, il accompagna les plus grands : Al Green, Ann Peebles, O.V. Wright et bien d’autres. Entretien lors du Porretta Soul 2023 et récit d’une carrière très riche.

Archie Turner, Vergato, Italie, 25 juillet 2023. Photo © Dave Thomas

Les débuts

Je m’appelle Archie “Hubbie” Turner. Je suis né à Detroit dans le Michigan 25 janvier 1946. Ma mère était veuve et, alors que j’avais cinq ans, nous avons déménagé à Memphis, Tennessee, pour vivre avec ma grand-mère. Ma mère a épousé “Poppa Willie” (NDLR : Willie Mitchell). Ma grand-mère avait un piano et je m’amusais à taper dessus comme un fou et, lorsque que j’eus neuf ans, j’ai commencé à réellement en jouer. Elle a vite remarqué que j’aimais cet instrument et m’a elle offert quelques cours avec le professeur de musique Armel Robinson. Mon frère, Horace, aujourd’hui décédé, était batteur et fréquentait Teenie Hodges et son frère Leroy à l’école. Nous avons formé un groupe, Teenie, Leroy, Horace et moi-même. Nous nous appelions “The Impalas” et nous avons joué localement dans des soirées étudiantes et des bals. Charles Hodges est arrivé plus tard. Il était plus jeune que nous tous, mais jouait déjà avec O.V. Wright alors qu’il était encore à l’école. Willie Mitchell nous a également embauchés pour jouer certains concerts de son groupe qu’il ne pouvait pas diriger.

De gauche à droite : Otis Clay, Percy Wiggins, Howard Grimes, Archie Turner, Chickie Wah Wah, New Orleans, 13 octobre 2012. Photo © Dave Thomas

Premiers pas en studio à Memphis

Après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires, je suis allé à l’université de Memphis. En même temps que je faisais quelques sessions et que je jouais encore avec les Impalas, nous sommes allés aux studios d’enregistrement Ardent à Memphis en 1965 pour aider Packy Axton qui faisait partie du groupe “The Martini’s” à enregistrer une chanson intitulée Hung Over, avec Late Late et avec Night sur l’autre face. Nous avons assuré la section rythmique, c’est-à-dire Teenie, Leroy et moi-même J’ai fait beaucoup de travail de sessions à cette époque chez Stax et avec Willie Mitchell aux Royal Studios. J’ai également été envoyé à Muscle Shoals pour faire du travail d’enregistrement. J’ai travaillé avec Homer Banks, Rufus Thomas & The Ovatations et quelques autres artistes. J’ai enregistré avec Willie Mitchell en 1968, « Soul Serenade ». J’ai joué des claviers sur le disque qui s’est hissé au sommet des charts. J’ai également abandonné mes études universitaires à peu près à cette époque parce que ce n’était pas compatible avec la musique.

Archie Turner, Porretta, juillet 2013. Photo © Dave Thomas

Le Vietnam puis la période Blackrock

Les Impalas se sont séparées lorsque j’ai été enrôlé dans l’armée en 1968. J’ai fait mon entraînement à Fort Campbell, puis j’ai été envoyé au Vietnam. Je suis retourné à Memphis en 1970 et j’ai travaillé chez Stax avec Bettye Crutcher, faisant des démos avec elle. Je suis également retourné à l’université pour me spécialiser en psychologie. J’ai formé le groupe “Blackrock” avec Cornell McFaden (batterie), Kirk Dudley (basse), Willie Pettis (guitare) et moi-même (claviers). Nous avons répété chez Select-O-Hits Records et, après avoir enregistré nos répétitions, un 45 a été édité : Blackrock Yeah Yeah / Bad Cloud Overhead (S.O.H. 006). C’est devenu un hit underground, il a été samplé de nombreuses fois par différents groupes et il a été réédité en CD et également en 45 tours. Nous avons joué quelques concerts au Lafayette’s à Overton Square et au Memphis Country Blues Festival de 1970 à Overton. Parc Shell. Nous avons également joué au Filmore West de Bill Graham à San Francisco. Le groupe s’est séparé en 1971.

De gauche à droite : Leroy Hodges, Charles Hodges, Archie Turner. Photo DR (courtesy of Archie Turner).

Les années Hi Rhythm Section

Après la séparation de Blackrock, je suis retourné aux Royal Studios où j’ai rejoint la nouvelle section Hi Rhythm en 1971, qui comprenait d’anciens membres des Impalas. Le groupe était composé de Teenie, Leroy et Charles Hodges, Al Jackson et plus tard Howard Grimes à la batterie et moi-même aux claviers. Nous avons enregistré notre propre album en 1976 : « On The Loose ». Nous avons joué et apparu sur près de vingt albums d’or et de platine et d’innombrables succès dans les charts pour Al Green, Ann Peebles, Syl Johnson, Otis Clay, O.V. Wright et d’autres… Je ne me souviens pas de tous les disques sur lesquels j’ai joué. Si ce n’était pas sur tous leurs disques, c’était en tout cas sur la plupart d’entre eux. J’ai également écrit quelques chansons que Paul Butterfield a enregistrées sur son album « North South », il s’agissait de Get Some Fun In Your Life et Living In Memphis.

De gauche à droite : au fond Archie Turner, Mark Franklin, Steve Potts ; rang intermédiaire Leroy Hodges, Martin Shore, Bo Mitchell, Charles Hodges, inconnu, Teeny Hodges ; assis devant inconnu. Photo DR (courtesy of Archie Turner).

Les années 80

Après la vente de Hi Records à Cream, le Hi Rhythm Band s’est séparé. J’ai joué dans un groupe appelé “Quo Jr”. Nous avons aussi fait la premiere partie d’un concert des Sex Pistols, la seule fois où ils ont joué à Memphis, au Taliesyn Ballroom ! C’est à ce moment-là, dans les années 80, que j’ai pris la route avec Little Milton après que mon frère m’ait dit que Milton cherchait un claviériste, pendant une courte période. J’ai ensuite fait des concerts avec Bobby “Blue” Bland, j’ai même fait une tournée en Europe avec lui (NDLR : dont deux semaines au Méridien à Paris en mai 1989).

Archie Turner (en bas à gauche) avec The Bo-Keys, Hotel Helvetia, Porretta, Italie, juillet 2012. Photo © Marcel Bénédit

La période Albert King

Lorsque je suis allé à l’hôtel Peabody avec Bobby, Albert King était également au programme. Je ne connaissais pas Albert à l’époque, donc c’était la première fois que je le rencontrais. J’ai ensuite rejoint son groupe. Nous avions un engagement hebdomadaire au Peabody Alley qui fut un club éphémère. Je jouais au sein du groupe “The Soul Survivors”. Albert King est entré dans le club où nous jouions et, appréciant ce que nous faisons, m’a fait confiance et embaucha les musiciens du band pour être ses accompagnateurs. Le groupe était composé du Dr Melvin Lee (basse), de Manuel Gales (guitare), de Cedric McGory (batterie) et de moi-même aux claviers. Manuel a été baptisé “le petit-fils d’Albert King” et du coup il a changé son nom pour “Little Jimmy King”.

De gauche à droite : Dr Melvin Lee, Little Jimmy King, Cedric McGory, Archie Turner, Wild Bill’s, 12 may 2006. Photo © Dave Thomas

Les House Bands

Après avoir fini de jouer avec Albert, nous sommes devenus le house band du B.B.King’s Club à Memphis. Nous avons décroché un contrat d’enregistrement avec Rounder Records en 1992 et un CD intitulé « Little Jimmy King and the Memphis Soul Survivors » est sorti. Le troisième album du groupe, « Soldier For The Blues », a été enregistré aux Royal Studios. J’ai écrit la chanson titre ainsi qu’une autre. J’étais aux claviers et Willie Mitchell a produit l’album. J’ai joué avec Little Jimmy King au Festival de Monterey en 2001 (NDLR : il a participé au festival de Porretta en 2000 sans Archie). Little Jimmy est décédé plus tard, en 2001. En 1986, j’ai joué avec Stevie Ray Vaughan à l’Orpheum de Memphis et il a reçu ce soir-là un W.C ​​​​Handy Blues Prize. Après la mort de Jimmy, avec les Memphis Soul Survivors, nous sommes devenus le house band du Wild Bill’s à Memphis.

Hubbie Turner avec The Bo-Keys, Tole, Italie, 26 juillet 2023. Photo © Dave Thomas

Rencontre avec Scott Bomar puis l’aventure Bo-Keys

En 2008, j’ai rejoint les Bo-Keys. En 2009, Cyndi Lauper était en ville pour enregistrer son album « Memphis Blues » avec Scott Bomar des Bo-Keys dans son studio d’enregistrement Electraphonic. Cela m’a manqué d’être sur l’album car j’étais hors de la ville, mais Scott a amené Cyndi chez Wild Bill où je jouais avec les Memphis Soul Survivors pour regarder le spectacle. En 2010, j’ai reçu un appel de Cyndi me demandant de partir en tournée avec elle pour soutenir l’album, ce que j’ai fait. J’ai tourné avec Cyndi de 2010 à 2012, faisant 140 spectacles partout dans le monde, jouant même au Festival de Cannes.

Archie Turner au sein du groupe The Bo-Keys. Cliché pour le disque « Got To Get Back ». Photo © Jacob Blickenstaff

En 2014, dans le cadre de la section Hi Rhythm, nous avons tourné avec Paul Rodgers et, en 2017, nous avons tourné et enregistré un album avec Robert Cray, le disque s’appelait « Robert Cray & Hi Rhythm ».

Scott Bomar (à gauche) Scott Bomar et Archie Turner, Chickie Wah Wah, New Orleans, 12 octobre 2012. Photo © Dave Thomas

En 2011, avec les Bo-Keys, j’ai joué sur l’album « Got To Get Back » avec Skip Pitts, Ben Cauley, Howard Grimes et Scott Bomar. J’étais également dans le film 2014 « Take Me To The River » avec la section Hi Rhythm et j’ai fait une tournée dans le cadre du spectacle. J’ai également tourné avec John Nemeth au sein des Bo-Keys. Je joue aussi dans le groupe “Peoples of the Blues” d’Earl “The Pearl” Banks avec Leroy Hodges lorsque je suis à Memphis. J’écris toujours des chansons et je prépare un album que j’espère voir paraître en 2024.


par Dave Thomas & Jean-Claude Morlot
Interview réalisée le 24 juillet 2023 à l’Hôtel Helvetia, Porretta, Italie
Traduction et mise en forme Jean-Claude Morlot